Le mémoire de Guy de Versailles pour le procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc (1933)
Le Mémoire de Guy de Versailles pour le procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc
par
(1933)
Article d’Henri Lemoine (archiviste-paléographe, 1889-1968), paru dans la Revue de l’histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, année 1933, p. 235-237, Gallica.
Nous ne savons que très peu de choses sur la vie de Guy de Versailles. Était-il de la famille seigneuriale de ce nom ? C’est possible, mais aucun document ne nous le prouve. Né aux environs de 1390, il fit ses études à l’Université de Paris où il conquit le grade de maître ès arts1, accompagna son frère aîné Pierre dans ses nombreuses missions à Rome2, et assista avec lui au long Concile de Bâle (1431-1437). En 1444, nous le retrouvons chancelier de la cathédrale de Tours et chanoine de Saint-Gatien, il s’occupa avec ardeur de la réforme municipale de Tours en 14623 et dut mourir quelque temps après.
Ses idées politiques nous sont révélées par ce fait que vers 1415 probablement, il dénonça au prévôt de Paris, Tanneguy du Châtel, un complot tramé par les Bourguignons pour s’emparer de Paris : il était donc Armagnac4.
Son frère Pierre avait fait partie en 1429 de la Commission d’examen réunie à Poitiers pour s’assurer de l’orthodoxie de Jeanne d’Arc, mais il semble avoir assez vite oublié la Pucelle.
Étant mort avant 1446, il ne put voir sa réhabilitation. Guy, au contraire, joua au procès un rôle modeste qu’il n’est peut-être pas inutile de rappeler.
L’enquête officielle avait été ordonnée par le roi le 15 février 1450, et confiée à Guillaume Bouillé, doyen de la Cathédrale de Noyon, puis à Jean Bréhal, Grand Inquisiteur5.
D’abord en sommeil, elle reprit vigueur au début de 1452 par l’intervention du Cardinal d’Estouteville, légat du pape. Sur son initiative, des mémoires furent demandés à plusieurs savants docteurs, tant de France que de l’étranger.
Le questionnaire fut rédigé par Paulus Pontanus, avocat consistorial au Tribunal de la Rote, et adressé à un certain nombre de théologiens réputés : Robert Ciboule, recteur de l’Université de Paris ; Élie de Bourdeilles, évêque de Périgueux ; Thomas Basin, évêque de Lisieux ; Jean Lermite, doyen de Saint-Martin de Tours ; Jean de Montmorency, conseiller au Parlement ; enfin Guy de Versailles, chanoine de Saint-Gatien de Tours.
Plusieurs de leurs dépositions sont transcrites dans le manuscrit latin 13837 de la Bibliothèque Nationale : celle de Guy de Versailles en fait partie, mais elle n’a pas été publiée par Quicherat : on la trouvera in extenso dans le travail de Lanéry d’Arc6.
Voici les questions qui avaient été posées par Bouillé et Bréhal aux docteurs de l’Église sus-nommés :
- Jeanne d’Arc a-t-elle
vu
saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite ? - A-t-elle fait des prédictions qui se sont réalisées ?
- Reconnut-elle les esprits saints qui lui apparurent ?
- Dans quelle condition porta-t-elle l’habit d’homme ?
- Était-elle soumise à l’Église ?
- Fut-elle relapse ?
Que répondit Guy de Versailles ?
Son mémoire commence ainsi :
Scriptum magistri Guidonis de Verseilles, canonici Sancti Gatiani.
[Écrit de maître Guy de Versailles, chanoine de Saint-Gatien.]
1° Il considère comme certaines les apparitions des anges, en se référant à celles de la Genèse : Abraham, Lot, Tobie, virent en effet des anges, saint Pierre aussi ; suivent de longues considérations sur la nature spirituelle et corporelle de ceux-ci.
Il admet que les anges peuvent s’entretenir avec les hommes de choses utiles au salut, et même au salut de la patrie (ad salutem ac patrie liberationem ab hostibus [pour le salut et la libération de la patrie de ses ennemis]).
Il fallait que Dieu lui-même relevât ce royaume, car la puissance des Anglais dépassait de beaucoup les ressources françaises (pars regis valde erat depressa [le parti du roi était très affaibli]).
2° Guy de Versailles croit fermement que Jeanne d’Arc ait pu avoir révélation divine de faits à venir, comme la levée du siège d’Orléans : la croyance aux prophètes est un fait de foi.
3° Il loue la Pucelle d’avoir reconnu et salué les esprits saints qui lui apparurent : c’est une preuve de sa dévotion ; quant aux rondes, que, jeune fille, elle faisait autour des arbres à fées
, ce n’étaient que jeux d’enfants.
4° Certes, il est formellement défendu aux femmes dans l’ancienne loi de se vêtir en hommes ; mais multa sunt in veteri lege prohibita que in nova lege non sunt [nombreuses choses interdites dans l’ancienne loi ne le sont pas dans la nouvelle] ; si elle avait pris l’habit d’homme, c’est qu’elle y fut obligée.
Jeanne fut toujours simple et pure, et les juges abusèrent de son manque d’instruction : Judex debet aspicere ad intellectum verborum, non ad verba ; autrement dit : la lettre tue et l’esprit vivifie.
5° Certes, Jeanne fut toujours soumise à l’Église : le seul fait que tout le long de son procès elle demanda à en appeler au pape le prouve surabondamment.
6° Enfin,elle ne peut être dite relapse parce qu’elle est revenue sur son abjuration : c’est au contraire en abjurant qu’elle était tombée.
Voici la fin du mémoire :
In his concluditur quod sentencia erga puellam lata est injusta et temeraria, Dei offensiva sacre doctrine, abusiva et de heresi suspecta.
[Pour conclure, le jugement prononcé contre cette jeune fille est injuste et téméraire, offensant la doctrine divine, abusif et suspect d’hérésie.]
Les opinions de ces savants docteurs qui tendaient tous au même but, à la réhabilitation, firent une vive impression sur la Cour romaine, un peu lente à se décider.
Pour triompher des dernières hésitations, on fit intervenir la famille de Jeanne d’Arc : sa mère et ses deux frères.
Le procès prenait alors une allure juridique (1454). Calixte III, le 11 juin 1455, donna l’autorisation d’instruire la cause et la donna à Jean Jouvenel des Ursins, archevêque de Reims, Guillaume Chartier, évêque de Paris, et Jean Bréhal.
Les séances de cette commission se tinrent à Notre-Dame de Paris. Nombre de témoins furent entendus et nul doute que les arguments des mémoires de 1452 n’aient pesé d’un grand poids sur la décision finale.
Ce n’est pas ici le lieu de retracer le procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc, qui se termina à Rouen, au lieu même du crime, le 7 juillet 1456.
Ce jour-là, dans la grande salle du Palais Archiépiscopal, l’Archevêque de Reims déclara n’ayant que Dieu devant les yeux
, que la sentence de 1431 était entachée de dol, calomnie, contradiction, et iniquité, et qu’en conséquence elle était cassée, supprimée, annulée, et dénuée de toute valeur.
Notes
- [1]
Denifle et Chatelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, t. IV, p. 321.
- [2]
Sur Pierre de Versailles, voir l’article définitif de M. Coville dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, juillet-décembre 1932, p. 208-266 : Pierre de Versailles (1380?-1446).
- [3]
G. Gollon, Pierre Bérard et la réforme municipale de Tours en 1462 (Mémoires de la Société archéologique de Touraine, t. LIII).
- [4]
Denifle et Chatelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, t. IV, p. 331.
- [5]
Belon et Balme (les R. P.), Jean Bréhal, Grand Inquisiteur…, Paris, 1893.
- [6]
Lanéry-d’Arc (Pierre), Mémoires et consultations en faveur de Jeanne d’Arc, Paris 1889, p. 83.