Pierre Marot

La minute française du procès de Jeanne d’Arc (1953)

Auteur
Pierre Marot
Date de publication
1953

Article

Note. — Le texte original ne comportait ni titres ni sous-titres ; ceux-ci ont été introduits par l’éditeur pour en clarifier la structure et en faciliter la consultation.

  1. État de la question avant Doncœur
  2. Thèse et méthode de Doncœur
  3. Les points principaux de son argumentation
  4. Limites du manuscrit d’Orléans
  5. Le cas de la cédule d’abjuration
  6. Conclusion

La minute française du procès de Jeanne d’Arc

225Depuis que Jules Quicherat1, dans une publication célèbre, donna, pour la Société d’histoire de France, l’édition des procès de Jeanne d’Arc sur lesquels le président de L’Averdy avait fait de fructueuses recherches au XVIIIe siècle, ces textes ont été particulièrement étudiés, scrutés en tout sens pour y découvrir l’histoire de l’héroïne. Longtemps après cette édition fameuse, sans parler de traductions ou d’adaptations diverses, Pierre Champion a édité à nouveau le procès de condamnation en l’accompagnant d’une traduction dont la valeur est parfois contestée et d’une annotation copieuse2.

Quicherat dans des notices substantielles a décrit et critiqué les manuscrits qui nous ont transmis ces documents de valeur exceptionnelle et s’est efforcé dans son édition de nous donner des textes corrects et complets. Depuis, la critique de provenance des deux procès a fait peu de progrès : on s’est tenu la plupart du temps aux conclusions de Quicherat, exprimées dans une langue aussi ferme que claire et fondées sur des arguments sérieux. Champion les a confirmées, en général, les renforçant par ses observations personnelles.

Voici que le P. Doncœur nous apporte des aperçus nouveaux sur la minute française du procès de condamnation3.

Afin de pouvoir suivre les inductions du P. Doncœur, il importe que nous rappelions brièvement l’état dans lequel le procès de condamnation nous est parvenu. Le texte de base de l’édition de Quicherat est l’instrument qui fut rédigé par Thomas de Courcelles, l’un des assistants de Cauchon, aidé de Manchon, greffier au procès, longtemps après la mort et l’exécution de Jeanne, selon le témoignage de Manchon. Les interrogatoires consignés 226dans la minute furent traduits en latin, les procès-verbaux complétés, et le tout rédigé [vers 1435 au plus tôt (Champion, p. XXII)] en forme de lettres patentes émanant de Pierre Cauchon et de l’inquisiteur.

Cet instrument est conservé par un assez grand nombre de manuscrits, parmi lesquels les expéditions authentiques conservées à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale (sur vélin), peut-être l’exemplaire de Cauchon, qui faisait partie au XVIIe siècle de la bibliothèque du Parlement de Paris, et à la Bibliothèque nationale, lat. 5965 (sur papier), qui a servi essentiellement à Quicherat pour l’établissement de son texte, lat. 5966 (sur papier) ; les autres manuscrits conservés dérivent de ces expéditions. L’instrument a été établi d’après les écritures du greffe et spécialement la notula ou minuta processus in gallico que Quicherat appelle la minute française du procès : française, dit-il, quoique les choses du procès-verbal y soient en latin ; mais en français sont les interrogatoires qui en forment la partie de beaucoup la plus considérable. Cette minute française fut rédigée au jour le jour par les notaires Guillaume Manchon, Pierre Taquel et Boisguillaume. Elle fut soumise, avec d’autres écritures, au procès de réhabilitation. Elle aurait pu être jointe aux exemplaires de ce procès. Elle se trouve, comme on l’admet généralement, dans un manuscrit contenant une rédaction d’essai appliquée au procès de réhabilitation qui ne fut pas adopté et par l’expédition des grosses, le manuscrit d’Urfé, conservé à la Bibliothèque nationale, ainsi appelé parce qu’il appartint à Claude d’Urfé (1502-1558), bibliophile, grand-père de l’auteur de l’Astrée. Cet exemplaire du XVe siècle est truffé de cahiers écrits au début du siècle suivant. Quicherat a expliqué ce singulier mélange en supposant que cet exemplaire du procès de réhabilitation dont les cahiers, dès le XVe siècle, avaient été cousus dans un ordre défectueux, délabré et ayant perdu un tiers de son volume au début du XVIe siècle, aurait été relié à nouveau après avoir été complété par la copie des textes du procès de condamnation confrontés avec un autre manuscrit que Quicherat suppose être le manuscrit de Saint-Victor, exécuté par les soins de Nicaise Delorme, abbé de ce monastère de 1488 à 1516, qui remplacèrent les passages manquants.

Le manuscrit d’Urfé présente donc cet intérêt de donner le texte du procès de condamnation en français, du moins la plus grande partie, commençant à la transcription de l’interrogatoire du 3 mars 1431 (12e séance). La copie de l’instrument latin fut substituée à la partie manquante de la minute française. Depuis longtemps, L’Averdy a reconnu dans ce texte celui de la minute française ; c’est d’après ce manuscrit que Lebrun des Charmettes a fait les citations du procès dans son Histoire de Jeanne d’Arc (1817). Quicherat a suivi L’Averdy et a complété son édition de l’instrument en transcrivant en note les passages de la minute française correspondant d’après le manuscrit d’Urfé, ce qu’a fait également Champion.

227Ce texte français se retrouve dans un autre manuscrit conservé aujourd’hui sous le numéro 518 à la Bibliothèque de la ville d’Orléans, provenant du chapitre de cette ville. Ce manuscrit, qui avait été connu de L’Averdy, est un recueil concernant Jeanne d’Arc

translaté de lattin en françoys par le commandement du roys Loys, douziesme de ce nom, et a la prière de Monseigneur l’Admiral de France, seigneur de Graville.

Cette translation est annoncée dans une vie de la Pucelle qui constitue la première partie du manuscrit4 : affirmant l’iniquité de la condamnation de Jeanne, leur compilateur déclare que cette identité est prouvée

clerement par le procès des dicts condempnation et mesmes de son absolucion, lequel j’ay voulu, dit-il, cy apprez metre par escript.

Il revient à la fin de son histoire de Jeanne à la

deduction dudict procez, […] enquel y a plusieurs mensonges, dit-il, ainsy que j’ay trouvé en deux livres, esquelz est escript le procez de sa condemnation, ou il y a plusieurs diversitez, specialement es interrogations et en ses reponces.

Ainsi, avait-il consulté deux exemplaires du procès, pour composer son ouvrage, sous le règne de Louis XII (1498-1515), terme de l’élaboration de cette œuvre, l’amiral Malet de Graville étant mort plusieurs années après le roi5.

228La version qu’il donne du procès de condamnation est identique à celle du manuscrit d’Urfé, avec cette différence toutefois que le procès-verbal, qui dans la minute française était latin, comme nous venons de le dire, est traduit en langue vulgaire. D’autre part, tandis que le texte de la minute française du manuscrit d’Urfé commence au 3 mars, la translation du manuscrit d’Orléans est complète. Aussi, pourrait-on penser que, du moment que le texte représenté par le manuscrit d’Orléans depuis l’interrogatoire du 3 mars correspond bien à celui de la minute française, celui des interrogatoires antérieurs à cette date représente cette même minute. Certains l’admirent, comme l’abbé Dubois, qui reprit, en 1821, l’opinion d’un chercheur du XVIIIe siècle, M. Moutié, grand-chantre d’Orléans. C’est ainsi que Buchon publia, dans sa Collection des chroniques nationales (1827), puis dans son Choix de chroniques et mémoires (1838), non sans inexactitudes d’ailleurs, cette version du procès de condamnation. C’est le texte du manuscrit d’Orléans que, du fait de la facilité qu’il avait à le consulter dans la collection de Buchon, Michelet utilisa sa fameuse Jeanne d’Arc6. C’est par lui surtout que l’illustre historien a connu le procès.

Quicherat, qui commença la publication de son œuvre peu après le volume où Michelet exaltait l’héroïne, ne suivit pas l’abbé Dubois. Sans doute ne pouvait-il nier la similitude du texte du manuscrit de d’Urfé et de celui d’Orléans, mais il considérait que la partie antérieure à l’interrogatoire du 3 mars n’était qu’une traduction de l’instrument latin faite par le compilateur, et non pas le texte de la minute française. Tant que dure, dit-il, la lacune du manuscrit de d’Urfé, le traducteur français ne met pas dans les réponses de la Pucelle ce naturel qu’avait remarqué M. Dauteroche qui a séduit M. Dubois. Il ne fait, au contraire, qu’alourdir la phrase latine ou même en corrompre le sens. Pour Quicherat, le compilateur du manuscrit d’Orléans aurait usé du manuscrit d’Urfé. Il l’aurait tout simplement reproduit pour les passages en langue vulgaire et l’aurait traduit pour les parties latines (interrogatoires antérieurs au 3 mars et procès-verbaux de tout le procès).

Les raisons alléguées par Quicherat, celles qu’a ajoutées Champion, n’ont pas convaincu le P. Doncœur. Pour cet érudit, l’auteur du manuscrit d’Orléans n’a translaté de lattin en français 229que les procès-verbaux qui, dans la minute française, étaient rédigés néanmoins en latin et non les interrogatoires qu’il a reproduits d’après un manuscrit de la minute aujourd’hui perdu. Pour le prouver, le P. Doncœur a donné une édition soignée du manuscrit d’Orléans (O) et a fait figurer face à son texte celui du manuscrit d’Urfé (U).

Pour lui, la partie de O antérieure à l’interrogatoire du 3 mars n’est pas une traduction du compilateur, mais bien la reproduction de la minute française. Elle contient des détails qui ne se trouvent pas dans l’instrument latin. La rédaction des interrogatoires antérieurs au 3 mars et de ceux qui sont postérieurs à cette date, présente une homogénéité certaine, quoiqu’en disent Quicherat et Champion. Il aurait été impossible à un traducteur, et surtout à un traducteur de cette époque qui n’aurait pas conçu pareille coquetterie, de donner à sa traduction les mêmes caractères que l’interrogatoire de la minute française dont le style plus cursif, plus incisif révèle la langue parlée. L’instrument latin à été rédigé, en effet, par des juristes qui ont donné aux phrases qu’ils traduisent du français une structure différente, ils lui ont imprimé une forme savante, ils ont substitué aux pronoms des noms propres qui ne pouvaient prêter à équivoque, ils se sont montrés plus précis dans l’énoncé des noms de lieux ; ces différences sautent aux yeux.

Le P. Doncœur n’a pas publié à nouveau le texte de l’instrument latin dû à Courcelles. l’instrument définitif, face aux textes de O et U. Nous aurions préféré, quant à nous, qu’il le fît ; il aurait pu se contenter de citer les variantes de U et donner au lieu de U, le texte de Courcelles, ce qui eut rendu plus aisé la comparaison et renforcé la démonstration. Par contre, le P. Doncœur a eu l’heureuse idée de placer, en regard de ces textes, une rédaction latine des interrogatoires antérieure à celle de l’instrument définitif, celle qui, abrégée parfois, due à Manchon, a été insérée à la suite du réquisitoire du promoteur J. d’Estivet dans l’ordre des soixante-dix articles de l’accusation qui ne correspondait naturellement pas à la succession des interrogatoires. Dans son Libellus Estivet avait relevé à peu près les deux tiers des questions et réponses. Le P. Doncœur a classé les questions mentionnées par Estivet (E) dans l’ordre des séances où elles furent posées pour que pût être faite plus aisément une comparaison avec le texte de la minute française donnée par U et O. Estivet avait rédigé ces textes en un latin très cursif, qui se rapproche beaucoup plus de la minute française que l’instrument de Courcelles, ce que l’on n’avait pas observé jusqu’ici. Il constitue comme un état intermédiaire entre la minute française et l’instrument latin définitif. Le Libellus contient la citation d’assez nombreuses expressions françaises dont plusieurs ne sont pas passées dans l’instrument définitif et que l’on retrouve textuellement dans la minute française.

E, U et O ont les plus étroits rapports : l’on peut relever dans 230l’interrogatoire du 3 mars la fin d’une réponse concernant Catherine de la Rochelle qui se trouve dans les trois textes et qui manque dans l’instrument définitif :

Toutesfois frère Richard voullut que on la mist en œuvre, ce que elle ne voulut souffrir, dont le dit frère Richard et ladicte Katherine ne furent pas contens d’elle (p. 145).

Mais cette parenté ne doit pas faire oublier les relations qui existent, d’autre part, entre le texte d’Estivet et l’instrument définitif que le P. Doncœur, qui a si bien mis en lumière la valeur du Libellus, n’a peut-être pas assez soulignées. Il est évident que le rédacteur de l’instrument définitif qui a inséré le Libellus dans la séance du 27 mars (Quicherat, t. I, pp. 202-323 ; Champion, t. I, pp. 166-266) s’est inspiré de son texte. Le vocabulaire de l’instrument définitif le prouve abondamment. Si le tour des phrases a été bien souvent transformé, il n’en est pas moins vrai que la structure du texte du Libellus demeure dans ses grandes lignes. Toutes les expressions françaises qui figurent dans l’instrument définitif se retrouvent dans le Libellus, qui par ailleurs en compte davantage. Courcelles et ses collaborateurs se sont inspirés du Libellus de J. d’Estivet en traduisant la minute française. On peut même se demander, croyons-nous, quoique aucun texte ne le laisse entendre, si, longtemps avant la rédaction définitive, le procès ne fut pas entièrement mis en latin, si l’on ne traduisait pas au fur et à mesure la minute française, élaborée au jour le jour, et si d’Estivet ne puisa pas dans cette traduction complète les extraits qu’il a fait figurer dans le Libellus.

En tout cas, il faut retenir, avec le P. Doncœur, que cette translation matérielle du français original en latin vulgaire est d’une transparence qui lui assure sur l’instrument officiel une supériorité telle que le Libellus d’Estivet devra lui être préféré chaque fois que les textes se doublent (p, 23).

Jules Quicherat, puis Pierre Champion avaient taxé O, dans sa première partie, d’incompréhension. Ils avaient relevé des contre-sens dans ce qu’ils croyaient la traduction du texte latin de Courcelles. Le P. Doncœur montre qu’il n’y a pas lieu de les suivre. Quicherat déclare qu’y sont accumulés tous les défauts d’une mauvaise traduction : contre-sens, omission, platitude et il ajoute : tout cela si saillant qu’il serait superflu d’en faire la démonstration. Or, comme l’observe le P. Doncœur, les exemples proposés ne démontrent rien. Quicherat est allé un peu vite : il choisit trois mauvais exemples qui se suivent dans le texte d’ailleurs (audience du 21 février) et a le tort de donner a priori la préférence à la version définitive. Je ne citerai, après le P. Doncœur, que le troisième ; l’instrument latin porte (Quicherat, t. I, p. 51 ; Champion, t. I, p. 38) :

Ulterius confessa fuit quod, propter timorem Burgondorum, recessit a domo patris et iuit ad villam de Novo-castro in Lotharingia, penes quondam mulierem cognominatam La Rousse ubi stetit quasi per quindecim dies : addens ulterius quod, dum esset in domo patris, vacabat circa negotia familiaria domus nee ibat ad campos cum ovibus et aliis animalibus.

231À quoi correspond ce texte de O (p. 91) :

Dit oultre qu’elle avoit laissé la maison de son père en partye pour doubte des Bourguignons ; et qu’elle se estoit allée au Neufchastel avecques une femme nommée la Rousse, ou elle demeura par quinze jours. En laquelle maison elle faisoit les négoces de la dicte maison et ne alloit point aux champs garder les brebis ne aultres bestes.

Quicherat observe les différences entre ces deux textes. Pour lui, le prétendu traducteur a mal compris le texte latin. Il a réuni la déclaration de Jeanne concernant ses occupations dans la maison de son père à ce qu’elle dit de son séjour à Neufchâteau chez la femme la Rousse. En vérité, c’est bien O qu’il faut suivre, car, comme l’observe le P. Doncœur (p. 299, n. 16)7, nous retrouvons cette même version dans le Libellus d’Estivet :

Confessa fuit quod, propter Burgundos, recessit a domo patris et ivit ad villam que dicitur Novum castrum, penes quamdam dictam La Rousse, et ibi stetit quasi per XV dies, vacanda erga negocia ; nec ibat ad campos.

Il est donc normal de penser que c’est le rédacteur de l’instrument définitif qui s’est trompé8.

Le P. Doncœur (p. 39-40) a remarqué que O donnait des précisions qui s’avèrent exactes, manquant dans le texte de Courcelles. Ainsi O (p. 135) mentionne cette déclaration de Jeanne que tait Courcelles :

Dit que la damoiselle de Luxembourg [Jeanne de Luxembourg] requist a monseigneur de Luxembourg qu’elle [Jeanne] ne fust point livrée aux Angloys.

Or Estivet en fait état dans le Libellus9 (p. 134) :

Dixit quod domicella de Luxemburgo requisivit dominum de Luxemburc quod ipsa Johanna non traderetur Anglicis.

Ainsi, le manuscrit d’Orléans est plus près du Libellus d’Estivet que l’instrument définitif. C’est bien la preuve qu’il ne traduit pas le texte de Courcelles, mais qu’il représente la minute. Nous pouvons citer d’autres exemples de ces rapports. Telle cette leçon de O :

[À cette demande] si ses voix ne lui ont pas dit qu’elle s’échapperait de prison, respond : Cela n’est point de vostre procez. Je me actens a Nostre Seigneur, qui en fera son plaisir. (p. 133)

232Le Libellus d’Estivet porte de même :

Respondit : Hoc non tangit procession vestrum. Ego me refero ad Dominum Deum. Et, si totum pertineret ad vos, ego vobis dixisse totum.

Quant à l’instrument latin, il donne (Quicherat, t. I, p. 94, Champion, t. I, p. 70) :

Hoc non est de vestro processu. Ego refero me ad processum. Et, si totum pertineret ad vos, ego dicerem vobis totum.

Il nous semble que la leçon de O et du Libellus est plus satisfaisante que celle de Courcelles, d’autant plus que la réponse suivante de Jeanne continue en quelque sorte sa déclaration première :

Dit oultre : par ma foy, je ne scay l’heure ne le jour, le plaisir de Dieu soit faict.

Ni l’instrument définitif, ni Estivet ne donnent d’ailleurs la fin de la réplique : le plaisir de Dieu soit faict. Ainsi O nous nous révélerait, comme l’observe le P. Doncœur (p. 40), une des plus belles réponses de Jeanne.

Champion (p. XII, n. 1) a attribué à une mauvaise translation de O le libellé d’une réponse que Jeanne fit à ses juges sur ses révélations :

Je ne vous les dirai point encore, mais allez au roy et il vous les dira.

Cette traduction fausse, dit-il, le sens de la réponse du 22 février : Ego non dicam vobis adhuc non est vobis responsum ; or le Libellus d’Estivet (Doncœur, p. 96) porte :

Ego non dicam vobis eas. Adhuc nondum est vobis responsum in hoc. Sed mictatis ad regem, et ipse dicet vobis eas.

Ainsi la différence entre l’instrument définitif et O réside dans ce fait que O représente bien la minute qui transparaît dans d’Estivet.

Dans l’interrogatoire du 3 mars sur les visions de Jeanne, sur l’apparence corporelle des saints Michel et Gabriel, la question mentionnée dans O

si elle croit que Dieu les ait formez en ces testes esquelles les a veues

et la réponse

Je les ay veues en mes yeulx. Je ne vous en diray aultre chose

ne figurent pas dans l’instrument définitif, mais dans le Libellus d’Estivet (voir la remarque de P. Doncœur en note, p. 300, n. 37). Cet apparentement est significatif.

On peut ajouter à ces preuves irréfutables des rapports du texte du manuscrit d’Orléans et du Libellus d’Estivet, ce fait que les textes français extraits des réponses de Jeanne insérés dans le Libellus qui ne figurent pas dans l’instrument définitif se retrouvent exactement dans O ; telles, la réponse à cette demande

Si son conseil luy a point révélé que elle eschappera : Je le vous ay a dire (p. 102-3),

la réponse au sujet de la veue de la voix :

Vous ne l’avez pas encore (pp. 104-105).

L’instrument définitif ne donne ces réponses qu’en latin. Ainsi, O s’identifie bien à la minute française dont Estivet reproduit certainement ces réponses.

Malheureusement, il s’en faut que le manuscrit d’Orléans donne une transcription intégrale de la minute française. Il présente 233de nombreuses lacunes parmi lesquelles il en est une, considérable, qui va de l’interrogatoire du mardi 27 février au début de la séance du 1er mars. Le P. Doncœur ne donne aucune explication. Il y fait allusion sans plus (p. 38 et p. 300, n. 33), en observant que, au point où s’arrête l’interrogatoire du 27 février dans O, il est question de saint Michel et qu’il est encore question de saint Michel au point où O reprend la suite du procès dans l’interrogatoire du 10 mars. Il existe plusieurs omissions dans les interrogatoires sur les articles de l’accusation, dans les délibérations des docteurs, etc. Il est difficile de trouver une raison à ces lacunes. Pourquoi O a-t-il omis ce qui concernait la visite de Jeanne à Charles, duc de Lorraine, par exemple ? Il est possible que le compilateur ait voulu abréger. C’est ce qu’avait surtout remarqué Quicherat qui en avait fait à tort un abréviateur systématique.

Pour Quicherat, comme pour Champion, O reproduit U. À cela ces érudits trouvent plusieurs preuves et présomptions. Les erreurs communes sont relativement nombreuses : on constate par exemple dans O et U une interversion dans l’interrogatoire de la séance qui soude celle du 17 mars à une séance qu’il faut rejeter au 2 mai. Mais, comme il paraît certain que U était déjà incomplet au moment où Louis XII et l’amiral Malet de Graville ordonnèrent la compilation représentée par O, il faut admettre que celle-ci reproduit un autre exemplaire — complet celui-ci — de la minute française dont U aussi dériverait.

En tout cas, la provenance supposée de U ne saurait être un argument décisif pour la thèse de Quicherat et de Champion. Quicherat avait remarqué que la femme de Claude d’Urfé, le fameux bibliophile (✝1588), qui avait réuni au château de la Bâtie une bibliothèque dont le P. Jacob a vanté la richesse, descendait de l’amiral Malet de Graville sur l’ordre duquel le texte de O avait été compilé. De là à imaginer que, du moment que l’amiral s’intéressait à Jeanne d’Arc, il avait dû posséder le manuscrit que Claude d’Urfé conservait il n’y avait qu’un pas. Le manuscrit d’Urfé aurait été la propriété de l’amiral, puis de sa dernière fille Anne, la poétesse, puis de la fille que celle-ci avait eue de son mariage avec Pierre de Balsac, Jeanne de Balsac10. En vérité, 234rien ne le prouve, ce manuscrit ne porte aucune marque de propriété antérieure à Claude d’Urfé et il ne faut pas exagérer la valeur d’une hypothèse que Champion (p. XIV) a fini par présenter comme une certitude : C’est donc, dit-il, dans la maison de Graville que le translateur a travaillé, etc. Nous n’ignorons pas toutefois que beaucoup de manuscrits de Claude d’Urfé provenaient de l’amiral ; mais ce manuscrit aurait-il été en la possession de l’amiral que cela n’impliquerait pas nécessairement son utilisation exclusive par le compilateur du texte représenté par O.

Il y a au reste des différences et des variantes entre O et U dont on souhaiterait un tableau systématique. À propos du fameux signe, O donne une réponse de Jeanne qui le déclare

bel, honorable et bon et le plus riche qui soit ;

U porte

bel et honnouré et bien creable et bon…

Creable que l’on retrouve dans Estivet et dans l’instrument définitif (Quicherat, I, 119 ; Champion, I, 92) a disparu dans O, moins sûr ici que U.

Estivet est encore plus près de U que de O dans une réponse faite par Jeanne à propos des visions de Catherine de La Rochelle. O (p. 143) porte

du faict d’icelle Katherine n’estoit que folye et toute menterie.

Or U et le Libellus, qui cite le texte en français, portent

qui n’estoit que folie et tout néant (ou nient).

L’instrument latin présente cette même leçon, comme d’Estivet (Quicherat, I, 107 ; Champion, I, 81) :

Non erat nisi quedam fatuitas, et quod totum nihil erat.

Mentionnons une réponse incomplète dans O (p. 18) :

Interroguee se en icelluy estandard le monde et les deux angelz y estoient paincts respond que ouy,

tandis que U donne :

Respond qu’ouil, et n’en eust oncques que ung,

déclaration confirmée par le Libellus et l’instrument latin (Quicherat, t. I, p. 117 ; Champion, t, I, p. 90). Incomplète aussi une des réponses concernant la fameuse couronne portée par l’ange (p. 163) (cf. Quicherat, t. I, p. 140 ; Champion, t. I, p. 110)11.

Si, à plusieurs reprises, le texte de O est plus rapide que U, dans d’autres cas il est au contraire plus long. Interrogée sur le propos qu’elle aurait tenu sur le capitaine de Soissons :

Si elle avoit point regnoyé Dieu, si elle le tenoit, qu’elle le feroit trencher en quattre pieces (p. 147), […] repond qu’elle ne regnoya oncques sainct ne saincte, et que ceulx qui l’ont dit ou rapporté 235ont mal entendu. Car oncques en sa vie ne jura ne blasphema le nom de Dieu ne de ses sainctz. Et, pour ce, je vous supply, passez oultre.

La fin : Car oncques en sa vie… manque dans U et aussi dans Estivet et dans l’instrument latin (Quicherat, t. I, p. 111 ; Champion, t. I, p. 84). Il est vrai que ces propos avaient été tenus par Jeanne ou à peu près dans la réponse précédente. U a pu abréger pour éviter une redite. On pourrait donc croire qu’ici O est plus près de la première rédaction de la minute.

De même, à la fin d’une des réponses faites par Jeanne sur les révélations qu’elle aurait eues à propos de sa sépulture, O (p. 151) porte seul :

et pria : Passez oultre.

Il est des variantes qui sont dues probablement à de mauvaises lectures du compilateur. Ainsi, celle-ci : on demande à Jeanne

se l’ange, qui apporta le signe, parla point à elle, […] respond que ouy. Et qu’il dist a son roy que on la mist en besongne et que apprez seroit tantost alegés (p. 157).

U porte

et que le pais seroit tantost allegié.

Le Libellus dit, lui aussi, patria, de même que l’instrument définitif.

Il nous a paru utile de grouper ces exemples pour montrer ce qu’apporte le manuscrit d’Orléans. Le P. Doncœur croit que ce texte peut nous donner la clef d’un problème qui a passionné les historiens de Jeanne d’Arc, qu’il peut nous renseigner sur le libellé de la cédule d’abjuration que finit par signer l’héroïne, torturée par ses juges, après la séance épuisante dont le cimetière de Saint-Ouen fut le théâtre. Le texte qui figure dans l’instrument définitif du procès, double formule française et latine où elle confesse dans le détail toutes les fautes qu’elle commit en séduisant les autres, en créant follement et légèrement, en faisant ses divinations etc. est relativement long. Or nous savons par la déposition de Massieu et d’autres témoins au procès de réhabilitation que cette formule ne comprenait que quelques lignes. Le promoteur de ce procès affirme que la cédule insérée au procès de condamnation avait été fabriquée artificieusement. Cauchon avait forgé une cédule où les prétendus crimes de la Pucelle étaient complaisamment énumérés. Le manuscrit d’Orléans contient la transcription de l’abjuration de Jehanne la Pucelle qui ne comprend que les premières lignes de la cédule transcrite dans le procès ; elle se termine ainsi :

que j’ai tres griefment peché, en faignant mensoigneusement avoir eu revelacions et apparicions de par Dieu et ses anges, saincte Katherine et Margueritte etc.

Puis vient la formule d’abjuration dont le libellé diffère de celui de la cédule insérée au procès :

Et de tous mes dictz et fais qui sont contre l’Eglise, je me revocque et vueuil demourer en l’union de l’Eglise sans jamais en departyr. Tesmoing mon seing manuel.

Signé Jhenne. Une croix.

Ainsi, ces quelques lignes se rapprochent par leur brièveté de 236ce que l’on dit de la cédule au procès de réhabilitation. Le P. Doncœur pense qu’elles peuvent, en effet, représenter exactement ce que Jeanne signa. Il ne croit pas que le compilateur de O abrège une formule plus longue et que l’etc. placé à la fin des quelques lignes qu’il transcrivit a été utilisé pour remplacer des parties du texte qu’il aurait supprimé de son chef. Pour le P. Doncœur, cet etc. figurait dans la cédule primitive, quelque insolite que soit cet etc. pour abréger non pas des formules de style, comme l’aurait fait normalement un notaire, mais l’énumération de crimes exorbitants.

Le P. Doncœur observe qu’en général le copiste de O a reproduit intégralement les textes insérés dans le procès et, lorsqu’il les abrège, il n’use pas d’etc., qu’il n’emploie cette abréviation que rarement et la plupart du temps en reproduisant ses sources comme le prouve la comparaison avec U. Il est évidemment difficile de se faire une opinion assurée sur ce sujet. Mais ce qui nous paraîtrait plus décisif, c’est le fait, d’une part, que O n’abrège que modérément les textes et, d’autre part et surtout, qu’il ne donne pas la même formule d’abjuration que l’instrument latin. Il n’a pas l’habitude de transformer les textes à sa guise et nous croyons, quant à nous, qu’il a copié cette formule sur l’exemplaire du procès qu’il transcrivait. Malheureusement U ne donne pas la cédule d’abjuration. Il l’annonce, mais il omet de la transcrire. Nous manquons d’une confrontation qui eut été probablement décisive.

Le P. Doncœur nous paraît, pour conclure, avoir rendu un grand service à l’histoire de Jeanne en appelant l’intérêt des érudits sur le manuscrit d’Orléans, en revisant son procès12 et en donnant une excellente édition, avec la collaboration de Mlle Lanhers, dans une présentation typographique soignée et élégante qui offrait beaucoup de difficultés. Ce n’est pas manquer à la 237reconnaissance et à l’admiration que nous devons à Jules Quicherat que de dire que son magnifique recueil et les dissertations qu’il y a introduites doivent être parfois critiqués. Désormais, le manuscrit d’Orléans devra être utilisé. Le P. Doncœur a renoué avec l’opinion d’érudits du XVIIIe siècle et du début du XIXe dont Quicherat n’avait point admis les conclusions. C’est le cas de dire ici, avec Camille Jullian13 :

Très souvent, sciemment ou non, nous revenons vers les sentiers de notre vieille école française. Notre érudition, nos découvertes sont du vieux neuf.

C’est, bien entendu, la minute française qui doit servir de base à l’étude du procès de Jeanne d’Arc. Au manuscrit d’Urfé s’ajoute maintenant le manuscrit d’Orléans qui le complète. À son texte doit être comparé celui du Libellus d’Estivet et celui de l’instrument latin. On peut suivre maintenant plus aisément, grâce au P. Doncœur, la genèse des textes et en pénétrer davantage le sens. Nous comprendrons mieux les réponses de Jeanne et nous saisirons mieux les méthodes de Cauchon et de ses assesseurs pour accabler Jeanne et pour établir le texte d’un procès qui devait assurer aux yeux de l’évêque la condamnation de la bonne Lorraine et les justifier devant la postérité. Le P. Doncœur (pp. 40-41) a montré comment Courcelles s’était efforcé d’aggraver le texte de la minute française14.

Notes

  1. [1]

    Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, dite la Pucelle, Paris, 1841-1849, 5 vol. in-8°. Société de l’histoire de France.

  2. [2]

    Procès de condamnation de Jeanne d’Arc. Texte, traduction et notes, Paris, 1920, 2 vol. in-8°. Bibliothèque du XVe siècle, t. XXII et XXIII.

  3. [3]

    La minute française des interrogatoires de Jeanne la Pucelle d’après le Réquisitoire de Jean d’Estivet et les manuscrits de d’Urfé et d’Orléans, Melun, d’Argences, 1952, in-8°, 316 pp. Bibliothèque elzévirienne, nouvelle série, Études et documents.

  4. [4]

    Le manuscrit d’Orléans est incomplet des premiers folios, il l’était dès 1611 (cf. p. 56 et n. 1). Le P. Doncœur a omis de dire qu’il ne contient pas que des textes sur Jeanne d’Arc ; à la suite de ceux-ci a été transcrite (pp. 285-307) une

    complaincte du trespas de tres noble femme et vertueuse damoyselle Helene d’Albret, composee par le commandement de haute et puissante princesse Madame sa sœur, Madame la comtesse de Nevers.

    Hélène d’Albret était la fille de Jean d’Albret, seigneur d’Orval, et de Charlotte de Bourgogne, comtesse de Rethel. Hélène et sa sœur Marie avaient été fiancées respectivement aux deux frères Charles et Louis de Clèves vers 1504. Louis mourut avant d’avoir épousé Hélène, qui décéda au château de Donzy le 28 octobre 1519, tandis que Marie avait épousé Charles, duc de Nevers. (Cf. Dictionnaire de biographie française, t. I, col. 1315-1317, art. Jean d’Albret [Alfred Gandillon]) et Maurice Gérin, Pages d’histoire et de littérature nivernaise, Nevers, 1927, pp. 18-19). C’est donc celle-ci, la duchesse de Nevers aux yeux verts, que chanta Clément Marot, qui fit faire ce morceau de circonstance, par un auteur demeuré anonyme sous forme de propos échangés entre Marie, Fortune et la défunte (un autre manuscrit de cette complainte est conservé à la Bibliothèque nationale, ms. franc. 1709, fos 2 à 12). Cette pièce date de l’année 1519 probablement. Elle est donc postérieure de quatre ans au moins à la compilation sur Jeanne d’Arc écrite sous le règne de Louis XII. Nous ne savons si la transcription de ce texte dans le manuscrit d’Orléans est de la même main que le corps du manuscrit que nous n’avons pu consulter.

  5. [5]

    Le P. Doncœur a observé que cette histoire de Jeanne d’Arc et ses annexes, en particulier la version du procès de condamnation, ont été utilisés dans une chronique de Rouen, aujourd’hui conservée à la Bibliothèque nationale (ms. 18.930 du fonds français), compilation qui va du XIIIe siècle à 1492 et qui descendait peut-être plus bas (elle paraît incomplète de la fin). Si cette compilation était postérieure de peu à l’année 1492, cela nous permettrait de donner à l’histoire de Jeanne commandée par Louis XII un terminus ad quem antérieur à l’année de la mort du souverain. Malheureusement il ne semble pas que l’on soit fixé sur la date de composition de la chronique dont de courts extraits ont été publiés pour les années 1226-1324 dans les Historiens de France (t. XXIII, p. 353-354) [Molinier, II, 1156]. C’est d’après ce manuscrit que Ch. de Beaurepaire a publié le récit de l’Entrée de Charles VIII à Rouen en 1485 (Rouen, 1902, in-4°) [Molinier, V, 5513]. L’histoire de Jeanne a été utilisée également dans d’autres textes annalistiques rouennais et Orléanais, mais nettement postérieurs.

  6. [6]

    Cf. Gustave Rudler, Michelet historien de Jeanne d’Arc, Paris, 1925, p. 57-59.

  7. [7]

    Cette remarque intéressante a été rejetée par le P. Doncœur dans une note de l’édition ; il ne l’a pas présentée dans sa dissertation critique (p. 37-38).

  8. [8]

    Nous devons reconnaître toutefois que le mot négoce sent le latin et l’on pourrait observer que, dans le procès, à propos de Catherine de La Rochelle, le rédacteur de l’instrument définitif se sert de l’expression negotia domus sue et donne l’équivalent français de la minute, gallice son mesnaige (Quicherat, t. I, p. 107).

  9. [9]

    Quicherat (t. I, p. 231), qui n’a tiré de cette particularité aucune conséquence, se contente d’observer : Cette circonstance n’a pas été consignée dans l’interrogatoire du 3 mars.

  10. [10]

    L’hypothèse de Quicherat a été suivie par tous les érudits qui se sont occupés de l’amiral et de Claude d’Urfé, cf. P.-M. Perret, Notice biographique sur Louis Malet de Graville amiral de France (144 ?-1516), Paris, 1889, p. 182 ; Chanoine O.-C. Reure, Études foréziennes. Les deux procès de Jeanne d’Arc et le manuscrit d’Urfé, Lyon, 1894, p. 5 ; du même, La vie et les œuvres d’Honoré d’Urfé, Paris, 1910, p. 13.

    Le chanoine Reure imagine (n. 1) que Jean Masson, d’origine forézienne, qui publia en 1612 une vie de Jeanne d’Arc, puisa directement les matériaux de son ouvrage dans les manuscrits de la Bâtie ; il ne le semble pas. L’auteur de l’Histoire mémorable de la vie de Jeanne d’Arc, extraicte des interrogatoires et responses a iceux contenus au procès de condamnation (Paris, Pierre Chevalier, 1612), qui était archidiacre de l’église de Bayeux, dit (f° A 7) que les procès de condamnation et absolution se trouvaient

    encor en plusieurs lieux, et particulièrement à la bibliothèque de l’abbaye S. Victor de Paris, entre les manuscrits enchaînez.

    Maxime de Montmorand (Une femme poète du XVIIe siècle, Anne de Graville, sa famille, sa vie, ses amours, sa postérité, Paris, 1917, pp. 280-281) semble confondre O et U.

  11. [11]

    Le libellé de cette réponse de Jeanne dans O (p. 191) :

    Et luy est advis que c’est tout ung de Nostre Seigneur et de l’Eglise ; et que on ne doibt point faire de difficulté que ce ne soit tout ung,

    au lieu de la leçon de U :

    que on n’en doit point faire de difficulté en demandant pourquoy on fait difficulté que ce soit tout ung,

    leçon confirmée par l’instrument définitif, ce libellé, disons-nous, semble le résultat d’un bourdon : difficultédifficulté.

  12. [12]

    Indépendamment des arguments empruntés au texte lui-même, le P. Doncœur (p. 36) a cru pouvoir trouver des arguments en faveur de sa thèse dans ce fait que les noms de lieux seraient reproduits dans O avec une orthographe phonétique, alors que dans l’instrument définitif ils seraient transcrits savamment. Il n’y a pas en cette matière de forme savante ou de forme vulgaire : on écrivait les noms de lieux comme on les prononçait. L’instrument latin donne Marcey (Maxey-sur-Meuse, village voisin de Domremy) (Quicherat, I, 65) ; O porte Marey, c’est une forme vicieuse et non une forme vulgaire ; les formes anciennes de Maxey (prononcer Massey) étaient Marcey, Marxey ou Maxey (cf. P. Marichal, Dictionnaire topographique du département des Vosges, Paris, 1941, p. 268). Grus (Greux) donné par O, forme qui se retrouve dans l’instrument latin, est la forme habituelle (Grux, Grus, Greux se rencontrent toujours, Marichal, p. 206). Quant à la forme Tou donnée par la minute française, elle est celle que l’on rencontre constamment ; l’instrument définitif donne naturellement la forme latine : civitas Tullensis. Nous ne savons si l’on peut tirer argument de la forme Tare pour d’Arc donnée au nom du père de Jeanne (p. 87). Est-ce une faute du scribe ? Faut-il penser comme le P. Doncœur, que Jeanne prononçait ainsi son nom ? Nous en doutons.

  13. [13]

    Revue des études anciennes, 1908, p. 352.

  14. [14]

    M. Pierre Tisset a, au cours de ces dernières années, produit des études du plus grand intérêt sur le procès de condamnation qu’il convient de rappeler ici : Le tribunal ecclésiastique de Rouen qui condamna Jeanne d’Arc était-il compétent, Aix-en-Provence, 1950, extr. des Annales de la Faculté de Droit d’Aix ; Quelques remarques à propos de Pierre Cauchon, juge de Jeanne d’Arc, Montpellier, 1952 (cf. infra, p. 277-278).

Présentation

À l’occasion de la parution l’année précédente de l’édition de la Minute française des interrogatoires de Jeanne d’Arc par le père Doncœur, l’historien Pierre Marot revient sur une controverse vieille de près de deux siècles : le manuscrit 518 d’Orléans — que Doncœur utilise pour son édition — est-il réellement une version complète de la minute originale, ou bien une simple copie du manuscrit d’Urfé complétée par une piètre traduction du texte latin pour les parties manquantes ?

La question se pose pour la première fois en 1787, lors de la vaste enquête menée par L’Averdy et son Comité des manuscrits pour rassembler les pièces originales des procès de Jeanne d’Arc. Un notable d’Orléans signale alors l’existence d’un manuscrit conservé dans la bibliothèque du chapitre (l’actuel ms. 518). Le doyen du chapitre croit d’abord y reconnaître la minute française, avant d’être finalement convaincu du contraire par le notable. En 1821, l’abbé Dubois, chanoine du même chapitre, réexamine le manuscrit et le compare cette fois avec le texte de la minute publié par L’Averdy en 1790 d’après le manuscrit d’Urfé : sa conclusion est que le manuscrit d’Orléans est bel et bien une copie de la minute. Mais en 1844, Quicherat rejette catégoriquement cette thèse dans le dernier tome de son édition des procès — position que Champion partage et renforce en 1920, et qui fait autorité jusqu’aux travaux du père Doncœur. Ce dernier, rouvrant le dossier, conclut de nouveau en faveur de l’authenticité d’Orléans.

Dans cette étude, Pierre Marot se rallie à la position de Doncœur et la consolide par de nouveaux arguments. Une véritable enquête philologique et historiographique.

Sources

Publié dans la Revue d'histoire de l'Église de France, t. 39, n° 133, 1953, pp. 225-237, Persée.

page served in 0.02s (0,8) /