E. de Bouteiller, G. de Braux  : Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d’Arc (1879)

Introduction

Nouvelles recherches sur la famille de
Jeanne d’Arc
Enquêtes inédites — Généalogie

par

Ernest de Bouteiller
et
Gabriel de Braux

(1879)

Éditions Ars&litteræ © 2025

VIntroduction

Dans notre ouvrage intitulé : La Famille de Jeanne d’Arc, qui a paru l’an dernier, nous avons annoncé la mise au jour prochaine du texte de trois enquêtes, faites aux lieux d’origine de la famille de la Pucelle, par les baillis et prévôts de Vaucouleurs et de Vitry, aux XVe et XVIe siècles : nous avons ajouté qu’elles contenaient des indications inédites d’une réelle importance. Nous tenons aujourd’hui notre promesse, en livrant au public ces pièces authentiques, empruntées à la mine riche et féconde que nous avons déjà tant exploitée. C’est en effet à la libérale communication de MM. de Maleissye que nous en sommes redevables : aucun des lecteurs de notre précédent VIouvrage n'a oublié que ces dignes héritiers de Charles du Lys, dernier du nom et, en cette qualité, chef de la famille, nous ont permis de puiser à pleines mains dans les riches archives réunies par leur érudit aïeul, et conservées par eux avec un soin religieux. Les enquêtes que nous éditons aujourd’hui forment le précieux complément des communications déjà dues à leur bienveillance.

Nous avons dit que ces enquêtes apportaient un contingent de faits nouveaux et présentaient dans leur ensemble un très-réel intérêt. Il ne faudrait cependant pas s’attendre à y trouver un enchaînement clair et précis, fournissant les éléments d’un tableau achevé des premières années de la vie de la Pucelle, non plus que l’éclaircissement complet des obscures origines de sa famille, avant et après sa glorieuse mission. Nous ne devons pas demander aux témoins, dont un grand nombre appartiennent de près ou de loin à la parenté de Jeanne d’Arc, une netteté que ne comporte point le degré de culture de leur esprit.

Presque tous en effet, placés à un degré fort modeste de la hiérarchie sociale, bien que se vantant avec raison de la noblesse que leur a conférée le diplôme de Charles VII, ont reçu une éducation très-imparfaite. L’instruction est VIIpeu développée parmi eux, ainsi que cela s'explique aisément de gens vivant à la campagne, loin des centres d’études, et particulièrement préoccupés de leurs intérêts matériels. On remarque chez eux une absence de notions générales qui ne contribue pas peu à obscurcir leurs dépositions, en dehors des faits ayant un caractère qui leur soit personnel. La matière généalogique leur est presque complètement étrangère, même pour la branche à laquelle ils appartiennent, alors qu’il leur faut remonter au-delà de deux ou trois générations.

C’est ainsi qu’une confusion complète règne dans leurs esprits relativement à Jacques, Jean et Pierre, frères de Jeanne d’Arc. Telle est cette confusion, qu’il y a impossibilité absolue à mettre d’accord leurs dépositions à ce sujet, et que la partie la plus claire de la question deviendrait elle-même obscure, si l'on voulait les en croire.

Mais, à côté de cela, ils apportent sur d’autres points des lumières toutes nouvelles. Quelques-unes de leurs indications sont si nettes et si limpides, qu’on est surpris d’avoir à les mettre au jour pour la première fois : on se demande comment Charles du Lys n’en a pas tiré plus de parti pour son ouvrage. Il avait cependant la VIIIpossibilité d’étudier à loisir des documents précieux par leur authenticité, et de faire ressortir tous les faits encore inconnus qui en découlaient.

Ce n'est pas que nous ayons la pensée de critiquer le savant magistrat aux recherches duquel nous sommes, par le fait, redevables de ce que nous savons sur la matière. Il a sans doute jugé que l'époque où il vivait n'était pas disposée à s'intéresser à des détails trop minutieux sur une personnalité, bien illustre sans doute, mais encore, en ce temps, discutée et imparfaitement comprise. Sans manquer de justice envers les siècles qui nous ont précédés, nous pouvons bien dire en effet que le nôtre, seul, a mis la Pucelle dans son vrai jour, et a vu en elle le type, plus qu’humain, de toutes les vertus patriotiques et chrétiennes. Au XVIIe siècle, Charles du Lys pouvait peut-être craindre d’éloigner les lecteurs de son livre, s’il leur présentait, les unes à la suite des autres, toutes les indications, étrangères à la grande histoire, que nous recueillons, en ce moment, avec une si vive sollicitude. De cette indifférence, sûrement volontaire, et que nous croyons expliquer, il résulte que ceux qui veulent connaître à fond et dans ses détails la jeunesse de la glorieuse Pucelle et l’histoire de sa famille, trouveront IXbien des choses inédites dans l’examen minutieux des enquêtes et des autres pièces publiées par nous. Au nombre des témoins de 1476, il y en a qui ont connu Jeanne, ont vécu à côté d’elle ; plusieurs lui tiennent de près par les liens du sang : c’est avec une véritable émotion que nous recueillons leurs témoignages.

Pour faciliter le travail de ceux qui, ayant peu de loisir, reculeraient devant le dépouillement ardu de ce faisceau de pièces originales, nous croyons devoir faire brièvement ressortir les faits principaux qui s'en dégagent. Tous résultent de dépositions formelles et contrôlées les unes par les autres. La critique peut donc les accepter avec une entière confiance.

I.
Parents de Jeanne d’Arc

Nous ne voulons pas toucher la question de l’origine champenoise ou lorraine de la Pucelle : MM. Athanase Renard et Pernot pour la Champagne, M. Henry Lepage pour la Lorraine1, ont Xétudié avec tant d’érudition les textes et la topographie, pour conclure chacun dans le sens de leur Province, qu’il nous serait impossible d'introduire de nouvelles lumières dans la discussion. Notre seul but est de signaler quelques nouveaux faits et de préciser quelques détails, fixés par le texte de nos enquêtes.

Jacques d’Arc, on le sait y était originaire de Ceffonds, près de Montier-en-Der, province de Champagne. On connaît encore dans ce village la maison d’Arc, que des titres fort anciens désignent comme ayant appartenu, au XVe siècle, à Jean d’Arc, demeurant à Dompremy2. On voit que Jacques d’Arc, en fixant sa résidence à Domremy, avait laissé derrière lui et conservé des intérêts patrimoniaux dans son pays natal.

La famille d’Isabeau Romée habitait au commencement XIdu XVe siècle Vouthon3, village du Barrais mouvant ; mais peu d’années après, les trois membres qui la composaient avaient successivement quitté ce lieu. Isabeau vint se fixer à Domremy avec son mari ; sa sœur Aveline, mariée à Jean le Vauseul, avant 1410, s’établit près de lui à Sauvigny ; son frère, Jean de Vouthon, époux de Marguerite Colnel, s’éloigna du pays à son tour en 1416, pour fixer sa résidence à Sermaize, avec les trois enfants qu’il avait à cette époque.

Pour avoir quitté Vouthon, Isabeau ne renonça pas, elle non plus, à y conserver la part du modeste patrimoine qui lui était échue. Quand son fils aîné, Jacquemin, fut en situation de s’établir, ce fut à lui qu’elle confia l’administration de ce bien. En 1427, Jacquemin d’Arc, marié, selon toute apparence, était habitant de Vouthon. Nous trouvons en effet à cette date, dans le registre intitulé : Exploits de justice tenus et écheus par devant le prévost et son lieutenant par le temps de ce compte, 1426-1428, pour la XIIprévôté de Gondrecourt4, l’indication suivante, qui se rapporte à lui d'une manière bien précise :

Jacquemin d’Ars, demeurant à Vouthon, pour ung deffaut de jour contre Girard Pigonnel, adjourné et relaté par Jehan maire et par continuation d’autre journée : V Sols.

C’est ici la place d’une rectification qui s’adressera à peu près à tous ceux qui ont écrit quelque chose sur l’histoire de la Pucelle, et à nous-mêmes, qui, dans notre précédent ouvrage, n’avons pas évité la commune erreur. Isabeau Romée, mère de Jeanne d’Arc, ne portait aucunement le second de ses noms, comme nom patronymique. Romée est un qualificatif qui lui est absolument personnel y et que n’ont jamais adopté les autres membres de sa famille. Il provenait sans doute d’un pèlerinage à Rome, accompli à une époque et dans des conditions que nous ignorons5. Nulle part le nom de Romée n’est joint à XIIIceux de son frère et de sa sœur : elle-même est fréquemment appelée de Vouthon, comme l’un et l'autre le sont invariablement. Il faut donc, d’une manière absolue, renoncer à l'idée de l’existence d'une famille Romée, alliée à la famille d’Arc. Suivant l'usage général de leur temps, le frère et les sœurs furent connus sous le nom du village d’où ils venaient, après qu’ils l’eurent quitté pour fixer ailleurs leur résidence.

II.
Frères et sœur de Jeanne

Nous parlerons maintenant des frères et sœur de la Pucelle et, avant tous, de Jacquemin, l’aîné, que nous avons laissé en 1427 établi à Vouthon.

Son existence reste entourée d'une obscurité profonde, que nos recherches ont été jusqu’à présent impuissantes à dissiper. Nous ne savons ni le temps qu’il a passé dans le pays meusien, ni s'il y a terminé prématurément ses jours, ou si, survivant de beaucoup à sa sœur, il a été, suivant l’indication assez vague d’une des enquêtes, se fixer en Normandie6. Ce qui est certain, c’est XIVque, dans aucun de nos documents, le nom du village de Vouthon n'est prononcé postérieurement à la date précitée.

Jean, le second des frères de la Pucelle, posséda d’abord, ainsi que nous l’avons dit, mais sans que nous puissions assurer qu'il l’ait habitée, la maison paternelle de Ceffonds. Nous le voyons ensuite bailli de Vermandois et capitaine de Chartres, puis prévôt de Vaucouleurs, et enfin établi en la maison de son père à Domremy, en 1468, après avoir quitté le service actif du roi.

On ne sait s’il posséda cette maison par l'exercice de ses droits personnels ou par ceux de sa femme, fille de Jacquemin d’Arc, mais il est certain qu’il l’habita ; ce fait est formellement énoncé dans le testament de Didon du Lys en 1552. Elle passa ensuite à son fis Claude, auteur des embellissements qui subsistent encore aujourd’hui. Après ce dernier, mort en ne laissant que des filles dont aucune n’habita Domremy, elle fut reprise par son frère Thévenin, et sortit des mains des membres de la famille vers XVle milieu du XVIe siècle7, après avoir eu pour dernier possesseur Claude du Lys, curé de Domremy. Elle passa alors à des collatéraux qui la vendirent en 1586 à Louise de Stainville, comtesse de Salm.

Les descendants de Thévenin du Lys, en quittant Domremy, se fixèrent en Lorraine, où ils possédèrent les seigneuries de Gibaumeix, Seffonds et autres lieux. Un des derniers du nom s'établit à Vaucouleurs, par suite de son mariage avec l’héritière de la maison de Montigny.

Pierre, dit le chevalier du Lys, dernier frère de la Pucelle, après avoir accompagné sa sœur au milieu des périls de la guerre et avoir subi une longue captivité, quitta les armes, pour s’établir auprès d’Orléans, dans le château de Baigneaux, voisin du domaine de l’Île-aux-Bœufs, sur la Loire. Il devait l’un et l’autre aux libéralités du duc Charles d’Orléans, qui avait ainsi XVInoblement payé une dette de reconnaissance envers la libératrice de sa ville d’Orléans. Le prince l'avait de plus honoré de son ordre du Porc-Épic, et c’est depuis lors que le titre de chevalier fut inséparablement attaché à son nom. En 1452 il acheta à Orléans, dans la rue des Affricans, un terrain sur lequel il éleva une maison où vécut sa famille8. Les seigneuries dont il avait la jouissance passèrent à son fils et firent retour au domaine ducal après la mort de ce dernier.

À peu de distance de lui vivait, à Orléans, sa vénérable mère, entourée des soins généreux des Orléanais. Ils lui avaient assuré des ressources qui lui permissent de vieillir en paix et dans l’aisance, au milieu du peuple que sa fille avait sauvé. Nos enquêtes prouvent surabondamment qu’elle menait dans cette ville une existence indépendante de celle de son fils, en constatant que Pierre venait, de son château de Baigneaux, à Orléans, pour y visiter sa mère.

Catherine d’Arc, sœur de la Pucelle, est un XVIIpersonnage effacé au point que son existence avait pu être quelquefois mise en doute, bien qu’affirmée dans les dépositions du procès de réhabilitation. On y voit en effet Jean Colin, de Greux, déclarer que Jeanne allait le samedi

avec une sienne sœur (quadam sorore sua) et d’autres femmes, à la chapelle de Bermont.

Chose singulière, cette sœur de Jeanne, si vaguement désignée, n’était autre que la femme du déposant, ainsi que cela résulte de deux enquêtes parfaitement concordantes. Mais son nom n’est pas prononcé dans le procès, non plus que son âge et sa situation ultérieure n’y sont indiqués.

La plupart des historiens qui ont parlé d’elle ont dit généralement, le tenant sans doute de la tradition, qu’elle s’appelait Catherine. Ils ont dit de plus qu’elle était plus jeune que la Pucelle. On admettait qu’elle n’existait plus en 1429, parce que son nom ne figure pas dans les lettres de noblesse conférées par Charles VII. On ne savait rien au delà.

Nos enquêtes répandent une lumière presque complète sur cette personnalité, d’ailleurs des plus accessoires : nous savons qu’elle avait épousé Colin, maire de Greux, le déposant du procès de réhabilitation : nous savons qu’elle XVIIIs’appelait en effet Catherine, et qu’elle était morte avant que Jeanne ait commencé son héroïque carrière.

Nous trouvons en effet dans la déposition de Catherine Robert, cousine issue de germain de la Pucelle que,

au moment de partir pour Vaucouleurs, Jeanne vint demander à sa tante Aveline, sur le point de devenir mère, de donner à l’enfant qu’elle attendait, si c’était une fille, le nom de Catherine, en mémoire de sa sœur défunte.

On peut se demander si Catherine d’Arc, morte après avoir été mariée, alors que Jeanne avait à peine dix-sept ans, peut continuer à être considérée comme plus jeune qu’elle. Nous croyons, quant à nous, que Jeanne était la plus jeune des filles, et probablement des enfants de Jacques d’Arc.

III.
Parenté collatérale de Jeanne

Nous arrivons aux membres de la famille maternelle de Jeanne d’Arc.

Jean de Vouthon, frère d’Isabeau, prit sa résidence à Sermaize, comme nous l’avons dit. Ses fils y restèrent après lui, et avec son petit-fils, XIXHenry, dit Perrinet, le charpentier, qui ne paraît pas avoir contracté d’alliance, s’éteignit, en ce lieu, le nom de Vouthon. La postérité féminine se prolongea à travers les siècles, et existe encore dans la famille Boucher de Crèvecœur de Perthes.

Nous devons ajouter que dans le village de Heiltz-le-Maurupt, voisin de Sermaize, il existe encore une famille du nom de Des Vouthons. Cette famille ne possède du reste ni titre, ni tradition qui lui permette de se rattacher à la race de la mère de la Pucelle9. Il ne reste, non plus, à Sermaize aucun souvenir ayant trait à la résidence, en cette localité, de la famille qui nous occupe. Les archives sont absolument muettes à son égard, de même que les murailles de la curieuse église de Notre-Dame, en partie romane, dont il est parlé dans nos enquêtes.

Avant de quitter le nom de Vouthon, nous croyons devoir dire un mot sur l’aumônier de la Pucelle, Nicolas de Vouthon, que les enquêtes, déjà sur ce point mises au jour par Charles du Lys, nous font connaître comme étant religieux XXde l’abbaye de Cheminon, de l’ordre de Cîteaux10. Son abbé, Damp Thomas, sur la prière du roi, dit-on, lui donna l’autorisation de suivre sa cousine à la guerre. À partir de là, il n'est plus, nulle part, question de ce personnage ; or nous croyons l’avoir retrouvé. Nous voyons en effet un certain Henry de Vouthon devenir curé de Sermaize vers le milieu du XVe siècle. Il meurt dans ses fonctions pastorales, et son héritage passe, sans conteste et sans partage,

aux de Vouthon, comme à ses plus prochains lignagers.

Il est aisé de voir que cette condition fait de lui forcément un oncle, et comme nous connaissons très-exactement la composition de la famille, nous ne pouvons faire autrement que de l’identifier avec ce même Frère Nicolas.

Nous supposons donc qu’ayant quitté l’habit monastique, il aurait obtenu, en souvenir des services rendus par lui à la Pucelle, la cure d’une ville où se trouvaient réunis ses plus proches parents. Il aurait alors quitté son nom monastique de Nicolas pour reprendre celui de Henry, qu’il avait reçu au baptême, et qu’il avait déjà donné XXIà Henry de Vouthon, son neveu, fils de son frère Perrinet. Et ainsi serait complétée la biographie sommaire de l'aumônier de la Pucelle.

Aveline de Vouthon, sœur d'Isabeau, après s’être, comme nous l'avons dit, fixée à Sauvigny après son mariage avec Jean le Vauseul (ou de Voiseul), vint plus tard prendre sa résidence à Burey-en-Vaulx11. C’est là qu’elle se trouvait à l’époque de la mission de la Pucelle. Il serait difficile de préciser depuis quel temps elle s’y était établie, mais ce qui est bien certain, c’est qu’en 1428 elle habitait ce village, où nous la voyons sur le point de devenir mère. C’est là qu’habitait également sa fille Jeanne, mariée à Durand Lassois, appelé Durand Laxart dans le procès de réhabilitation, soit par suite d’une faute d’écriture, soit par l’emploi d’une forme empruntée au patois local : car nous trouvons à XXIIchaque page des enquêtes le nom de Lassois avec diverses variantes peu importantes12.

Jusqu’à présent y aucun texte n’avait permis de déterminer avec certitude celui des deux Burey qu’habitait Durand Lassois et, par conséquent, celui où la Pucelle avait fait sa résidence.

Une tradition fort ancienne du pays attribuait cet honneur à Burey-la-Côte ; on y montre même encore une maison du XVe siècle, intéressante au point de vue archéologique, que tous les gens de la contrée appellent la maison de Durand Laxart, et dont la façade est reproduite dans le bel ouvrage de M. Wallon. Cependant il résulte de nos enquêtes, de la manière la plus formelle, que c’était à Burey-en-Vaulx qu’habitaient la tante et le cousin de Jeanne d’Arc. Notre embarras est grand entre l’affirmation de textes aussi précis qu’authentiques d’une part, et de l’autre, une tradition acceptée dans le pays de temps immémorial. Admettons comme possible que Durand Laxart ait, soit simultanément, soit successivement, XXIIIpossédé une maison à chacun des deux Burey, ne réclamons pas qu’on aille jusqu’à débaptiser la maison de Burey-la-Côte, mais ne laissons pas dire non plus que c’est là que devint mère, en 1428, Aveline Voiseul, et que Jeanne, venue sous le prétexte de lui donner des soins, partit de là pour Vaucouleurs, sous la conduite de son cousin.

Nous avons, du reste, à faire une remarque au sujet de Burey-la-Côte. Il résulte des papiers de famille des Hordal, que la bonne Hawy, nièce de la Pucelle, source principale de la descendance actuelle de la maison du Lys, habitait ce village, lors de son mariage avec Étienne Hordal en 1467. Faut-il chercher là l’origine de la tradition... ?

Du reste, la famille d’Aveline ne fit pas à Burey-en-Vaulx un très-long séjour. Dès la seconde génération, les Voiseul sont établis à Champougny ; un peu plus tard, ils retournent à Sauvigny, première résidence de Jean Voiseul. Leur descendance féminine est fixée à Chaleines, village aux portes de Vaucouleurs. Les enfants de Durand Lassois quittent aussi Burey pour aller habiter Sauvoy. Telles sont les résidences des membres de la famille à l’époque de nos enquêtes.

XXIVIV.
Les compagnons de route de Jeanne

Nous avons donné à Durand Laxart ou Lassois, le titre de cousin, et non pas d’oncle de la Pucelle. Nous avons besoin de revenir sur ce terme en l’expliquant. Laxart est en effet qualifié d’oncle de Jeanne, dans plusieurs dépositions du procès de réhabilitation. Lui-même se contente de dire que Jeanne était de la parenté de sa femme :

Quod Johanna articulata erat de parentela Johannæ uxoris suæ. [Que la Jeanne en question était de la famille de Jeanne, son épouse.]

En acceptant les termes des dépositions, qui ont été admis par tous les historiens jusqu’ici, il était impossible d’expliquer comment Laxart pouvait être l’oncle de Jeanne d’Arc. Ceux qui l’ont essayé ont été obligés de faire des suppositions manquant absolument de base : M. Vallet de Viriville, et nous-mêmes, après lui, avons en vain cherché une solution plausible. Cette solution, nos enquêtes la fournissent13. Durand n’était pas l'oncle, mais le mari de la cousine germaine de la Pucelle. Il n’y a pas de XXVdoute possible sur l’identification des deux personnages. Un détail curieux à ajouter. Laxart avait pour compagnon, dans le voyage où il servit de protecteur à Jeanne, son parent Jacquet, qui avait pris avec lui son fils Robert, tout jeune encore. Or nous trouvons dans l'enquête de 1476 que cet enfant était destiné à devenir l'époux de Catherine, fille d’Aveline Vauseul, celle-là même à laquelle Jeanne d’Arc venait, pour ainsi dire, en partant, de servir de marraine. L'état-civil de Lassois, de sa femme Jeanne, de sa belle-sœur Catherine, est donc désormais sûrement établi.

On nous pardonnera d’ajouter quelques détails, empruntés à d'autres documents, sur trois personnages dont le nom reste attaché à la mission de Jeanne d’Arc : Jean de Metz, Bertrand de Poulangy et Robert de Baudricourt,

Jean de Metz, âgé de trente ans au moment où il s’offrit généreusement pour guider la Pucelle en France, n’était pas gentilhomme, mais seulement de condition libre. Tels sont les termes de son titre d’anoblissement par le roi du mois de mars 1448 (a. s.). Cette condition libre ne pouvait être mise en doute, s’il était originaire de Metz, ainsi que tout le fait supposer, car en XXVIcette noble ville on n’a jamais connu le servage.

En 1428, Jean était soldoyeur au service de Robert de Baudricourt, après avoir précédemment été à celui de Jean de Wal, capitaine et prévôt de Stenay. Il avait acquis à titre d'engagère, ou suivant un auteur locale hérité de son père, la seigneurie de Nouillompont et Hovécourt14, dont il portait le titre.

En 1455 y nous le retrouvons noble et résidant à Vaucouleurs, selon toute apparence en possession d'un office militaire dans cette ville15.

Bertrand de Poulangy, autant qu’on en peut juger par une pièce authentique, était établi dans le pays, à titre de seigneur foncier, quelques années avant la mission de la Pucelle. Il avait sûrement sa résidence sous la prévôté de Gondrecourt, mais pas dans un lieu dont il portât le nom, car il est impossible d’identifier ce nom avec aucun de ceux du Barrois et des Évêchés16. Quoi XXVIIqu’il en soit, nous trouvons l'indication suivante, qui lui est relative, dans le livre des Exploits de justice déjà cité par nous, au sujet de Jacquemin d’Arc :

Bertrant de Pelongey pour tel cas contre Poiresson Baudinot, auquel il demandoit certaine somme d’argent de prison brisée et le mit en serment du dit Poiresson, qui jura qui en estoit aléz du grez et consentement du dit Bertrant, par ce quoy ne lui devoit pas de prison brisée : pour ce, le dit Bertrant noble homme : VII sols VI deniers.

Ainsi, à une date comprise entre 1426 et 1428, Bertrand de Poulangy, noble homme, était fixé dans le pays ; peut-être était-ce par suite d’une alliance qu’il y avait contractée ? Il est probable qu’il remplissait en même temps un office notable dans la capitainerie de Vaucouleurs, car nous le voyons assez avant dans la familiarité de Baudricourt pour assister à l'audience que ce dernier accorda à Jeanne17. Il était à cette époque âgé de trente-six ans.

XXVIIINous le retrouvons, déposant à l’enquête de 1455, avec le titre d'écuyer du roi scutifer scutariæ regis Franciæ. Il résidait sans nul doute dans le pays, puisque c’est devant les enquéreurs de Toul qu’il était appelé à déposer.

Il nous reste à parler de Robert de Baudricourt, et à dire la manière obscure et triste (fait que nous croyons peu connu), dont se termina sa vie.

On voudrait pouvoir dire que la part prise par ce capitaine, à la manifestation de celle qui sauva la France, lui porta bonheur autant qu’elle lui donna de célébrité. Mais il n’en fut pas ainsi, loin de là ! Baudricourt conserva l’insignifiant gouvernement de Vaucouleurs jusqu’à la fin de sa carrière, fin qui ne se fit pas attendre.

Nous le voyons, en 1431, prendre une part, d’ailleurs fort peu brillante, à la bataille de Bulgnéville, où fut tué Barbazan, puis former alliance avec Robert, damoiseau de Commercy, contre les bourgeois de Toul, dont ce dernier était l’ennemi juré. Mais cette association n’eut pas de résultats heureux. Dès l’année suivante, Baudricourt fut pris par les Toulois, dans une des courses dévastatrices qu’il faisait fréquemment sur leur territoire, et enfermé en une étroite XXIXprison. Les négociations entreprises pour son rachat ne réussirent pas. Le roi de France refusa d'intervenir dans une affaire à laquelle son service avait été étranger. Le capitaine de Vaucouleurs mourut en captivité, et de plus, frappé de la censure ecclésiastique, pour avoir ravagé les terres du Chapitre. Cette censure fut seulement levée après sa mort, de manière à permettre son inhumation en terre sainte. Il reçut la sépulture au couvent des Cordeliers de Toul18.

V.
Une fausse Pucelle

Il nous reste à mettre en lumière quelques faits assez curieux révélés par l'enquête de 1476 au sujet d’une femme qui vint en 1452 jouer effrontément le rôle de la Pucelle.

Tout le monde connaît la célèbre Claude, qui devint dame des Armoises, et dont l'histoire singulière a été l’objet des plus savantes études19. Mais notre fausse héroïne était jusqu’à ce XXXjour restée complètement ignorée. Vêtue d’habits d’homme, suivie de quelques compagnons, nous la voyons venir à Sermaize

festoyer et faire bonne chère

chez les de Vouthon, se faire recevoir avec honneur par le curé du lieu, le provoquer au jeu de paume et lui dire, la partie terminée :

qu’il peut hardiment se vanter d’avoir joué avec la Pucelle de France,

ce dont le digne curé déclare être resté bien joyeux.

On ne sait ce qu’on doit admirer le plus, de l’effronterie de cette aventurière ou de la naïveté de ceux qui l’accueillent. Il y avait vingt-deux ans que la Pucelle avait expiré dans les flammes de Rouen : on la voyait reparaître, vivante et toujours jeune : et nul n’en paraissait surpris, tant ce qui touchait à elle semblait appartenir au monde surnaturel !

Il nous reste à ajouter quelques mots sur une petite-nièce de Jeanne d’Arc qui, un peu plus tard, jouait en quelque façon, mais avec une conviction et une innocence complètes, sinon le rôle de fausse Pucelle, du moins celui de future Pucelle.

Marguerite, fille de Claude du lys et de Nicole Thiesselin, jeune fille aimable et bonne, comme le déclarent les déposants à l’enquête, était le vivant portrait de sa glorieuse tante. Élevée XXXIdans la maison qui avait vu naître cette dernière, au milieu de ses vivants souvenirs, son imagination s’était surexcitée au point de lui faire croire qu’elle était destinée à continuer la mission de la sainte héroïne. Ayant adopté l'habit d'homme, elle s’exerça au maniement des armes, et devint écuyère consommée : elle n’attendait qu’un nouveau péril de la France pour voler à son secours et montrer que le sang de la Pucelle n’était point éteint. Mais l’occasion ne se rencontra point. Ce feu brûlant de jeunesse finit par faire place à des idées plus positives, et mariée paisiblement avec un cultivateur de Horville, elle ne chercha plus d’autre gloire que celle d’être une bonne mère de famille.

Tels sont les principaux faits mis en lumière par l'étude des enquêtes publiées dans ce volume.

Nous avons dit, dans la Préface de notre précédent ouvrage, que nous n’avions pas la prétention d’exclure d’une glorieuse parenté les familles qui ne figuraient pas sur nos listes ; que nous laissions au contraire la porte ouverte à toutes les justes additions, et que nous nous engagions à publier en supplément les généalogies qui nous XXXIIseraient présentées avec des garanties d’authenticité suffisantes.

Un certain nombre de familles ont répondu à notre appel. Elles nous ont envoyé des titres dont nous avons fait une consciencieuse étude. Toutes les réclamations fondées sur des droits sérieux ont été accueillies avec empressement et reçoivent aujourd’hui la publicité promise. Il est quelques autres familles dont la parenté avec Jeanne d’Arc nous a paru possible, probable même, mais non pas tout à fait prouvée. Celles-là, malgré tous nos regrets, nous n’avons pas pu les admettre. S’il en existe d’autres encore, dont les preuves soient en règle et qui ne figurent pas ici, qu’elles ne nous en sachent aucun mauvais gré. Nous n’avons fermé l’oreille à aucune demande et reculé devant aucune recherche, pour être aussi exacts et aussi complets que possible. Si nous n’avons pas réussi à l’être tout à fait, l’absence de documents décisifs mis à notre disposition en aura seule été la cause.

Armoiries personnelles de Jeanne d’Arc
XXXIVArmoiries personnelles de Jeanne d’Arc.

XXXVNota

Nous appelons l’attention sur le blason qui orne le titre de cet ouvrage. Pour la première fois, les armoiries personnelles de la Pucelle sont reproduites iconographiquement. La découverte en est due à M. Quicherat, et se trouve consignée dans une notice publiée par lui récemment (Revue historique, juillet-août 1877). C’est un extrait des registres de l'hôtel de ville de La Rochelle. Il y est dit que Jeanne

fit faire au lieu de Poictiers son estendart, auquel y avoit un escu d’azur et un coulon blanc dedans icelluy estoit : lequel coulon tenoit un roole en son bec où avoit escript : de par le Roy du Ciel.

On savait déjà, par la déclaration de la Pucelle, qu’elle ne porta jamais le blason accordé par le roi à la famille du Lys. On sait maintenant quel était le symbole, témoignage de piété et d’humble soumission, qui tenait dans ses insignes militaires la place où tout chef de guerre plaçait son blason.

Notes

  1. [1]

    Cf. Jeanne d’Arc, Champenoise et non Lorraine, par M. Pernot, Orléans, Jacob, 1852. — Souvenirs du Bassigny champenois, par A . Renard, Paris, Claye, 1857. — Jeanne d’Arc était-elle Française ? par le même, 1856 et 1857. — Jeanne d’Arc est-elle Lorraine ? 1er, 2e et 3e mémoires, par M. H. Lepage. Nancy, Grimblot, 1852 et 1856, et A. Lepage, 1856, — La question a été très-bien résumée par M. l’abbé Bourgaut dans son ouvrage intitulé : Guide et souvenirs du pèlerin à Domremy. Nancy, Berger-Levrault, 1878.

  2. [2]

    Cette maison appartient aujourd’hui à M. Nottat-Collot. Nous devons l’indication de ce fait à M. l’abbé Grancher, curé de Ceffonds.

  3. [3]

    Vouthon, haut et bas, prévôté de Gondrecourt, bailliage de Saint-Thiébault, coutume de Bassigny, présidial de Châlons, parlement de Paris ; aujourd’hui canton de Gondrecourt, arrondissement de Commercy (Meuse).

  4. [4]

    Comptes de la prévôté de Gondrecourt. Archives de la Meuse. — Cf. Annales historiques du Barrois. René d’Anjou, 1429, par M. Servais : dans les Mémoires de la Société des sciences, lettres et arts de Bar-le-Duc, t. VI, 1876.

  5. [5]

    Romée, au féminin, ou dans le Midi, et au masculin Romieu signifiait : qui a fait le grand pèlerinage, qui a été à Rome. — Cf. Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. II, p. 43.

  6. [6]

    À ce sujet, se reporter dans les Preuves du présent ouvrage à l’arrêt du prévôt de Fougères, qui donne Jacquemin d’Arc pour ancêtre aux Le Châtelain, par les Le Fournier et Villebresme.

  7. [7]

    La maison de la Pucelle, vendue à Louise de Stainville, en 1586, par Freyminet, lui venait de Thomassin Guérin, son oncle, qui l’avait sans doute acquise des héritiers de Claude du Lys. Gérard Noblesse, mari de Didon du Lys, possédait la maison voisine, et était le seul membre de la famille habitant alors Domremy. L’acte de 1586 confirme pleinement l’authenticité de la maison de Jeanne d’Arc.

  8. [8]

    Voir l’intéressant mémoire de M. Doinel intitulé : La Maison de la famille de Pierre d’Arc. Orléans, 1877. — C’est pour la construction de cette maison que Pierre du Lys va à Sermaize chercher son cousin, Henry Perrinet de Vouthon, charpentier, et l’amène à Orléans pour diriger les travaux. (Enquête de 1476.)

  9. [9]

    Ce renseignement nous a été donné par M. le curé de Sermaize, précédemment curé de Heiltz-le-Maurupt.

  10. [10]

    Ce monastère, dont une partie des bâtiments et la superbe église existent encore, est situé à quatre kilomètres environ de Sermaize.

  11. [11]

    Burey-en-Vaulx, canton de Vaucouleurs, était, au XVe siècle, un petit hameau de quelques feux seulement, qui faisait partie de la paroisse de Maxey. L’église et le cimetière étaient communs. Il justifiait donc pleinement le nom qu’il portait alors de Burey-le-Petit (Bureyum-Parvum), que M. Quicherat a eu raison d’identifier avec Burey-en-Vaulx, comme il l’a fait avec sa sagacité ordinaire. (Procès, t. II, p. 443, déposition de Durand Laxart.)

  12. [12]

    Ce nom s’orthographie dans nos enquêtes, Lassois, Laxois, l’Assois, d’Assois, d’Auxois. Il contient sans doute l’indication du pays dont était originaire celui qui le portait. Un canton du Bassigny était en effet connu sous le nom, d’Auxois ou d’Axois, de même qu’un canton de la Bourgogne, qui a la petite ville d’Alise pour chef-lieu.

  13. [13]

    Il résulte de cette rectification que les lignes 10 à 14 de la page 92 de la Famille de Jeanne d’Arc doivent être considérées comme nulles.

  14. [14]

    Nouillonpont, avec Hovécourt son annexe, était du Barrois non mouvant ; office et prévôté d’Arrancy, bailliage d’Étain ; actuellement canton de Spincourt, arrondissement de Montmédy (Meuse).

  15. [15]

    Cf. M. Jeantin, Manuel de la Meuse, t, I, p. 186. On y voit Jean de Metz, citain de Verdun, dès le XIVe siècle. — (Sous toutes réserves.)

  16. [16]

    M. le président Jeantin (op. cit.) n’hésite pas à identifier le nom de Poulengy avec celui d’une localité du pays. Il fait plus, il laisse pour ainsi dire le lecteur maître de son choix, en disant : Bertrand de Boulange, sire de Bouligny. Il aurait pu aussi bien lui attribuer la seigneurie de Pulligny, et d’autres encore.

  17. [17]

    Cf. Quicherat, Procès, t. II, p. 457 (réhabilitation).

  18. [18]

    Cf. Les Histoires de Toul. P. B, Picard ; D. Thierry

  19. [19]

    Cf. Les articles de MM. le comte de Puymaigre (Union des arts, revue de Metz) ; Le Coy de la Marche (René d’Anjou et Revue des questions historiques) ; Vallet de Viriville (Histoire de Charles VII), etc.

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