Étude
La noblesse de la famille de Jeanne d’Arc au XVIe siècle
par
(1972)
Éditions Ars&litteræ © 2025
Dédicace
À la mémoire
de Jeanne Narbonnès
et de Pierre Tisset
9Introduction
Par lettres patentes données à Mehun-sur-Yèvre au mois de décembre 1429 et enregistrées à la Chambre des Comptes, transférée à Bourges le 16 janvier 1430, Charles VII, en raison des services insignes rendus par Jeanne la Pucelle au roi et au royaume et de ceux qu’il attendait d’elle pour l’avenir, l’anoblissait ainsi que toute sa famille1.
Le contenu et, plus encore, la destinée de ces lettres d’anoblissement posent à l’historien des questions auxquelles il est malaisé de répondre. Il ne s’agit certes pas de leur authenticité qui ne semble pas devoir être sérieusement mise en doute2. Ni de leur étendue qui paraît conforme à l’usage déjà établi de ces sortes de lettres : que Jeanne et ses parents jouissent des mêmes privilèges, libertés, prérogatives et autres droits que les nobles d’origine ; qu’ils soient agrégés à la communauté des nobles de race ; qu’ils puissent acquérir, s’ils le désirent, la chevalerie ; qu’ils soient exemptés du droit de franc-fief et autres finances ; enfin, ordre est donné à tous commissaires et officiers du roi de les laisser jouir pacifiquement de leur noblesse, sans aucun empêchement3. C’est bien le 10nombre et la qualité des bénéficiaires qui apparaissent le plus surprenant. Sont, en effet, nommément désignés dans les lettres de Charles VII, Jeanne d’Arc, son père Jacques, sa mère Isabelle et ses frères, Jacquemin, Jean et Pierre ; mais aussi, et sans autre précision, toute leur parenté et lignage et leur postérité masculine et féminine, née et à naître en légitime mariage, sont appelés à jouir du même privilège4. Les deux termes parentelam et lignagium
sont répétés quatre fois encore au cours du même acte, suivant toujours les noms de Jeanne et de sa famille directe, les mêmes avantages ci-dessus énoncés étant consentis à tous sans exception.
Un premier problème se trouve ainsi posé. Le roi — fait sans doute unique dans les annales, mais bien à la mesure de l’héroïne qui en bénéficiait — anoblit la jeune fille qui lui a rendu son trône. Nous savons aussi que l’anoblissement d’un particulier était en principe héréditaire : il s’adressait donc également aux
enfans et postérité masles nez et à naistre5
de l’anobli. Or tel ne pouvait être le cas : c’est pourquoi par une sorte de substitution — de caractère exceptionnel — Charles VII remplace la descendance de Jeanne par sa parenté et son lignage. C’est précisément l’exégèse de ces deux termes qui devait entraîner dans l’avenir d’incalculables conséquences. Au témoignage de la Pucelle elle-même, ses deux frères seuls, Jean et Pierre, profitèrent de l’anoblissement qu’elle avait décliné6. Mais ses père, mère et frères figurant nominativement dans l’acte, l’expression parentelam et lignagium ne pouvait en bonne logique s’appliquer qu’à son oncle Jean de Vouthon, à sa tante Aveline Le Voyseul et même si, comme nous le verrons, ils n’en demandèrent pas le bénéfice, à leur descendance légitime.
On peut se demander si le roi avait bien prévu et mesuré l’exacte portée du privilège consenti à toute la postérité masculine et féminine du lignage de la Pucelle. On voudra bien croire qu’il n’entendait pas introduire cette innovation inouïe dans le droit nobiliaire français de l’époque — et si dangereuse : la transmission de la noblesse par les femmes à leurs maris 11et à leurs enfants. Il était pourtant loisible d’interpréter en ce sens les lettres patentes de 1429 : la descendance d’Aveline Le Voyseul recevait bien sa noblesse d’une femme, pourquoi cette pratique ne se transmettrait-elle pas à ses descendants et ne s’étendrait-elle pas aux autres branches de la famille7 ? La chose paraîtra cependant moins choquante si on se rappelle que les coutumes du duché de Bar et du comté de Champagne desquelles dépendaient les intéressés connaissaient la noblesse par le ventre
: mais, d’une part, les effets de cette dernière étaient inférieurs à ceux de la noblesse paternelle et, d’autre part, Barrisiens et Champenois ne bénéficiaient de cette coutume que ratione loci. Or cette double limitation n’était pas prévue dans l’acte qui nous occupe8.
Quoi qu’il en soit, l’interprétation en question pouvait certes se justifier par les considérants dont le roi assortissait sa faveur exceptionnelle
pour élever et glorifier la Pucelle et toute sa parenté par des marques dignes des honneurs de notre royale majesté9.
Explication qu’adoptera un siècle et demi plus tard Étienne Pasquier :
Privilège admirable, et non jamais octroyé à autre famille… Jamais service fait à la France ne 12vient au parangon de celui de la Pucelle. Aussi jamais lettres d’anoblissement ne furent de tel poids et mesure que celles-ci10.
Mais il est aisé aussi d’imaginer les conséquences incalculables de cette dérogation exorbitante du droit commun : la multiplication indéfinie de la noblesse se réclamant de la parenté de Jeanne et échappant à la taille et aux autres impôts roturiers, multiplication que La Roque pourra comparer emphatiquement aux phylactères des Juifs et à l’or du roi Midas11 ! C’est pourquoi on à pu mettre
en doute si l’intention du Roi Charles VII en anoblissant la Pucelle d’Orléans a été de transmettre la Noblesse à la postérité féminine de ses frères12,
a fortiori de son oncle et de sa tante. Pour A. de Barthélémy, cette extension du privilège de Charles VII
semble une énormité : il est évident qu’au bout de quelques générations la France entière et les pays limitrophes auraient pu être peuplés de nobles, issus de descendants directs et indirects des frères de Jeanne d’Arc13.
Aussi cet auteur pense-t-il que la transmission héréditaire de la noblesse ne pouvait s’appliquer qu’à la ligne en masculine, la ligne féminine ne recevant la noblesse qu’à titre personnel et intransmissible ; et il allègue à l’appui de sa thèse un édit de 1614 qui donne, selon lui, l’interprétation véritable du titre primitif14. Le problème ne pouvait donc manquer de se poser : comment interpréter les lettres de 1429, et l’on peut penser qu’a priori les intéressés tendront à donner l’interprétation la plus large possible, le roi et ses officiers la plus restrictive.
Mais l’historien ne saurait se contenter de cette façon de voir les choses et une seconde question lui vient aussitôt à l’esprit : à quel moment a-t-on commencé à s’intéresser à ce problème de la noblesse de la famille de Jeanne d’Arc ? Ici, il faut bien constater que le mystère s’épaissit. Certes, tout au long du XVe siècle, on parle bien encore à Orléans de Pierre du Lys, frère de la Pucelle, protégé du duc d’Orléans et fixé avec sa mère dans cette ville15, et de son autre frère, Jean, prévôt de Vaucouleurs. Mais ces personnages — mis à part le rôle qu’ils joueront dans le procès de réhabilitation de leur sœur — mènent une existence discrète et effacée, et plus encore leurs descendants. Ce n’est, en fait, que bien longtemps après, 13dans la seconde moitié du XVIe siècle, qu’apparaissent les premières décisions prises par le roi ou ses cours souveraines, la première à la date de 1550, relatives aux fameuses lettres de Charles VII. Certes l’époque manifeste un renouveau d’intérêt pour la geste de la Pucelle dont du Tillet, Pasquier, Grégoire de Toulouse défendent la mémoire contre les attaques infamantes de du Haillan, tandis que le Lorrain Jean Hordal qui se prétend son parent prépare la première histoire consacrée à Jeanne et qu’un autre de ses parents
, Charles du Lys recueille une précieuse collection d’archives sur sa parenté16. Mais il s’agit là de faits postérieurs à la décision de 1550 au point qu’on peut se demander si, dans une certaine mesure, ils n’en procèdent pas. Pourquoi donc subitement, après une aussi longue éclipse, la question de la noblesse johannique devient-elle alors une véritable affaire nationale puisque — fait exceptionnel — un article entier de l’édit de 1614 lui sera consacré ?
Tels sont les problèmes — l’interprétation extensive des lettres patentes de 1429 et la date particulièrement tardive de l’intérêt manifesté à leur égard par la royauté — que nous allons examiner dans cette étude, sans nous flatter de pouvoir leur apporter de solution définitive. Hormis un document, nos sources, en effet, ne sont pas inédites : elles proviennent pour la plupart des papiers de Charles du Lys publiés en partie par Bouteiller et Braux17. Chemin faisant cependant, il nous sera permis de pénétrer le mécanisme des anoblissements au XVIe siècle et leurs multiples conséquences sociales dont la pratique fréquente des usurpations de noblesse n’était assurément pas la moindre. L’étendue même des ramifications de la famille de Jeanne d’Arc (réelles où prétendues) réparties sur plusieurs provinces, nous paraît aussi susceptible de projeter un éclairage nouveau sur certaines couches de la société française à cette époque et la mentalité de leurs membres, de dépasser assurément les simples recherches généalogiques auxquelles depuis Charles du Lys, s’en étaient tenus jusqu’ici la plupart des historiens.
Nous venons d’évoquer une répartition géographique : elle nous paraît effectivement la seule qui puisse nous permettre d’aborder convenablement le sujet, sans trop nous perdre dans le dédale de généalogies auxquelles toutefois nous ne pourrons nous dispenser d’avoir recours. Trois provinces, ou ensembles de pays, accueillaient, en effet, au XVIe siècle, des familles se réclamant de l’illustre parenté de la Pucelle : le Barrois-Lorraine, la Normandie et la Champagne18. Nous les visiterons donc successivement.
15Chapitre premier L’établissement en Barrois et en Lorraine
1. Examen critique des généalogies de Charles du Lys
Nous avons déjà à plusieurs reprises cité le nom de Charles du Lys. C’est naturellement le premier guide que la logique nous pousse à consulter. Que vaut son témoignage ? Vers la fin du XVIe — débuts du XVIIe siècle — ce haut magistrat — avocat-général près la Cour des aides de Paris — qui se disait de bonne foi arrière-arrière petit-fils de Pierre du Lys, frère de la Pucelle, entreprit toute une série de recherches sur l’illustre famille afin d’en dresser la généalogie. Il rassembla ainsi une inestimable collection de pièces et titres divers, contrats, enquêtes, procès se rapportant tous à la parenté johannique19. Ces archives permirent à Charles du Lys d’écrire les premiers ouvrages — opuscules plutôt — qui aient été consacrés à la famille de Jeanne d’Arc20 et dont Vallet de Viriville devait donner en 1856 une réédition21. Travail probe et consciencieux, offrant apparemment toutes les garanties souhaitables d’authenticité, s’appuyant sur des documents officiels et qui, pendant plus de deux siècles et demi sera reçu sans discussion, comme établissant la véritable descendance des parents de Jeanne d’Arc.
Résumons brièvement la généalogie établie par Charles du Lys dans son opuscule de 1612. Des trois frères de Jeanne, deux firent souche : Jean du Lys laissa deux fils, Jean et Étienne et une fille Marguerite épouse 16d’Antoine du Brunet, qui tous trois fondèrent une famille ; Pierre du Lys, de son mariage avec Jeanne de Prouville aurait eu quatre enfants : Jean l’aîné
, Jean le jeune
, échevin d’Arras, bisaïeul de Charles du Lys et deux filles, Halouys qui apporta la noblesse à la famille lorraine des Hordal et Catherine dont la fille, Marie de Villebresme, donna le même avantage à la famille normande des Le Fournier.
[Voir tableau 1 : Généalogie des frères de Jeanne d’Arc d’après Charles du Lys]
À vrai dire on a de bonnes raisons de penser que Charles du Lys lui-même avait dû concevoir quelques doutes sur certains points de cette généalogie, comme en témoignent les différences importantes relevées entre les éditions de 1610 et de 1612 de son ouvrage. Dans la première version, les trois enfants de Jean du Lys s’appelaient Estienne, Claude, père de Thévenin et Nicolle ; dans la deuxième ils deviennent Claude, Estienne dit Thévenin et Marguerite qui a remplacé Nicolle. Quant à Pierre, Charles du Lys, en 1612, lui donne pour épouse Jeanne de Prouville dont il avait fait en 1610 la femme de son fils aîné Jean ! Au regard de ses enfants, Marie est devenue Catherine, mais surtout Halouys qui n’est pas mentionnée en 1610 fait son apparition en 1612.
Comment expliquer ces variations ? Sans doute peut-on penser que la découverte de nouveaux documents à conduit notre généalogiste à certaines modifications22. Mais il importe surtout de faire état de la correspondance qu’il entretint avec deux de ses parents
sur le sujet qui les intéressait tous, leur rattachement à la parenté de Jeanne23. Le premier s’appelait Jean Hordal, conseiller du duc de Lorraine, professeur à l’Université de Pont-à-Mousson, qui en 1596 avait obtenu des lettres patentes du duc recognitives de sa noblesse, comme appartenant à la filiation johannique24. Nous avons de lui deux lettres adressées à Charles du Lys, les 23 mars 1610 et 2 avril 1611. Il y est fait allusion, entre autres, à l’ouvrage qu’il est en train d’écrire sur l’héroïne25, mais ce qui paraît lui tenir le plus à cœur c’est de convaincre son correspondant de l’authenticité de sa filiation par sa bisaïeule Hauvy (où Halouys), fille de pierre du Lys : selon lui, Pierre se serait marié deux fois, la première en Lorraine (Hauvy en serait le fruit), la seconde en France où il aurait fait souche de l’ancêtre de Charles du Lys. Ce dernier devait être médiocrement convaincu, sa propre documentation étant sans doute en désaccord avec celle de Hordal qui se montre, ainsi que ses cousins,
grandement estonnés et extremement marrys que révoquiés en doute que soyons sortis de Hauvy, fille de Pierre d’Arc26.
À dire vrai, il ne peut invoquer, à l’appui de ses dires, aucun titre où preuve généalogique, mais seulement le témoignage 1718de son cousin, le grand doyen de l’église de Toul, âgé de quatre-vingts ans, qui dit avoir bien connu ladite Hauvy27,
témoignage… qui est irréfragable et omni exceptione majus, [le témoin lui ayant] dict et asseuré qu’il mettroit, si besoing estoit, sa teste sur un bloc pour estre coupée, [lui-même le] jure sur la dammation de mon ame28.
En fait, Jean Hordal n’est résolument affirmatif que sur un point, grâce à ce témoignage : le mariage d’Hauvy, fille de Pierre du Lys — et non de Jean, comme avait dû le lui suggérer Charles du Lys29 — avec Étienne Hordal. Il tient pour probable, mais sans apporter aucun commencement de preuve, les deux mariages de Pierre30. Il est vrai qu’il invoque aussi
la tradition que nous en avons eue indubitablement, de nos prédécesseurs31 [et] l’enqueste qui en avoit esté faicte à ma poursuite et a mes frais32 [pour obtenir] de feu Son Altesse de Lorraine, d’heurense mémoire, déclaration d’ancienne noblesse, avec permission de porter les armoiries de la dicte Pucelle33.
Or, l’enquête en question et l’entérinement des lettres de noblesse de Hordal nous sont parvenues34. Il est difficile de soutenir qu’elles contiennent la preuve irréfutable qu’on serait en droit d’en attendre. L’enquête menée en 1596 par Balthazar Crock, poursuivant d’armes
du duc de Lorraine, se borne à l’audition de quelques témoins, dont Françoise et Barbe du Lys petites-filles d’Étienne du Lys et Isabeau Alber, leur belle-sœur, dont les déclarations portent seulement qu’elles ont
entendu souvent ouy dire […] que les Hordal estoient qualifiés de parents, [ou] qu’ils ont esté reçus en parents.
Quant au vénérable […] messire Estienne Hordal, doyen et chanoine de Toul
, il déclare, sans autrement s’engager,
qu’il à tousjours ouy dire de ses prédécesseurs, [notamment de ses père, mère, oncle et tante], qu’ils estoient descendus d’un nommé Estienne Hordal et d’une nommée Hauvy, sa femme, qui estoit fille de Pierre Day [et ajoute, comme présomption supplémentaire] qu’il a vu les armes de la Puce je mises sur une verrière dans la salle de sa maison, que ces mêmes armes out toujours été usitées sur leurs cachets35.
Tous ces témoignages — dans leur imprécision et leur naïveté — s’appuient en somme sur un seul et unique élément : la tradition familiale d’un apparentement qui remonterait à un siècle et demi. De preuve formelle, scripturaire, point.
19Un autre élément troublant — et que nous retrouverons à maintes reprises — tient dans le fait que Jean Hordal soit apparemment le premier de sa famille, depuis Étienne Hordal, à revendiquer la qualité de noble, comme parent de la Pucelle. Mais là-dessus, les lettres d’anoblissement octroyées à Jean Hordal par le duc de Lorraine nous apportent à condition de lire entre les lignes — quelques éclaircissements. Vu les lettres patentes de Charles VII et l’enquête de B. Crock,
il y a apparance vray semblable quil est issu de la parenté de la dite Pucelle :
vraisemblance née d’une présomption, nullement certitude de preuve. Aussi bien cette vraisemblance n’eut-elle peut-être pas suffi pour reconnaître la noblesse de Hordal : il faut y ajouter que
pour l’expériance des vertus, prudomie, intégrité, fidélité, suffisance et diligeance qui sont en la personne du dict Hordal, mesme en contemplation de ses services passez, respects des présents, et pour l’espérance des futurs, nous […] avons iceluy Hordal déclaré et déclarons noble et du tiltre de noblesse décoré et décorons par ces présantes36.
Il s’agit donc bien d’un acte déclaratif, créateur de noblesse, d’un acte d’anoblissement émané du pouvoir souverain du duc de Lorraine, et non de la simple reconnaissance d’une noblesse plus ancienne. La parenté alléguée de Jeanne d’Arc ne joue ici que le rôle d’un élément d’appréciation dans la décision ducale, même si celle-ci accorde apparemment à l’impétrant tous les avantages prétendument consentis par Charles VII à la Pucelle et à sa famille — notamment la transmission de la noblesse par les femmes — et le droit de porter les armoiries attribuées par la tradition à Jeanne et à ses frères37. C’est sans doute la raison pour laquelle Charles du Lys n’a pas été pleinement convaincu par cet anoblissement qui n’apportait aucune preuve nouvelle aux allégations de Hordal. Mais les sollicitations pressantes du professeur de Pont-à-Mousson finirent par avoir raison de la résistance de l’avocat général qui se résigna à intégrer Halouys Hordal dans sa généalogie.
À l’inverse, Claude du Lys, habitant de Vaucouleurs, le second correspondant de notre auteur, se montre beaucoup plus discret, sinon dubitatif, sur ses origines. Celui que Charles du Lys lui-même dénomme un
gentilhomme de singulière érudition […] des plus capables et recommandez du pays38
hésite d’abord sur le prénom de l’ancêtre
Jacques ou Jehan, tronc de nostre famille, [il reconnaît que] la disgrâce des troubles [a] apporté la perte de tous nos titres, [déplore] le peu de curiosité de mes devanciers à laisser quelques monuments par escrit de l’entresuytte de leur naissance.
Lui aussi ne peut se rattacher qu’à
la tradition de mes ancestres, lesquels néanmoins, pour avoir de tout temps esté recogneus directement extraicts de ceste famille, [ont] jouy sans controverse des honneurs et prérogatives à elle concédées…
Bien qu’étayée par d’anciens mémoires
, cette tradition saute simplement une génération dans les 20descendants de Jean du Lys, celle de Claude, Étienne et Marguerite, et fait de ses petits-enfants ses propres enfants. Claude du Lys reconnaît volontiers que Charles dispose de renseignements plus précis que les siens et, ajoute-t-il :
seulement vous suppliay-je bien humblement que si nous recepvons l’honneur d’estre jugés de vous tels qu’un chascun nous estime descendus de la ditte Pucelle et par conséquent vos alliés…
Sa prudence s’étend aux prétentions de
plusieurs personnes dans ce pays [qui] ont souhaité de se faire croire descendants de ceste maison, entre autres M. Hordal… [et il met son correspondant en garde :] et vous supplieray, n’adjoutés foy à plusieurs qui, soubs le bénéfice qu’ils recepvroient de la libérale communication que daignés faire de vostre authorité à tous ceux qui se disent tels, vous pourroient indiscrètement aborder et vous apporter de l’importunité39.
L’attitude de Claude du Lys est, à l’évidence, bien différente de celle de Jean Hordal : à l’assurance quelque peu outrecuidante du second s’oppose la timide circonspection du premier. Nous noterons aussi, qu’au contraire de Hordal, Claude du Lys n’a pas eu besoin de faire confirmer sa noblesse, voir même de se faire anoblir, mais qu’il paraît bien être en possession d’état de noble transmise régulièrement par ses ascendants.
Les approximations, les contradictions que reflètent cette correspondance et les écrits mêmes de Charles du Lys auraient dû inciter à n’accueillir qu’avec les plus expresses réserves son système généalogique, n’était l’intérêt de trop de familles qui s’y rattachaient directement. Or la preuve scripturaire qui manquait, la seule valable, finit par être apportée en 1878, par l’érudit orléanais Boucher de Molandon : elle allait malheureusement à l’encontre de tout l’échafaudage de Charles du Lys dont elle détruisait les œuvres maîtresses, en l’espèce la descendance de Pierre du Lys.
Lorsqu’en 1501 mourut Jean du Lys, seigneur de Villiers, fils de pierre (Jean l’aîné
pour Charles du Lys), il paraît évident que son frère et ses sœurs, s’il en avait eu — ou leurs descendants — se seraient portés héritiers. Or que voit-on ? La succession est déclarée en déshérence et le séquestre des biens décrété par le procureur du roi au bailliage d’Orléans, faute d’héritiers connus. C’est alors que la cousine germaine du défunt, se disant sa plus prochaine parente
, Marguerite du Brunet, fille de Jean du Lys, l’autre frère de la Pucelle, se présenta pour revendiquer la succession et qu’après information judiciaire, une sentence du prévôt d’Orléans la lui attribua40. Il y avait là, il faut le reconnaître, une très 21forte présomption pour que le seigneur de Villiers, mort sans enfants, ait été le fils unique de Pierre du Lys41.
Une enquête conduite à Domrémy, le 16 août 1502, par le garde du scel de la prévôté de Vaucouleurs, relative à la même affaire et dont les résultats seront homologués dans un acte de notoriété, devait apporter de ce fait la preuve irréfragable42. Son objet était, en effet, d’établir qu’un certain Poiresson Tallevart était cousin germain du défunt Jean du Lys dans la ligne maternelle, leurs mères étant sœurs. Unanimes, les huit témoins interrogés, affirmèrent avoir personnellement connu Pierre du Lys et sa femme, née Jeanne Baudot (dont la sœur Catherine était la mère de P. Tallevart) et qu’ils eurent un seul fils, Jean43. Ce sont des témoins directs des faits, qui n’avaient aucun intérêt personnel à travestir la vérité et dont on ne saurait donc contester les dépositions en tous points concordantes. Les allégations de Charles du Lys selon lesquelles Pierre aurait épousé une nommée Jeanne de Prouville et qu’ils auraient eu quatre enfants sont donc parfaitement controuvées. Quant à imaginer un second mariage de ce frère de Jeanne d’où seraient issus les trois autres enfants, comme le suggérait Hordal, cette hypothèse qui se heurte à des impossibilités chronologiques, ne saurait davantage être retenue, ainsi que l’a parfaitement démontré Boucher de Molandon44. D’autres renseignements intéressants, inconnus de Charles du Lys, sont communiqués par cette enquête : Catherine, sœur aînée de Jeanne d’Arc et dont l’existence même sera niée par Hordal45, avait épousé Colin Le Maire, habitant de Greux ; mais surtout Claude du Lys, premier témoin cité et qui dit avoir vécu en son jeusne aaige
auprès de son grand-oncle et de sa femme, nous apprend qu’il était, par sa mère, petit-fils de Jacques (ou Jacquemin) l’aîné des enfants de Jacques d’Arc et d’Isabelle Romée46. C’est là un élément nouveau, très important, dont Charles du Lys n’a 22tenu aucun compte, puisque pour lui Jacquemin était mort sans enfants47. Mais ceci remet en cause la généalogie même de Jean du Lys, troisième frère de la Pucelle : si Claude était petit-fils de Jacquemin, il ne pouvait être fils de Jean. Il est surprenant que la sagacité de Boucher de Molandon se trouve ici prise en défaut : il imagine, en effet, sans aucune preuve, que Jean du Lys aurait épousé sa propre nièce, fille de Jacquemin et que Claude serait leur fils : ceci uniquement pour expliquer son patronyme du Lys48. Il est à peine besoin de rappeler l’impossibilité canonique d’un tel mariage ; quant au nom de Jean du Lys, porté par le père de Claude, il s’explique parfaitement par de tout autres raisons, comme nous le verrons par la suite.
On constate donc qu’il ne subsiste à peu près rien de la généalogie laborieusement établie par Charles du Lys, tout au moins en ce qui concerne la descendance directe des frères de la Pucelle. Ni lui, ni son frère Luc, pas plus que les Le Fournier, les Hordal, ni les Haldat49, ne descendent de Pierre du Lys ; la descendance de Claude du Lys ne se rattache pas à Jean, pas davantage à celle d’Étienne ; seule la famille du Brunet peut prétendre se rattacher par Marguerite, sa fille, au prévôt de Vaucouleurs50.
23Telle était pourtant l’autorité qui s’attachait au travail de l’avocat-général que le roi lui-même consacra officiellement son système en le reconnaissant dans ses lettres patentes de 1612 par lesquelles il donnait le droit à Charles et à Luc du Lys de porter les armes de la famille du Lys51. Désormais nul n’osera mettre en doute une parenté — et par conséquent une noblesse — que le roi couvrait de son autorité. Mais le plus surprenant est bien que, même après la production de l’enquête de 1502, Bouteiller et Braux, dans leur Famille de Jeanne d’Arc, reproduisent imperturbablement la généalogie de Charles du L,ys, tout en reconnaissant la valeur de l’objection qui lui est opposée :
Tel est le système, que nous appellerons légal, authentique, judiciaire, établi par vingt arrêts, auquel s’est conformé Charles du Lys ; tel est le système que, dans l’état actuel des actes parvenus jusqu’à nous, nous sommes bien obligés de respecter et d’adopter, mais non sans faire cependant […] nos plus expresses réserves. […] Eh bien, malgré toutes ces raisons, nous dira-t-on, vous maintenez le système de Charles du Lys ? — Il le faut bien, puisque nous n’avons rien de positif à mettre à sa place52.
Tout commentaire de cette prise de position serait sans doute superflu… Bornons-nous à constater qu’à la fin du XIXe siècle la consécration légale et les traditions de famille étaient encore plus puissantes que la vérité des faits… et que l’esprit critique de certains historiens : comment aurait-il pu en être autrement au XVIe ou au XVIIe siècle ? Mais, pour répondre à la question de Bouteiller et Braux : que mettre à la place ? nous devons avouer, dans l’état actuel de nos connaissances, notre impuissance. Entrer dans le champ des suppositions, imaginer comme nos auteurs, que le mystérieux Jacquemin pourrait être mis à la place de Pierre comme souche de toute la famille53, voilà à quoi nous ne nous hasarderons pas. Tel n’est pas d’ailleurs notre propos. Contentons-nous pour l’instant de faire la constatation suivante pour conclure notre démonstration : tout nous porte à croire que nous nous trouvons en présence, sinon de véritables usurpations de noblesse — puisque le roi de France et le duc de Lorraine les auraient couvertes de leur autorité — du moins d’une usurpation consciente ou non, mais dont on ne connaîtra sans doute jamais le véritable auteur, touchant l’origine de cette noblesse.
Est-ce à dire que toutes les personnes établies au XVIe siècle en Barrois et en Lorraine et qui prétendaient se rattacher à la famille de Jeanne d’Arc se trouvaient dans le même cas ? Assurément non. Essayons donc de conduire notre propre enquête en partant des documents publiés par 24Bouteiller et Braux, confrontés aux allégations de Charles du Lys, et qui demeurent, jusqu’à plus ample informé, nos seules sources d’information.
Commençons par les authentiques représentants de la famille du Lys à cette époque. Le premier, depuis la mort en 1501 de Jean du Lys, est, nous le savons déjà, Claude du Lys. Qualifié de noble homme
et aagé d’environ cinquante ans
dans l’enquête de 1502, procureur fiscal ès seigneuries de Greux et Domp Rémy
, d’après Charles du Lys54, Claude nous parle donc de Pierre du Lys,
oncle à sa mère et fille de Jacques du Lys, grand-père dudict attestant, [Pierre avec lequel il demeura] au lieu de Luminart, près Orléans, environ le temps et espaices de cinq ans55.
L’intéressé est donc, selon ses propres dires qui ne prêtent à aucune équivoque, fils d’une fille de Jacquemin du Lys dont une tradition bien établie nous assure cependant qu’il n’avait pas fait souche. Claude du Lys, lui-même auteur d’une nombreuse descendance, appartiendrait donc par les femmes à la lignée de la Pucelle. Sa noblesse — que personne ne paraît mettre en doute — ne peut lui être dévolue qu’en vertu des lettres de Charles VII qui auraient dès cette époque connu l’interprétation extensive et non contredite par l’autorité royale. Il est vrai que deux des filles de Claude, Didon et Anne, ne sont pas tout-à-fait d’accord avec leur père ; déposant en 1551 — lors d’une enquête sur laquelle nous reviendrons — toutes deux affirment que leur bisaïeul était Pierre prévôt de Vaucouleurs
(sic)56, ce que nous savons être irrecevable. Elles confirment par contre son ascendance féminines57. Elles nous apprennent aussi que
avoit ledict Jehan Daly (ou du Lys), père dudict Claude Daly, prins le surnom Daly à cause de ladicte Jehanne sa femme pour jouir et user des privilèges et tiltres de noblesse concédés à ladicte Jehanne la Pucelle58.
Ceci détruit l’hypothèse inadmissible de Boucher de Molandon qui confond ce Jean du Lys avec le frère de Jeanne d’Arc et fait de Claude le fils de Jean et le petit-fils de Jacquemin, c’est-à-dire des deux frères ! Il s’agit simplement de l’époux — étranger à la famille — de la fille de Jacquemin, dont nous ignorons le patronyme originaire, mais qui a pris le nom de sa femme pour acquérir sa noblesse. C’est là également la 2526confirmation que la noblesse des femmes se transmettait non seulement à leurs enfants mais aussi à leurs maris59.
De son mariage avec Nicole Thiesselin, Claude du Lys n’aurait eu que des filles : l’une d’elles, Jeanne, épouse de Nicolle Hurlot, fut, aux dires de son fils François, prêtre,
après le trespas dudict Hurlot, son père, inquiétée par les habitants dudict Vaucouleur affin de paier, ce qu’elle ne voullut faire, auctorisée de son privilège de noblesse, comme lignagère de ladicte Jehanne la Pucelle, dont procès se seroit meu entre les partyes60…
Un arrêt rendu par Messieurs les généraux de Paris
vers 1517, lui aurait accordé la jouissance
desdicts privillèges de noblesse, […] ensemble ceux qui estoient procédés et qui procéderoient d’icelle […] attendu qu’elle estoit descendue de la lignée de ladicte Jehanne la Pucelle61.
Si le fait est exact — et il ne semble pas qu’il y ait lieu de le mettre en doute — nous aurions ici le premier exemple connu de procès — suivi de bien d’autres — intentés par des taillables à leurs concitoyens qui arguaient des lettres patentes de 1429 pour s’exempter du paiement de la taille, prétention que reconnaît la justice royale. Mais la transmission de la noblesse par les femmes ainsi formellement établie par la mère et par la fille de Claude du Lys, procède-t-elle uniquement des lettres patentes de Charles VII ? Bien qu’elle ne soit jamais invoquée, il n’est pas impossible que la coutume de Barrois ait influencé dans un sens positif cette reconnaissance61bis.
Charles du Lys attribue à Claude un frère, Étienne où Thévenin et une sœur, Marguerite du Brunet. Pour cette dernière, — dont il a déjà été question — la chose n’apparaît guère possible puisque Claude et Étienne auraient pu revendiquer, au même titre qu’elle, la succession de Jean du Lys, seigneur de Villiers, ce qui ne fut pas le cas. Par contre, un acte notarié de 1552 établit formellement la parenté de Claude et Thévenin62. De ce dernier nous ne savons rien, mais nous sommes un 27peu renseignés sur son fils Didier63. Qualifié par Charles du Lys de gendarme de la compagnie du grand duc de Guise64
et de noble-homme
dans un acte de donation65, ce personnage est réputé dans un mémoire avoir été
en grandes charges et honneurs au pays de naissance de ladite Pucelle, tant à cause de lui que des alliances qu’il a prins66.
Le même document lui attribue, en effet, la seigneurie
de Domrémy en partie [et de] plusieurs villages circonvoisins. […] Il espousa Nicole de Brisi qui estoit de grande maison, [fille d’Antoine de Brisi] sieur de Gros-Gibomel [et de Jeanne de Lenoncourt] qui a toujours esté et est encore à présent l’une des plus nobles, anciennes et riches familles de Lorraine, car entre plusieurs lieux qu’il estoit seigneur, le lieu de Nancy leur appartenoit [avant sa cession au duc de Lorraine]67.
Son fils aîné, Antoine68, sieur de Gibeaumeix, reconnu noble dans un rôle du bailliage de Saint-Mihiel en 157369,
chef des armes de la parenté de ladite Pucelle, [fut] commissaire de l’artillerie dudit sieur duc de Lorraine70.
[Il] a laissé six enfans qui vivent aujourd’hui (1612). L’un Jean-Jacques Dalis, escuyer, sieur de Gibaumel, comme son père, et y demeurant, gentilhomme de grande valeur et mérite qui conserve les tiltres et armes de la maison, comme chef et l’aisné de cette branche, lequel sous cette recommandation à espousé la fille de M. de Lespine, lieutenant des gardes du duc de Lorraine. L’autre est Claude Dalis, sieur de Secfonds, près Vaucouleur, des plus capables et recommandez du pays71.
28Si les origines de cette branche de la famille demeurent encore quelque peu obscures72, la filiation johannique — probablement par Jacquemin — doit être raisonnablement admise, et elle est la seule puisque les généalogies présentées par les Hordal, les Haldat, les Le Fournier (nous y reviendrons) et par Charles du Lys lui-même, sont — nous pensons l’avoir démontré — par trop fantaisistes pour pouvoir être retenues. Cette famille de Claude et d’Étienne du Lys, dont on suit assez bien la destinée depuis la fin du XVe siècle, voit sa noblesse d’origine féminine parfaitement reconnue — Claude du Lys et sa femme Nicole vivent noblement
sans estre contrainct à aucunes tailles et subsides73
sans contestation (à la seule exception de Jeanne du Lys). D’autre part si l’on peut rattacher Claude du Lys, de par ses fonctions, à la noblesse de robe et si l’on ignore la profession de son frère, les descendants de ce dernier embrassent la carrière des armes, dans la ligne de leur illustre parente et de son frère Pierre. Ils s’intègrent donc à la noblesse d’épée, s’approchent à la noblesse de nom et d’armes
, conformément sans aucun doute à l’esprit des lettres patentes de Charles VII : leurs alliances avec de vieilles familles nobles de Lorraine ne pouvaient d’ailleurs que faciliter cette intégration.
[Voir tableau 2 : Généalogie proposée des frères de Jeanne d’Arc]
2. Les singularités de la descendance d’Aveline Romée
Empressons-nous d’ajouter qu’il s’agit là d’un cas assez exceptionnel. Si l’on se penche sur le sort d’une autre branche de la famille établie elle aussi en Barrois — et dont la filiation est également indiscutable — on s’aperçoit, qu’à une réserve près, sa situation est fort différente. Il s’agit de la descendance d’Aveline Romée, épouse de Jean Le Voyseul (ou Vauseul), sœur d’Isabelle Romée et par conséquent tante maternelle de Jeanne d’Arc. Nous l’avons déjà dit : entendues lato sensu, les lettres patentes de 1429 anoblissant totam suam parentelam et lignagium
les descendants de la tante de la Pucelle et de son oncle Jean de Vouthon, 2930bien que ceux-ci ne soient pas nommément désignés — devaient bénéficier de ce privilège, à la double condition que les intéressés le revendiquent et que le roi reconnaisse le bien-fondé de cette interprétation extensive des lettres de Charles VII.
[Voir tableau 3 : Descendance d’Aveline Romée et Jean Le Voyseul]
Charles du Lys consacre quelques lignes de son opuscule — d’ailleurs exactes sauf une omission — à la descendance d’Aveline (que nous connaissons paradoxalement mieux que celle des propres frères de Jeanne). Il attribue donc à la sœur d’Isabelle Romée un fils, Demange
appellé le vieux Voyseul
et une fille, Jeanne
qui espousa Durant Lassois74.
Nous possédons heureusement le texte intégral de deux enquêtes conduites en 1551 et 1553 à Vaucouleurs et relatives toutes deux à la parenté d’Aveline Le Voyseul : elles vont nous fournir de précieux renseignements sur sa descendance75.
Aveline avait eu, de son mariage avec Jean Le Voyseul, non pas deux mais trois enfants, Jeanne, Demange et Catherine, d’où trois rameaux de la famille dont les destinées seront curieusement dissemblables. Jeanne Le Voyseul et Durant Lassois laissèrent un fils, Thibaut, dont le nom est invoqué par presque toutes les personnes interrogées lors des enquêtes précitées. Que nous apprennent donc les dépositions de ces témoins ? Donnant plus où moins de détails, tous concordent pour affirmer que, vers l’an 1525, Thibaut fut poursuivi par les habitants de Sauvoy76, où il résidait, par devant le bailli de Chaumont
afin de paier et contribuer aux fraiz, tailles, impositions et subsides du Roy77,
paiement qui n’était pas indu puisque l’intéressé était régulièrement inscrit sur les rôles de l’impôt78. Or Thibaut gagna son procès et
fut renvoyé absoulz des fins et reclamations desd. de Sauvoy et depuis ledict temps luy deposant a veu led. Thiebault le Noble user et jouir dud. privillege de noblesse jusques au jour de son trespas […] comme font encore à présent ses enfans79.
Pour la défense de sa cause, Thibaut allégua sa généalogie et le privilège de noblesse accordé par le roi
à la lignée et génération de lad. 31Jehanne la Pucelle […] tant du costé paternel que maternel80.
Un autre témoin — seul à vrai dire — assure qu’en 1524 ou 1525, Thibaut Lassois aurait refusé, pour les mêmes raisons, de se rendre à une levée en armes des gens du pays de Bar dans les rangs des roturiers81.
Ce qui nous paraît intéressant dans le cas de Thibaut Lassois, c’est tout d’abord qu’il revendique et obtient la reconnaissance de son droit à la noblesse — dont ses parents ne paraissent pas s’être souciés — et malgré ce hiatus d’une génération. Ce sont ensuite les réactions suscitées par son comportement. Bien que nous ignorions tout de la vie et des activités de Thibaut — hormis ce que nous ont rapporté les témoins — nous pouvons imaginer qu’elles différaient peu de celles des autres habitants de son village. On comprend dès lors les sentiments de surprise — étonnée, amusée ou scandalisée — devant les prétentions nobiliaires d’un des leurs, fondées sur un acte vieux d’un siècle. Scandale devant le comportement d’un roturier qui essaie — frauduleusement, pense-t-on — de se soustraire au paiement de la taille : d’où procès. Considération non dénuée de moquerie également, qui fera décerner au singulier Thibaut, après le gain de son procès, le surnom de Noble82, que l’usage ne tardera pas à transformer en patronyme. Mais écoutons le savoureux témoignage d’un étranger au village, Jean Le Roy, sergent royal au bailliage de Chaumont-en-Bassigny :
… estant ensemble à banquetter luy disoit luy depposant tels mots : Venez çà, Thiebault le Noble : estes vous noble pour ce que on vous appelle noble. D’où vous vient ceste noblesse83 ?
Si, un quart de siècle plus tard, et après la mort (vers 1435) de celui qui l’avait suscité, le scandale a pris fin et si sa fille, Nicole la Noble et son petit-fils Claudin jouissent sans contredit des privilèges hérités de leur père et grand-père, le souvenir des tribulations de Thibaut n’est pas encore effacé, il s’en faut : la totalité des douze témoins étrangers à la famille interrogés lors des enquêtes de 1551 et 1555 les mentionnent avec peu où prou d’insistance, bien que 32l’enquête ne porte nullement sur cette affaire : les seuls à n’en pas faire état se trouvent être, assez curieusement, cinq parents de l’intéressé84.
Un point cependant reste obscur et rien, dans les dépositions des témoins, ne permet de l’éclaircir, bien que son importance apparaisse capitale pour la validité des prétentions de Thibaut : ce prétendu noble vit-il noblement ? Il n’est pas possible d’affirmer, nous l’avons dit, qu’il ait vécu différemment de ses concitoyens ; il n’est assurément pas titulaire d’un fief — comme ses cousins du Lys85 — ce qu’on n’aurait pas manqué de nous faire savoir. Certes, à en croire Jean Le Roy, Thibaut aurait répondu à sa question sur sa noblesse que
tous ceulx et celles qui estoient et sont venuz et yssuz du lignage de lad. Jehanne la Pucelle estoient nobles vivant noblement sans payer aucune taille ou subcide86,
affirmation péremptoire et manifestement exagérée. Il semble que, pour Thibaut, l’expression nobles vivant noblement
soit une expression toute faite, à laquelle il n’attache pas de signification particulière, à moins qu’il n’entende par là — ce qui serait évidemment un contresens confondant l’effet et la cause — le seul fait de ne pas payer d’impôt. Mais cette erreur, il n’aurait pas été seul à la commettre. Citons toujours la déposition de Jean Le Roy :
et estoit la commune renommée comme est encore de présent au païs par deçà que tous ceulx et cellez qui sont venuz et yssuz de la lignée et génération de lad. Jehanne la Pucelle ont esté et sont tenuz et réputez nobles vivant noblement tant du costé paternel que maternel à cause du droict concédé par le Roy nostre sire à lad. Jehanne la Pucelle pour les vertueux faictz par elle faictz au royaulme de France87.
Tout se passerait, d’après ce témoignage, comme si la commune renommée
reconnaissait que le privilège de Charles VII était octroyé à jamais aux parents de Jeanne qui seraient automatiquement classés dans la catégorie des nobles vivant noblement
, sans que l’on se préoccupe de savoir si les intéressés menaient effectivement la vie des nobles, alors que l’hypothèse contraire paraît — pour certains d’entre eux au moins — beaucoup plus vraisemblable : point de vue au demeurant insoutenable. Quoiqu’il en soit, dans ce cas précis de Thibaut et de sa descendance directe, il apparaît bien que le fait généalogique l’emporte sur le mode de vie dans la hiérarchie des critères constitutifs de la noblesse.
Encore fallait-il que les ayants-droit aient eu effectivement l’intention et la volonté de revendiquer leur qualité nobiliaire en affrontant les aléas d’un procès et en assumant les obligations — mais lesquelles au juste ? — 33de leur nouvel état. Or Thibaut est, selon toute apparence, le premier de la branche des Le Voyseul descendants d’Aveline Romée à revendiquer la noblesse ; ni ses parents, ni ses oncle, tante où cousins n’ont manifesté la moindre velléité de suivre la même voie, ce qui évidemment mettait encore mieux en lumière aux yeux de ses concitoyens, l’aberrante conduite de Thibaut. Nous en avons précisément la preuve — toujours d’après les mêmes enquêtes par l’exemple de son cousin germain, Jean Le Voyseul.
Ce dernier, décédé vers 1550, fils de Demange Le Voyseul et d’Ydotte Voynand et petit-fils d’Aveline,
se disoit estre cousin remué de germain de lad. Pucelle88,
mais jamais il ne revendiqua le bénéfice des lettres patentes de 1429. La raison en est apparemment très simple. Un jour, au témoignage de son propre gendre Médard Le Royer, son cousin Thibaut s’adresse à lui
en tenant lesdictes lettres : Vous qui estes de la lignée, vous estes bien sot que vous ne poursuiviez pour en avoir comme moy : ce que vous obtiendrez facillement ainsi que j’ai faict. A quoy luy Vaulseur feist response qu’il ne s’en soucyoit d’autant qu’il n’estoit demourant au Royaulme ny d’obeissance du Roy89.
Autrement dit : Jean Le Voyseul aurait peut-être été intéressé par un anoblissement qui l’aurait dispensé de la taille, mais n’ayant pas à payer cet impôt au roi de France, et la noblesse ne lui rapportant pas plus que la roture, autant valait rester dans ce dernier état.
Cependant l’indifférence — ou la sagesse — de ce parent de Jeanne (dont nous ignorons également la profession) ne devait pas être suivie par son petit-fils, Jean Le Royer, puisque c’est à la requête de celui-ci et à l’effet de prouver sa noblesse que fut conduite l’enquête de 1555. Personnage principal d’un document officiel, nous sommes évidemment un peu mieux renseignés sur Jean Le Royer que sur son grand-père où son grand-oncle. Le premier témoin interrogé, Martin Gilbert, nous fournit même un petit curriculum vitæ, confirmé par d’autres témoignages90. Âgé de vingt-quatre ou vingt-cinq ans, il était l’un des six enfants de Médard Royer et de Mougeotte (ou Marguerite) Le Voyseul, habitants de Chalaines91 dont Médard était maire.
Lequel Jehan Royer, dès son jeune aage, auroit commencé aux estudes, demourant avec sesdicts père et mère et jusques luy estant aagé d’environ dix-huict ans, qu’il commença à servir les armes ;
il s’engagea même dans la compagnie du comte Rhingrave passant par Vaucouleurs en route pour le camp de Boulogne92, à titre de clerc d’argentier93
et y resta deux ans. Ce temps passé, le 34jeune homme revint à Chalaines d’où son père l’envoya
au Chastellet de Paris, pour suyvre la praticque où il auroit demouré par environ cinq ans et encore de présent y est demourant. Ne sçait sur ce anquis en quelle vaccation ledict Jehan Royer se mesle audict Paris, synon qu’il a ouy dire audict Médard Royer que ledict Jehan Royer est demourant en la maison d’un Procureur au Chastellet de Paris94.
Nous ignorons malheureusement les raisons qui poussèrent cet apprenti homme de lois à revendiquer une noblesse dont ses auteurs depuis quatre générations ne paraissaient pas s’être souciés95.
Toutefois l’enquête destinée à établir sa qualité nobiliaire ne porta pas seulement sur sa généalogie — bien établie — mais aussi sur son genre de vie : plus précisément, du fait qu’il
ne tient et ne possède aucuns biens à cause que sesd. père et mère sont encore vivants,
sur les occupations et les ressources de son père. Or — le fait est pour le moins surprenant, — Médard Royer n’a jamais fait valoir ses droits à la noblesse qu’il tiendrait de sa femme, fille de Jean Le Voyseul : c’est de lui pourtant qu on prend bien soin de nous dire qu’il
s’est toujours meslé de lever du Roy nostre sire, et à titre de bail à longues années les molins du Roy nostred. sire aud. Chalaines, comme il fait encore de présent ; faict encore marchandises des fruicts et grains proceddant sur ses terres, qu’il fait cultiver et labourer par ses gens et mercenaires, et n’a jamais sceu ne entendu luy qui deppose que led. Médard ait exercé estat de marchandise96.
Bien plus que quelques années plutôt pour Thibaut Lassois, on paraît se préoccuper de la qualité des revenus du prétendant à la noblesse : mais, comme il n’a rien en propre, on se contente d’affirmer que les activités de son roturier de père ne contreviennent pas aux règles relatives à la dérogeance97 ! Quoiqu’il en soit, les commissaires députés par la Chambre des comptes ne purent que confirmer la généalogie alléguée par Jean Le Royer, laissant à la Cour le soin de prononcer sur la reconnaissance de sa noblesse. La décision des gens des comptes ne devait d’ailleurs être qu’une formalité puisque les lettres de noblesse avaient été décernées par provision à Jean Le Royer en juin 1555, l’enquête menée en octobre suivant ne devant, selon la procédure habituelle de vérification, servir qu’à leur entérinement98.
35D’après Charles du Lys, Jean Le Royer serait devenu
lieutenant-général des traites foraines et domaniales au bureau de Vaucouleurs, écuyer, seigneur du franc-alleu de Saulme-de-Brenicqueville99.
Selon le même auteur, son fils Médard aurait abandonné le service du roi de France pour celui du duc de Lorraine puisqu’il le décrit comme
gentilhomme ordinaire de la maison de Monsieur le Duc de Lorraine, et recommandé audit pays de Lorraine, pour plusieurs services par luy faicts à Son Altesse pendant les guerres, et entre autres ses plus importantes affaires. Il a espousé damoiselles Rachel d’Ourche, de l’une des meilleures maisons du pays et a repris le nom de Voyseul, d’où il est seigneur, son trisayeul, cousin germain de la Pucelle ; voyant qu’il ne restoit aucun masle en ladite famille, pour en conserver le nom qu’il porte aujourd’huy100.
Charles du Lys, contemporain de Médard Le Royer, écrivait ces lignes en 1612. Or, un document reproduit par le Nobiliaire de Lorraine et postérieur de quelques mois à l’opuscule de notre auteur, confirme la plupart de ces allégations relatives à Jean Le Royer et à son fils ; mais il nous fournit une autre indication fort intéressante et évidemment ignorée de Charles du Lys.
Médard, dit Le Voyseul, seigneur dudit lieu, gentilhomme de Son Altesse obtint la déclaration et permission de prendre le nom et les armes de la maison de Marchéville, avec celles qui furent données à la Pucelle d Orléans, par lettres expédiées à Nancy le 12 octobre 1613101.
Le postulant avait appuyé sa demande sur une histoire aussi invérifiable que peu vraisemblable. À l’en croire il aurait
dès longtemps eu avis (de quelle source ?) [que sa maison paternelle] aurait été déchue et ruinée par la peste survenue au bourg de Blénod102 appartenant au sieur évêque de Toul sont plus de quatre-vingt-dix ans, où son bisayeul mourut, étant lors capitaine du château dudit lieu, délaissant un fils, ayeul dudit impétrant qui fut transporté au village de Chalaines près Vaucouleurs pour le sauver de la mortalité : étant alors si jeune qu’il n’aurait eu connaissance de ses père et mère, tellement qu’à cause dudit accident, le nom de son ancienne origine, qu’était de Marchéville, lui aurait été changé et abusivement surnommé Le Royer.
Ces allégations, que n’appuie aucune preuve, paraissent bien relever de la forgerie
pure et simple : si les faits rapportés étaient exacts, comment aucun des nombreux témoins de l’enquête de 1555 qui parlent de Médard Le Royer, du vivant même de l’intéressé — et celui-ci lui-même ne mentionnent-ils pas la singularité de ses origines ? Ils l’ignoraient, dira-t-on, comme l’ignorera Jean Le Royer, lequel devenu noble ne rougira pas de son nom, mais comment croire, sans preuve irrécusable, à la découverte providentielle d’un fait vieux de près d’un siècle et qui servait si bien les intérêts de qui l’alléguait ?
Cette affaire paraît cependant 36d’un certain état d’esprit. L’ascension sociale de la famille Le Royer en trois générations est évidente : de la modeste mairie de Chalaines à la cour du duc de Lorraine, en passant par le bureau des traites de Vaucouleurs (office assurément lucratif étant donné sa situation à la frontière et qui permet à son titulaire l’acquisition de seigneuries) le processus est classique, favorisé par l’argent et de nobles alliances. On est bien loin du dédain pour la chose nobiliaire affiché par l’ancêtre Jean Le Voyseul ! Mais l’accession à la noblesse est génératrice de nouvelles exigences : transmise par son père, mais par l’estoc maternel de celui-ci, elle ne donnait pas au familier du duc de Lorraine, noble d’épée, un nom en rapport avec sa nouvelle position sociale. Le Royer, son nom véritable, sentant par trop la roture, le gentilhomme lorrain préfère porter momentanément le nom de Voyseul, rappel de la noblesse maternelle de son père, en attendant de revendiquer et d’obtenir celui de Marchéville qui lui donnait de surcroît la noblesse paternelle. Quelle était au juste cette maison de Marchéville, comment Médard Le Royer — de Voyseul parvint-il à s’y faire agréger et quelles furent les réactions des membres de cette noble famille s’il en subsistait103 ? Nous l’ignorons. Le fait est que l’usurpation — plus que probable — réussit. Noble de père par la double ascendance masculine et féminine, noble de mère (la famille de Nicole de Mangeot, femme de Jean Le Royer avait été anoblie par René, roi de Sicile), Médard de Marchéville n’avait plus qu’à matérialiser tous ses quartiers de noblesse dans un blason qui rappellerait les armes des trois familles104.
L’élévation des Le Voyseul — cette seconde branche de la descendance d’Aveline Romée n’en fait que mieux ressortir la médiocrité de l’état dans lequel demeurèrent — volontairement — les enfants de Catherine Robert, sa deuxième fille105. Il s’agissait pourtant de cette Catherine dont Aveline était enceinte avant le départ de Jeanne pour Vaucouleurs 37et dont le prénom avait été choisi par la Pucelle elle-même, en souvenir de sa sœur décédée106. De son mariage avec Jacquet Robert, Catherine eut trois enfants dont l’enquête de 1555 — deux d’entre eux très âgés vivaient encore — nous rapporte le témoignage et nous fait du même coup connaître l’existence107.
Le premier, Jacob Robert — déjà cité dans l’enquête de 1551 comme
laboureur, demeurant à Burey-en-Vaulx108, aagé de soixante et douze ans ou environ
— mentionne bien
Robert Jacquet et Catherine sa femme, ses père et mère109,
admet la parenté de Thibaut Lassois et de Jean Le Royer avec la Pucelle, mais n’en fait jamais état pour lui-même, alors qu’il était son parent au troisième degré ! Hellouy Robert, sa sœur, femme de Pariset Langres, de profession inconnue, demeurant à Badonvilliers110, qui rapporte sur Jeanne des détails qu’elle tenait de sa mère et de son aïeule, nous assure simplement qu’ils disaient être ses cousins germains111 : elle non plus ne demande rien. Pas davantage Robert Barrois,
cousturier [demeurant à Burey-en-Vaulx,] fils de Laurent Barrois et de Jehanne Robert, en son vivant aussy fille de Catherine de Voyseul et de Robert Jacquet, laquelle Catherine de Voyseul comme il deposant a oy dire à sad. feue mère estoit cousine germaine de Jehanne la Pucelle112.
Ces petites gens qui connaissent bien leur lignage — et partant leurs droits virtuels, ne songent nullement à revendiquer ceux-ci, à l’instar de leurs cousins Lassois ou Le Royer qu’ils ne paraissent pas jalouser. À quoi sans doute leur eut servi une noblesse lorsqu’ils n’avaient probablement pas les moyens d’en soutenir l’état ? Ce troisième volet du triptyque de la famille 38d’Aveline Romée — pour négatif qu’il soit et justement parce que tel — nous paraît assez bien compléter le tableau.
Celui-ci, à la vérité, n’est pas très convaincant en ce qui touche l’anoblissement dans la descendance de la tante de Jeanne d’Arc : sur quinze personnes au moins recensées — ou simplement mentionnées — en l’espace de près d’un siècle et demi et qui auraient pu prétendre en bénéficier, cinq seulement feront reconnaître leur noblesse. Les difficultés (et les frais) pour engager la procédure de reconnaissance ne découragèrent pas deux d’entre eux seulement, Thibaut Lassois et Jean Le Royer. Pour tous les autres on peut penser que les avantages de l’accession au second ordre ne compensaient pas les inconvénients des démarches à entreprendre. Aussi bien, si l’on joint à la descendance des Le Royer-Marchéville et peut-être à celle inconnue de Nicole le Noble et de son fils la descendance de Claude et d’Étienne du Lys, on constate qu’en Barrois-Lorraine la noblesse d’origine johannique — même transmise par les femmes — n’a pas connu un très grand développement. Mais on remarque aussi que l’autorité royale (ou ducale en Lorraine) accepte — sans grandes difficultés apparemment — de reconnaître les prétentions de ceux qui revendiquaient cette noblesse, qu’elles soient fondées en titre ou qu’elles représentent de simple usurpations, comme celles que nous évoquions plus haut. À cela deux raisons, pensons-nous : le nombre relativement restreint de personnes bénéficiaires et la conformité de l’interprétation des lettres patentes de Charles VII à la coutume barroise qui admettait en principe la noblesse maternelle.
Il devait en aller tout autrement avec la famille normande des Le Fournier : c’est avec elle que la noblesse dans la famille de Jeanne d’Arc devait véritablement prendre une dimension
nationale qu’elle n’aurait sans doute jamais connue dans le pays d’origine de la Pucelle.
39Chapitre II La famille Le Fournier de Normandie
[Voir tableau 4 : Généalogie de la famille Le Fournier]
1. L’exploitation
des lettres patentes de 1429
exploitationdes lettres patentes de 1429
La famille des Le Fournier, en raison du rôle capital joué par certains de ses membres au XVIe siècle, nous paraît placée au cœur du problème. C’est en 1550, en effet, que Robert Le Fournier, baron de Tournebu et son neveu, Lucas du Chemin, seigneur du Féron, obtinrent d’Henri II des lettres patentes qui confirmaient pour la première fois celles de Charles VII en déclarant les requérants de la lignée de la Pucelle et, pour cette raison reconnaissaient leur noblesse113. Qui étaient ces Le Fournier et comment pouvaient-ils prétendre se rattacher à l’illustre origine ?
C’était, dit-on, une famille de bourgeois de Falaise dont nous ignorons les activités mais dont la fortune était apparemment considérable114. Un certain Ravend (ou Raulin) Le Fournier se serait rendu acquéreur en 1461 du fief des Isles-Bardel en sûreté d’une rente ; on le montre en 1463
anobli et vivant noblement en l’élection et sergenterie de Falaise115.
Son fils 40Jacques est mentionné dès 1472 ou 1473 lorsque le fief acquis par son père est dégagé de ses mains. On le trouve ensuite
grenetier du grenier à sel
et receveur des tailles de l’élection de Châteaudun. Il épouse alors Marie de Villebresme, fille d’un autre officier de finances, François de Villebresme, receveur du domaine d’Orléans : nous verrons par la suite l’importance de cette union dans la destinée de la famille. Après son mariage, Jacques Le Fournier est nommé receveur des tailles de l’élection de Caen et sa fortune doit être alors considérable puisqu’en 1520 il achète la baronnie de Tournebu, devenant ainsi l’un des personnages les plus importants de la province de Normandie116. La baronnie de Tournebu, dont l’existence est attestée depuis Guillaume le Conquérant, passait à juste titre pour l’une des plus anciennes et des plus riches de Basse-Normandie : en 1170, vingt fiefs de chevalier relevaient d’elle ; même si certains démembrements avaient quelque peu amoindri ces possessions, celles-ci restaient encore considérables au XVIe siècle, comme en témoignent les aveux de fiefs de haubert ou de vavassoreries faits aux Le Fournier à cette époque117. L’importance de la baronnie donnait, d’autre part, à son titulaire droit de séance à l’échiquier de Normandie118.
Du mariage de Jacques Le Fournier et de Marie de Villebresme naquirent trois fils, Nicolas, Robert, Charles et plusieurs filles. Vers 1528, Nicolas Le Fournier, l’aîné, succéda à son père dans l’office de receveur des tailles de Caen et dans la dignité de baron de Tournebu, s’allia par mariage à la noble maison des Boullenc, mais mourut sans enfants avant 1538119. Son frère Robert devint donc à son tour receveur des tailles à Caen et baron de Tournebu.
C’est ici que se pose la question capitale : Robert Le Fournier, baron de Tournebu, était-il ou non noble ? Il peut paraître à première vue singulier de poser une telle question, le titre de baron ne pouvant, selon le sens commun, être conféré qu’à une personne de condition noble et pour le vulgaire la gentillesse du baron de Tournebu ne pouvait naturellement 41être mise en doute120. Mais, pour les gens du roi, la chose n’était peut-être pas aussi évidente. Pour comprendre la situation, il faut se reporter à la vieille — et toujours actuelle — querelle des francs-fiefs. Depuis la fameuse ordonnance de 1275, les roturiers acquéreurs de fiefs pouvaient conserver ceux-ci en payant au roi tous les quinze ou vingt ans un droit dit de franc-fief, mais théoriquement ils n’acquéraient plus ipso jure la noblesse, comme par le passé. Celle-ci ne pouvait leur être conférée que par un anoblissement royal. Dès lors, il y avait donc en théorie toujours dissociation entre la condition des personnes et celle des terres. Seulement la pratique et les résistances locales n’appliquèrent pas dans toute leur rigueur — il s’en faut — les principes posés par l’ordonnance de Philippe III. Il faudra attendre l’ordonnance de 1579 pour dissocier formellement et de façon impérative l’achat des fiefs et l’acquisition de la noblesse121. À l’époque où les Le Fournier acquièrent la baronnie de Tournebu, nous sommes encore dans une période de tâtonnements qui explique dans une certaine mesure la singularité de leur histoire.
Les diverses coutumes, privilèges et libertés contenus notamment dans la Charte aux Normands de 1314 laissaient aux roturiers acquéreurs de fiefs un délai de quarante ans pour obtenir du roi des lettres d’anoblissement avant d’être contraints
par les juges ordinaires dud. pays […] à en vuider leurs mains122.
Or, en 1470, par l’ordonnance de Montilz-lèz-Tours, Louis XI octroya la noblesse à tous ceux qui avaient acquis leurs fiefs avant la promulgation de l’ordonnance
sans ce qu’ils puissent estre contraincts à les vuider… ne pour ce payer aucune finance, pourveu qu’ils vivent noblement ;
quant aux roturiers qui acquerront après cette date
aucuns fiefs nobles tenus, comme dict est, noblement à gaige plein, court et usaige,
ils seront pareillement anoblis, mais à condition qu’ils en aient joui
l’espace de quarante ans continuels et consequtez, paisiblement par droit heredital, sans en avoir esté approuchez, poursuis ne mis en procez par nosd. juges et officiers ordinaires, [… qu’ils fassent] à cause desd. fiefs nobles qu’ils auront ainsy acquis, le service à nos guerres,
et qu’ils versent collectivement la somme de 47 250 livres tournois, les dispensant à l’avenir de toute autre taxe de franc-fief123. Sous les apparences d’une composition avantageuse pour les roturiers acquéreurs de fiefs de la province, le roi confirmait en fait l’obligation d’un acte formel d’anoblissement dont la simple acquisition de la terre ne saurait tenir lieu.
42Charles VIII, puis François Ier, poursuivirent la même politique inspirée à la fois par les besoins d’argent de la royauté et la nécessité d’assurer la levée du ban et de l’arrière-ban. C’est ainsi qu’en 1521 François Ier dépêcha des commissaires en Normandie
pour remarquer au vrai ceux qui devoient jouir du privilège de la noblesse des Francs fiefs, en visitant leurs quittances de finance et leurs chartes particulières qui avoient été expédiées aux années 1471, 1472 et 1473 et scellées des sceaux et cachets des commissaires délégués124.
Le 15 octobre 1539, une Déclaration de portée générale ordonnait de dresser la liste de tous les
seigneurs, propriétaires et jouissans des fiefs, arrière-fiefs et autres seigneuries, de quelque estat, qualité ou condition qu’ils soyent [et leur demander] par déclaration […] quelles aliénations et démembrements en ont esté faits, avec les noms et qualitez de ceux qui les ont acquises et possèdent125.
En janvier 1542, le roi renouvelle ces prescriptions. Henri II devait encore durcir l’attitude de la royauté. Dès son avènement, le 2 septembre 1547, il adresse des lettres patentes à ses officiers de justice de la prévôté et vicomté de Paris, dont les dispositions principales seront reprises par une Déclaration générale du 7 janvier 1548 sur les francs-fiefs et nouveaux acquêts :
Comme nostre procureur sur le faict de nostre dict thrésor à Paris nous eust faict remonstrer que […] soit défendu aux non nobles et roturiers […] de non acquérir, tenir ne posséder aucuns fiefs nobles sans nostre consentement et permission ; grandement esté contemnez et négligez à la grande diminution des forces de nostred. royaume et charge du Tiers Estat et menu peuple d’iceluy […] (avons) advisé pour plus grand soulagement et commodité […] desd. non notables et roturiers […] tenus ausd. droicts et devoirs, de députer en nostre bonne ville de Paris certains bons et notables personnages des principaux de nos officiers pour liquider avec eux iceux droicts et devoirs126.
Le 2 septembre 1551 enfin, de nouvelles lettres patentes réitéraient impérativement cet ordre, ordonnant la confiscation des francs-fiefs non déclarés dans un délai de deux mois127.
Cette activité législative de la royauté répondait, pour une bonne part, à un phénomène social qui affectait particulièrement la Normandie à la fin du XVe et au XVIe siècle.
C’est en Normandie, — écrit Jean-Richard Bloch, — que les tentatives incessantes de la bourgeoisie pour atteindre aux privilèges nobles ont été les plus puissantes et les plus heureuses. La Normandie est le pays le plus riche de France, peut-être avec la Flandre, le plus riche d’Europe ; en nulle autre province les roturiers n’ont acquis autant de fiefs, les fonctionnaires n’ont été aussi nombreux, les lettres d’anoblissement aussi demandées, aussi chèrement tarifées128.
Cette province présentait, en effet, la particularité de faire cohabiter une grande bourgeoisie marchande adonnée surtout au grand commerce maritime — avec des structures et des institutions féodales qui avaient toujours été très 43fortes et qui, au XVIe siècle encore, conservent une grande part de leur vitalité. La ruine — commune à tout le royaume — de tant de maisons nobles au lendemain de la guerre de Cent Ans, devait permettre à cette bourgeoisie d’acquérir nombre de ces fiefs et de profiter de l’équivoque qui régnait encore sur la matière des francs-fiefs pour entrer dans la noblesse féodale, suprême consécration de leur réussite sociale129, s’il y avait doute ou contestation, l’acquéreur de fief avait toujours la ressource d’acheter à beaux deniers des lettres d’anoblissement. Pourvu qu’il vécût noblement, il n’était plus inquiété. Les chiffres fournis par les documents montrent l’importance de ce phénomène d’invasion de la noblesse féodale par le tiers-état normand. En 1470, à la suite de l’ordonnance de Louis XI, 388 personnes sont anoblies dans quarante-huit sergenteries normandes130. Lebeurier dénombre d’autre part, 45 anoblis sous Louis XI, 41 sous Charles VIII, 26 sous Louis XII, 125 sous François Ier, 27 sous Henri II131. Un rôle du bailliage de Caux et Gisors mentionne, en 1523, 115 nobles d’ancienneté
, 51 anoblis
et 71 incertains (dont la plupart devaient être des anoblis). Des plaintes générales
s’élevaient contre cet état de choses :
au bailliage de Rouen, — dit un écrit du temps, — et quasi par toute la Normandie le peuple universellement s’est plaint des anoblis132.
Tout ceci nous explique la réaction de la royauté.
C’est donc dans ce contexte particulier qu’il faut replacer l’affaire Le Fournier. Le premier membre connu de cette famille, Ravend, a très vraisemblablement acquis sa noblesse par l’achat du fief des Isles-Bardel (avant l’ordonnance de Louis XI). Mais son fils Jacques ayant dû restituer ce fief (acquis par une vente à réméré133), conserva-t-il la noblesse qu’il lui attribuait ? L’absence de documentation ne nous permet guère de nous prononcer sur ce point. Près de cinquante ans en tout cas s’écoulent entre la restitution du fief des Isles-Bardel en 1472-1473 et l’acquisition de la baronnie de Tournebu en 1520 par le même Jacques Le Fournier. Nous sommes dès lors bien mieux renseignés. Ainsi apprenons-nous que Nicolas Le Fournier, le 15 juillet 1535 et Robert Le Fournier, le 24 septembre 1540, rendirent aveu au roi de leur baronnie134, ce qui laisse supposer qu’ils en reçurent en retour l’investiture : nous savons aussi qu’ils reçurent eux-mêmes, comme barons de Tournebu, les hommages 44et aveux de leurs nombreux vassaux et exercèrent diverses prérogatives du droit nobiliaire135. Or, nulle part, il n’est question de leur anoblissement, ni de poursuites qui auraient été intentées contre eux pour faire vuider leurs mains
aux termes des dispositions royales. Tout se passe donc comme si le roi — et leurs propres vassaux136 — les considéraient comme nobles.
Il faut cependant tenir compte du fait que la baronnie de Tournebu n’était pas un petit fief de vavasseur, ni même un fief de haubert, mais bien un fief de dignité, relevant nuement du roi et dont la possession conférait à son titulaire le titre de baron. Il devait paraître assurément inconcevable qu’un tel fief pût être tenu par un roturier. L’achat non autorisé d’un fief de dignité par un roturier, non seulement ne lui conférait pas la noblesse, mais l’exposait encore à des poursuites, même de la part des vassaux dudit fief137.
Ce serait chose répugnante, — dira Loyseau, — que la noblesse puisse estre achetée indirectement en achetant un fief de 45dignité138.
Il faut que l’acquéreur soit investi par le roi, et que le fief soit mouvant du roi et non d’autres seigneurs. En ce cas l’investiture l’anoblit dès la première génération, mais il ne restera noble que dans le temps qu’il restera possesseur du fief de dignité, et il ne portera pas le titre de dignité dont est revêtu son fief ; acquéreur d’une baronnie, il ne sera pas baron, car les clauses d’érection sont stricti juris et ne s’étendent ni à ceux qui n’ont pas mérité cette grâce ni aux ayant cause ; le fief perd, en passant dans leurs mains, sont rang et son éclat ; ses titres cessent et retournent au prince139.
Telle est la théorie, mais ce n’est pas ainsi, nous venons de le voir, qu’ont été traités les Le Fournier, au moins sous le règne de François Ier. On pourrait alors s’imaginer soit qu’ils aient conservé la noblesse de leur aïeul Ravend Le Fournier — malgré l’abandon du fief des Isles-Bardel — ce qui paraît peu probable, soit que l’investiture royale ait suffi à faire présumer leur noblesse. Ce qui à coup sûr leur manquait c’était un titre indiscutable leur permettant de la fonder en droit140.
Le cas des du Chemin — qui lient leur sort à celui des Le Fournier — se présente en apparence sous un jour quelque peu différent. Si cette famille qui se perpétuera jusqu’au XVIIIe siècle, mérite les honneurs du d’Hozier — ce qui n’est pas le cas des Le Fournier disparus dès le XVIe — son représentant en 1550, Lucas II du Chemin, pour n’être pas titulaire d’une baronnie, n’en tient pas moins plusieurs fiefs141. Son père, Lucas I du Chemin, qu’un acte de 1508 qualifie d’écuyer, seigneur du Féron et qui est reconnu noble en 1513 par le sire d’Estouteville
capitaine général des nobles et noblement tenans ès Pays et Duché de Normandie142,
épousa en 1517 46Jeanne Le Fournier, fille de Jacques. Mais on ignore les origines de cette noblesse : d’Hozier ne remonte pas, en effet, au-delà du père de Lucas I,
Robert du Chemin, écuyer, seigneur de S. Germain,
mentionné avec sa femme dans les articles du mariage de leur fils. Il est probable qu’on se trouve ici encore en présence d’une noblesse de franc-fief
dont la situation serait en définitive la même que celle des Le Fournier, ce qui expliquerait leur communauté d’intérêts.
Aux uns comme aux autres, en effet, l’attitude de plus en plus menaçante de la royauté dut faire sentir la précarité de leur situation. La sévérité d’Henri II à l’égard des acquéreurs de francs-fiefs, la création notamment d’un corps de receveurs spécialement affectés à la perception de ces droits143 montrèrent à Robert Le Fournier et à son neveu, Lucas du Chemin, que leur position était beaucoup moins bien assurée qu’il n’avait paru jusqu’ici. Le baron de Tournebu eut alors véritablement un éclair de génie. Inquiet de la tournure que prenaient les événements,
voyant, dit Charles du Lys, qu’en l’année 1550, on faisoit recherche des francs-fiefs et nouveaux acquests, pour y prévenir, obtint des lettres patentes sous son nom, et dudit Lucas du Chemin, son nepveu, par lesquelles, en conséquence des lettres d’ennoblissement de la Pucelle d’Orléans de l’an 1429, qui y sont au long insérées, ils sont tous deux déclarez nobles144.
Les lettres patentes de Charles VII : quel titre plus glorieux et plus irrécusable pouvait-on opposer à ceux qui osaient contester votre noblesse !
Il doit cependant être permis à l’historien de se poser à ce sujet quelques questions. Sur quels éléments pouvait se fonder Robert Le Fournier pour demander et obtenir le bénéfice de ces lettres ? Pouvait-il seulement alléguer avec quelque vraisemblance la parenté qui lui aurait conféré ce droit ? Il est impossible de ne pas faire sur ce point les plus expresses réserves. Sans que l’on puisse conclure de façon absolue pour la négative, bien des éléments tendent, en effet, à faire pencher en ce sens l’observateur impartial. Tout d’abord comment imaginer que la famille Le Fournier aurait attendu aussi longtemps pour revendiquer une aussi illustre alliance… et les avantages sans pareil qu’elle conférait ? Remarquons ensuite que Robert Le Fournier se trouve dans l’incapacité d’établir la généalogie qui établirait de façon formelle ce rattachement : s’il l’avait pu, en effet, les lettres patentes d’Henri II l’auraient indiqué au lieu de se borner à mentionner prudemment que les requérants étaient
issuz et descenduz de la lignée de la Pucelle145.
C’est, selon toute apparence, à une date postérieure que sera fabriquée
la généalogie des Villebresme — sans qu’on puisse préciser quand ni par qui — maillon de la chaîne permettant de rattacher les Le Fournier à Jeanne d’Arc et bien que ces Villebresme n’aient jamais paru revendiquer cette ascendance. Charles du Lys est, à notre connaissance, le premier à parler de Catherine du Lys 47(qu’il appelle d’abord Marie), fille de Pierre du Lys, épouse de François de Villebresme et mère de Marie de Villebresme qui devait s’unir à Jacques Le Fournier vers 1475146. Or, aucune preuve — et pour cause — n’a jamais pu être apportée du mariage allégué de François de Villebresme et d’une Catherine du Lys. Cette dernière, dont l’existence est plus qu’hypothétique, ne pouvait en aucune manière être fille de Pierre du Lys, nous le savons déjà147. Mais nous savons aussi que l’épouse de François de Villebresme ne s’appelait pas Catherine du Lys mais Brachet, d’après une enquête menée à Caen en 1551, ou Prévost, selon le rapport d’un sergent de la Chambre des Comptes de Paris en 1504148. Ajoutons encore que Robert Le Fournier ne connaissait même pas le véritable nom de le la célèbre famille dont il se prétendait le descendant ! Détenteur de l’original des chartes d’anoblissement qui portait bien le patronyme Darc il le transforma en Day, à la mode normande, dans la copie qu’il produisit et qu’il fit insérer au Trésor des Chartes149. Mentionnons enfin que, dans l’hommage de la baronnie de Tournebu rendu en 1701 par Robert de Tournebu, il n’est pas fait
mention, parmi les anciens barons, de la famille des Le Fournier que l’on considérait à juste titre peut-être comme des usurpateurs, tandis qu’il cite la maison de Longueville qui ne l’a eue que provisoirement et quelques jours à peine150.
Est-ce uniquement la fin ignominieuse du dernier des Le Fournier qui inspira cette omission ; n’est-ce pas plutôt la conviction intime que les Le Fournier n’avaient jamais eu droit à une noblesse qu’ils avaient usurpée ?
48Voici donc un faisceau de présomptions troublantes en vérité. Mais comment, dans ces conditions, la royauté a-t-elle pu avaliser d’aussi aventureuses prétentions ? C’est que le baron de Tournebu avait en mains une carte maîtresse : l’original des lettres patentes de 1429. Comment se l’était-il procuré ? Sans doute par ses parents Villebresme habitants d’Orléans. Mais comment ceux-ci avaient-il en leurs mains cet acte précieux entre tous et dont on peut penser qu’il eût dû demeurer la possession d’un héritier mâle des du Lys ? L’énigme paraît insoluble151.
En tout cas, sur la production de ce document, jointe à l’affirmation péremptoire qu’ils sont
issuz et descenduz de la lignée de la Pucelle,
Robert Le Fournier et son neveu entendent obtenir gain de cause. Ils ajoutent imperturbablement que
du contenu desquelles lectres, les hoirs et successeurs d’icelle Pucelle [… ont] toujours depuys joy et usé, mesmement lesditz supplians, comme ilz font encores de présent.
Sûrs de leur bon droit, ils se bornent à demander à Henri II confirmation de leur privilège,
doubtans que au moïen du trespas de feu de bonne mémoire le roy […] dernier deceddé […] et que depuys icelluy et nostre advènement à la couronne, ilz n’ont de nous eu confirmation doubtent à l’advenir y estre empeschez,
allusion à peine voilée aux craintes que leur inspiraient les commissaires aux francs-fiefs. Or le roi admet, apparemment sans réticence, comme si, grâce au baron de Tournebu, il redécouvrait l’existence sinon de la Pucelle, du moins des lettres extraordinaires l’anoblissant elle et sa famille, lettres qui ne pouvaient être qu’à la mesure de l’aide miraculeuse apportée jadis par Jeanne à la Couronne et que le roi ne pouvait faire moins que confirmer :
deuement certiorez des justes occasions et services divinement faictz à nos prédécesseurs et royaulme par ladicte Pucelle en expulsant les ennemys usurpans nostredit royaulme, qui ont meu nosditz prédecesseurs à donner et octroier ledit anoblissement ; ne voullans moins faire que eulx en cest endroit ; ausdiz supplians, ensemble aux aultres successeurs yssuz et descenduz de la lignée masculine et féminine de ladicte Pucelle et de sesditz père et mère et frères, avons […] continué et confirmé […] ledit anoblissement cy dessus inséré, pour d’icelluy joyr et user par eulx d’oresnavant à perpetuité, tant et si avant, et par la forme et manière contenue ausdictes lettres et chartres cy dessus insérées, et qu’ilz en ont cy devant bien et deuement joy et usé, et qu’ilz en joissent encores de présent152.
L’interprétation extensive est donc admise par Henri II sans aucune réserve et ceci sera lourd de conséquences.
2. L’enquête de Vaucouleurs-Domrémy
Restait cependant à faire enregistrer les lettres royales pour leur faire produire leur plein effet. La cour d’enregistrement normalement compétente 49pour les anoblissements était encore la seule Chambre des Comptes153 qui devait fixer le montant de la finance
compensatoire à payer par le bénéficiaire, mais elle devait aussi vérifier les titres justificatifs du privilège qui lui était octroyé. La situation de Robert Le Fournier et de Lucas du Chemin n’était certes pas celle de nouveaux anoblis : il n’y avait pas pour eux création de noblesse, donc pas de finance à débourser. Le roi se bornait à confirmer une noblesse qu’ils étaient censés déjà détenir. Mais ceci n’excluait pas la vérification de leurs titres. Le baron de Tournebu dut donc faire parvenir les lettres patentes d’Henri II accompagnées de celles de Charles VII à la Chambre des Comptes de Paris aux fins de vérification et d’enregistrement. Pour les lettres de 1429, il ne semble pas que la Chambre des Comptes ait mis en doute leur authenticité — du moins aucun écho ne nous en est-il parvenu — encore que les conseillers aient pu se montrer légitimement surpris d’une demande d’enregistrement formulée plus d’un siècle après leur octroi154 ! Ce qui importait le plus c’était évidemment de vérifier les titres de noblesse de Robert Le Fournier et de son neveu susceptibles de les établir
comme nobles, issus de noble lignée et vivans noblement155.
Le mode de preuve communément admis en la matière était alors la renommée commune
, en d’autres termes la preuve par témoins. Il suffisait que ceux-ci témoignent avoir vu l’impétrant, son père et son aïeul vivre noblement156.
En l’espèce pourtant il s’agissait d’autre chose et de plus : ce qu’on devait demander aux témoins c’était d’établir le rattachement des Le Fournier à la lignée de Jeanne (lequel, rappelons-le, n’était qu’évoqué dans les lettres de 1550). L’importance de l’enjeu justifie les mesures extraordinaires prises par la Chambre des Comptes : elle donna, en effet, commission aux baillis et prévôts de Caen, Chaumont-en-Bassigny, Orléans et Blois pour s’informer si les intéressés appartenaient bien au lignage de la Pucelle. Un luxe de précautions était donc pris (qui atteste à 50lui seul la défiance des gens des Comptes) puisqu’ils ordonnent quatre enquêtes aux lieux les plus idoines : Caen résidence des Le Fournier, Chaumont où Vaucouleurs pays d’origine de la famille d’Arc, Orléans où avaient vécu et étaient morts Isabelle Romée et son fils Pierre, Blois enfin d’où étaient issus les Villebresme. Mais, de cette épreuve qui eût pu être dangereuse pour eux, le baron de Tournebu et son neveu devaient sortir tout à leur avantage, grâce à leur industrie.
Nous ne savons rien — et c’est regrettable — de l’enquête de Blois. Celle d’Orléans — dont l’intérêt ne devait pas être moindre — à été connue de Charles du Lys, mais ne nous est malheureusement pas parvenue non plus. L’enquête de Caen appartenait aux archives du marquis de Maleissye : Boucher de Molandon a pu en prendre connaissance et l’a utilisée dans son ouvrage157. Seule l’enquête de Vaucouleurs a été publiée in extenso par Bouteiller et Braux158. Que nous apprennent donc les témoignages recueillis à Caen et à Vaucouleurs ?
Les gens des Comptes donnaient commission
aux baillis d’Orléans, Bloys, Chaulmont en Bassigny et de Caen, ou leurs Lieutenants généraux […] que appellez au devant vous les advocat, procureur et commissaire ordinaires dud. sieur (roi) esd. bailliage ou leur substitutz […] et aussy les esleus des élections èsquels les impétrants sont demourans, vous vous informez secrettement et bien, par gens non suspects ne favorables, et lettres authentiques, si aucunes vous sont produictes, si lesd. Le Fournier et Du Chemin sont yssuz et dessanduz de la lignée de la Pucelle Jehanne Day de Dompremy […] et par quelz degrez et moiens, sy telz et leurs prédécesseurs ont esté tenuz et repputez en lieux où ils ont prins leur nativité et demourance et aussy comme telz ont jouy paisiblement sans contredit des privillèges et examptions octroyéez à lad. Pucelle et à ses parents.
Ils devaient en outre donner lecture des lettres d’anoblissement de 1429 aux élus de l’élection du domicile des impétrants et aux habitants de leur paroisse préalablement convoqués,
pour scavoir d’eulx s’ils scavent aucune chose pour contredire et empescher la vérification et enthérinement desd. lettres et s’ils se consentent à l’enthérinement d’iceulx, lesquels si consentent et lesquelz non.
Il leur fallait enfin s’informer
de quelle vie renommée et conversation ont esté et sont lesd. Le Fournier, du Chemin et leurs prédécesseurs, et généralement vous informez et enquérez sur tout ce que vous et lesd. officiers verrez bon estre à informer et enquérir en ceste matière.
Cette information, le procès-verbal dressé par le bailli, leur propre avis et celui des officiers susnommés serait expédié
féalablement cloz et scellez
à la Chambre des Comptes159. Toutes garanties semblaient donc prises pour assurer le sérieux des enquêtes. Qu’allait-il se passer ?
À Caen, Robert Le Fournier et Lucas du Chemin font demander aux déposants
s’ils cognoissent ou ont pas ouy dire que de Jean d’Ay, prévôt d’Orléans (sic) frère de Jeanne d’Ay [est issue une fille] qui, depuis, fut mariée à Jean de Villebresme, notaire et secrétaire du roy, et dudit Jean 51sorty autre Jean, semblablement notaire et secrétaire du roy, et conseiller de Loys, duc d’Orléans, du depuis roy, et, dudit Jean, M. François de Villebresme, recepveur et conseiller de Loys, duc d’Orléans, du depuis Loys, roy, douzième de ce nom, et si dudit François de Villebresme et de damoiselle Jehanne Brachet est pas issue damoiselle Marie de Villebresme, mariée avec Jacques Le Fournier, escuyer, sieur de Villambray160.
Les témoins devaient d’autre part répondre sur la question de la filiation des membres de la famille Le Fournier et sur le point de savoir s’ils avaient toujours vécu noblement. Si l’on comprend parfaitement que les témoins interrogés donnent des avis circonstanciés sur les deux dernières questions161, on voit mal comment il aurait pu en être de même sur la généalogie des Villebresme, étrangers à leurs propres familles et originaires de Blois et d’Orléans. Il ne pouvait bien entendu s’agir que de témoignages de complaisance : la situation éminente des requérants devait les leur procurer sans grande peine. De fait, la plupart des témoins déclarèrent sans pouvoir évidemment autrement préciser, que
Marie de Villebresme née à Orléans, appartenait à une noble famille de cette ville, selon l’opinion générale, était de la lignée de Jehanne d’Ay, Pucelle d’Orléans anoblie par Charles VII162.
D’autres assurent
qu’elle était réputée avoir pour aïeul un Jean ou Louis de Villebresme, attaché à la maison d’Orléans, lequel aurait épousé une Jehanne d’Ay, fille de Jehan d’Ay, frère de la Pucelle163.
Il est inutile de souligner davantage les fantaisies généalogiques sur le prétendu rattachement des Villebresme à la famille d’Arc (il est ici question, non de Pierre mais de Jean qui fut prévôt de Vaucouleurs et non d’Orléans). La commune renommée
s’accommodait apparemment de ces imprécisions.
La situation était évidemment quelque peu différente à Vaucouleurs et à Domrémy, lieux d’origine de la famille à laquelle les Le Fournier prétendaient se rattacher. La lecture de l’enquête de Vaucouleurs (dont le texte, rappelons-le, nous est intégralement parvenu) est particulièrement instructive sur la manière dont pouvaient être conduites de semblables procédures et la valeur des témoignages apportés dans une affaire aussi lourde de conséquences.
Il va de soi que les habitants de Vaucouleurs n’avaient pas à se prononcer sur le genre de vie des Le Fournier ni à consentir à l’entérinement de leurs lettres de noblesse puisqu’ils n’étaient pas directement intéressés, n’étant pas contribuables dans la même élection, à la différence des habitants de l’élection de Caen. Mais il est plus que probable que sans l’intervention des impétrants les résultats de l’enquête auraient bien risqué d’être négatifs. Comprenant parfaitement la situation, le baron 52de Tournebu — trop âgé sans doute pour entreprendre le voyage — envoya sur place son neveu Lucas du Chemin qui devait agir comme procureur de Robert Le Fournier et en son nom propre. Premier motif d’étonnement : les témoins auprès desquels devait s’informer secrettement
Jean Mongeot, prévôt de Vaucouleurs et qui devaient être gens non suspects ne favorables
, ces témoins sont
produits par led. du Chemin
lui-même, tant à Vaucouleurs qu’à Domrémy164. De là à penser que ces témoins durent être dûment chapitrés ou endoctrinés parle seigneur du Féron, il n’y a qu’un pas que l’examen des diverses dépositions nous permet de franchir aisément. Regardons donc de plus près ces témoignages — donnés sous la foi du serment — en distinguant ceux des habitants de Vaucouleurs étrangers — sauf un — à la famille et ceux des membres du lignage de Jeanne d’Arc165.
Les premiers, de professions diverses (marchand, praticien, prêtre, maçon, sergent royal) et dont l’âge variait entre quarante deux et soixante trois ans, qui nous ont déjà fourni des renseignements sur les membres de la famille du Lys vivant encore dans la région et sur Thibaut Lassois, nous donnent, non sans quelque naïveté, des renseignements ou des appréciations, visiblement inspirés par le cousin de Normandie
. Nous apprenons ainsi que ce dernier,
apprez s’estre informez de ses parents du costez de ladicte Jehanne la Pucelle166
(qu’il ne connaissait donc pas auparavant), était allé
plusieurs fois visiter les parens de lad. Jehanne la Pucelle lesquelz il tenoit et repputoit ses cousins et parens mesmement Didon et Anne Daly, filles du dict deffunct Claude Daly167,
ainsi que
Nicole le Noble dicte d’Aussoy, fille de feu Thiébault le Noble dict d’Aussoy168
[l’]appelant cousine et parente, la tenant et réputant pour sa parente à cause et du costé et lignée de lad. Jehanne la Pucelle169.
Un autre témoin déclare
avoir par cy-devant veu led. du Chemin au païs par deça, se repputer et tenir parent de lad. Jehanne la Pucelle, faisant grande feste et caresse à ceux qui soy disoient [tels], les y repputant et tenant pour ses parens170.
Quant au baron de Tournebu, le premier témoin assure qu’il
n’en a aucune cognoissance, hors qu’il dict avoir ouï dire à ses ancestres et aultres qu’il estoit parent et lignager de ladicte Jehanne la Pucelle171,
le second opine dans le même sens — ne peut-on penser que la mémoire de ce 53ouï dire
leur a été rafraîchie à point nommé ? — un autre avoue plus simplement
n’avoir eu cognoissance dud. de Tournebu sinon que avoir ouy dire aud. Du Chemin qu’il estoit comme luy parent et lignager de lad. Pucelle172.
C’est le même qui déclare tout uniment
avoir veu certaines lettres dudict Du Chemin, cachetez des armes de ladicte Pucelle, asçavoir une espée, une couronne dessus et une fleur de lys de chascun costé. Et pour ce pense led. Du Chemin estre parent et lignager de lad. Jehanne la Pucelle173.
L’un des témoignages qui dut cependant avoir le plus de poids fut celui d’un certain Mathieu Gilles, originaire d’Orléans, zélateur de Jeanne, au point que
voyant les grandz honneurs et louanges, que en ce dit lieu d’Orléans, on faisoit à Jehanne la Pucelle pour les causes des proesses et vertus d’elle, ayant entendu elle natisve de Dompremy près Vaucouleurs, luy s’envint demourer et faire sa résidence en ce dit lieu de Dompremy, auquel lieu s’est maryé et a prins femme, natisve du lieu de Burey-en-Vaulx […] lieu de natisvité des père et mère de Jehanne la Pucelle. [Il affirme avoir] eu la cognoissance que led. Du Chemin estoit de la lignée de Villebresme en laquelle lignée il a certainement ouy desclarer, au lieu de sad. nativité un nommé Jehan, frère d’icelle Jehanne la Pucelle, qui fut prévost d’Orléans, que une fille dud. sieur fut conjoincte par mariage à un nommé de Villebresme, natif de Bloys, prèz Orléans ; aussy avoir cogneu aud. lieu de sa nativité plusieurs personnages yssus, descenduz et procréez de la lignée d’icelluy Jehan, prevost d’Orléans et d’icelle de Villebresme, gros personnages et apparentez, vivant noblement avec grand honneur174.
Ce témoignage procuré, ne l’oublions pas, par l’intéressé lui-même, dut certainement impressionner favorablement les officiers du roi puisqu’il rétablissait les liaisons interrompues depuis le siècle dernier entre Orléans et Domrémy, mais nous voyons bien qu’il ne faisait que soutenir la thèse — que nous savons indéfendable — des Le Fournier.
Lucas du Chemin avait également produit des parents du lignage de la Pucelle. Parmi eux, le moins coopératif
fut sans doute Jacob Robert. Le petit-fils d’Aveline Le Voyseul, nous l’avons déjà remarqué, paraît s’être fort peu soucié quant à lui de la noblesse de sa famille. Aux questions posées il répondit qu’il
ne sçait si led. Du Chemin est venu et yssu du lignage dud. prevost d’Orleans, combien que il a par ci-devant veu au païs de par deça quelquefois led. Du Chemin se dire estre parent lignager de lad. Jehanne la Pucelle et aussy que sont plus de trente ans que il a veu venir des pellerins à St. Nicolas en Lorraine qui se disoient estre dud. Orleans et parents de lad. Jehanne la Pucelle mais qu’ils furent parens dud. Du Chemin, n’en sçaurait parler forz ainsy qu’il a dict cy-dessus175.
Les femmes se montrèrent, heureusement pour le seigneur du Féron, plus compréhensives.
Ce fut d’abord Nicole le Noble que le Normand sut convaincre en la flattant et en montrant un vif intérêt pour son fils :
Et sy a la dicte 54déposante qu’elle a vu ledict Du Chemin qui a depuis quelque temps jà esté par deça pour sçavoir et congnoistre ses parents et lignagers du costé de ladicte Jehanne le Pucelle, lequel avoit trouvé et congneu par les rapports de plusieurs personnes sur leur généalogie, qu’ils estoient parents du costé de ladicte Jehanne la Pucelle et, pour congnoissance et amytié de parenté, avoit ledict Du Chemin prins ung des fils de ladicte Nicolle nommé Claudin pour mettre avec luy, pour luy faire veoir et entendre ce que c’est du monde et comme un gentilhomme se doibt gouverner176.
Il ne fait pas de doute que la reconnaissance de la noblesse de Thibaut, père de Nicole, ait constitué un précieux encouragement pour les Le Fournier et que Lucas du Chemin ait attaché un grand prix à la déposition de sa cousine
.
De Vaucouleurs les commissaires se rendirent à Domrémy à la requête du seigneur du Féron qui s’y transporta lui-même en compagnie d’
un autre gentilhomme, nommé Jehan Morin177
pour produire encore trois témoins, également de ses parents
. Le premier fut François Hurlot, prêtre, âgé de cinquante ans, petit-fils de Claude du Lys178. Le brave ecclésiastique rapporte tout bonnement ce que lui a raconté son visiteur :
A dict davantage avoir jà plusieurs fois [v]eu audict Domprémy ledict Du Chemin soy disant et nommant estre yssu et descendu de l’un des frères de ladicte Jehanne la Pucelle demourant au dict Orléans ou à l’environ ; ce que peut congnoistre led. déposant par les enseignemens et adresses par led. Du Chemin à luy donné, tant déclaration et lettres de généalogie et ligne que par obtention des tiltres et chartes de privilleges accordez à lad. Jehanne la Pucelle. Pense à la vérité qu’il soit, ensemblement un gentilhomme qui accompagnoit led. Du Chemin, nommé Jehan Morin, yssuz et procréez de la source et lignée desd. frères de lad. Jehanne la Pucelle ou de l’un d’eux et pour telz les tient et reppute ses parens de la ligne et costé de lad. Jehanne la Pucelle179.
Les deux filles de Claude du Lys, Didon et Anne, âgées de soixante et dix et soixante ans, se montrent également très favorables aux prétentions du Normand :
pour les grandes apparences de la généalogie et parenté que ledict Du Chemin a […] le tient et répute pour son parent,
dit la première180. Les deux sœurs ajoutent toutefois des précisions, peut-être à l’instigation de leur cousin
mais qui paraissent à l’origine des erreurs commises par Jean Hordal et Charles du Lys. Didon, qui confond — nous l’avons vu — les frères de Jeanne d’Arc, faisant de Pierre son 55grand-père et le prévôt de Vaucouleurs et de Jean le prévôt d’Orléans (comme le soutenaient les Le Fournier), assure que, selon son père Claude, Jean du Lys aurait convolé à Orléans
en secondes nopces avec une gentille femme de bonne maison […] Duquel mariage […] issoyoient et descendoient plusieurs filles et enfants. Lesquelz venuz en aage auroient esté marié et allyés en bonnes maisons181.
Quant à Anne, il semble bien qu’il faille lui imputer la légende des filles de Pierre (transformé par elle aussi en Jean), légende qui sert bien entendu les intérêts des Le Fournier :
Et sy a dict avoir entendu de sondict père que dudict Daly prévost seroient yssus deux filles, de l’une desquelles filles nommée Marye, seroit descendue une autre fille, laquelle avoit esté allyée en la maison de Villebresme, près Orléans, de laquelle maison ladicte déposante repute et pense est descendu ledict Du Chemin […] pour avoir veu plusieurs fois audict Dompremy ledict Du Chemin, et l’avoir ouy parler de leur généalogie et parenté. Et lequel a tousjours tenu et reputé ladicte déposante sa parente de la ligne et costé de ladicte Jehanne la Pucelle et pareillement a ladicte déposante tenu et réputé ledict Du Chemin et ledict Morin, pour les causes et raisons que dessus, ses parents et lignagers du costé de ladicte Jehanne la Pucelle, comme yssuz du tronc et source dudict Jean Daly, prévost dudict Orléans182.
Ces quelques extraits permettent d’apprécier la valeur des témoignages où fourmillent inexactitudes et contre-vérités et partant, de l’enquête établie d’après eux. Comment, à vrai dire, un personnage important, sûr de lui, ayant toutes les apparences du gentilhomme, habile à convaincre, n’aurait-il pas entraîné l’adhésion de gens de condition beaucoup plus modeste auxquels il faisait l’honneur de demander leur concours ou qu’il cajolait comme ses parents ? Et comment les officiers du roi n’auraient-ils pas été gagnés à leur tour ? Effectivement nous pouvons lire en conclusion de l’enquête de Vaucouleurs :
Et en satisfaisant en oultre à la teneure desdictes lettres de commission, l’advis de nous, prévost, procureur du Roy et greffier en ladicte prévosté de Vaucouleurs est que ayant esgard aux depositions des tesmoings cy dessus, ledict Lucas Du Chemin, sieur du Féron, doibt soubz le bon plaisir du Roy nostre sire et de vous, nos sieurs des Comptes, jouyr des privilleges de noblesse pour estre descenduz de la lignée de ladicte Pucelle183.
La Chambre des Comptes dut à son tour, se montrer convaincue au terme des quatre enquêtes qu’elle avait ordonnées puisque, le 30 avril 1551, elle enregistrait les lettres patentes d’Henri II184.
Par là cependant se trouvaient déjoués les précautions et sages conseils que devait donner, quelques années plus tard, le juriste Bacquet, précisément en la matière des francs-fiefs et pour la vérification de la noblesse :
Si l’information portant preuve de noblesse […] estoit jointe avec la certification des Eleus chef, ou avec la certification des habitans, ou bien 56avec l’attestation judiciaire, telles qu’elles ont esté cy-dessus declarées, ce seroit bien le meilleur et le plus seur. Car il est souvent fort aisé à un homme riche et opulent, tenant fief et héritages nobles, de prouver par témoins qu’il est noble et issu de noble race, combien que la verité soit au contraire. Partant les Juges qui déclarent un homme noble, et exempt du droit des francs-Fiefs, par le moyen d’une simple information et à sa requeste, doivent bien regarder les qualitez et âges des témoins, diligemment examiner leurs dépositions, et considérer les circonstances de preuve : cum testium facultate multa veritati contraria perpetrentur, comme dit la Loy testium Cod. de testib.185
L’exemple que nous venons de donner illustre parfaitement ces propos, les précautions prises par les autorités dans les lettres de commission devant s’avérer inopérantes. Il y a tout lieu de croire qu’il s’est reproduit maintes fois et que les usurpations de noblesse ont dû, dès cette époque, représenter un fait social important.
3. La transmission féminine de la noblesse
La victoire du baron de Tournebu et de son neveu n’était pourtant pas aussi assurée et définitive qu’on pourrait le penser. Certes, le 13 août 1551 et le 29 juillet 1553, la Chambre du Trésor reconnaissait, à son tour, leur noblesse à l’occasion de deux arrêts rendus par les commissaires des francs-fiefs qui mettaient hors de cour
Robert Le Fournier et Lucas du Chemin, exemptés par leur qualité de noble de payer le droit de franc-fiefs186. Mais un élément essentiel — qui avait dû d’abord échapper aux gens du roi dans l’acte d’anoblissement de Charles VII dont se prévalaient les Le Fournier — ne tarda pas à leur paraître exorbitant et dangereux : la transmission de la noblesse par les femmes, bien que le roi l’ait admise implicitement dans ses lettres de 1550. Certes, la coutume normande ne reconnaissait pas la noblesse utérine
, contrairement à la coutume barroise187. Mais surtout, alors que les cas d’application (bien avant les Hordal, Haldat ou Charles du Lys) y étaient restés limités 57à quelques rares personnes, il s’agissait ici de la collation d’un véritable privilège familial et non plus individuel, comme l’avaient d’ailleurs prévu les lettres de Charles VII confirmées par Henri II188. C’était donc l’intégralité d’une descendance qui perpétuerait sans limitation aucune la noblesse de Jeanne d’Arc. Là résidait assurément le plus grave danger que représentaient pour la Couronne les entreprises de Robert Le Fournier.
Aussi n’est-on pas surpris de voir les partisans
ou receveurs des francs-fiefs obtenir du roi, le 26 mars 1556, la publication de nouvelles lettres patentes189
par lesquelles, en interprétant le privilège de noblesse octroyé par le roi Charles septiesme à tous ceux qui seroient de la parenté de la Pucelle, il est restraint pour ceux-là seulement qui en seroient descendus par son père ou ses frères, en ligne masculine et non en ligne féminine190.
Les termes de la publication de ces lettres par la Cour des Aides de Normandie, le 23 avril 1556191, tels que nous les rapporte La Roque, sont encore plus explicites : jouiront du privilège ceux qui se disent issus de la race de la Pucelle
pourvu qu’ils portent le nom ou qu’ils soient issus de filles de Jacques Day, n’ayant dérogé à leur état et ayant été mariées à des Gentilshommes vivans noblement. Les autres ne portant le nom et ayant dérogé seront Taillables, et défenses à eux d’usurper les armes de Jeanne Day, à peine de confiscation de biens192.
Pour la première fois, la royauté adoptait une attitude résolument restrictive à l’égard de la parenté de Jeanne d’Arc. L’interprétation — pour reprendre le mot de Charles du Lys — des lettres patentes de 1429 ne tendait à rien moins, en effet, qu’à ramener cet anoblissement au droit commun : les mâles seuls peuvent transmettre la noblesse. Les filles de Jacques d’Arc (il faut sans doute entendre les petites-filles, puisqu’il n’est jamais question de la descendance problématique de Catherine, la sœur de Jeanne) ne conservent ce privilège que si elles ont été mariées à des gentilshommes vivant noblement : en fait ceci revenait à dire que la noblesse de leurs enfants viendrait de leurs pères, celle de leur mère leur permettant seulement de porter les armes de la famille du Lys.
L’application à la lettre de cette décision royale aurait assurément mis fin à la noblesse dans la famille de Jeanne d’Arc puisque la descendance 58masculine directe s’était éteinte un demi-siècle plus tôt : tous ceux qui pouvaient alors s’en réclamer ne tenaient leurs droits que des femmes dont il était difficile de prouver qu’elles avaient toutes épousé des gentilshommes vivant noblement. Mais Robert Le Fournier directement visé ne se tint pas pour battu : après avoir fait reconnaître sa généalogie, il lui fallait livrer une seconde bataille pour obtenir une victoire complète. La réaction du vieux baron fut rapide et lui permit d’obtenir des résultats décisifs puisque les dernières lettres patentes d’Henri II ne reçurent aucun commencement d’exécution. Nous voyons en effet, l’intéressé — accompagné cette fois de son frère, Charles Le Fournier,
sieur de Bois-Heurcoq, lieutenant-général en la vicomté de Caen193
— obtenir, dès le 2 juillet 1556, deux lettres patentes de maintien de noblesse dérogeant aux lettres précédentes et adressées
aux Généraux des Finances et Aides de Paris, Rouen, Montpellier, au Bailli de Rouen et à tous autres Baillis, Sénéchaux et Prévôts […] [à condition que] les prédécesseurs des impétrans du côté paternel […] [et] du côté maternel de la race de ladite Jeanne Day eussent vécu noblement194.
Cette dernière exigence paraît, en définitive, la plus importante, celle sur laquelle le roi ne transigerait pas, puisqu’il finit par admettre la transmission de la noblesse par les femmes. Des enquêtes analogues à celle de 1551 durent, en effet, être menées alors, aboutissant aux mêmes conclusions puisque
les Élus et les Paroissiens de leur résidence donnèrent leur consentement sur cela, et attestèrent que cette noblesse étoit sans dérogeance195.
L’acharnement apporté par la famille Le Fournier à faire valoir ses droits prétendus avait donc fini par l’emporter sur la ténacité non moins remarquable des officiers royaux à la leur contester : vivant noblement, ses membres réussissent à s’agréger à la communauté des nobles de souche selon le vœu des lettres patentes de Charles VII. Robert Le Fournier, véritable homo novus, représente le cas typique de l’invasion des structures féodales par la bourgeoisie.
La fortune a cependant de ces retours imprévisibles. Les fils du baron de Tournebu, Robert et Jacques, avaient 59embrassé la religion réformée :
fait au moins curieux à constater chez des descendants indirects de Jeanne d’Arc, si attachés aux privilèges de noblesse qu’elle leur avait valus196,
surtout lorsque l’on connaît l’hostilité des huguenots à la mémoire de la Pucelle. Cette conversion à l’hérésie devait leur attirer des difficultés dans l’exercice de leur droit de patronage sur des bénéfices ecclésiastiques197. Mais la ruine de la famille ne peut être imputée aux guerres de Religion : elle eut pour auteur Jacques II Le Fournier, le dernier de sa maison à porter le titre de baron de Tournebu198 et — fait peut-être significatif — elle lui vint de l’exercice même de cette profession qui était pour une bonne part sans doute à l’origine de la fortune de ses pères, l’office de receveur des tailles de Caen. Accusé, en effet, de malversations dans le maniement des deniers publics, il assassina Robert Gyart, receveur des aides en l’élection de Caen que l’on avait chargé de surveiller ses entreprises. Condamné d’abord à 2 000 livres d’amende, puis à la peine de mort, tous ses biens furent confisqués par arrêt du Parlement du 7 août 1573 : la baronnie de Tournebu fut mise en adjudication et Jean de Marguerie, sieur de Sorteval, beau-frère de Jacques Le Fournier199, n’ayant pu pousser l’enchère au-delà de 15 000 écus, elle fut finalement adjugée pour 30 100 écus à la duchesse de Longueville200. Plus haute aura été l’élévation, plus dure la chute.
Mais si la branche mâle de la famille s’éteignait ainsi dans le déshonneur201, les branches féminines allaient, bien au contraire, prospérer — quoique à un moindre niveau que le baron de Tournebu — en conservant leur noblesse, toujours grâce à l’interprétation extensive des lettres patentes de Charles VII que Robert Le Fournier avait réussi à faire prévaloir. Le baron avait, en effet, plusieurs sœurs qui, mariées, firent souche, anoblissant leurs maris et leurs enfants, selon l’usage maintenant bien établi dans la famille de Jeanne d’Arc. Nous ne connaissons avec 60certitude que la postérité de l’une d’elles, Jeanne : elle suffit à la vérité à justifier ces assertions de Charles du Lys :
Et se peut dire que les deux damoiselles susdites, Marie de Villebresme, arriere-niepce de ladite Pucelle d’Orléans, et Jeanne Fournier, fille de ladite Villebresme ont peuplé la Normandie, ès pays de Contentin et de Caen, de beaucoup de familles ennoblies à cause d’elles, et de leur estoc féminin, en conséquence des lettres d’ennoblissement de ladite Pucelle d’Orléans, et de ses frères, et de leur postérité tant masculine que féminine, ce qui a tousjours esté très rare en France, et l’est encores aujourd’huy plus que jamais202.
C’est bien par les filles que les lettres confirmatives d’Henri II devaient produire dans leur ampleur toutes leurs conséquences.
Ce résultat ne s’obtint cependant pas sans peine : l’hostilité des officiers de finances n’avait pas désarmé, même devant les décisions royales. S’ils avaient dû admettre la transmission de la noblesse par les femmes pour le passé, ils ne se résignaient pas, en effet, à ce qu’il en aille de même pour l’avenir. Une lutte de plus d’un demi-siècle, véritable travail de Sisyphe, allait donc être entreprise par les branches féminines des Le Fournier pour imposer la reconnaissance de leurs prétentions. Jeanne Le Fournier dont il vient d’être question, se maria trois fois : avec Lucas du Chemin, Gilles Godart et Étienne Patris. Elle n’eut d’enfants que du premier et du troisième, mais les huit enfants issus de ces deux mariages suffirent à assurer à l’estoc féminin
de sa famille une très nombreuse postérité. Nous ne nous intéresserons évidemment ici qu’à ceux de ses descendants inquiétés dans leur noblesse et qui durent combattre pour la faire reconnaître.
De Lucas I du Chemin, Jeanne Le Fournier eut entre autres enfants Lucas II et Denise. Nous connaissons déjà Lucas II du Chemin pour le rôle important qu’il joua aux côtés de Robert Le Fournier dans la confirmation de noblesse de leur famille. Après la mort de son oncle, alors qu’il avait été promu premier conseiller au présidial de Caen203, Lucas du Chemin sera à nouveau inquiété, mais à nouveau l’emportera. Le seigneur du Féron, nous dit Charles du Lys,
grandement riche, fut taxé à 2 000 l. pour nouvelles recherches que l’on continuoit desdits francs-fiefs et nouveaux acquests, dont il se porta pour appellant et se pourveut par devant les commissaires députez pour en juger en dernier ressort au Parlement de Rouen204.
Le 30 juin 1565, la Cour de Rouen rendit un arrêt interlocutoire entre Lucas du Chemin et le procureur général de la Cour des Aides, ordonnant qu’un des commissaires irait prendre connaissance auprès du conseil privé du roi
des jugemens ou arrests obtenus par le dit du Chemin.
Sur rapport dudit commissaire et sur le vu des arrêts 61rendus en 1551 et 1553 par les commissaires des francs-fiefs en sa faveur, des lettres patentes données le 15 septembre décidèrent que ces arrêts
sortiront leur plein et entier effet, et que suivant iceux, ledit du Chemin demeureroit exempt de la contribution desdits francs-fiefs et nouveaux acquêts.
Sur ce intervint, le 29 décembre 1505, l’arrêt définitif du Parlement de Rouen
par lequel sans avoir esgard à la requeste du procureut général du Roy […] et ayant esgard auxdites lettres, ledit du Chemin est déclaré exempt de la contribution ausdits francs-fiefs et nouveaux acquêts, et ordonné que sa taxe de 2 000 livres seroit rayée205.
En 1576 enfin, les deux fils de Lucas, Jean et Nicolas du Chemin obtinrent à leur tour un nouvel arrêt des commissaires des francs-fiefs contenant à leur profit déclaration d’exemption de ces taxes206,
et sont encore vivans aujourd huy (1612) noblement et avec grande réputation de bons gentilshommes entre les meilleures maisons du pays207.
Quant à Denise du Chemin, sœur de Lucas II, elle épousa Nicolas Le Verrier,
sieur de Touille, conseiller assesseur en la vicomté de Vallognes ;
leur fils Guillaume obtint, le 22 juin 1590, sans difficulté apparente, avec le consentement même du procureur général, un arrêt des commissaires des francs-fiefs reconnaissant sa noblesse208.
Les du Chemin étaient co-bénéficiaires avec Robert Le Fournier des lettres patentes d’Henri II ; l’attribution de ce bénéfice à la descendance de Jeanne Le Fournier et de son troisième mari montre bien comment se réalisait l’interprétation extensive de ces lettres comme de celles de Charles VII. D’Étienne Patris (ou Patry), docteur et professeur de droit à l’Université de Caen, conseiller et garde des sceaux du Parlement de Rouen, Jeanne Le Fournier eut donc six enfants ; deux fils morts sans postérité, un troisième, Claude, conseiller au présidial de Caen, dont on ignore s’il en laissa une, et trois filles dont deux, Madeleine et Anne firent souche209. Madeleine Patris épousa Jean Ribaut, seigneur du Mesnil-Saint-Georges210 qui lui donna deux filles, Charlotte et Antoinette. Charlotte et son mari, Thomas de Troismonts, conseiller au présidial de Caen, demandèrent à la Cour des Aides de Rouen, sur le vu d’une déclaration royale rendue en leur faveur le 1er août 1607, le maintien
en possession du privilège de noblesse octroyé à ladicte d’Ay,
du lignage de laquelle Charlotte prétendait descendre211. Le procureur général devait s’informer des lettres patentes de Charles VII anoblissant la Pucelle, 62son père, sa mère, ses frères,
ensemblement tout leur lignage et postérité en ligne masculine et féminine, nais et à naistre,
ainsi que des lettres de confirmation obtenues d’Henri II par Robert Le Fournier et Lucas du Chemin en 1550 et si ces derniers et leurs parents
issus de ladicte race, tant en lingne féminine que masculine, auroient tousjours paisiblement jouy et usé de privilège de noblesse, conformément ausdictes lettres, ainsi que font encor de présent lesdicts impétrants212.
Ici, on le voit, il n’est plus question d’enquête auprès des populations, ou d’avis à demander aux élus, comme un demi-siècle plus tôt : le procureur aura simplement à retrouver les différents actes officiels touchant la noblesse de la famille Le Fournier depuis 1429 et 1550 — ce dont il s’acquittera scrupuleusement en rappelant les démêlés des Le Fournier et du Chemin avec les gens du roi — et la généalogie de Charlotte Ribaut prouvant la jouissance continue du privilège de noblesse chez ses ascendants. Sur ce dernier point, le procureur s’aidant
de plusieurs contracts, actes et escriptures213
remonte jusqu’à Jacques Le Fournier et Marie de Villebresme
yssus de ladicte lignée
(de Jeanne d’Arc) mais ne va pas, et pour cause, plus loin : ce hiatus — dont l’importance nous paraît cependant capitale, puisque son existence empêche d’affirmer de façon certaine l’authenticité de la filiation — ne semble pas autrement émouvoir le représentant du roi ni la Cour des Aides puisque celle-ci confirmera la noblesse de Charlotte Ribaut et de Thomas de Troismonts, le 13 janvier 1608. Tout se passe comme si l’autorité judiciaire admettait tacitement la prescription acquisitive fondée sur une possession paisible d’environ un siècle (ou trois générations) de ce privilège presque uniquement transmis par les femmes, sans percevoir l’illogisme qui consistait à le rattacher à une prétendue filiation Johannique qu’on ne se souciait même pas d’établir214 ! Cet argument de simple bon sens aurait assurément donné plus de poids aux remontrances que la Cour — qui ne désarmait décidément pas — chargeait le procureur général de faire au roi
sur la conséquence desdictes lettres215.
La même remarque s’applique à la descendance d’Anne Patris, épouse de
Robert Garin, sieur du Rez, bourgeois de Rouen :
leur fille Madeleine et son mari, Germain Baillard,
esleu en l’ellection de Neufchastel, [laissaient un fils Charles Baillard], escuier, sieur des Flammetz216.
Alors que ses parents avaient paisiblement joui de leur noblesse sans être même inquiétés par les redoutables commissaires fiscaux du roi, Charles Baillard, par mesure de précaution217, demanda confirmation de sa noblesse à Henri IV. La procédure habituelle fut encore suivie en cette 63affaire, avec une variante, il est vrai. Le 31 juillet 1604, le roi adressa des lettres patentes à la Cour des Aides de Normandie lui demandant de
maintenir ledict exposant en la jouissance dudit tiltre et privillège de noblesse, comme il en a bien et deuement jouy et usé, jouit et use encore à présent218,
ceci à une condition cependant :
s’il vous appert que le dict exposant soit de la race de la dicte Pucelle d’Orléans, qu’à elle et aux siens le privillege de noblesse aye esté donné et confirmé par nos prédécesseurs, que d’icelle luy et ses aultres parents ayent jouy et jouissent encore à présent, que ledict Baillard n’ayt faict acte dérogeant à la dicte noblesse219 ;
les précautions que la Cour avait prises d’elle-même avant l’enregistrement des lettres patentes, sont ici prévues par le roi dans ces lettres mêmes. Par ailleurs, il croit nécessaire de justifier ce privilège exceptionnel en le rattachant — comme l’avait fait Henri II pour Robert Le Fournier — aux mérites éclatants de leur auteur, la Pucelle220,
désirant luy subvenir en cest endroit de conserver surtout les récompenses faictes pour actes si généreulx qui sont ceux de ladicte Jeanne Day, dicte la Pucelle d’Orléans, afin que les couraiges de nos subjects soient d’autant plus animés à bien faire quand l’occasion s’en présentera221 :
c’est la première fois que la valeur d’exemplarité de la geste de Jeanne est ainsi proposée par le roi dans un acte officiel. La généalogie fournie par Charles Baillard ne remonte toujours, bien entendu, qu’à Jacques Le Fournier et Marie de Villebresme réputés
issus de la race de ladicte Jehanne d’Ay,
sans autre justification. La production des lettres de confirmation adressées par Henri II au baron de Tournebu en 1550
pour faire eux et leurs parents yssus du sang de ladite Pucelle d’Orléans jouir des privilèges, exemptions et anoblissements en la forme et ainsi qu’elle est contenue es lettres de chartres du dit roy Charles,
suffit à la Cour des Aides pour confirmer la noblesse de son arrière-petit-neveu le 30 octobre 1604222.
Peu de temps après, le 1er septembre 1606, la Chambre des Comptes reconnaissait la noblesse d’
Yves le Chastellain, escuier sieur de la Foucherie et de Monthardy, descendu de la lignée de la Pucelle […] à cause de dite Catherine Le Fournier, sa mère, fille de deffunct Antoinne Le Fournier, son père, cousin de deffunct Robert le Fournier223.
Ce dernier exemple — auquel on pourrait encore joindre ceux des familles Morin en 1579224 et Marguerie et consorts en 641580225 — montre bien que toute la parenté du baron de Tournebu avait su tirer le meilleur parti de sa géniale initiative.
Le point limite fut cependant atteint sous Henri IV. La multiplication du nombre d’ayants-droit ou de prétendants à la noblesse de Jeanne d’Arc, par la seule filiation féminine — et pas seulement dans la branche issue de Jeanne Le Fournier — en vint, en effet, à émouvoir, malgré sa longanimité, le pouvoir royal qui finit par se rendre aux objurgations de ses gens de finances en revenant à la politique restrictive, un moment adoptée par Henri II. Dès 1598, un édit d’Henri IV abolissait le privilège de noblesse
à l’égard des descendans par femmes sur le fait des anoblissements créés depuis l’an 1578226,
ce qui n’empêcha pas ce roi, nous venons de le voir, d’accorder des dérogations à ce principe. Mais le texte le plus explicite — et apparemment sans recours — est l’édit fiscal de 1614
sur le règlement et retranchement des exempts de taille [destiné à démasquer le] grand nombre de personnes qui s’exemptent induement du payement de nos tailles, sous divers prétextes, à la foule et oppression des autres contribuables227.
Son article 10 ajouté à la demande du procureur général de la Cour des Aides porte, en effet :
Les descendans des frères de la Pucelle d’Orléans, qui vivent à présent noblement, jouiront à l’avenir des privilèges de noblesse, et leur postérité de masle en masle vivant noblement, même ceux qui pour cet effet, ont obtenu nos lettres patentes et arrests de nos couts souveraines, mais ceux qui n’ont vécu et ne vivent à présent noblement, ne jouiront plus à l’avenir d’aucuns privilèges. Les filles et femmes aussi descendues des frères de ladite Pucelle d’Orléans n’annobliront plus leurs maris à l’avenir229.
La postérité masculine des frères de la Pucelle (il n’est pas question des autres collatéraux) paraît donc seule admise au bénéfice de la 65noblesse. Mais, à la vérité, deux prescriptions précises sont imposées obligation de vivre noblement pour les intéressés ; l’impossibilité pour les femmes d’anoblir leurs maris à l’avenir. Autrement dit, tous les privilèges de noblesse reconnus avant 1614 étaient maintenus ainsi que la transmission de la noblesse en ligne féminine aux maris et aux enfants pour les familles qui en jouissaient sous réserve de faits de dérogeance. La portée de l’art. 10 de l’édit de 1614, repris dans les mêmes termes par l’art. 7 d’un nouvel édit de janvier 1634
sur les tailles, l’usurpation des titres de noblesse, etc.230,
paraît plus restreinte qu’on pourrait le croire au premier abord, bien plus en tout cas que celle des lettres d’Henri II en 1556, jamais appliquées il est vrai.
Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par divers arrêts de la Cour des Aides rapportés par La Roque. En 1625, Gilles Hallot, sieur de Martragny, avocat du roi au bailliage de Caen, obtint de jouir du privilège de noblesse avec sa femme et ses enfants, à cause de sa femme, née Charlotte Bourdon, elle-même fille d’Antoinette Ribaut, donc
descendue de la race de la Pucelle231.
Le 31 mai 1656, Jean-François Hallot, fils des précédents, successeur de son père en sa charge et seigneurie, se vit de même confirmer sa noblesse232. Le 12 juin 1640, Robert Le Comte se voyait reconnaître la sienne par la Cour des Aides, comme époux d’Anne de Troismonts, fille de Charlotte Ribaut233. La Roque cite encore, en 1667, un arrêt des commissaires du Conseil assemblés à Paris en exécution d’une déclaration royale du 22 mars 1666 par laquelle étaient maintenus dans la noblesse de la Pucelle comme mariés où descendants de gens mariés avant la déclaration de 1614 : Philippe Baratte, sieur de Vergenettes, de la Fontaine-Halbout, Louis Douësy, sieur de Caumont et Jean Douësy son frère, sieur d’Andaine, de la paroisse de Saint-Loup de Fribois dans l’élection de Falaise234. Et l’auteur du Traité de la Noblesse de conclure :
Il y a encore plusieurs autres Arrêts et Sentences qui déclarent Nobles les parens de la Pucelle, tant ceux qui portoient le nom 66du Lis, que ceux mêmes qui portoient d’autres noms de diverses familles235.
Redisons-le : l’histoire des Le Fournier illustre parfaitement l’intrusion de cette riche bourgeoisie, que Seyssel appelait au début du XVIe siècle le peuple moyen
, dans la noblesse, intrusion particulièrement remarquable en Normandie où elle s’opérait par l’acquisition de fiefs. Mais ce qui singularise cette famille c’est qu’elle avait acquis — le fait fut sans doute exceptionnel — non pas un fief quelconque, mais un fief de dignité, la baronnie de Tournebu, pour lequel il ne paraissait pas possible d’obtenir du roi — même contre finances — un anoblissement. La possession d’état simplement trentenaire de Robert Le Fournier, son genre de vie noble, n’étaient pas de nature à lui assurer une garantie suffisante contre les recherches des receveurs des francs-fiefs. C’est alors que le cas des Le Fournier sort vraiment du commun : la découverte providentielle — trop belle pour être vraie — de la parenté avec la Pucelle d’Orléans qui allait leur permettre non seulement d’authentifier leur noblesse pour le passé en la rattachant à la plus illustre origine, mais encore leur conférer le privilège unique de la transmettre aussi bien par les hommes que par les femmes pour l’avenir, c’est-à-dire que leur race, à défaut de leur nom, loin de s’éteindre rapidement comme pour la plupart des familles nobles — où la transmission se faisait uniquement par les mâles — était au contraire assurée de se répandre et de se perpétuer à l’infini.
Une autre singularité de la famille Le Fournier doit encore être relevée. Ces opulents barons de Tournebu, tout en entrant dans la noblesse féodale, avaient précieusement conservé, malgré leur élévation sociale, leur office de receveur des tailles, ce qui s’explique parfaitement sans doute si l’on admet qu’il constituait le meilleur de leurs revenus. Or, socialement, les officiers de finances n’occupaient pas un niveau très relevé, inférieur en tout cas à celui des officiers de justice : il y avait donc une sorte de distorsion entre le titre éminent de baron de Tournebu, appelé normalement par vocation à la noble profession des armes que les Le Fournier n’embrassent pas, et la fonction beaucoup moins considérée du point de vue social de receveur des tailles, qu’ils conservent jalousement. Mais précisément la chute des barons de Tournebu et la perte de leur office devaient permettre à leur descendance féminine de rétablir le cours normal des choses : la plupart des filles épousent, en effet, des conseillers aux présidiaux (office que tenait déjà Lucas du Chemin), voire à la Cour des Aides ou au Parlement de Normandie. Cette fois la filière normale de l’ascension sociale est rétablie : des officiers de finance on passe aux officiers 67de justice. Mais là encore la noblesse de Jeanne d’Arc va être précieuse : point n’est besoin pour tous ces robins d’acquérir à beaux deniers comptant un office anoblissant : le titre nobiliaire se trouve dans la corbeille de noces de la mariée. Sans aller enfin jusqu’à prétendre que l’initiative de Robert Le Fournier aboutit à relancer l’intérêt que l’on constate dans la seconde moitié du XVIe siècle pour l’illustre fille
, il est permis de penser que son exemple n’est pas étranger aux revendications des Hordal, Haldat et autres du Lys, pour la plupart eux aussi officiers de justice. Et c’est ainsi qu’une dignité acquise par la plus glorieuse épée du royaume devait finalement servir en quelque sorte de matrice à toute une noblesse de robe normande ou lorraine : Charles VII non plus que Jeanne n’avaient certainement prévu cette extraordinaire destinée.
69Chapitre III Le lignage champenois de Jean de Vouthon
[Voir tableau 5 : Généalogie de Jean de Vouthon]
1. Le procès de 1585
Beaucoup plus modestes que celles des Le Fournier apparaissent en comparaison les revendications nobiliaires de la branche de la famille établie en Champagne et issue de Jean de Vouthon, oncle de l’héroïne. À vrai dire, mises à part quelques lignes que lui consacre Charles du Lys236, on ignorerait à peu près tout de l’histoire — et l’existence même — de cette famille, si un hasard providentiel ne nous avait mis en possession d’un document qui l’intéresse au premier chef237. Document précieux car le seul, à notre connaissance, au XVIe siècle, qui se réfère directement aux lettres patentes de 1429 et aux divergences d’interprétation auxquelles elles donnèrent lieu de la part des officiers du roi et des membres du lignage ; le seul également qui touche d’aussi près au problème de la noblesse utérine
posé à la fois par la famille de Jeanne d’Arc et les coutumes de Champagne.
Il s’agit d’un procès intenté devant le présidial de Vitry-le-François par le procureur du roi à un nommé Pierre Pencheron, en vue de le faire condamner au paiement d’un droit de jurée — avec trois années d’arrérages — en raison de sa qualité de bourgeois du roi. C’est précisément cet état que conteste le défendeur et dix de ses parents qui se présentent avec lui solidairement devant le tribunal, en affirmant qu’ils ne doivent pas la jurée puisqu’ils sont
nobles personnes venuz et abstraitctz de noble lignée et génération
de par leur appartenance au lignage de la Pucelle. Après avoir affirmé que c’était uniquement
par la malice de ceux qui avoient prins la ferme de ladicte jurée et bourgeoisie [que] lesdictz commis s’estoient indifféremment et sans distinction d’estat et 70qualité adressez à telles personnes que bon leur auroit semblé pour les contraindre à payer ledict droict, encores que par le moien de leur noblesse ils en fussent exemptz, [ils invoquent] la coustume generalle de Champaigne qui avoit esté jusques icy inviolablement gardée tant en nostre bailliage qu’en toute ladicte province, pour estre noble et joyr des privileges, franchises et immunitez qui estoient attribuez aux nobles, il suffisoit estre issu de père et mère nobles ou de l’un d’eulx de ladicte qualité noble238.
Comme l’avait fait trente cinq ans auparavant Robert Le Fournier, Pierre Pencheron et ses joints
produisent, à l’appui de leur thèse, leur généalogie et les lettres patentes de Charles VII239. Mais, à l’inverse du baron normand qui se contentait d’affirmer — sans preuve et pour cause — sa parenté, ils donnent leur arbre généalogique complet — et exact — depuis leur auteur, Jean de Vouthon, frère d’Isabelle d’Arc et d’Aveline Le Voyseul. Nous sommes ici pour la première fois en cette matière sur un terrain sûr240. Un autre document de 1476 corrobore, en effet, parfaitement, les assertions des plaideurs de 1585 sur le point toujours le plus controversé, celui des premières générations depuis les parents de Jeanne d’Arc ; il nous donne également d’utiles renseignements sur la descendance de Jean de Vouthon241.
Nous apprenons ainsi que l’oncle de la Pucelle, recouvreur de son état, ayant quitté son village natal de Vouthon près Domrémy242, vint se fixer avec sa famille à Sermaize en Champagne243 où il mourut vers 1446, qu’il eut plusieurs enfants, dont Nicolas, chapelain de Jeanne d’Arc, Perrinet, charpentier ainsi que son fils Henri et Mengotte, épouse de Pierre de Perthes. Ces gens de condition modeste ont conservé d’excellents rapports — aux dires de nombreux témoins — avec Pierre et Jean du Lys qui les tiennent et avouent pour leurs parents,
amis charnelz et linagers244,
mais ils n’ont jamais cherché — on n’eut pas manqué de nous le faire savoir — à revendiquer leur noblesse. Par contre, cela paraît bien être le cas de Collot de Perthes, fils de Pierre et de Mengotte. C’est lui, en effet, 71qui provoque l’enquête de 1476 à Faveresse et à Sermaize pour prouver sa généalogie, dont il obtient reconnaissance officielle du prévôt de Vaucouleurs245,
pour luy servir où temps advenir ce que raison donra246 :
formule qui, dans le contexte, ne pouvait avoir d’autre sens que de permettre à l’intéressé de faire valoir ses droits à la noblesse. De fait, le document de 1585 le qualifie d’
escuyer, homme d’armes des ordonnances dudict seigneur soubs la charge du seigneur d’Azillières247,
Collot de Perthes serait donc le premier collatéral de la famille de la Pucelle à revendiquer et à obtenir le bénéfice des lettres d’anoblissement de Charles VII. Incontestablement, la condition sociale des descendants du recouvreur de Sermaize s’est élevée puisque nous voyons la fille de Collot, Marguerite, épouser Claude Marguin,
filz de Collot Marguyn et de damoiselle Margueritte Drouet, seigneur et dame de Lignon en partie qui estoient nobles personnes248.
De leurs fils Simon et Étienne, nous ne savons rien. Par contre, les événements qui, entre 1545 et 1557, marquèrent la ruine de Vitry-en-Perthois et la construction à une lieu de là de la nouvelle ville de Vitry-le-François249, nous font faire connaissance avec la génération suivante, c’est-à-dire les propres parents des défendeurs de notre procès. On les trouve d’abord en 1548 parmi les signataires d’une requête au roi le suppliant de leur donner raison dans un différend qui les opposait à l’occasion de la construction de la nouvelle ville avec la commanderie de la Neufville-au-Temple, seigneur du lieu : Philbert Leglaive, licencié ès lois, Michel Le Besgue, Jean Deschamps, Pierre Braux, Nicolas Marguin, Julien Pencheron dont les qualités ne sont pas précisées250. Quelques années plus tard, en 1557, eut lieu, par le ministère d’Étienne Marchant, toiseur juré, le toisé général des places distribuées aux habitants de Vitry pour la construction de maisons, On y retrouve Philbert Leglaive, lieutenant
et tous les autres qualifiés de marchands et chefs de corporations
: Nicolas Marguin, l’un des deux gouverneurs de la nouvelle ville
, Julien Pencheron, Jean Blanchard, Michel Lebesgue, Pierre Braux251. Le 72procès de 1585 nous apprend enfin que parmi les onze défendeurs, cinq sont officiers du roi,
maistre Julles Cezar Lebesgue, conseiller et advocat du dict seigneur au bailliage et siège présidial dudict Vitry, […] prudent homme maistre Jan Deschamps, lieutenant au siège de la prévosté dudict Victry, […] maistre Estienne Lefebvre, l’un des esleuz en Pélection de Chaalons, […] Jan Blanchart, sergent royal audit bailiiage [et] Pierre Pencheron, sergent royal au bailliage dudict Vectry, [défendeur principal] ;
quatre sont qualifiés de marchands : Estienne Leglayve, Estienne Marguyn Jan Pencheron agissant en leurs noms, et Claude Chevalier agissant, comme tuteur de ses enfants, sa femme Loyse Marguyn étant décédée ; Pierre Braux et Jan Doumenge, enfin, sans profession définie agissant pour leurs épouses, Charlotte Lebesgue et Janne Marguyn.
Les descendants de Collot de Perthes, s’ils n’ont pas suivi la carrière des armes, n’en occupent pas moins dans les offices ou la marchandise
une position sociale qui les range parmi les premiers notables de Vitry-le-François. Peuvent-ils pour autant prétendre à l’appellation et à la qualité de nobles ? Là est évidemment toute la question que le procureur du roi résout par la négative en attaquant directement l’acte d’anoblissement sur lequel ils prenaient appui. Pour la première fois, en effet, de façon aussi nette, nous voyons le représentant de la Couronne s’en prendre, non seulement à l’interprétation extensive de l’anoblissement de 1429, mais à sa validité même. À l’argument des défendeurs soutenant que Charles VII avait anobli avec Jeanne,
tous ceux de sa parenté tant en ligne masculine que féminine, ce qui avoit esté confirmé par les prédécesseurs Roys, mesme par le feu Roy Henry second,
se prévalant par conséquent de la confirmation de noblesse de Robert Le Fournier, le procureur du roi fait les objections suivantes.
En premier lieu, la copie des lettres de 1429, délivrée par la Chambre des Comptes aux requérants, ne l’avait pas été en présence du procureur,
ce qui se debvoit faire pour valloir en ceste présente cause,
et pouvait sous-entendre une suspicion d’authenticité. Mais surtout — doute surprenant dans la bouche d’un représentant royal — cet anoblissement avait été octroyé
du vivant de ladicte Janne pendent le temps de ses vertuz et prouesses, mais les histoires nous monstrent comme sa fin n’avoit couronné le commencement de ses œuvres héroïques, ce qui faisoit doubter sy ledict feu Roy Charles septiesme avoit persévéré en ceste mesme intencion ou s’il y avoit révocation, du moings quelque restrinction ou limitation, soit des lignes où parenté de ladicte Janne, soit du temps, dont le dict demandeur s’entendoit informer plus amplement en la Cour des Aydes, Chambre des Comptes et ailleurs qu’il verroit bon estre.
Ignorant délibérément les 7473lettres confirmatives de 1550, le demandeur repose donc en son entier et dès l’origine le problème de l’anoblissement de Jeanne d’Arc et de sa famille. Pour quelle raison ? Il le précise :
N’estoit vray semblable que ledict previlège en son amplitude eust esté effectué, car s’estoit le tirer à l’infinir y ayant ung nombre admirable d’hommes ès bailliages de Chaulmont, Troyes, Langres et Victry, de ceux qui estoient descenduz des parents susdictz, dont l’on pouroit composer ung petit monde duquel il conviendroit oster les tailles ordinaires du Roy et droict de jurée…
C’est le danger de la multiplication de la noblesse utérine
, dont nous avons pu pressentir que la Cour des Aides le ressentait vers la même époque pour la famille Le Fournier et qui motivera les dispositions restrictives de l’édit de 1614, danger que dénonce ici formellement le procureur du roi au présidial de Vitry. Ce dernier termine enfin son réquisitoire par la référence à deux points de droit qui, selon lui, doivent ruiner les prétentions des défendeurs. L’un touchait leur genre de vie :
et en tous cas tel previlege estoit pour ceux qui portoient les armes pour le service du Roy et vivoient noblement sans s’immiscer en actes de roture comme faisoient et avoient tousjours faict lesdictz deffendeur et joinctz, sans avoir oncques eu ny obtenus sur ce lettres du Roy pour en estre relevez.
Le second invoquait la prescription extinctive par défaut de confirmation royale depuis Charles VII :
pour un poinct péremptoire, tel previlège sy célèbre et précieux s’estoit deu confirmer de Roy en Roy, ce qui n’avoit esté faict, et par ainsy il ne pouvoit et ne debvoit estre effectué sy non à l’égard de ceux qui avoient esté nez du règne dudict feu Roy Charles septiesme… Bref on ne voioit ès prévostez de Vaucouleurs ny aultres lieux de la naissance de ladicte Jehanne la Pucelle que ledict previlege fust effectué, mais de long temps ensepvely et venoient lesdictz deffendeur et joinctz à tard pour le ressuciter […] or leur dicte production ny estoit suffisante, signanlment pour mancquer ès dictes reprinses et confirmations faictes par les principaulx de la ligne et parenté de ladicte Janne successivement et par l’advenue des Roys à la Couronne de France après ledict Roy Charles septiesme252…
Que pouvaient répondre les défendeurs à une si impressionnante et si redoutable argumentation ? Sur le premier point, la délivrance de la copie des lettres de 1429 par la Chambre des Comptes, rien n’imposait, selon eux, la présence de l’autre partie :
ledict extraict signé du greffier de ladicte Chambre, lequel partant comme tiré du trésor publicq des chartres debvoit estre receu et faire plaine foy.
Mais ils s’attachent surtout à réfuter les allégations du procureur touchant la validité du privilège de Charles VII, lequel selon lui, aurait pu être révoqué ou restreint dans ses effets, sous le prétexte que Jeanne n’avait pas continué ses prouesses
et avait même été ignominieusement exécutée
! Ses ayants-droit ont beau jeu de rappeler que
ladicte sentence et exécution n’avoit pas effacé le lustre de 75ses vertuz ny faict restraindre ledict affranchissement [puisque par le procès de réhabilitation] ladicte Jehanne, ses frères et parens (sic) [avaient été] declarez innocens et sans aucune marque d’infamie253.
Il était par ailleurs naturel qu’
une sy belle et sy riche dignité qui n’avoit pas esté acquise par argent ou faveur, mais pour faictz si généreux et heroïques que le mémoire en demeuroit perpétuelle [ne se perde pas, mais se transmette à] la multitude des descendantz de ladicte parenté, car puisqu’il n’y avoit aulcune limitation de nombre de personnes, de temps ou d’années que debvoit durer ledict previlège, mais qu’il estoit général et perpétuel pour toute la postérité de ladicte Janne, ses père, mère, frères et parentz et que ledict previlege estoit favorable, il ne pouvoit et ne debvoit estre restrainct mais plustost ampliffié et eslargy, [que si le dit] previlège eust esté révocqué, restrainct ou aultrement limité et modifié,
c’était au demandeur d’en apporter la preuve. En somme, à la thèse de la prescription, on riposte par celle du droit favorable fondé sur les vertuz et faictz héroïcques
de la Pucelle générateurs de privilèges imprescriptibles.
Restait un dernier argument du procureur, le plus redoutable en apparence : quelles que fussent leurs prétentions à la noblesse, Pierre Pencheron et consorts ne pouvaient aucunement les faire valoir puisqu’ils ne vivaient pas noblement. Or, à notre surprise, cette attaque même ne les prend pas en défaut. D’abord des actes de roture ne pourraient effacer un tel privilège, soutiennent-ils aventureusement254. Ce n’était cependant pas leur argument majeur :
Mais ce procès n’estoit pas intenté pour la franchise des tailles, pour de l’exemption desquelles il convient vivre noblement, mais de droict de jurée duquel les nobles roturiers jouissoient. Ledict demandeur seroit d’accord avec lesdictz deffendeur et joinctz que, en nostre bailliage et prévosté de Victry, se trouvoient deux sortes de nobles, les ungs vivantz noblement, les aultres roturièrement. Il conviendroit aussy que ceulx là qui estoient nobles qui estoient issuz de père ou mère nobles, et suffisoit que le père ou la mère fut noble, posé que l’aultre des conjoinctz fust non noble ou de serve condition et tous telz nobles estoient exemptz dudict droict de bourgeoisie, non de taille toutefois.
Les défendeurs luttant seulement pour l’exemption de la jurée, le demandeur n’était pas fondé à les
renvoier au Roy pour avoir confirmation dudict previlège ou pour estre rehabilitez et relevez des actes de rotures que leur[s] prédécesseurs ou aulcuns d’eulx pouvoient avoir faict. Il leur suffisoit de dire qu il y ayt previlège de noblesse donné à leurs prédécesseurs et qu’ilz en estoient descenduz en ligne masculine ou féminine pour joyr des prérogatives et 76droictz attribuez aux nobles, [se réservant de poursuivre plus tard l’exemption des tailles]255.
2. La noblesse roturière
de Champagne
noblesse roturièrede Champagne
Mais nous sortons ici du cadre des lettres patentes de Charles VII et de leur interprétation, pour entrer dans un autre domaine, celui de l’application des coutumes, et nommément de celle de Vitry-le-François de laquelle relèvent les défendeurs. Que convient-il de penser de leur assertion, apparemment singulière, selon laquelle il existe dans cette coutume deux catégories de nobles, les uns vivant noblement les autres vivant roturièrement, les seconds étant naturellement placés dans une situation inférieure par rapport aux premiers ? Qui étaient donc ces nobles roturiers
auxquels les représentants champenois de la famille de Jeanne d’Arc affirmaient se rattacher ? Ce sont en fait deux problèmes, intimement liés, qui se trouvent ici posés : celui de la noblesse féminine — ou utérine
— de Champagne et celui de la noblesse roturière
.
Le premier est bien connu ; tout au moins a-t-il donné lieu depuis longtemps à de nombreuses études et controverses confrontant partisans et adversaires de la noblesse utérine256. Résumons-en les données principales. Au début du XVIe siècle, lors de la rédaction des coutumes des différents bailliages de la province de Champagne, plusieurs articles furent introduits contenant, sous des formulations diverses, le principe selon lequel il
suffit que le père ou la mère soit noble, posé que l’autre desdits conjoints soit non noble ou de serve condition257.
C’était la transcription d’une jurisprudence constante des tribunaux de bailliage champenois reconnaissant aux XIVe et XVe siècles la noblesse par les mères258 sans qu’il 77soit possible de connaître l’origine de ce privilège259. Cependant les commissaires du roi chargés de la publication, soutenus par les nobles de père s’étonnèrent de ces articles contraires à la loy et raison escrite
, mais la majorité des praticiens fut de l’avis contraire260. Il fut décidé de renvoyer le différend au Parlement, mais qu’en en attendant
ledit article demoureroit en telle usance et coustume comme elle a esté, et qu’on en a usé le temps passé261 ;
la Cour ne se prononça jamais.
L’intérêt pratique de la question résidait en réalité, moins dans la reconnaissance de la noblesse maternelle que dans les conséquences qu’on lui attribuait. On a maintes fois cité le texte de Beaumanoir qui, tout en rejetant la possibilité pour l’enfant né d’une mère noble et d’un père roturier d’accéder à la chevalerie,
ne pourquant li enfant ne perdent pas lestat de gentillece du tout, ainçois sont demené comme gentil home du fet de lor cors, et pueent bien tenir fief, laquele chose li vilain ne pueent pas tenir262.
La coutume de Beauvaisis admettait donc l’existence de deux sortes de nobles : ceux qui tiennent la noblesse de leur père et qui peuvent accéder à la chevalerie : ceux qui la tiennent de leur mère, de condition inférieure puisqu’ils ne peuvent pas être armés chevaliers mais jouissant par ailleurs des mêmes privilèges que les premiers, notamment l’acquisition des fiefs pas encore dissociée de la condition noble263. Les quelques décisions de justice prises en Champagne aux XIVe et XVe siècles dont nous avons pu avoir connaissance ne permettent pas — en dehors de l’exemption d’impôts — de mieux préciser le véritable statut de cette noblesse maternelle et si elle correspondait à celle décrite par Beaumanoir264. La publication des coutumes de Meaux, Vitry, Chaumont et 78Troyes en 1509 ne contient pas davantage de renseignements. Mais, cette même année 1509, la coutume d’Artois (province qui n’appartient pas alors à la Couronne mais qui admet aussi la noblesse maternelle) porte une restriction importante dans son art. 141 (198 de la nouvelle Coutume de 1544) :
Item que une Personne Noble de Mère seulement, est Franc dudict Nouvel Acquest, aussi avant que une Personne Noble, de par Père : en fachon qu’on dit que la mère Anoblist l’Enfant. Mais en matière d’Impositions et d’Aides, convient estre Noble de par Père265.
Les gens du roi s’inspireront-ils de cet exemple ? Toujours est-il que, lorsqu’en 1555 sera publiée la coutume réformée de Chalons, les commissaires qui s’étaient fait entre temps une religion, imposèrent leur interprétation apportant une limitation capitale aux effets de la noblesse utérine. Si l’art. 1 stipule, en effet, que
toutes personnes issues de père et de mère nobles et nées en loyal mariage sont réputées nobles,
l’art. 2 porte que
le ventre affranchist et annoblist, pour jouyr du bénéfice que la Coustume octroye aux Nobles seulement et non en ce qui concerne les droits du roy266.
Il existe donc bien deux catégories de nobles : les nobles paternels qui jouissent de tous les privilèges de noblesse — depuis la chevalerie jusqu’à l’exemption des tailles et impositions royales en général — et les nobles maternels, de condition inférieure, puisque soumis aux droits du Roy
, ils n’ont que ceux que la Coustume octroye
. L’art. 3 de la même coutume de Chalons précise que les enfants nés de mère noble sont exemptés des droits de
thonneux, grand et petit guet, de prevost et forage267.
De semblables dispositions seront dès lors appliquées par le Parlement et la Cour des Aides aux autres coutumes de Champagne, marquant ainsi un complet revirement sur la jurisprudence du siècle précédent268. En 1661, dans les moyens de défense [des] nobles 79du costé maternel
de Champagne, il sera précisé que
ces prérogatives consistent à pouvoir acquérir et tenir Fief, les partager noblement, prendre la garde noble des enfans par le survivant des pere et mere, sortir de garde de douze à quatorze ans, emporter les meubles par le survivant de deux conjoints sans enfans, estre exempt du droit de Jurée et Justiciable en première instance des Baillis et Sénéchaux269 ;
inutile de préciser qu’il s’agit là d’un point de vue optimum présenté par les intéressés mais qui ne liait évidemment pas les autorités. Tout ceci revient à dire que l’on rencontre côte à côte en Champagne au XVIe siècle des privilégiés que l’on pourrait qualifier nobles royaux
, c’est-à-dire jouissant de la totalité des privilèges octroyés où reconnus par le roi à la noblesse et des nobles coutumiers270
n’ayant droit qu’aux privilèges de droit privé accordés par la coutume et que le roi tolère271.
Parmi les droits dont les nobles de mère revendiquaient l’exemption figurait la jurée, qui fait précisément l’objet du procès de 1585 et que les membres champenois du lignage de la Pucelle refusent de payer en alléguant leur qualité de nobles roturiers
. Cette question de la jurée nous conduit à examiner un second problème — connexe au premier — que pose la noblesse de Champagne et que les historiens modernes ont assez curieusement passé sous silence bien qu’il nous paraisse aussi important que celui de la noblesse utérine : celui des nobles vivant marchandement ou roturièrement272
. L’expression se trouve dans plusieurs coutumes 80rédigées — Troyes, Chalons, Chaumont, Vitry — opposée à celle des nobles vivans noblement273
; par contre, on ne la rencontre pas dans celles de Meaux et de Sens. Quelle est donc cette catégorie sociale dont l’existence même — surtout dans le vocable utilisé par les défendeurs du procès de 1585, nobles roturiers
— a bien de quoi choquer notre entendement ? Sans nous flatter d’apporter une réponse définitive, qui demanderait des recherches plus approfondies dépassant le cadre de cette étude, essayons de poser quelques jalons.
Quel lien peut-on, en premier lieu, établir entre la noblesse utérine et la noblesse vivant roturièrement ? La seconde paraît d’abord d’application moins générale que la première, seules quatre coutumes la mentionnant. Dans ces coutumes, la liaison n’est pas établie de manière formelle, en ce sens que nulle part il n’est dit que tous les nobles vivant roturièrement sont nécessairement aussi des nobles de mère274 : elle n’en existe pas moins dans l’esprit des intéressés. Nous l’avons vu dans le procès de 1585 ; nous voyons de même les nobles maternels — dans leurs moyens de défense en 1661 — citer à la suite l’art. 1er de la coutume de Troyes qui pose le principe de la noblesse utérine et les art. 11 et 16 qui touchent uniquement les nobles vivant roturièrement275. Plus loin ils précisent que
[la coutume] de Troyes a admis cette noblesse maternelle avec telle extension, que dans les articles onze et seize, elle en communique les droits et prérogatives aux Nobles vivans marchandement et roturièrement, [et citent quelques] Sentences et Arrests qui sont intervenus sur la contestation des prérogatives et droits que ladite Coustume établit en faveur des Nobles du côté maternel, même à l’égard de ceux qui ne vivent noblement, mais marchandement et roturièrement276.
Ces droits et prérogatives
étant apparemment les mêmes pour les deux catégories de nobles, limités aux privilèges coutumiers et excluant les droits du roi, rien ne devait différencier leur statut, en sorte que les nobles maternels n’avaient pas plus d’avantages à vivre noblement que roturièrement277. On peut 81donc poser l’assimilation de noble personne vivant noblement
à noble de père et noble personne vivant roturièrement
à noble de mère.
Mais d’où peut bien provenir cette singularité de quelques coutumes champenoises, plus extraordinaire encore que la noblesse utérine, puisqu’elle contredit formellement l’obligation générale de vivre noblement
et que si la noblesse de mère à pu se rencontrer dans plusieurs provinces (Barrois, Artois, Bourgogne), la Champagne seule semble bien avoir connu la noblesse roturière
?
Dumoulin — ce Pic de la Mirandole de la science juridique — a proposé le premier une explication (sur l’art. 16 de la coutume de Troyes), à la vérité peu convaincante : cette coutume, selon lui, n’est pas aussi absurde qu’il peut paraître car elle permet aux puînés, contraints par la pauvreté, d’exercer l’état de marchandise jusqu’à ce qu’une meilleure fortune leur permette de vivre noblement278. S’il en était ainsi, pourquoi cet avantage ne serait-il pas plus généralement répandu et que deviennent dans cette hypothèse les nobles de mère ?
C’est dans une autre direction que les recherches doivent être entreprises. Nous y sommes conduits par une remarque faite par les moyens de défense des nobles maternels
de 1661 déjà citée :
afin de ne rien obmettre de ce qui est particulier à la ville de Troyes, Capitale de la province de Champagne, dans les deux sortes de Nobles qu’elle reconnoist, nous pouvons dire sans passion pour nostre Patrie, que la raison de la compatibilité de la Noblesse et de la Marchandise dans la coustume de Troyes, procède de ce que cette capitale du Comté de Champagne a esté dans les derniers siècles l’une des plus florissantes et plus recommandables du royaume pour le négoce, par l’établissement et le siège des Foires de Champagne et de Brie […] Et cette compatibilité a procuré aux habitans de Troyes un tel avantage, par le concours et l’affluence des negocians de tous les pays étrangers, que par 82leurs facultez, ils ont contracté les plus belles alliances de la Robe, et acquis à leur postérité les premières charges des cours souveraines et de la Province279.
Bien que l’on puisse discuter le rôle effectif joué dans cette affaire par les foires de Champagne, au moins pour une époque récente, on doit reconnaître que des historiens modernes ont effectivement constaté cette compatibilité de la Noblesse et de la Marchandise
dans la ville de Troyes au XVIe siècle, sans chercher d’ailleurs à l’expliquer.
A Troyes […] les membres des familles Hennequin, Molé, Lestrigny, Dorigny, tailleurs, teinturiers, orfèvres, sont des gens de haute importance. D’abord par leurs biens fonciers […] Leurs inventaires dénotent de grandes fortunes […] Aussi ne voit-on qu’eux dans les hautes charges des corporations ou de la municipalité. Ils sont qualifiés de nobles hommes, honorables personnes. Bien plus ils acquièrent la noblesse proprement dite sans renoncer à l’exercice de leurs métiers, car certains portent le titre d’écuyers. Beaucoup de membres de ces familles entrent dans les offices financiers où judiciaires […] où bien dans l’Église280.
Somme toute, non seulement le commerce n’aurait pas gêné l’acquisition de la noblesse par les Troyens qui le pratiquaient mais encore, par la fortune qu’il leur apportait, il aurait été véritablement à l’origine de cette noblesse pour laquelle la dérogeance n’existait pas !
Or, l’un des privilèges de cette prétendue noblesse qui menait une vie roturière, c’était, nous le savons, de ne pas payer la jurée que devaient les bourgeois et affirmer ainsi son droit de se distinguer juridiquement aussi bien que socialement de ces derniers. Mais qu’était au juste la jurée à l’origine ? C’est le comte Thibaut IV qui, en 1220, octroyant la charte de la commune de Troyes, créait cette nouvelle redevance portant sur les biens meubles et immeubles et appelée à remplacer les anciennes tailles ; les redevables étant
tous ceux qui me payaient autrefois des tailles et […] tous les hommes et les femmes qui viendront du dehors résider dans la communauté de Troyes281.
Une charte identique était octroyée la même année à Vitry-en-Perthois282. Dans son principe, la jurée était un impôt de quotité proportionnel au capital (un quarantième du capital 83mobilier, un cent-vingtième du capital immobilier)283. En fait il semble bien que, dès l’origine, dans ce comté où la condition servile était si répandue, mais où précisément les affranchissements commencent à se répandre, la jurée représente pour le nouvel affranchi le prix d’acquisition de sa liberté, comme le dit Étienne Pasquier, qui consacre un chapitre de ses Recherches de la France au droit de jurée :
vray que voulant estre justiciable immediat du Comte, il estoit requis outre le domicile, qu’il luy payast certaine redevance par chacun an, qui estoit appellé Droict de Jurée, pour l’honneur qu’il recevoit sortant fraischement d’une servitude, d’estre mis au rang de ceux qui estoient anciens Bourgeois284.
Mais ceux-ci, les anciens bourgeois
ont-ils payé la jurée ? Bien qu’ils y fussent assujettis par la charte de 1230, le fait qu’elle soit payée par les serfs affranchis leur parut comme une intolérable marque de servitude. Ils chercheront donc à s’en libérer, comme à Château-Thierry en 1301 :
Nos hommes de la ville et châtellenie de Château-Thierry nous ont supplié de consentir à les libérer de la jurée et de quelques autres conditions serviles […] ils seront francs de jurée, formariage, de tout service et redevance285.
Dans certaines villes, comme Provins et Château-Thierry,
l’administration et le haut commerce offrirent… en échange de la jurée, des droits énormes sur les marchandises286.
Ailleurs, comme à Troyes et à Vitry, la jurée se maintint, mais dès le XIVe siècle, lorsque la Champagne fut incorporée au domaine de la Couronne287, nous constatons que de nombreux contribuables revendiquent et obtiennent généralement le privilège d’en être exempts : des jugements rendus au XIVe au XVIe siècle par les baillis de Troyes et de Vitry l’attestent formellement288.
On conçoit fort bien que les riches marchands qui constituaient le patriciat des villes de Champagne aient répugné à être mis sur le même plan que d’anciens serfs qui, du fait de leur affranchissement, pourraient prétendre être leurs égaux. Mais dès lors, avec l’assentiment des juges 84royaux, une distinction nouvelle allait s’établir dans les rangs de la bourgeoisie champenoise : d’un côté, les anciens, véritables francs bourgeois, ou bourgeois du roi ; de l’autre, les nouveaux, bourgeois de seconde zone, toujours marqués de leur ancienne macule que symbolisait le paiement de la jurée. Remarquons qu’au XIVe siècle au moins, les exempts de jurée sont qualifiés de francs bourgeois et non de nobles : un acte de 1337 rapporté par La Roque nous en apporte une preuve indiscutable289. C’est le même auteur pourtant qui nous parle de la bourgeoisie noble de Champagne290
.
Car c’est bien là que réside la clef du problème : ces bourgeois affranchis de la jurée ont voulu se distinguer de façon plus nette encore des bourgeois qui continuaient à la payer, en se faisant reconnaître la condition de nobles. Quand cela eut-il lieu ? Le premier cas que nous puissions citer ne remonte qu’au milieu du XVe siècle, mais une enquête plus poussée pourrait sans doute permettre de mieux préciser ce point. Le moyen utilisé au départ ? La noblesse utérine, tout simplement. L’exemple des monnayers troyens, étudié par A. de Barthélemy, est particulièrement significatif à cet égard :
les monnayers troyens […] jouissaient en Champagne du privilège de ne pas payer la jurée, impôt sur la propriété, que devaient au roi les franches personnes appelées bourgeois du roi. Se trouvant ainsi affranchis d’une charge roturière, les monnayers se considéraient comme presque nobles, ou au moins comme supérieurs aux bourgeois. Si on remarque que leurs privilèges se transmettaient par les femmes, on reconnaîtra sans peine […] que leurs prétentions donnèrent naissance à la pseudo-noblesse maternelle291.
Sans prendre parti sur le rôle qu’aurait joué cette corporation dans l’invention
de la noblesse utérine, on constate que c’est en arguant de la noblesse de sa mère qu’en 1449 Nicolas de Marisy, fils d’un père roturier, refusa de payer la jurée et se vit reconnaître par le lieutenant du bailli de Troyes cette exemption en sa qualité de noble292. En 1489, à 85Vitry, il en va de même pour Pierre Marguin, noble par sa mère, Marguerite Drouet, et qui se trouve être l’arrière-grand-oncle des défendeurs du procès de 1585293. À vrai dire nous ignorons, le genre de vie ou les occupations nobles ou roturières, des deux bénéficiaires : il reste que l’exemption de jurée, appuyée sur une noblesse maternelle, vaut reconnaissance de noblesse et non plus de bourgeoisie.
Mais le cas le plus intéressant et le plus instructif à tous égards se présente à Troyes en 1502. Une certaine Jennnette Boyau, poursuivie pour payer la jurée comme franche bourgeoise du roi, fit valoir en contredit par la voix de son mari, Pierre Royer, notaire royal, la noblesse qu’elle tenait de sa mère et sa prétention fut également reconnue :
Jeannette était fille de Jean Boyau, marchand drapier, et de Claudine Largentier, et noble par celle-ci. En effet Claudine était fille de Jean Largentier, marchand drapier et teinturier, noble par son père, Jean Largentier, descendant par les femmes des hoirs Musnier294.
On voit donc bien ici que l’exercice de la marchandise
ne nuisait nullement à une noblesse d’origine maternelle. Mais l’origine même de cette prétendue noblesse n’est pas moins révélatrice. On a depuis longtemps démontré que c’est sur l’interprétation abusive d’un texte de 1175 qu’elle repose : il s’agissait en fait d’un simple affranchissement de deux serfs par le comte de Champagne que l’on a transformé — au prix d’une absurde légende — en véritable anoblissement295 ! Ainsi, écrit La Roque,
ès Etats des Comtes de Champagne étant plus que les autres remplis de sers, ils se faisoient affranchir, ou par 86finance ou par faveur ou autrement. Ces sortes d’affranchissements, disent ceux qui combattent le privilège de Gérard de Langres (hoirs Musnier) ont donné lieu à l’induction de sa Noblesse et de celle des familles qui en descendent en ligne féminine. Ils ajoutent que […] le privilège se réduit à la manumission et affranchissement, où à l’exemption de la jurée, et de toute autre subvention, exaction, imposition, taille, redevance et servitude296.
On en vient donc à faire reconnaître, par ces nouvelles usurpations, la noblesse, non seulement d’anciens bourgeois par l’exemption de la jurée, mais encore d’affranchis qui, par leur seul acte d’affranchissement, transmettent la noblesse à leurs descendants. On comprend dès lors que cette confusion totale ait pu, du même coup, favoriser le développement de la noblesse utérine en Champagne, où
le ventre affranchist et annoblist297.
On constate aussi
qu’avec la jurisprudence des lieutenants du bailli de Troyes (et de Vitry) il fallait qu’un bourgeois fût bien maladroit pour ne pas être gentille personne et se dispenser de payer au roi son droit de jurée298.
De fait, au XVIe et même au XVIIe siècle, on voit les exemptions de jurée se multiplier, équivalant ipso facto à des reconnaissances de noblesse.
Et dans la coutume de Vitry, par Arrêt du 9 Aoust 1535, après enqueste par turbes, les Nobles vivans roturièrement au lieu de Sommesou, ont esté declarez exempts de payer la taille appellée Jurée au Seigneur du dit lieu299.
On arrive parfois à la constatation singulière qu’une localité contient plus de nobles que de bourgeois :
Et quelques-fois aussi l’on a pris des genealogies de franches personnes, appellées Nobles, pour des Titres de Noblesse, quoy que les familles fussent roturières actuellement. J’ay veu un Rolle des habitants de Mutigny, que l’on avoit appellez pour le payement des droits de Bourgeoisie au Roy, en 1618. Et voicy les termes des conclusions. Pour faire par chacun desdits habitans declaration de leur Noblesse et franchise, ou bien payer chacun par an les droits de Bourgeoisie. Entre tous lesquels, au nombre de cinquante et un, il n’y en avoit que 87trois Bourgeois de Roy, trois défaillans, et tous les autres qualifiez Nobles. En 1582, des particuliers de Pringy, assignez pour payer le droit de jurée, en sont envoyez quittes et absous à cause de leur Noblesse ; et je connois tous les descendans de ces gens là, qui sont simples Laboureurs et Manouvriers300.
On en arrive ainsi à une véritable incohérence dans la classification sociale et juridique des personnes dans la province de Champagne. Une preuve supplémentaire — s’il en était besoin — nous est apportée par notre document de 1585 : il y est, en effet, question d’un noble homme Pierre Braux, bourgeois de Chaalons
, époux de Charlotte Lebesgue et pour cette raison partie au procès. On pourrait penser a priori que cette appellation recouvre un noble roturier
, comme l’étaient ses joints
. Or, nous avons la preuve formelle que Pierre Braux était un véritable noble de père, l’anoblissement de sa famille datant de 1366 s’étant toujours transmis par les pères ; une sentence de 1556 avait encore confirmé sa noblesse ainsi que celle de ses frères et sœur301. Pourquoi est-il donc qualifié bourgeois de Chalons
et accepte-t-il cette qualification ?
Cette mise au point était, croyons-nous, nécessaire pour permettre de mieux comprendre la prise de position de Pierre Pencheron et consorts dans le procès qui leur est intenté en 1585 et les limites de leurs prétentions. Comment admettraient-ils de se voir imposer à la jurée dont étaient exempts nombre de leurs concitoyens qui occupaient une position sociale sans doute inférieure à la leur ? On peut même penser qu’une solidarité lignagère
supérieure aux préjugés opposant nobles de père et nobles de mère a dû jouer puisque l’on voit des représentants des premiers — comme Pierre Braux — qui n’avaient personnellement rien à gagner ou à perdre en l’affaire, se joindre aux seconds devant la justice. Cependant, au point de départ, ils ne fondent pas leurs prétentions sur les privilèges coutumiers des nobles vivant roturièrement — voire sur un ancien affranchissement — mais sur un titre autrement prestigieux, l’anoblissement royal de Jeanne d’Arc et de tout son lignage, la coutume générale de Champagne venant opportunément ruiner l’opposition faite naguère aux Le Fournier de Normandie sur l’impossibilité de la transmission féminine de la noblesse.
88Par la déduction de ladicte généalogie apparoissoit que lesdictz deffendeur et joinctz estoient nobles personnes nez et issuz de noble lignée, telz tenuz et reputez au pays de Perthois par ceux qui avoient connoissance d’eux et de leur parenté302.
Mais s’ils avaient pu imposer leur point de vue au tribunal, cela eût entraîné en bonne logique la reconnaissance pleine et entière des privilèges afférant à la noblesse de race aux termes mêmes des lettres patentes de 1429. Il n’en est évidemment pas question pour eux car, depuis leur trisaïeul, Collot de Perthes, aucun n’a suivi la carrière militaire mais bien au contraire, pour la plupart, des professions dérogeantes. Le procureur du roi a donc beau jeu de leur rétorquer que
tel privilège estoit pour ceux qui portoient les armes pour le service du Roy et vivoient noblement sans s’immisser en actes de roture comme faisoient et avoient tousjours faict lesdictz deffendeur et joinctz303.
Sans doute auraient-ils pu obtenir du roi des lettres de relief de leur dérogeance : à quoi leur eussent-elles servi puisqu’ils ne pouvaient évidemment envisager d’abandonner leurs professions pour vivre noblement ?
C’est pourquoi, dans leur duplique, Pierre Pencheron et consorts, après avoir livré un baroud d’honneur
en défendant la mémoire de leur illustre parente et son privilège de noblesse, pour masquer leur défaite, se rabattent-ils in fine sur leur dernière position de repli, la noblesse roturière
. Ils la savaient inattaquable, puisque même si le procureur du roi affectait de l’ignorer304, une jurisprudence locale constante la reconnaissait. Mais du coup leurs prétentions se trouvaient ramenées à d’étroites limites : se reconnaissant redevables de la taille, ils ne luttaient que pour l’exemption du droit de jurée305. Privilège fiscal bien mince, puisque la jurée, devenue abonnée, ne montait pour Pierre Pencheron qu’à deux solz six deniers tournois306
: à lui seul il ne justifiait certes pas un tel procès dont les épices seules montaient à six écus307. À la vérité, le procureur avait bien vu que la reconnaissance de leur noblesse
estoit leur vraye et principalle intention audict procès et la seulle fin à laquelle ilz avoient produit308,
mais cette noblesse même ne pouvait être par la force des choses que celle de qualité inférieure, utérine ou roturière. Des nobles roturiers
donc, incapables de s’élever au-dessus de leur condition, faute de pouvoir passer l’infranchissable barrière du genre de vie, mais qui avaient cru donner sans doute un lustre supplémentaire à leur famille 89en revendiquant la glorieuse parenté de la Pucelle d’Orléans309 : tels nous apparaissent en 1585 les descendants de Jean de Vouthon.
Si l’on veut toutefois apprécier la vanité d’une telle attitude, on se rappellera que les nobles roturiers
de Champagne, et tout particulièrement ceux de Vitry, ne se distinguaient — hormis la jurée devenue droit recognitif de bourgeoisie — à peu près en rien de cette classe bourgeoise à laquelle, malgré eux, ils appartenaient socialement. Non seulement ils payent la taille et les francs-fiefs mais encore n’ont-ils pas la plupart des privilèges personnels des nobles : si la coutume de Vitry leur attribue les mêmes taux d’amendes qu’aux nobles vivant noblement (ce que conteste d’ailleurs le commentateur de la coutume310), par contre elle les rend justiciables du prévôt et non du bailli311. Que l’on mette en regard les privilèges reconnus aux bourgeois des bonnes villes, exempts de tailles et de francs-fiefs, de ban et arrière-ban, bénéficiant d’avantages juridictionnels, sans parler de la garde bourgeoise parisienne312 : on conviendra que le statut juridique des nobles vivant roturièrement de Champagne leur était bien inférieur ! Envisagé sous cet aspect, le gain de leur procès par Pierre Pencheron et ses joints
qui se voient déclarés par le présidial de Vitry
francs, quictes et exemptz pour et cause de leur noblesse313,
nous paraît s’apparenter aux victoires à la Pyrrhus. Paradoxalement, en effet, la coutume champenoise qui reconnaissait la noblesse maternelle et roturière les empêchait d’accéder à la vraie noblesse qu’avaient conquis les Le Fournier de Normandie où une telle coutume n’avait pas cours.
90En 1666, M. de Caumartin, intendant de Champagne reçut commission
pour la recherche des usurpateurs du Tiltre de Noblesse, […] de séparer les veritables Nobles, d’avec ceux qui ne l’étoient pas, [de distinguer] ce qui est l’ouvrage de la Majesté du Prince ou de la vertu des sujets, d’avec ce qui n’est que l’ouvrage de l’ambition et de l’imposture [et pour cela d’établir] un catalogue des veritables Gentilshommes314.
Ce catalogue
, précédé d’un procès-verbal, fut imprimé à Chalons en 1673, sous le titre de Recherche de la noblesse de Champagne315. Or, parmi les familles parties au procès de 1585, une seule figure sur ce nobiliaire, mais nous savons qu’elle était de noblesse paternelle, la famille Braux316 : aucune autre n’a évidemment été jugée digne d’être retenue.
91Conclusion
Un paysan du Barrois qui s’efforce à singer la noblesse (Thibaut Lassois), un baron normand qui a très probablement falsifié les origines de la sienne (Robert le Fournier), un authentique noble champenois qui se laisse qualifier de bourgeois (Pierre Braux) : tels sont — entre autres — quelques exemples des singularités auxquelles nous convie l’examen au XVIe siècle des lettres patentes qui, au siècle précédent, avaient créé la noblesse de Jeanne d’Arc et de sa famille. La plus étonnante diversité qui puisse s’imaginer au départ d’un seul et même acte puisqu’on l’invoque pour justifier aussi bien un titre de haute noblesse qu’une noblesse de robe, voire une simple noblesse roturière
.
Il s’agit donc bien d’un acte extraordinaire, plus encore que par son contenu, par les conséquences qui en furent tirées. Ce caractère exceptionnel vient en premier lieu de la geste héroïque — sans précédent dans notre histoire — accomplie par celle qui avait mérité de son roi une aussi éclatante récompense. À maintes reprises ce souvenir est expressément rappelé : par Henri II en 1550, par Henri IV en 1604 (pour Charles Baillard) par Louis XIII en 1612 (pour Charles et Luc du Lys), comme par les Champenois de 1585 (et en sens contraire par le procureur du roi). Le fait surprenant est qu’il ait fallu attendre cent vingt ans, à savoir l’entreprise du baron de Tournebu en 1550, pour que les lettres patentes de 1429 sortent leur plein effet et pour que, du même coup peut-être, le souvenir de la Pucelle retrouve une audience nationale.
Le plein effet des lettres de Charles VII : le mot trouve ici tout son sens, puisqu’il s’agit de rien moins que de la reconnaissance d’une noblesse maternelle, c’est-à-dire exorbitante du droit commun. La transmission de la noblesse par les femmes, voilà sans doute le dénominateur commun à toutes ces familles, qu’elles soient barroises où lorraines, normandes ou champenoises qui, à tort ou à bon droit, se réclament de la filiation de la Pucelle, comme si ce privilège unique trouvait toujours la justification de sa perpétuité dans les vertus et faicts heroicques
de son auteur et se transmettait de plein droit à tous ceux dans les veines desquels coulait le même précieux sang. Nous pouvons affirmer enfin sans craindre de démenti que la transmission de la noblesse par les femmes dans la famille de Jeanne d’Arc fut — au XVIe siècle au moins — la seule reconnue dans 92tout le royaume puisque la prétendue noblesse utérine de Champagne n’en était pas véritablement une317.
Mais le caractère exceptionnel de cet anoblissement, son extension géographique à des familles d’origine et de rang social bien différents, les problèmes d’ordres très divers aussi qu’il a soulevés, tout cela permet peut-être de repenser certaines questions que posent l’anoblissement et la noblesse en général au XVIe siècle. Trois aspects de celles-ci, le juridique, le politique et le social doivent donc être mis successivement en lumière.
Les deux premiers, juridique et politique, sont assez étroitement liés et l’un comme l’autre caractérisés par l’imprécision et l’indécision. Certes toute une procédure est prévue pour la reconnaissance et la vérification de la noblesse alléguée par un impétrant. Mais combien incertaine est cette procédure malgré les précautions prises et que d’abus elle peut recouvrir !
Deux conditions essentielles sont exigées par les Chambres d’enregistrement (Chambre des Comptes ou Cour des Aides) dans les enquêtes qu’elles ordonnent avant l’entérinement d’un titre de noblesse : la preuve généalogique et le genre de vie noble. Sur le premier point, la plus grande incertitude règne, nous n’avons eu que trop d’occasions de le constater. Cela tient principalement à l’absence de preuves scripturaires certaines en la matière : la tenue de registres de baptêmes n’a été rendue obligatoire qu’en 1539 par l’ordonnance de Villers-Cotterêts318, celle des registres de mariage et de décès qu’en 1579 par l’ordonnance de Blois319. Il s’ensuit que, mis à part quelques rares actes notariés (contrats de mariage, partages, testaments), l’établissement d’une généalogie se fait essentiellement à partir de la tradition orale, c’est-à-dire des témoignages de ceux qui ont recueilli cette tradition. Nous avons pu voir d’un peu plus près la valeur de ces témoignages et de la tradition qu’ils prétendaient rapporter, l’incertitude croissant évidemment avec l’écart des temps. Comment s’étonner notamment que maintes personnes aient pu de bonne foi se dire descendantes de Pierre du Lys auquel la tradition attribue plusieurs filles 93qu’il n’a jamais eues, tant il est vrai que l’homme est tout disposé à croire ce qu’il souhaite ? Et que penser lorsque se produisent des interventions intéressées, comme celle de Jean Hordal auprès de Charles du Lys, ou des manœuvres qui ressemblent fort à des subornations de témoins comme celles de Lucas du Chemin auprès des habitants de Vaucouleurs et de Domrémy ? La commune renommée
se traduisant par des oublis, des déformations conscientes où non de la vérité : est-ce le cas de dire qu’error communis facit jus [l’erreur commune fait droit] ? On serait tenté de le croire puisque la Chambre des Comptes comme la Cour des Aides entérinent toujours les résultats des enquêtes menées localement. Il est vrai que la prescription arrange bien des choses, au bout de deux où trois générations le vice originaire se trouvant effacé.
La deuxième condition, vivre noblement, ne suscite pas, apparemment du moins, les mêmes difficultés. Il s’agit là, en effet, d’un fait actuel, aisément constatable et pour lequel les témoignages recueillis par les enquêteurs seront naturellement pour bien des raisons, dont la moindre n’est certes pas l’intérêt des déposants, beaucoup plus véridiques.
Cependant il convient de remarquer que, dans le cas particulier de la famille de Jeanne d’Arc, un autre problème juridique se posait : quelle était la valeur du privilège revendiqué par un ayant-cause, privilège contenu dans des lettres d’anoblissement, théoriquement héréditaire, mais dont plusieurs générations avaient négligé de faire valoir les droits qu’il leur attribuait ? Nous avons pu, à vrai dire, constater que seul le procureur du roi auprès du présidial de Vitry-le-François avait, en 1585, posé clairement le problème qu’il résolvait d’ailleurs par la négative : pour lui c’est la prescription — mais cette fois extinctive — qui jouait, faute de confirmation de l’acte de Charles VII, à chaque changement de règne. Cette thèse du dépérissement du privilège par défaut de renouvellement n’est pas retenue par le tribunal et nulle part ailleurs nous ne l’avons vu exposer, ce qui, du reste, dans l’état lacunaire de notre documentation, ne saurait constituer une preuve. Pas davantage n’avons-nous rencontré la théorie adverse, dite de reprise de noblesse
par d’Hozier qui l’applique à l’anoblissement des Haldat par le duc de Lorraine et qui consisterait dans la récupération, par la faveur du prince, d’un privilège perdu320. Le terme couramment usité est, à vrai dire, celui de confirmation (équivalent de maintenue) de noblesse qui sous-entend à la fois reconnaissance d’un anoblissement antérieur et intervention de la puissance du prince qui peut seul maintenir ou conserver le privilège.
94Un dernier problème enfin se trouvait posé sur le plan du droit par l’interférence du privilège royal et de la coutume qui régissait le bénéficiaire. Pour les familles établies dans le pays de Bar, la question ne paraît pas s’être posée, la coutume barroise (peu précise il est vrai) admettant la noblesse maternelle allait dans le sens de l’interprétation des lettres de Charles VII et les confortait321. Par contre, il en va différemment avec la Champagne. Ici aussi, en apparence, la coutume renforçait la position des lignagers de Jeanne qui l’appellent à leur secours. Ils durent rapidement s’apercevoir que la noblesse créée par Charles VII était fort éloignée de celle qu’admettaient les coutumes champenoises, de condition bien inférieure : faute de remplir la condition exigée par la première, vivre noblement, ils restaient nécessairement confinés dans la seconde.
Au point de vue politique, ce qui frappe de prime abord c’est l’extrême laxisme de la royauté. On ne peut manquer d’être frappé, en effet, de la facilité avec laquelle Henri II reconnaît la noblesse de Robert Le Fournier sans paraître s’étonner autrement de la référence à un acte vieux de plus d’un siècle, totalement oublié depuis et dont la résurrection intervient si fort à propos ! Les successeurs de ce roi, jusqu’à Henri IV inclus adoptent la même attitude. Les gens de finances, par contre, plus près des réalités, ne tardent pas à comprendre le danger que ne manquera pas de représenter, au bout de quelques générations, un privilège aussi exorbitant, multiplicateur des exemptions d’impôts, taille, jurée, et d’un droit domanial, le franc-fief. La jurée ne pose pas, à vrai dire, de problème fiscal : elle n’est pas un impôt de répartition (d’autres assujettis ne sont donc pas intéressés à sa perception ou à sa non-perception) ; elle ne peut non plus être une source bien importante de revenus pour le trésor royal. L’attention qu’elle requiert du fait de son caractère recognitif de bourgeoisie est en fait bien plus sociale que fiscale.
Pour la taille deux sortes d’intérêts sont pris en considération : ceux des populations locales et ceux du roi. Les premières auront à supporter 95l’exemption dont va bénéficier l’anobli et devront donc consentir à l’entérinement des lettres de noblesse, comme il est précisé dans les enquêtes ordonnées pour Robert Le Fournier et Lucas du Chemin. Mais la multiplication des exemptés devait finir par toucher les intérêts du roi lui-même, par une diminution de la substance imposable dont on ne pourrait évidemment pas, au-delà d’un certain seuil, surcharger les autres assujettis. Cet aspect de la question ressort bien de l’argumentation du procureur de Vitry-le-François lorsqu’il évoque le
petit monde duquel il conviendroit oster les tailles ordinaires du Roy.
Le danger qui n’était pas à redouter pour la Champagne, puisque les défendeurs se reconnaissent assujettis à la taille, finit par s’imposer avec acuité en Normandie au point de provoquer les remontrances de la Cour des Aides de Rouen et en définitive les restrictions du nombre des bénéficiaires des lettres patentes de 1429 par les édits de 1598 et 1614.
La question des francs-fiefs était de nature quelque peu différente, du fait de la liaison étroite existant toujours entre ces droits domaniaux et la noblesse. Certes il n’est plus guère possible d’acquérir la noblesse par l’achat d’un fief — fût-il de dignité, — Robert Le Fournier en apporte la preuve. Cependant les tenaces commissaires des francs-fiefs continuent à le poursuivre ainsi que son neveu après la confirmation de leur noblesse : s’ils le font, c’est que, d’une part, de gros revenus échappaient de ce fait au Trésor et que, d’autre part, ils devaient avoir d’assez bonnes raisons de mettre en doute la légitimité de la noblesse du baron de Tournebu et du seigneur du Féron, en sorte que par le biais des droits de franc-fief leur noblesse récemment acquise pourrait être remise en question. C’est bien l’action des gens de finances qui incite le roi à revenir en 1555 sur sa décision antérieure jugée trop libérale. Si ces derniers triomphent en définitive, ce sera au terme d’une âpre lutte qui les opposera aux commissaires des francs-fiefs. Les indécisions de la politique royale, tout comme les imprécisions de la procédure d’anoblissement ne pouvaient que favoriser les entreprises de la famille Le Fournier.
On peut se demander toutefois si cette dernière aurait aussi bien réussi si elle avait occupé une autre situation sociale et si sa fortune avait été moins considérable. Ceci nous conduit à examiner le troisième aspect de la question, sans doute le plus intéressant : les implications sociales de l’anoblissement dans les diverses branches de la famille de Jeanne d’Arc au XVIe siècle.
La première constatation qui frappe en ce domaine est l’importance des usurpations de noblesse et la facilité avec laquelle elles sont perpétrées (pour les raisons déjà indiquées), au point qu’on les voit s’élever à la hauteur d’un véritable fait social. Que leurs auteurs soient ou non de bonne foi, il reste qu’à la fin du XVIe siècle, on peut estimer que la plus grande partie — et de très loin — des personnes qui se réclament de la noblesse de Jeanne d’Arc n’ont aucun titre leur permettant de justifier cette prétention. Et pourtant leur noblesse est reconnue, avalisée par le roi (ou le duc de Lorraine) : il est plus que probable que s’ils n’avaient pas voulu en outre faire reconnaître la transmission féminine de leur noblesse, aucun ennui ne leur aurait été suscité. Au demeurant, la prescription couvrait 96ces tares originelles : on peut penser qu’elle a dû à cette époque jouer à maintes reprises et il faudra attendre le siècle suivant pour que le roi s’efforce de réagir avec vigueur contre ces pratiques322. Il n’est pas moins piquant de voir d’authentiques descendants du lignage de la Pucelle, par conséquent d’indiscutables ayants-droit du privilège de Charles VII, tels que les descendants champenois de Jean de Vouthon, exclus en fait du bénéfice de l’anoblissement.
Plus singulière encore apparaît la diversité des motifs qui poussent les individus ou les familles à se réclamer du même acte créateur de leur noblesse, les lettres patentes de 1429. Il est bien évident que, conçues à l’origine pour produire des effets identiques pour tous ceux qui appartenaient au lignage johannique, la différenciation sociale due au jeu des hasards de fortune, des alliances matrimoniales ou de la dispersion géographique avait joué à plein, indépendamment même des usurpations du titre. Au travers de ce kaléidoscope on peut voir ceux pour qui l’anoblissement représente le moyen idéal de promotion sociale : l’exemple des Le Royer est à cet égard caractéristique puisque partis d’une modeste mairie de paroisse rurale ils accèdent à la troisième génération à la noblesse d’épée lorraine. Il y a aussi les gens arrivés qui voient dans l’anoblissement une sorte de consécration de leur réussite sociale, rehaussée encore par la prestigieuse origine : Jean Hordal et Charles du Lys se rangeraient dans cette catégorie. Les Le Fournier, apparemment plus réalistes, paraissent avoir surtout en vue le moyen idéal qui leur permettra de maintenir par un support juridique une situation sociale déjà bien assise, ancrée dans la noblesse, mais qui ne saurait se passer de cette aide. Il y a encore ceux que meut la simple vanité, l’orgueil de pouvoir se dire supérieurs à ses semblables, dont Thibaut le Noble fournit un savoureux exemple, vanité mitigée peut-être chez les Champenois d’un secret espoir, vite déçu, de se voir admis dans la glorieuse cohorte. Il y a enfin ceux qui ont le droit pour eux et qui ne réclament rien, sans doute parce que leur position sociale ne leur permettrait pas de tenir le nouveau rang qu’il leur faudrait prendre dans la société : il est remarquable que pendant un siècle environ, ce fut l’attitude adoptée par tous les collatéraux de la Pucelle, à l’exception sans doute de Collot de Perthes, et qu’il faille attendre que le XVIe siècle soit largement entamé pour voir naître leurs prétentions ; seuls alors les descendants de Jacquet Robert préféreront rester dans un méritoire anonymat.
Faut-il voir dans ce changement d’attitude d’un siècle à l’autre un changement de mentalité, l’attraction généralisée des classes inférieures vers une noblesse, en passe de perdre ses caractères originels, mais qui par là même pouvait paraître moins inaccessible ? Il faudrait pour cela sonder les reins et les cœurs et l’Histoire ne nous propose malheureusement nul 97instrument qui nous autorise à le faire323. Il existe cependant un élément qui, pour être plus matériel, peut nous permettre, à défaut d’autres, une certaine approche du problème : le genre de vie de tous ces personnages, directement lié à leurs prétentions nobiliaires. Nous savons bien que la condition sine qua non mise à la reconnaissance de la noblesse c’est de vivre noblement. Mais que convient-il d’entendre par cette expression324 ? Ne pas exercer de métier dérogeant, certes, comme la marchandise
, mais c’est aussi — et peut-être surtout — posséder une fortune suffisante qui permette de vivre sans s’adonner à une activité dérogeante. Vivre noblement au XVIe siècle, ne serait-ce pas en fait d’abord, parce qu’on en a les moyens, vivre à la manière des nobles auxquels on a acheté fiefs et seigneuries avec le style de vie
que cela suppose, et se faire reconnaître socialement comme tel, même si juridiquement on ne l’est pas, ou pas encore ? À l’inverse, que représentera un noble selon le droit, qui n’exerce peut-être pas d’activité dérogeante, mais dont on sent bien que son milieu, que sa vie ne sont pas ceux d’un vrai noble ? Si le baron de Tournebu est reconnu par tous comme tel (sauf par les commissaires des francs-fiefs), les moqueries et les poursuites que ses concitoyens infligent à Thibaut le Noble montrent bien que personne ne prenait sa noblesse
au sérieux ; par contre, les choses changeront sans doute lorsque l’opulent Lucas du Chemin apportera à la fille la crédibilité qui manquait au père et il se peut qu’il ait enseigné au jeune Claudin, le petit-fils de Thibaut, ainsi qu’il l’avait promis, comme un gentilhomme se doibt gouverner
.
Mais nous retombons alors ici dans la grande controverse historique posée par le Moyen-Âge et dont le XVIe siècle conserve encore l’écho : la noblesse se détermine-t-elle selon des critères sociaux ou juridiques325 ? 98Les réflexions qui précèdent pourraient nous faire pencher vers la première solution. Gardons-nous cependant de trancher de manière trop absolue : la réalité des faits est toujours plus nuancée. Il convient, en effet, de ne pas oublier que l’exigence du vivre noblement
est d’abord juridique même si elle à des résonances sociales et que, tenue par le Droit pour condition nécessaire, elle ne saurait être vue comme suffisante pour l’acquisition de la noblesse. Ce n’est évidemment pas sans raison que Robert Le Fournier et Lucas du Chemin se sont donnés tant de mal pour obtenir cette reconnaissance officielle que la vox populi leur avait depuis longtemps sans doute accordée. Mais le cas des Champenois, quoique bien différent, est peut-être plus net encore : la position sociale et la fortune de la plupart d’entre eux leur permettraient sans doute d’atteindre sans difficulté le seuil de la noblesse, mais la barrière juridique du genre de vie restera toujours pour eux infranchissable. Qui mieux est : même pour ceux d’entre eux, comme Jules César Lebesgue, conseiller au présidial de Vitry ou Étienne Lefebvre, élu en l’élection de Châlons, qui n’exerçaient pas d’activité dérogeante, le seul fait d’avoir, solidairement avec leurs parents, invoqué la coutume champenoise de la noblesse maternelle leur interdisait d’invoquer le bénéfice des lettres patentes de 1429. Il est donc permis d’avancer que, dans la seconde moitié du XVIe siècle, l’exigence du genre de vie noble comporte, pour reprendre le titre d’un livre célèbre, un niveau
social et une barrière
juridique326 : au-delà des indécisions et des imprécisions de la politique royale, leur conjugaison nous permet peut-être de mieux dessiner les contours de ce que deviendra dans l’avenir la noblesse française. À ce titre, l’extraordinaire histoire des lettres patentes de Charles VII et de la noblesse de la famille de Jeanne d’Arc aura joué — qu’on nous passe la comparaison — le rôle d’un véritable révélateur
.
Notes
- [1]
Nous avons naturellement utilisé le texte publié par Vallet de Viriville d’après une copie authentique retrouvée en 1853 par cet historien : Charles du Lis, Opuscules historiques relatifs à Jeanne d’Arc, Paris, 1856, p. 94 sq.
- [2]
La publication des lettres patentes effectuée par divers auteurs (Grégoire de Toulouse, Hordal, Godefroy, La Roque) de la fin du XVIe au début du XVIIIe siècle d’après une expédition fautive du Trésor des Chartes — qui portait Day pour Darc — avait pu faire naître quelques hésitations. Mais la découverte par Vallet de Viriville de la copie authentique collationnée sur l’original présenté à la Chambre des Comptes pour remplacer celle perdue dans l’incendie de 1737 permet de les lever. (Cf. Vallet de Viriville, Texte restitué de deux diplômes de Charles VII relatifs à la Pucelle, in Bibl. École Chartes, t. V, 3e série, 1854, p. 271-279.)
- [3]
… in suis actibus in judicio et extra, ab omnibus pro nobilibus habeantur et reputentur, et ut privilegiis, libertatibus, prærogativis, aliisque juribus quibus alii nobiles dicti nostri regni ex nobili genere procreati, uti consueverunt et utuntur, gaudeant pacifice et fruantur ; eosdemque et dictam eorum posteritatem, aliorum nobilium dicti nostri regni ex nobili stirpe procreatorum consortio aggregamus […] volentes etiam ut iidem prænominati […] dum et quotiens eisdem placuerit, a quocumque milite, militiæ cingulum valeant adipisci, seu decorari ; insuper concedentes eisdem et eorum posteritati […] ut ipsi feoda et retrofeoda et res nobiles a nobilibus et aliis quibuscumque personis acquirant, et, tam acquisitas quam acquirendas, retinere, tenere et possidere perpetuo valeant atque possint, […] Quocirca dilectis et fidelibus nostris gentibus compotorum nostrorum, ac thesaurariis, necnon generalibus et commissariis super facto financiarum nostrarum ordinatis seu deputandis, et ballivo dictæ balliviæ Calvi-Montis, cæterisque justiciariis nostris […] damus harum serie in mandatis quatenus dictam Joan Puellam et dictos Jacobum… nostris præsentibus gratia, nobilitatione et concessione uti et gaudere pacifice, nunc et imposterum, faciant et permittant, et contra tenorem præsentium eosdem nullatenus impediant, seu molestent, aut a quocumque molestari seu impediri patiantur.
- [4]
… præfatam Puellam, Jacobum Darc dicti loci de Dompremeyo, patrem ; Isabellam ejus uxorem, matrem ; Jacqueminum et Johannem Darc et Petrum Prerelo fratres ipsius Puellæ et totam suam parentelam et lignagium, et in favorem et pro contemplatione ejusdem, etiam et eorum posteritatem masculinam et femininam, in legitimo matrimonio natam et nascituram, nobilitavimus…
- [5]
Formule d’anoblissement donnée par Jean-Richard Bloch, L’anoblissement en France au temps de François Ier, Paris, 1934, p. 130.
- [6]Cf. Quicherat, Procès, 1841-1849, t. I, p. 117, 118,
- [7]
Il n’y a eu que les parens de la Pucelle d’Orléans, qui aient pris cette liberté particulière de se dire Nobles, quoique la Chartre donnée en sa faveur, ne comprenne que sa personne, son père et sa mère, et ses trois frères. Ils y sont tous six expressément nommés ; mais non pas les sœurs ni aucuns autres de leurs parens, si ce n’est que l’on comprenne par ces termes leur parenté, leur lignage et leur postérité, non seulement les descendans qui procèdent en droite ligne des frères de cette Pucelle ; mais encore les descendans de ses tantes, et mesme tous ses parens tant du côté paternel que du maternel. — ( Gilles-André de La Roque, Traité de la Noblesse, éd. Rouen, 1735, p. 148.)
C’est à tort qu’Anatole de Barthélemy écrit sur le même sujet :
Il suffit de lire les chartes d’anoblissement données par les rois de France pour reconnaître dans la formule employée en faveur des d’Arc les mêmes termes que ceux qui étaient généralement employés toutes les fois que le souverain conférait la noblesse à un roturier. — (Recherches sur la noblesse maternelle, Bibl. École Chartes, 5e série, t. II, 1860, p. 149).
Les exemples qu’il cite, ceux de Jean Boyleaue en 1360, de Guillaume Compain
anobli en 1429 pour services rendus pendant le siège d’Orléans
portent uniquement l’expressionposteritatem et prolem utriusque sexus
; celui de Jean Danneau anobli en 1438 pour avoir fait prisonnier Talbot à la bataille de Patay,posteritatem masculinam et femininam
(id., p. 150-152). Aucun ne contient les termesparentelam et lignagium
usités pour la famille de Jeanne d’Arc et qui, d’un point de vue sémantique au moins, nous paraissent bien constituer un cas unique. - [8]
Nous nous proposons, bien entendu, de reprendre cette question par la suite. Rappelons cependant, pour n’y pas revenir, la condamnation portée par Bartole sur le principe de la noblesse maternelle :
Non valet consuetudo, nec per consequens statutum, quod quis censeatur nobilis, vel ignobilis ex progenie materna. Reprobatur enim consuetudo quæ contrarium induceret. — (De decurionibus…, lib. X lex XXXVI, Super tribus libris Codicis, éd. Lyon, 1546, f° 21.)
[Une coutume qui réputerait quelqu’un noble ou non noble d’après son ascendance maternelle n’est pas valide, ni une loi qui en découlerait. De fait, toute coutume qui soutiendrait le contraire est à rejeter.]
D’autre part en 1509, lors de la publication des coutumes rédigées de Champagne, les commissaires du roi firent inscrire au procès-verbal de la coutume de Meaux
que ledit article (sur la noblesse de mère) estoit de consequence, et que la Loy et la raison escrite vouloit le contraire. Et qui plus est, que la Loy par exprès resistoit à ladite Coustume… — (Bourdot de Richebourg, Nouveau coutumier général, Paris, 1724, t. III, p. 406.)
- [9]
…decens arbitramur et opportunum ipsam Puellam, et suam, nedum ejus ob officii merita, verum et divinæ laudis præconia, fotam pareutelam, dignis honorum nostræ regiæ majestatis insigniis attollendam et sublimandam, ut divina claritudine sic illustrata, nostræ regiæ liberalitatis aliquod munus egregium generi suo relinquat…
- [10]
Recherches de la France, éd. Amsterdam, 1723, t. I, col. 543.
- [11]
Op. cit., p. 152.
- [12]
Id., p. 146.
- [13]
Compte-rendu de Anatole de Barthélemy sur La famille de Jeanne d’Arc, dans Revue des questions historiques, 1879, t. XXV, p. 666, 667.
- [14]
Id., ibid. Vallet de Viriville pensait aussi que
Le privilège accordé par Charles VII à la famille anoblie de la Pucelle contenait une clause regardée comme inouïe par les jurisconsultes, et qui finit par produire des conséquences réellement graves dans l’État au point de vue de l’impôt. Les femmes elles-mêmes, au titre de ce privilège, transmettaient la noblesse, c’est-à-dire l’exemption des contributions roturières, non seulement à leurs époux, mais à toute leur postérité, à l’infini. Il suit de là que, déjà au temps de Louis XII, ces exemptions multipliées portaient un préjudice notable à la cause publique et menaçaient d’y porter une atteinte sans borne… Le privilège d’exemption fut modifié en 1614… — (Opuscules…, op. cit., p. 31, note 1.)
- [15]
Cf. Boucher de Molandon, La famille de Jeanne d’Arc et son séjour dans l’Orléanais, Orléans, 1878.
- [16]
Cf. Henri Morel, Un document inédit sur une branche champenoise de la famille de Jeanne d’Arc, in Annales de l’Est, 5e série, n° 1, 1968, p. 16, 17.
- [17]
La famille de Jeanne d’Arc, Paris, 1878 ; Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d’Arc, Paris, 1879.
- [18]
La famille du Lys disparaît de l’Orléanais dans les premières années du XVIe siècle. Cf. Boucher de Molandon, op. cit., p. 32 sq., 79.
- [19]
Cette collection conservée dans la famille de Maleissye et qu’ont pu consulter plusieurs érudits a été malheureusement perdue à une date assez récente et — hormis les trois célèbres lettres de Jeanne d’Arc — les représentants actuels de cette famille descendante de Charles du Lys n’ont pu nous préciser ce qu’étaient devenus les autres documents.
- [20]
De l’Extraction et parenté de la Pucelle d’Orléans, avec la généalogie de ceux qui se trouvent descendus de ses frères, Paris, 1610 ; Discours sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la Pucelle d’Orléans et de ses frères, Paris, 1612 ; Traité sommaire tant du nom et des armes etc. de la Pucelle et de ses frères, Paris, 1628.
- [21]
Charles du Lis, Opuscules historiques relatifs à Jeanne d’Arc…, op. cit.
- [22]
Ce qui est probablement le cas pour l’épouse de Jean du Lys «l’aîné », dont il a retrouvé le contrat de mariage avec Macée de Vézines en 1456 ; Jeanne de Prouville « devait » donc être la femme de Pierre. Sur ce contrat de mariage, cf. Boucher de Molandon, op. cit., p. 50.
- [23]
Publiée par Bouteiller et Braux, in La famille de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 15-22.
- [24]
Publiées par Bouteiller et Braux, op. cit., Preuves généalogiques, p. 218-222.
- [25]
Op. cit., p. 16. Il s’agit de Heroinæ nobilissimæ Ioannæ Darc… historia, Pont-à-Mousson, 1612.
- [26]
Op. cit., p. 38.
- [27]
… son ayeulle, pour avoir esté porté par elle entre ses bras souventefois, et avoir receu d’elle plusieurs pièces d’argent, et qu’elle estoit fille de Pierre… (Id., p. 17).
- [28]
Id., p. 16, 29, 30, 38.
- [29]
Id., p. 29.
- [30]
Id., p. 30, 40.
- [31]
Id., p. 39.
- [32]
Id., p. 40.
- [33]
Et n’eusse jamais obtenu la dicte permission, si je n’ensse faict paroistre les Hordals estre du parenté de la dicte Pucelle, c’est à sçavoir descendus du 3° frère d’icelle, qui eut une fille appelée Hauvy, mariée au dict Estienne Hordal, à Buré proche de Vaucouleurs. (Id., p. 39.)
- [34]
Id., p. 215 sq.
- [35]
Id., p. 216, 217.
- [36]
Id., p. 219.
- [37]
Id., p. 220.
- [38]
Vallet de Viriville. Charles du Lis, op. cit., p. 56. Ses deux lettres, datées du 12 août 1609 et du 13 mars 1611, sont publiées par Bouteiller et Braux, op. cit., p. 44-52.
- [39]
J’ay receu de desplaisir que l’on m’ait faict rapport qu’un vautnéant (soubs vostre respect) se soit advoné des nostres pour mendier le port de vostre assistance en quelques siennes affaires. Je vous supplie croire que ceux qui ont l’honneur de vous appartenir en nostre climat sont personnes d’autre estoffe : non que je voulusse dédaigner à parent un homme de bien pour pauvre qu’il ft mais cestui-ci ne fut jamais ni en effet ni par croyance tel, ce qui m’oblige, après en estre plus à plein informé, à punir son ontrecuidance… (id., p. 51, 52).
À qui Claude du Lys fait-il allusion ?
- [40]
39. 40. Le 3 octobre 1501 (Boucher de Molandon, op. cit., PP. 33, 99).
- [41]
Ce fait avait déjà attiré l’attention d’un érudit orléanais, l’abbé Dubois (mort en 1823) :
Ce qui jette beaucoup d’incertitude sur ce qui est dit, dans le Traité sommaire, de la famille des du Lis, c’est qu’en 1501 à la mort de Jean du Lis, fils de Pierre du Lis, le procureur du roi fit saisir, faute d’héritiers, les biens qui lui appartenaient… Pierre du Lis, ayant toujours vécu auprès d’Orléans, y jouissait d’une grande considération ; pouvait-il se faire qu’on ne sût pas qu’il eût une fille mariée à Vaucouleurs, et une autre mariée à François de Villebresme, receveur du domaine à Orléans ? Peut-on supposer qu’elles ne se fussent pas présentées pour recueillir la succession de leur frère, ou leurs enfants pour recueillir celle de leur oncle ?.. Cette sentence (du prévôt d’Orléans) ne démontre-t-elle pas que Jean du Lis n’avait ni frères, ni sœurs, ni neveux ni nièces, tandis qu’on suppose qu’il avait deux sœurs, ou vivantes ou ayant des enfants, et un frère ? (Boucher de Molandon, op. cit., p. 99, note 2).
- [42]
Publiée par Bouteiller et Braux, op. cit., p. 251-257.
- [43]
… et que ledict sire Pierre et dame Jehanne n’avoient synon ung fils nommé Petit-Jehan du Lis, qui estoit peu de choses
dit notamment Claude Gérart, laboureur (id., p. 254).
- [44]
Op. cit., p. 102.
- [45]
Car il ne se lit ailleurs la dicte Pucelle avoir eu une sœur germaine. (Lettre à Charles du Lys, id., p. 17).
- [46]
Id., p. 252.
- [47]
Et de ce premier frère aisné de la Pucelle, ne s’en trouve beaucoup de mémoire, pour ce qu’il demeura sur les lieux, quand sa sœur vint en France, accompagnée de ses deux autres frères, et y est mort sans enfans auparavant ses deux autres frères. — (Vallet de Viriville, Charles du Lis, op. cit., p. .8)
- [48]
Op. cit., p. 79 sq.
- [49]
Après que Charles du Lys eut admis les justes prétentions des Hordal (sic), il y avait encore une branche de la famille du Lys qui restait absolument oubliée : c’était celle issue du mariage de Catherine d’Arc avec Georges Haldat. Cette branche était cependant déjà depuis quelque temps fixée dans le pays ; mais bien que ses titres soient incontestables (sic), il est certain qu’elle n’avait établi aucun rapport de parenté, ni avec les du Lys, ni avec les Hordal. — (Bouteiller et Braux, op. cit., p. 75.)
En fait tout ce que l’on sait sur l’origine de La noblesse des Haldat se borne à la mention qui est faite par le Nobiliaire ou Armorial général de la Lorraine et du Barrois, Nancy, 1758, t. I, p. 503) et l’Armorial général d’Hozier (Paris, 1738-1768), reg. I, 1e partie (art. Macquart de Ruaire) de l’anoblissement par le duc de Lorraine en 1723 d’Antoine et Henri de Macquart comme enfants de Georges Macquart et d’Anne Haldat, descendants
de Georges Haldat et de Caterine du Lis, fille de Pierre d’Arc, frère de Jeanne…
Un acte publié par Bouteiller et Braux (op. cit., p. 246) établit bien l’existence en 1544 de Georges Haldat,écuyer, capitaine d’infanterie pour le Roy de France
et de Catherine du Lys, son épouse, qui parledu deffunt Messire Pierre du Lys, son père
. En admettant l’authenticité de ce document et abstraction faite de ce que Pierre du Lys n’a pas eu de fille, il est difficile de croire : 1) à une telle différence d’âge entre le frère de Jeanne d’Arc mort avant 1467 (cf. Boucher de Molandon, op. cit., p. 46) et sa prétendue fille qui ne semble pas très âgée en 1544 ; 2) à un tel isolement des Haldat à l’égard des autres membres de la famille du Lys que Charles du Lys les aurait totalement ignorés alors qu’ils habitent Dainville (D - Berthéleville, Meuse, arr. Commercy, c. Gondrecourt) à quelques km. de Domrémy et qu’il connaît bien les descendants d’Aveline Romée et de Jean de Vouthon dont la parenté est pourtant beaucoup plus lointaine. Il n’en reste pas que cette troisième fille attribuée à Pierre du Lys sera reconnue comme la souche de la noblesse de la famille Haldat du Lys. - [50]
Cf. Bouteiller et Braux, op. cit., p. 94. Un acte passé en 1532 par Jean du Brunet, fils d’Antoine et de Marguerite, est la dernière mention que nous ayons de cette famille (v. Boucher de Molandon, op. cit., p. 35).
- [51]
Publiées par Vallet de Viriville, op. cit., p. 99 sq.
- [52]
Op. cit., p. 79, 81.
- [53]
Id., p. 82. Nos auteurs vont jusqu’à supposer que Jacquemin aurait non seulement une fille mais
également un fils, et que ce fils, il l’ait nommé Pierre, en l’honneur de son jeune frère, le chevalier du Lys, passé dans la famille à l’état de personnage exceptionnellement illustre : ce serait ce fils, Pierre, de la branche aînée, qui aurait épousé cette Jeanne de Prouville […] et Charles du Lys, et par suite les Maleissye, ainsi que les Hordal, les Villebresme et les Haldat descendraient de lui, sans qu’il y ait lieu de rien changer du reste à leur généalogie.
Voilà qui évidemment arrangerait tout…
- [54]
Vallet de Viriville, op. cit., p. 48.
- [55]
Bouteiller et Braux, op. cit., p. 252. Sur le nom du Lys que l’on voit — d’après les documents qui nous sont parvenus — porté pour la première fois par Jean en 1436 et par Pierre en 1439 (cf. Quicherat, Procès, t. V, p. 209, 320), Charles du Lys nous dit que
le Roy […] luy donna pouvoir et à ses frères de porter le lys, tant en leurs noms qu’en leurs armes — (Vallet de Viriville, op. cit., p. 8.)
mais aucun acte ne permet d’avancer quand, ni dans quelles circonstances, le roi fit cette concession.
- [56]
Bouteiller et Braux, Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 43, 45.
- [57]
Déposition de Didon du Lys (id., p. 43) :
… ledict défunct Daily, son père, auparavant lequel trespas luy et par plusieurs et diverses fois ladicte deposante ouy reciter son lignage et généalogie, disant estre fils de Jean Daly et Jehanne sa femme, desquels droits et privilèges de noblesse ledict Claude Daly, père d’elle deposante, à cause de lad. Jehanne Daly sa mère, elle deposante et ses autres sœurs comme parens et lignagers, ont tousjours jouy, comme encore font de présent, pour estre parens venuz et yssuz de la lignée de lad. Jehanne la Pucelle du costé fœminin.
- [58]
Id., p. 45 : déposition d’Anne du Lys.
- [59]
Il ne semble pas que l’argument invoqué par l’intéressé qui prend le nom de famille de sa femme pour jouir de sa noblesse puisse être sérieusement retenu : d’autres exemples (Hordal, Le Fournier, etc.) montrent que cette prétendue obligation était imaginaire. Il faut plutôt retenir le désir de transmettre à sa descendance le nom illustre des du Lys, que porteront effectivement, grâce à cette décision, ses fils Claude et Thévenin.
- [60]
Id., p. 41.
- [61]
Id., ibid. Nonobstant le fait qu’elle se fût remariée pendant le procès avec Gérard Gobin, roturier : il ne nous est pas dit si ce Gobin fut à son tour anobli par son mariage.
- [61bis]
Il s’agissait plutôt au demeurant d’usages non écrits, et il faudra attendre la coutume rédigée de 1579 pour voir la noblesse maternelle consacrée en Barrois par un texte officiel, dans son art. 71 :
si le père est roturier et la mère est noble les enfans procréez dudit mariage suivront l’estat et condition de la mère, si bon leur semble, en renonçant à la tierce partie des biens de la succession parternelle au profit du seigneur duc. Toutefois, si après la succession paternelle à eux escheue ils continuoyent la roture d’iceluy, ne seroient receuz à l’estat de noblesse, sinon en renonçant à la totale succession paternelle, et obtenant réhabilitation dudit seigneur, qui ne leur octroyeroit, si bon ne luy semble. (Nouveau coutumier général, op. cit., t. II, p. 1023.)
V. inf. note 321.
- [62]
Bouteiller et Braux, Nouvelles recherches…, p. 105 : acte de donation de Didon du Lys en faveur de ses neveux, enfants de Didier du Lys (26 février 1552).
- [63]
Il avait un autre fils, Claude, curé de Domrémy, qui fit son testament en 1549, (publié par Bouteiller et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, p. 187-191). Par contre, il n’est pas possible de préciser si Didon était fille de Claude ou de Thévenin : dans l’enquête de 1551 (cf. note 57 et inf. p. 52), elle se dit fille du premier ; mais dans l’acte de 1552 (cf. note note 62), elle est présentée comme fille du second. Ou faut-il admettre qu’elles étaient deux Didon, habitant toutes deux Domrémy, l’une épouse de Thouvenin Thierret et l’autre de Thévenin Tirly, que l’orthographe fantaisiste des noms pourrait permettre de confondre ?
- [64]
Vallet de Viriville, op. cit., p. 55.
- [65]
Bouteiller et Braux, Nouvelles recherches…, p. 105.
- [66]
Bouteiller et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, p. 106.
- [67]
Id., p. 196, 197. Les autres seigneuries de Didier du Lys étaient : Jubainville (Vosges, arr. Neufchâteau, c. Coussey), Massey-sous-Brisi (= Maxey-sur-Meuse, id.), Vannes-le-Châtel (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Colombey-les-Belles) et Aillan (= Allamps, id.), ces deux dernières en partie ; toutes situées en Lorraine, sur la rive droite de la Meuse, à quelques km. de Domrémy ou de Vaucouleurs. Brisi (= Brixey-aux-Chanoines, Meuse, arr. Commercy, c. Vaucouleurs), Gibomel ou Gibeau-Mel (= Gibeaumeix, Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy, c. Colombey-les-Belles). Les Lenoncourt étaient effectivement
une des quatre plus anciennes maisons de chevalerie de Lorraine
(La Chenaye-Desbois, Dictionnaire de la Noblesse, Paris, 1872), mais ni La Chenaye-Desbois, ni d’Hozier ne mentionnent les alliances dont il est question ici. - [68]
Il avait trois frères morts sans descendance et cinq sœurs dont trois (Jeanne des Hazards, Françoise de Bonnaire et Didon Noblesse) firent souche (cf. Bouteiller et Braux, Nouvelles recherches…, p. 105 ; La famille de Jeanne d’Arc, p. 95). Bouteiller et Braux ont publié dans leurs ouvrages plusieurs actes relatifs à cette branche de la famille.
- [69]
Bouteiller et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, p. 196.
- [70]
Charles du Lys (Vallet de Viriville, op. cit., p. 56).
- [71]
Id., ibid. Le Nobiliaire… de la Lorraine (op. cit., p. 493, 494) parle d’un Jacques du Lys — qui doit être le Jean-Jacques de notre auteur — mais attribue quatre filles à son
ancêtre
, Pierre du Lys. Claude du Lys, seigneur de Secfonds (= Ceffonds, Haute-Marne, arr. Chaumont, c. Montier-en-Der) est le correspondant de Charles du Lys dont nous avons examiné les lettres. - [72]
Il nous est notamment impossible, dans l’état actuel de nos connaissance de savoir qui était un autre
Jean du Lys
( la fréquence du prénom ne simplifiant pas les choses !) dont l’existence nous est attestée par le Livre aux Borgeois d’Arras qui, à la date de 1482, le mentionne comme échevin de cette ville etreceu bourgeo , gratis sans finance, le XXX octobre M. IIIIc. IIIIxx. III… — (Bouteiller et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, p. 212.)
Charles du Lys le présente comme étant Jean du Lys
le jeune
, second fils de Pierre et son propre arrière-grand-père : il n’aurait pas perdu sa noblesse en exerçant ses fonctions, Louis XI ayant anobli les échevins d’Arras. Il serait le père de Jean du Lys, ditle Picard
, écuyer, qui participa aux guerres d’Italie et le grand-père de Michel, chambellan d’Henri II, auteur de Charles (Vallet de Viriville, op. cit., p. 70-74). C’est ce système généalogique qui sera reproduit dans les lettres données en 1612 par Louis XIII à Charles et Luc du Lyspour augmentation d’armes
à leurs armoiries (id., p. 99 sq). Faut-il croire avec Boucher de Molandon (op. cit., p. 103, 104) que cet échevin d’Arras était fils ou petit-fils de Jacquemin : Pourquoi pas après tout ? - [73]
Bouteiller et Braux, Nouvelles recherches…, p. 26.
- [74]
Vallet de Viriville, op. cit., p. 32. Durant Lassois, c’est
l’oncle Laxart
(en réalité son cousin) qui était auprès de Jeanne à Vaucouleurs avant son départ pour Chinon. (Cf. Quicherat, Procès, t. II, p. 443-445). - [75]
Bouteiller et Braux, Nouvelles recherches…, p. 23-73.
- [76]
Prévôté de Vaucouleurs (Meuse, arr. Commercy, c. Void).
- [77]
Bouteiller et Braux, Nouvelles recherches…, p. 30 : témoignage de François Brissey, praticien. Nicole Boulland, prêtre, déclare qu’il a fait plusieurs voyages à Paris
pour y résister auxdictes molestes
(id., p. 29). - [78]
Martin Gilbert,
lieutenant du mayeur pour le Roy […] au lieu de Chalaines
, dépose en 1555que sont trente ans que led. depposant estant collecteur de certaines tailles et subcydes deues au Roi […] par les habitans dud. Sauvoy, imposèrent taille sur led. Thiébault comme sur l’un des habitants dud. Sauvoy, et qu’en levant par led. depposant les deniers desd. tailles, estant en son roole led. Thiebault, led. depposant l’auroit contrainct de paier sa cotte… — (Id., p. 51.)
Thibaut, par contre,
tout le temps qu’il a demouré aud. Sauvoy, y a esté par quarante ans, a tousjours esté refusant de payer tailles et subcydes au Roy. et de faict n’en auroit payé aucuns… — (Id., p. 58.)
au témoignage de Mongeot Thibault, maire de Sauvoy .
- [79]
Témoignage de Jean Le Roy, sergent royal, au bailliage de Chaumont-en-Bassigny et de Didier Vaultrin, marchand de Vaucouleurs (id., p. 39, 72).
- [80]
Témoignage de Jean Le Roy (id., p. 30). D’après Médart Rosnyer (ou Royer) marchand de Chalaines,
faisant ledict Thiébault ostention de certaines lettres de parchemin où y avoit un grand seel pendant, mais pour ce que luy déposant ne vehit et ne leut la teneur desdictes lettres, dont ledict le Noble se vantoit… — (Id., p. 37.)
Était-ce les lettres patentes de 1429 ?
- [81]
Blaise Barrois, maçon de Burey-en-Vaux :
… fut fait assemblée et amats pour prendre et élire gens pour la deffense du pays, au moyen de l’assemblée, estant sur les frontières d’Allemagne des gens assemblés appelés les luthériens ; et estant faisant monstre aud. Gondrecourt le bailly et capitaine desd. de la prévosté de Gondrecourt voyant led. Thiebault le Noble n’ayant équipage comme les autres, s’adressa aud. le Noble luy disant : pour quelles raisons étoit qu’il n’estoit en tel équipage que estoient les autres ? lequel le Noble fist réponse qu’il estoit noble et venu de noble lignée à cause de Jehanne la Pucelle, parquoy n’estoit tenu d’estre en lad. Assemblée avec les roturiers, ce oyant led. bailly laissa led. Thiebault le Noble et ne le contraindit à passer plus oultre avec lesd. roturiers. — (Id., p. 35.)
L’anecdote tendrait à prouver que — jusqu’à sa revendication de noblesse, — Thibaut était communément tenu pour roturier.
- [82]
… pour raison desd. droitz fut dès lors surnommé Thiebault le noble. Comme encores de présent sont ses enfans. — (Témoignage de Nicole Boulland, en 1555, id., p. 70.)
- [83]
Témoignage de Jean Le Roy (id., p. 38, 39).
- [84]
Parmi ceux-ci, seuls parlent de Thibaut, sa fille Nicole et deux cousins, Médard Le Royer et Jacob Robert. À noter que plusieurs témoins sont interrogés dans les deux enquêtes.
- [85]
Avec lesquels il entretient de bons rapports :
A dict davantage avoir ouy dire audict défunt son père qu’il avoit esté au lieu d’Orléans visiter un de ses parents que ledict Thiébault disoit estre l’un des frères de ladicte Jehanne la Pucelle, tenant grande terre et fust noble. — (Témoignage de Nicole la Noble, id., p. 38.)
Ne s’agirait-il pas plutôt de Jean du Lys, fils de Pierre, que de ce dernier ? Est-ce auprès de lui qu’il aurait, par ailleurs, pris l’idée de revendiquer sa noblesse ?
- [86]
Id., p. 39.
- [87]
Id., ibid.
- [88]
Témoignage de M. Gilbert (enquête de 1555) (id., p. 50).
- [89]
Témoignage de M. Rosnyer (id., p. 37). Il demeurait, en effet, à Sauvigny (Meuse, arr. Commercy, c. Vaucouleurs) dépendant de l’évêque de Toul (id., p. 70),
où les deniers du Roy n’ont aulcun cours
(id., p. 50). - [90]
Id., p. 48. Témoignage de Didier Vaultrin, marchand de Vaucouleurs (id., p. 71).
- [91]
Meuse, arr. Commercy, c. Vaucouleurs.
- [92]
Le comte Rhingrave : il s’agit sans doute de Philippe-François (1518-1561) (La Chenaye-Desbois, op. cit.). Le siège de Boulogne-sur-Mer, pris par les Anglais, débuta en 1545 : la ville sera rendue à la France en 1550 (cf. Lemonnier, La lutte contre la maison d’Autriche. La France sous Henri II (1519-1559), Histoire de France (Lavisse), t. V, 2e partie, p. 140. Jean Le Royer s’y trouva en 1547 où 1548.
- [93]
Id., p. 53 : témoignage de François de Brixey, lieutenant du prévôt de Vaucouleurs.
- [94]
Id., p. 48, 49 : témoignage de M. Gilbert.
- [95]
M. Gilbert nous dit bien que Demange Le Voyseul, arrière-grand-père de l’impétrant,
estoit tenu et repputé estre cousin de la Pucelle, à cause duquel parentaige led. Demenge le Vauseul auroit tousjours esté exempt de payer tailles et subcydes au Roy. — (Id., p. 49.)
Mais son neveu, Jacob Robert, déclare en parlant de Demange et de sa femme Ydotte qu’il
ne scayt se pour raison de ce ils estoient exempts de tailles ne de aydes dheues au Roy nostre sire ou aultres, par ce que en leur vivant ils auroyent toujours demeuré hors du royaulme et pays de Lorraine, en la terre de Brixey appartenant à l’evesque de Toul. — (Id., p. 60.)
- [96]
Id., p. 53 : témoignage de F. de Brixey.
- [97]
Il est juste de reconnaître que ce point de vue est celui des témoins : les questions posées par les enquêteurs ne portaient que sur la généalogie (id., p. 73).
- [98]
Charles du Lys (Vallet de Viriville, op. cit., p. 33).
- [99]
Id., ibid.,
Saulme et Brenicqueville
: n’ont pu être identifiés. - [100]
Id., p. 33, 34 :
La maison d’Ourches en Lorraine était d’ancienne chevalerie. — (Vallet de Viriville, id., p. 34, note 1).
Ourches : O. sur Meuse, arr. Commercy, c. Void.
- [101]
Nobiliaire… de la Lorraine, op. cit., p. 557, 558.
- [102]
Blénod-lès-Toul, Meurthe, arr. Nancy, c. Toul.
- [103]
Il ne semble pas qu’il puisse s’agir de la maison lorraine de Marchéville en Verdunois (v. La Chenaye-Desbois, op. cit.). Il existait bien une autre maison de Marchéville, originaire des environs de Domrémy et fixée en Champagne au XVIIe siècle. Charles du Lys parle d’un certain Marchéville,
sieur de Séraumont et de Greux en partie
(Vosges, arr. Neufchâteau c. Coussey) signataire d’un contrat passé avec Claude du Lys en 1489 (Vallet de Viriville, op. cit., p. 49). Ce personnage était sans doute Jean de Marchéville, écuyer, seigneur de Séraumont, mort avant 1527, dont le fils Nicolas épousa demoiselle Sibylle de Domrémy et dont la descendance nous est connue (cf. Caumartin, Recherche de la noblesse de Champagne, Châlons, 1673, t. II, p. 44). Mais il n’est aucunement question dans cette généalogie de Médard de Voyseul, ou de Marchéville dont on ne voit vraiment pas comment il pourrait y prendre place. Une coïncidence troublante, toutefois : alors que les armoiries des Marchéville de Champagne sontd’azur à cinq besants d’argent
, celles des Marchéville mentionnés par le Nobiliaire de Lorraine sontd’azur à cinq besans d’or…
- [104]
écartelé aux 1 et 4, d’azur à l’épée d’argent, la garde d’or posée en pal, la pointe levée ferue d’une couronne d’or et accostée de deux fleurs de lys de même, qui est Du Lys ; aux 2 et 3, d’hermine au chef d’or à une aigle naissant à deux têtes de sable, qui est De Mangeot, et sur le tout d’azur à cinq besans d’or 2, 2 et 1 qui est De Marchéville. — (Nob. de Lorraine, p. 558.)
- [105]
Il peut paraître curieux que Charles du Lys ne la mentionne pas : l’explication tient, peut-être, en ce qu’aucun membre de sa descendance n’a vu sa noblesse reconnue.
- [106]
et ainsy l’a oy dire et réciter à lad. Catherine, sa mère, laquelle lui disoit que lad. Avelyne, sa mère et mère-grand de lad. depposante, lui auroit dict et récité que lorsque lad. Pucelle se deppartit de ses marches et païs de Vaucouleur pour aller sacrer le Roy, lad. Pucelle auroit requis lad. Aveline que, puisque elle estoit enceincte d’enfant, prioit que si elle accouchait d’une fille, elle luy fit mectre en nom Catherine pour la soubvenance de feue Catherine sa sœur, niepce de lad. Avelyne, tellement que la mère d’elle depposant fut appelée et nommée Catherine. — (Témoignage d’Hellouy Robert, Nouvelles recherches…, p. 62.)
- [107]
B. Barrois
a ouy dire par plusieurs fois à feu Robert Jacquin […] qui se disoit oncle de Jehanne la Pucelle, avoir mené ladicte Pucelle au capitaine de Vaucouleurs, nommé le sieur de Baudricourt, affin de la faire mener et conduire au roy […] et que finablement par la grande persuasion dudict Jacquin ledict sieur de Baudricourt auroit envoyé et faict conduire vers le roy ladicte Jehanne […] laquelle Jehanne ainsy conduite fist grandes proesses […] pour récompense de quoy, comme tousjours lui ou déposant a ouy dire, fut anoblye et toute sa postérité et lignée soit du costé paternel ou maternel de ladicte Jehanne la Pucelle, dont ilz ont tousjours jouy. — (Id., p. 35).
Ce n’est évidemment pas Jacquet Robert — cousin et non oncle de Jeanne — qui, avec Durant Laxart, accompagna celle-ci à Vaucouleurs, mais son père, lequel toutefois aurait emmené avec lui son jeune fils (id., p. XXV). Il n’est est que plus étonnant de voir les descendants de ce personnage, qui s’attribue — avec quelque vantardise sans doute — un rôle déterminant dans les débuts de l’épopée de la Pucelle, refuser la récompense octroyée par le roi à sa famille.
- [108]
Id., p. 33.
- [109]
Enquête de 1555 : id., p. 61.
- [110]
Meuse, arr. Commercy, c. Gondrecourt.
- [111]
Id., p. 63.
- [112]
Id., p. 64.
- [113]
Le texte en a été publié par Quicherat, Procès, t. V, p. 219-221.
- [114]
Cf. Fierville, Histoire généalogique de la maison et de la baronnie de Tournebu, in Mémoires de la société des antiquaires de Normandie, 3e série, vol.6, Paris, 1859, p. 229 sq.
- [115]
Id., p. 229, d’après les Recherches de Montfaut, commissaire désigné pour rechercher les exempts de taille. Si Ravend Le Fournier peut-être tenu avec un degré suffisant de probabilité pour l’auteur de la famille qui nous occupe, il existait néanmoins en Normandie deux autres familles Le Fournier sans lien avec la nôtre : les Le Fournier, seigneurs de Wargemont au pays de Caux, dont l’auteur, Pierre Le Fournier, fut déclaré noble par jugement des commissaires des francs-fiefs en 1471 (cf. d’Hozier, op. cit., reg. I, 1e partie ; La Chenaye-Desbois, op. cit. : Fournier de Wargemont) ; les Le Fournier, de Picauville, élection de Valognes dont les représentants en 1666 justifieront de leur noblesse en vertu également d’un anoblissement de franc-fief en 1471 (cf. La Chenaye-Desbois : Le Fournier ; Fierville, loc. cit., p. 229, note 2). Il est curieux de constater que ces différentes familles non apparentées, selon toute vraisemblance, soient anoblies à la même époque et par des acquisitions de francs-fiefs : ceci va dans le sens des explications que nous allons tenter de donner de ce phénomène social.
- [116]
Calvados, arr. Caen, c. Thury-Harcourt. La baronnie de Tournebu, qui appartenait à la maison de Thère, fut vendue par autorité de justice pour payer les dettes de Marin de Thère. Cf. Fierville, loc. cit., p. 229-230.
- [117]
Voir la liste de ces aveux dans Fierville, loc. cit., p. 266 sq. et p. 335 sq. On voit également le baron de Tournebu exercer ses droits de garde seigneuriale et de patronage (id., p. 268, 335). On verra enfin que la baronnie sera vendue en 1580 plus de 30 000 écus.
- [118]
Id., p. 220.
- [119]
Charles du Lys nous apprend que Nicolas Le Fournier,
pour ses grands moyens espousa damoiselle Isabeau de Boullenc, fille de maistre Simon de Boullenc, sieur de Garambouville, permier conseiller au Parlement et petite-fille de messire Richard de Boullenc, chevalier, et capitaine des villes et chasteaux d’Evreux et Beaumont-le-Roger, qui fut fils du milort de Boullenc d’Angleterre. — (Vallet de Viriville, op. cit., p. 79, 80.)
Cette Isabeau devait être la sœur de
Jacques de Boullenc, écuyer, seigneur de Garambouville, reçu conseiller au Parlement de Paris, le 27 novembre 1522
, d’après La Chenaye-Desbois qui ne remonte pas plus haut dans la généalogie de cette famille. S’agit-il de la même famille anglaise (ou anglo-normande) des Boulen ou Boleyn d’où sortira la seconde femme d’Henri VIII ? - [120]
… en conséquence de cette répugnance que le possesseur d’un fief de dignité soit roturier, il y a quelque appartenance de tenir que ceux qui possèdent ces fiefs sont presumez nobles,
écrira Loyseau un siècle plus tard (Traité des ordres, c. V, 66).
- [121]
Art. 258 :
Les roturiers et non noble achetant fiefs nobles, ne seront pour ce annoblis ni mis au rang et degré des nobles, quelque revenu et valeur que soient les fiefs par eux acquis. — (Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, Paris, s. d., t. XIV, p. 439.)
Nous empruntons les développement qui suivent à Jean-Richard Bloch, L’anoblissement en France au temps de François Ier, op. cit., au chapitre
Anoblissements par prescription
, p. 36 sq. Voir id., La Roque, Traité de Noblesse, op. cit., p. 104-107. - [122]
Bloch, op. cit., p. 43.
- [123]
Id., p. 43, 44.
- [124]
Id., p. 45.
- [125]
Id., p. 40.
- [126]
Id., p. 41.
- [127]
Id., ibid.
- [128]
Id., p. 42.
- [129]
… les hommes du Tiers-État tendaient à se substituer toujours davantage aux anciennes classes nobles, pénétrant à l’intérieur même de la structure et de la hiérarchie féodales. Le rythme de ce phénomène s’accentue plus encore dans la France du XVIe siècle. — (G. Procacci, Classi sociale e monarchia assoluta nella rancia prima meta del secolo XVI, Turin, 1955, Ia p. Strutture economiche e classi sociali in Normandia, p. 116.)
- [130]
Id., p. 117.
- [131]
État des anoblis de Normandie, op. cit., p. 118).
- [132]
Procacci, id., ibid.
- [133]
D’après Fierville (Histoire… de la maison et de la baronnie de Tournebu, loc. cit., p. 229) — qui ne donne pas ses sources —
le fief des Iles-Bardel (Isles-Bardel, Calvados, arr. Falaise) fut racheté et dégagé des mains de Jacques Le Fournier, fils de Ravend, écuyer, par Jacques de La Pommeraye.
- [134]
Fierville, loc. cit., p. 350.
- [135]
Cf. sup. note 117.
Un fait curieux — et significatif à cet égard —est l’histoire rapportée par d’Hozier (op. cit., reg. II, 1e partie : du Chemin) de la
tutelle
de Lucas II du Chemin, disputée entre sa mère Jeanne Le Fournier et Jacques le Fournier son aïeul d’une part, et de l’autre par un certain Pierre Alexandre, bourgeois de Saint-Lô, qui en sa qualité de parent (sans doute du côté paternel)avoit été élu tuteur par des amis paternels.
Si le mineur avait été considéré comme un roturier, sa tutelle eût probablement été déférée à P. Alexandre. Or, une transaction intervint entre les parties, le 2 février 1518, qui attribua la garde de la personne de Lucas à sa mère et celle de ses biens à son aïeul (puis en 1521, à la mort de ce dernier, par lettres données en la Chambre des Comptes à demoiselle Marie de Villebresme sa veuve et à Robert Le Fournier, écuyer, son fils et oncle maternel de l’enfant) : Lucas du Chemin est considéré comme noble, ainsi que ses parents maternels, il n’y a donc plus tutelle, mais garde noble (ou plus vraisemblablement garde royale, concédée par le roi aux parents du mineur). En même temps, défense était faite à P. Alexandre
de s’entremettre ni mesler à la recepte et recollection d’aulcunes rentes et revenus ;
mais ce dernier ayant persisté à vouloir imposer ses prétentions,
Lucas du Chemin devenu majeur, fit saisir sur lui, pour le recouvrement de ses droits, les fiefs, terre et seigneurie du Mesnil-Guillaume et de quelques autres héritages qui passèrent entre ses mains par décret entériné au siège de Saint-Lô le 25 mai 1545.
Ceci montre bien que l’acquisition de fiefs par un bourgeois comme P. Alexandre ne l’avait pas anobli, alors que Lucas du Chemin était considéré comme noble (mais en vertu de quels critères ?). On peut encore ajouter qu’
une sentence du 15 janvier 1549 (1550) adjugea (à Robert Le Fournier) l’aide de relief et l’aide de chevalier (ou aide-chevel), à cause de la mort de Monseigneur le dauphin et du mariage de la reine d’Écosse. — (Fierville, op. cit., p. 230.)
Il est regrettable que Fierville ne cite pas sa source et ne donne pas d’autres détails sur ces survivances de pratiques féodales, d’autant que le dauphin François était mort en 1545 et qu’en 1548 avaient été célébrées les fiançailles — et non le mariage — de Marie Stuart et du futur François II (mariés en 1558). Remarquons enfin que cet octroi survenait quelques mois à peine avant la confirmation de noblesse du baron.
- [136]
En principe, les roturiers tenant fief ne pouvaient exiger l’hommage de leurs vassaux nobles, mais il semble que cette règle n’ait pas toujours été observée en pratique. (Cf. Bloch, op. cit., p. 61). D’après Pasquier
combien que les roturiers eussent à la longue gagné cet avantage sur les Nobles, si falloit-il néantmoins que […] ils impétrassent ceci par bénéfice du Prince et luy en payassent finance. — (Recherches de la France, op. cit., col. 133.)
- [137]
Loyseau, Traité des ordres, c. V, 66.
- [138]
Id., c. VI, 63.
- [139]
Bloch, op. cit., p. 54.
- [140]
Bien est vray, que si un roturier achetoit un Duché, Marquisat, Comté, ou Baronnie, plusieurs ont estimé que par le moyen de tels Fiefs, qui ont titre de dignité annexée, le roturier seroit fait noble, et que le Roy l’avant receu en foy et hommage, tacitement l’auroit annobly […] Ce qui sembleroit estre véritable, si le Roy avoit donné à un roturier pour récompense des actes vertueux, genereux, et signalez, par luy faits au public, ou pour les bons et agreables services faits à sa Majesté, un Duché […] ou Baronnie, et l’avoit receu en foy et hommage. Non pas qu’un roturier fust annobly, et ses veuves et enfans fussent nobles, sous ombre qu’il auroit a un Duché […] ou Baronnie, et qu’il en eust esté receu en foy et hommage […] encore qu’ils fussent immédiatement tenus de la Couronne de France, le plus souvent le Roy ne reçoit les foy et hommage des Duchez […] Baronnies, mouvans de la Majesté, et suffit de les faire par Procureurs en la Chambre des Comptes. Aussi en France pour jouïr des privileges de noblesse, et estre exempt du droit de francs-Fiefs, il est requis estre noble de race, ou avoir esté annobly par lettres du Prince deuëment verifiées. — (Bacquet, Du droit d’anoblissement, Œuvres, éd. Lyon, 1744, t. II, p. 355.)
- [141]
Tous étaient situés dans l’actuel département de la Manche, arrondissement Saint-Lô, communes de Hébecrevon (c. Marigny), du Mesnil-Angot, du Désert (c. St. Jean-de-Daye) et de la Meauffe (c. St-Clair) : Le Féron, Semilly, Le Mesnil-Guillaume, La Ducquerie et La Haulle (d’Hozier, op. cit., reg II, 1e partie : du Chemin). Mention est faite des aveux reçus par Lucas II en 1535 et 1543 des vassaux de son fief de la Haulle (id., ibid.).
- [142]
Il donne acte à Lucas du Chemin
qu’en conséquence de sa comparution au ban et de sa prestation de serment, il lui accordoit mainlevée de la saisie faite de sa terre et de ses biens, pour s’être antérieurement trouvé du nombre des défaillans à la montre générale des Nobles et noblement tenans du Bailliage de Cotentin faite à Montebourg. — (d’Hozier, id., ibid.)
- [143]
Voir Dupont-Ferrier, Les officiers royaux des bailliages et sénéchaussées, Paris, 1902, p. 570 ; Bloch, op. cit., p. 56.
- [144]
Vallet de Viriville, op. cit., p. 80, 81.
- [145]
Quicherat, Procès, t. V, p. 219.
- [146]
… ils sont tous deux déclarez nobles, comme descendus de Pierre du Lis, frère de ladite Pucelle, par ladite Catherine du Lis sa fille, leur ayeule. — (Op. cit., p. 81).
Il y a là une erreur manifeste (ou voulue ?) de Charles du Lys, puisque les lettres d’Henri II ne mentionnent absolument pas cette généalogie. — La date de 1475 est avancée par Henry Le Court (Une usurpation de la noblesse de Jeanne d’Arc en Normandie, s. l. n. d., p. 2) : l’
usurpation de noblesse
dont traite Henry Le Court se place au XVIIe siècle et n’a rien à voir avec celle de Robert Le Fournier. - [147]
D’après Bouteiller (De quelques faits relatifs à Jeanne mi d’Arc et à sa famille, dans Revue des questions historiques, 1878, II, p. 247), un arrêt du sénéchal de Vitré (Ille-et-Vilaine), rendu en 1606 (à la demande de qui ?) attribuerait à Jacquemin d’Arc la paternité des Le Fournier par les Villebresme. Hypothèse évidemment aussi gratuite que les précédentes, en l’absence de preuve véritable.
- [148]
Brachet (Boucher de Molandon, op. cit., p. 130) ; Prévost (Bibl. nat., fr. 26 109, n° 573). Des documents cités par Dupont-Ferrier dans la Gallia Regia (Paris, 1947-1961, t. IV, p. 286, n° 16 392) nous apprennent que François de Villebresme fut institué ou confirmé en l’office de receveur ordinaire
villæ et ducatus aurelianensis
par lettres royaux donnés à Compiègne le 8 juin 1498 ; qu’il mourut avant le 10-11 novembre 1504, date à laquelle sont saisis les biens de sa veuve à Blois, en l’hôtel de de Bernard Prévost, père de la dite veuve, tutrice de ses enfants, laquelle demeurait à Amboise. Le chanoine Hubert, dans ses Généalogie orléanaises, qui donne la filiation des Villebresme et le détail de leurs alliances, paraît ignorer que F. de Villebresme ait été receveur du domaine ; par contre il citeplusieurs de ses membres attachés à la maison d’Orléans à titre de trésoriers ou secrétaires des commandements
(Boucher de Molandon, op. cit., p. 90, note 2). Ces documents n’attribuent pas en tout cas la qualité nobiliaire aux Villebresme. - [149]
Cf. sup. note 2.
- [150]
Fierville, loc. cit., p. 260.
- [151]
M. de Bras, le vieil historien normand, né en 1504, déclare avoir connu en sa jeunesse, Marie de Villebresme et Robert Le Fournier, son fils, et avoir vu et lu entre leurs mains la même charte (les lettres de Charles VII). — (H. Le Court, Une usurpation…, loc. cit., p. 3.)
- [152]
Quicherat, Procès, t. V, p. 220, 221.
- [153]
C’est peu de temps après, par l’ordonnance de 1555, que l’obligation de l’enregistrement par la Cour des Aides s’ajoutera à celui de la Chambre des Comptes (cf. Bloch, op. cit., p. 143 sq. sur la procédure des lettres d’anoblissement).
- [154]
À la vérité,
l’expédition et vérification
des lettres de Charles VII eut lieu à la Chambre des Comptes, le 16 janvier 1430,avec autre vérification de ladicte Chartre par le général des finances de Languedoil et Languedoc, le vingt-sixième dudict mois de janvier et an. — (
Coppie d’arrest de la Cour des Aydes de Normandie… du 13 janvier 1608
, pub. par Bouteiller et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 235.)Mais le fait est qu’entre 1430 et 1550, il n’y aura aucun autre acte officiel touchant cet anoblissement, ce dont ne manquera pas de s’étonner — nous y reviendrons — le procureur du roi au présidial de Vitry-le-François en 1585. La copie officielle — et fautive — qui se trouvait au Trésor des Chartes était celle fournie par le baron de Tournebu, ce qui explique que tous les actes officiels postérieurs d’Henri II et de Charles VII aient porté d’Ay pour d’Arc.
- [155]
Bacquet, Du droit d’anoblissement, op. cit., p. 316.
- [156]
Car nous tenons en France, que pour verifier qu’un homme est noble, il suffit que les témoins deposent qu’ils ont connu son ayeul et son pere, les ont vû vivre noblement, suivre les armes […] et faire autres actes nobles, sans avoir esté assis à la taille comme nobles, même qu’en leurs contrats et actes judiciaires ils ont toujours pris qualité d’Ecuyer, […] et qu’au pays ils ont esté censez, estimez et reputez nobles et par tous les habitans. — (Bacquet, id., ibid.)
- [157]
Elle semble avoir aujourd’hui disparu comme la plupart des archives.
- [158]
Nouvelles recherches…, op. cit., p. 23-46.
- [159]
Id., p. 23, 24.
- [160]
Boucher de Molandon, Études sur la famille de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 136. Villambray = Villamblain, Loiret, arr. Orléans, c. Patay ? Il est inutile d’insister sur les erreurs manifestes de ce texte, sans parler d’un probable doublon.
- [161]
Tous d’ailleurs, racontent que les requérants ont toujours vécu noblement, qu’ils possèdent de grands biens, ont chiens, chevaux et oiseaux de chasse, et vivent en relations habituelles avec la noblesse du pays. —(Boucher de Molandon, op. cit., p. 137).
- [162]
Id., p. 136, 137.
- [163]
Id., p. 137.
- [164]
Bouteiller et Braux, Nouvelles recherches…, op. cit., p. 24, 25.
- [165]
L’enquête de Vaucouleurs eut pour cadre
l’hostel et taverne de honorable femme Magdalene Tremier, veufve de feu Jehan Faulcon, en son vivant prêvost dud. Vaucouleur (id., p. 25) ;
celle de Domrémy
en l’hostel et taverne de la veufve feu Gérard Noblesse, dud. lieu (id., p. 40).
Pour cette dernière s’agit-il de Didon du Lys, nièce de l’autre Didon du Lys, témoin en l’enquête et fille de Didier du Lys, dont Charles du Lys nous dit qu’elle
fut mariée à feu Girard Noblesse, maire de Dompremy. — (Vallet de Viriville, op. cit., p. 57.)
En ce cas, l’enquête se serait déroulée chez un membre direct du lignage intéressé.
- [166]
Bouteiller et Braux, op. cit., p. 33 : témoignage de Mathieu Gilles, praticien.
- [167]
Témoignage de François de Brissey (— Brixey), praticien (id., p. 31). Daly (= du Lys).
- [168]
Témoignage de M. Gilles (id., p. 33).
- [169]
Témoignage de Blaise Barrois, maçon (id., p. 36).
- [170]
Témoignage de Médard Rosnyer (— Le Royer), marchand (id., p. 37).
- [171]
Témoignage de Didier Waultrin, marchand (id., p. 27).
- [172]
Témoignage de F. de Brissey (id., p. 31). F. de Brixey, petit-fils de Claude du Lys.
- [173]
Id., ibid.
- [174]
Id., p. 31, 32.
- [175]
Id., p. 34.
- [176]
Id., p. 38.
- [177]
Id., p. 44. C’était apparemment un cousin de Lucas du Chemin, fils d’une sœur de sa mère, Françoise, épouse de Robert Morin, sgr de Banneville (B.-la Campagne, Calvados, arr. Caen, c. Troarn), lui aussi directement intéressé à l’affaire. Cf. Bouteiller et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 150 ; Fierville, loc. cit., p. 231, note 1 et (avec réserves) ; H. Emedy, Le sang de Jeanne d’Arc en Normandie, in Bulletin de la Société historique de Lisieux, 1959-1960, n° 30, p. 22-23.
- [178]
Fils de Jeanne du Lys et de Nicolas Robinet, dit Hurlot (v. Bouteiller et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 93).
- [179]
Nouvelles recherches…, p. 42.
- [180]
Id., p. 44.
- [181]
Id., ibid.
- [182]
Id., p. 45, 46.
- [183]
Id., p. 46.
- [184]
La Roque, Traité de la noblesse, op. cit., p. 149.
- [185]
Bacquet, op. cit., p. 362. Il est vrai que le même auteur avait stipulé plus haut (id., p. 361) :
Aussi le meilleur, voire besoin sera que les témoins soient Gentishommes de race, Officiers Royaus, ou subalternes, et autres gens de qualité et d’honneur, non pas simples marchands, laboureurs, artisans et mechaniques,
ce qui nous l’avons vu, n’est pas précisément le cas.
- [186]
Voir La Roque, op. cit., p. 149.
- [187]
On cite parfois, en sens contraire, un texte de Montfaut, le commissaire royal chargé par Louis XI en 1463 de la recherche des faux nobles en Normandie :
Item, aussy cy sont enregistrez les aultres personnes qui se disoient estre nobles, tant à cause de leurs femmes, mères et nobles fiefs qu’ils ont acquis.
Mais peut-on fonder une institution ou une pratique d’aussi grave conséquence que la noblesse maternelle sur un unique texte de circonstance, alors que les coutumes normandes sont parfaitement muettes sur ce point ? Aussi bien, Léo Verriest, chaud partisan de cette forme de transmission de la noblesse, n’insiste-t-il pas particulièrement sur la Normandie. Voir Marcel Grau, De la noblesse maternelle en France et particulièrement en Champagne, th. Droit, Paris, 1898, p. 69, 70 ; Léo Verriest, Questions d’histoire des institutions médiévales. Noblesse. Chevalerie. Lignages, Bruxelles, 1960, p. 83.
- [188]
…ausdiz supplians, ensemble aux aultres successeurs yssuz et descenduz de la lignée masculine et féminine de ladicte Pucelle. — (Quicherat, Procès, t. V, p. 221).
- [189]
D’après Charles du Lys, c’est
sur la poursuite que faisoit ledit Lucas a Chemin, pour avoir restitution des deniers qu’il avoit esté contraint payer pour lesdits francs-fiefs et nouveaux acquests, [que ledit partisan obtint ces lettres : il s’agissait] de quatre-vingts livres d’une part, et trente livres d’autre, prises sur ses biens
dont la Chambre du Trésor l’avait exempté en 1551 et 1553, mais que le receveur des francs-fiefs persiste à lui réclamer pour les raisons indiquées. Il s’agissait sans doute de nouvelles acquisitions de terres nobles effectuées par le seigneur du Féron (Vallet de Viriville, op. cit., p. 81, 82).
- [190]
Id., p. 82.
- [191]
Rappelons que c’est depuis un an (1555) que la Cour des Aides est habilitée à vérifier les lettres d’anoblissement. L’intervention de cette hante juridiction fiscale explique vraisemblablement, en partie du moins, les nouvelles difficultés auxquelles vont se heurter les Le Fournier.
- [192]
La Roque, op. cit., p. 148, 149.
- [193]
Charles du Lys (Vallet de Viriville, op. cit., p. 82). Bois-Heurcoq (= Boisthénon) non identifié.
- [194]
La Roque, op. cit., p. 150.
… que lesdits impétrans et tous autres qui seroient de la parentelle de ladite Pucelle par ses frères, tant en ligne masculine que féminine, fussent maintenus comme nobles en l’exemption de la recherche desdits francs-fiefs et nouveaux acquets, et en tous autres droicts de noblesse, nonobstant lesdites lettres de révocation ou de réduction du vingt-sixiesme mars précédent, auxquelles est dérogé par icelles. — (Charles du Lys, Vallet de Viriville, op. cit., p. 82, 83.)
- [195]
La Roque, op. cit., p. 150. L’immunité fiscale des nobles ou anoblis était examinée en premier ressort par les élus, responsables de la levée de la taille, mais elle touchait avant tout les taillables eux-mêmes, appelés à cotiser chacun pour une part plus importante, dans le système de l’impôt de répartition, lorsque l’un se leurs concitoyens en était exempté :
Tellement que celuy qui a obtenu Sentence à son profit avec le Substitut de Monsieur le Procureur General du Roy en quelque Election, par laquelle il est declaré noble, et veut faire confirmer par Arrest ladite Sentence, suivant l’Edit du reglement des tailles, doit faire appeller les manans et habitans de sa demeurance, pour prendre communication du procez, et dire qu’ils voudront empêcher que la Sentence par luy obtenuë ne soit confirmée par Arrets. — (Bacquet, Du droit d’anoblissement, op. cit., p. 362.)
- [196]
Fierville, loc. cit., p. 232.
- [197]
Id., ibid.
- [198]
Avant le décès de son père, Jacques Le Journier, sieur de Harcouelles (= Thury-Harcourt, ch.-l., c., Calvados, arr. Caen ?) épousa Anne Le Valloys (ou Valois), fille de
feu noble homme Nicolas Le Valloys, en son vyvant sieur d’Escouville, Maxeville, etc. et de demoiselle Marye du Val, [laquelle avait promis] audict Le Fournier la somme de sept mil trois cents libvres, [le 25 septembre 1553]. — (Bouteille et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, p. 107, 108.)
- [199]
Jean de Marguerie, qui appartenait à une famille d’ancienne noblesse (cf. La Chenaye-Desbois, op. cit.) avait épousé Marie Le Fournier, fille du baron Robert ; il était l’un des élus de l’élection de Caen et appartenait à la religion réformée (cf. extraits des registres des baptêmes de l’église réformée de Caen, pub. par Fierville, loc. cit., p. 233, note 1). Sorteval = Sottevast, Manche, arr. Cherbourg, c. Bricquebec ?
- [200]
Fierville, loc. cit., p. 234, 235.
- [201]
On ignore ce que sont devenus les enfants de Jacques Le Fournier et d’Anne Le Valois, sa femme (au moins deux fils, nés en 1564 et 1565 et une fille née en 1567, d’après les registres de baptême précités). Quant à la descendance de Charles Le Fournier, frère de Robert, il eut, d’après Ch. du Lys,
un fils, Jacques Le Fournier, duquel est descendu Josias Le Fournier, sieur d’Allemagne, qui vit encore aujourd’huy près de Caen (1612), en la profession des armes, comme avoit fait son père, lequel fut tué par un duel, estant en l’armée du Roy, en Gascogne, l’an 1580. — (Vallet de Viriville, op. cit., p. 80.)
Cette branche des Le Fournier — sur laquelle nous ne savons rien d’autre — aurait donc été la seule à embrasser la carrière des armes.
- [202]
Vallet de Viriville, op. cit., p. 15.
- [203]
Cf. d’Hozier, reg. II, 1e partie.
- [204]
Vallet de Viriville, op. cit., p. 83. Il est à croire que Lucas du Chemin s’était encore rendu acquéreur de fiefs, à moins qu’il ne s’agisse de la perception trentenaire ou quarantenaire des droits de franc-fief (que Charles IX devait abaisser à vingt-cinq ans) les
partisans
n’ayant alors tenu aucun compte des dégrèvements antérieurs (cf. Bloch, op. cit., p. 57). La somme de 2 000 livres avancée par Charles du Lys — bien qu’on ne puisse déterminer avec précision ce à quoi elle correspondait — paraît de toute façon considérable. - [205]
Vallet de Viriville, op. cit., p. 83-85 ; La Roque, op. cit., p. 150 (donne la date du 30 juin 1565).
- [206]
La Roque, op. cit., p. 150.
- [207]
Vallet de Viriville, op. cit., p. 85.
- [208]
… il est deschargé de la somme de trois cent cinquante escus, à laquelle il avoit esté taxé pour lesdits francs-fiefs et nouveaux acquests, à cause de sondit fief de Touille.
(Vallet de Viriville, op. cit., p. 85, 86 ; La Roque, op. cit., p.150. Touille = Tourville, Manche, arr. Coutances, c. Saint-Malo-de-la-Lande ?
- [209]
Bouteiller et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 234 (arrêt de la Cour des aides de Normandie).
- [210]
Somme, arr. Montdidier ?
- [211]
Bouteiller et Braux, La famille de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 233.
- [212]
Id., p. 234.
- [213]
Id., p. 236.
- [214]
C’était l’application de la règle des trois générations, mais valait-elle pour la noblesse féminine, surtout dans les conditions où se présentait celle-ci ? Cf. sup. note 156.
- [215]
Bouteiller et Braux, op. cit., p. 239.
- [216]
Id., p. 242, 240. Flamets-Frétils, Seine-Maritime, arr. Dieppe, c. Neufchâtel.
- [217]
Toutefois, ledit exposant craint qu’à cause qu’il n’a eu aulcune confirmation dudict privillège de Nous, quelques siens ennemis le veuillent troubler en la jouissance de sadicte noblesse. — (Id., p. 240.)
- [218]
Id., p. 241.
- [219]
Id., p. 240, 247.
- [220]
… pour la singulière assistance et admirable valleur qu’elle avoit monstrée au bien de son service et de ceste couronne… — (Id., p. 240.)
- [221]
Id., ibid.
- [222]
Id., p. 242, 243.
- [223]
Id., p. 108.
- [224]
Dans un acte de 1579, pour le maintien des privilèges de noblesse de Robert Morin, seigneur d’Escarjeul (non identifié) Charles Morin, seigneur de Besneville (Banneville-la-Campagne, Calvados, arr. Caen, c. Troarn). Henri Morin, seigneur de Vauguiron (non identifié), enfants et héritiers de Jean et Jacques Morin, jouissant de tous les droits de noblesse suivant les informations et du consentement des habitants de la paroisse Saint Jean de Caen, il est dit que
pour obvier aux abbus qui se pourroient commestre en faict de ladicte parentelle et consanguinité celluy de la famille qui sera esleu par tous les advis doibt estre chargé de faire registre au vray de ceux qui sont descendus des pères, mères, frères et sœurs de ladite Day dicte la Pucelle, lequel sera envoié en la Chambre du trésor de dix ans en dix ans, pour Y avoit recours quand il appartiendra. — (Fierville, loc. cit., p. 231-232, note 1, d’après les papiers de l’abbé Le Fournier, curé de Clinchamps.)
C’est d’une véritable auto-défense de la famille contre les intrus qu’il s’agit ici ! La généalogie donnée pat M. Emedy (loc. cit.) ne paraît pas correspondre à celle donnée ici.
- [225]
Le 3 février 1580, un arrêt du conseil privé était rendu en faveur de
Jean Marguerie, sieur de Sorteval Elu en l’Election de Caen (cf. note 199) ; pour Adam Dodeman, sieur de Placy (Calvados, arr. Caen, c. Thury-Harcourt) pour Jeanne Marguerie sa femme : pour Jacques Fauvel sieur de Fresnay (non identifié), lieutenant en l’amirauté de France au siège d’Oxistrehan, Ouistreham ; pour Charles Noël, sieur de Démouville (Calvados, arr. Caen c. Troarn), et autres descendus de Jeanne Le Fournier et de ses sœurs issues de Marie de Villebresme… Le Procureur Général du Parlement de Rouen et les Elus de Caen étoient défendeurs. Ils (les défendeurs) obtinrent encore des décharges pour les entrées des Villes contre les Echevins et les Syndics des lieux de leur demeure. — (La Roque, op. cit., p. 150.)
Hormis les Marguerie, il n’est guère possible de connaître la filiation des autres intéressés.
- [226]
La Roque, op. cit., p. 140.
- [227]
Isambert, Recueil général, op. cit., t. XVI, p. 47.
- [228]
À la suite des remontrances de la Cour des aides de Normandie dans l’arrêt Troismonts, d’après Charles du Lys (Vallet de Viriville, op. cit., p. 88).
- [229]
Isambert, op. cit., id., p. 48.
- [230]
Id., p. 393.
- [231]
La Roque, op. cit., p. 151. Encore croit-on devoir préciser que ce privilège ne s’étendrait pas à
ceux qui sortiroient d’un second mariage, s’il y convoloit ! (Id., ibid..)
Martragny, Calvados, arr. Caen, c. Creully.
- [232]
[Cet] Avocat du Roy au Bailliage de Caen fut déclaré Noble, comme descendu par Charlotte Bourdon, sa mère, en ligne féminine de la race de la Pucelle. (Id., ibid..)
La transmission féminine était donc encore formellement reconnue au milieu du XVIIe siècle.
- [233]
Id., ibid. Ce personnage détenait encore en 1646 l’original des lettres-patentes de Charles VII (cf. Le Court, Une usurpation…, loc. cit., p. 3).
- [234]
La Roque, id, ibid. Sur la généalogie des Douézy — qui remonterait à Isabeau, fille de Robert Le Fournier — v. Le Court, loc. cit., p. 5-7. Philippe Baratte était leur cousin, descendu lui aussi de Catherine, autre fille de R. Le Fournier et épouse de Baudouin, seigneur de Cingal (id., ibid.) (non identifié). L’arrêt rendu en leur faveur le 3 mars 1667 maintenant leur noblesse leur donnait aussi le droit de porter
armes concédées par Charles VII à la Pucelle et à ses collatéraux
(id., ibid.) — Ardaine = Ardennes, Calvados, arr. et c. Caen com. St. Germain-la-Blanche-Herbe ; Vergenettes ou Vergnettes : non identifié. - [235]
Op. cit., p. 152, Bouteiller et Braux publient effectivement divers arrêts ou Jugements des XVIIe et XVIIIe siècles reconnaissant la noblesse de personnes prétendant descendre des du Lys, la dernière décision datant de 1827 et rendue par Charles X en faveur de la famille Gauthier d’Arc (La famille de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 243). Pour la seule Normandie, signalons qu’un érudit normand. M. le chanoine Simon estime qu’en 1921, 2 500 familles
d’extrême variété sociale
se réclament de la parenté johannique ! (Mémoires de l’Académie nationale des sciences, arts et belles lettres de Caen nlle série, à XIII, Caen, 1957, p. 87). Le facteur de multiplication de la noblesse féminine avait bien produit les effets prévus. - [236]
Vallet de Viriville, op. cit., p. 30, 31.
- [237]
La pièce en question appartient aujourd’hui aux Archives Nationales (série AB XIX, cote provisoire : Entrée n° 2093) et les Annales de l’Est, ont bien voulu récemment la publier en son intégralité (20e année, n° 1, 1968, p. 18-29).
- [238]
Id., p. 19, 20. La procédure d’exécution avait commencé en 1582.
- [239]
[D’après] une coppie extraicte à l’original de certaines lettres patentes en forme de chartres et déclarations… sur l’annoblissement de Janne la Pucelle et sa parenté, tant en ligne masculine que féminine
que J. C. Lebesgue, sur commission de ses consorts, avait obtenu de la Chambre des Comptes, le 24 janvier 1584. On peut penser que cette copie a été faite d’après l’acte déposé au Trésor des Chartes par les soins de Robert Le Fournier : il n’en est que plus curieux et plus significatif de constater que le nom de famille de Jeanne est correctement orthographié d’Arc et non d’Ay, comme dans les lettres patentes de 1550.
- [240]
V. notre article,
Un document inédit sur une branche champenoise de la famille de Jeanne d’Arc
, in Annales de l’Est, loc. cit., p. 6 sq. avec l’arbre généalogique. - [241]
Boucher de Molandon avait retrouvé la trace d’un nommé Mangin de Vouthon (un oncle de Jeanne d’Arc depuis quatre siècles oublié : Mangin, in Mémoires de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, 1892, t. 23, p. 241 sq.) qui vivait encore près d’Orléans en 1460 mais qui n’a nullement revendiqué le bénéfice de la noblesse ; au demeurant nous ignorons quelle pouvait être sa parenté avec Jean de Vouthon.
- [242]
V. Bas et V. Haut, Meuse, arr. Commercy, c. Gondrecourt.
- [243]
S. les-Bains, Marne, arr. Vitry-le-François, c. Thiéblemont-Farémont.
- [244]
Bouteiller et Braux, Nouvelles recherches…, op. cit., p. 11.
- [245]
Id., p. 21, 22. Faveresse, Marne, arr. Vitry le-François, c. Thiéblemont-Farémont.
- [246]
Id., p. 3.
- [247]
Arzillières, Marne, arr. Vitry-le-François, c. Saint-Remy-en-Bouzemont. S’agit-il de la maison d’Argilliers en Champagne que se borne à mentionner la Chenaye-Desbois ?
- [248]
Annales de l’Est, loc. cit., p. 21. Lignon, Marne, arr. Vitry-le-François, c. St-Remy-en-Bouzemont.
- [249]
Cf. G. Hérelle, La prise, l’incendie et la ruine de Vitry-en-Perthois par les Impériaux (24 juillet 1544) et la translation de la ville ruinée au lieu de Moncourt sous le nom de Vitry-le-François, in Société des sciences et arts de Vitry-le-François, t. XXX, 1923, p. 1-227.
- [250]
Cf. Valentin, Fondation de Vitry-le-François avec l’arpentage des places à bâtir in Société des sc. et arts de Vitry-le-François, t. VI, 1873, p. 143.
- [251]
Sommaire de la mesure et arpentage des places de la ville de Vitry-le-François…, id., p. 153-225 : Philibert Leglaive recevait, par ex., trois places totalisant 276 pieds de largeur sur 451 de profondeur : Michel Lebesgue, quatre places de 144 pieds sur 423 ; Nicolas Marguin, trois places de 89 pieds sur 328. Au sujet de ce dernier, il ne semble pas qu’il s’agisse du Nicolas Marguin qui fut témoin à la publication des coutumes de Vitry-en-Perthois en 1509 en qualité de
licencié ès droits, advocat du Roy nostre sire audit Bailliage
, deuxième notabilité citée après le lieutenant-général dans les rangs desofficiers, practiciens et tiers-Estat
, qualifié d’honorable personne
mais non de noble : c’était vraisemblablement un membre de la même famille (Bourdot de Richebourg, Nouveau coutumier général, Paris, 1724, t. III, p. 330). Quant à Pierre Braux, seigneur de Florent et du Boschet, c’est un cousin du Pierre Braux de 1585 (cf. Caumartin, Recherche de la noblesse de Champagne, Chalons, 1673, t. I, p. 78). Il est certain que la plupart de ces personnages occupe une haute situation sociale. - [252]
Annales de l’Est, loc. cit., p. 23, 24. Le procureur applique évidemment ici la théorie de la caducité des actes royaux à la mort du roi ; il est cependant surprenant qu’il ignore les lettres de confirmation d’Henri II que les défendeurs connaissent bien.
- [253]
Ce point est particulièrement développé dans l’argumentation des défendeurs qui citent à l’appui de leurs dirent l’autorité d’historiens, Belleforest, du Tillet, Gaguin, Gilles (id., p. 26, 27) Cf. H. Morel, Annales de l’Est, loc. cit., p. 12 sq.
- [254]
Car encores que les premiers ayeulx des deffendeur et joinctz ou aulcuns d’eulx eussent vescuz roturièrement, sy ce que telz actes de rotures ne pouvoient effacer ledict previlege et ne pouvoient oster à leurs enffans ce qui estoit acquis par la vertu de leurs prédécesseurs. (Id., p. 27.)
- [255]
Id., ibid.
- [256]
Citons notamment : Grosley, Recherches sur la noblesse utérine de Champagne in Recherches pour servir à l’histoire du droit français, Paris, 1752 ; A. de Barthélemy, Recherches sur la noblesse maternelle (B.E.C., 5e série, t. II, 1860, p. 122-155) P. Guilhiermoz, Un nouveau texte relatif à la noblesse maternelle de Champagne (B.E.C., 1880, p. 509-536) ; M. Grau, De la noblesse maternelle en France et particulièrement en Champagne, th. Droit, Paris, 1898 ; L. Verriest, Noblesse. Chevalerie. Lignages, op. cit.
- [257]
Troyes, art. 1 (Coutumier général, op. cit., t. III, p. 237) :
Entre gens nobles, le fruict ensuit la condition du pere ou de la mere : car il suffit que l’un des conjoincts par mariage soit noble, à ce que les enfans qui en ystront soient censez et reputez personnes nobles. — (Meaux, art. 4, id., p. 381, 382.)
Les enfans naiz de pere ou de mere noble sont reputez nobles, posé que l’un d’iceux pere ou mere soit roturier. — (Sens, art. 167, id., p. 518.)
Etc.
- [258]
V. Bacquet, Traité des droits de Francs fiefs, Œuvres, t. II, p. 321 ; A. de Barthélemy, Recherches sur la noblesse maternelle, loc. cit., p. 135, 136 ; T. Boutiot, Histoire de la ville de Troyes, Troyes, 1873, t. II, p. 63-65 ; P. Guilhiermoz, Un nouveau texte…, loc. cit., p. 514-517 (affaire Pierre Piat) ; L. Verriest, Noblesse…, op. cit., p. 86-89.
- [259]
N’insistons pas sur le caractère apocryphe depuis longtemps démontré de la légende de la bataille carolingienne de Fontenay (cf. Barthélemy, loc. cit., p. 124. D’autre part, Barthélemy a également prouvé que l’art. 20 de la pseudo —
coutume du roi Thibaut
— et sur lequel on s’appuyait pour fonder en droit la noblesse maternelle comme coutume générale de la Champagne était manifestement interpolé (id., p. 124-126). L’argument tiré de cette coutume par les plaideurs de 1585 était donc sans valeur. - [260]
Procès-verbal des coutumes de Meaux (Coutumier général, op. cit., p. 406).
- [261]
Procès-verbal des coutumes de Troyes (id., p.257).
- [262]
Coutumes de Beauvaisis, éd. Salmon, Paris, 1900, t. II, n° 1434.
- [263]
Cf. id.
Se aucuns hom estoit chevaliers et ne fust gentis hom de parage, tout le fust-il de par sa mère, si ne le pourroit-il estre par droit… — (Établissements de St. Louis, éd. Viollet, Paris, 1881-1886, t. II, p. 252.)
- [264]
La Roque (op. cit., p. 142, 143) cite une dizaine de cas pour la plupart de la seconde moitié du XVe siècle et le dernier étant daté de 1507, mais l’exemple le plus caractéristique est sans doute celui de Jean Govier (Gouyer ou Gruyer) :
Mesme y a un Arrest du 7 Aoust 1483 par lequel après enqueste faite en turbe de la Coustume de Chasteau-Thierry, cy-dessus recitée, et recollement fait des témoins examinez en cette enqueste : Jean Govier, esleu sur le fait des Aydes en l’election de Chasteau-Thierry, fils de Matthieu Govier, non noble, et de Thiennette Beaudrier noble, a esté déclaré noble : défenses faites aux habitans de Chasteau-Thierry, l’asseoir et imposer ès tailles qui seroient mises sus audit Chasteau-Thierry, et ordonné qu’il en demeurera franc et exempt, tant et si longuement qu’il vivra noblement, et ne fera acte dérogeant à noblesse. — (Bacquet, Traité des droits de francs fiefs, op. cit., p. 318.)
Cf. id. Commentaire de Godet sur la coutume de Châlons, in Le Coutumier de Vermandois, Paris, 1728, t. I, p. 2.
- [265]
Coutumes générales d’Artois, Paris, 1756, t. I, p. 120.
- [266]
Coutumier général, op. cit., t. II, p. 475.
- [267]
Id., ibid. Thonneux = tonlieux ; prévosté = péage et coutume ; forage = droit sur le vin vendu au détail.
- [268]
Cf. Commentaire de l’art. 51 de la coutume de Troyes (
Tout heritage est franc, et reputé de franc-aleu…
) :Messieurs de la Cour des Aydes ont restraint ledit Privilege par leurs Arrêts, qui ont jugé qu’il n’avoit plus de lieu pour les droits du Roy… ledit article ne produit ses effets qu’à l’égard des particuliers seulement : Pour par les enfans issus de meres nobles, être capables de fiefs et partager noblement ; mais les enfans payent tailles. — (Les Coutumes générales du bailliage de Troyes… Commentaire de Me Louis Le Grand (1661) éd. Paris, 1737, p. 163.)
Ces Coutumes au reste, écrira Bourdot de Richebourg, ne s’observent que pour ce qui concerne les effets coutumiers, comme en partage de successions, et non pour exemption de tailles, et autres privilèges de noblesse. — (Coutumier général, op. cit., t. III, p. 382, note a.)
Pour La Roque (op. cit., p. 146), ce revirement de jurisprudence serait même antérieur à la rédaction de la coutume de Châlons et dû au Parlement de Paris. Il cite, en effet, d’après le commentaire de Pithou sur la coutume de Troyes, un arrêt de 1540 déboutant un requérant prétendant exercer, en sa qualité d’aîné, son droit de préciput sur la succession paternelle
sauf à lui prouver la Noblesse de Race, autre que celle qu’il prétendoit du côté des femmes de Champagne.
Le Parlement ne reconnaissait donc même pas les prérogatives coutumières des nobles maternels, mais on ignore si cette jurisprudence particulièrement sévère s’est maintenue, Plus conforme au nouveau droit paraît un arrêt de la Cour des Aides de Paris de 1566
qui condamna Pierre Ponce à payer la taille, encore qu’il alléguât, que sa mère étoit Demoiselle ; que sa qualité d’Avocat ne dérogeait point à sa Noblesse ; et de plus que la Coutume le déclaroit Noble, ce qui étoit suffisant. Au contraire, le Procureur du Roi répondoit que les coutumes avoient été débattues comme opposées au droit, qu’elles avoient été tolérées par necessité, et pour remplir le pays de Noblesse ; que la cause étant cessée, l’effet devoit cesser. — (Id., ibid.)
- [269]
Bacquet, Traité des droits de francs-fiefs, op. cit., p. 321. Ces nobles de mère prétendaient même
avoir eu droit de prendre le titre d’Ecuyer reservé aux nobles, ce qui a donné lieu aux préposez par le Roy à la recherche des usurpateurs du titre de noblesse, par sa Declaration du 8 février 1661 de les poursuivre pour le payement de la taxe portée contre les usurpateurs de noblesse… — (Id., p. 318.)
- [270]
…l’interest des Nobles de la Coutume… — (Coutumes de Vitry le François avec le commentaire de Me Ch. de Salligny, Châlons, 1676, p. 5).
- [271]
On pourrait rapprocher cette situation de celle des
hommes de loy et de lignage
du Namurois étudiés par L. Genicot (De la noblesse au lignage. Le cas des Boneffe, in R.B.P.H., 1953, p. 39-53) et L. Verriest, Noblesse…, op. cit., qui cite une lettre du Conseil provincial de Namur d’après laquelle il existerait en Namuroisdeux sortes de noblesse, l’une parfaite et perpétuelle, qu’ont ceux qui sont descendus de noble race en ligne masculine, où ont obtenu lettres d’anoblissement ou sont anoblis par quelque estat, l’autre, noblesse temporelle, qu’ont ceux qui font approuver leur lignage et (ont) monstré qu’ilz sont issuz de chevalier et de Dame par sexe féminin (p. 173).
Verriest cite également une
dissertation
du XVIIe siècle qui portait que les lignagers de Bruxelles n’avaient pas unenoblesse entière
, mais seulement unepetite et quasi-noblesse
(p. 180, note). - [272]
Verriest se contente, dans une note, de « remarquer aussi que la coutume de Châlons soulignait expressément que les privilèges des nobles leur profitaient, même s’ils
vivaient roturièrement
(id., p. 80). De même, FF. Chapin constate sans commentaire queles nobles pouvaient en Champagne vivre
marchandement
, autrement dit s’adonner au commerce. — (Les villes de foires de Champagne, Paris, 1937, p. 139.)Les historiens anciens, comme La Roque (op. cit., p. 141) n’ont d’ailleurs pas compris le phénomène :
Cet anoblissement (par les mères) est général dans toutes les Coutumes de Champagne et de Brie ; et même, soit que l’on vive noblement ou roturièrement, il ne se rencontre jamais aucune dérogeance en cette Province ;
le procès de 1585 apporte la preuve manifeste du contraire.
- [273]
Troyes :
[art. 11] Entre nobles, vivans noblement ou roturièrement […] [art. 16] Toute personne noble peut acquerir et tenir fiefs et terres nobles, quelles ou roturièrement. — (Coutumier général, t. III, p. 239, 240.)
Châlons :
[art. 3] Nobles yssus de père noble, mère noble […] encore qu’ils vivent roturièrement. — (Id. t. III, p. 475.)
Chaumont :
[art. 10] Que toute personne noble peut acquérir et tenir fiefs et terres quelles qu’elles soient, posé qu’elle ne vive pas noblement, et qu’elle vive marchandement ou roturièrement… — (Id., t. III, p. 353.)
Vitry-le-François :
[art. 7] Et si tel appellant estoit noble personne, vivant noblement ou roturierement… — (Id., t. III, p. 311.)
- [274]
Seul l’art. 3 de la coutume de Châlons parle des deux mais sans établir de liaison obligée.
- [275]
Bacquet, Traité des droits de francs-fiefs, op. cit., p. 318.
- [276]
Id., p. 321.
- [277]
Il faut cependant reconnaître un certain désaccord entre les commentateurs des coutumes champenoises, particulièrement au sujet du droit de franc-fief. Ainsi Louis Le Grand tire argument de l’art. 16 de la coutume de Troyes pour écrire :
si les Nobles de naissance vivans roturièrement étoient tenus de payer le droit de francs-fiefs au Roy, ils n’auroient pas plus de privilege que les roturiers, et ce faisant la disposition du présent article leur seroit inutile. C est pourquoi il semble que les Nobles, quoique vivans roturièrement et exerçans trafic et negoce, possedant fiefs, ne seront pour raison de la jouissance desdits fiefs, sujets de payer aucune finance, ou droit de francs fiefs. — (Coutume du bailliage de Troyes, Commentaire…, op. cit., p. 59.)
Le Grand n’exprime là il est vrai, qu’un avis personnel que nous nous permettrons de ne pas partager : la véritable distinction entre nobles vivant noblement et nobles vivant roturièrement était ailleurs. Ceci d’autant plus que dans son commentaire de l’art. 1 de la même coutume (id., p. 6), Le Grand déniant à la noblesse maternelle toute possibilité d’échapper aux
droits du Roy
— donc au droit de franc-fief — placerait celle-ci dans une position d’infériorité par rapport à lanoblesse roturière
, ce qui ne nous paraît guère admissible. Par contre, Salligny, le commentateur de la coutume de Vitry-le-François, affirme, à propos de l’art. 46 de la dite coutume, que tous les roturiers (sans exception) étaient tenus de payer la taxe de franc-fief… dans laquelle sont compris indifferemment aussi les enfans des Meres Nobles, s’ils sont descendus de Pere Roturier… — (Coutumes de Vitry-le-François…, op. cit., p. 84.)
- [278]
Prima facie videtur stulta consuetudo, sed non est ita, quia valet pro secundo genitis qui sunt pauperes, et interim coguntur mercantiam exercere donec meliori sorte adepta nobiliter vivere possint, et arma pro Repub. gerere, et tunc non nocet eis, exercitium paganicum intermedium quod est laudabilius quam si se ignaviæ dedissent. — (Cité par Coutumier général, op. cit., t. III, p. 240, note l.)
- [279]
Bacquet, Traité des droits de francs-fiefs, op. cit., p. 322. À noter que Le Grand, pour justifier la prétendue exemption par les
nobles roturiers
du droit de franc-fief, allègueque notre Coutume a favorisé le trafic et le négoce. — (Op. cit., p. 59.)
De même Grosley pense qu’il s’agirait d’un privilège (la noblesse maternelle) octroyé par les comtes de Champagne pour développer les foires en facilitant les mariages entre filles nobles et commerçants allant plus loin encore, Laferrière, dans son Histoire du droit français croyait que cette noblesse liée au négoce se hissait au rang de la noblesse féodale. Barthélemy combat avec raison ces opinions outrées (Recherches…, loc. cit., p. 124) mais qui cesseraient sans doute de l’être si l’on remettait cette « noblesse » à sa véritable place.
- [280]
Lemonnier, Les guerres d’Italie — La France sous Charles VIII, Louis XII et François Ier (1402-1547), Histoire de France (Lavisse, Paris, 1911, t. V, 17e partie, p. 264). V. id. Boutiot, Histoire de la ville de Troyes, op. cit., p. 160, 161.
- [281]
E. Chalin, Les villes de foires de Champagne, op. cit., p. 147.
- [282]
En avril 1230.
Par laquelle Charte ce Comte affranchissoit tous ses hommes et femmes qui luy devoient Tailles personnelles à Vitry en Perthois, et qui pour s’y estre habituez, la luy devroient moyennant cette redevance (de jurée). — (Salligny, Coutumes de Vitry le François, op. cit., p. 162.)
- [283]
Six deniers pour livre et deux pour livre (cf. d’Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne, Paris, 1865, t. IV, 2e partie, p. 724).
- [284]
Op. cit., p. 383. Pasquier cite à ce propos un acte de 1239 par lequel le comte de Champagne place sous son autorité directe Gilles Drapier, serf affranchi de Simon de Meriac, moyennant une redevance annuelle de dix sous qui le tient quitte de tonte taille ou autre exaction. (id., ibid). D’Arbois de Jubainville mentionne également qu’en décembre 1230
Thibaut déclare que Pierre et Colard frères, selliers, de Vitry, ayant acheté de leurs seigneurs leur liberté, moyennant vingt livres, sont devenus ses hommes, et qu’il les a affranchis de toute taille, tolte et demande, de la garde de ville, tour et geôle, d’ost et de chevauchée, moyennant une rente annuelle de cinq sous pour chacun d’eux, total dix sous. — (Op. cit., t. V, Catalogue des actes des comtes de Champagne, n° 2078.)
- [285]
Cité par A. Lefèvre, Les finances de la Champagne au XIIIe et XIVe siècles, in B.E.C., 4e série, 1858, p. 51.
- [286]
Id., p. 50.
- [287]
D’après La Roque, (Traité de la noblesse, op. cit., p. 147 ; 148) une ordonnance de Philippe le Bel de 1302 permet à tout homme de s’avouer bourgeois de Champagne en faisant les soumissions requises, à savoir se présenter devant le juge royal, promettre d’acheter une maison et payer la jurée.
- [288]
Cf. La Roque, op. cit., p. 143 ; Bacquet, Traité des droits de francs-fiefs, op. cit., p. 321 : Salligny, Coutumes de Vitry-le-François, op. cit., p. 173.
- [289]
En 1337,
Marguerite de Freignecourt, femme de Jean le Mossu Clerc et nièce de Maître Mile de Freignecourt Maître des comptes, exposa au roi Philippes VI qu’elle étoit née d’une mère noble, mais que prenant la succession de son (père) roturier elle avoit renoncé à sa Noblesse, selon la Coutume du pays ; de sorte qu’on pouvoit lui demander la Jurée, si elle n’avoit un Clerc pour mari ; c’est pourquoi elle suplioit le Roi qu’il lui plût l’affranchir avec sa lignée. (Le roi) manda au Bailly de Vitry de s’informer diligemment du fait, ensuite de quoi considérant la Noblesse dont (elle) étoit descendue de par sa mère et les services que son oncle lui avoit rendus, il l’affranchit et voulut qu’elle fût quitte de toutes les Jurées, tailles, exactions et autres servitudes qui se lèvent sur les hommes et femmes de Jurée ; voulut aussi que ceux de sa lignée fussent francs Bourgeois, et franches bourgeoises du pays de Champagne et Brie, sans que pour cette grâce ils payassent aucune finance. — (La Roque, op. cit., p. 148.)
- [290]
Les coutumes de Champagne et de Brie
nous enseignent qu’il y avoit deux sortes de Bourgeois : les uns nobles, les autres non-nobles. — (Op. cit., p. 147.)
- [291]
Les monnayers de Troyes au XVIe siècle, in Revue de Champagne, 1875, p. 100, 101.
- [292]
Il est déclaré par Oudart Griveau, lieutenant du bailli de Troyes,
Noble et Gentilhomme, attrait de noble lignée, habile pour joïr et user des privilèges et franchises que joïssent et usent les nobles et gentilzpersonnes du comté de Champagne, nez et attraictz de noble lignée, et par espécial d’exemption de la taille de jurée. — (Barthélemy, Recherches sur la noblesse maternelle, loc. cit., p. 130.)
Barthélemy ne nous dit pas dans son article postérieur sur Les monnayers de Troyes au XVIe siècle et où il étudie la célèbre famille de monnayers troyens des Marisy (dont la noblesse sera maintenue par Caumartin en 1670) si le Nicolas de Marisy reconnu noble en 1449 appartenait à cette famille.
- [293]
[Il] est déclaré bien opposant à la jurée, comme Noble personne Noble lignée et generation du costé et ligne maternelle à cause de Marguerite Drouët seconde femme de Collet Marguin son Pere, et pour raison de sa Noblesse et gentillesse (sic) renvoyé quitte et absous des impetitions et demande du Procureur du Roy… — (Salligny, Coutumes de Vitry, op. cit., p. 173.)
Et Salligny de commenter :
Celuy-là pouvoit bien estre Noble en effet à cause de sa Mere, conne ne apparences y sont dans la Sentence, qui est du Bailliage de Vitry. Dont l’on peut cependant conjecturer que la Noblesse de Mere estoit encor alors considérée ; mais il n’estoit pas necessaire d’estre Noble pour obtenir cette descharge, puisque la franchise suffisoit. — (Id., ibid.)
Ce Pierre Marguin était frère du Claude Marguin de notre document.
- [294]
Barthélemy, Recherches, loc. cit., p. 136. Dans la généalogie de Jean Largentier que B. donne (p. 154), il ressort que plusieurs de ses descendants sont marchands drapiers et teinturiers ou marchands d’étain et reconnus nobles.
- [295]
Bien qu’en 1175 la jurée n’existât pas encore, l’acte que publie Barthélémy (d’après Grosley) montre qu’il s’agit également d’un affranchissement
ab omni tallia, exactione, exercitu et equitatu
, moyennant 20 sous de redevance annuelle pour les deux intéressés, Gérard de Langres et Humbert Saquerel : acte analogue par conséquent à ceux cités dans la note 284. Ils ne pouvaient donc être à l’origine que francs-bourgeois du comte de Champagne, ce sont leurs héritiers qui ont dû par la suite forger la légende d’Anne Musnier, femme de Gérard de Langres, qui aurait défendu, les armes à la main le comte Henri lequel en récompense l’aurait anoblie avec ses descendants, son privilège pouvant se transmettre à l’infini par les femmes ! (Barthélemy, loc. cit., p. 153, 154). - [296]
Traité de la noblesse, op. cit., p. 163. Au début du XVIe siècle, les
hoirs Musnier
provoquent en Champagne un phénomène analogue — car de même origine — à celui qu’on rencontrera à la fin du siècle en Normandie avec les Le Fournier : la multiplication des nobles d’ascendance féminine.Ces lignées se sont développées d’une manière presque incommensurable. Elles peuplent le diocèse de Troyes, et cent vingt-six villages du diocèse de Troyes, de Châlons, de Langres et de Sens.
Elles entraîneront aussi — mais sur le plan local — une réaction des autorités qui s’efforceront de réduire leurs privilèges. (Cf. Boutiot, Histoire de la ville de Troyes, op. cit., p. 257.)
- [297]
Coutume de Châlons, art. 2 (Recueil général, op. cit., t. II, p. 475.
- [298]
Barthélemy, Recherches…, loc. cit., p. 137. Pasquier rapporte qu’en 1402 le procureur du roi de Sens aurait soutenu contre celui de Troyes la distinction entre droit de jurée et droit de bourgeoisie.
Et finalement que la Bourgeoisie estoit droict Royal inseparable de la Couronne, et la Jurée droict du Comté de Champagne, qui se pouvoit separer par Appanage, ou autrement… — (Recherches de la France, op. cit., p. 385.)
Il n’apparaît pas qu’au XVIe siècle on fasse encore cette différence, si tant est qu’on l’ait faite au XVe.
- [299]
Bacquet, Traité des droits de francs-fiefs, op. cit., p. 321. (Il porte par erreur la date de 1635 : cf. La Roque, op. cit., p. 143). Sonmesou = Somsois, Marne, arr. Vitry, c. Sompuis.
- [300]
Salligny, Coutumes de Vitry, op. cit., p. 173. Mutigny, Marne, arr. Reims, c. Ay. Pringy, Marne, arr. et c. Vitry. « Et parce que l’une et l’autre avoient ce même effet d’exemption, on les confondoit dans les actes, ce qui a causé de grands abus» (id., p. 174).
- [301]
Pierre Braux, escuyer, seigneur de Sailly et du Sorton, III fils de Nicolas et Madeleine Morel, né le 8 août 1548, épousa Charlotte le Besgue, fille de Michel, maistre des eaux-et-forêts du Val de St. Dizier et de Louise Marguin… — (Recherche de la noblesse de Champagne par Monsieur de Caumartin, op. cit., t. I, p. 78.)
Son père était
escuyer, seigneur de S. Vallery, conseiller du roi, élu en l’élection de Chalons. — (Id., ibid.)
D’après la Nobiliaire de Lorraine (op. cit., p. 84, 85),
cette famille (Braux) a produit plusieurs grands hommes. Elle est alliée à plusieurs grandes maisons de France…
Quant à notre Pierre Braux, qualifié
l’un des gouverneurs de la ville de Chalons
, il est donné comme l’auteur de la branche de la famille représentée en 1755 par Vincent de Braux. Remarquons également que deux au moins des défendeurs au procès de 1585, Jules César Lebesgue et Étienne Lefebvre ne dérogeaient pas par leurs professions. - [302]
H. Morel, Annales de l’Est, loc. cit., p. 22.
- [303]
Id., p. 23.
- [304]
Car en ce bailliage n’y avoit que quatre qualitez. La première estoit des clercs et gens d’église, la seconde de noblesse, la tierce de bourgeois du Roy qui estoient ceulx qui payoient ledict droict de jurée, la quarte et dernière des serfs et mainmortables envers les seigneurs d’aultres justice(s). — (Id., p. 24.)
- [305]
Mais ce procès n’estoit pas intenté pour la franchise des tailles, pour de l’exemption desquelles il convient vivre noblement, mais du droict de jurée duquel les nobles roturiers jouissoient. — (Id., p. 27.)
- [306]
Id., p. 10.
- [307]
Espices et vision six escus
(id., p. 29). - [308]
Id., p. 24.
- [309]
Ils auraient pu aussi bien revendiquer la noblesse
roturière
plus proche d’eux, mais à coup sûr moins illustre, de leurs aïeux Marguin (v. sup. note 293) ; nous savons aussi que notre document de 1585 qualifie Collot Marguin et Marguerite Drouetnobles personnes
, mais c’était une noblesse utérine indépendante de celle des lignagers de Jeanne d’Arc. - [310]
Art. 7 :
Mais il ne se pratique plus que les Nobles vivans roturierement, soient plus amendables que les Roturiers ; Parce que ne joüyssant pas des Privilèges des Nobles, ils ne doivent pas estre sujets aux mesmes peines. — (Salligny, op. cit., p. 20.)
- [311]
Art. 2 :
Les Nobles vivans noblement..… peuvent demander leur renvoy pardevant le Bailly ; Et au regard des Nobles vivans roturierement, [ils y] peuvent estre convenus, et sont tenus respondre pardevant ledit Prevost. — (Coutumier général, op. cit., t. III, p. 310, 311.)
Le seul privilège restant aux nobles d’origine maternelle à Vitry paraît être celui de l’art. 69 touchant les successions nobles :
Quand deux conjoints par mariage, le mary franche personne et la femme noble, et ladite femme va de vie à trespas, délaissez enfans, le fils aisné aura son droit d’aisnéesse en la succession de sadite Mere, ainsi que dessus est dit ès successions des nobles. — (Coutumier général, op. cit., p. 317.)
- [312]
Il arrive même que l’on qualifie l’exercice de ces privilèges de
noblesse
.Or ce titre de Noble-homme en France n’emporte pas une vraye Noblesse comme celui de Gentil-homme ou d’Escuyer, mais une Noblesse honoraire, impropre et imparfaite, que par mépris on appelle Noblesse de ville, qui à la vérité est plutôt bourgeoisie. Et de cette Noblesse se doit entendre le privilège des Parisiens, contenu en la charte de Louis XI de l’an 1465, qu’ils peuvent avoir armoiries, sont exempts de L’Arrière ban, et de l’impost des francs-fiefs, même des tailles : c’est pourquoi il y a garde bourgeoise fructuaire à Paris, et non ès autres villes. — (Loyseau, Du droit des offices, l. I, c. 7, 63).
Voir id. Bourjon, Le droit commun de la France, Paris, 1747, t. I, p. 32.
- [313]
Annales de l’Est, loc. cit., p. 29.
- [314]
Procez verbal de la recherche de la noblesse de la Champagne fait par Monsieur de Caumartin, Chalons, 1673, p. 5, 6, XX (épistre au Roy) ; p.2 (procez verbal).
- [315]
Op. cit., V. id. Notes de Monsieur de Caumartin sur la recherche des nobles de la province de Champagne en 1673, pub. par E. de Barthélemy, Paris 1883.
- [316]
Le fils de Pierre Braux fut contrôleur en l’élection de Châlons : ses petit-fils et arrière-petit-fils trésoriers de France en Champagne (Caumartin, Recherche de la noblesse de Champagne, op. cit., t. I, p. 178). Des familles Des Champs et Le Febvre sont également mentionnées dans le nobiliaire de Caumartin (id., p. 211, 215) : elles sont sans rapport avec celles portant les mêmes noms dans la sentence de 1585.
- [317]
Un habitant d’Orléans, Guillaume Compain, avait été anobli en 1429 avec sa postérité de l’un et l’autre sexe (cf. sup. note 7).
Certains Habitans de la ville d’Orleans du nom de Compain, ayant reconnu la prétention des parens collatéraux de la Pucelle d’Orleans, s’efforcerent sur cet exemple d’étendre leur Noblesse aux descendans de leurs filles, parce que les clauses de leur Chartre avoient beaucoup de raport avec celle de la Pucelle, étant même de pareille date. Mais cette prérogative de Noblesse féminine ne leur a pas si bien reussi qu’aux parens de la Pucelle ; et ce privilège qu’ils prétendoient fut entièrement révoqué par le Roi Louis XIII par ses Déclarations de 1635 et 1639. — (La Roque, op. cit., p. 164, 165.)
À vrai dire,
… l’intention du Roy Charles VII n’a jamais été que la grâce qu’il conféroit à Guillaume Compain passât aux filles. Et si les femmes de cette famille avoient eu le privilège d’anoblir, il y auroit plus de la moitié des habitans d’Orleans maintenant Nobles, sans avoir obtenu des Lettres du Prince. (Id., p. 166.)
Il importait évidemment d’éviter que ne se propageât l’exemple normand. Mais le plus étrange en cette affaire est la mention d’une
Catherine de Villebresme, parente de la Pucelle d’Orleans
épouse de Jacques Compain (id., ibid). Un lien mystérieux unissait-il ces familles aux Le Fournier de Normandie ? - [318]
Art. 51 (Isambert, Recueil général…, op. cit., t. XII, p. 610).
- [319]
Art. 181, (id., t, XIV, p. 423).
- [320]
Cf. note 49. Antoine et Henri Macquart avaient pu
espérer des Lettres de reprise de noblesse, ou du moins d’anoblissement entant que de besoin (d’ Hozier, op. cit., reg. I, 1e partie : Macquart de Ruaire).
Ce qu’un membre de cette famille traduisit au siècle dernier de la manière suivante, pour expliquer sans doute que les Haldat aient attendu près de trois siècles pour voir reconnaître (par le duc de Lorraine) leur noblesse johannique les descendants en ligne féminine durent récupérer le privilège perdu
en vertu d’une concession des princes, sous le nom de reprise de noblesse, concession souvent accordée (sic) à une famille dont l’anoblissement primitif avait pour origine un événement à jamais célèbre dans l’histoire. — (Haldat, Considérations sur la famille de Jeanne d’Arc, Nancy, 1844, p. 2.)
- [321]
A. de Barthélemy qui récuse formellement la noblesse maternelle de Champagne, estime
que la véritable noblesse utérine (se) trouve établie exclusivement dans le Barrois. — (Recherches sur la noblesse maternelle, loc. cit., p. 144.)
Mais ce n’est que dans la coutume rédigée de 1579 qu’apparaît cette notion de noblesse maternelle (cf. sup. note 61 bis) apparemment ignorée de l’ancienne coutume. Il est vrai qu’en 1580 les habitants de Gondrecourt — dans le Barrois mouvant — firent valoir
que les enfans issus de père et mère nobles, ou de l’un d’eux, ont toujours été censés de pareille nature, sans que jamais on ait révoqué tel droit en doute…
et que le duc de Lorraine ratifia ce privilège (Barthélemy, loc. cit., p. 145, 146). D’autre part, cependant, les coutumes du pays de Bar — qui dépendait du ressort du Parlement de Paris — s’étaient formées sur le modèle de celle de Champagne et, plus précisément de Sens (Coutumier général, op. cit., t. II, p. 1019). La question se pose alors de savoir si la noblesse utérine du Barrois emportait les mêmes prérogatives que la noblesse paternelle ou si elle n’était — comme dans les coutumes champenoises — qu’une noblesse de qualité inférieure. Il n’est pas possible d’y répondre de façon certaine dans un sens ou dans l’autre. On peut toutefois estimer que, jusqu au milieu du XVIe siècle au moins, c’est-à-dire jusqu’à ce que la jurisprudence pour la Champagne ait été nettement fixée, la noblesse utérine du Barrois emportait tous les effets de la véritable noblesse, en accord avec ce que nous savons de la noblesse des parents de Jeanne d’Arc dans ce pays.
- [322]
… ce qui concerne les droits du Roi et l’interest du public est imprescriptible, notamment sans titre et avec mauvaise foi, et quand il appert de l’origine vicieuse : principalement encore ce qui est hors du commerce privé et de la disposition des particuliers, comme est la Noblesse. — (Loyseau, Traité des ordres, c. V, 37.)
- [323]
Tout au plus peut-on déceler, à la fin du XVIe — début du XVIIe siècle, quelques indices de cette évolution — telle du moins que certains membres de la bourgeoisie pouvaient l’envisager — dans l’œuvre curieuse d’un anobli de fraîche date, Turquet de Mayerne, La monarchie aristo-démocratique. L’auteur ne goûte guère les activités militaires de la noblesse qu’il considère comme inférieures et voudrait voir, au contraire, le noble s’adonner à des
activités bourgeoises
. Partisan d’unenoblesse embourgeoisée
, T. de M.prévoyait que tous les meilleurs et principaux négociants pourraient accéder aux fonctions publiques, source de la noblesse. — (R. Mousnier, L’opposition politique bourgeoise à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle. L’œuvre de Louis Turquet de Mayerne, in Revue historique, t. CCXIII, 1955, p. 8, 9). Ces prises de position allaient sans doute à l’encontre du courant socio-juridique alors dominant : elles n’en sont pas moins révélatrices d’un nouvel état d’esprit.
- [324]
Cf. sur cette question l’ouvrage remarquablement documenté d’E. Dravasa,
Vivre noblement
, Recherche sur la dérogeance de noblesse du XIVe au XVIe siècles, Bordeaux, 1965, 260 p. - [325]
… ni la richesse, ni la qualité de
seigneur
(important ou non) n’a jamais, au bas moyen âge, impliqué ou entraîné noblesse… (voir) un lien de cause à effet entre le standing économique et social des individus et leur statut juridique personnel… est incontestablement une pure vue de l’esprit… Qui pourrait accepter ut distinguo aussi fantaisiste, aboutissant à admettre qu’on pouvait être noble tout en ne l’étant point, et qu’il aurait co-existé une noblesse de caractère juridique et une noblesse de caractère social. — (Verriest, Noblesse…, op. cit., p. 169, 170.)These new noblemen… has slipped quietly into the gentry, simply by the consensus of public opinion and the tacit recognition of their new peers, the local knights and squires… All in all, however, by the second decade of the fourteenth century, the picture was complete of a social group whose real structure was in utter contradiction with its legal status. — (E. Perroy, Social mobility among the french noblesse in the later middle ages, in Past and Present, avril 1962, p. 35, 36.)
Cf. id., L. Génicot, L’économie namuroise au bas Moyen Âge, t. II, Les hommes, la noblesse, Louvain 1960 : P. Bonenfant et G. Despy, La noblesse au Brabant aux XIIe et XIIIe siècles, in Le Moyen Âge, t. LXIV, 1958, p. 27-66 ; G. Duby, Une enquête à poursuivre : la France médiévale, in Revue historique, t. CCXXVI, 1961, p. 1-22 ; etc.
- [326]
E. Goblot, La barrière et le niveau, 2e éd., Paris, 1967.