Pie de Langogne  : Jeanne d’Arc devant la Sacrée Congrégation des rites (1894)

Texte

Jeanne d’Arc
devant la
Sacrée Congrégation des rites

par le père

Pie de Langogne

(1894)

Éditions Ars&litteræ © 2024

Préliminaires

De præviis Superiorum licentiis.

Au T. R. P. Arthur Captier, supérieur général de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, postulateur principal de la cause de la Vénérable Jeanne d’Arc

Les futurs hagiographes de Jeanne d’Arc chercheront avec empressement les moindres détails sur sa Cause de béatification, les plus modestes écrits qui en auront parlé. C’est pour eux que j’inscris, en tête de ces pages, le nom du noble travailleur qui a posé les premières et fortes assises du monument de glorification. Ce nom, leur reconnaissance devra le lire comme la mienne voudrait l’écrire : en lettres d’or.

P. P. de L.

VIIJhésus, Maria

Le Décret d’Introduction de la Cause de Jeanne d’Arc n’était pas encore rendu, la Congrégation n’avait même pas tenu séance à cette fin, que des relations, plus ou moins véridiques, jetaient à l’impatience du public des conjectures et des prophéties — ce qui ne tirait pas à conséquence, — voire des aperçus quelque peu fantaisistes sur la Position même de la Cause1 — ce qui était assez osé. — Le silence, alors, eût été d’or, tout au moins acte de respect ; il peut être rompu aujourd’hui sans la moindre crainte d’indiscrétion ; et nous croyons qu’une étude du Dossier, même sommaire et bien imparfaite, ne sera pas, pour nos lecteurs, sans utilité ni sans intérêt2.

VIIIL’Auteur de cet opuscule, depuis bien des années, consacre ses rares moments libres, subcisiva temporis frustula, à l’étude reposante et fortifiante des Causes de béatification et canonisation. Des cent-cinquante ou deux cents dossiers qu’il a pu réunir, aucun n’est comparable à celui-ci ; ou plutôt, pour éviter des rapprochements toujours quelque peu odieux et risqués, disons plus simplement que la Cause de Jeanne est remarquable entre les belles.

Les prédilections divines s’harmonisent, dans la Pucelle, avec une trempe d’âme exceptionnellement riche de droiture, de simplicité, de vaillance généreuse, de finesse d’esprit, de patriotique élan et de noble tendresse. Les faits prodigieux de sa vie ont l’attrait des grands contrastes : l’apogée de la gloire, le comble des souffrances. Et ce triomphe et ce supplice et cette sainteté rayonnent sur le front d’une vierge chrétienne qui n’avait pas vingt ans !

Le Dossier d’ailleurs sort des limites ordinaires d’un simple Procès d’Introduction. L’Introduction d’une Cause n’exige, en somme, qu’un examen d’ensemble sur la Cause elle-même. Il ne s’agissait donc pas de discuter à fond l’héroïcité des vertus, l’authenticité des miracles, le bien-fondé du renom de sainteté, etc. ; mais uniquement de voir si, sur ces divers points, les Procès ordinaires, faits à Orléans, offraient des éléments assez importants et assez bien établis, d’après les normes de la Sainte Congrégation des Rites, pour que le Saint-Siège décrétât qu’il y avait lieu d’ouvrir, dirons-nous, la procédure de fond.

Certes, pour obtenir ce décret, les Procès, même de simple introduction, sont toujours faits avec le soin le plus minutieux, les recherches les plus attentives ; mais pour Jeanne d’Arc, le dossier a, sur chaque point examiné, une telle surabondance de preuves, une telle solidité IXde démonstration que l’on croit lire un Procès définitif. Nous dirions, s’il n’y avait quelque fatuité à exprimer, sur ces sublimes débats, une appréciation personnelle, que tout le gros-œuvre est fait : il ne reste plus qu’à parachever et à orner.

En particulier, les Animadversions du Promoteur de la foi et les Réponses des Avocats domineront jusqu’au bout tous les Procès ultérieurs. On pourra sans doute surajouter des détails ; mais, en substance, on ne pourra pas dire plus, et il sera bien difficile qu’on dise mieux.

Le souffle de Jeanne, comme autrefois dans le cœur des preux qu’elle entraînait aux combats et aux victoires, a passé, semble-t-il, dans l’âme de tous ceux qui ont dû s’occuper de sa cause. Sa voix moult belle et claire a redit à chacun : En nom Dieu, il faut bien besogner ! Et on a bien besogné !

Jeanne n’est plus seulement la Pucelle : elle est la Vénérable Jeanne d’Arc.

Ici-bas, elle menait bon train ses entreprises. Nous pouvons espérer et l’affirmation de cet espoir est un acte de confiance envers le Magistère Apostolique qu’elle hâtera l’heure où notre plume pourra écrire l’invocation que notre cœur dit tout bas : Sainte Jeanne, priez pour nous.

Glycera, la bouquetière dont parle Saint François de Sales3, excellait à bien choisir les fleurs de ses bouquets, à les disposer avec un goût parfait, à en varier merveilleusement les couleurs et les nuances. Ô sainte Église romaine — vraie Glycera des âmes — qu’elle sera belle dans ton bouquet déjà si beau, cette nouvelle fleur de sainteté ! Mais les fleurs de Glycera, pour belles et fraîches Xqu’elles fussent, se fanaient et se desséchaient. Les tiennes, ô notre Mère, sont des fleurs d’éternité ; celle-ci, cette nouvelle fleur, blanche et pourpre comme la pureté et le martyre, recevra de toi un renouveau d’exquise fraîcheur, et de parfum fortifiant. Fleur, épanouis-toi comme le lis, exhale ton parfum, et que ton feuillage s’étende comme une grâce pour nos âmes ; sois un hymne de louange et bénis le Seigneur dans ses œuvres4.

La présente Étude suit tout uniment et pièce à pièce — c’est le mot — le Dossier lui-même. Il n’y donc pas lieu de parler de méthode. Toutefois, les lecteurs peu familiarisés avec le style technique de ces Procès, agréeront, croyons-nous, un canevas succinct qui les aidera à se reconnaître, en leur montrant le lien logique de tous ces documents.

I. — Tout d’abord, l’Instance ou information de l’Avocat en titre, demandant au Saint-Siège l’introduction de la cause. À cette fin, l’Avocat résume la vie et les vertus de Jeanne, etc. Mais ses affirmations doivent être appuyées sur des pièces justificatives.

II. — Ces pièces justificatives sont les Procès instruits à Orléans, et reproduits en extraits, en Sommaire, à la suite de l’instance.

III. — Ce Sommaire donne la quintessence des dépositions des témoins. Or, les témoins justifient leur admiration envers la Pucelle par leurs études sur les Documents.

XIIV. — Ces Documents sont le Procès de condamnation et celui de réhabilitation (documenta judicialia) auxquels s’ajoutent les hommages traditionnels des peuples (documenta traditionalia) et les Lettres postulatoires.

V. — Ces Lettres postulatoires, des Cardinaux, Archevêques, Évêques, Généraux d’Ordre, etc. demandent au Saint-Siège la glorification de Jeanne.

VI. e VII. — À l’encontre de ces Postulatoires, de ces Documents, de cette Instance, le Promoteur de la Foi oppose ses Animadversions, combattues par les Réponses des Avocats.

XIIDéclaration

En esprit de filiale et entière soumission aux prescriptions du Saint-Siège, particulièrement au Décret d’Urbain VIII (2 oct. 1625), je déclare que, dans cette Étude, le titre de Sainte, le qualificatif de Miraculeux le mot de Martyre, etc., n’expriment qu’une persuasion personnelle et ne préjugent aucunement les décisions infaillibles de notre Mère, la Sainte Église.

L’auteur.

XIIIRépertoire chronologique
sur Jeanne d’Arc
dressé d’après les pièces du Dossier et d’après les principaux historiographes de la Pucelle.

Pour n’avoir pas à revenir, à chaque instant, sur les dates et les détails des faits, nous donnons, comme introduction à cette Étude, le répertoire suivant.

6 janvier 1412. — À Domrémy de Greux, bailliage de Chaumont en Bassigny, sur les Marches de la Lorraine, naissance de Jeanne fille de Jacques d’Arc et d’Isabelle Romée. Le 6 Janvier est le jour de l’Épiphanie, fête de la manifestation de Dieu.

1425. — Durant les mois d’été, Jeanne entend, pour la première fois, une voix moult belle et douce, celle de l’Archange St-Michel, lui disant qu’elle doit aller en XIVFrance, au secours du Dauphin, afin que, par elle, il recouvre son royaume qui est le royaume de Messire Jhésus-Christ. Elle fait vœu de virginité.

1428, dans les premiers mois. — Jeanne, à qui les Voix, spécialement Ste Catherine et Ste Marguerite, n’ont cessé, pendant trois ans, de répéter que Dieu la choisissait pour venir en aide à la grande pitié du royaume de France, déclare l’appel divin, auquel sa famille fait opposition.

13 mai 1428. — Jeanne est présentée par son oncle, Laxart, habitant du Petit-Burey, au Sire Robert de Baudricourt, gouverneur de Vaucouleurs, qui tout d’abord ne croit pas à sa mission divine. Jeanne reste quelques mois à Vaucouleurs et retourne ensuite à Domrémy.

1428, fin juillet. — Les troupes d’Antoine de Vergy, du parti anglo-bourguignon, s’avancent vers Domrémy. Les habitants, notamment Jeanne et sa famille, s’étaient déjà réfugiés a Neufchâteau. Jeanne, durant cet exil de 15 à 20 jours, se confesse deux ou trois fois aux Franciscains de cette ville.

1429, vers la mi-janvier. — Les Voix deviennent plus impérieuses. Jeanne retourne à Vaucouleurs : le Sire de Baudricourt écrit à Charles VII pour lui notifier les dires de la Pucelle sur sa mission.

Février 1429, dans les premiers jours. — Le Sire de Baudricourt, probablement après entente avec René d’Anjou, envoie Jeanne à Charles II de Lorraine. Jeanne, munie d’un sauf-conduit, comme étrangère à la Lorraine proprement dite, part avec son oncle et Jean de Novelompont. Pèlerinage à Saint-Nicolas du Port. À Charles II qui, après l’avoir longuement interrogée sur sa mission, lui demandait s’il guérirait, Jeanne répond en l’exhortant à mettre fin aux désordres de sa vie.

XV23 février 1429. — Jeanne, escortée de Jean de Novelompont (Jean de Metz), Bertrand de Poulengy et de quelques archers, part pour aller trouver le Roi à Chinon. Elle était munie de Lettres de créance du Sire de Baudricourt, qui au moment du départ, lui donna son épée. Les gens de Vaucouleurs, émerveillés de la piété de Jeanne et convaincus de la divinité de la mission qu’elle avait affirmée avec tant de persévérance, s’étaient cotisés pour offrir à la Pucelle un cheval et un équipement complet, c’est-à-dire la petite tenue d’un homme d’arme en campagne.

5 mars 1429. — Arrêt à Fierbois, à 6 lieues de Chinon. Jeanne, après avoir longuement prié dans l’Église dédiée à Sainte-Catherine, une de ses Voix, fait écrire au Roi pour lui demander ses ordres. Charles VII l’appelle aussitôt à Chinon.

8 mars 1429. — Le Roi reçoit Jeanne et se convainc de sa mission quand elle répond à un doute secret sur sa légitime filiation.

Mars 1429. — Jeanne est envoyée à Poitiers pour être examinée par une assemblée de théologiens et de docteurs de l’Université, qui, après treize jours de séance, conclurent qu’il n’y avait en elle que tout bien, humilité, dévotion, honnêteté, et qu’on devait l’amener à Orléans pour y montrer le signe divin qu’elle promettait.

— Yolande d’Aragon, belle-mère du Roi, accompagnée de deux autres dames de la Cour, fait subir à Jeanne un autre examen après lequel elle se porte garant de son intégrité virginale.

Une tradition populaire disait que la France, poussée à sa ruine par une femme, serait sauvée, au dernier moment, par une vierge.

— Entre temps, une enquête avait été faite, par ordre XVIdu Roi, à Domrémy et à Vaucouleurs, sur Jeanne et sa famille.

22 mars 1429. — De Poitiers, Jeanne fait écrire aux Anglais qui assiégeaient Orléans pour leur proposer la paix et les sommer d’avoir à lui rendre à elle, la Pucelle envoyée de Dieu, les clefs de toutes les bonnes villes qu’ils ont prises et violées en France. Et n’ayez point en votre opinion que vous tiendrez mie le royaume de France de Dieu, le Roy du Ciel, fils de Sainte Marie ; mais le tiendra le Roy Charles, vrai héritier… Écrit ce mardy, semaine sainte. Jeanne la Pucelle.

— Jeanne se fait faire ung estandart auquel estoit empainturé Dieu en sa majesté et de l’austre costé l’ymaige de Nostre Dame et ung escu de France tenupar deux anges5.

25 avril 1429. — Jeanne arrive à Blois et hâte la formation des troupes de secours. Elle fait publier un ordre du jour défendant à tous gens d’armes de blasphémer, de jurer, les exhortant à se confesser et à chasser toutes folles femmes.

28 avril. — Première nuit de camp. De grand matin, Jeanne assiste à la messe de son chapelain et confesseur, l’Augustin Pasquerel, et fait la sainte communion. Les troupes marchent en accompagnant les chants liturgiques de leurs aumôniers.

29 avril. — En vue d’Orléans. Les soldats, en grand nombre, s’approchent des Sacrements. Le soir de ce même XVIIjour, Jeanne entre dans Orléans pour y porter le secours du ciel.

4 mai 1429. — Assaut contre la garnison anglaise de la bastide Saint-Loup. L’ennemi est forcé ; Jeanne pleure en voyant, pour la première fois, ce boulevard jonché de cadavres anglais. Las ! s’écria-t-elle, tant d’hommes morts sans confession.

5 mai. — Fête de l’Ascension. Jeanne pour solenniser la fête s’oppose au combat. — Nouvelle sommation aux Anglais d’avoir à lever le siège. Ils y répondent par des moqueries et des injures.

6 mai. — Assaut contre les Anglais de la bastide des Augustins. Jeanne va planter son étendard sur les fossés. Terrible sortie des Anglais. Les Français reculent en désarroi, entraînant Jeanne. Soudain, elle fait volte-face et s’élance, seule, contre les Anglais en jetant son cri de guerre : En nom Dieu ! La Hire la suit, les autres chefs reviennent sur leurs pas, comme électrisés par un souffle d’en-Haut.

Les Anglais se replient dans la bastide. Jeanne commande l’assaut, malgré les redoutables fortifications. La Bastide est prise et incendiée. Les Anglais concentrent leurs forces aux Tournelles et dans la grande redoute qui couvrait cette forteresse du côté de la Sologne.

7 mai. — Assaut contre le boulevard des Tournelles. Résistance désespérée des assiégés. Jeanne court aux fossés, fait dresser une échelle contre les fortifications et y monte la première. Un carreau d’arbalète l’atteint en pleine poitrine et la rejette dans le fossé. On l’emmène pour panser sa blessure. Les Anglais exultent, les Français se découragent et les chefs font sonner la retraite. La débandade commence lorsque Jeanne reparaît, à cheval, et s’élance encore contre le boulevard. Un élan irrésistible XVIIIpousse à sa suite chefs et soldats. Les Anglais terrifiés fuient vers la forteresse. Jeanne va planter sa bannière au haut du boulevard. Les Tournelles sont en son pouvoir. Le soir même, elle rentre à Orléans par le pont rétabli des Tournelles.

8 mai, dimanche. — Toutes les troupes anglaises se retirent dans la plaine, du côté de Meung et de Jargeau. Jeanne s’oppose à la poursuite, et fait célébrer deux messes. Puis, pendant que les Anglais s’éloignent, elle conduit ses troupes ainsi que tout le peuple d’Orléans à un Te Deum d’action de grâces. Depuis lors, la ville d’Orléans n’a cessé de fêter, à ce jour, l’anniversaire de sa délivrance par Jeanne.

9 mai. — Jeanne part pour aller à Loches auprès du Roi. À la grande tristesse de Jeanne, un mois se perd en vains conseils.

10 juin 1429. — Elle rentre à Orléans avec le duc d’Alençon et le Bâtard d’Orléans (Dunois) etc.

11 juin. — Combat devant Jargeau. Suffolk et ses chevaliers refoulés dans la ville.

12 juin. — Jeanne assigne elle-même les positions des batteries et fait bombarder la ville. Suffolk obligé de capituler rend son épée à un des suivants de Jeanne. Retour à Orléans dans la nuit du 13.

15 juin. — Jeanne met le siège devant le château-fort de Beaugency, permet au connétable de Richemont, qui venait d’arriver au camp, de prendre part à l’attaque. La garnison capitule dans la nuit du 17.

17 et 18 juin. — Dans cette même nuit, Talbot, Fastolf et Scales opèrent leur jonction et concentrent toutes leurs forces dans la plaine de Meung.

XIXLes chefs français hésitent, mais Jeanne : En nom Dieu, s’écrie-t-elle, chevauchons hardiment contre eux ; quand ils seraient pendus aux nues, nous les aurons. Mon conseil m’a dit qu’ils sont tous nôtres. La bataille est livrée près de Patay. Déroute complète des Anglais. Talbot rend son épée à Xaintrailles.

24 juin. — Le Roi rassemble son conseil à Gien. Nouvelles hésitations, malgré les instances de Jeanne qui supplie le Roi de se diriger vers Reims.

29 juin. — Le Roi, Jeanne et l’armée partent pour Reims par la route d’Auxerre.

5 juillet 1429. — Arrivée devant Troyes. Sommation de Jeanne aux assiégés : Jeanne la Pucelle vous fait savoir, de par le Roy du ciel, son droiturier et souverain seigneur, que vous fassiez obéissance au gentil Roy de France, qui sera bien brief à Reims et à Paris, qui que vienne contre, et en ses bonnes villes du saint royaume, à l’aide du Roy Jhésus.

11 juillet. — La garnison anglo-bourguignonne capitule. Le Roy fait son entrée solennelle à Troyes.

16 juillet. — Entrée du Roy à Reims sans coup férir selon la prédiction de Jeanne.

17 juillet, dimanche. — Sacre du Roy, Charles VII, dans la cathédrale, par l’Archevêque Regnault, Jeanne debout près de l’autel, tient en main sa bannière qui avait été à la peine et qui devait être à l’honneur.

— Ce même jour, Jeanne fait écrire au duc de Bourgogne ; elle le prie et requiert à mains jointes, de par le roy du ciel, de faire bonne paix avec le Roy de France… Tous ceux qui guerroient audit saint royaume de France, guerroient contre le Roy Jésus, roy du ciel et de tout le monde, mon droiturier et souverain seigneur.

XX 21-23 juillet. — De Reims à Soissons : atermoiements et hésitations du Roi malgré les supplications de Jeanne qui voulait marcher droit sur Paris.

29 juillet, vendredi. — Devant Château-Thierry. Au vespre la place se rendit et y fut le roy logié jusques au lundy premier jour d’Aoust ensuivant.

1er-15 août 1429. — Diverses étapes : Montmirail, Provins, Bray, retour à Provins, Coulommiers, La Ferté, Lagny, etc.

18-20 août. — Compiègne envoie ses clefs au Roi : item, Beauvais, qui chasse son évêque Pierre Cauchon, partisan acharné des Anglais.

23 août. — Jeanne, ne pouvant plus supporter les hésitations du Roi et les intrigues de son entourage, s’entend avec le Duc d’Alençon et commande le départ pour Paris.

26 août. — Saint-Denis lui ouvre ses portes : Jeanne frappe une folle femme du plat de son épée. La lame se rompt. C’était l’épée qu’on avait, sur ses indications, découvert à Fierbois sous l’autel de Sainte-Catherine.

8 septembre 1429. — Devant les murs de Paris. Premier assaut dirigé par Jeanne contre la barrière de Saint-Honoré. Dans la mêlée, la Pucelle qui s’était élancée au premier rang, désarme un chevalier ennemi et garde son épée. Jeanne, debout sur le bord du fossé, depuis midi jusqu’au coucher du soleil, dirige les travaux des fagots et des bourrées pour combler le fossé. Du haut des remparts, les ennemis qui l’ont reconnue la prennent pour point de mire. Une flèche l’atteint et la blesse profondément à la cuisse droite. Elle s’appuie au talus et ne cesse d’encourager les soldats. Parfois, on l’entend s’écrier : Le roi ! Le roi ! Ah ! que le roi se montre ! Et le roi ne se montrait pas.

XXILes chefs, qui l’avaient bien peu soutenue, la forcèrent, la nuit venue, d’abandonner la position conquise, et la ramenèrent à La Chapelle, où l’armée la suivit.

9 septembre. — Jeanne, de grand matin et malgré sa blessure, fait sonner le départ pour Paris. La troupe était à peine en marche, que deux envoyés du roi invitent Jeanne et le duc d’Alençon, son fidèle suivant, à retourner sur leurs pas, et commandent aux capitaines de reconduire la Pucelle à Saint-Denis.

13 septembre. — Le Roi, cédant aux conseils ou intrigues de son entourage, décide de retourner à Gien. Jeanne fait don de son armure à l’église de Saint-Denis. Inaction forcée, imposée à la Pucelle. Le parti anglo-bourguignon emporte quelques succès partiels.

— Le Roi, avec sa suite, arrive à Gien, le 21.

Octobre 1429. — Jeanne se rendant au siège de La Charité-sur-Loire, arrive par Mornay, Aubigny, Bagneux et Montilly, à Moulins, où elle s’arrête trois jours pour s’entretenir avec Sainte Colette et se recommander à ses prières. Abandonnée du Roi, qui n’envoyait ni troupes ni argent, Jeanne dut lever le siège et quitter le Bourbonnais, au commencement de décembre.

14 avril 1430. — Jeanne, navrée de l’inaction du roi, part avec quelques fidèles suivants pour aller secourir Lagny-sur-Marne contre les Anglais. De là, à Compiègne que les Bourguignons assiégeaient.

Durant cette période, les Voix de Jeanne lui font, à maintes reprises, pressentir qu’elle va entrer dans la voie douloureuse.

23 mai 1430. — Jeanne sort de Compiègne pour attaquer les forces anglo-bourguignonnes. Lutte désespérée. XXIIJeanne, pour protéger la retraite de ses troupes, reste au dernier rang, combattant toujours.

Le gouverneur de Compiègne, Guillaume de Flavy, redoutant l’entrée de l’ennemi dans la ville, fait fermer les barrières des portes et lever le pont-levis de la chaussée.

Jeanne et les quelques preux, groupés autour de sa bannière, cherchent vainement à gagner les bords de l’Oise pour entrer dans la ville sur les bateaux. La petite troupe est entourée, massacrée par la foule des assaillants. Un archer tire violemment Jeanne par le pan de sa casaque de guerre. Elle tombe de cheval ; elle est faite prisonnière et amenée à Margny, devant le duc de Bourgogne, dont les soldats faisaient plus grands cris et resbaudissements que s’ils eussent pris toute une armée.

À la nouvelle de la captivité de Jeanne, deuil public, supplications, processions dans toutes les villes françaises, mais pas à la Cour où le Roi et son entourage restent dans une complète indifférence, sinon dans une secrète satisfaction.

— Jeanne est remise, par le bâtard de Wandonne qui l’avait arrêtée, à Jean de Luxembourg qui la fait conduire au château de Beaulieu près de Noyon.

— Peu de jours après, Jeanne est transférée, hors du théâtre de la guerre, dans la tour du château de Beaurevoir sur les confins du Cambrésis.

12 juin 1430. — Le conseil du Roy d’Angleterre notifie à l’Université de Paris qui avait réclamé la mise en jugement de cette femme nommée Jeanne, que la Pucelle serait jugée concurremment par l’Évêque de Beauvais (celui-ci avait déjà revendiqué ses droits de juge, parce que la Pucelle avait été prise sur le territoire du diocèse de Beauvais) et par l’Inquisiteur.

XXIII16 juillet 1430. — Sommation du susdit évêque, de par Henri VII, roi de France et d’Angleterre, au duc de Bourgogne et à Jean de Luxembourg d’avoir à remettre l’accusée. Offre à Luxembourg de 6, 000 et puis 10, 000 francs d’or. Cet infâme marché est conclu.

Octobre 1430 vers la fin. ― Jeanne apprend que Compiègne va être forcée par les anglo-bourguignons, et qu’elle-même a été vendue aux Anglais. Son âme est triste jusqu’à la mort, et malgré ses Voix, elle tente de s’échapper en sautant du haut de la tour.

Préservée d’une mort certaine, Jeanne obéit à ses Voix qui la réconfortent et lui disent de se confesser, l’assurant en même temps que Compiègne serait secourue.

Novembre 1430. — Jeanne est transférée au Crotoy, à l’embouchure de la Somme, puis remise par les Bourguignons aux officiers Anglais.

— Du Crotoy, elle est transférée à Eu, puis à Dieppe.

28 décembre 1430. — Jeanne est conduite à Rouen et enfermée dans la prison du château.

3 janvier 1431. — Ordre du Roi de France et d’Angleterre à tous les officiers, ayant en garde Jeanne, de la bailler et délivrer à l’évêque de Beauvais toutes et quantes fois que bon lui semblera, pour être jugée.

9 janvier - 19 février. — Le susdit Évêque, aidé de Guillaume d’Estivet (chanoine de Beauvais, nommé promoteur et bien digne de la besogne qu’on attendait de lui) et d’un tribunal institué ad hoc, prépare les articles informatifs contre Jeanne. La conclusion fut qu’il y avait lieu de procéder contre la dite femme en cause de foi et partant de sommer le vice-inquisiteur XXIVde Rouen de s’adjoindre au susdit évêque pour ce procès.

21 février. — Jeanne comparaît, pour la première fois, devant le tribunal dans la chapelle du château de Rouen. Aux interrogations tumultueuses et captieuses, la Pucelle répond avec une simplicité, une dignité, un à-propos qui mettent de plus en plus en relief les intentions sataniques de Pierre Cauchon.

— Autres séances, publiques ou privées, le 22, 24, 27 février, 1er et 3, 10, 13 et 14 mars, etc.

Avril 1431. — Les 70 chefs d’accusation relevés par l’indigne Estivet, sont résumés en 12 articles, et soumis, sous cette nouvelle forme, aux délibérations et du Chapitre de Rouen et de l’Université de Paris.

Entre temps, Jeanne tombe gravement malade après avoir mangé d’une carpe envoyée par l’évêque de Beauvais. Les chefs anglais s’empressent de la faire soigner par les médecins : ils craignaient tant de ne pas voir leur victime expirer dans les flammes !

2 mai 1431. — L’Évêque, les Assesseurs, c’est-à-dire tout le sanhédrin, se réunissent au château près de la grande cour pour adresser à Jeanne leurs monitions et sommations.

9 mai. — Nouvelle comparution devant le même sanhédrin réduit à 9 membres. Jeanne est menacée de la torture : Si vous voulez torturer mes membres et faire sortir mon âme du corps, je ne vous dirai rien autre (que ce que j’ai dit) ; et si vous m’arrachiez quelque chose de contraire, j’affirmerais toujours ensuite que ç’a été par violence.

12 mai. — Nouvelle réunion de douze assesseurs chez l’Évêque. Celui-ci propose la torture. Trois assesseurs seulement, Morel, Courcelles et Loyseleur partagent son XXVavis. Les autres repoussent cette cruauté odieuse et inutile contre la fermeté de la Pucelle.

19 mai. — Communication d’office au ban et à l’arrière-ban de tous ces juges prévaricateurs, de la réponse envoyée par l’Université de Paris aux 12 articles. Ladite Université conclut à la culpabilité de Jeanne, fausse visionnaire, blasphématrice, avide de sang humain, schismatique, apostate, etc., etc. ; loue le zèle de Pierre Cauchon, et engage le Roi de France et d’Angleterre à faire bonne justice, si la coupable s’obstine.

24 mai. — Jeanne est conduite au cimetière dit de l’abbaye de Saint-Ouen, où deux estrades ont été dressées : sur l’une, le cardinal-évêque de Winchester, avec des seigneurs anglais et la tourbe des juges et assesseurs ; sur l’autre, Jeanne avec l’appariteur, les notaires du Tribunal, et Guillaume Evrard qui adresse à Jeanne une exhortation canonique ou plutôt, dans l’espèce, une violente diatribe, toute d’injures et de mensonges contre la Pucelle et son roi.

Rouennais et Anglais se pressaient en foule dans le cimetière.

Au bas de l’estrade de Jeanne, le bourreau avec sa charrette et ses instruments de supplice.

Aux injonctions, aux injures, la noble victime répond : J’ai dit et je répète que je soumets non à l’évêque de Beauvais, mais au Pape et à l’Église catholique toutes mes paroles et toutes mes actions. Cet appel au Pape, au Seigneur de Rome, à l’Église catholique, Jeanne l’avait tant de fois déjà, et toujours vainement, opposé au parti pris de l’iniquité ! Sa nouvelle instance n’eut d’autre résultat que d’irriter la colère des juges, d’autant plus que les Rouennais ne dissimulaient XXVIplus leur indignation contre eux et leur admiration pour la victime.

Il fallait brusquer les choses : Guillaume Evrard lui enjoint de signer une formule d’abjuration de ses erreurs et méfaits. Elle refuse : Je m’en rapporte à notre Mère la sainte Église catholique. De l’estrade en face, des rangs de la foule, de partout, un même cri s’élevait : Jeanne signez ; ayez pitié de vous-même.

Je m’en rapporte à l’Église catholique, si je dois abjurer ou non ! Que les clercs et l’Église voient la cédule (d’abjuration) et me conseillent. — Tu abjureras présentement, s’écrie Evrard au paroxysme de la fureur, ou tu seras brûlée !

Et les clercs et la foule ne cessaient de crier : Jeanne, signez, signez ! — Les Anglais craignant que leur proie ne leur fut arrachée faisaient pleuvoir sur l’estrade de Jeanne une grêle de pierres. Le tumulte était au comble.

Un secrétaire du Roi d’Angleterre s’approche de Jeanne, lui prend la main droite et lui fait tracer, au bas de la cédule, le trait de plume en forme de rond qui était la signature de Jeanne dans ses autres lettres.

— La cédule ainsi signée fut sans doute remise sur-le-champ à Pierre Cauchon, qui tenait en main le rôle du Procès.

La sentence fut alors rendue par le susdit Pierre Cauchon : Jeanne, hérétique, rebelle, blasphématrice, mais pénitente et abjurée, n’était condamnée… qu’à la prison perpétuelle, avec injonction, sous peine de récidive, de quitter ses habits d’homme et de prendre des habits de femme !

Là était le piège tendu à l’innocente et noble enfant.

Or çà, gens d’Église, s’écria la condamnée, menez-moi XXVIIen vos prisons, comme vous me l’avez promis ; que je ne sois plus entre les mains de ces Anglais. — Menez-la où vous l’avez prise, vociféra le Juge félon. Et la victime fut reconduite dans les cachots du château, où elle avait dû déjà, plus d’une fois, défendre sa pureté contre les attentats des geôliers6.

— Le soir du même jour, Jeanne reprend les habits de femme qu’on lui avait portés.

27 mai. — Jeanne qui avait été remise aux fers et qui ne pouvait se lever de sa couche sans être déferrée par les geôliers, est contrainte, au matin de ce jour, de reprendre des habits d’homme, parce que ceux de femme lui avaient été enlevés pendant la nuit. Les Anglais font aussitôt savoir à Pierre Cauchon que Jeanne a rechuté.

28 mai. — Celui-ci accourt, avec ses juges, dans la prison et fait subir à la victime un nouvel interrogatoire.

29 mai. — L’interrogatoire avec les réponses de Jeanne est communiqué à la tourbe des anciens juges et assesseurs, dans la chapelle du palais archiépiscopal.

Ils concluent que Jeanne hérétique et relapse doit être livrée au bras séculier.

XXVIII30 mai 1431. — Jeanne, de grand matin, voit entrer dans son cachot le dominicain Martin Ladvenu qui lui annonce la sentence de mort, la réconforte, entend sa confession et lui donne, dans la chapelle du château, la Sainte Communion.

À Pierre Cauchon qui vint, peu après, sous prétexte de lui faire la dernière admonition, Jeanne, renouvelée par la force de Dieu contre les souffrances physiques et les tortures morales de cette dernière semaine, dit ces mots : Évêque, évêque, je meurs par vous : j’en appelle à Dieu, le grand Juge, des grands torts qu’on me fait.

Jeanne, en longue robe blanche, monte sur la charrette. Huit cents hommes d’armes l’escortent ou font la haie jusqu’à la place du Vieux-Marché, où trois estrades avaient été dressées à la hâte, en même temps que le bûcher.

Jeanne écoute paisiblement une dernière exhortation du Docteur Nicole Midi, après laquelle elle se met à genoux, et prie quelque temps, le regard levé vers les cieux et comme illuminé par une ineffable vision. Puis elle demande les prières de tous ceux de son parti et de l’autre, et déclare qu’elle pardonne à tous ceux qui lui ont fait du mal. Elle supplie chacun des prêtres présents de dire une messe pour elle. Devant cette noblesse d’âme de la douce victime, l’émotion gagne la foule. Dix mille poitrines éclatent en sanglots et en supplications : les Anglais répondent par des clameurs féroces. Sur un signe du bailli, deux soldats prennent Jeanne sur l’estrade et la conduisent au bûcher. L’exécuteur l’attache au poteau. Jeanne baise longuement les pieds du Crucifix que le dominicain Isambart lui présente. Les flammes s’élèvent. À travers les gémissements de la foule, XXIXles cris de fureur des Anglais, le crépitement du bûcher, on entend les invocations de Jeanne : Saint Michel ! Jésus ! Marie ! Mes voix ! Jésus ! Vers dix heures, un coup de vent écarte, pour un instant, les nuages de fumée et les tourbillons de flamme. On voit nettement Jeanne relever la tête. Elle pousse un grand cri : Jésus ! La tête retombe sur la poitrine… le paradis s’ouvrait devant la martyre.

8 juin 1431. — L’Évêque de Beauvais rédige ou fait rédiger les Actes posthumes (Quædam posterius).

— Le même jour, lettre du roi d’Angleterre à l’Empereur, aux rois et princes de la chrétienté, pour leur annoncer la condamnation, la rechute et le supplice de Jeanne.

15 février 1450. — Lettres patentes du Roi de France, donnant commission à Guillaume Bouillé, doyen de Noyon, de faire une enquête sur le procès de Jeanne la Pucelle, que les Anglais ont mise à mort iniquement et très cruellement.

1450, 1452. — Diverses enquêtes de Bouillé, de Bréhal, etc., Mémoires consultatifs des Docteurs.

11 juin 1455. — Rescrit du Pape Calixte III, qui fait droit à une supplique adressée au Saint-Siège par la famille de Jeanne, à l’effet d’obtenir la révision de la chose jugée pour la recouvrance de leur honneur et de celui de Jeanne. Le Pape nomme commissaires ou Juges apostoliques : l’Archevêque de Reims, Juvénal des Ursins ; l’Évêque de Paris, Guillaume Chartier ; l’Évêque de Coutances, Richard de Longueil.

7 novembre 1455. — À Notre-Dame de Paris, première audience solennelle du Tribunal Apostolique, devant lequel la vieille mère de Jeanne, et ses deux frères. XXXPierre et Jean, requièrent la révision et annulation du procès de Rouen.

Audiences successives les 17 Nov., 12, 15, 16, 17, 18 décembre. Le tribunal s’était transporté à Rouen. Assignations juridiques, publiées à Rouen. Sommations au successeur de l’évêque de Beauvais, à sa famille, à tous ceux qui avaient pris part au procès de Rouen.

— Le tribunal ordonne une enquête au pays de Jeanne. Autres enquêtes : en Lorraine, du 28 janvier au 11 février 1456 ; à Orléans, du 22 février au 16 mars ; à Paris, du 2 avril au 11 mai ; à Rouen, du 10 avril au 4 mai ; à Lyon, le 28 mai, déposition de Jean d’Aulon, l’écuyer de Jeanne.

10 juin 1456. — Le tribunal apostolique déclare définitivement acquis l’ensemble des documents compulsés.

7 juillet 1456. — Sentence des Juges apostoliques :

… Nous disons, prononçons, décrétons, que les dits procès et sentences (contre Jeanne) entachés de dol, de calomnie, d’iniquité, de contradiction et d’erreur manifeste en fait et en droit, y compris l’abjuration susdite, les exécutions et toutes leurs conséquences, ont été et sont nuls, sans valeur, sans effet, et mis à néant.

… Que ladite Jeanne, ainsi que les demandeurs et les parents d’icelle, n’ont contracté, ni encouru, à l’occasion des sentences susdites, aucune note ou tache d’infamie…

1869. — Supplique d’un grand nombre d’évêques français à Pie IX pour obtenir la canonisation de Jeanne. Pie IX répond que le Saint-Siège ne fera aucun acte dans ce sens avant que les Procès ordinaires n’aient été instruits.

XXXI1874, 1875, 1885, 1888. — Procès ordinaires à Orléans.

11 octobre 1888. — Trente deux Prélats, Cardinaux, Archevêques et Évêques, réunis à Orléans pour l’inauguration du tombeau de Mgr Dupanloup, adressent au Saint-Père une supplique collective pour obtenir l’introduction de la Cause.

27 janvier 1894. — Décret d’Introduction de la Cause de Béatification et Canonisation de Jeanne d’Arc, vierge.

1Information
ou Instance

Le premier Document7 de ce volumineux dossier est l’Information ou Instance au Saint-Siège pour obtenir l’introduction de la Cause.

Abrégé biographique de Jeanne d’Arc

L’avocat, Jean-Baptiste Minetti, après avoir exposé à grands traits, d’après l’Histoire de France, par Laurentie, l’état désespéré de ce royaume au commencement du XVe siècle, présente, à la Sainte Congrégation, la Débora des Gaules. Un abrégé biographique, du jour de sa naissance au jour de son supplice, fait revivre devant nous Jeanne l’humble bergerette, Jeanne l’interlocutrice des Anges et des Saintes qui lui révèlent la grande pitié du royaume et l’appellent aux combats, Jeanne l’héroïque guerrière, Jeanne la douce captive et la noble martyre. Il se termine par un aperçu sommaire sur le Procès de réhabilitation en 14568. Ce tableau, 2dont chaque trait a été emprunté aux Actes des Procès ordinaires de la Curie d’Orléans, sert comme d’introduction à l’exposé de l’Avocat sur les Vertus de la Servante de Dieu et sur ses Dons célestes : don de visions et de colloques avec l’Archange St Michel, avec Ste Catherine et Ste Marguerite, — don d’esprit prophétique et d’intuition des cœurs, — don d’une suprême habileté dans l’art de la guerre, don si extraordinaire que Benoît XIV en a nettement affirmé, comme Dunois, comme le Duc d’Alençon et tous les preux qui, à la voix de Jeanne, retrouvèrent leur courage, la provenance divine :

Comment s’est-il fait qu’une jeune fille des champs qui ne conduisait que le troupeau de son père, ait reçu charge de conduire des armées ? Cela ne peut s’expliquer autrement que par l’esprit de prophétie dont Jeanne avait été favorisée, comme le constatèrent, dans leur jugement, les Théologiens et les Docteurs9.

Comme les guerriers qui suivaient sa bannière, 3le peuple et les gens d’Église proclamèrent sa mission divine : un souffle d’en haut ranimait les âmes abattues par de trop longues détresses ; au nom seul de Jeanne, une grande espérance traversait la terre des Francs. Et au-dessus des acclamations populaires qui saluaient l’envoyée de Dieu et ses victoires, l’Avocat nous fait entendre les graves paroles des savants dont la prudente réserve dut céder devant l’évidence du prodige :

C’est Dieu qui a fait cela, s’écriait Gerson en 1429 ; et son exclamation exprime admirablement la pensée de l’Église, la conclusion de la science, aussi bien que les enthousiasmes de la foi du peuple envers l’envoyée de Dieu, envers

la Sainte Pucelle qui fust prinse et martirisée des Anglois10.

Le bûcher de Rouen n’avait pas encore réduit en cendres ce corps virginal, moins encore ce cœur qui résista aux flammes, que de l’estrade où les Anglais avaient pris place pour assister au supplice, un cri s’éleva, déchirant comme un sanglot de terreur : Malheur, malheur à nous qui avons brûlé une sainte ! C’était le Secrétaire des Conseils du Roi d’Angleterre11.

4Jeanne, elle, n’eut aucune parole de malédiction, mais des protestations de pardon à ses bourreaux, des accents d’ineffable humilité. Du haut du bûcher, elle fixait son regard sur le Christ qu’elle avait demandé d’élever devant elle, et, à travers les flammes, le nom de Jésus, tant que la martyre eut un souffle, allait de ses lèvres à cette Croix.

Renom de sainteté

L’Avocat résume ensuite les preuves de ce renom de sainteté qui, depuis plus de quatre siècles, s’affirme sous tant de formes : anniversaires de son martyre, panégyriques, prières même en son honneur, attestations des personnages les plus autorisés, médailles, pèlerinages à sa maison paternelle et, depuis quelques années, au petit oratoire qui fut érigé à l’endroit même où la jeune fille se retirait pour prier et écouter ses voix.

Le paragraphe que l’Avocat consacre aux Grâces et miracles après la mort12, est nécessairement très abrégé, puisqu’il suffit, pour le procès d’introduction, d’établir le fait de la croyance à ces grâces et miracles, et non les miracles eux-mêmes, qui sont d’ailleurs rapportés 5longuement dans les Actes de la Curie d’Orléans.

Jusqu’à l’épilogue13, l’Avocat n’a été qu’un historien. Il a raconté simplement cette vie, en condensant, le plus possible, les in-folios des Actes. On devine, çà et là, que l’historien fait effort pour retenir l’expression de ses admirations et de son attendrissement. À l’épilogue, en développant les motifs qui, aujourd’hui, militent en faveur de l’introduction de la Cause, l’historien laisse plus de liberté aux vibrations de son âme. Introduire cette Cause, c’est offrir au patriotisme un noble modèle : Jeanne a aimé sa patrie, mais cet amour avait sa source et son inspiration dans l’amour pour Dieu et pour la religion. En exaltant Jeanne qui, pour son pays, n’a pas reculé devant le martyre, l’Église bénira le véritable amour de la patrie et réprouvera le patriotisme vulgaire qui oublie la patrie du ciel.

Au rationalisme, qui signifie à Dieu son congé et nie sa providence souveraine dans les événements humains, il est bon d’opposer ce surnaturel visible et tangible, cette démonstration lumineuse : une fillette des champs, choisie par Dieu, jetée par Dieu au milieu des combats, et par Dieu victorieuse là où les vaillants 6et les forts avaient été et devaient être vaincus.

Enfin, l’éloquente unanimité des vœux qui, en Angleterre comme en France et dans tous les pays, demandent au Saint-Siège de poser, sur le front de Jeanne, l’auréole due à sa mission divine et à ses vertus. N’y a-t-il pas, dans tous ces motifs, conclut l’Avocat, une indication providentielle que Dieu lui-même veut maintenant que la gloire humaine de Jeanne reçoive de l’Église sa consécration authentique ?

À ces motifs si justes, on pourrait, ce nous semble, ajouter une considération qui a, comme on dit aujourd’hui, son actualité. L’œuvre de la réhabilitation de Jeanne a été commencée au moment où finissait la guerre de cent ans. La divine Providence a disposé, dans ses desseins impénétrables mais toujours miséricordieux, que l’œuvre de glorification commençât après le centenaire de la révolution : cette coïncidence, même sans la presser outre mesure, n’est-elle pas pour nous une cause de grandes et fières espérances ? Il ne s’agit plus de vaincre et de chasser un ennemi politique, mais bien de bouter dehors toutes les vilenies et les putridités qui souillent le sol de la doulce France. Rendue à elle-même, délivrée de ces éléments parasites et délétères qui rongent son tempérament si généreux et 7si chrétien, la France acclamerait, comme nation, le droicturier et souverain seigneur qui ne l’a pas soustraite aux Anglais pour livrer aux sectaires. Ô Jeanne, déployez votre bannière ; et puisque nous n’avons plus aucun roi qui veuille être sacré, tournez vos regards vers ce peuple qui veut, lui, être sauvé, et redevenir la nation du Christ.

Le but de l’Avocat n’était pas, comme la nous l’avons dit ci-dessus, d’écrire une Vie complète de la Servante de Dieu, mais uniquement d’offrir à la sereine justice des Éminentissimes Cardinaux — car devant la Sainte Congrégation des Rites, les Saints eux-mêmes sont en quelque sorte des justiciables — les éléments de fait qui sont l’objet de ce sublime débat. Toutefois cette esquisse est, dans sa sobriété, un portrait achevé de Jeanne, nous allions dire son poème ; et ce mot ne serait qu’exact : Jeanne n’est-elle pas, en effet, le Poème de Dieu en faveur de la France chrétienne ?

9Sommaire des Procès Ordinaires

Deux Procès ont été faits à Orléans, par l’Ordinaire diocésain :

  1. le premier en 1874-1875 ;
  2. le second en 1885 ;

Auxquels il faut adjoindre :

  1. le Procès additionnel de 1888.

Le Dossier, présenté à la Sainte Congrégation, en résume les actes14.

Témoins cités devant le tribunal en 1874-75

C’est d’abord la nomenclature des témoins examinés en 1874-75 sur ce qu’ils savent de Jeanne d’Arc et sur la provenance de ce qu’ils savent à son sujet. À cette dernière question, chaque témoin, on le comprend, ne pouvait répondre qu’en alléguant, pour la vie de l’héroïne, les auteurs qui ont écrit sur elle. Les historiographes le plus souvent invoqués par les témoins sont : Wallon, Quicherat, O’Reilly et de Viriville. Un seul, parmi les déposants, fait mention de Henri Martin. Ce n’est pas, 10nous devons l’avouer, sans quelque satisfaction, que nous avons constaté le peu de crédit accordé par ces témoins, hommes d’élite du for ecclésiastique et civil15, à ce dernier auteur. Henri Martin est un historien hanté. Nous employons ce mot pour éviter de mettre en doute sa sincérité, tout en signalant les préventions et les lacunes de son travail16.

Cette hantise, le Comte de Bourbon-Lignières, dans son admirable Étude sur Jeanne d’Arc, la caractérise très heureusement en disant que Henri Martin donne à la Pucelle un rôle mystico-sectaire17.

11Le premier témoin ex officio18, onzième du catalogue, n’est autre que Son Excellence M. Henri-Alexandre Wallon, Ministre de l’Instruction publique et des Cultes. Interrogé, comme l’exige la procédure, de scientiæ causa, M. Wallon répond qu’il connaît l’histoire de Jeanne d’Arc à cause de ses longues études personnelles sur la Libératrice d’Orléans. Il appuiera ses dépositions principalement sur les deux Procès, dont les documents lui paraissent entièrement authentiques. Et de fait, sur la vie, les vertus théologales et cardinales, les dons célestes, le renom de sainteté de Jeanne d’Arc ; sur le procès de condamnation et sur celui de réhabilitation, les dépositions de M. Wallon sont admirables de précision et d’élévation. On comprend, nous l’avons déjà noté ci-dessus, que le présent Dossier donne uniquement des extraits de toutes ces dépositions. C’est le mérite du Postulateur actuel d’avoir su en condenser 12la quintessence sans amoindrir aucunement leur force démonstrative.

Les interrogatoires de Ortu, patria, parentibus, pia educatione et juventute [sur la naissance, le pays, les parents, l’éducation religieuse et la jeunesse], sont précédés d’une dissertation des postulateurs de 1874 sur la nationalité de Jeanne. Chacune des neuf preuves suffirait à établir la conclusion, à savoir que : — Jeanne, née à Domrémy de Greux, bailliage de Chaumont en Bassigny, était française par droit d’origine ; — ses père et mère étant incontestablement nés en France ; — par droit de foyer : Domrémy de Greux est situé sur la rive, même alors française, de la Meuse ; — par droit de tribut, de ce tribut dont, peu d’années après la mort de Jeanne, le Roi de France Charles VII, et non pas le duc René de Lorraine, exonéra la famille d’Arc ; — enfin et surtout par droit de son mandat divin qui lui imposait de faire sacrer son Roi Charles VII. Que Jeanne d’ailleurs reste la bonne Lorraine, ce titre n’infirmerait en rien sa mission divine et ses héroïques vertus. Cette question a peut-être historiquement son intérêt — l’intérêt de toutes les questions de clocher — mais devant la Sainte Congrégation des Rites elle n’est guère qu’une discussion de lana caprina. Le Saint-Siège étudie la cause de Jeanne d’Arc et non pas la cause d’une française, au premier ou au second degré. Aussi, ni le Promoteur 13de la foi, ni les Avocats défenseurs ne font-ils aucune allusion à cette discussion19.

Nous avons noté l’élévation de vues qui caractérise les dépositions de M. Wallon. À l’article 27e de l’interrogatoire, le témoin répond :

J’ai déjà dit comment la captivité de Jeanne et son Procès entraient dans le plan de la Providence à son égard.

Sans la captivité, les traits les plus saillants de son caractère seraient restés inconnus. Sans le procès, son histoire se serait comme perdue dans la légende. La captivité, en lui donnant le prestige de la fermeté victorieuse en face de ses ennemis ; le procès, en la soumettant à de multiples interrogatoires, en recueillant de ses révélations qui reçoivent ainsi une forme authentique, permettent de juger la 14personne de Jeanne et ses œuvres aussi sûrement que si elle avait vécu de nos jours20.

Sur le Procès de réhabilitation, le docte historien de Jeanne d’Arc n’est pas moins net dans sa déposition.

Ce second Procès commencé au nom du Pape, instruit dans la forme la plus solennelle et avec la plus rigoureuse observance et les sages lenteurs de la procédure, ne laisse debout aucune, absolument aucune des imputations des premiers juges. Je le regarde comme le digne préambule du nouveau procès qui s’ouvre maintenant.

L’ancien Ministre de l’Instruction publique est encore très explicite dans ses dépositions sur les vertus de Jeanne. À l’article 14e de l’interrogatoire qui a pour objet la vertu de foi, M. Wallon répond :

La foi de Jeanne ! Elle resplendit dans la piété que Jeanne montra dès son enfance, 15et dans la décision avec laquelle elle accomplit sa mission dès qu’elle eut vu que telle était la volonté de Dieu. À Orléans, devant les redoutes des Anglais, quand on lui fit observer que les ennemis étaient nombreux, que leurs positions étaient imprenables, elle répondit ces simples mots : Rien n’est impossible à la puissance de Dieu.

Pour la charité envers Dieu et envers le prochain, pour la vertu de force, pour la vertu de chasteté, les dépositions du même témoin révèlent les intuitions les plus délicates d’une âme chrétienne.

Aux premiers indices de sa vocation, [dit M. Wallon], Jeanne s’était donnée entièrement à Dieu par le vœu de virginité. Un sentiment de pudeur plus encore que les exigences de sa vie militaire, la détermina à prendre des vêtements d’homme pour vivre parmi des hommes. Mais ce vêtement masculin ne fut pas sa seule sauvegarde en leur compagnie. Tel était l’ascendant qu’elle eut sur eux, depuis son voyage de Vaucouleurs à Chinon, que tous, même les plus jeunes, ont attesté que, loin d’avoir voulu faire ou dire la moindre chose offensante, ils n’avaient, en sa présence, aucune mauvaise pensée. Auprès de sa pureté, ils devenaient chastes et purs ! Il en fut de même durant toute sa carrière militaire. D’Aulon, son écuyer qui lui était le plus familier, qui l’aidait 16à s’armer et qui lui prêta secours pour panser sa blessure ; le Duc d’Alençon, qui l’avait à ses côtés pendant la campagne de la Loire ; Dunois qui fut son fidèle suivant, tous s’accordent à dire qu’à la vue de Jeanne, jamais une mauvaise pensée ne se réveilla en eux !

Et après avoir raconté les luttes et les victoires de Jeanne pour protéger sa virginité, le témoin conclut :

Elle resta pure, et pour défendre sa pureté elle n’hésita pas à sacrifier sa vie. Pure toujours, toujours digne de ses Saintes, elle monta sur son bûcher21.

Bien remarquables aussi sont les dépositions de Robert Deschamps, conseiller à la Cour d’appel d’Orléans, du comte Anatole de Pibrac et de plusieurs autres témoins, sur les articles de l’interrogatoire relatifs aux dons célestes de Jeanne. La déposition du comte de Pibrac fut interrompue par une interrogation subsidiaire du Promoteur fiscal. Celui-ci lui demanda s’il croyait que la conviction de Jeanne au sujet de ses voix n’aurait pas été le résultat de quelque affection morbide. Le témoin pouvait répondre avec une compétence exceptionnelle : il avait été, six années durant, administrateur du grand hôpital d’Orléans et spécialement chargé des aliénés 17ou maniaques, au nombre d’environ 600. Sa déclaration fut que les phénomènes observés par lui dans sa situation à l’hôpital, n’ont absolument aucune ressemblance avec les faits historiquement prouvés de la vie de Jeanne : — au point de vue physique, nul n’a vu en elle aucun défaut organique ; — au point de vue moral, tout, dès son enfance, s’harmonise admirablement ; — ses paroles, ses actions, ses pensées convergent vers ce but très élevé : sauver son âme, glorifier son Dieu, rendre la couronne à son roi. — Sa présence d’esprit ne fut jamais en défaut dans les longs interrogatoires de Chinon, de Poitiers et de Rouen ; — en un mot, rien en elle, absolument rien de cette incohérence d’idées qui caractérise les maladies mentales ou hystériques.

Dépositions sur l’assistance divine accordée à Jeanne devant les examinateurs de Poitiers

Longtemps avant le comte de Pibrac, le notaire Manchon, qui eut une triste part au procès de condamnation et fut cité à celui de réhabilitation, avait exprimé la véritable cause de cette présence d’esprit de Jeanne :

Dans un procès si difficile, Elle n’aurait pu se défendre contre tant de docteurs, si Elle n’avait eu une inspiration d’en Haut.

C’était donc, pour Jeanne, la réalisation visible de la promesse 18du divin Maître :

Quand ils vous livreront (à leurs tribunaux), ne pensez pas à ce que vous direz ni comment vous le direz : à ce moment même, ce que vous aurez à dire vous sera donné, car ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous22.

Toutefois cette assistance divine n’est pas l’annihilation de l’intelligence qui la reçoit ; le souffle de Dieu, même dans ses secours extraordinaires et miraculeux, anime, surélève les facultés sans entraver aucunement leur libre exercice. Bien plus — et c’est ici une des ineffables beautés de tout labeur divin dans notre âme ! — cet Esprit s’adapte, s’infuse, oserions-nous dire, avec une telle délicatesse, qu’il respecte la trempe personnelle de chaque âme et n’amoindrit en rien son individualité ou son originalité propre. Jeanne recevait de Dieu ce qu’elle devait dire, et elle le disait comme devait le dire Jeanne d’Arc avec la droite simplicité de sa foi et les spontanéités d’un esprit de culture médiocre ou nulle, mais d’une originalité très fine et primesautière.

À une des séances, durant l’examen de Poitiers, le dominicain Seguin crut l’embarrasser par une question subtile au sujet de ses Voix :

19Quelle langue parlent vos Voix ? demanda-t-il, avec un accent fortement limousin.

— Meilleure que celle de votre Révérence !

— Mais, reprend Guillaume Aymeric, si Dieu veut, comme vous le dites d’après vos Voix, délivrer le royaume de France, qu’est-il besoin des gens d’armes ?

— En nom Dieu, les gens d’armes batailleront, et Dieu donnera victoire.

Et de cette réponse, ajoute le texte23, maître Aymeric se montra très satisfait. Comment ne l’eut-il pas été ? Jeanne, par ces deux mots dont elle ne soupçonnait certes pas toute la profondeur, résolvait pratiquement une des questions les plus ardues de la théologie : l’accord de la volonté de Dieu et de la libre spontanéité de l’homme.

Mais c’est surtout devant le tribunal de Rouen, que l’assistance divine est manifeste, aussi bien que la magnanimité innée de Jeanne, Nous n’avons de ces interrogatoires, comme nous le dirons plus tard, qu’un procès verbal écourté et arrangé, c’est-à-dire falsifié ; et pourtant, même d’après ce texte, la fille de Jacques d’Arc et d’Isabelle Romée, la bergère 20de Domrémy, nous apparaît de grandeur plus qu’humaine.

Et cette grandeur, faite d’innocence et de souffrance, de finesse et d’à-propos, de simplicité et de fierté, ressort, admirable et touchante, sur le fond de mesquineries tortueuses ou de lâchetés hypocrites de ce cortège, nous allions dire de cette meute de juges.

À la première session publique, le Président, c’est-à-dire Pierre Cauchon, lui notifia la défense de sortir de sa prison, sans sa permission à lui :

— Je n’accepte pas Votre défense, répond cette enfant de 19 ans ; je ne promets rien sur ce point ; tout prisonnier (de guerre) a droit de chercher à s’évader.

Plus d’une fois, elle fait remarquer à ses Juges, qui la harcèlent de questions et sous-questions, que leurs interrogatoires sont un excès :

— Vous me grevez trop, et vous assumez une grande responsabilité.

Ils auraient dû rougir devant cet appel à l’équité ; et ils n’en continuèrent pas moins jusqu’au bout leur ignoble comédie d’interrogatoires et de procès-verbaux. Aux questions étrangères ou insidieuses, la victime, ordinairement, coupait court par ces mots :

— Passez outre : ceci n’est pas de votre procès.

Dans une des sessions ultérieures, où l’interrogatoire, 21non sans arrière-pensée du tribunal, est un vrai fouillis de questions qui se croisent, reviennent, vont sans ordre, sans lien, sans connexité, on demanda ex abrupto à Jeanne :

— Savez-vous si vous êtes en la grâce de Dieu ?

Si elle répondait oui, quelle outrecuidance ! Si sa réponse était non, quelle arme contre elle qui se disait l’envoyée de Dieu ! À cette demande, la spontanéité française de Jeanne aurait répliqué à l’interrogateur : Et vous-même, pouvez-vous répondre, pour votre compte, à cette question ? Mais l’assistance de Dieu mit sur les lèvres de Jeanne des paroles bien autrement sages :

— Si je n’y suis, que Dieu m’y mette ; et si j’y suis, que Dieu m’y conserve.

Et la noble vierge ajouta, comme se parlant à elle-même :

— Rien au monde ne me serait douloureux comme de savoir que je ne suis pas en la grâce de Dieu.

À ces paroles, combien y en eut-il, parmi ces soixante ou soixante-dix pharisiens du tribunal, qui firent dans leur for intérieur, cette réflexion de leurs devanciers de Jérusalem : Jamais femme n’a parlé comme cette femme ?

Ce fut avec la même prudence et le même à-propos que Jeanne déjoua le piège d’une autre demande :

22— Est-ce que Dieu aime ou déteste les Anglais ?

— De l’amour ou de la haine de Dieu pour les Anglais, je ne sais rien : ce que je sais bien, c’est qu’ils seront boutés hors de France, tous, sauf… ceux qui y mourront.

À la cinquième session publique, l’interrogatoire, plus serré et aussi plus insidieux, a principalement pour objet les apparitions, les voix de Jeanne. Les Juges pourront plus tard, en la trompant indignement, prétendre qu’elle a renié ses voix et abjuré ses apparitions et révélations mais l’interrogatoire est là pour les confondre a priori.

C’est cette partie surtout qu’ils ont dû falsifier ; et cependant telle qu’ils l’ont laissée, elle suffit à démontrer les dons surnaturels de Jeanne. Il y a, dans ses réponses, un tel accent de sincérité, une telle puissance, calme et pleine, d’affirmation, que nul ne peut révoquer en doute le fait divin. Oui, Jeanne a vu l’Archange St Michel ; oui, Jeanne a vu Ste Catherine et Ste Marguerite ; oui, Jeanne a entendu, de ses voix, les paroles qu’elle leur prête ; oui, Jeanne a été l’envoyée de Dieu !

Ils avaient cru, à force d’interrogatoires, prolongés au-delà de ce que peut supporter toute énergie humaine, à force de subtilités et de pièges, arriver à l’énerver, la briser, et arracher 23ainsi à sa lassitude quelque incohérence, quelque contradiction, quelques mots sur lesquels leur habileté saurait greffer une accusation tant soit peu vraisemblable. Et rien dans les réponses de Jeanne, pas une parole, même incidente, qui prête matière au plus léger soupçon d’erreur dans la foi : l’assistance divine triomphait, sur toute la ligne, contre la malice diabolique des d’Estivet et des Pierre Cauchon ; et souvent, pour les questions saugrenues, la réplique évasive de Jeanne suffisait à les laisser à leur courte honte.

— Comment était St Michel quand il vous apparaissait ? quels étaient ses vêtements ?

— Je ne sais rien de ses vêtements.

— Mais il était donc nu ?

— Croyez-vous que Dieu n’ait pas de quoi le vêtir ?

— Avait-il des cheveux ?

— Pourquoi lui auraient-ils été coupés ?

De la sixième et dernière session publique, nous transcrivons mot à mot, en lui rendant son caractère d’interrogatoire dialogué, ce passage d’une importance capitale :

— Savez-vous si ceux de votre parti (les juges étaient de l’autre parti, c’est-à-dire du parti anglais) ont fait des services (religieux), messes et oraisons pour vous ?

— Je n’en sais rien : s’ils ont fait des 24services, ce n’a pas été à ma requête ; s’ils ont prié pour moi, il me semble qu’ils n’ont fait aucun mal en cela.

— Savez-vous si ceux de votre parti croient fermement que vous êtes envoyée de par Dieu ?

— Je ne sais s’ils le croient fermement, et je m’en rapporte à leur conviction intime24 ; mais s’ils ne le croient pas, je n’en suis pas moins envoyée de Dieu.

— Étant donné qu’ils le croient, est-ce, d’après vous, une croyance fondée ?

— S’ils croient que je suis envoyée de Dieu, ils ne sont point abusés25.

Ce dialogue ne rappelle-t-il pas Caïphe adjurant le divin Maître de déclarer s’il est le Fils de Dieu ? ! Le procès-verbal de Rouen ne dit pas que le Caïphe de 1431 ait déchiré ses vêtements en criant : Blasphemavit ; par contre, la suite du procès dit malheureusement trop qu’il avait déjà fulminé, en son cœur, la sentence de mort.

Ce que vous avez à dire vous sera donné ; il n’y a peut-être pas, dans l’hagiographie, une réalisation aussi visible et aussi émouvante de cette promesse, que Jeanne devant les Juges de 25Rouen. Elle reste elle-même, tout en étant la voix de l’Esprit de Dieu.

C’est ce même Esprit qui révéla à Jeanne le doute torturant de Charles VII, et mit sur ses lèvres, comme le fait judicieusement remarquer M. Wallon26, cette assurance impérative qui le dissipa :

— Je te dis, de par messire Dieu, que tu es le véritable héritier de France et le fils du Roi.

Comment Jeanne avait-elle vu, dans les replis intimes du cœur de Charles VII, cette crainte inavouée sur la légitimité de sa naissance, crainte qui ne trouvait que trop de motifs dans la légèreté de la reine-mère, comme dans les revers successifs où l’impressionnabilité de Charles VII découvrait sans doute la manifestation de la volonté divine qui donnait ce trône, tombé en déshérence, au fils du roi d’Angleterre ? C’était la première fois que Jeanne voyait le Dauphin, et elle ignorait peut-être jusqu’au nom de sa mère. Comment surtout la timide pastourelle eut-elle le courage de révéler à son roi, même en secret, les pensées humiliantes qui obsédaient sa piété filiale et battaient en brèche, dans les titubations de son âme découragée, jusqu’aux velléités de résistance ! Grâce à Jeanne, ou pour mieux dire, grâce à l’esprit de Dieu, qui 26parlait par elle, Charles VII reprit conscience de ses droits et de ses devoirs de roi.

Double mandat dans la mission de Jeanne

Avec la même assurance, elle proclamait l’objet de son mandat divin et ses conséquences futures, et contre toutes les vraisemblances, disons mieux, contre toutes les impossibilités, ce mandat se réalisait de point en point et dans l’espace de temps fixé par Jeanne.

Sans doute ses intuitions n’eurent pas, tout d’abord, pour tous les détails à elle personnels, la même précision. Si ses voix lui eussent annoncé la félonie de Compiègne et le bûcher de Rouen aussi clairement que la délivrance d’Orléans et le sacre de Reims, la bergère de Domrémy, décidée, s’il le fallait, à user ses jambes jusqu’aux genoux pour se rendre auprès du roi, aurait peut-être conjuré ses Saintes d’éloigner le calice, mais sans ajouter le fiat de l’acceptation. Ce fut seulement dans les prisons de Rouen qu’elles lui révélèrent, peu à peu et dans une sorte de demi-jour, le plan de Dieu qui, par elle, redonnait la vie à sa patrie mais en prenant la sienne. C’est de la mort de Jeanne, que la patrie agonisante devait revivre. Jeanne, c’est le don de Dieu à la France et l’holocauste de la France à Dieu ; c’est le commentaire en action de cette vieille acclamation de mutuel amour 27qui, tant de fois, comme la voix des grandes eaux, résonna enla doulce terre de Clovis et de Saint Louis :

Vivat, qui diligit Francos, Christus !

[Vive le Christ qui aime les Francs.]

Nous pouvons, certes, sans la moindre irrévérence envers le texte sacré, appliquer à la noble victime, ces paroles du saint Évangile : Fuit puella missa a Deo cui nomen erat Joanna. Elle vint en témoignage ut testimonium perhiberet pour témoigner des prédilections divines à l’égard de la France chrétienne. De la chaumière de Domrémy à la place du supplice, tout, dans la vie de l’héroïne, est l’accomplissement ponctuel du mandat divin.

Toutefois, quelques détails à première vue semblent détonner. Après le sacre de Reims, Jeanne au lieu de se retirer dans son village, cède aux sollicitations du Roi, aux instances des preux dont la vaillance s’alimentait des vibrations de son âme à elle. Malgré ses Voix, elle se précipite de la tour de Beaurevoir, où elle était prisonnière, au risque de se tuer sur le coup. À Rouen, les mêmes Voix lui annoncent la grande délivrance : elles lui parlent même de son martyre ; et Jeanne, jusqu’aux derniers jours, interprète les annonces célestes dans un sens matériel, et attend, dans un vague espoir, quelque événement qui lui ouvre les portes non du ciel mais de la prison.

28Or, ces apparentes anomalies disparaissent, nous semble-t-il, et s’harmonisent admirablement avec l’ensemble, si on distingue, comme les faits l’exigent, une double mission de Jeanne : l’une est imposée à son obéissance ; l’autre est proposée à sa générosité. Délivrer Orléans, faire sacrer le roi, inaugurer cette série de triomphes qui devaient, en moins de sept ans, amener la libération de Paris et plus tard du royaume : telle fut la partie impérative du mandat. Poursuivre sa carrière militaire pour hâter ce triomphe final, malgré le pressentiment qu’elle ne durerait guère plus d’une année ; s’élever du rang de libératrice à la grandeur de victime immolée : telle était, dirons-nous, la seconde partie du programme divin, mais sans aucune révélation impérative à celle qui devait le remplir.

Pour la première, les révélations sont nettes, précises, catégoriques ; l’assistance divine s’affirme à coup de prodiges en quelque sorte visibles et tangibles ; pour l’autre, la force de Dieu a sans doute les mêmes efficacités, mais non la même évidence ; les Voix ont la même sincérité, mais non la même clarté. Dieu poussait la Libératrice aux triomphes assurés, et il se bornait à soutenir la Victime sur la voie du martyre, mais sans lui en révéler, au préalable, du moins complètement, les douleurs et la gloire. Jeanne, en un mot, après les solennités 29du Sacre, pouvait retourner à sa quenouille et à ses brebis ; mais alors sa mission de libératrice aurait eu son Thabor et n’aurait pas eu son Calvaire. N’a-t-il pas fallu que le Christ souffrit, et ainsi entrât dans la gloire ?

Dissertation sur les Voix et les prodiges dans la vie de Jeanne

Aux Sommaires proprement dits du Procès de 1874-75, le Dossier actuel ajoute l’abrégé d’une dissertation très développée qui fut présentée par les Postulateurs au Tribunal d’Orléans. Cette dissertation a pour objet, en substance, les dons surnaturels de Jeanne. Comme nous aurons à revenir, à propos des animadversions du Promoteur, sur les relations de Jeanne avec ses Voix, il nous suffira de transcrire ici l’énoncé des divers paragraphes de cette savante dissertation.

  1. Les Voix, apparitions et révélations dont la Servante de Dieu a été favorisée, se sont manifestées à elle d’une manière ininterrompue depuis sa treizième année jusqu’à sa mort.
  2. La réalité des dites apparitions et révélations n’est contestée par aucun historien sérieux.
  3. Formes sensibles des dites apparitions.
  4. Circonstances de temps et de lieu ; circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes 30des dites apparitions. Appels de Jeanne à ses Voix quand elle avait besoin de leurs conseils.
  5. Impressions de la Servante de Dieu avant, pendant et après les apparitions.
  6. Objet des entretiens de Jeanne avec ses Voix : leurs conseils au sujet de sa vie privée et publique.
  7. Concordance des conseils donnés à Jeanne par ses Voix.
  8. Obéissance de Jeanne à ses Voix.
  9. Les Voix lui avaient prédit qu’elle serait faite prisonnière, mais sans lui révéler le lieu, ni le jour.
  10. Les Voix lui avaient promis sa délivrance, mais en refusant de lui manifester (clairement) le mode de cette délivrance, moins encore le lieu, le genre et le jour de sa mort.
  11. L’abjuration ou rétractation de Jeanne. Sens, cause, effets de cette rétractation. Condamnation de Jeanne à la prison perpétuelle pour crime d’hérésie.
  12. Suites de l’abjuration. Violation des promesses faites à Jeanne. Rétractation27 faite 31par Jeanne de tout ce qu’on lui avait fait dire et signer. Aveu de Jeanne après avoir repris les habits d’homme. Condamnation pour récidive. Jeanne est abandonnée au bras séculier. Ses Voix. — Le bûcher. — La mort.
  13. Conclusion : les révélations de Jeanne sont en parfait accord avec les normes fixées par les théologiens et les maîtres de la vie spirituelle pour établir l’authenticité des révélations privées.

Cette dissertation qui est, on le voit, une vraie synthèse de théologie mystique, dans son application concrète et personnelle à Jeanne, se réfère uniquement à un seul des 30 articles (le 9e) de l’interrogatoire. Elle a dans les Procès in extenso près de 500 pages. Et voilà par quels labeurs le Saint-Siège arrive à faire, dans ces sublimes débats, la pleine lumière. Ceux dont la légèreté parle volontiers des lenteurs de la Sainte Congrégation des Rites, prouvent qu’ils n’ont même pas une notion élémentaire des Procès de béatification et des incroyables travaux qu’ils exigent.

Après cette dissertation, le Summarium du Dossier reprend la voie ordinaire et résume les dépositions des témoins sur le renom de 32sainteté de la Pucelle, sur sa mort, sur la vénération des peuples envers elle.

C’est encore au témoignage de A. Wallon que nous avons recours. Sa déposition, plus précise et plus complète, nous permet de passer sous silence celle des autres témoins.

Les ennemis les plus acharnés de Jeanne furent contraints de rendre hommage à sa sainteté. Un Anglais avait juré, pour satisfaire sa haine, de porter de ses propres mains un fagot au bûcher, et se donner ainsi le plaisir de brûler lui-même en quelque sorte cette odieuse ennemie. Il le fit en effet. Il s’approcha du bûcher déjà en pleine flamme et jeta son fagot. À ce moment même, Jeanne invoquait pour la dernière fois le nom de Jésus. À ce nom, l’Anglais fut comme foudroyé : ses yeux se dessillèrent, et il allait, par après, confessant publiquement sa faute et proclamant son repentir. Il avait vu, disait-il, au moment où la tête de Jeanne retombait sur sa poitrine, une colombe s’élancer des flammes et prendre son vol vers le ciel. D’autres témoins du supplice ont affirmé que les flammes elles-mêmes, quand Jeanne prononçait : Jésus, dessinaient ce Nom béni.

La conviction de sa sainteté était si générale et si notoire que les directeurs du Procès, pour prévenir la confiance populaire envers les 33reliques de leur victime, firent entretenir et attiser le feu jusqu’à ce que le corps de Jeanne eut été réduit en cendres. Et les cendres furent, par leur ordre, jetées dans la Seine.

Or, le bourreau, après avoir dûment terminé ses hautes œuvres, saisi de remords et de terreur, se rendit au couvent des Dominicains, pour dire son désespoir. Dieu ne lui pardonnerait jamais ce qu’il avait fait à cette Sainte. Il déclara et affirma que le cœur de Jeanne, quand le corps était déjà carbonisé, resta intact et plein de sang. Il l’arrosa d’huile, le saupoudra de soufre et de carbone afin de le réduire en cendres. Le feu, malgré tous ces apprêts, respecta encore le cœur et les entrailles de la sainte Pucelle. Le bourreau avait vu, en cela, un miracle évident qui avait été, pour lui, une révélation de la sainteté de Jeanne.

35Documents28
Procès de Condamnation de Jeanne. — Procès de Réhabilitation.

Tous les témoins entendus par le tribunal diocésain d’Orléans exprimaient sur Jeanne ce qu’ils avaient appris dans les livres consacrés à la Pucelle. Mais ces livres eux-mêmes avaient été écrits sur des documents historiques. Où étaient ces documents ? Quelle en était la valeur ? Le Tribunal n’eut garde de passer à côté de cette difficulté. Il l’aborda franchement et voulut la résoudre à fond.

Procès originaux

En 1840, la Société de l’Histoire de France avait chargé Jules Quicherat, alors Directeur de l’École des Chartes, d’étudier et d’éditer le Procès de condamnation de Jeanne et celui de réhabilitation. Quicherat se mit à l’œuvre et 36donna successivement, de 1840 à 1849, cinq volumes consacrés au texte des deux Procès, et aux vues personnelles du savant éditeur. Mais le texte imprimé de Quicherat est-il la reproduction fidèle des manuscrits ? Les sages exigences du Saint-Siège écartent, pour les Causes de béatification, les documents de seconde main et requièrent les textes originaux, tout au moins les textes juridiquement authentiques.

Or, ces originaux existent-ils ? Oui, et ce n’est pas, dirons-nous avec le Dossier de la Sacré Congrégation29, sans une merveilleuse disposition de la Providence que ces procès-verbaux, à travers les révolutions des siècles et des hommes, aient pu arriver jusqu’à nous, portant à chaque page la signature authentique des Chanceliers de l’un et de l’autre Procès.

Cinq expéditions authentiques furent faites du Procès de condamnation. Trois existent encore. L’une, en parchemin, est déposée à la bibliothèque de la Chambre des députés à Paris : les deux autres, en papier, sont conservées à la 37Bibliothèque nationale, département des manuscrits30.

Trois expéditions également authentiques de la sentence de réhabilitation. La Bibliothèque nationale en possède deux : l’une en parchemin, provenant originairement du Trésor des chartes31 ; l’autre en vélin. C’est précisément l’exemplaire remis à Guillaume Chartier, l’un des Juges apostoliques, qui le légua en 1462 à la cathédrale de Paris. En 1756 le Roi l’acheta au Chapitre, et de la Bibliothèque royale il est passé à la Bibliothèque nationale32.

Il était impossible aux Postulateurs de la Cause devant le Tribunal d’Orléans de mettre sous les yeux des Juges ces manuscrits originaux. D’un autre côté, les volumes de Quicherat qui leur étaient présentés, n’avaient, en dernière analyse, que l’autorité incontestable de l’éditeur, mais sans aucune garantie juridique d’authenticité. Cette garantie, le Tribunal était en droit et en devoir de l’exiger. Elle lui fut donnée. Le 3 du mois d’août 1885, les Postulateurs, par acte notarié, demandèrent et obtinrent que deux experts iraient à Paris confronter 38un exemplaire de Quicherat avec les originaux de la Nationale.

MM. le Vicomte Maxime de Beaucorps et Octave Raguenet de Saint-Albin étaient particulièrement compétents pour cette collation. Élèves de l’École des chartes — de cette École où l’on travaille tant et si bien — paléographes diplômés, ils pouvaient minutieusement contrôler jusqu’aux moindres détails. La mission confiée à leur science et à leur dévouement ne ressemblait pas, au moins quant au rite, à celles du Ministère de l’Instruction publique. Les deux délégués, avant de partir, comparurent devant le Tribunal et jurèrent, sur les saints Évangiles, d’apporter à cette collation toute la diligence possible. La formule même de ce serment est insérée au Dossier33, et c’est à l’honneur des deux gentilshommes. Leurs conclusions conformes34 rendent hommage à la diligente exactitude de Quicherat. Le texte imprimé (sauf quelques variantes de lettres dans certains mots, par exemple nihilominus pour nichilominus, Ioanna pour Iohanna etc.) est pleinement conforme aux manuscrits originaux édités par lui35.

39Le Tribunal pouvait donc, en toute sécurité, faire fond sur l’édition de Quicherat, dont un exemplaire était équivalemment authentique par l’attestation jurée des deux délégués. Il est superflu de faire observer que cette attestation a uniquement et exclusivement pour objet la conformité des textes, mais non les réflexions et les aperçus de l’éditeur. Quicherat, par son immense labeur, a bien mérité de Jeanne, de la France, de tous ceux qui aiment la patrie chrétienne. Pourquoi faut-il arrêter au bout de la plume les louanges qu’on lui donnerait si volontiers ? Pourquoi sommes-nous contraints de scinder ce grand travailleur : louer l’érudit si diligent, et faire des réserves, hélas ! trop motivées, sur le commentateur ? Quelle nouvelle et douloureuse démonstration des pitoyables impuissances du rationalisme, ou peut-être — pourquoi ne pas dire le mot ? — de ses honteuses lâchetés ! Voilà un écrivain supérieurement doué, qui, pendant neuf ans, travaille, étudie, vit en plein dans le surnaturel, au foyer même de son irradiation éblouissante, et qui ne s’en aperçoit même pas, ou veut ne 40pas s’en apercevoir. Il voit, en Jeanne, une grandeur plus qu’humaine, un charme qui le subjugue, des faits qui le déconcertent ; et ce qui donne aux faits merveilleux, aux dons exceptionnels leur explication et leur vie, ce reflet divin, en un mot, sans lequel Jeanne n’est qu’un problème, Quicherat ne l’a pas entrevu, ou peut-être… en a-t-il eu peur ! Surdité totale d’un homme qui observerait scrupuleusement et noterait exactement le doigté d’un pianiste, et n’entendrait pas le moindre son, tout au moins ne saisirait aucune phrase musicale ! Au frontispice d’une des éditions incunables de la Bible, une gravure d’art rudimentaire représente à droite, l’Église qui tient la croix, tend la main vers le calice, et lit à gauche dans un livre dont les paroles doivent être des jets de flamme, car du cœur de l’Église entrouvert jaillissent des gerbes de lumière ; à gauche, le Pontife de la synagogue tient le susdit livre ouvert au grand large et le presse avec amour sur son cœur, mais sans pouvoir le lire : ses yeux sont couverts d’un épais bandeau. Enfants de l’Église, fils de lumière, réjouissons-nous et bénissons Dieu : nous pouvons lire le livre ! Nos deux yeux sont libres de tout bandeau ; nous y voyons, comme les autres, par notre raison ; nous y voyons, plus et mieux qu’eux, par notre foi, même quand ce sont 41les pontifes de l’érudition qui nous tiennent le livre ouvert.

Mémoires consultatifs

L’attestation des deux délégués constate donc que le texte imprimé est conforme aux originaux, mais elle n’affirme pas que Quicherat a reproduit intégralement les dits originaux. En effet, le mandataire de la Société de l’Histoire de France a laissé intentionnellement de côté une part notable, et non la moins importante à notre humble avis, du Procès de réhabilitation. Au lieu de donner le texte intégral des Mémoires consultatifs qui préparèrent la sentence de révision ; au lieu de reproduire la Recollectio du dominicain Jean Bréhal, qui, malgré son titre, est plus un rapport judiciaire et officiel, que l’avis personnel du grand Inquisiteur, Quicherat analyse très sommairement ces pièces et amoindrit ainsi leur valeur et leur force démonstrative36.

42Pourquoi ce procédé ? Quicherat nous le dit lui-même :

Ces ouvrages n’ont rien d’historique. On ne fait qu’y discuter l’orthodoxie de Jeanne et la légalité de sa condamnation.

M. Joseph Fabre ne pouvait que souscrire au dire du Maître. Il l’a fait, mais en donnant à sa formule, à lui, une crudité insultante qui en aggrave notablement l’injustice et la fausseté :

Ces pédants se bornent à ergoter dogmatiquement sur l’orthodoxie de la Pucelle, et à démontrer à coups de distinguo l’illégalité de sa condamnation.

Nous aurons à revenir, avec le Défenseur de la Cause, sur ces appréciations étranges. Qu’il nous suffise, pour le moment, de relever l’incroyable inadvertance de Quicherat et de son âpre plagiaire. Les Mémoires, dites-vous, ne font que discuter l’orthodoxie de Jeanne et la légalité de sa condamnation. Eh ! de grâce, que devaient-ils discuter sinon cela et rien que cela ! Jeanne avait été condamnée comme hétérodoxe : les Mémoires prouvent qu’elle a toujours été parfaitement orthodoxe. La sentence de condamnation affectait les apparences de la procédure la plus exacte 43et la plus rigoureuse : les Mémoires établissent que tout le Procès, da capo a fondo, n’a été qu’une monstrueuse série d’illégalités. Voilà ce que contiennent les Mémoires et ce qu’ils devaient contenir. Leur demander autre chose, c’est faire preuve — tant pis pour M. Fabre, aujourd’hui sénateur, et salva reverentia à la mémoire de Quicherat ! — d’une extrême légèreté ou d’un parti pris de dénigrement.

La Récollection de Jean Bréhal

Ces attaques visent surtout Jean Bréhal, le grand Inquisiteur, et sa Récollection. Or, est impossible à tout esprit simplement honnête de lire attentivement cette Recollectio et de se défendre contre un envahissement d’admiration pour l’œuvre et le noble caractère de ce grand Justicier.

Le Procès de Rouen est, dans cette Récollection, minutieusement étudié quant au fond de l’affaire et quant à la procédure ; et de cette magistrale étude, où les principes les plus indiscutables de la morale, de l’équité et de la jurisprudence, servent de base aux conclusions du savant dominicain, il ressort à pleine évidence que le triste Juge de Rouen, sans le moindre souci de la vérité ni de l’équité, n’a eu qu’un but : couvrir, le moins mal possible, sous un formalisme affecté, le crime froidement résolu dans sa conscience de Vendu. Ah ! il avait reçu plus de trente deniers, celui-là !

44Oui, de Jean Bréhal à Joseph Fabre, il y a de la pédanterie, de l’ergotage, et nous ajoutons qu’il y a même de l’outrecuidance ; seulement, M. Fabre… se trompe de côté. Qu’il garde ce qui est à lui.

Jean Bréhal et les autres juristes consultés37 ne donnent point de détails, dites-vous, sur la vie de Jeanne, sur ses vertus, sur ses patriotiques élans, sur son œuvre héroïque. Mais ces détails, ô critique distrait, le Tribunal 45les avait déjà ! Sept enquêtes38, cent vingt témoins qui, pour la plupart, avaient vu Jeanne, vécu avec Jeanne ou assisté au drame de Rouen, mirent entre les mains des Juges de la réhabilitation, le plus riche, le plus complet des dossiers39. Le Tribunal ne demandait donc pas à ses Consulteurs des faits historiques, mais uniquement, comme nous l’avons déjà dit, des rapports sur l’équité ou l’iniquité de la sentence de 1431.

Nous voilà un peu loin de la Sainte Congrégation des Rites. Les lecteurs pardonneront cette apparente digression : elle était, ce nous semble, nécessaire pour mettre en relief les habiletés de certains historiographes de Jeanne d’Arc : ils veulent atténuer, ne pouvant le nier, ce que l’Église a fait pour elle ; et ils accumulent leurs phrases de rhétoriciens essoufflés pour imputer à l’Église les méfaits de quelques gens d’Église.

L’Église ! Elle a, voilà plus de quatre siècles, 46dit au monde, et dans la forme la plus authentique, toute sa pensée sur la victime et les bourreaux. Elle la répète, pour la procédure suivie, dans le résumé suivant que nous transcrivons du Dossier :

Si on embrasse d’un coup d’œil les péripéties du monstrueux procès, organisé, conduit et conclu par l’évêque de Beauvais, cet homme passionné, cauteleux et corrompu, on ne peut pas ne pas reconnaître que l’instrument officiel (du Procès) contient exclusivement les déclarations et incidents que le Juge a voulu y laisser introduire ; que Jeanne a protesté contre les omissions volontaires et intentionnelles des faits qui étaient en sa faveur ; que Jeanne a fait observer des erreurs, des contradictions, des insinuations insérées contre elle au procès-verbal, et sur lesquelles elle requérait rectification. On doit encore reconnaître que les informations prises sur Jeanne, en son pays, par ordre de Cauchon, furent supprimées du dossier, où elles devaient avoir place, parce qu’elles étaient favorables à la victime ; que l’évêque de Beauvais et ses assesseurs ont fermé la bouche à Jeanne pour ne pas entendre ses déclarations véridiques et concluantes qui auraient empêché l’œuvre d’iniquité tramée contre la vierge chrétienne. On reconnaît enfin que le Procès de condamnation, en dehors des erreurs, faussetés, mensonges, 47calomnies pleinement démontrées, n’a enregistré que le minimum possible de ce qui pouvait être en faveur de Jeanne, des raisons qui auraient prouvé et sa pleine innocence et l’héroïsme de ses admirables vertus40.

Henri Martin et son impudente falsification

Henri Martin, lui, ne pouvait pas oublier son rôle de sectaire et omettre une si belle occasion de déblatérer contre l’Église. Son appréciation sur le Procès de réhabilitation41 dépasse les limites du simple mensonge et atteint celles de l’impudente falsification. Pour le Procès de condamnation, son but, cela va de soi, est celui des rationalistes ; mais il vise à l’atteindre par une méthode toute personnelle. Cette méthode, il n’y a qu’un mot pour la qualifier : c’est une canaillerie littéraire.

Quelques lecteurs, ceux dont l’esprit sempiternellement titubant ne comprend pas qu’on appelle chat un chat, se récrieront peut-être contre notre irrévérence envers l’historien national, l’Académicien, le docte Henri Martin, etc., etc. Il n’y a pas lieu de s’émouvoir de ces récriminations éventuelles. Quand donc 48serons-nous pratiquement convaincus, nous les enfants de Dieu, que la vérité est nôtre, toute nôtre, et que, partant, nous devons contrôler, sans parti pris sans doute mais aussi sans aucune crainte a priori, les oracles de ces fétiches de la libre-pensée — ce système de la logique à rebours — ou du rationalisme — cette trouvaille de la logique ramollie ? Leur force, malgré toutes les apparences, n’est faite, bien souvent, que de nos faiblesses ou de nos hésitations.

Donc, l’historien national écrit imperturbablement l’énormité ci-dessous. Après avoir dit — ce qui est très vrai — que rien, dans la vie de Jeanne, n’était matière à un procès sérieux, il ajoute que Pierre Cauchon, par ses indignes agissements, réussit à intenter à sa victime un procès d’hérésie — ce qui est en tous points exact — afin de bénéficier contre Jeanne de la procédure inquisitoriale.

La procédure inquisitoriale offrit à Cauchon le moyen de simplifier la situation en amenant Jeanne à fournir directement des armes contre elle.

Et quel était ce moyen ? Henri Martin nous l’apprend en citant le code même de l’Inquisition, en le citant, disons-nous, en texte guillemeté42.

49Que nul n’approche l’hérétique (en prison) si ce n’est, de temps à autre, deux fidèles adroits qui l’avertissent avec précaution et comme s’ils avaient compassion de lui, de se garantir de la mort en confessant ses erreurs, et qui lui promettent que, s’il le fait, il pourra échapper au supplice du feu.

Et, ce texte ainsi transcrit, Henri Martin, avec la désinvolture d’un homme qui sait tout, jette au bas de la page une note indiquant la source où il a puisé son texte : Doctrina de modo procedendi contra hæreticos. Or, quel est ce livre ? quel en est l’auteur ? quand et où a-t-il été imprimé ? Le Maître ne daigne pas, et pour cause, descendre à ces détails. La parole de Dieu, il était de bon ton, aux jours de Henri Martin, de la persifler : mais la parole d’un académicien, la parole sacro-sainte de l’historien national, honni soit qui oserait la révoquer en doute ! Eh bien ! nous allons, sans hésitation aucune, au devant de cette confusion, et nous jetons à tous les tenants de Henri Martin le défi de nous citer un seul théologien, un seul criminaliste catholique qui ait écrit le texte par lui guillemeté ! Sa citation serait une vulgaire jonglerie si elle n’était une malhonnêteté.

La vérité est que Pierre Cauchon, pour pouvoir faire à Jeanne un procès d’hérésie, a dû fouler aux pieds toutes les lois de la procédure 50inquisitoriale. La vérité est que cette procédure elle-même, telle que nous la lisons dans les Actes de ce sanhédrin, a été la violation, cauteleuse mais éhontée, des prescriptions essentielles de toute procédure : des chefs d’accusation qui prêtent effrontément à l’accusée des réponses qu’elle n’a point faites, ou dénaturent ses paroles ; un réquisitoire où les griefs sont des assertions en l’air. Vous l’accusez d’hérésie ? Spécifiez donc les doctrines hérétiques qu’elle a soutenues ! De sorcellerie ? Indiquez les sortilèges auxquels elle s’est livrée ! De blasphème ? Dites au moins une parole, une seule des paroles blasphématrices qu’elle a proférées ! Mais non, rien de tout cela dans leurs paperasses, rien sinon des audaces de faussaires, des indignations hypocrites et des commisérations révoltantes. Oh ! que la victime apparaît noble et grande devant toutes ces indignités43 ! La vérité enfin est que les Juges apostoliques, pour la révision du procès de 1431, s’entourèrent, au point de vue du droit et du fait, de toutes les garanties possibles, pour arriver non pas à 51la certitude morale — ce serait trop peu dire en l’espèce — mais à la démonstration mathématique de l’iniquité de ce Procès, ou plutôt de ce brigandage, où la vénalité de Pierre Cauchon et de quelques docteurs schismatiques de l’Université offrit aux haines anglaises, moins odieuses que leur bassesse à eux, les apparences d’une procédure dont le but était de déshonorer leur victime avant de la brûler.

La justice de Dieu frappe les juges prévaricateurs

Admirable disposition de la Providence envers son Envoyée ! Un quart de siècle avait passé sur le martyre de Jeanne et l’ignominie de ses bourreaux ; la justice de Dieu, réalisant à la lettre une prédiction de la Pucelle44, n’avait pas attendu, pour les frapper, le jour des éternelles vengeances ; mais les documents 52des faussaires restaient là contre la douce et noble martyre. Où seraient, après vingt-cinq ans — longum mortalis ævi spatium ! [un long espace de temps dans la vie d’un mortel (Tacite)] — les témoins autorisés dont les dépositions pouvaient, seules, détruire cet amas de mensonges, de calomnies, de falsifications ? Ces témoins, Dieu les avait gardés ! Ils survivaient, en nombre plus que suffisant, pour détruire l’œuvre d’iniquité. Les vieillards de Domrémy, comme les compagnes de Jeanne, reproduisirent, devant les délégués des Juges apostoliques, leurs dépositions antérieures, ces dépositions que l’Évêque de Beauvais avait eu soin de supprimer du Dossier.

Il avait disparu aussi le registre ou, comme disait Jeanne, le livre de Poitiers, c’est-à-dire les procès-verbaux des examinateurs qui avaient, par leur adhésion et leurs éloges, donné à l’Envoyée de Dieu ses Lettres de créance ; mais un des examinateurs, le dominicain Seguin, survivait, et le Procès de révision enregistre ses dépositions en tout point favorables à Jeanne. Bien des compagnons d’armes de la vaillante guerrière étaient tombés sur les champs de bataille ; mais ceux qui l’avaient suivie de plus prés, durant les péripéties du voyage à Chinon, du siège d’Orléans, de la campagne de la Loire : Dunois, le duc d’Alençon, Raoul de Gaucourt, Théobald de Thermes, Louis de Reugles, Jean d’Aulon, Jean de Novelompont, Albert d’Ourches, 53ainsi que son confesseur, l’augustin Jean Pasquerel, et cent autres, n’eurent qu’une voix pour attester les admirables exploits de Jeanne et plus encore ses vertus ; pour affirmer à la fois et leur vénération envers elle et leur conviction qu’elle avait été l’Envoyée de Dieu45. Enfin, pour que rien ne manquât à la démonstration lumineuse de l’innocence de la victime, le drame de Rouen, c’est-à-dire les horreurs de la prison, les fourberies des interrogatoires, les falsifications des procès-verbaux, les nobles réponses de Jeanne, les trahisons de Loyseleur, les détails les plus circonstanciés de l’abjuration, de la condamnation, du martyre, ce drame, disons-nous, fut révélé devant le tribunal de 1456, par ceux qui en avaient été les témoins de visu et de auditu46, et dont plusieurs y avaient eu une part honteuse.

Grâces et Miracles

Le n° XIXe du Sommaire additionnel enregistre les dépositions de plusieurs témoins sur des grâces et miracles attribués à l’intercession de Jeanne. C’est d’abord le Chanoine Séjourné qui se fait, devant le Tribunal d’Orléans, le héraut de la reconnaissance de plusieurs prêtres, dont la confiance avait obtenu, disaient-ils, par l’intercession de Jeanne, des grâces spirituelles et temporelles.

― Il rappelle ensuite le fait raconté dans ses mémoires par le Général Comte de Ségur : des soldats du premier Empire, fuyant, devant des forces supérieures, jusqu’à Vaucouleurs et obtenant, sur le point d’être rejoints par l’ennemi, la protection de Jeanne à qui les soldats français qui l’avaient invoquée, attribuaient un ouragan soudain dont la violence renversa le pont de la Meuse et les mit hors de portée.

— M. Marie de Watelet, au dire de son père qui prit part au grand pèlerinage de Domrémy en 1868, fut guérie d’une fièvre pernicieuse par l’intercession de Jeanne que, depuis 55lors, la famille comtale de Watelet regarde comme sa protectrice.

— En 1885, une famille de Bretagne grandement éprouvée s’était adressée à Jeanne d’Arc pour obtenir quelque secours, au moins contre les nécessités poignantes du moment. La veille de la fête de Jeanne d’Arc, Mgr Dupanloup reçut un don considérable d’une personne pieuse qui en confiait la distribution à la charité de l’Évêque. Celui-ci, sans savoir aucunement que la famille affligée invoquait Jeanne, fit aussitôt parvenir un billet de 500 francs, avec ce simple mot : Au nom de Jeanne d’Arc dont nous célébrons demain la fête.

― L’Abbé A. Lelong vient à son tour attester, devant le Tribunal, qu’il attribue à Jeanne d’Arc sa guérison d’une maladie très grave et très pénible.

― La sœur Saint-Honoré, de l’hôpital d’Orléans, deux fois frappée d’apoplexie cérébrale, était sur le point d’expirer. La communauté invoque Jeanne pour obtenir non sa guérison déclarée impossible par le médecin, mais quelques heures de connaissance lui permettant de recevoir les sacrements. Exaucées sur ce point les Sœurs continuent leurs supplications à Jeanne, et la guérison totale vient récompenser leur persévérance.

― Amélie Sella, romaine d’origine, agrégée 56à l’Ouvroir dit de l’Œuvre de la première communion, à Orléans, était atteinte, depuis septembre 1885, d’une douleur dans les reins qui, malgré tous les soins des médecins, empira bien vite et présenta tous les caractères d’une spinite. Les pointes de feu, les douches alternées n’avaient d’autre résultat que de diminuer l’acuité de ses souffrances mais non de combattre la maladie elle-même. À l’Hôtel-Dieu, où on l’avait transportée, la communauté voulut, à l’approche du 8 mai, faire un triduum [trois jours de prières] à Jeanne d’Arc, à l’intention de la pauvre infirme. Le 8 mai, au matin, vers 5 heures, Amélie Sella se sent complètement guérie : elle se lève aussitôt et se met à vaquer allégrement aux occupations les plus fatigantes.

Cette guérison instantanée est racontée par le Chanoine A. Rivet. La miraculée elle-même vint la confirmer devant le tribunal. Sa déposition nous fait connaître la cause première de son mal : dans les premiers jours de 1855, elle était tombée sur le dos, dans un fossé47, et n’avait eu souci de la douleur qui 57lui était restée de cette chute. De nombreux témoins oculaires viennent, après la miraculée, attester sa maladie, et sa guérison instantanée que tous attribuent à Jeanne d’Arc.

— L’attestation suivante, insérée comme pièce extrajudiciaire dans le Dossier, décrit les péripéties d’une laryngite aiguë qui avait réduit M. Émile Prodhon48 de Saint-Dizier (Haute-Marne) à deux doigts de la mort, au point que les médecins, tout en faisant, en dernière ressource, l’opération de la trachéotomie, étaient à peu près convaincus qu’ils opéraient sur un cadavre. Mais le patient, sur les exhortations de son curé, l’abbé H. de Hédouville, s’était déjà recommandé à Jeanne d’Arc, et avait commencé une neuvaine en son honneur. L’opération faite pour acquit de conscience, les médecins continuèrent à affirmer que la mort était imminente. Et, de fait, ceux qui assistaient le moribond s’attendaient à le voir expirer. Les jours se passaient, la neuvaine se continuait, et enfin le malade, sans cause apparente, entra le 12 avril dans un état de convalescence suivie d’une entière guérison.

58La confiance de M. l’abbé de Hédouville, signataire de cette attestation, était motivée par une grâce de guérison dont sa propre mère, la Baronne de Hédouville, avait été favorisée après une neuvaine, plusieurs fois renouvelée, en l’honneur de la Pucelle d’Orléans. La Baronne, croyant que son heure dernière approchait, avait instamment demandé à son fils de l’agréger au Tiers-Ordre franciscain sous le nom de Sœur Jeanne.

— Ce ne fut pas la guérison d’une paralysie corporelle qu’obtint M. l’abbé Mausotte, en invoquant Jeanne d’Arc, mais la résurrection morale d’une âme séparée de Dieu (le Docteur D., directeur de l’Asile des Aliénés à Saint-Dizier) et obstinée dans cette séparation. Durant une dernière neuvaine en l’honneur de Jeanne d’Arc, le malade qui bondissait au seul mot de confession accepta le ministère du prêtre et se prépara à la mort avec une piété et une sérénité qui étaient l’admiration de tous les assistants.

— À cette rapide nomenclature, ajoutons une grâce toute récente dont les procès-verbaux sont reproduits extra proprium locum, au Dernier sommaire additionnel. C’est S. G. Mgr Williez, évêque d’Arras, qui, le 28 Janvier 1893, transmettait au Saint-Père un Procès-verbal d’une guérison vraiment extraordinaire, 59paraissant offrir les caractères du miracle et attribuée à l’intercession de la chère libératrice.

La prudente réserve de Mgr Williez, dans son affirmation, ne fait que mettre plus en relief la force démonstrative dudit procès-verbal. Dans le cas de Sœur Jeanne-Marie, de la Sainte-Famille de Fruges, il s’agit non d’une maladie nerveuse ou d’une affection de diagnose difficile et incertaine, mais d’une carie des os aux deux pieds. Devant l’impuissance avérée de tous les secours humains, une neuvaine fut commencée en l’honneur de Jeanne, le 1er mars 1891 ; le 5 mars, la journée fut désespérante : la violence du mal arrachait à la patiente de rauques sanglots ; à 10 heures de la nuit, les douleurs s’apaisent, la malade s’endort pour se réveiller le lendemain à 4 heures. La guérison était complète ; il ne restait même plus trace de plaie. Ce n’était pas en vain que la Communauté avait tant de fois répété durant ces cinq jours : Jeanne d’Arc, pieuse libératrice de la France, guérissez notre malade !

Sommaire additionnel

La deuxième partie du Sommaire additionnel reproduit les documents appelés authentiques pour les distinguer des documents judiciaires 60que nous avons analysés ci-dessus49. C’est une majestueuse synthèse de témoignages en faveur de la Pucelle. Elle remonte aux contemporains de Jeanne et descend jusqu’à nos jours, pour accumuler à ses pieds le tribut d’une admiration, ou plutôt d’un culte qui n’a jamais défailli. Chant sublime, chant qui dure depuis plus de quatre siècles et dont les modulations, naïves ou ardentes, éloquentes ou ravies, redisent, en leur variété indéfinie, la pitié de Dieu envers la France la très belle fleur de chrestienté et la reconnaissance de la France envers Dieu qui lui donna Jeanne.

Sur près de trois mille auteurs qui ont écrit sur Jeanne50, seuls deux français se sont rencontrés qui ont osé ex professo jeter la boue à la pureté de la vierge de Domrémy : Estivet, le promoteur du prétendu tribunal de Rouen, et Voltaire, l’auteur de cette plate polissonnerie intitulée : La Pucelle. Celui-là, nous l’avons déjà dit, fut trouvé mort, étouffé dans un bourbier ; pour celui-ci, le genre de mort fut tel que 61la langue française hésite et se refuse à le décrire : sua inglutiens stercora [engloutissant ses excréments]… Vous êtes juste, ô Seigneur, et votre justice sait avoir de divines ironies51 !

Le chant des siècles à Jeanne ne s’analyse pas ; en donner des extraits, ce serait le déflorer. On aurait pu aisément décupler, centupler cette Partie ; mais les Compilateurs ont justement pensé que la surabondance de documents traditionnels allongerait indéfiniment le Dossier sans l’enrichir de preuves nouvelles ; et ils s’en sont tenus à l’axiome : plurima et optima, non autem cuncta [beaucoup et le meilleur, mais pas tout]52.

Et n’est-ce pas encore un chant, le chant de notre époque à nous, que ces Lettres postulatoires que nous allons transcrire du Dossier ?

63Lettres postulatoires

Les Lettres postulatoires adressées au Saint-Siège pour solliciter l’introduction de la Cause de béatification, sont enregistrées dans l’ordre suivant :

  • Cardinaux,
  • Archevêques,
  • Évêques,
  • Chapitres Cathédraux,
  • Généraux d’Ordres,
  • et personnages éminents53.

La première est celle de S. Ém. le Cardinal Langénieux. Cette place d’honneur était bien due à l’archevêque de Reims. Son prédécesseur sur le siège de Saint Remy avait été chargé de commencer l’œuvre de 64réhabilitation54. Pour l’œuvre de glorification, l’archevêque de Reims sera, dans ce magnifique concert d’eulogies qui la sollicitent, le Praecentor inclytus [l’illustre préchantre, celui qui dirige les chants].

Nous extrayons et nous traduisons de sa splendide Lettre postulatoire latine les passages suivants :

Très-Saint Père

Parmi tant de personnages, de l’un et de l’autre sexe, qui ont été, par leurs vertus et leurs hauts faits, la gloire du royaume français, brille une jeune fille, Jeanne d’Arc surnommée la Pucelle d’Orléans… Sa vie même et ses exploits démontrent, clair comme le jour, qu’elle eut mission divine de délivrer le royaume des ennemis qui l’opprimaient, et qu’elle fut, à cette fin, soutenue et fortifiée par une grâce toute céleste…

Ce qu’elle avait, dès le début, promis d’accomplir au nom de Jésus, à savoir la défaite des ennemis, la délivrance d’Orléans assiégé, le Sacre du Roi Charles VII, à Reims, se vérifia de point en point…

Et, après avoir rappelé, avec la concision si expressive et si élégante de la langue latine, l’admirable modestie de Jeanne et la vénération qu’elle inspirait à son entourage, le 65Cardinal Langénieux montre la sainte Pucelle devant le Tribunal de Rouen et affirme, comme nous l’avons fait ci-dessus, une assistance manifeste de l’Esprit de Dieu, durant ses interrogatoires et durant son supplice, ce supplice qui, sous la plume de ce Prince de l’Église, vaut à Jeanne le titre de vraie martyre du Christ vere Christi martyr. Et puis, jetant un regard sur l’état actuel de la France, le Cardinal Langénieux conclut ainsi :

Oh ! qu’il serait nécessaire à notre patrie et avantageux à la Religion, que notre Mère la Sainte Église, en glorifiant la noble vierge par qui nos pères furent sauvés et délivrés, donnât à la France une nouvelle Protectrice et rappelât ainsi à tous nos compatriotes que Dieu autrefois sauva miraculeusement la patrie et que notre espoir aujourd’hui encore doit être en Lui : n’est-il pas notre unique refuge, notre force, Lui qui abaisse et relève, à son gré, les nations ? !…

Benoît-Marie, Arch. de Reims.

Le Cardinal Donnet, Archevêque de Bordeaux, s’est attaché à mettre en relief la piété de Jeanne et sa confiance au nom de Jésus :

… La mission de Jeanne d’Arc, au XVe siècle, entreprise évidemment sous l’inspiration du Ciel, aboutit à des résultats inespérés. Grâce à cette vierge, si vaillante et si pieuse, le royaume de France retrouva ses anciennes limites et la gloire du nom de Jésus resplendit, aux yeux de nos pères, d’un incomparable éclat. Ce fut, en effet, par la vertu de ce nom, plus encore que par la valeur de nos guerriers, que l’envahisseur fut chassé de nos provinces. Jésus ! s’écriait notre héroïne, en montrant sa bannière où brillait l’image du divin Crucifié, et l’armée se précipitait 66avec un élan irrésistible. Jésus ! ce nom en qui se résumaient tous les sentiments de son cœur, Jeanne l’avait toujours sur les lèvres. Une dernière fois, elle le fit entendre sur la terre, quand, le bûcher de Rouen l’entourant de ses flammes, sa charité plus ardente s’exhala en cette invocation qui retentira à jamais au cœur de son pays.

Jeanne, c’est la conviction de la France depuis quatre cents ans, a été vraiment une envoyée de Dieu. Elle accomplit une œuvre miraculeuse, dans laquelle la protection du Ciel pour le royaume de Clovis et de Charlemagne éclata de la manière la plus solennelle. Ses vertus si aimables, pendant qu’elle menait paître ses brebis sur les bords de la Meuse, qu’elle s’agenouillait dans l’église de son village ou qu’elle écoutait les voix qui lui commandaient de délivrer la patrie opprimée, se révélèrent plus admirables encore au milieu des camps. Au dire des historiens, son visage devenait tout angélique ; en sa présence les plus osés se sentaient émus et pénétrés de respect, comme à la vue d’un être surnaturel : Et intuebantur vultum eius tamquam vultum Angeli. [Et ils regardaient son visage comme celui d’un ange.] Au pied des autels, ou entre deux batailles, elle aimait à s’entretenir avec son Dieu ; à la sainte table, où son cœur se fondait en sentiments d’une inexprimable tendresse ; dans les conseils, où sa sagesse l’emportait sur celle des plus vieux capitaines ; dans le combat, où son âme ne perdit jamais Dieu de vue : partout, Jeanne d’Arc réalisa le type accompli de la vierge chrétienne, destinée à des entreprises tenant du prodige…

Le Cardinal E. Manning, Archevêque de Westminster, tient à affirmer qu’il lui est doux, à lui anglais et descendant de ceux qui ont martyrisé Jeanne, d’unir ses instances à celles de l’Épiscopat français. Il lui paraît très juste et conforme aux désirs de la piété catholique que Dieu, ayant honoré Jeanne d’une si haute mission, l’Église de Dieu couronne son front virginal du nimbe d’or de la sainteté.

67Et en nos temps, [ajoute l’Archevêque], la béatification de la Libératrice d’Orléans serait souverainement opportune. Dans la glorieuse patrie de Jeanne, comme d’ailleurs dans presque tous les autres pays, nous voyons les ruines s’accumuler parce que les peuples abandonnent Dieu et son Christ, et nous en prévoyons de plus lamentables encore. Il appartient donc à la divine autorité de l’Église, de proclamer la vérité, qui est d’hier et d’aujourd’hui, que la durée et la prospérité des nations dépendent uniquement de la volonté de Celui qui siège aux profondeurs des cieux, Roi des rois, suprême Recteur des peuples, et dont le Règne n’a pas de fin…

Les sentiments si noblement exprimés par le Métropolitain de Westminster sont, sans distinction de confession, ceux de tous les Anglais qui connaissent l’histoire. Jeanne a eu, ces jours derniers, dans les colonnes du plus grand journal de Londres55, d’enthousiastes panégyriques. Plus de quatre siècles ont passé sur les haines qui exigèrent son supplice. Il importait souverainement aux Anglais, tant qu’ils eurent l’espoir de n’être pas boutés hors de France, non seulement de faire disparaître Jeanne, mais encore et surtout de la discréditer. Catholiques comme leurs adversaires, ils ne voulaient pas avoir contre eux cette manifestation vivante des volontés de Dieu qui leur mandait d’abandonner leurs conquêtes et de respecter les droits du vrai fils de France. Ils avaient injurié la guerrière : ils devaient logiquement, 68et peut-être non sans quelque bonne foi, déshonorer la captive devant les peuples nouvellement soumis. Aujourd’hui, à leurs yeux dessillés, la sorcière, l’hérétique serait, ce qu’elle fut, l’envoyée de Dieu : et les Glasdale, les Suffolk, les Talbot, les Fastolf, les Bedford salueraient de l’épée Jeanne et sa bannière. Leur vaillance, qui se riait des résistances humaines, n’aurait pas à rougir d’avoir cédé à la force de Dieu. Nul, en un mot, ne peut s’inscrire en faux contre la juste sévérité du Cardinal Manning :

… B. Aurelianensem Puellam nefarie condemnaverunt, morteque crudelissima trucidarunt.

[Ils condamnèrent criminellement la Pucelle d’Orléans et la mirent à mort cruellement.]

Le 8 Mai 1857, le panégyriste de Jeanne dans la cathédrale d’Orléans était Mgr Gillis, Vicaire apostolique d’Édimbourg, dont la noble franchise ne recula pas devant cet aveu :

Il y a une page que, pour l’honneur de mon pays, je ne voudrais pas trouver dans l’histoire, la page qu’éclaire à notre honte le bûcher de Rouen… Un Anglais doit admettre dans tout son éclat ce phénomène de vos Chroniques, ou n’y voir que ténèbres. Pour lui, on ne divise pas la Pucelle ! Eh bien ! moi, j’aime à le proclamer ici, je crois à Jeanne d’Arc ; je ne puis voir en elle autre chose qu’une envoyée de Dieu ; et je viens, de parmi ceux qui la brûlèrent, inscrire au temple de la mémoire, non une apologie de ses 69vertus, mais l’aveu du crime de mes pères, et déposer aux pieds de sa sainte image l’offrande bien tardive d’une réparation de justice56.

Non moins explicites ni moins pressantes sont les instances des Cardinaux Guibert, Deschamps et Newman, auxquelles s’ajoutent, sous forme de simple mention dans le dossier, celles des Cardinaux-Archevêques de Rouen, Lyon, Rennes, Sens, Séville, Valence (d’Espagne), Saragosse, Lisbonne et Porto.

Outre ces instances, le dossier transcrit ou énumère celles de 22 Archevêques, 173 Évêques ou Vicaires Apostoliques, et de 10 Chapitres métropolitains ou cathédraux : Reims, Sens, Bordeaux, Aix, Besançon, Dijon, Mende, Limoges, Clermont et Châlons.

L’Évêque d’Orléans57 — à lui aussi, une place à part est due dans ces eulogies de Jeanne — rend témoignage de la gratitude fidèle de ses diocésains envers leur libératrice :

70… Oui, Très-Saint Père, Jeanne d’Arc jouit d’une réputation de sainteté due à ses héroïques vertus et à son douloureux martyre. Cette réputation loin de s’éteindre ou de s’affaiblir avec le temps, va toujours en augmentant, ainsi que le prouvent la piété si tendre et si touchante des fidèles envers Jeanne d’Arc, et la confiance qu’ils ont en sa puissante intercession à laquelle ils se croient redevables de grâces signalées.

Permettez-moi encore d’ajouter, Très-Saint Père, qu’à Orléans en particulier la réputation de sainteté de Jeanne d’Arc est incontestable et qu’elle se manifeste au grand jour dans la fête incomparable qui, depuis quatre cent soixante ans, a lieu chaque année le huit mai, jour anniversaire de celui où la Servante de Dieu fit lever le siège de notre ville en 1429.

Cette fête se célèbre avec un éclat, une pompe, une magnificence extraordinaires. Le Clergé, la Magistrature, l’Armée, les Administrations civiles et politiques, tous les Ordres de la Société se réunissent pour rendre grâce à Dieu et écouter les louanges de Jeanne d’Arc. Jamais rien n’a troublé l’harmonie de cette fête ; jamais le plus léger désaccord ne s’est produit lorsqu’il s’est agi de rendre hommage à la mémoire de l’humble fille des champs dont Dieu s’est servi pour rendre à notre patrie son unité, son indépendance et sa mission providentielle. Toujours les Orléanais se trouvent réunis dans un même sentiment de vénération et d’amour envers Jeanne d’Arc alors même que les opinions ou les intérêts pourraient les diviser.

Témoin depuis de longues années de ce merveilleux accord de tous les citoyens d’une même ville, je me demande, Très-Saint Père, si à un moment donné le seul souvenir de Jeanne d’Arc n’aurait pas la vertu de rallier tous les Français et ne deviendrait pas pour notre patrie un signe de salut ? Je me demande encore, Très-Saint Père, si l’introduction de la cause de Jeanne d’Arc, pour laquelle tant de vœux et d’instances ont été adressés à Votre Sainteté, n’exercerait pas une très-heureuse influence sur le réveil religieux de notre pays ?

Mgr Paul Marmarian, évêque arménien de Trébizonde, avait assisté, à Orléans, aux 71fêtes de l’anniversaire de la délivrance. Dans sa Lettre postulatoire très développée, il rappelle ce souvenir qui était resté si vivant en son âme :

Ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu, il me serait impossible de l’exprimer : les autorités, civile et ecclésiastique, unies pour la procession qui déroulait ses longues théories le long des boulevards et des rues d’Orléans ; la piété de cette foule immense, la tenue si convenable des soldats, les mélodies suaves des cantiques auxquels faisaient écho les salves d’artillerie ; ce reflet de joie céleste sur tous les visages : tout cela m’apparaissait comme le triomphe de Jeanne et de la France, mieux encore le triomphe de l’Église et de Dieu58.

Mgr Jourdan de La Passardière fait en faveur de la Cause de Jeanne la plus heureuse et la plus délicate application de ce texte du Livre de Judith :

Joachim, le Grand Pontife, vint à Béthulie avec tous ses prêtres pour voir Judith. Ensemble ils la bénirent tous, en disant : Tu as agi avec courage et ton cœur a été fort parce que tu as aimé la chasteté ; aussi la main de Dieu t’a soutenue, et tu seras bénie à jamais.

C’est le vœu qu’expriment aux pieds vénérés 72de Votre Sainteté le peuple chrétien et le peuple de France : Et dixit omnis populus : Fiat, fiat ! [Et tout le monde disait : Qu’il en soit ainsi, qu’il en soit ainsi !]

Le Chapitre de Reims intervient au nom des glorieux souvenirs de Jeanne :

… Il nous semble, Très-Saint Père, que nous avons quelque droit à solliciter de Votre Béatitude cette grande faveur.

C’est dans notre insigne Cathédrale, dans le Sanctuaire même où chaque jour nous célébrons les divins Offices, que, par un secours manifeste de la puissance divine, Jeanne d’Arc a fait sacrer le Roi Charles VII et accompli la mission qu’elle avait reçue du Ciel.

Nous avons conservé le souvenir de l’endroit même où elle se tenait avec sa bannière blanche pendant l’auguste cérémonie, et nous voyons parfois les officiers de l’armée française venir se prosterner en ce même lieu et prier Dieu de glorifier la noble guerrière.

La mémoire de Jeanne d’Arc s’est perpétuée parmi nous, entourée d’une vénération profonde. Les étrangers, comme les habitants de la ville, s’arrêtent avec un religieux respect devant l’inscription qui indique l’hôtel où elle était descendue pendant son séjour à Reims ; et dans ce même hôtel, on a voulu consacrer au souvenir et à la gloire de Jeanne d’Arc un appartement dont la décoration, due à une main patriotique et chrétienne, reproduit les principales scènes de sa vie…

Le § V. donne ou mentionne les Postulatoires des Généraux d’Ordre.

Le P. Pierre Beckx, en son nom personnel et au nom de toute la Société de Jésus, demande l’introduction de la Cause de Jeanne 73dont les vertus et les hauts faits ont été la vénération des fidèles surtout en France.

Le Vicaire Général des Frères Prêcheurs, le Rme P. Marcolin Cicognani, met justement en relief le zèle de l’Ordre dominicain à défendre contre la calomnie la mémoire de Jeanne :

… Pour défendre, contre les calomnies des hommes, sa sainte mémoire, aussi bien que pour promouvoir le culte que les fidèles lui gardent, l’Ordre des Frères-Prêcheurs, a toujours grandement travaillé…

Cette parole, aussi autorisée que justifiée, suffit, à elle seule, pour réduire à néant la thèse, plus que fantaisiste, de Siméon Luce, sur la prétendue hostilité des Dominicains à l’égard de Jeanne d’Arc59.

Il ne suffit pas de grouper, vaille que vaille, des faits qui n’ont entre eux aucune connexion logique ou historique, moins encore d’échafauder, sur cette base de carton, des déductions plus ou moins ingénieuses, ou des rapprochements plus ou moins piquants ; il ne suffit pas de cela, disons-nous, pour faire œuvre d’historien sérieux, moins encore de critique judicieux.

L’échec de Simon Luce a été la démangeaison 74de dire du nouveau, de révéler, dans des faits connus de tous, des points de vue inaperçus, d’établir, en un mot, une thèse personnelle et originale, sans donner à toutes ses élucubrations d’autre preuve que son désir de prouver.

Un écrivain, même et surtout quand il est de l’Institut, ne doit pas faire l’histoire, mais l’exposer. Aussi nul lecteur n’hésitera à admettre la conclusion formulée dans la Postulatoire du Vicaire Général des FF. Prêcheurs : à savoir que les Dominicains de France furent, dans l’ensemble, non pas les adversaires mais les soutiens et, plus tard, les vengeurs de Jeanne d’Arc60.

C’est, en effet, au dévouement, à la magnanimité et aux travaux personnels du dominicain 75Jean Bréhal, grand Inquisiteur de France, que nous devons, au moins pour la plus large part, le Procès de réhabilitation de Jeanne61. Devant cette noble figure de justicier, l’âme se repose et laisse se perdre dans un arrière-plan confus les timidités de Jean Le Maître en face de l’Évêque prévaricateur.

Le Général des Frères Mineurs de 76l’Observance62 rappelle les relations de Jeanne avec l’Ordre franciscain :

Les Frères-Mineurs de France furent les défenseurs de Jeanne après sa mort, comme ils avaient été ses protecteurs durant sa vie. Ce fut aux fils de St François que Jeanne à Neufchâteau confia les secrets de sa conscience et reçut de leurs lumières la confirmation de sa mission surnaturelle. Ils allèrent ensuite à Chinon pour témoigner en sa faveur ; et ce fut à eux que Charles VII confia l’enquête qui fut faite à Domrémy sur la conduite passée de Jeanne… Aussi bon nombre d’érudits ont-ils cru pouvoir conjecturer que Jeanne avait été affiliée au Tiers-Ordre séculier de St François63.

Il est encore question de ces mêmes relations, mais à un point de vue historiquement certain, dans la Postulatoire suivante que ma vénération filiale se reprocherait de ne pas traduire intégralement :

Très-Saint Père

L’héroïne que, par ses merveilleuses inspirations, la vertu de Dieu poussa des champs aux camps et conserva sans tache 77parmi les hommes d’armes, l’héroïne qui fut redoutable dans les combats et modeste dans le triomphe, ferme dans l’abandon et simple devant les ruses, droite en face des tromperies et invaincue devant sa condamnation inique, résignée à son supplice et glorieuse après son trépas ; l’héroïne que, dans les siècles passés comme en nos jours, les plus hautes Autorités de l’un et de l’autre for ont acclamée comme la Libératrice de la patrie, comme le Prodige du Très-Haut qui abaisse et relève ; l’héroïne que la tradition ininterrompue du peuple chrétien, en France et au dehors, a toujours vénérée et louée comme une Sainte, l’illustre Jeanne d’Arc mérite de recevoir, de Votre Sainteté, les splendeurs d’une gloire encore plus noble.

Et moi, successeur de St François, non certes à cause de mes mérites mais par la volonté de Dieu, j’ai pour recourir, à cette fin, à Votre bienveillance, Très-Saint Père, un titre qui n’est pas sans consolation pour mon âme.

Jeanne, en effet, aux débuts, dans le cours et après la consommation de sa mission céleste, trouva des franciscains qui se portèrent garants de l’inspiration divine l’incitant aux grandes œuvres, et qui plus tard défendirent sa mémoire. La pieuse Pucelle avait embrassé la pratique d’invoquer les noms sacrés de Jésus et de Marie : et ces noms, gravés en anagramme sur son anneau, elle les fit encore broder, en onciales d’or, sur la bannière qu’elle portait pour animer les vaillants aux combats du Seigneur, d’après l’image que, vers la même époque, l’éloquence de St Bernardin de Sienne et de ses confrères d’apostolat, avait fait acclamer à la foi des villes italiennes et proposée à leur vénération.

C’est donc à bon droit et c’est aussi avec tout le désir de mon âme, que j’unis ma demande à celle de tant de Prélats et de tant d’illustres fils de la Sainte Église…

P. Bernard d’Andermatt,
Min. Gén. des Frères-Mineurs Capucins.

Au début de la mission de Jeanne, alors que le Roi, dans sa sage réserve, hésitait à 78accepter le secours miraculeux, les Frères Mineurs furent chargés, en vertu sans doute d’un mandat royal, d’aller faire une enquête sur Jeanne en Lorraine. Le résultat de cette enquête, communiqué aux examinateurs de Poitiers, contribua grandement à les convaincre. On n’en connaît pas le texte qui dut être adjoint au livre disparu de Poitiers. Mais il est à croire que les déposants de Domrémy et de Vaucouleurs avaient dit, en février et mars 1429, ce qu’ils dirent en 1452.

Jeannette était imbue de la foi catholique, et de bonnes mœurs ; elle était simple, bonne, modeste, pieuse et craignant Dieu, selon ce que j’ai remarqué en elle. Elle allait volontiers et fréquemment à l’église… ; elle faisait volontiers l’aumône, donnait l’hospitalité aux pauvres, et voulait coucher elle-même au foyer64 pour leur céder son lit ; on ne la voyait pas par les rues, mais elle restait à l’église pour prier ; comme elle fuyait les divertissements, elle était souvent l’objet des plaisanteries des autres jeunes filles ; elle travaillait de bon cœur à filer, à cultiver la terre avec son père, à faire le ménage, et quelquefois à garder les bestiaux ; elle 79allait à confesse volontiers et souvent, comme je l’ai vue moi-même, car Jeannette la Pucelle était ma commère parce qu’elle avait tenu aux fonts baptismaux mon fils Nicolas ; j’allais souvent avec elle et je voyais qu’elle allait à l’église se confesser à dom Guillaume notre curé d’alors65

Telles durent être, en substance, les conclusions des Franciscains chargés de l’enquête. Ils apportèrent aux examinateurs de Poitiers l’assurance que la mission merveilleuse de sauver la France était confiée à une âme d’une piété exemplaire, d’une virginale pureté.

Durant la période de combat, plusieurs franciscains faisaient partie, à titre d’aumôniers, de la maison militaire de Jeanne. À Troyes, Fr Richard, ce prédicateur populaire si redouté des Anglais, devint le héraut de la mission divine de Jeanne, et accompagna la Pucelle jusqu’au sacre de Reims. À Compiègne, la vaillance de Jeanne comprit et encouragea le patriotisme d’un autre franciscain, Fr Noiroufle, qui n’hésitait pas à diriger lui-même le tir des couleuvrines contre les Anglais et les Bourguignons.

Parmi les Mémoires consultatifs qui préludèrent au Procès de réhabilitation, celui du 80franciscain Élie de Bourdeilles mérite une place à part, la première peut-être après la Recollectio de Jean Bréhal. Loin de partager les suspicions que durent forcément faire naître la condamnation et le supplice de Jeanne, le saint évêque, pense que

le Dieu tout puissant, qui frappe et guérit, humilie et relève, qui n’abandonne pas ceux qui espèrent en lui, aura été touché par les mérites de tant de saints rois de France, et surtout de saint Louis ; qu’Il aura voulu nous visiter par cette seule et simple pucelle, conduite peut-être par le B. Archange Saint Michel et par les Saintes vierges déjà souvent nommées. Il n’aura pas voulu que cette délivrance fut attribuée à la sagesse, à la puissance des hommes ; mais uniquement à son infinie clémence66

Les noms de Jhesus Maria, brodés sur la bannière de Jeanne67, et l’anagramme de 81ces mêmes noms gravé sur le chaton de son anneau, prouvent que la Pucelle avait été initiée, à Domrémy même, à la dévotion, toute récente alors, sous la forme que lui avait donnée St Bernardin de Sienne, au nom de Jésus et de Marie.

De la très belle Postulatoire du P. J. Simler, Supérieur Général de la Société de Marie, nous extrayons le passage suivant si caractéristique, si démonstratif, si éloquent dans sa simplicité et sa concision :

Votre Sainteté voudra bien permettre au plus petit de ses enfants, de joindre sa voix à celle des Évêques de France, nos guides et nos maîtres, et de porter au pied de Votre trône une prière ardente en faveur de la cause de Jeanne d’Arc. C’est à ses vertus, encore plus qu’à son courage, que notre patrie a dû la délivrance de ses ennemis : sa vie irréprochable et pleine de prodiges, sa mort si douloureuse et si belle ont entouré sa mémoire d’une auréole de sainteté.

Habituellement nos religieux, qui instruisent la jeunesse française, rencontrent un profond étonnement chez ces âmes naïves et droites, quand on leur apprend que la vierge de Domrémy, malgré sa mission divine, malgré l’héroïsme de ses vertus, la sainteté et l’éclat de sa vie et de sa mort, n’a pas été élevée par l’Église au rang des saints auxquels il est permis de rendre des honneurs publics…

Qui de nous ne connaît, pour l’avoir éprouvé aux jours déjà lointains de l’enfance, ce douloureux étonnement dont parlé le T. R. P. Simler ? Seule, l’auréole sur le front de Jeanne pourra arrêter, dans les jeunes âmes, le pourquoi 82attristé d’une logique déçue et presque indignée.

Aux Postulatoires des autres Généraux font suite et écho celles des Facultés théologiques, des Congrès catholiques, des Paroisses, des Communautés, et enfin de quelques grands personnages.

Parmi ces dernières, il est bon de mentionner celle de Henri V :

… Ce n’est pas seulement Orléans et la France, c’est le monde entier, Très-Saint Père, qui rend témoignage aux gestes de Dieu par Jeanne d’Arc, à la piété et au zèle de cette jeune vierge, à sa pureté, à l’abnégation infatigable avec laquelle elle a toujours accompli la volonté de Dieu, et enfin à la réputation de sainteté qui a couronné sa vie, soit à Domrémy, où elle paissait les troupeaux de son père, humble et modeste villageoise ; soit dans les camps, où elle montra la science et l’intrépidité d’un grand capitaine ; soit sur le bûcher, où elle demeura, au milieu des flammes, si fermement attachée à la foi chrétienne et au Siège Apostolique.

Les Pontifes Romains ont déjà défendu, vengé et loué cette admirable héroïne, et c’est un vœu unanime que Votre Sainteté daigne aujourd’hui honorer et exalter sa mémoire…

Devant cette unanimité de désirs et d’instances, on ne peut que répéter le texte ci-dessus invoqué par Mgr de La Passardière : Et dixit omnis populus : Fiat, fiat ! Ce fiat est celui sans doute de la foi française, mais il est encore celui de toute la chrétienté : omnis populus !

83Animadversions et réponses
Attaque.― Défense.

Les avocats Alibrandi et Minetti

La Défense est signée des Avocats Hilaire Alibrandi et Jean-Baptiste Minetti. Hilaire Alibrandi a eu la consolation d’entrevoir la terre promise, mais non pas celle d’y entrer : il s’est éteint le jour même, et probablement à l’instant précis, où le Saint Père donnait l’affirmative pour le Décret d’Introduction de la Cause. Au lit de mort, Alibrandi n’a-t-il pas vu, par delà le voile, entrouvert alors, de son éternité, la théorie des Saints et des Bienheureux qui doivent à ses travaux une bonne part de leur gloire humaine, venant bénir sa dernière heure et lui dire : Bene scripsisti de nobis, Hilari ? [As-tu bien écrit sur nous, Hilaire ?] Jeanne d’Arc, la dernière, a dû déployer devant le regard de son âme, la bannière avec le Jhésus-Maria en lettres d’or, annonçant à sa piété la grande espérance : 84lui aussi avait été à la peine ; il devait donc être à l’honneur.

Depuis quelques années, Alibrandi, couronné d’ans et de mérites, se reposait sur un demi-siècle de labeurs et refusait d’accepter de nouvelles Causes. Mais lorsque d’éloquentes instances proposèrent à sa science et à son dévouement la Cause de Jeanne d’Arc, Alibrandi se retrouva lui-même : l’aigle vieilli sentit sa jeunesse se renouveler. Après de longs mois consacrés à l’étude du Dossier, il était prêt à soutenir cette Cause, une des plus belles mais aussi des plus difficiles qui aient été soumises au Tribunal le plus auguste après celui de Dieu.

Le choc, même pour le vieil athlète habitué à la victoire, était à redouter.

Mgr Augustin Caprara, le Promoteur de la Foi, avait, lui aussi, sans parler de ses études si complètes sur Jeanne d’Arc, examiné chaque ligne, chaque mot de ce volumineux Dossier. Sa pénétration si subtile, si attentive, qui a, bien des fois déjà, mis en échec d’autres Causes, devait trouver, dans un Procès si en dehors des conditions ordinaires, ample matière aux objections. On se représente volontiers le Promoteur de la Foi comme un avocat retors, s’ingéniant à accumuler de vaines chicanes contre les Saints, à les accuser de méfaits imaginaires, 85tout au moins à démontrer, à coups de sophismes, que leurs actions n’ont eu rien de bien héroïque. De là ce surnom, imagé et pittoresque, d’Avocat du diable donné au Promoteur. En réalité, il est, plus que les autres, l’Avocat de Dieu : et si ce titre, si juste et si élevé, de Promoteur de la sainte Foi, avait besoin d’un commentaire, nous appellerions le Promoteur : l’Avocat de la pleine sécurité, pour les faits — de la parfaite observance des prescriptions pontificales, pour la procédure. Il est le pivot de tout Procès de Béatification et de Canonisation. Sans doute, comme le fait remarquer Benoît XIV68, les difficultés soulevées par lui sont parfois de peu d’importance, par défaut de matière ; mais il n’en est pas moins vrai que, depuis Urbain VIII, on ne rencontre pas d’exemple de Procès instruit quant aux points principaux, (les vertus, le martyre, les miracles), sans que la Sainte Congrégation ait eu, au préalable, les animadversions écrites du Promoteur, même quand les documents du Procès paraissaient démonstratifs jusqu’à l’évidence.

Les Animadversions de Mgr Caprara contre l’Introduction de la Cause de Jeanne d’Arc69 sont, à première lecture, littéralement écrasantes ; 86et ce n’a pas été sans un serrement de cœur que nous avons parcouru, un à un, ces soixante-douze paragraphes dont plusieurs semblent, par la vigueur de la preuve et l’habileté de l’exposé, devoir donner le coup final à la Cause. Le Summarium objectionale, qui abrège les pièces justificatives sur lesquelles s’appuie l’attaque, parachève l’œuvre de destruction.

La stratégie du Promoteur contre Jeanne est celle qu’indique la nature même du Procès d’Introduction :

— Il n’y a pas, dans le Dossier soumis au Saint-Siège, des raisons suffisantes pour introduire cette Cause ;

— Il y a, au contraire, de graves motifs de la rejeter.

Voilà donc une double bataille à livrer, ou, pour mieux dire, voilà un fossé à franchir et une redoute à enlever. La vaillante Pucelle voulait, en nom Dieu, poursuivre les Anglais jusqu’aux nues ; mais le Promoteur ne se perd pas dans les nuages : son argumentation reste sur le terrain solide des faits, des textes, et des déductions logiques. Toutefois l’argumentation la plus ferme et la plus subtile ne saurait tenir contre la vérité. Ce chef-d’œuvre d’attaque a provoqué un chef-d’œuvre de défense, et le but du Promoteur est atteint. Il a jeté à l’encontre de la Cause toutes les difficultés 87de fait et de droit ; il a forcé l’attention des Défenseurs sur les moindres petits détails qui n’étaient pas suffisamment éclaircis ; et de ce choc a jailli la pleine lumière. Il n’est pas nécessaire que l’Église inscrive un nom de plus aux diptyques sacrés ; mais il est nécessaire que le Magistère apostolique, quand il proclame devant l’univers catholique, la sainteté d’un de ses enfants, donne à son indéfectible assertion une base inébranlable.

Objections Préliminaires

L’Attaque s’ouvre70 par un rapprochement entre Christophe Colomb et Jeanne d’Arc : ces deux noms sont la gloire du XVe siècle. Colomb a cherché et découvert, au prix d’incroyables efforts, un nouveau monde que sa piété voulait donner à Jésus-Christ ; Jeanne, pour rendre à sa patrie la liberté et l’honneur, s’est 88jetée au milieu des combats et a consacré au Roi du ciel, qui est également le Roi de la France, le royaume reconquis. Colomb, pour ses services, n’eut de ses contemporains que des oppositions, des intrigues, des perfidies et des fers ; à Jeanne, un sort fut réservé plus dur encore : l’abandon ou la trahison des siens, la prison et ses tortures, la flétrissure d’hérésie et enfin le bûcher. Depuis lors, l’Europe a compris ce qu’elle doit à Colomb ; la France ce qu’elle doit à Jeanne. Et de nos jours surtout, rien n’est épargné pour rendre justice, plus complètement encore que ne l’a fait le Procès de réhabilitation, à la vierge de Domrémy. C’est un italien, le P. Ventura, qui, le premier peut-être, a tracé, en quelques mots, cet admirable portrait de Jeanne :

pure comme un ange, aimante comme un séraphin, pondérée, comme un homme mûr, sage comme un docteur, zélée comme un apôtre, vaillante comme le meilleur capitaine, redoutable comme un conquérant ; quant à la grandeur d’âme, Jeanne dépasse de beaucoup tous les héros les plus vantés de l’antiquité classique71.

Aujourd’hui, poursuit le Promoteur, les admirateurs de Jeanne ne se contentent pas de ces éloges : ils veulent, pour elle, les honneurs 89suprêmes, réservés à la plus haute vertu. Or, les documents, versés au Dossier, font foi des vertus politiques de la Pucelle, unies à la piété, à la religion, voire au don d’esprit prophétique ; mais c’est seulement aujourd’hui qu’on lui attribue ces vertus héroïques qui sont la caractéristique des Saints. Aussi Benoît XIV (Lib. III, XLV. 9.) après avoir rendu hommage au don de prophétie de Jeanne, ajoute-t-il ces paroles très significatives :

Comme d’ailleurs il n’a jamais été question de la sainteté ni des vertus héroïques de la Pucelle, bien loin qu’il y ait eu un jugement formel à ce sujet, on peut déduire de ce silence que le don de prophétie est séparable de la sainteté.

Telle est la thèse préliminaire du Promoteur : une Jeanne d’Arc pieuse, chaste, vraiment religieuse et même inspirée de Dieu, il l’a vue dans l’ensemble des documents quatre fois séculaires ; une Jeanne d’Arc riche de ces vertus héroïques, de ce rayonnement divin qui accompagnent la sainteté, elle n’existe, dit-il en substance, que dans les enthousiasmes contemporains ; et le procès d’introduction pourrait bien être un Procès non pas de fama [de réputation] mais de fumo [de fumée] sanctitatis [de sainteté].

À cette objection d’ensemble, la Défense, laissant de côté tout préambule, répond que les Actes du Procès font ressortir en Jeanne d’Arc 90non seulement les vertus de justice, de prudence, de courage, plus ou moins justement appelées vertus politiques, mais encore et surtout les vertus de chasteté, d’humilité, comme les vertus de foi, de charité et d’espérance, toutes celles, en un mot, dont font aujourd’hui si bon compte les tenants des vertus politiques.

Le texte de Benoît XIV, rapproché du contexte, loin d’être défavorable à Jeanne, prouve au contraire que le savant Pontife a voulu, d’une part, résumer et affirmer la mission divine de Jeanne, ses exploits miraculeux et le don de prophétie qui lui fut indubitablement accordé ; d’autre part, exprimer son étonnement de ce que la Cause de Jeanne d’Arc n’eut pas été, par qui de droit, dûment introduite. Toute autre interprétation attribuerait gratuitement à ce savant Pontife : 1° une méconnaissance systématique des présomptions juridiques, car le don de prophétie, si hautement admiré en Jeanne d’Arc par Benoît XIV, n’est accordé, en règle générale, qu’à la sainteté ; 2° un illogisme capricieux de ce qu’aucun jugement n’est intervenu, Benoît XIV n’a pas conclu que le don de prophétie, en Jeanne d’Arc, ait été séparé de la sainteté, mais simplement que ce don est séparable de la sainteté judiciairement établie ; 3° enfin, une ignorance inadmissible des documents historiques démontrant que Jeanne, durant 91sa mission et après sa mort, a été regardée comme une envoyée de Dieu, comme une Sainte.

Et ici la Défense, prévenant une objection plausible, ajoute que ces attestations publiques de vénération données à la sainteté de Jeanne furent intentionnellement exagérées par ses ennemis ; mais cette exagération même prouve surabondamment la conviction unanime de sa sainteté. Ceux qui la voyaient de près l’estimaient envoyée de Dieu, à cause de ses exploits sans doute mais surtout à cause de sa vie si chrétienne, si pure et si pieuse72.

Enfin, et pour que rien ne reste de cette objection préliminaire tirée du texte de Benoît XIV, les Avocats, prenant cette fois l’offensive, établissent, sur les paroles mêmes de ce savant Pontife, une présomption juridique en faveur de la sainteté de Jeanne. Il en est, disent-ils, des dons surnaturels (extraordinaires) comme des miracles. La véracité de Dieu ne peut permettre des miracles pour confirmer un renom frauduleux de sainteté (Ben. XIV., Lib. IV, cap. 4, 5.) ; de même cette véracité infinie n’accorde pas des dons surnaturels à une sainteté frelatée.

Or, ces dons surnaturels, si merveilleux et si lumineux en Jeanne d’Arc, provoquaient 92parmi les contemporains et les témoins de sa vie, la persuasion pleine, entière, de sa sainteté.

Et le Promoteur essaierait en vain d’échapper à cette déduction en objectant la facile crédulité desdits contemporains : cet argument se retournerait contre lui-même, puisqu’il est forcé de reconnaître que la sainteté de Jeanne d’Arc est affirme aujourd’hui encore par ces centaines et ces milliers d’hommes éminents qui demandent au Saint-Siège la béatification de la sainte Pucelle73.

I.
Des Preuves

Le Procès de condamnation

Après s’être retranché derrière sa thèse préliminaire, le Promoteur dirige ses coups contre les Documents authentiques des Procès74.

Il distingue, et à bon droit, deux parties dans le Procès de condamnation : la partie préparatoire ou initiale, c’est-à-dire les interrogatoires de Jeanne et ses réponses ; et le procès proprement dit, c’est-à-dire les soixante-dix articles de Guillaume d’Estivet qui furent, par après, résumés en douze articles75.

Or, dit le Promoteur, l’interrogatoire de Jeanne a été, ainsi que ses réponses, fidèlement 93écrit par les notaires. Devant le Tribunal de réhabilitation, quatre témoins, notamment le notaire Manchon lui-même, affirmèrent l’exactitude des procès-verbaux ; d’où cette conclusion, écrasante pour la Cause, que les soixante-dix articles d’Estivet ont été légitimement et logiquement rédigés sur et d’après les réponses de Jeanne.

On comprend aisément que si ces prémisses restent debout, la conclusion sera le rejet pur et simple de l’Introduction de la Cause. Aussi les Défenseurs s’efforcent-ils de dissiper tout nuage ; et ils y réussissent.

Que l’examen juridique de Jeanne ait été fidèlement transcrit, c’est impossible à moins d’un prodige. Ils étaient là, outre les Juges, vingt assesseurs, à l’interroger, à l’interrompre, à couper ses réponses, au point que plus d’une fois, Jeanne dut leur dire : Beaux Seigneurs, parlez l’un après l’autre.

Ce n’était donc pas un interrogatoire, mais un brouhaha : comment les notaires auraient-ils pu saisir nettement et les demandes et les réponses ?

Le Promoteur invoque, en faveur de la véracité des notaires, le témoignage du dominicain P. Miget, de Thomas Marie, et d’Isambart. Or, Miget croit, (credit), que les notaires ont été exacts, mais il ne l’affirme pas, et on relève 94d’ailleurs dans sa déposition bon nombre d’autres erreurs patentes ; Thomas Marie croit, lui aussi, à cette exactitude, mais il avoue, au préalable, qu’il n’assista pas au procès de Rouen, et il ajoute que, d’après ce qui lui a été rapporté, les examinateurs, pour prendre Jeanne sur ses propres paroles, faisaient assaut de questions très difficiles et captieuses, et la traitaient de la pire façon (et faciebant ei quam pejus poterant) ; Isambart, enfin, dit seulement que les Juges paraissaient s’astreindre aux formalités de la procédure. Il aurait pu, sans hésitation, attester que l’habileté hypocrite de Pierre Cauchon était allée jusqu’à l’affectation du formalisme légal. Et c’est pourquoi les Juges du Procès de réhabilitation, ne donnant qu’une importance secondaire à ces formalités, allèrent droit à la question de fond, in facto et in jure.

Et ici la Défense rétorque vigoureusement contre le Promoteur le témoignage d’Isambart invoqué par lui, et cite l’appréciation synthétique de ce même P. Isambart sur le Procès de Rouen.

De ceux qui menaient le Procès, les uns, comme l’évêque de Beauvais, agissaient par courtisanerie ; d’autres, surtout les docteurs anglais, par rancœur et désir de vengeance ; quant aux Docteurs de l’Université de Paris, les uns étaient des vendus (mercede conducti), les autres des poltrons (timore ducti).

95La réfutation, on le voit, est surabondante ; mais les Défenseurs ne s’en contentent pas. Le Promoteur s’est appliqué à bien mettre en relief la déposition de Guillaume Manchon qui, devant le Tribunal de réhabilitation, attestait, lui aussi, l’exactitude des procès-verbaux.

[Or, ce] maistre Manchon qui fut notaire au procès d’icelle Jeanne depuis le commencement jusqu’à la fin [dit et dépose, sous la foi du serment, que] à son advis, tant de la partie de ceulx qui avoient la charge de mener et conduire le procez, c’est assavoir monseigneur de Beauvais et les Maistres qui furent envoyez quérir à Paris pour celle cause, que aussi des Anglois à l’instance desquelz les procez se faisaient, on procéda plus par haine et contempt (mépris) de la querelle du roy de France, que s’elle n’eust point porté son party, pour les raisons qui s’ensuyvent.

Et ces raisons, que la Défense utilise contre plusieurs objections du Promoteur, Manchon les expose aussitôt : l’indignité de Nicolas Loyseleur,

familier de monseigneur de Beauvais et tenant le parti extrêmement des Anglois

qui, feignant d’être le compatriote de Jeanne et tout dévoué à sa cause, la faisait parler, tandis que, derrière une tenture, deux affidés recueillaient de l’entretien les paroles de Jeanne pour donner matière ensuite à des interrogations 96captieuses ; les violences et les menaces de l’Évêque contre tous ceux qui blâmaient la procédure suivie, ou témoignaient quelque sympathie à Jeanne ; le refus de communiquer, au préalable, à la Pucelle les accusations et de lui donner un conseil juridique pour sa défense.

Est-ce tout ? Non certes, et ce qu’ajoute Manchon prouve l’intervention éhontée de l’Évêque et des Juges pour faire falsifier les procès par Manchon lui-même.

Item, dit qu’en escripvant ledit procez, iceluy déposant fut par plusieurs fois argué de Monseigneurde Beauvais et desdits Maitres, lesquels le voulaient contraindre à escripre selon leur ymaginacion et contre l’entendement d’icelle (c’est à dire contrairement au sens des réponses de Jeanne). Et quand il y avoit quelque chose qui ne leur plaisoit point, ils défendoient de l’escripre, en disant que cela ne servoit point au procez76.

Manchon affirme, il est vrai, que lui-même écrivit toujours selon ce qu’il comprenait et selon sa conscience77. Mais il est avéré, par 97les autres dépositions, que bien des réponses de Jeanne ont été omises, bien d’autres dénaturées, et que, du Dossier, ont été supprimées toutes les pièces favorables à la Pucelle, notamment le livre de Poitiers et les procès-verbaux des enquêtes en Lorraine. Si la conscience de Manchon a reculé peut-être devant les falsifications trop nettes, elle a su s’accommoder avec les réticences qui, en fait, étaient des falsifications équivalentes. N’avoue-t-il pas lui-même, le pauvre homme, que malgré la différence visible entre les vraies réponses de Jeanne et celles que lui prêtait l’acte d’accusation, ni lui ni son co-notaire n’auraient osé contredire les ordres de tant de seigneurs et maîtres ? N’avoue-t-il pas lui-même que, devant les protestations soit de Jeanne, soit de quelque assistant, contre la rédaction des réponses, il avait écrit des Nota pour indiquer qu’il y avait lieu de renouveler les mêmes demandes, ou rectifier les réponses mal enregistrées ? N’avoue-t-il pas lui-même, et n’a-t-il pas écrit lui-même dans sa minute, que Jeanne bien des fois se plaignit qu’on écrivait ce qui était contre elle et qu’on omettait ce qui était pour elle ? Et de plus, sur les procès falsifiés passèrent ensuite les arrangements du triste Thomas de Courcelles !

C’est donc bien à bon droit que les Défenseurs disent aux Éminentissimes Cardinaux qu’en 98étudiant ce procès de condamnation, on se trouve en face d’un bourbier d’iniquités. Devant les preuves évidentes des falsifications des Actes, que peut valoir l’attestation de leur exactitude et de leur intégrité, lorsque cette attestation est fournie par celui-là même qui est responsable de ces falsifications ? Autant dire, concluent les Défenseurs, que Caïn est innocent, puisqu’il n’a pas avoué son fratricide78 !

Le Réquisitoire d’Estivet

Quant à l’acte d’accusation ou réquisitoire, rédigé, par Guillaume d’Estivet, en soixante-dix articles, le Promoteur de la Foi est convaincu plus que nul autre, que cette pièce est un acte — disons le mot — d’impudente coquinerie ; mais les devoirs de sa charge l’obligeaient à la soutenir et à forcer ainsi les Défenseurs à la démolir. Ceux-ci n’y ont pas manqué.

Outre la présomption générale de falsification des Actes, le Réquisitoire en particulier a contre lui un fait juridique de valeur incontestable et incontestée : la sentence de réhabilitation. Comment les Juges Apostoliques de 1456 auraient-ils cassé le Procès de 1431 ; comment auraient-ils affirmé Urbi et Orbi la pleine fausseté des accusations de ce réquisitoire, si ledit réquisitoire eut été tant soit peu fondé en droit 99et en fait ? Les Avocats, écrivant pour les Émes Cardinaux de la Sainte Congrégation, se contentent d’insinuer, sans la tirer, une conclusion qui sort de cet argument extrinsèque, à savoir que ce n’est pas à la Défense à prouver que le réquisitoire est faux ; mais c’est à l’Attaque a démontrer qu’il ne l’est pas.

La Défense, après cette démolition ab extrinseco, entre jusqu’au centre même de la place, c’est à dire de l’argument du Promoteur, et établit, en reproduisant quelques passages du Réquisitoire, que chaque ligne, chaque mot, porte en soi son cachet de haine, de tromperie et de fausseté. Les documents étant connus des Émes Juges, les Défenseurs n’avaient pas, ici non plus, à développer leur démonstration. Les lecteurs, moins au courant de ces pièces, nous sauront gré de faire pour eux le rapprochement que nous avons fait pour notre propre satisfaction, ou plutôt pour notre indignation. À cette fin, nous supposons — et cette supposition est totalement fausse — que les Actes du Procès sont sincères, que les réponses de Jeanne ont été identiques à celles que lui attribuent lesdits actes ; et ces réponses, nous les mettons en confrontation avec les accusations auxquelles elles servent de base juridique. Rien n’est plus instructif, ni plus démonstratif, ni plus révoltant, hélas ! que ce simple rapprochement.

100L’Article II du Réquisitoire79 est ainsi libellé :

Ladite coupable, non seulement en la présente année mais encore durant les premières années de sa jeunesse, a fait nombre de sortilèges et superstitions…

Or, la réponse de Jeanne, sa réponse, disons-nous, telle qu’elle est consignée au Procès, nie complètement ces faits. Les interrogateurs l’avaient torturée de questions au sujet d’un arbre, appelé l’Arbre des Fées, qui se trouvait non loin de Domrémy. Elle avait répondu avec une ravissante candeur, qu’elle était allée quelquefois à cet arbre avec d’autres jeunes filles, et qu’elles faisaient ensemble des couronnes de fleurs pour une image de la Sainte Vierge. Elle a entendu dire qu’autrefois, dans le pays, on croyait que les Fées se réunissaient à cet arbre ; mais les Fées, elle ne les a jamais vues et ne sait ce que c’est80. Voilà la réponse d’après laquelle il constait pleinement à Estivet que Jeanne avait perpétré des sortilèges, des divinations, des appels aux démons, et 101qu’elle avait poussé nombre d’autres personnes à en faire autant !

Poursuivons le même article :

Elle a permis qu’on l’adorât et qu’on la vénérât…

Jeanne avait répondu que :

Si plusieurs avaient cherché à baiser ses mains, ses pieds, ses vêtements, ce n’avait pas été par sa volonté à elle, et qu’elle s’en était toujours défendue le plus possible.

Les autres articles, jusqu’au septième, ne sont guère que l’amplification, délayée, filandreuse, haineuse de cette première accusation ou plutôt de cette calomnie. Estivet cite, parfois, des faits concrets ; avec quelle sincérité, le lecteur en jugera par cette transcription :

Article VII. Item, ladite Jeanne a eu l’habitude de porter, en son sein, une mandragore81, dans l’espoir, que par le moyen d’icelle, elle aurait fortune et prospérité temporelles ; et elle affirmait que la mandragore a cette vertu et cette propriété.

Allons maintenant à la réponse de Jeanne :

Interrogée sur ce qu’elle a fait de sa mandragore, elle répond : qu’elle n’en a pas, qu’elle n’en a jamais eu aucune ; elle a entendu 102dire que cette mandragore est chose périlleuse et mauvaise à garder, mais ne sait à quoi elle sert… Elle a entendu dire aussi que cette mandragore fait venir la fortune ; mais elle n’en croit rien du tout. Jamais ses Voix ne lui ont parlé de cela82.

Les falsifications sont-elles assez évidentes ? L’impudence d’Estivet est-elle assez avérée ? Oh, que ces soixante-dix articles ont dû peser lourd dans le mauvais plateau de la balance divine !

Ce travail de rapprochement donnerait le même résultat pour tous les autres articles. Et, chose incroyable, bien souvent l’article même du réquisitoire insère, en preuve de l’accusation, une réponse qui la renverse ! Était-ce l’affolement de la haine, ou la certitude préalable que le réquisitoire, fut-il cent fois pire, serait toujours agréé par les Juges, ou peut-être les affres du remords qui parfois sans doute l’étreignaient et l’aveuglaient durant l’œuvre d’iniquité, froidement étudiée, froidement accomplie ?

Il n’est donc pas surprenant que le Promoteur de la Foi ait tenté un dernier effort, en faveur de la sincérité d’Estivet, en invoquant, non plus son Réquisitoire, mais des témoins qui s’en portèrent garants : Thomas de Courcelles 103et encore Guillaume Manchon. Le Promoteur, nous l’avons dit, ne cherche pas à soulever de vaines chicanes. Il veut — c’est son droit et son devoir — la pleine lumière sur les moindres détails. La déposition de Courcelles et de Manchon laisserait peut-être planer un léger nuage sur les falsifications d’Estivet : le Promoteur donne donc lui-même, dans le Summarium objectionale, le texte de ce témoignage : à la Défense maintenant de le discuter et… de le réfuter.

Et d’abord, Thomas de Courcelles. Les Avocats le présentent à la Sainte Congrégation avec ce signalement authentique :

Cauchon l’ayant induit à faire de ces choses qui devaient dans l’esprit des clairvoyants, faire passer Courcelles pour son complice, il lui ôta tout moyen de décliner plus tard sa part de responsabilité, en faisant rédiger par lui-même l’acte authentique du Procès83… L’embarras qui règne dans toutes les réponses que fit Thomas de Courcelles à l’interrogatoire de 1456 (devant les Juges de la réhabilitation) est digne de pitié. Ce ne sont que réticences, hésitations, omissions : des circonstances qui devaient faire 104le tourment de sa mémoire, il ne se les rappelle pas ; d’autres, qu’il avait consignées dans sa rédaction (la rédaction latine du Procès), il les nie. Toute son étude est de donner à entendre qu’il a pris peu de part au Procès… Il rédigea l’instrument du Procès et n’eut pas le courage dans cette rédaction, de laisser son nom partout où il se trouvait consigné sur la minute… de sorte que, dès l’issue du Procès, il regrettait déjà d’y avoir tant travaillé ; et l’on peut se demander si le sentiment qu’il en garda pour le reste, de sa vie, fut la honte d’avoir été dupe, ou le remords d’avoir capitulé, par timidité, sur des points qui ne lui avaient jamais paru honnêtes84.

Voilà l’homme, et voici son dire en faveur du réquisitoire.

Certains articles, au nombre de douze, furent rédigés, par feu maître Nicole Midi, d’après les réponses et aveux attribués à Jeanne (ex assertis confessionibus), et les dits articles furent rédigés, lui semble-t-il, sur des conjectures vraisemblables.

Cette déposition ne parle donc pas des soixante-dix articles du réquisitoire d’Estivet mais des douze 105articles qui en étaient le résumé ; et ce résumé, d’après l’aveu de Courcelles lui-même, reposait sur des réponses attribuées à Jeanne et sur des conjectures vraisemblables. Cette garantie de Courcelles en faveur d’Estivet équivaut donc on le voit, à un certificat de friponnerie.

Et maintenant, à Guillaume Manchon. Celui-ci, les Défenseurs n’avaient pas à le présenter, aux Émes Cardinaux, son signalement ayant été suffisamment donné ci-dessus ; mais sa déposition en faveur d’Estivet et de ses prouesses est à étudier.

Il dépose que, après les soixante-dix articles, et toujours sur les réponses de Jeanne, on résuma le réquisitoire en douze articles, et ce d’après l’avis des Maîtres venus de l’Université de Paris.

Les Juges apostoliques ne se contentèrent pas de cette réponse évasive.

— Comment cette quantité d’articles et de réponses a-t-elle pu être résumée en douze articles, et surtout dans une forme si différente des réponses de Jeanne ?

Ici, Manchon hésite, titube : il croit avoir, lui personnellement, inséré dans sa minute française la vérité des interrogatoires et des réponses : quant aux douze articles, il n’a rien à y voir ; c’est l’affaire de ceux qui les ont fabriqués, et Manchon répète que ni lui ni 106son co-notaire n’auraient osé contrecarrer tous tous ces Maîtres et Juges.

— Mais lui, Manchon, a-t-il fait (comme il aurait dû le faire) la collation des dits articles avec les réponses de Jeanne, pour s’assurer de leur concordance ?

Manchon ne se rappelle plus.

Les Juges vinrent en aide à ce défaut de mémoire en montrant à Manchon le texte original des dits articles et en l’interrogeant sur les divergences évidentes (cognita patente differentia evidenter) entre les articles et les réponses. Ils lui montrèrent encore une note en français écrite en marge : elle disait explicitement, cette note, que les dits articles étaient mal faits et en divergence, au moins pour une part, avec les réponses de Jeanne. Et cette note, c’était lui, lui-même Guillaume Manchon, qui l’avait écrite, qui avait même ajouté que les dits articles devaient être corrigés !

Manchon avoua, en effet, que la note était bien de sa main : son co-notaire et l’adjoint Nicolas Taquel la reconnurent également comme étant de Manchon ; et les trois déclarèrent unanimement que, nonobstant la note de Manchon, les articles furent, dès le lendemain, transmis par d’Estivet lui-même au tribunal, et sans aucune correction.

Résumons : le réquisitoire attribue à la victime 107des réponses qu’elle n’avait point faites et falsifie, soit par obreption soit par subreption, celles qu’elle avait faites : l’abrégé en douze articles, qui ne fut même pas lu à l’accusée, est si peu conforme au réquisitoire et aux réponses de Jeanne, que les notaires eux-mêmes se croient en devoir de signaler cette divergence au Tribunal et de requérir des corrections. C’est donc, en dernier mot, une somme de douze calomnies qui étaient la quintessence frelatée de soixante-dix autres !

Le Procès de réhabilitation

De même qu’il s’est efforcé de donner quelque crédit au Procès de condamnation, le Promoteur de la foi s’est ingénié à mettre en relief les défauts du Procès de réhabilitation. À cette fin, il a eu recours aux critiques de Quicherat et de Joseph Fabre. Ce que valent ces critiques, dont nous avons déjà dit quelques mots85, le Promoteur le sait fort bien ; mais il a charge et mission de forcer les Avocats à faire la lumière sur les moindres détails, à défendre chaque point attaqué ou attaquable. Son intention ici est manifeste, car il a soin d’avertir les Émes Cardinaux que la réfutation de ces critiques par le P. Ayroles lui semble insuffisante. Et pour 108corroborer cette objection le Promoteur, dans son habileté et son implacable logique, insinue que les ouvrages du P. Ayroles sur Jeanne d’Arc sont assez imparfaits. Dans le premier, (Jeanne d’Arc sur les autels et la régénération de la France) le P. Ayroles, pour hâter la béatification de Jeanne, met en avant un motif et des raisons qui s’écartent notablement des récentes Instructions du Saint-Père86.

Dans le deuxième (La Pucelle devant l’Église de son temps), l’Auteur lui-même avoue, dit le Promoteur, qu’il n’a pas donné intégralement le texte des Mémoires consultatifs, ni traduit littéralement le latin. Aussi reconnaît-il que l’œuvre impérissable et définitive sur Jeanne est encore à faire. Or, ajoute le Promoteur, le P. Ayroles qui a cru en publiant ces Extraits des Mémoires, combler, le premier, la lacune volontaire de Quicherat, aurait dû savoir que cette lacune avait été déjà intégralement comblée par Pierre Lanéry d’Arc. Il était donc peu au courant des travaux sur Jeanne d’Arc87.

109Les Défenseurs ne sont pas embarrassés pour répondre au Promoteur : le P. Ayroles ne pouvait pas savoir ce que dirait l’Encyclique du Saint-Père quatre ans avant qu’elle ne fut publiée ; et d’ailleurs le P. Ayroles, en relatant la mission divine de Jeanne en faveur de Charles VII, n’affirme pas que la France doive, de par Dieu, n’avoir d’autre forme de gouvernement que la monarchie.

La réponse est adéquate. Toutefois, la digression du Promoteur n’était pas sans portée. L’attaque, à travers les plis et les replis de l’argumentation, ne perd jamais de vue l’idée-mère, la thèse préliminaire, à savoir que le renom de sainteté de Jeanne pourrait bien n’avoir d’autre cause que les enthousiasmes actuels.

Or, le livre du P. Ayroles, sur lequel le Promoteur appelle l’attention des Cardinaux, donne singulièrement créance à cette objection. Les phrases vibrantes, les titres grandiloques ne sont pas toujours les plus solides, ni les plus exacts. Le bon sens romain, si positif et si fin, se contente de sourire à ces exclamations : La Pucelle type vivant de la France très chrétienne.La Pucelle, idéal de la virginité française.Le caractère français reflet de ce qu’il y a de plus frappant dans le Sauveur.La Pucelle désespoir du naturalisme. etc. ; mais la foi romaine fronce le sourcil devant des formules dont 110l’outrance va jusqu’à heurter l’exactitude doctrinale, comme celle-ci : La Pucelle, reproduction de l’Homme-Dieu !

Ces intempérances de plume — car la pensée de l’Auteur est, en substance, très correcte — ne pouvaient échapper à la perspicacité de Mgr Caprara ; et, pour en tirer parti à l’appui de sa thèse, le Promoteur les signale implicitement aux sereines délibérations des Cardinaux. Mais les Défenseurs, de leur côté, ne perdent pas de vue que ce sublime débat ne doit pas sortir des données juridiques, c’est-à-dire des pièces dûment versées au Dossier ; et partant, après avoir ramené à leur vrai sens les paroles du P. Ayroles, ils coupent court à cette objection latérale en disant qu’il s’agit, en l’espèce, de la Cause de Jeanne, et non pas des écrits relatifs à Jeanne88.

Quant aux appréciations de Quicherat, peu favorables au Procès de réhabilitation, les Défenseurs les réfutent par… Quicherat lui-même. Eh ! oui, l’auteur des Aperçus nouveaux sur Jeanne d’Arc oublie parfois ce qu’il avait dit dans les cinq volumes consacrés aux deux Procès ; et les Défenseurs n’ont eu qu’à relever ses antilogies. Les défauts sont des inexactitudes de rédaction et des fautes matérielles, 111dit-il, au Tome V des Procès. Soit : mais en quoi de simples inexactitudes, des fautes purement matérielles, en quoi tout cela pourrait-il vicier la substance même du Procès de réhabilitation, instruit par des Juges qui, d’après Quicherat, étaient la probité même ?

Et quelles sont, en réalité, ces inexactitudes ?

1° Le formulaire des interrogatoires d’Orléans, de Paris, de Rouen, manque au Procès.

— Or, il y est ce formulaire, et c’est Quicherat lui-même qui le reproduit à la page 212 et suivantes de son Tome II : Tenor articulorum per actores præsentatorum ; seulement, les articles sont sous la forme affirmative et non interrogative. De là sans doute la méprise de Quicherat.

2° On n’a pas interrogé, durant le Procès de réhabilitation, des témoins dont les dépositions auraient eu une grande importance.

— Cent-vingt témoins furent entendus ; et les Juges, quand ils eurent les preuves évidentes de l’innocence de Jeanne et de l’iniquité du Procès de 1431, devaient-ils, pour faire plaisir au critique futur ut critico nascituro morem gererent parcourir toutes les Provinces de France afin de chercher de nouvelles preuves lorsque déjà les preuves surabondaient ?

3° Le procès-verbal ne donne pas toujours la réponse intégrale des témoins.

112— Oui : quand, sur un même article, le témoin interrogé répète ce qu’a dit le témoin précédent, par exemple quand Raoul de Gaucourt confirme de point en point ce qu’a dit Dunois, la minute du Procès se borne à constater, en deux mots, la concordance de sa déposition avec la précédente. Il faut avoir une étrange démangeaison de critiquer ce procès de réhabilitation qui se faisait, celui-là, par l’Église et au nom de l’Église, pour voir des inexactitudes et des fautes dans une suppression d’écritures inutiles !

4° Il s’agissait de faire déjuger l’Église par elle-même. Peut-être Charles VII n’eut-il pu l’obtenir s’il n’avait pas présenté la réhabilitation de Jeanne comme la sienne propre.

— Autant d’erreurs que de mots. Il s’agissait d’obtenir que le Juge suprême ordonnât la révision d’une sentence portée par un juge subalterne. Et le Saint-Siège, qui accorda cette révision à la demande autorisée d’Isabelle d’Arc et de ses deux fils, l’eut probablement refusée à Charles VII qui n’avait aucun droit de l’exiger. Aussi n’est-il fait aucune mention du Roi, ni dans la supplique de la famille de Jeanne, ni dans le Rescrit pontifical ordonnant la révision.

5° Ce Rescrit jette toute la responsabilité de l’inique sentence de Rouen sur Guillaume d’Estivet, afin d’innocenter l’Évêque Pierre Cauchon, qui est même qualifié d’homme de bonne mémoire.

113 — Or, le Rescrit, après le premier alinéa, reproduisait telle quelle la supplique ; et la supplique devait forcément mettre en cause l’Accusateur puisqu’elle affirmait la fausseté des accusations qui avaient abouti à une condamnation inique. En second lieu, les parents de Jeanne, et moins encore le Pape Calixte III, ne pouvaient refuser à Pierre Cauchon la formule obligatoire bonæ memoriæ, puisqu’il s’agissait de revoir le Procès et d’établir, devant de nouveaux Juges, que Pierre Cauchon était non pas bonæ mais iniquæ memoriæ. L’affirmer, avant la révision, eut été, de la part des d’Arc, un manque de réserve, et, de la part du Pape, un préjugé, à ce moment, injustifié.

Comment Quicherat n’a-t-il pas compris cela ? Et s’il l’a compris, ses assertions et ses insinuations méritent un autre qualificatif que celui d’inexplicable bévue. Enfin terminons, avec les Défenseurs, par un dernier mot qui permettra d’apprécier, à leur valeur, les chicanes, vaines ou méchantes, de Quicherat au sujet du Procès de réhabilitation. Et ce mot c’est encore à Quicherat que nous l’empruntons, non pas au Quicherat des Aperçus nouveaux, mais à celui des Procès. Il admire la diligence, la perspicacité avec lesquelles L’Averdy avait étudié, avant lui, le Procès de réhabilitation. Or, L’Averdy dit explicitement :

La procédure de 114révision est bien faite… Ce jugement est aussi juste que célèbre. Il a été rendu après la procédure la plus impartiale et la plus complète… Il ne peut donc pas y avoir de jugement plus réfléchi, ni mieux préparé, ni plus juste en lui-même.

Voilà l’appréciation de L’Averdy, cet auteur si exact, si judicieux, si consciencieux ; c’est donc Quicherat qui, dans ses Aperçus, manque d’exactitude, de justice, de conscience ? !

II.
Du Renom de sainteté

Est-il justifié ?

Pour asseoir solidement ses objections contre le Renom de sainteté de Jeanne89, le Promoteur leur donne pour base la définition même du renom de sainteté au sens canonique de ce mot, définition fixée par Benoît XIV.

Le renom de sainteté en général n’est pas autre chose que la persuasion ou estime commune de la pureté, intégrité de vie et des vertus d’un serviteur de Dieu défunt (vertus pratiquées par lui, selon les occasions, non d’une façon quelconque mais par des actes continus, à un degré supérieur à celui du commun des autres personnes probes) et des miracles qui auraient été opérés par Dieu à l’intercession dudit serviteur, de façon que, la dévotion envers 115lui se répandant en un ou plusieurs lieux, bien des personnes l’invoquent en leurs nécessités, et les hommes graves le regardent comme digne d’être inscrit, par le Siège Apostolique, à l’album des Bienheureux et des Saints90.

Et s’il s’agit d’un martyr, il faut qu’il ait, dans la persuasion commune, souffert la mort patiemment, pour la foi du Christ ou pour une vertu se rapportant à la foi du Christ.

Jeanne, prétend-on, jouit de ce renom de sainteté parce que :

  • elle a diligemment pratiqué les vertus héroïques ;
  • elle a été envoyée de Dieu et animée de son esprit :
  • enfin, elle a gagné la palme du martyre.

Or, dit le Promoteur, à aucun de ces titres le renom de sainteté n’est justifié pour Jeanne d’Arc.

Quelle différence entre elle et Germaine Cousin, cette gloire radieuse de la France chrétienne ! Germaine, bergerette ignorée, méprisée, inconnue dans une vie sans relief, sans la moindre action qui ait pu lui attirer l’attention, moins encore l’admiration des hommes, jouit d’un incomparable renom de sainteté, et d’un culte que peut, seul, expliquer le suave parfum de ses héroïques vertus.

116Rien de semblable pour Jeanne. À Domrémy, elle avait, comme le prouvent les dépositions des témoins, la réputation de jeune fille bien rangée, pieuse, mais non la réputation d’une sainte. Plus tard, il est vrai, devant ses exploits militaires et devant l’affirmation de sa mission divine, le peuple s’enthousiasma au point de l’élever au dessus de tous les saints du Paradis, immédiatement après la Bienheureuse Vierge Marie, de lui dresser des statues jusque dans les églises, de frapper des médailles en son honneur, etc.

Or, cette mission, ces exploits n’ont duré guère plus d’une année. Est-ce pendant cette période si brève que Jeanne a pu donner tant d’exemples de vertus héroïques et justifier ainsi le culte presque superstitieux des peuples ? ! Ce ne furent donc pas les vertus héroïques de la chrétienne, mais la vaillance militaire, les exploits de la jeune fille, bergerette ignorante et sans ressource humaine, qui provoquèrent de telles admirations.

— Le rapprochement entre Sainte Germaine et Jeanne d’Arc, répondent les Avocats, n’est pas heureux pour le Promoteur. La vierge de Pibrac ne fut regardée comme une sainte que peu de temps avant sa mort, à cause du miracle des morceaux de pain changés en fleurs. Jusqu’alors, Germaine, négligée de son père, 117persécutée par sa marâtre, loin d’avoir la réputation d’une sainte, était l’objet d’une indifférence dédaigneuse et souvent de dérision. Bien plus, l’égalité d’âme, la paix intérieure que rien ne troublait, l’admirable patience à supporter les mauvais traitements et les plus dures épreuves, toutes ses vertus héroïques, en un mot, étaient communément méprisées comme une conséquence de sa nature flasque, insensible, ou de sa grossièreté, parfois même comme une fine hypocrisie.

Pour Jeanne, au contraire, tous ses contemporains, comme il conste d’après les enquêtes réitérées, tenaient en haute estime sa modestie de jeune fille, son assiduité au travail, sa régularité à s’approcher des sacrements, à assister quotidiennement à la messe, sa bonté envers tous et sa charité envers les pauvres. Un des témoins — et sa déposition est habilement utilisée par le Promoteur — dit en effet qu’elle était réputée comme une excellente jeune fille mais non pas comme une sainte ; il ajoute pourtant que ses compagnes ainsi que les jeunes gens de son âge, la trouvaient trop pieuse, et se moquaient parfois de ses excessives dévotions. Toutes les autres dépositions se résument, en somme, à l’attestation de Jean Colin, contemporain de la Pucelle, et plus tard curé de Greux-Domrémy, à savoir que Jeanne était 118en tout chrétienne parfaite : habebat signa perfectæ christianæ. Une chrétienne parfaite à l’âge de 15 à 18 ans, le Promoteur lui-même hésiterait-il à la regarder comme une sainte ?

Et c’est précisément ce parfum des vertus chrétiennes qui explique l’admiration des gens de Vaucouleurs, la confiance suppliante91 du Duc de Lorraine, et surtout la vénération des hommes d’armes, notamment de Jean de Metz et Bertrand de Poulengy qui, antérieurement à tout exploit de Jeanne, à Vaucouleurs comme durant le pèlerinage à Nancy et le voyage à Chinon, étaient émerveillés de sa piété, et de sa modestie, et tellement convaincus de sa mission divine qu’ils lui offrirent leur noble et fidèle dévouement. Auprès de Jeanne, déposèrent-ils vingt-cinq ans après le bûcher de Rouen, nous sentions notre cœur se purifier et s’enflammer d’amour de Dieu ; et une parole d’elle, au milieu des dangers de ce voyage (de Vaucouleurs à Chinon) suffisait pour nous réconforter, car nous la regardions comme une sainte, envoyée de Dieu lui-même.

S’explique-t-il surtout par les exploits militaires ?

Le Promoteur admet le renom de sainteté de Jeanne durant la période militaire ; mais il 119l’explique par ses prodigieux faits d’armes. S’il en était ainsi, les témoignages des contemporains de la Pucelle devraient s’étendre, sinon exclusivement au moins principalement, sur ses vertus militaires et passer sous silence, ou à peu près, ses vertus chrétiennes. Or, c’est le contraire qui ressort, avec une netteté lumineuse, de toutes les dépositions ; et s’il était permis d’exprimer une impression toute personnelle, nous dirions que rien, dans ces dépositions, n’est plus frappant et plus éloquent que l’insistance des compagnons d’armes de la Pucelle sur sa piété, ses vertus, son zèle à empêcher le mal, son exquise pudeur, sa sobriété, ses exercices de dévotion, son recueillement à la sainte messe ses confessions et ses communions fréquentes… Sans doute, ils exaltent la sûreté de son coup d’œil, l’habileté de ses mesures stratégiques ; mais on comprend très bien que les Dunois, les d’Alençon, les d’Aulon et autres gardaient en leur cœur plus de vénération envers la sainte envoyée de Dieu que d’admiration enthousiaste envers l’intrépide guerrière.

Aussi, cette objection du Promoteur est-elle littéralement écrasée sous le poids des témoignages si explicites que les Avocats extraient du Dossier, en remontant à l’examen de Poitiers pour descendre jusqu’après le Sacre.

À son arrivée à Bourges, Jeanne fut reçue 120et habita dans la maison de noble dame Marguerite de Touroulde, femme de René, conseiller du Roi. Les Avocats arrêtent leurs citations au témoignage de Marguerite de Touroulde parce qu’elle met en relief à la fois la réputation de sainteté de Jeanne et son humilité.

Bien des fois, [dit-elle], des femmes venaient à ma maison, pendant que Jeanne y habitait ; elles portaient des patenôtres, des objets de piété et lui demandaient de les toucher : Touchez-les vous-mêmes, répondait-elle en souriant : ils en seront tout aussi bons.

La déposition de Marguerite de Touroulde est d’autant plus significative que celle-ci, en donnant l’hospitalité à Jeanne, loin de subir un enthousiasme primesautier, semble avoir voulu, au contraire, se rendre minutieusement compte des faits et gestes de la Pucelle, dans les intimités de la vie privée. Pendant plusieurs jours, elle l’observait en secret, disons le mot, elle l’espionnait92 ; et le résultat définitif de son espionnage fut la persuasion entière de la vertu de la Pucelle et de son ardente piété.

Il y a ceci de spécial dans les objections si étudiées du Promoteur de la Foi qu’elles s’enchaînent, l’une à l’autre, se complètent, se corroborent 121réciproquement, comme les moellons d’une tour, et que chacune d’elles a, de plus, sa force propre et exige partant une réfutation distincte. Les Défenseurs viennent de démontrer jusqu’à l’évidence que Jeanne était réputée sainte moins à cause de ses exploits qu’à cause de ses vertus : l’objection est donc écartée ; la question sur ce point est close. Point : elle s’ouvre, à nouveau, et sous une forme plus habile !

Cesse-t-il après les revers et le supplice ?

Vint l’heure des revers, de la captivité, du bûcher : et alors le culte envers Jeanne cessa, comme cessent les enthousiasmes immotivés ; le silence se fit sur sa mémoire : et le procès même de réhabilitation, qui aurait dû faire revivre le culte de Jeanne, fut instruit et conclu sans provoquer aucunement des démonstrations populaire. Les Juges eux-mêmes, quoique délégués par le Siège Apostolique, s’abstinrent de transmettre au Souverain Pontife les actes du Procès. Ce fut bien fini pour Jeanne : même à une époque où les spontanéités de la foi des peuples obtinrent si fréquemment des évêques l’autorisation de vénérer les personnages morts en odeur de sainteté, aucun culte, aucun témoignage public de vénération ne fut accordé à la Pucelle. Les années, les siècles, comme les eaux de la Seine sur ces cendres, ont passé en silence sur sa mémoire. C’est seulement de nos jours que l’on a voulu ressusciter ce culte oublié ; 122et le bibliographe de Jeanne, Pierre Lanéry d’Arc, a pleinement raison quand il écrit que Mgr Dupanloup nous a dessillé les yeux en nous rappelant que dans la guerrière, il y avait aussi la martyre. Et Quicherat aussi a raison lorsque, résumant les vicissitudes de l’histoire de Jeanne à travers les siècles, il enregistre, à côté des éloges, les attaques dont sa mémoire a été l’objet, et constate l’affligeante médiocrité des inscriptions relatives à Jeanne93.

Où sont donc, conclut le Promoteur, où sont, dans l’espèce, les conditions essentielles du Renom de sainteté, telles que les exige Benoît XIV : la perpétuité et l’accroissement94 ?

Aux Défenseurs de les mettre en relief, ces conditions requises ! Oui, répondent-ils, quand vinrent les tribulations, quand le bûcher de Jeanne fut éteint, un changement se produisit : Jeanne vivante était regardée comme une sainte par ses amis ; Jeanne morte fut proclamée sainte par ses ennemis eux-mêmes : comme le Centurion du Calvaire, ils se frappaient la poitrine parce qu’ils venaient de brûler une sainte95 ; ils s’écriaient, 123à travers leurs sanglots, qu’ils voudraient pour leur âme, un jour, la place réservée à cette âme virginale, que plusieurs d’entre eux virent s’échapper des flammes, sous forme d’une blanche colombe, et s’envoler aux cieux96.

Peut-on croire que ce renom de sainteté, où les intuitions des amis de Jeanne sont confirmées par la conviction de ses ennemis, ait cessé tout-à-coup, comme l’affirme le Promoteur ? Il n’en est rien : si populaire était son souvenir, si vivant le culte des Français, que, lorsque quatre ans après sa mort, une audacieuse aventurière se présenta comme Jeanne la Pucelle, le peuple crut à une résurrection ou à un prodige qui l’avait préservée des flammes. Et dans l’opinion du grand nombre, cette résurrection, ce prodige n’avaient rien de surprenant, puisqu’il s’agissait de la Sainte, de 124l’Envoyée de Dieu. Ceux-mêmes qui reconnurent, de prime abord, la supercherie de l’aventurière — et c’est Quicherat qui donne ce détail — renouvelèrent, à cette occasion, les hommages publics à la mémoire de la vraie Jeanne.

Durant cette même année 1436, le renom de Jeanne qui avait franchi les frontières, était acclamé en Allemagne, par les chroniqueurs qui attribuaient les revers successifs des Anglais à un juste châtiment de Dieu, parce qu’ils avaient cruellement fait mourir

l’innocente Pucelle, si aimée de Dieu ; celle qui… avait fait en France tant de miracles, se conduisant en toutes choses d’après l’inspiration divine…

Et ici, les Défenseurs accumulent, d’après les pièces réunies au sommaire additionnel (2e Partie), les témoignages contemporains, depuis le supplice de Jeanne jusqu’au Procès de réhabilitation. Contentons-nous de transcrire ce passage du Mistère du siège d’Orleans, publié en 1456 : il exprime admirablement, dans sa poésie rudimentaire, la foi de la vraie France d’alors (et d’aujourd’hui) envers la Sainte Pucelle. Le Christ appelle l’Archange St Michel et l’envoie à Domrémy :

Là trouveras, sans plus enquer,

Une pucelle par honneur.

Est en elle toute doulceur

Bonne est, et juste et innocente.

125Qui m’ayme du parfont du cueur,

Honneste, saige et bien prudente.

Tu lui diras que je lui mande

Qu’en elle sera ma vertu.

Voilà quel était, durant cette période où, d’après Quicherat, Jeanne aurait été oubliée, l’hymne qui vibrait, en substance, dans tous les cœurs français, aux chambrées des hommes d’armes, comme sous les lambris dorés des castels et sous le chaume des laboureurs : La France était à deux doigts de sa perte ; Dieu envoya, pour la sauver et pour lui témoigner ses prédilections, une jeune fille bonne, juste, innocente, toute de douceur, qui portait la victoire dans les plis de sa bannière, et à qui étaient réservées, après les lauriers des conquêtes, les palmes du martyre. Voilà aussi ce que nous ont enseigné nos mères et nos maîtres, sans se soucier autrement des Aperçus nouveaux, de leurs lacunes, de leurs réticences et de leurs habiletés.

Et ce Renom de sainteté n’a pas eu seulement la perpétuité : il a grandi, ou pour mieux dire, il a été, au cours des années et en se répandant de proche en proche, mieux étudié et plus réfléchi en France et au dehors. Et ici encore, les Défenseurs présentent aux Cardinaux une riche gerbe d’attestations qu’ils ont 126formée, épi par épi, dans le champ si vaste du Sommaire et des Documents traditionnels.

Aux preuves pleinement convaincantes des Défenseurs, nous pouvons aujourd’hui, pour l’époque de la réhabilitation, ajouter un document tout récemment découvert97 Il s’agit d’un portrait en miniature de la Pucelle, qui remonte à Calixte III. Jeanne est représentée le front couronné de l’auréole. Dans la persuasion des artistes comme dans la conviction populaire, la réhabilitée méritait d’être glorifiée.

Quant à l’objection tirée de la joie étonnée de M. P. Lanéry d’Arc, à qui le panégyrique de Mgr Dupanloup avait dessillé les yeux, les Défenseurs font très justement remarquer que l’éloquent évêque, en louant les exploits et les vertus de Jeanne, loin de faire des découvertes, apportait uniquement au service de l’histoire son talent d’orateur. Jeanne la sainte et la martyre, il ne l’a pas inventée ; il l’a mise en relief98.

127Les inscriptions sur Jeanne d’Arc, toujours d’après Quicherat, sont d’une pauvreté telle qu’elles révèlent, dans l’âme des épigraphistes, un culte bien effacé envers la Pucelle. Oh ! oui, les inscriptions que cite Quicherat sont médiocres, voire bien au-dessous du médiocre : mais il en est d’autres qui sont vraiment bonnes et plusieurs excellentes. Pourquoi le savant compilateur les exclue-t-il, celles-là ? Serait-ce parce qu’elles font mention, plus ou moins explicitement, de la sainteté de Jeanne, du grand miracle opéré par Dieu en faveur de la France chrétienne et… pas rationaliste ?

Oui, Quicherat a juxtaposé aux eulogies à la Pucelle quelques injures qui ont tenté d’amoindrir sa mission divine et de souiller sa pureté. Il mentionne même le poème de Voltaire, et il insinue que l’auteur avait eu tout d’abord quelque honte de son œuvre ; mais il n’a pas le courage, lui Quicherat, de dire nettement, que cette œuvre est honteuse. En 1850, et dans le milieu de Quicherat, on s’acharnait avec une obstination désespérée à protéger le singe du 128génie, le dernier des hommes par le cœur, contre la poussée, pleinement triomphante depuis, du mépris public. Et de même que notre cœur a battu plus fort en voyant les Défenseurs de la cause de Jeanne buriner sur le front d’Estivet la flétrissure de scelestissimus99, ainsi nous tressaillons d’aise en les entendant stigmatiser, d’un mot, le hideux Voltaire ce qu’il y a eu peut-être de plus sale, de plus menteur, de plus impie100. Prenez cela, fils d’Arouet : ces paroles, inscrites dans les actes de l’immortelle Église, dureront un peu plus et auront une autre force que vos dithyrambes clichés et vos admirations de commande !

Ses causes sont-elles insuffisantes ?

Le débat sur le Renom de sainteté est enfin bien épuisé : la Défense a fait bonne justice de toutes les objections ; sur l’ensemble et sur chaque détail, sur le caractère et sur la durée de cette incontestable vénération des peuples pour Jeanne, nous avons la pleine lumière. Le Promoteur sera-t-il satisfait ? Point : il ne nie plus directement le fait même du Renom de sainteté, mais il lui porte un nouveau coup en s’attaquant aux causes de ce fait.

129Pourquoi Jeanne eût-elle été vénérée comme une sainte ? Que trouvons-nous de si héroïque dans sa vie ? Née dans un village, grandie sans instruction, elle savait à grand-peine Pater noster et Ave Maria, tandis que l’hagiographie nous montre de pauvres fillettes, par exemple la vierge de Pibrac, surabondamment enrichies de lumières dans les choses de Dieu.

— Et n’est-ce pas la lumière de Dieu, répondent les Défenseurs, qui éclaira l’esprit de Jeanne et mit sur ses lèvres les sages réponses qui émerveillèrent les examinateurs de Poitiers ?

— Semblable à ses compagnes, elle allait se promener et jouer avec elles. Bien plus, elle se faisait remarquer par un goût désordonné, une sorte de passion pour les chevaux. Il lui arrivait, en gardant son bétail, d’enjamber d’un saut une jument, et puis de se lancer, armée d’une trique, dans une course échevelée, à travers la prairie, frappant à grands coups les arbres et leur branchage. Et le Promoteur cite à l’appui le texte même de Philippe de Bergame, reproduit par Quicherat101. Aussi plus tard, Jeanne, excellente cavalière et le sachant 130fort bien, se plaisait à parader en compagnie du roi et des écuyers. À Orléans, le peuple ne se pouvait

saouller de la veoir chevaulchant par la cité. Et moult sembloit à tous estre grant merveille comment elle se povoit tenir si gentement à cheval.

Et le roi avait si bien remarqué ce goût étrange de la jeune fille, qu’il lui faisait souvent cadeau de chevaux de prix, richement harnachés, comme le prouvent les extraits, cités par Quicherat, des Comptes royaux de l’époque. Elle ne dédaignait pas non plus les vêtements luxueux, et elle, qui peu auparavant n’était qu’une bergère, ne voyait pas sans quelque satisfaction, pour sa vanité de femme, la maison militaire que le Roi lui avait formée comme si elle eût été fille de Comte. Aussi, quand vint l’heure des revers et du supplice, plusieurs de ceux qui avaient connu Jeanne, et particulièrement Regnault de Chartres, grand Chancelier du royaume, virent-ils, dans ses tribulations et sa mort, une disposition de la divine Providence qui voulait ainsi la punir de son orgueil et de son entêtement à faire, non pas ce que Dieu lui commandait, mais bien sa volonté propre.

Est-ce tout ? Non, le Promoteur ne se fait pas défaut d’aggraver cette charge à fond par deux autres griefs : Jeanne interrogée, devant le tribunal de 1431, sur son titre de pucelle 131et sur son droit à ce titre, n’hésita pas à répondre qu’elle était vraiment vierge. Et si vous ne me croyez pas, ajouta-t-elle, faites-moi visiter par d’honnêtes matrones : je suis toute prête à subir leur examen. Les vierges vraiment saintes, dit le Promoteur, n’ont pas eu cette vantardise pour leur pureté. En second lieu, Jeanne, pas plus qu’elle ne dominait totalement la superbe pour la pureté, ne se défendait contre ses accès de colère. C’est ainsi qu’elle eut, dans sa prison, une vive altercation avec d’Estivet et échange d’injures.

Évidemment, dans tous ces faits habilement groupés, la meilleure volonté du monde ne saurait découvrir le moindre héroïsme de vertu. Mais lesdits faits ont-ils le caractère, la physionomie que leur prêtent, non les habiletés du Promoteur, mais les textes invoqués par lui ?

Aux Défenseurs de répondre, et à l’analyste de condenser, le moins mal possible, leur réfutation triomphante. Nous commençons par d’Estivet et nous finirons par… les chevaux.

Jeanne a injurié cette perle d’Estivet ; mais devait-elle, la noble vierge, lui dire des aménités ? Les circonstances mêmes du fait répondent péremptoirement. Les voici : Jeanne, après avoir mangé d’une carpe envoyée par l’évêque 132de Beauvais, fut prise de violentes douleurs d’estomac et de vomissements. Les Anglais, qui voulaient la voir mourir sur le bûcher, appelèrent en toute hâte deux médecins, Guillaume Delachambre et Desjardins. Ceux-ci accoururent à la prison avec Estivet. Aux interrogations des médecins, Jeanne répondit qu’elle s’était sentie très mal après avoir mangé de la susdite carpe :

— Tu mens, s’écria Estivet : tu t’es gorgée d’anchois et autres choses qui te font du mal !

Et le misérable jeta alors à la face de cette innocente enfant les noms les plus révoltants pour une femme102. Que Jeanne, devant de telles grossièretés, ait été indignée, qu’elle ait peut-être (les textes ne rapportent aucune de ses paroles à elle) riposté vivement à Estivet qu’il était un vil calomniateur ; qui pourrait lui faire un grief d’avoir repoussé avec énergie les outrages de cet insulteur ? ! Il y a, en cela, acte de dignité et non pas de colère : et les Défenseurs ont mille fois raison de l’appeler une sainte indignation. Lorsque le tyran Paschasius osa faire une allusion outrageante à la pureté de Sainte Lucie, l’intrépide vierge n’hésita pas à lui répliquer ces mots : L’impureté, c’est toi-même ! Les deux médecins, qui déposèrent sur cette scène, ne se 133montrèrent pas le moins du monde étonnés de la prétendue colère de Jeanne ; ils ajoutèrent même que Warwick, le gouverneur du Château de Rouen, averti de ce qui s’était passé, fit enjoindre à Estivet de ne plus injurier la Pucelle.

De plus, le silence eut été de la part de Jeanne, en cette circonstance, une vraie lâcheté : en ne repoussant pas les injures à sa pureté, elle autorisait le doute sur sa divine mission.

Ce fut aussi pour affirmer implicitement cette mission que Jeanne, en répondant à une interrogation, passablement brutale, sur son surnom et sur sa qualité de vierge, s’offrit à subir l’examen d’honnêtes matrones ; et nous ajoutons que sa réponse était, de plus, la seule qui convint à sa dignité : devant la foule des juges, assesseurs et témoins, cette spontanéité coupait court à toute question ultérieure sur ce sujet. Il n’y a donc là ni jactance, ni superbe, mais, au contraire, prudence et sens d’exquise pudeur.

La sévère appréciation de Regnault de Chartres, Chancelier du royaume, archevêque de Reims, serait quelque peu embarrassante, si le Promoteur avait prouvé que ladite lettre, adressée aux Rémois, est bien celle de leur archevêque, et en second lieu que les paroles dures expriment la pensée de l’archevêque, et non une sotte accusation dont il se faisait le simple 134rapporteur. Or, la lettre originale est complètement perdue, et Jean Roger, le premier qui en fait mention, dit lui-même qu’il en donne seulement l’analyse. Conclure que cette analyse reproduit exactement la pensée du Chancelier, n’est-ce pas hasarder une affirmation bien risquée, surtout quand ladite analyse attribue à l’auteur une inconcevable sottise, ou une flagrante contradiction ? Le premier alinéa de la lettre annonce comme une nouvelle aux Rémois la captivité de Jeanne qui dura plus d’une année ; le dernier parle de son supplice comme d’un fait déjà accompli. Toute la France avait appris, en un instant, la captivité de Jeanne. Et c’eut été après le bûcher de Rouen, que Regnault de Chartres aurait envoyé à ses diocésains, comme une primeur, la nouvelle de cet évènement ! Et à ses Rémois, dont il savait la vénération pour la Pucelle du Sacre dans leur cathédrale, lui, le consécrateur, l’aurait annoncé avec une désinvolture dédaigneuse qui révèle une secrète satisfaction ! ! Certes, Regnault de Chartres, entraîné par le triste La Trémoille, ce politiqueur suffisant et jaloux, a été peu satisfait peut-être du rôle prépondérant de Jeanne : mais il était trop habile pour découvrir ainsi publiquement les mesquineries de son âme.

Au fait, les paroles sévères de la lettre elle-même, ne sont pas du Chancelier. Celui-ci, 135même en supposant la lettre authentique et l’analyse fidèle, rapportait seulement

[qu’un berger, venu vers le roi] des montagnes du Gévaudan en l’evesché de Mende, disait ne plus ne moins que avait fait Jeanne. Et avoit commandement de Dieu de desconfire les Anglois et bourguignons. Et sur ce qu’on luy dict que les Anglois avaient fait mourir Jehanne, il respondit (lui, le berger) que… Dieu avoit souffert prendre Jehanne pour ce qu’elle s’était constituée en orgueil et pour les riches habits qu’elle avait pris ; et qu’elle n’avoit faict ce que Dieu luy avoit commandé, ains avoit faict sa volonté.

Et si le Promoteur prétendait que l’archevêque de Reims faisait siens les dires de Guillaume le Bergier, l’argument aurait le même sort que les prédictions tapageuses de ce pauvre halluciné : à la première tentative contre les Anglais

[il fut] prins, lié de bonnes cordes comme ung larron [et jeté en Seine.]

Quant aux riches habits, à l’entourage militaire de Jeanne, aux cadeaux qu’elle recevait du Roi, les Défenseurs font justement remarquer que les textes, loin d’incriminer Jeanne, l’innocentent complètement : le Roi forma une maison militaire à Jeanne et lui donna riches habits, etc. afin que Jeanne ne fût pas, en équipage d’indigente, méprisée des hommes d’armes 136(ne apud viros militares per causam inopiæ vilesceret). Et, pour achever leur réfutation, les Défenseurs, toujours sur les textes contemporains, font remarquer aux Émes Cardinaux, que toutes les dépositions, insérées au Sommaire, des témoins de la vie de Jeanne, sont unanimes à attester son désintéressement complet et sa générosité. Elle recevait de grands dons pour donner à son tour. Et telle a été la pratique de tant de Saints.

Le Promoteur pouvait donc se dispenser de dresser ce minutieux bilan des livres et sous tournois que le Roi avait dépensés pour donner à Jeanne le rang qui convenait à un chef d’armée, à la libératrice du royaume.

Et les superbes haquenées de la Pucelle ? Nous y voici.

Jeanne a-t-elle été, dès son enfance, la folle amazone que décrit Philippe de Bergame ? On ne pourrait certes faire un grand crime à cette fille des champs d’avoir su monter et se tenir à cheval ; mais le fait est que Jeanne était bergère, fileuse, et point du tout cavalière. Lorsque l’Esprit de Dieu signifia à Jérémie qu’il le choisissait pour son prophète devant les nations, le fils d’Helcias s’écria, tout surpris : Mais je suis un tout jeune homme, et je ne sais pas parler ; ainsi, quand l’ange notifia à Jeanne le mandat divin d’aller prendre le commandement 137des troupes pour sauver le royaume, l’enfant de Jacques d’Arc répliqua : Je ne suis qu’une pauvre fillette, et je ne saurais même pas aller à cheval, moins encore conduire des soldats103 ! Aussi, Alain Chartier, le secrétaire de Charles VII, de même qu’il explique, par une lumière infuse, la sagesse de Jeanne devant les examinateurs de Poitiers, attribue-t-il à un don de Dieu, don requis par la mission confiée à la Pucelle, cette habileté soudaine en équitation aussi bien que ses autres qualités militaires. Le peuple d’Orléans était émerveillé de voir comme elle se tenait gentement à cheval. La surprise et l’admiration populaires étaient d’autant mieux justifiées que la Pucelle, jusqu’à son départ de Vaucouleurs pour Chinon, n’était jamais montée à cheval104. Philippe de Bergame, d’ailleurs sincère admirateur de Jeanne, a donc créé tout d’une pièce l’amazone consommée de ses rêveries de poète. Quicherat n’hésite pas à dire de cet auteur homme d’un esprit très inexact et très ignorant des choses de la France qu’il a travesti l’histoire en légende105.

138Et si Jeanne a eu, à sa disposition, de beaux et forts chevaux qui lui étaient nécessaires durant sa vie de courses et de combats, elle a très sagement fait de ne pas donner la préférence à des haridelles !

La mission de Jeanne est-elle semblable à celle d’autres prophétesses de son époque ?

Le Promoteur, comme nous le verrons ci-dessous, renvoie au paragraphe suivant ses objections directes au sujet de la mission divine de la Pucelle. Toutefois il veut d’abord, à propos de cette mission, essayer un nouvel assaut contre le Renom de sainteté.

Pour être imprévue, cette manœuvre n’en est pas moins fort habile. La mission de Jeanne n’était-elle pas semblable à d’autres prétendues missions du même genre ? Peu avant, en même temps, et peu après la Pucelle, la France a eu d’autres prophétesses qui s’attribuaient une mission à peu près identique et qui n’ont pas été, pour autant, regardées comme des saintes.

— Soit, répliquent les Défenseurs : mais en quoi les vaines rêveries de bonnes femmes peuvent-elles infirmer la mission personnelle de Jeanne ? Au temps d’Isaïe et de Jérémie, il y eut aussi de faux prophètes : le Promoteur 139voudrait-il pour cela effacer, des Livres sacrés, les prophéties de celui-ci et de celui-là ?

— Marie Robine, dite La Gasque d’Avignon, avait même préalablement donné crédit à la Pucelle, en racontant une sienne vision, durant laquelle des armures lui furent montrées. Et comme elle craignait de les prendre, il lui fut dit que ces armes n’étaient point pour elle, mais pour une vierge qui devait venir après elle, et qui sauverait la France.

— Jeanne, répondent les Défenseurs, n’a rien à voir, personnellement, dans les prédictions, vraies ou fausses, de La Gasque ; mais si celle-ci a annoncé qu’une vierge serait envoyée de Dieu au secours du royaume, sa prédiction, en ce point, a été littéralement accomplie.

Moins encore peut-on faire peser sur Jeanne les affolements de l’Université de Paris, gangrenée par les idées schismatiques, qui, en 1413, (Jeanne était alors au berceau) pour démêler quelque chose à l’état si troublé du royaume, faisait appel à la lucidité de tout ce qui avait le don de prophétie parmi les femmes dévotes et menant une vie contemplative.

Quant à Catherine de La Rochelle qui alla rejoindre Jeanne après le Sacre et se donnait comme son auxiliaire, au nom de Dieu, les Défenseurs font remarquer que Jeanne elle-même, 140loin de subir, pour cette Catherine, l’engouement momentané contre lequel le célèbre Fr Richard ne sut pas se défendre, se contenta de la renvoyer :

— Retournez, ma mie, auprès de votre mari, et occupez-vous de votre ménage et de vos enfants.

Des deux bretonnes qui furent torturées, à Paris, pour avoir affirmé publiquement que Jeanne, alors prisonnière, était bonne et ce qu’elle faisait était bien fait et selon Dieu, l’une se rétracta, terrifiée devant le bûcher ; l’autre persista à proclamer l’innocence et la mission divine de Jeanne et fut brûlée vive. Et on ne peut que s’associer aux nobles paroles de Jules Doinel, archiviste d’Orléans :

Ce glorieux témoignage, rendu devant la mort horrible du bûcher, par une pauvre femme obscure (— qui n’avait jamais vu la Pucelle —) est la preuve la plus belle de ce prestige divin que Jeanne d’Arc, même dans les fers, exerçait sur les esprits. — (Jeanne d’Arc telle qu’elle est, p. 50.)

Il suffit également d’un mot aux Défenseurs pour faire justice de la fausse Jeanne, la dame des Armoises106. Les supercheries de 141cette habile aventurière ne prouvent rien contre la mission divine de la vraie Pucelle. Le Christ, l’unique Dieu Sauveur, cesse-t-il d’être tel parce que de faux Christs sont venus et doivent encore venir107 ? Aussi les Défenseurs, pour toutes les susdites prophétesses ou pythonisses, acceptent-ils, cette fois, la conclusion de Quicherat.

La différence entre Jeanne et toutes ces sibylles, c’est que leurs prédictions n’étaient qu’un pathos dans lequel on pouvait voir toutes choses annoncées, tandis que les siennes portaient sur des faits précis et d’une réalisation prochaine…

C’est encore à Quicherat que la Défense emprunte la réfutation de la thèse, si chère aujourd’hui au rationalisme, qui ferait de Jeanne une hallucinée, une visionnaire plus ou moins sincère, thèse signalée par le Promoteur dont 142l’implacable et sage sévérité exige que la Défense réduise à néant même les absurdités.

Jeanne était sincèrement et fermement convaincue de sa mission divine.

Comme, sur ce point, la critique la plus sévère, [dit Quicherat], n’a pas de soupçon à élever contre sa bonne foi, la vérité historique veut qu’à côté de ses actions on enregistre le mobile sublime qu’elle leur attribuait.

Et ce mobile ayant été fixé à la Pucelle par ses Voix, Quicherat, cette fois, pousse la logique jusqu’au… bout ? Non, jusqu’à mi-chemin ! Il admet, il proclame que Jeanne a entendu ses Voix, mais il n’est pas, lui, de ces

curieux qui veulent aller plus loin et raisonner sur une cause dont il ne leur suffira point d’admirer les effets. [Aussi n’a-t-il pas] de solution à leur indiquer.

Eh, brave Quicherat, on n’a nul besoin de vous pour cette solution. Restez béatement dans vos illogiques titubations : les curieux peuvent, sans vos indications, faire le trajet des effets à la cause. Sincérité de Jeanne, mission divine incontestable, faits prodigieux qui la confirment, visions (Quicherat dit le mot) qu’on ne peut pas ne pas admettre, que la science y trouve ou non son compte, communications et conseils donnés à Jeanne par ses Voix, révélations (ici encore Quicherat ne s’effarouche pas du mot) lui manifestant 143ou les secrètes pensées d’autrui, ou des choses lointaines, ou des faits à venir : avec de telles données, fournies par vous, et par vous acceptées, il est regrettable pour vous mais non pour Jeanne et le surnaturel qui l’enveloppe, que vous n’ayez pas de conclusion à tirer. Il n’en reste pas moins que le rationalisme, d’après les paroles les plus formelles de Quicherat, se trouve en face d’une jeune fille sincère, exempte de toute affection pathologique, de toute hallucination, qui a entendu des Voix célestes, qui a accompli des prodiges établissant indubitablement sa mission divine, qui a eu de vraies visions, de vraies révélations, attestées par des documents d’une base si solide

qu’on ne peut les rejeter sans rejeter le fondement même de l’histoire :

quel problème irritant pour la myopie de ceux qui ne peuvent, ou ne veulent pas regarder en face le surnaturel ; mais pour notre foi à nous, quelle radieuse et apaisante clarté !

Jeanne d’Arc a-t-elle été infidèle à sa mission ?

Après avoir obligé la Défense à dissiper, jusqu’à la moindre ombre, tout nuage sur le fait divin de la mission de Jeanne, le Promoteur n’abandonne pas pour autant le combat. Ses coups maintenant vont attaquer la fidélité même de Jeanne. Si elle a eu une 144mission divine, elle ne l’a pas, ou elle l’a mal remplie.

Délivrer Orléans assiégé par les Anglais, faire sacrer le Roi à Reims, bouter les Anglois hors de toute France et enfin délivrer le duc d’Orléans prisonnier des Anglais : telle était, d’après les aveux assez nets de Jeanne devant les Juges de Rouen, et d’après ses déclarations antérieures, très catégoriques, à ses amis, notamment au duc d’Alençon, l’ampleur de son mandat.

Or, des quatre parties du programme divin, et de ses promesses, Jeanne n’a réalisé que les deux premières. Donc : ou bien elle s’attribuait un mandat autre que celui de sa mission ; ou bien elle a manqué à cette mission.

— Dans la mission de Jeanne, comme dans toute mission divine, répliquent les Défenseurs, il faut distinguer : sa vérité ou authenticité — et sur ce point la lumière vient d’être faite ; — la diligence et les efforts du mandataire pour accomplir son mandat — et la diligence de Jeanne ne fait pas l’ombre d’un doute ; — et enfin les résultats effectifs de ces efforts, résultats qui peuvent être amoindris ou empêchés par la faute de ceux à qui Dieu envoyait ce mandataire. Saint Jean-Baptiste fut envoyé pour rendre témoignage de la lumière afin que tous crussent par lui. 145Et tous ne crurent pas ; loin de là ! Le sanhédrin, cette espèce d’Université de Jérusalem, alla même jusqu’à dire que le Précurseur n’était qu’un possédé. Mais le divin Sauveur n’en a pas moins loué Jean-Baptiste comme vrai et fidèle envoyé de Dieu.

De même pour Jeanne : le cours de ses merveilleuses victoires fut interrompu, tous le savent, par les conseils qui prévalurent auprès du roi et firent préférer, aux triomphes assurés de la Pucelle, les négociations des politiques. Une envoyée de Dieu, c’était quelque peu encombrant pour les sages ! Si, pour la délivrance totale du royaume, Jeanne continuait à batailler et Dieu à donner la victoire, qu’allait-il rester à leurs habiletés, à leur amour-propre ? La vaillance française, d’instinct, avait compris Jeanne, et la foi française avait aussitôt acclamé Dieu qui l’envoyait. La politique humaine, elle, ne comprit rien, sinon qu’elle était effacée ; et elle ne voulut pas s’effacer ! Son opposition sourde, et quelquefois déclarée, eut pour effet non d’inspirer à Jeanne le moindre doute sur sa mission, mais de lui en rendre impossible, à elle-même, l’accomplissement intégral. Le programme de Dieu resta ce qu’il était en faveur de la France ; il se paracheva, non plus par les victoires de Jeanne mais par son holocauste. Elle avait prédit elle-même que 146sa mort, loin d’empêcher son mandat, serait plus nuisible que ses victoires à la domination des Anglais. Moins de sept ans après, Charles VII faisait son entrée triomphale à Paris : les Anglais perdaient une à une les bonnes villes du royaulme, et finalement le duc d’Orléans voyait finir sa captivité, grâce à l’or du duc de Bourgogne réconcilié avec le roi. Ces résultats, les sages les attribuèrent sans doute à leurs habiletés, à leurs négociations : eh ! non, ô vaine sagesse des politiques : ils étaient la récompense providentielle du bûcher de Rouen !

Jeanne a-t-elle été martyre ?

Avant de formuler ses objections contre le troisième titre de Jeanne à la sainteté, c’est-à-dire contre son martyre, le Promoteur fait loyalement un aveu précieux : il reconnaît que le supplice de l’innocente Pucelle a été toujours appelé un martyre, et il accepte sans discussion le texte si formel du martyrologe de l’Église de France :

Le 30 mai, à Rouen, sur la place du Vieux-Marché, martyre de Jeanne d’Arc, la Pucelle d’Orléans, brûlée par suite d’une condamnation tellement inique que le Siège Apostolique, de sa souveraine autorité, la révoqua et l’abrogea complètement, en même temps que ce jugement suprême vengeait, 147à bon droit, la piété, la chasteté et l’innocence de Jeanne108.

Mais, ajoute le Promoteur, ce n’est pas tant le supplice lui-même que la cause du supplice qui fait le martyre ; et cette cause doit être, comme l’explique Benoît XIV, la haine de la foi du Christ ou d’une œuvre bonne en conformité avec cette foi. De plus, le patient, pour mériter le nom de martyr, doit subir la mort avec courage et générosité.

Sans doute on est attendri dans les profondeurs de son âme en lisant les détails du supplice de l’infortunée jeune fille ; mais l’attendrissement, mais les larmes ne prouvent rien. Est ce pour la foi, ou pour une vertu prescrite par elle, que Jeanne a été brûlée ? De la part de ceux qui la condamnèrent, la cause du supplice, quoique fausse et hypocrite, fut le zèle de la religion contre une femme hérétique et relapse ; la cause vraie fut leur rage contre cette femme qui leur faisait perdre leurs conquêtes : donc, aucune haine contre la foi ni 148contre les vertus qu’elle prescrit. De la part de Jeanne, la cause occasionnelle fut sa prétendue rechute quand elle reprit les habits d’homme pour protéger sa pureté ; la cause vraie, sa persévérance à affirmer, devant les Juges, qu’elle était envoyée de Dieu pour le salut de la France, à soutenir que vraies étaient ses révélations et ses Voix : aussi a-t-on voulu la regarder à la fois comme martyre de la pudeur et martyre de la foi.

Or, dit le Promoteur, la doctrine du Saint-Siège est formelle : pour le vrai martyre, il ne suffit pas du tout que quelqu’un meure pour une vérité à lui personnellement révélée.

Quant aux habits d’homme, il est plus que probable que les geôliers eux-mêmes les substituèrent, durant la nuit, aux vêtements de femme que Jeanne avait repris le soir du 24 mai ; mais cette substitution avait pour but de la provoquer à violer la défense de ses Juges et non de faciliter des attentats contre sa pureté. Rien donc n’établit suffisamment que Jeanne ait subi la mort pour défendre sa chasteté ou pour soutenir une vérité de foi.

— En réponse à ces objections, les Défenseurs partent, eux aussi, des distinctions de Benoît XIV au sujet du vrai martyre, mais en donnant à ces distinctions leur commentaire le plus authentique, 149c’est-à-dire les paroles mêmes du savant Pontife :

Il est vraiment martyr celui… qui souffre la mort pour la pratique de quelque vertu chrétienne ou par aversion pour quelque péché.

Or, Jeanne n’a pas voulu commettre le péché qui l’aurait soustraite à la mort. Rétracter ce qu’elle avait affirmé de sa mission divine, réprouver ce qu’elle avait fait au nom de ce mandat divin, aurait été un mensonge et une injustice ; plus que cela, une confirmation des calomnies du triste Estivet ; une injure à l’Église qui, par les examinateurs de Poitiers, avait déclaré que Jeanne était digne de confiance ; et enfin un outrage au Roi qui, dans la supposition d’une Jeanne rétractant sa mission, aurait été convaincu ipso facto d’avoir prêté foi à une aventurière et triomphé, par elle, de ses ennemis. Or, à ce péché contre son Roi, contre l’Église, contre elle-même, contre son Dieu et ses Voix, Jeanne a préféré la mort !

Ce n’est point assez : Jeanne a été martyre de la foi.

Elle fut condamnée comme hérétique et relapse en hérésie pour n’avoir pas consenti à déclarer hérétique ce qui ne l’est pas aux yeux de l’Église, à réprouver ce que l’Église avait approuvé. Le Promoteur refuserait-il de reconnaître comme martyrs les vaillants athlètes de 150la foi qui ne voulurent pas condamner Athanase comme hérétique, si l’empereur Constance avait, à cause de leur refus, poussé jusqu’au dernier supplice ses persécutions contre eux ?

Enfin, la Pucelle a été martyre de la chasteté.

Nous avons dit plus haut109 que Jeanne, sur les injonctions du Tribunal, avait dans la soirée du 24 mai quitté ses habits d’homme de guerre et repris des vêtements de femme. Telle était l’injonction du Juge, et cette injonction nous l’avons appelée un piège tendu à l’innocence de la victime. Pourquoi avait-elle gardé jusqu’alors ses habits d’homme ? Pierre Cauchon le savait fort bien.

J’ai entendu Jeanne, [dépose le notaire Manchon], en donner elle-même le motif à l’Évêque et au Comte de Warwick qui lui demandaient le motif de son accoutrement masculin, avec ces chausses et ces courroies jusqu’à la taille, accoutrement peu convenable pour une femme. Jeanne leur répondait qu’elle ne voulait pas quitter ces chausses, ni les lier moins étroitement, parce que plusieurs fois, comme ils le savaient bien l’un et l’autre, ses geôliers avaient tenté de lui faire violence ; et une fois même, aux 151cris qu’elle poussait pour appeler au secours, le Comte était accouru.

À plusieurs reprises elle demanda d’être transférée dans les prisons d’Église, avec des femmes pour gardiennes (et cela aussi l’Évêque le savait, comme il savait que la requête de Jeanne était pleinement conforme aux règles ecclésiastiques) et elle reprendrait bien volontiers des habits de femme.

Des plaintes de Jeanne, de ses résistances héroïques, de ses instances pour être gardée par des femmes, il était logique de conclure que sa pureté lui serait plus chère que la vie.

Or, durant les journées qui suivirent la première condamnation, Jeanne, vêtue en femme sur la foi des promesses fallacieuses du Juge et espérant toujours qu’elle serait confiée à des gardiennes, eut encore à repousser de nouvelles tentatives de ses geôliers, et même

d’un mylord qui entra dans sa prison et voulut lui faire violence.

Au matin du 28 mai, Jeanne, à son lever, ne retrouva plus sa robe de femme : à la place, on avait jeté ses habits d’homme. C’était donc, pour elle, l’inéluctable alternative : ou reprendre ses longues chausses protectrices et encourir l’accusation capitale de relapse : ou rester, insuffisamment couverte, à la merci de nouveaux 152attentats. La noble enfant n’hésita pas : la pureté plutôt que la vie ! Et pour mieux couvrir cette infernale machination, ceux qui en étaient les auteurs s’empressèrent, quand la victime eut repris ses habits d’homme, de rapporter la robe de femme, afin qu’il fût bien avéré que Jeanne avait volontairement violé les injonctions du Tribunal. Aussi les Actes posthumes, rédigés, tout au moins inspirés par Pierre Cauchon, lui font-ils dire que de plein gré elle a repris ses habits d’homme, mais sans ajouter le vrai motif, ce motif qui innocente, ou plutôt qui sanctifie cette prétendue rechute. Isambart était présent lorsque Jeanne, dans la prison, expliqua devant Pierre Cauchon et ses acolytes le pourquoi de cette rechute ; présent encore, lorsque l’évêque, au sortir de la prison, dit joyeusement à Warwick :

— Cette fois, elle est prise.

Oui, elle était prise, la vierge chrétienne, prise par amour pour la pureté ; elle venait de gagner la palme du martyre, et lui, le misérable, les rouleaux d’or des Anglais !

Martyre de la foi, de la justice, de la pureté, Jeanne a été encore martyre de la charité, de cette charité que les Livres Saints nous recommandent par ce précepte : Celui qui est opprimé par l’injustice, arrache-le à la main du superbe. L’opprimé, ici, c’était son Roi : et Jeanne, pour l’arracher à la puissance de l’oppresseur, 153n’hésita pas à accepter une vie de labeurs et de sacrifices auxquels elle n’était obligée en somme à aucun titre que celui du désir de Dieu. Et ce fut précisément cette charité héroïque, envers son roi et sa patrie, qui inspira aux Anglais ces sentiments de haine contre la Pucelle, cette soif de sa mort. Et qu’on ne dise pas qu’ils voulurent seulement se débarrasser d’une ennemie dont la vaillance leur avait infligé tant de défaites. Pour cela, il leur suffisait de la retenir captive ; mais la haine voulait, pour punir ce dévouement héroïque à la cause de la patrie, le déshonneur des calomnies et les flammes du bûcher. C’était à cette fin, avouait cyniquement Warwick, que le Roi d’Angleterre l’avait achetée à si haut prix !

Jeanne s’est-elle désespérée à l’annonce du bûcher ?

Enfin, le Promoteur objecte que ce martyre, si martyre on peut l’appeler, n’a certes pas mis en relief, chez la Pucelle, la force, la magnanimité que nous admirons dans les vrais confesseurs de la foi. En apprenant qu’elle allait être brûlée, Jeanne, qui assurait pourtant que le martyre lui avait été prédit par ses Voix,

commença à s’écrier douloureusement et piteusement se destraire et arracher les cheveux : Hélas ! me traite-t-on si horriblement et cruellement qu’il faille que mon corps, net et entier, qui ne fut jamais corrompu, soit aujourd’hui 154consumé et réduit en cendres ! Ah ! ah ! J’aimerais mieux être décapitée sept fois, que d’être ainsi brûlée110

Pater mi, mon Père, ô mon Père, que ce calice s’éloigne de moi ! Dans cet appel suppliant du divin Maître, le Promoteur verra-t-il une défaillance de courage ? une magnanimité en défaut ? Et si l’Homme-Dieu a permis à son humanité cette ineffable lutte devant la perspective du supplice ; s’il a ainsi voulu encourager les hésitations de nos fiat dans la souffrance ; si les Martyrs ont frémi devant les tortures : pourquoi reprocher à cette enfant de 19 ans d’avoir, à l’annonce du bûcher, éprouvé, elle aussi, non pas son heure mais son moment d’indicible angoisse ?

Et ce ne fut même pas la mort, mais le genre de mort qui, durant quelques instants, terrifia sa magnanimité. Durant quelques instants, disons-nous, car après cette vacillation, momentanée et si justifiée, de la jeune fille, la noble chrétienne, l’Envoyée de Dieu se retrouva tout entière, à une simple parole d’un des assistants :

— Jeanne, n’avez-vous pas bon espoir dans le Seigneur ? lui dit Pierre Maurice.

155— Oh ! si, et par sa grâce, je serai (aujourd’hui) au Paradis.

Puis elle se confessa au dominicain Ladvenu et reçut très pieusement la sainte communion. Ce que fut cette dernière communion de Jeanne, ce que le divin Maître dut verser, dans ce cœur virginal, de fortifiantes tendresses, de divines assurances, nous ne pourrons bien le dire que quand nous parlerons, avec Jeanne, la langue du ciel.

Le fiat de la résignation la plus héroïque et la plus douce111 succéda au gémissement instinctif de la nature ; l’enfant disparut dans les surnaturelles magnanimités de la martyre.

III.
Obstacles

Un fossé à franchir, une redoute à enlever, avons-nous dit ci-dessus pour résumer d’un mot la stratégie des objections du Promoteur : la Cause de Jeanne ne peut pas être introduite parce qu’elle manque des conditions requises pour aller de l’avant. Le Renom de sainteté de la Pucelle n’est ni assez constant, ni suffisamment motivé par ses vertus ou par sa mission 156divine, ou par son martyre, moins encore par ses miracles112.

À l’encontre de cette thèse, dont nous avons tenté d’analyser les principaux arguments, les Défenseurs ont démontré victorieusement que le martyre, la mission divine, les vertus héroïques de Jeanne expliquent, légitiment, nécessitent ce renom de sainteté qui, depuis plus de quatre siècles, a persévéré et grandi dans les conditions requises par le Siège Apostolique. Donc le fossé est franchi, et Jeanne escortée, suivie de la vénération des peuples qui acclament la Sainte envoyée de Dieu, va se présenter devant l’auguste assemblée qui a charge et grâce, non de faire les saints, mais de les proclamer.

Le Promoteur l’arrête encore : elle ne passera qu’après avoir renversé les obstacles113 par lui accumulés. C’est la redoute à enlever !

Ici encore nous devons nous borner aux principales animadversions. L’habileté de l’Attaque, 157comme on l’a déjà remarqué, consiste en ce que le Promoteur choisit trois ou quatre objections plus fortes autour desquelles il groupe des objections secondaires qui, tout en étayant celles-ci, font corps à part et ont leur résistance propre. Il ne suffit pas d’ouvrir une brèche : il faut, pièce à pièce, démolir la redoute et, à cette fin, livrer combat contre chacun de ses fronts.

Or, le Promoteur a parfaitement compris que sa redoute serait imprenable, si la Défense n’avait pas, en sa faveur, le Procès de réhabilitation. Aussi revient-il tout d’abord, mais sous une autre forme, à ses attaques antérieures contre ce Procès.

1° La sentence des Juges Apostoliques, dit-il, ne fut pas soumise au Saint-Siège, moins encore ratifiée par lui, comme l’aurait exigé l’importance de l’affaire. On peut donc revenir sur cette sentence qui n’a pas pleinement force de chose jugée et, partant, ne doit pas être invoquée comme un fait juridique d’incontestable valeur.

2° Cette sentence, d’ailleurs, est loin d’avoir la portée qu’on veut lui donner. Les Juges Apostoliques se prononcèrent non sur le bon esprit de Jeanne, sur ses visions et révélations, mais uniquement sur sa condamnation. Leur verdict établit que Jeanne n’a pas été hérétique, ni relapse, que les douze articles, par 158contre, ont été perfidement, calomnieusement, frauduleusement, extraits des prétendus interrogatoires et aveux de ladite Jeanne, et il les annule ; de même, il annule une prétendue abjuration, mais sans annuler, ni révoquer, ni condamner tout l’ensemble du Procès, et surtout sans affirmer les vertus et la sainteté de Jeanne.

Le Procès de réhabilitation a-t-il été confirmé par le Saint-Siège ?

Tel est le premier retranchement. Il va être forcé.

La sentence des Juges Apostoliques n’avait pas à être ratifiée par le Saint-Siège. Calixte III avait chargé ses délégués de revoir l’inique Procès de Rouen, en les autorisant à donner eux-mêmes la sentence définitive et sans appel : quod justum fuerit appellatione remota decernatis, sentence que les Juges devaient rendre exécutoire même, au besoin, par les censures ecclésiastiques. Ce sont les termes formels du mandat pontifical. Aussi Benoît XIV, qui certes fait autorité en matière de droit et de jurisprudence, n’a pas hésité à écrire ces mots si expressifs :

Sur la foi catholique de la Pucelle, sur son intégrité virginale, même au milieu des camps, comme sur ses pieuses habitudes, il ne peut y avoir aucun doute, puisque la sentence de Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, a été cassée, comme inique, par autorité du Souverain Pontife Calixte III.

Nous 159n’avons pas un document officiel — puisqu’il n’était pas nécessaire — de la confirmation de la sentence des Juges Apostoliques ; mais nous savons, par les données de l’histoire, que Calixte III connut et ratifia pleinement ce qui avait été fait par ses mandataires. Bien plus, le Pape de la réhabilitation, d’après plusieurs historiens, avait ordonné que les cendres de l’évêque prévaricateur fussent exhumées et jetées à la voirie114. Et si cet ordre resta peut-être sans effet, il n’en manifeste pas moins l’indignation du Siège Apostolique contre le Juge et sa sentence.

Non moins gratuite est l’assertion du Promoteur qui reconnaît l’annulation pour les douze articles et pour l’abjuration, mais non pour l’ensemble du Procès de 1431. Les Juges Apostoliques voulurent, dans leur équité et leur sagesse, et non sans une secrète disposition de la divine Providence, faire spéciale mention de celle-ci et de ceux-là : mais leur sentence s’étend formellement à tout le Procès :

Nous disons, prononçons, décrétons et déclarons que lesdits Procès et sentences, entachés de dol, calomnie, iniquité, contradictions, erreurs manifestes, en 160fait et en droit, sont nuls, invalides, et de nul effet.

Nous avons dit ci-dessus que les Juges de la réhabilitation n’avaient à faire ni l’histoire, ni l’apologie de Jeanne. Ils étaient chargés de revoir une sentence de condamnation et non de chanter les louanges de la condamnée. Toutefois, la sérénité de leur justice, pas plus que les limites de leur mandat, ne put contenir l’expression de leurs sentiments intimes envers la victime et ses œuvres dignes, dit la sentence même, non de condamnation mais d’admiration. Casser un jugement, le déclarer calomnieux, inique, et proclamer en même temps que la condamnée est digne d’admiration : que pouvaient et que devaient faire de plus les Juges Apostoliques ? Le Saint-Siège ne les avait pas délégués pour instruire la Cause de béatification de Jeanne !

Le saut de Beaurevoir

Le Promoteur ne pouvait pas ne pas mettre à profit, contre Jeanne, le saut de Beaurevoir115. Il était aisé, même avant d’avoir lu ses Animadversions, de conjecturer que ce péril de mort auquel la Pucelle s’était volontairement exposée, fournirait ample matière à l’Attaque. Sous la plume du redoutable Promoteur, ce 161saut devient un péché grave, un péché que Jeanne cherche à excuser par une espèce de théorie fataliste, un péché commis malgré la défense formelle de ses Voix, un péché enfin dont elle a eu peu de repentir, si même elle n’est pas allée jusqu’à en rire. Aussi les apologistes de Jeanne, cités par le P. Ayroles qui fait siennes leurs appréciations, en sont-ils réduits à plaider les circonstances atténuantes116.

Autre est la plaidoirie des Avocats ; et si le Promoteur mécontent, dans son for intime, de voir Jeanne si maladroitement défendue par ses apologistes, a voulu contraindre les Défenseurs à aller au fond de la question et à rendre à ce saut de Beaurevoir son vrai caractère, il a pleinement réussi.

Et d’abord, les circonstances concrètes : Jeanne, prisonnière de guerre, est enfermée à la tour de Beaurevoir, où la femme et la tante de Jean de Luxembourg traitaient l’illustre captive avec égards et sympathie. Vers la fin d’Octobre, par ces dames probablement ou par ses gardes, elle apprend que le parti anglo-bourguignon se prépare à donner l’assaut à Compiègne, que de plus, si la ville est forcée, tous les habitants, hommes, femmes, enfants au dessus de sept ans, seront massacrés, et, enfin, 162qu’elle-même vient d’être vendue aux Anglais. À ces nouvelles, quelle douloureuse étreinte pour son vaillant patriotisme, et quelle anxiété pour sa pureté virginale117 ! S’échapper des mains des Anglais, voler au secours de Compiègne où les preux, en revoyant sa bannière, auraient, au besoin, surgi de terre : telle était sans doute la double pensée qui obsédait ses jours et ses nuits. Elle se décida à tenter l’évasion.

Ses Voix, sans violenter la liberté de Jeanne, à qui — elles le savaient — nul autre triomphe n’était réservé que celui de la Place du Vieux-Marché, la détournèrent de cette décision, tout au moins cherchèrent à l’en dissuader. À l’encontre de leurs conseils, le patriotisme de la Pucelle entendait, comme par avance, les hourras lubriques des Anglais qui attendaient leur victime et les cris déchirants des assiégés massacrés… Et la fenêtre de sa prison était ouverte ! Ce ne fut pas, comme le donnent à penser quelques historiographes, le saut d’une exaltée qui fait un coup de tête, dût-elle rester sur place ; moins encore, comme l’insinua plus tard Estivet dans une phrase 163astucieuse de son réquisitoire, la décision d’une désespérée qui veut en finir avec la vie : mais uniquement la tentative réfléchie d’une courageuse qui, pour de très nobles motifs, affronte un danger avec l’espoir fondé de la réussite. On peut même révoquer en doute que Jeanne ait sauté, au sens propre du mot. Le chroniqueur bourguignon, si hostile à la Pucelle, se réjouit de l’insuccès de sa tentative d’évasion, et il ajoute ce détail, qui n’a pas échappé à la perspicacité des Défenseurs, que

ce à quoi Jeanne s’avaloit (se tenait pour descendre) se rompit.

Ces paroles supposent que, loin de vouloir sauter d’un bond, la Pucelle se laissait glisser sur quelque appui, probablement une corde.

Si le saut de Jeanne eut réussi, nul, pas même le Promoteur, n’hésiterait à admirer son intrépidité, à louer, dans cette sublime imprudence, les mobiles qui l’ennoblissaient. Or, ce n’est point le succès ou l’insuccès qui caractérisent la moralité d’une action ; et il reste, à la louange de Jeanne, d’avoir agi, dans cette tentative malheureuse, sous les inspirations d’une ardente charité et d’une compassion magnanime118.

164Mais Jeanne elle-même a reconnu qu’elle avait mal fait.

— Cet aveu de la Pucelle, réplique la Défense, est consigné aux interrogatoires dont les falsifications ont été déjà surabondamment démontrées. Admettons toutefois cet aveu : il prouve une seule chose, que l’insuccès de la tentative fit comprendre à Jeanne que Dieu n’avait pas permis cette évasion ; et son humilité se reprocha, comme une faute, le désir ardent qu’elle en avait eu. Le juste, dit le texte sacré, est son propre accusateur ; et quand Jeanne nous dit, avec une ravissante simplicité, qu’elle se confessa de sa faute et reçut de ses Voix l’assurance qu’elle lui était pardonnée, nous ne pouvons que voir en son âme une exquise pureté de conscience.

— De plus, insiste le Promoteur, devant les Juges, Jeanne chercha à s’excuser en disant qu’elle n’avait aucunement pu se retenir, et que, pour cela, ses Voix vinrent à son secours et la préservèrent de la mort. Cette excuse, au dire du Promoteur, avoisine de très près l’hérésie, puisqu’elle nie que Jeanne ait eu, à ce moment, son libre arbitre.

— Ici, la Défense ne peut pas se retenir, elle, d’être un peu piquante.

Je lisais récemment les Actes du Souverain Pontife, et je 165trouvais, dans la Lettre de Léon XIII, au Prince Régent de Bavière, les paroles suivantes : En raison de la charité paternelle avec laquelle Nous Vous chérissons…, Nous ne pouvons nous abstenir de venir prendre part à l’allégresse publique de la Bavière et de Vous offrir, pour votre jour de fête, nos sincères félicitations et nos vœux de bonheur.

Ces paroles de notre très sage Pontife disent-elles que Léon XIII se regardait comme fatalement contraint à écrire cette Lettre ?

Les Juges auraient bien voulu arracher à leur victime quelque aveu de désespérance, de fatalisme : mais leurs demandes insidieuses furent déjouées par la candeur de Jeanne et par l’Esprit de Dieu. L’interrogatoire sur ce point en dit plus, même en le supposant authentique et non arrangé, que tous les raisonnements.

Interrogée si elle avait sauté par désespoir, elle répond :

— Je le fis non par désespoir, mais au contraire avec l’espoir de m’échapper et puis d’aller secourir tant de bonnes gens qui étaient en nécessité.

— Était-ce bien ou mal fait de sauter ?

— Je crois que ce n’était pas bien fait, mais fut mal fait.

— Était-ce un péché mortel ?

— Je n’en sçay rien, mais m’en réfère à nostre Seigneur. »166

— En eut-elle grande pénitence119 ?

— La pénitence, j’en portai une bonne part par le mal que je me fis en tombant !

De ce saut de Beaurevoir il reste donc, en somme : Que Jeanne s’est exposée volontairement à un grave danger — acte d’intrépide courage, surtout pour une jeune fille ! — afin de ne pas tomber aux mains des Anglais — exercice très légitime d’un droit incontestable ! — et d’aller au secours de Compiègne en péril — acte d’héroïque dévouement !

Mensonges de Jeanne

Aux paragraphes 46 et suivants, l’Attaque, sans être moins habile, devient plus pressante et plus redoutable, grâce à un accent de pleine conviction que le Promoteur a voulu lui donner. Il ne s’agit de rien moins que des mensonges de Jeanne !

Elle aurait donc menti, notre Jeanne, si simple, si droite, si saintement fière, et menti et 167de parti-pris, menti à plusieurs reprises ! En écrivant cette grave accusation, le Promoteur, nous en sommes convaincu, a dû sentir au cœur un mouvement d’indignation contre ceux qui l’ont inventée ou accréditée. Toutefois, cette accusation, il devait d’office s’empresser d’en faire un des fronts de sa redoute.

Voici les mensonges de Jeanne et l’autorité qui les qualifie.

J’ose dire, écrit Quicherat, invoqué par le Promoteur, qu’elle n’a pas toujours répondu vrai aux questions de ses Juges… Si la demande (des Juges) couvre la moindre tendance vers une accusation qui pourra retomber sur autrui, alors elle élude, elle hésite, elle enveloppe sa pensée, et, pressée davantage, elle feint…

Cette feinte de Jeanne, Quicherat l’a vue dans les réponses que fit la victime au sujet du secret confié à Charles VII. Pressée de questions sur ce point spécial, après dix interrogatoires y relatifs, Jeanne, pour dérouter les Juges, inventa l’apparition d’un ange venant offrir une couronne au Roi :

Offense manifeste à la vérité, dont elle ne voulut pas emporter le poids dans l’autre monde, car le matin de sa mort, elle s’en confessa publiquement.

Et ces assertions de Quicherat, le Promoteur les fait siennes en les appuyant du texte relatif à cette confession publique de 168Jeanne. Elle avoua, le matin de son supplice,

que c’était elle-même qui avait annoncé à celui qu’elle appelle son roi, la couronne en question, et qu’elle-même fut l’ange (dont elle avait parlé), et qu’il n’y en eut aucun autre… Et sur la demande qui lui fut faite, à savoir, si une couronne avait été réellement portée à celui qu’elle appelle son roi, elle répondit qu’il n’y eut rien du tout, sinon la promesse du couronnement de celui qu’elle appelle son roi, promesse faite par elle-même.

Donc point d’apparition, point de couronne apportée ; et Jeanne avait, à plusieurs reprises, affirmé l’une et l’autre, et cela devant ses Juges, circonstance qui aggrave considérablement, conclut le Promoteur, la culpabilité de ce mensonge120.

Que les lecteurs se tiennent en garde contre la première impression de cet exposé. Ce front de redoute paraît bâti, à chaux et à sable, en moellons de granit : il n’est qu’en torchis.

Aux Défenseurs de l’abattre.

Et d’abord, la circonstance très aggravante n’aggrave rien du tout, pour la raison péremptoire que l’interrogatoire n’était pas et ne pouvait pas être juridique. Pierre Cauchon n’avait aucune juridiction sur Jeanne : il n’était ni juge d’origine (la Pucelle appartenait au diocèse de 169Toul), ni juge de domicile (Jeanne n’avait certes pas choisi pour domicile les prisons de Rouen), ni enfin juge de délit (Jeanne, quand l’évêque de Beauvais la réclama pour la juger, n’avait commis aucun délit, ni dans ce diocèse, ni en aucun autre, et le port des vêtements d’homme ne constituait pas, à tout prendre, un délit ressortissant du tribunal épiscopal). Il agissait donc, ce Juge, en vertu d’une juridiction usurpée, nulle ; et si la victime a subi, dans une certaine mesure, la situation d’accusée que la violence lui imposait, elle n’a pas accepté cet abus de pouvoir, moins encore reconnu ce prétendu juge à qui sa franchise fit entendre, plus d’une fois, ce juste reproche : Vous n’êtes pas mon juge, mais bien mon ennemi capital.

Donc, si mensonge il y a eu, ce mensonge n’était aucunement en matière judiciaire. La victime, devant ce juge illégitime, avait tout droit de taire la vérité.

S’est-elle mise en désaccord avec la vérité ?

Examinons-le de près. Le Promoteur puise à trois sources cette accusation de mensonge, au Procès de condamnation, aux Actes posthumes, et enfin aux Aperçus nouveaux de Quicherat. Le Procès, les Émes Cardinaux savent déjà qu’il est suspect en son ensemble et 170falsifié en plusieurs de ses parties. Mais c’est surtout dans ces interrogatoires relatifs à la couronne que les réponses de Jeanne intentionnellement obscures et, d’après plusieurs auteurs, purement allégoriques, ont dû être dénaturées par les notaires. S’ils ont écrit, même quand les paroles étaient claires, des réponses infidèles ou incohérentes, ne doit-en pas a priori suspecter leur procès-verbal sur un sujet où le sens des réponses leur échappait ? Qu’on ne perde pas de vue que tout le Procès a été déclaré, par les vrais Juges, ceux de la réhabilitation, entaché de dol, fausseté, calomnie, contradiction, erreur manifeste de droit et de fait, et on évitera ainsi d’asseoir une accusation sur une base vermoulue.

Quant aux Actes posthumes, ce récit, fabriqué tout d’une pièce, sans témoin, sans notaire, dépourvu de toute signature, nul n’y peut voir autre chose que le désir du criminel s’efforçant de légitimer son forfait en inventant, contre la victime, de nouvelles calomnies. Ces Actes posthumes n’hésitent pas à attribuer au dominicain Martin Ladvenu des assertions absolument contraires à ses déclarations les plus nettes. Il avait entendu la confession de Jeanne, le matin même du supplice : faire appel à sa parole c’était donner double crédit aux accusations. Jeanne, disent les Actes posthumes, aurait (en 171dehors de la confession, bien entendu) avoué à Ladvenu son erreur, ses regrets d’avoir été déçue par ses Voix qui devaient être fausses, puisqu’elles l’avaient trompée. Or, ce même Martin Ladvenu dépose, au contraire, que

Jeanne jusqu’au dernier moment, jusqu’au dernier souffle, persévéra à affirmer que ses Voix étaient de Dieu, que ce qu’elle avait fait lui avait été ordonné de Dieu, que jamais ses Voix ne l’avaient trompée ;

et sa déposition fut confirmée par celle de Manchon et autres témoins, comme nous le verrons ci-dessous. Voilà, sur le point substantiel, quelle fut l’audace des faussaires qui rédigèrent clandestinement, après le bûcher, les Actes posthumes. Et c’est à ces Actes que Quicherat, et après lui le Promoteur font appel ; c’est d’après ce document menteur que la noble victime est accusée de mensonge !

Poursuivons : Quicherat trouve la preuve de l’offense manifeste à la vérité dans la confession publique de Jeanne, attestée par Ladvenu, au dire des Actes posthumes. Comment Quicherat n’a-t-il pas vu que cette attestation n’existe pas : que nous avons l’attestation contraire, insérée par lui de verbo ad verbum, au Procès de réhabilitation ?

— Mais les réponses de Jeanne aux questions relatives à son roi sont hésitantes, évasives.

172La victime avait le droit de ne répondre que par le silence non seulement sur le roi, mais encore sur elle-même.

L’assistance divine, plus encore que sa droiture innée, lui fit pressentir les pièges cachés sous ces demandes insidieuses : elle refusa de répondre, ou coupa court par des paroles évasives ; de là, dès qu’il s’agissait du roi, ses répliques primesautières : Je n’ai pas à vous le dire ; — Ceci n’est pas de votre procès ; — Passez outre ; — Allez le lui demander à lui-même. Quant à la couronne, si toutefois Jeanne a parlé de couronne au lieu de couronnement, il est certain que les Anges et les Voix envoyèrent au Roi par Jeanne une belle couronne, celle de Saint Louis et de Charlemagne ! Et cette couronne-là était bien pour le front de Charles VII, et non pas pour le front de celui que la courtisanerie de Pierre Cauchon appelait le Roi de France et d’Angleterre.

L’abjuration de Jeanne

Dans les batailles d’autrefois, qui permettaient aux chefs d’armée de faire, dans leurs calculs stratégiques, une bonne part au courage et à l’entrain des combattants sans tout donner à la supériorité numérique des hommes et des canons, les commandants tenaient en réserve 173leurs corps d’élite, pour les lancer au moment opportun contre l’ennemi déjà lassé ou, au contraire, trop présomptueux d’un premier succès.

Telle a été, nous semble-t-il, la tactique du Promoteur. Se rendant parfaitement compte que la Défense saurait réfuter, une à une, ses objections, franchir ses barrières, enlever ses redoutes, il a gardé, pour une dernière charge l’argument le plus formidable : l’abjuration de Jeanne ! Et avec quel art son habileté — que nous devrions, encore ici, appeler implacable, — a su mettre en relief cette rétractation ! Comme il s’ingénie à bien attirer l’attention des Émes Juges sur le fait lui-même, sur les conditions concrètes de ce fait, sur les circonstances aggravantes, sur la futilité des excuses mises en avant par les Mémoires consultatifs pour atténuer cette palinodie, et enfin sur le remords de Jeanne qui, à cause de cette lâche rétractation, craignait de s’être damnée ! Et que les Défenseurs ne disent pas, ajoute le Promoteur, que certains détails de cette abjuration sont tirés de documents extrajudiciaires (des Actes posthumes), car il est avéré, et par le Procès de condamnation et par celui de réhabilitation, que Jeanne a abjuré : quelle qu’ait été la formule de rétractation, cette rétractation est incontestable, et elle ferme la voie, comme un 174mur d’airain, à l’Introduction de la Cause : Ou bien Jeanne a tenu comme vraies ses visions, et alors elle a péché gravement en les rétractant par crainte du supplice ; ou bien elle n’a pas cru à ses visions, et alors elle avait indignement menti en les soutenant avec une telle ténacité121.

Et pour corroborer la vigueur de ce dilemme, le Promoteur ajoute aussitôt : Et n’est-ce pas un indice très grave de la fausseté même de ces visions, que la ténacité de cette jeune fille ignorante à s’en rapporter, de son propre chef et sans aucun contrôle spirituel, à ses Voix et rien qu’à ses Voix ? Elle leur demande conseil en toute rencontre ; elle refuse de répondre aux Juges avant de les avoir consultées ; elle déclare que, ayant pris des habits d’homme sur l’ordre de ses Voix, elle ne les quittera que sur un contre-ordre, dût-elle, pour cela, être privée non seulement de la communion pascale, mais encore du viatique.

A-t-elle consenti, du moins, à soumettre ses révélations et visions à l’autorité de l’Église ? Ses apologistes le prétendent ; mais les réponses de Jeanne, vagues, fuyantes, incohérentes, ne permettent pas de découvrir sa pensée intime à ce sujet.

175Elle en a appelé au Pape, dit-on, et a son verdict souverain. Où et quand fut fait cet appel ? Ce n’est pas dans les articles d’Estivet, ni dans le Procès de condamnation, mais bien dans celui de réhabilitation que nous lisons les paroles du témoin André Marguerie, qui sur ce point précis, à savoir si Jeanne avait déclaré se soumettre au Pontife Romain, répond

qu’il croit plutôt le contraire, pour avoir lui-même entendu Jeanne dire que, sur certaines choses, elle ne croirait ni à son prélat, ni au Pape, ni à personne, parce que ces choses elle les tenait de Dieu.

Il est vrai que Jeanne, le 24 mai, lorsqu’elle vit la mort de près, répondit aux Juges, qui la sommaient de rétracter ses dits et faits 

Je m’en rapporte à Dieu et à notre Seigneur le Pape ;

mais cette réponse in extremis n’avait d’autre but que de gagner du temps et retarder ainsi la condamnation. À ce moment Eugène IV venait d’être élevé au souverain pontificat et se voyait débordé par les agissements séditieux des Colonna. Un appel à son autorité suprême était impossible, comme le firent remarquer les Juges en ajoutant qu’elle devait se soumettre à la sainte Église, représentée par les Ordinaires diocésains, et s’en rapporter à ce qui, sur ses faits et dits, serait déterminé par les clercs et autres personnages compétents.

176Cette sommation lui ayant été intimée à trois reprises, Jeanne persista dans son silence : et, alors, commença la lecture de la sentence de condamnation. Mais, dès les premières phrases, Jeanne s’écria spontanément qu’elle était prête à se rétracter, et elle signa, en effet, une formule de rétractation ou abjuration.

Le texte122 de cette abjuration par laquelle Jeanne se reconnaît coupable de tous les crimes et erreurs dont elle avait été accusée et s’engage à ne plus rechuter, ce texte, disons-nous, est en effet très explicite, si explicite que… Mais n’anticipons pas : que toute notre attention se concentre sur la réfutation des Défenseurs. En avançant avec eux, nous sentirons à chaque pas, s’alléger le poids d’inquiétude qui oppresse notre âme, après les arguments du Promoteur, jusqu’à ce que Jeanne nous apparaisse souriante, en pleine lumière, pour nous dire avec son originalité et sa candeur : Vous voyez bien que mon abjuration ressemble à une abjuration comme une indulgence plénière à un péché mortel.

Et d’abord l’acte d’abjuration.

Jeanne, qu’on ne l’oublie pas, ne savait ni lire, ni écrire : pour signer les lettres que 177les clercs écrivaient sous sa dictée ou en son nom, elle traçait au bas une sorte de rond informe que la main la plus inexpérimentée pouvait exactement imiter.

Rien donc n’était plus facile que de substituer à une formule signée par elle, une autre formule toute différente qu’un des faussaires de ce sanhédrin authentiquerait, par après, en y apposant la signature rudimentaire de la victime.

Et c’est là ce qui fut fait !

En voici les preuves123. L’acte d’abjuration présenté à Jeanne et signé par elle était très bref : l’acte qui est au Procès est très long.

Jean Massieu, l’huissier du Tribunal, lut à la Pucelle l’acte vrai, et il dépose que

cet acte contenait environ huit lignes et pas plus ; et ce n’était certainement pas celui dont le procès fait mention : ce fut une formule toute différente que je lus moi-même, [dit le témoin], à Jeanne et que Jeanne signa.

Nicolas Taquel greffier-adjoint

se souvient 178très bien qu’il vit Jeanne quand on lui lut la cédule d’abjuration : ce fut maître Massieu qui la lut, et cette cédule avait à peu près six lignes de grosse écriture, et à mesure que Massieu lisait, Jeanne répétait les paroles, et le texte commençait par ces mots : Je Jehanne…

Le médecin dont il a été question ci-dessus, Guillaume Delachambre, n’est pas moins explicite :

Jeanne fit abjuration, quoique après avoir longtemps hésité. Elle la fit aux instances de maître Evrard, qui la détermina à la faire en lui donnant l’assurance qu’elle sortirait ainsi de prison. Et ce fut seulement sous cette condition expresse, que Jeanne la fit en lisant après un autre (c’est-à-dire en répétant ce que lisait Massieu) une petite cédule contenant six ou sept lignes, sur une feuille de papier pliée en deux : et j’étais si rapproché que je pouvais distinguer les lignes et leur forme.

Le Chanoine Jean Monnet n’était guère plus éloigné. Il vit de ses yeux, lui aussi,

la petite cédule d’abjuration qui était à peu près de six à sept lignes.

Ces dépositions, et autres semblables, établissent péremptoirement que la formule, signée par Jeanne, était brève ; mais elles ne spécifient pas nettement dans quelle proportion la formule fausse, insérée au Procès, avait été allongée ou développée. La sagacité des Postulateurs 179est arrivée à déterminer cette proportion, et à prouver que la fausse formule est dix fois plus longue que la vraie. Voici la base de cette évaluation : Pierre Miget présent, lui aussi, à la prétendue abjuration, déposa, devant les Juges, que

la cédule était brève et que la lecture d’icelle dura à peu près l’espace d’un Pater noster.

Or le Pater contient cinquante paroles : la formule falsifiée en a quatre cent quatre-vingt-dix !

Poursuivons cette recherche des falsifications.

La formule officielle commence par ces mots : Toute personne qui a erré ; celle que signa la Pucelle commençait par ceux-ci : Je Jehanne… Le témoin qui citait ces dernières paroles était à même, mieux que nul autre, de les avoir retenues : c’était lui, Jean Massieu, qui les avait lues à la victime, et il déclara formellement que la formule, lue par lui, n’était pas du tout celle, beaucoup plus longue et toute différente, que les Juges apostoliques lui mirent sous les yeux. La déposition du triste Thomas de Courcelles124 corrobore le témoignage de Jean Massieu, mais en révélant un détail qui n’est pas sans importance. Le Tribunal de 1456 ne trouva pas dans les Actes du Procès de 180la vraie formule d’abjuration : naturellement les faussaires l’avaient supprimée. Au lieu de celle-là, les Actes en insèrent deux autres, comme nous l’avons déjà dit : l’une commençant par ces mots : Quotiens humanæ mentis [Aussi souvent l’esprit humain] ; l’autre, en français : Toute personne qui a erré. Or, d’après Thomas de Courcelles, il y en aurait eu une troisième, commençant par ces mots : Tu, Johanna, rédigée par Maître Nicolas de Vendères ! Mais Thomas de Courcelles qui se rappelait fort bien ce dernier détail avait oublié si une des formules avait été lue à la victime : et surtout il se garde d’affirmer qu’on ait expliqué à Jeanne le sens de cette abjuration.

Donc, une abjuration dont la victime ne saisissait pas le sens ; une abjuration dont la teneur était toute différente de la formule officielle : voilà déjà, à la décharge de la vierge chrétienne, deux faits dont l’importance n’avait pas échappé au Promoteur.

Aussi a-t-il recours à un argument subsidiaire pour étayer le premier. Quelle qu’ait été la formule de l’acte d’abjuration, il y a eu abjuration ! Soit, répliquent les Défenseurs, mais la question, dans l’espèce, est précisément de savoir quelle était cette formule, puisqu’il est avéré que celle des Actes est une impudente falsification.

Or, nous disons avec les Défenseurs et 181nous voudrions pouvoir crier aux quatre coins de la terre, et surtout aux historiographes distraits de la Pucelle qui plaident les circonstances atténuantes, que Jeanne a signé une formule d’engagement et non d’abjuration, une promesse et non une rétractation. Elle s’engageait à se soumettre aux décisions de l’Église : elle promettait de quitter les habits d’homme et de prendre des vêtements de femme.

En effet, que disait la formule vraie ? Rien autre que ce que lut l’huissier Massieu, ce qu’entendirent les témoins auriculaires.

J’étais présent au Cimetière de Saint-Ouen : je vis et entendis la dite Jeanne faire abjuration en se soumettant à la décision, au jugement et précepte de l’Église.

Ainsi parle Guillaume du Désert, un des Juges assesseurs.

Dans la cédule que je lisais, dit Jean Massieu, il était stipulé que désormais elle ne porterait plus les armes, l’habit d’homme, ni les cheveux ras.

Et si ces témoignages irrécusables, puisqu’ils émanent de ceux qui avaient pris part à la condamnation de Jeanne, paraissaient insuffisants, rien n’est plus facile que de les confirmer par une preuve convaincante : le mécontentement des Anglais. L’abjuration leur parut si anodine, si insignifiante, qu’ils criaient tout haut à la tromperie : que cette abjuration ne disait rien, qu’elle était une farce (quoderat una truffa). L’un d’eux 182alla même jusqu’à insulter publiquement Pierre Cauchon, à cause de cette tromperie. Et celui-ci, furieux, déclara qu’il allait lever la séance si le Cardinal de Winchester n’ordonnait pas sur le champ à l’insulteur de rétracter ses paroles. Les Rouennais comprenaient si bien que cette rétractation ne rétractait rien du tout, qu’ils criaient à Jeanne de signer sans hésiter.

Mais alors pourquoi Jeanne hésita-t-elle si longtemps ? Parce que sa droiture soupçonnait un piège sous cette formule fuyante. Se soumettre à l’Église, la noble enfant avait déjà tant de fois, durant les interrogatoires, déclaré qu’elle se soumettait complètement à l’Église qui est tout un avec notre Seigneur, qu’elle ne désirait rien tant que de s’en rapporter au Seigneur Pape de Rome ; mais se soumettre à cette Église c’est-à-dire à ces prétendus Juges qui la torturaient et l’injuriaient, elle n’avait que trop de motifs de redouter une telle soumission. Aussi sa prudence lui inspira-t-elle, quand elle se décida ou fut entraînée à signer, d’expliquer aussitôt le sens de cette signature en ajoutant qu’elle entendait ne rien révoquer, si ce n’était selon le bon plaisir de Dieu. Cette restriction était nécessitée non par la teneur du papier qu’on lui lisait et dont elle se contenta de sourire, mais par les exhortations du prédicant Evrard qui avait déblatéré contre sa mission et contre son Roi.

183Le Promoteur insiste : Est-il croyable que Pierre Cauchon se soit contenté d’une abjuration qui n’en était pas une ? !

Oui, car cette formule anodine était la seule compatible avec son projet diabolique. Il ne faut pas perdre de vue que, dans la pensée de ce triste courtisan des Anglais, la Libératrice d’Orléans devait d’abord être discréditée, puis condamnée. Le discrédit était inévitable si Jeanne faisait une rétractation ou quelque chose d’approchant. Mais une rétractation claire, précise, catégorique, il n’eut pu jamais, ni par violence, ni par ruse, l’arracher à la fermeté de sa victime. Il fallait biaiser, et il biaisa : une formule quelconque, un peu cauteleuse, mais en somme acceptable, lui suffisait, d’autant plus qu’il n’hésiterait pas, par après, à la déchirer pour lui substituer un texte de sa façon à lui, ou de la façon de son Estivet.

Et qu’on ne dise pas que nous quittons le terrain solide des faits pour entrer dans celui des interprétations et suppositions personnelles.

C’est un fait que la formule vraie a été supprimée.

C’est un fait que le matin même du 24 mai, avant que Jeanne ne fût conduite au cimetière de Saint-Ouen, un des affidés de l’évêque les plus hostiles à la Pucelle, Jean de Beaupère, Docteur de l’Université de Paris, fut introduit 184dans la prison et, s’apitoyant sur le sort de la captive, lui conseilla de déclarer

quand elle serait sur l’escherffaut (l’estrade) que tous ses faicts et dicts elle mettoit en l’ordonnance de nostre mère saincte Église et en especial des Juges ecclésiastiques (et non pas, par conséquent, de Pierre Cauchon qui n’était pas son juge) : laquelle respondit que ainsi feroit-elle et ainsi le dist-elle (donc, même d’après Beaupère, l’abjuration n’était qu’une déclaration de soumission à la Sainte Église) audit escherffaut…

C’est également un fait, et non le moins concluant, que l’évêque accourut à la prison après la rechute, et s’empressa de demander à Jeanne si elle avait, depuis le 24 mai, entendu ses Voix, et si elle y croyait encore. Sur la réponse affirmative, il eut l’audace d’affirmer que Jeanne avait, dans l’acte d’abjuration, renié ses Voix et rétracté tout ce qu’elle avait dit au sujet de leurs apparitions. Et Jeanne aussitôt de protester, avec toute l’énergie de son âme, contre ses assertions.

À ce moment même, [dit-elle], j’ai déclaré que je n’entendais aucunement révoquer quoi que ce soit, à moins que tel ne fut le bon plaisir de nostre Sire Jhésus-Christ.

Enfin, c’est un fait que le faussaire ou les faussaires de l’acte d’abjuration — les mêmes sans doute qui ont rédigé les Actes posthumes — pour donner crédit à leurs inventions, 185faisaient appel au dominicain Martin Ladvenu. Celui-ci avait assisté, comme compagnon du vice-Inquisiteur, à toutes les séances du tribunal de condamnation, à l’abjuration et aux interrogatoires après la rechute. Ce fut à lui que Jeanne, au matin de son supplice, se confessa, et par lui qu’elle fut assistée jusqu’au dernier moment. Invoquer son témoignage, lui faire dire que Jeanne, quelques heures avant son supplice, avait reconnu ses illusions et désavoué ses Voix, c’était, chacun le comprend, une manœuvre aussi habile que déloyale. Mais la malice humaine a ses limites que la justice divine ne lui permet pas de franchir. Ce P. Martin Ladvenu était vivant, et encore assez jeune (cinquante-six ans), lors du Procès de réhabilitation. Les Juges iniques affirmaient, à son insu, qu’il avait entendu les regrets de Jeanne pour n’avoir pas voulu se soumettre à l’Église, ses récriminations contre ses Voix trompeuses. Or, devant les Juges apostoliques, ce même Ladvenu déclare de la façon la plus explicite : que Jeanne, à bien des reprises, durant le Procès, avait fait appel à la sainte Église et au Seigneur Pape ; que jamais, à aucun moment, sous aucune forme, elle n’avait douté de ses Voix, ni contredit ses affirmations antérieures ; que, après la rechute, elle s’offrait à reprendre encore ses habits de femme pourvu qu’on la 186conduisit dans les prisons d’Église, ou qu’on lui assignât des gardiennes en place des geôliers.

Et, chose étrange, ou plutôt juste disposition de la Providence, le rédacteur des Actes posthumes arrange soigneusement, dans son verbal, la protestation de Jeanne : sous sa plume de faussaire, la protestation, faite par Jeanne le 24 mai, avant de signer, est passée sous silence ; et nous avons, à la place, une piteuse excuse de Jeanne déclarant, le 28 mai seulement, qu’elle n’avait pas entendu révoquer quoi que ce soit. Malheureusement pour ces révoltantes habiletés, la minute française de l’interrogatoire dans la prison, minute qu’ils n’eurent pas, Dieu le permettant ainsi, la pensée de détruire, enregistre littéralement cette protestation du 24 mai.

Item, Jehanne répond, qu’elle dist en l’heure (au moment même de signer la cédule) qu’elle entendait ne rien révoquer…

Ils le savaient bien, les criminels : mais leur but était atteint ; une simple promesse de soumission à la sainte Église devenait, dans leurs Actes falsifiés, une abjuration retirée, une rétractation violée ! Devant de tels forfaits, on serait tenté de se demander à qui Dieu réserve ses foudres vengeresses, si on ne se rappelait qu’Il ne les fit éclater ni au prétoire de Pilate, ni sur les sommets du Golgotha.

Sentence de 1456 sur la prétendue abjuration

187Vingt-cinq ans après le supplice de Jeanne, les Juges apostoliques, informés des moindres détails de l’inique condamnation, estimèrent opportun d’insérer, dans leur sentence, une réprobation spécifique de ladite abjuration. Ils la qualifient d’un mot : la prétendue abjuration. Les arguments et les faits de la Défense disent assez quelle fut, sur l’abjuration comme sur l’ensemble du Procès, la pensée de ces Juges qui étaient la probité même. Et leur pensée est la vraie, la seule vraie : Jeanne n’a pas abjuré.

Le Promoteur devait s’attendre à voir crouler, un à un, tous les fronts de sa redoute. C’est fait. Sur toutes ces objections réfutées, sur tous ces arguments renversés, Jeanne, la fille au grand cœur, l’interlocutrice des Anges, la vierge chrétienne, l’héroïne vaillante, la noble et douce victime, apparaît triomphante comme sur le boulevard des Tournelles.

Devant elle maintenant la voie est ouverte au grand large ; il ne reste plus rien qui l’encombre. La sainte Pucelle est arrivée, de plain pied, jusqu’au sanctuaire où, sous le regard de Dieu et avec l’assistance de son Esprit, les Cardinaux de la Sainte Congrégation des Rites, ont échangé leurs sereines délibérations. Elle va même jusqu’au Vicaire du Christ :

Seigneur Pape, dit-elle, j’ay 188nom Jehanne la Pucelle, et la Sainte Congrégation des Rites m’envoie vers votre Saincteté pour l’assurer que oncques ne fus insubmise à l’Église, ains obéissante et fidèle enfant. Mes vrays Juges de ce jourdhuy comme trétous de Poitiers, point trouvent en moi menteries ne choses ordes et vilaines, ains simplesse, pureté, piété et dons célestes : car ainsi est vray. Votre Saincteté le sait moult bien puis qu’Elle reçoit souventesfois les inspirations de messire Jhésus-Christ, de Madame saincte Marie et du benoist sainct Michel lequel est en paradis mien protecteur. Père sainct, mon front ne porte plus le haume des batailles : couronnez-le tost de l’auréole, et derechef m’en retourneray-je en doulce France qui est en grant pitié, et batailleray-je avec les vaillants qui m’appellent pour bouter dehors mauvaises choses et mauvaises gens.

189Le décret

Depuis plusieurs mois le Dossier, dont nous venons d’achever l’analyse, était entre les mains des Éminentissimes Cardinaux de la Sainte Congrégation des Rites. Le Saint-Père s’était réservé de fixer ultérieurement le jour de la réunion plénière.

Ce jour fut le samedi 27 janvier 1894.

Les délibérations des Cardinaux sont et restent secrètes. Les conjectures et surtout les assertions bien informées sur les dispositions et le vote de tel ou tel des Émes Juges n’ont d’autre valeur, pour ceux qui connaissent un peu les choses de Rome, que celle des inventions fantaisistes des reporters.

Secrète aussi la relation du Cardinal Ponent. Nous savons toutefois que Son Éminence le Cardinal Lucide-Marie Parocchi présenta son rapport avec une telle sublimité de vues, une telle puissance de synthèse radieuse, qu’un des auditeurs, au sortir de la séance, traduisait son admiration par cette réflexion primesautière : S’il y a 190des assises au Paradis, elles ne doivent être guère plus belles que celle-ci !

À l’issue de la séance, S. Ém. le Cardinal Gaétan Aloisi-Masella, Préfet de la Sainte Congrégation des Rites, se rendit auprès du Saint-Père et lui fit connaître les résultats des délibérations de l’auguste Tribunal. Léon XIII avait grandement à cœur la Cause de Jeanne d’Arc, et le vote affirmatif des Émes Cardinaux venait confirmer sa pensée et ses désirs personnels sur la vierge chrétienne, envoyée de Dieu pour le salut de la France.

Sa Sainteté signa aussitôt, de Sa propre main, le billet de Commission pour l’introduction de la Cause. Jeanne, par le fait, était vénérable ! Ce fut, sans doute, à ce moment que Léon XIII prononça ces mots : Joanna nostra est.

Heureux ceux qui ont pu les entendre des lèvres mêmes de Sa Sainteté ! Lorsque le Vicaire de Jésus-Christ exprime une grande pensée ou un sentiment qui lui remplit l’âme, son regard, comme bien d’autres l’ont observé avant nous, a quelque chose de surhumain. Sur ses lèvres, qui peuvent seules donner au monde les syllabes d’or (os orbi sufficiens, aureas spargens syllabas), le verbe semble diaphane, tout de lumière. Ce n’est plus l’homme, c’est le Voyant d’Israël, à qui les secrets du 191ciel ont été révélés, et qui les dit à la terre dans une langue humaine sans doute mais avec des reflets divins…

Ce même jour, du samedi 27 janvier, ordre fut donné de rédiger le Décret.

Texte du Décret en français

Cause orléanaise
de béatification et canonisation
de la
Vénérable servante de Dieu

Jeanne d’Arc
vierge
dite la Pucelle d’Orléans

Sur le doute :

Doit-on signer la commission d’Introduction de la cause dans le cas et pour l’effet dont il s’agit ?

Dieu qui, selon la parole de l’Apôtre, appelle ce qui n’est pas, comme ce qui est, et qui autrefois avait choisi, dans ses desseins, Débora et Judith pour confondre les puissants, suscita, au commencement du quinzième siècle, Jeanne d’Arc pour relever les destinées de la patrie presque abattue par la guerre acharnée entre les Français et les Anglais et, en même temps, pour revendiquer la liberté et la gloire de la religion qui se trouvait en conditions bien douloureuses.

Elle naquit en Lorraine, le 6 janvier 1412, de parents peu fortunés, mais remarquables par leur piété traditionnelle envers Dieu. Dès le premier âge, élevée dans 192les bonnes mœurs, elle parvint à un haut degré dans la pratique de toutes les vertus chrétiennes, et surtout par la pureté angélique de sa vie. Encore petite fille, craignant Dieu dans la simplicité et l’innocence de son cœur, elle aidait ses parents dans leurs travaux agricoles : à la maison ses doigts tournaient le fuseau ; et dans les champs avec son père elle ne se refusait pas parfois au dur labeur de la charrue. Pendant ce temps, la pieuse enfant s’enrichissait de plus en plus des dons célestes.

Comme elle atteignait sa dix-septième année, elle connut par une vision d’en-haut qu’elle devait aller trouver Charles, dauphin de France, pour lui communiquer le secret qu’elle avait reçu de Dieu. Aussitôt la bonne et simple jeune fille, appuyée sur la seule obéissance et animée d’une admirable charité, mit la main aux grandes entreprises.

Ayant quitté son pays et ses parents, après les périls sans nombre du voyage, elle arriva devant le roi, dans la ville de Chinon, et d’une âme franche et virile, elle révéla à lui seul ce qu’elle avait appris du Ciel ; elle ajouta qu’elle était envoyée de Dieu pour faire lever le siège d’Orléans et pour conduire le prince à Reims où, Jésus-Christ étant déclaré suprême roi de France, Charles recevrait en son lieu et place la consécration et les insignes de la royauté. À ces déclarations, le Roi fut tout surpris ; mais, afin d’agir avec plus de prudence et de sûreté dans une affaire de telle importance, il envoya Jeanne à Poitiers pour y être examinée par une assemblée d’hommes illustres convoqués à cette fin. On distinguait parmi eux l’archevêque de Reims, chancelier du royaume, les évêques de Poitiers et de Maguelone, et nombre d’illustres docteurs du clergé tant séculier que régulier, lesquels tous, peu après, renvoyèrent la Pucelle au Roi avec une attestation très nette qui rendait hommage 193à sa piété, à sa virginité, à sa simplicité et approuvait sa mission divine.

Alors cette enfant qui n’avait aucunement l’usage du bouclier et du casque, on la vit (et tous en étaient émerveillés ) monter un cheval de guerre tenant d’une main l’épée, de l’autre un étendard qui portait l’image du Rédempteur, elle se livra aux périls et aux travaux des combats et se précipita hardiment au milieu des ennemis. C’est chose incroyable combien elle a eu de vaillantes hardiesses, combien aussi elle a supporté patiemment d’insultes et de moqueries de la part des adversaires, combien de prières, accompagnées de larmes et de jeûnes, elle a répandues devant Dieu, afin que les Orléanais fussent vainqueurs et que la France, par après, forte de nouveaux triomphes qui garantissaient les droits du royaume, pût écarter, Dieu aidant, tout péril, même futur, pour la prospérité et la paix et pour la religion des aïeux.

On voyait Jeanne, qui avait toujours à côté d’elle son confesseur, prendre tous les moyens pour préserver les soldats de ce qui pouvait corrompre les mœurs ; elle proscrivait tout ce qui aurait pu exciter au mal et procurait aux soldats l’assistance de saints prêtres pour favoriser la piété. Plus puissant encore était l’exemple de la Pucelle elle-même : son aspect avait quelque chose d’angélique, à cause des vertus qu’elle pratiquait et principalement de l’ardente charité qui l’embrasait envers Dieu et envers le prochain. Cette charité brilla à tel point à l’égard même des ennemis, que non seulement jamais Jeanne ne blessa aucun d’eux de l’épée ou de la hache, mais que ceux qu’elle voyait gisant à terre blessés, elle les faisait relever sur-le-champ, secourir et soigner, à la grande admiration de tous.

Enfin, se portant ici et là comme un vaillant capitaine, 194elle délivra des ennemis la ville d’Orléans et rendit la paix à la population effrayée. Outre cela, c’est à Jeanne que revient le mérite d’avoir ramené sous l’obéissance du Roi tout le territoire avoisinant la Loire, ainsi que les villes de Troyes, de Châlons et de Reims, et aussi le sacre solennel du roi à Reims.

Pour tant et de si grands bienfaits, toutes sortes de peines furent, par la permission de Dieu qui voulait éprouver sa servante, infligées à la Pucelle. Abandonnée ou trahie par les siens, elle tombe aux mains d’ennemis acharnés qui la vendent à prix d’or : chargée de chaînes, soumise dans sa prison, nuit et jour, à mille vexations, elle est enfin, par un dernier forfait, livrée aux flammes, comme infestée de la souillure d’hérésie et relapse, en vertu de la sentence de Juges iniques, qui étaient partisans zélés du Concile schismatique de Bâle.

Fortifiée par la sainte Eucharistie, les yeux attachés sur la croix pendant que son corps brûlait, répétant sans cesse le nom de Jésus, elle conquit la mort précieuse des justes, qui, signalée par des prodiges célestes, d’après ce que rapporte la renommée, excita à tel point l’admiration des assistants, que ses ennemis en furent épouvantés. Il y en eut qui s’en retournèrent de cet horrible spectacle en se frappant la poitrine ; bien plus, le bourreau lui-même proclama hautement l’innocence de la Pucelle qu’il venait de faire mourir. Les hommes rentrèrent alors en eux-mêmes, et ils se mirent aussitôt à vénérer Jeanne comme sainte sur le lieu même de son supplice, de telle sorte que, pour soustraire au peuple les reliques de la Pucelle, son cœur, qui était resté intact au milieu des flammes et d’où le sang coulait, fut jeté dans le feu avec ses cendres par les ennemis.

Charles VII étant rentré en possession de son royaume et les affaires publiques étant rétablies en France, 195le Pape Calixte III, sur la demande de la mère et des frères de Jeanne elle-même, délégua des Juges apostoliques pour la révision du procès en vertu duquel la Pucelle avait été condamnée au feu. Ces juges, après avoir entendu cent vingt témoins de tout âge et de toute condition, rendirent, le 7 juillet 1456, une sentence qui cassait le premier jugement et proclamait l’innocence de la Pucelle.

Le renom de sa sainteté s’étant continué sans interruption pendant quatre siècles, il est arrivé, enfin, qu’à notre époque l’enquête ordinaire sur ce renom de sainteté et de vertus a été faite par la curie ecclésiastique d’Orléans. Cette enquête régulièrement accomplie ayant été transmise à la Sainte Congrégation des Rites, Notre Très-Saint Père le Pape Léon XIII a daigné concéder que le doute touchant la signature de la commission d’Introduction de la Cause de la Servante de Dieu fût posé, comme il vient de l’être, dans la réunion ordinaire de la même Sainte Congrégation.

En conséquence, sur les instances du Rme évêque d’Orléans et du Rme P. Arthur Captier, supérieur général de la Compagnie de Saint-Sulpice, postulateur de la Cause, et étant prises en considération les lettres postulatoires d’un grand nombre d’Émes et Rmes Cardinaux de la Sainte Église Romaine et de Prélats, non seulement de France, mais encore d’autres pays divers et très éloignés, lettres auxquelles d’innombrables membres du clergé et pour ainsi dire le monde catholique tout entier ont adhéré ; dans la séance ordinaire de la Sainte Congrégation des Rites, tenue, le jour sous-indiqué, au Vatican, a été proposé à la discussion par l’Éme et Rme cardinal Lucide-Marie Parocchi, évêque d’Albano, Ponent de la Cause, le doute suivant, savoir : La commission d’Introduction 196de la Cause dans le cas et pour l’effet dont il s’agit doit-elle être signée !

Et la même Sainte Congrégation, toutes choses mûrement pesées et après avoir entendu de vive voix et par écrit le R. P. Augustin Caprara, Promoteur de la sainte foi, a jugé devoir répondre : La commission doit être signée, s’il plaît à Sa Sainteté. Le 27 janvier 1894.

Rapport ayant été fait de toutes ces choses à Notre Très-Saint Père le Pape Léon XIII par moi, soussigné, Cardinal préfet de la même Sainte Congrégation, Sa Sainteté, ratifiant le Rescrit de la Sainte Congrégation, a daigné signer de sa propre main la commission d’Introduction de la Cause de la Vénérable servante de Dieu Jeanne d’Arc, vierge, le même jour du même mois de la même année.

Cajetan card. Aloisi-Masella,
Préfet de la Sainte Congrégation des Rites.

Vincent Nussi,
Secrétaire de la Sainte Congrégation des Rites.

On trouverait difficilement, dans les annales des Causes de béatification, un décret de simple Introduction aussi étendu, aussi plein que celui-ci. Pour Jeanne d’Arc, il fallait cette spécialité. Le Siège apostolique sait donner à son verbe les modes nécessaires et les modes opportuns.

Verbe de vie, verbe de flamme, il a fait tressaillir l’Église de France ! Comme autrefois 197après ses triomphes, Jeanne a entraîné les peuples aux Te Deum laudamus de l’action de grâces ; et dans ses vieilles cathédrales la vraie France s’est ranimée sous un souffle puissant d’espérance et de foi.

Cette foi ne doit pas, sur le front de Jeanne, voir l’auréole : elle n’y est pas encore, mais l’espérance l’y découvre quand même ; et l’espérance c’est le vestibule de la supplication, de la prière exaucée.

Oui, prions la Vénérable Jeanne d’Arc. Les prohibitions apostoliques, si opportunément rappelées à l’enthousiasme français par la lettre du Cardinal Aloisi-Masella à l’Archevêque de Lyon125, défendent tout acte de culte liturgique, mais laissent toute liberté à la piété et au culte privés. Prions la Vénérable Jeanne ! Elle ne pouvait voir couler le sang de France, sans être en grande pitié : pourrait-elle aujourd’hui, sans en être émue et sans nous secourir, voir cette France aimée perdre non plus le sang de ses 198veines mais le sang de son âme, c’est-à-dire, cette foi vaillante et zélée, cette piété généreuse qui furent autrefois sa vie et sa vigueur ?

Le Décret ne pouvait manquer de provoquer quelques critiques : tout chef-d’œuvre a son Zoïle.

Le Zoïle, en l’espèce, s’est trouvé dans le corps universitaire. Nous ne voulons pas dire, pour autant, que ce Corps, dont plusieurs personnalités sont très respectables, ait hérité de toutes les vieilles rancœurs de l’ancienne Université gallicane et schismatique, moins encore de tous ses mérites.

Un professeur du lycée de Nancy, armé de son érudition de dictionnaire, a voulu faire savoir au public qu’il avait découvert deux erreurs, deux grosses erreurs dans le Décret : — 1° Jeanne d’Arc a été brûlée le 30 mai 1431 et le Concile de Bâle n’a été ouvert qu’en juillet de cette même année ; — 2° Ce Concile ne devint schismatique qu’en 1437. Donc, les Juges de Jeanne ne participaient pas au Concile schismatique de Bâle. Oh ! il dit cela, l’excellent professeur, avec toute la courtoisie d’un persiflage discret ; mais enfin il le dit.

Et il a tort de le dire !

199Le Concile, qui fut plus tard appelé Concile de Bâle, était convoqué d’abord à Pavie en 1423. La peste, qui éclata en Lombardie, obligea les Pères du Concile à se transporter à Sienne en Toscane. Les séances conciliaires furent inaugurées le 22 août 1423 ; mais les agissements des partisans d’Alphonse V provoquèrent une telle opposition au Pape que celui-ci rendit un décret de dissolution et intima une convocation ultérieure, dans sept ans, à Bâle, qui dépendait alors du siège métropolitain de Besançon.

Le 1er février 1431, Martin V choisit le Cardinal Julien Cesarini pour légat a latere au concile de Bâle, et Eugène IV, qui lui succéda le 4 mars, confirma cette nomination et la convocation immédiate du Concile à Bâle.

Ce Concile était donc intimé, commencé, suspendu et fixé à nouveau, à Bâle même, avant le Procès de Jeanne.

En second lieu, l’Université de Paris se montrait enflammée de zèle pour ce Concile, comme pour les autres où elle avait quelque espoir de faire prévaloir son opposition au Pape. Or, le procès de Jeanne n’était pas encore commencé que, ladite Université avait déjà choisi ses délégués pour le Concile. Et qui étaient ces délégués ? Ceux-là même que Pierre Cauchon appela auprès de lui (il était Protecteur 200des privilèges de l’Université) comme Juges ou assesseurs ou conseillers au procès de sa victime : Nicole Midi, Jean Beaupère, Thomas de Courcelles, Nicolas Loyseleur, Guillaume Evrard, etc. Celui-ci même se trouvait déjà à Bâle, et voulait probablement tenir le concile à lui tout seul, quand l’évêque de Beauvais le manda à Rouen.

En troisième lieu, dès les premières sessions, les délégués venus directement de Rouen à Bâle, posèrent la question de la supériorité du Concile sur le Pape et la résolurent dans un sens nettement schismatique126. Ils n’étaient pas devenus schismatiques en route : ils l’étaient déjà ; et leurs prouesses ultérieures mirent en plein jour les sentiments qui les animaient127. Schismatiques avant, schismatiques 201pendant le Concile : Dieu sait s’ils ne le furent pas jusqu’à leur dernier souffle. Et on comprend leur irritation quand Jeanne en appelait au Seigneur Pape de Rome.

À ces arguments péremptoires, nous ajouterons un confirmatur tiré du Procès lui-même : c’est que. les Juges de Jeanne regardaient le Concile de Bâle comme déjà ouvert !

Voici, entre autres, un extrait concluant :

Dans un des derniers interrogatoires, Isambart demanda à Jeanne, qui venait de déclarer qu’elle se soumettait au Seigneur Pape de Rome, mais non pas à l’évêque de Beauvais son ennemi capital, si elle voulait

se soumettre au Concile qui se célébrait, et où se trouvaient des prélats de son parti aussi bien que de l’autre128.

Donc, même avant la première session effective, le Concile de Bâle était ouvert. Le texte latin du Décret est inattaquable au point de vue historique comme au point de vue littéraire :

iniquorum sententia judicum, qui schismatico Basileæ Concilio studebant, flammis addicitur ;

[l’inique sentence des juges, qui soutenaient le Concile schismatique de Bâle, est condamnée au feu ;]

et si la traduction des journaux catholiques, (les juges qui participaient au concile schismatique) ne rend pas très exactement la nuance du latin, 202elle est pourtant, comme on vient de le voir, très justifiable au point de vue historique.

En commençant cette étude nous avons formulé l’espoir que la Vénérable Jeanne, habituée aux promptes victoires, hâterait, le plus possible, l’heure de sa béatification. Ceux qui sont maintenant chargés d’instruire les Procès apostoliques voudront, eux aussi, besogner vite et bien, d’autant plus que le Dossier pour l’Introduction de la Cause facilite grandement leur tache ultérieure.

Elle est encore immense cette tache : elle exige, avec l’activité, la science, le dévouement, un temps considérable. Combien, parmi ceux qui viennent de lire le Décret déclarant Jeanne Vénérable, pourront-ils lire celui qui la proclamera Bienheureuse ?

La légèreté du professeur de lycée parle des Procès de canonisation comme d’une manœuvre qui se fait en trois temps et trois mouvements : introduction, béatification, canonisation ; tout est là. Eh, oui : tout est là ! mais qu’y a-t-il dans tout cela ? On vient de voir, malgré les imperfections et les lacunes de notre analyse, les travaux vraiment gigantesques qui ont préparé ce simple affirmative pour l’introduction. Bien autre sera la préparation du Décret 203de béatification ! Les étapes, avant d’arriver au but, représentent au moins cinq nouveaux Procès, à savoir :

  1. Sur le non culte, c’est-à-dire que, depuis le décret d’introduction, Jeanne n’a été l’objet d’aucun culte ecclésiastique, comme nous l’avons expliqué ci-dessus ;
  2. Sur le Renom de sainteté en général, et ici le dossier actuel ne sera pas d’un médiocre secours aux Commissaires apostoliques ;
  3. Sur les Vertus héroïques en particulier. Ce procès, une fois terminé, par la curie d’Orléans, sera discuté par la Sainte Congrégation des Rites en trois séances ou congrégations distinctes : l’antépréparatoire, la préparatoire et enfin coram Sanctissimo, en présence du Saint-Père ;
  4. Sur les Miracles, et pour ce Procès qui ne sera pas le moins difficile129, les trois congrégations sont également requises ;
  5. Sur le Tuto, c’est-à-dire, un dernier procès établissant que le Saint-Siège peut en toute sécurité en venir à la béatification. À cette fin, la Sainte Congrégation des Rites reprend, pour un nouvel examen, tous les actes antérieurs, et les discute minutieusement, au point de vue du fond et 204de la procédure, avant d’en affirmer définitivement la validité et l’irréfragable certitude.

Dix lignes suffisent pour fixer ce programme : pour le remplir, il faudra des in-folios et des années ! Ne parlons ni de cinquante, ni de vingt-cinq ans : ces évaluations seraient risquées au point d’effleurer l’impertinence. Les justiciables de la Sainte Congrégation des Rites sont en paradis : ils ne perdent rien à attendre ; et le Siège apostolique en exigeant, avant de proclamer leur gloire ici-bas, les recherches les plus minutieuses, les examens les plus approfondis, les certitudes les mieux établies, le Siège apostolique, disons-nous, démontre ainsi ce que nous avons établi ailleurs, à savoir que si Dieu est admirable dans ses saints, l’Église aussi est admirable dans la manière dont elle les proclame : Mirabilis Deus, mirabilis ecclesia, in sanctis suis ! [Dieu merveilleux, Église merveilleuse, dans ses saints !]

205Johanna nostra est

Durant la Passion du divin Sauveur, Caïphe, le Pontife, prononça, sans en comprendre la mystérieuse profondeur, une parole qui résume la rédemption :

Il est expédient que, seul, un homme meure pour tout le peuple130.

À une autre passion, un autre Pontife, l’évêque de Beauvais, laissa échapper, lui aussi, et probablement sans en saisir de prime abord toute la portée, une exclamation qui domine le Procès de Jeanne et stigmatise, comme au fer chaud, l’iniquité du Juge :

Le Roy a ordonné que je fasse votre procès et je le ferai131 !

206Le roi, c’est-à-dire les rancœurs anglaises (Henri VI roi de France et d’Angleterre avait alors sept ans à peine) voulaient, pour la Libératrice d’Orléans, le déshonneur et le supplice : le servilisme de Pierre Cauchon, qui avait déjà foulé aux pieds les devoirs du patriotisme, allait, sans hésitation aucune, violer encore ses devoirs sacrés d’évêque.

La justice lui défendait d’accuser une innocente ; le roi le voulait : silence à la justice !

L’Église, par toutes ses lois et sa procédure, protestait contre sa prévarication ; le roi voulait : silence à l’Église ! Elle avait jeté sur ses épaules le manteau épiscopal ; il en usait pour couvrir et autoriser son iniquité. Était-il donc évêque, lui, pour servir l’Église avant le Roi ? ! Ce n’était pas Martin V, mais le duc de Bedford qui pouvait offrir à sa cupidité le siège de Rouen.

La conscience de ses co-juges ou assesseurs, choisis et épurés par lui-même, avait parfois des velléités de protestation ; le roi voulait : silence à la conscience ! Ses assesseurs n’avaient d’autre mission que de l’aider à satisfaire aux désirs du roi.

Le surnaturel divin s’affirmait, parfois éblouissant, dans les réponses, dans l’attitude, dans tout l’être de la victime ; silence au surnaturel, silence aux Voix, silence à Dieu ! Et, 207cette fois, ce n’est plus au nom du roi que le silence est imposé, mais… — pourquoi notre plume hésiterait-elle, puisque les lèvres du prévaricateur n’hésitèrent pas ? — au nom du diable !

Cette impudente sommation, l’évêque la fulmina publiquement ; et elle révèle trop bien les bassesses de son âme et l’innocence de sa victime pour que nous nous abstenions de citer plus complètement :

Vénérable et religieuse personne, frère Isambert de la Pierre… juré et examiné témoin… dit et dépose qu’une fois, luy et plusieurs autres (estant) présens, on admonestoit et sollicitoit ladicte Jehanne de se submettre à l’Église. Sur quoy, elle respondit, que voulontiers se submettoit au Sainct Père, requérant estre menée à luy, et que point ne se submettoit au jugement de ses ennemis. Et quant à ceste heure là, frère Isambert lui conseilla de se submettre au général concile de Basle, ladicte Jeanne luy demanda : Que estre général Concile ? Respondit cellui qui parle (Isambert lui-même) que c’estoit congrégacion de toute l’Église universelle et la chrestienté, et qu’en ce concile y en avoit autant de sa part (de son parti à elle, Jeanne) comme de la part des Anglois.

Cela oy (ouï) et entendu elle commença à crier : Ô, puisqu’en ce lieu sont aucuns (quelques-uns) 208de nostre parti, je vueil bien me rendre et submettre au concile de Basle. Et tout incontinent, par grant despit et indignacion, l’évesque de Beauvais commença à crier : Taisez-vous de par le dyable ! et dist au notaire qu’il se gardast bien d’escrire la submission qu’elle avoit faicte au général concile de Basle. A raison de ces choses et plusieurs autres, les Anglois et leurs officiers menacèrent horriblement ledit frère Isambert, tellement que s’il ne se taisoit, le gecteroient en Seine132.

Tout le drame de Rouen est dans ces quelques lignes : la haine anglaise commande, le servilisme de Pierre Cauchon obéit ; le Seigneur Pape de Rome est rejeté ; l’autorité de l’Église universelle est méconnue, et l’unique autorité, invoquée par l’indigne évêque pour récuser l’Église et le Pape, pour étouffer le surnaturel, cette unique autorité est celle du diable ! L’ennemi de St Michel qui envoyait Jeanne à la France, prend, grâce à l’évêque, sa revanche sur le bûcher de Rouen.

D’autre part, la victime est tout entière, elle aussi, dans cet élan de soumission : Je ne suis pas de votre parti, mais de celui de l’Église universelle ; je ne suis pas vôtre, mais du Seigneur 209Pape de Rome. Au bûcher, la française ; au bûcher, la papiste ; au bûcher, l’envoyée de Dieu, ou plutôt au déshonneur d’abord, aux flammes ensuite ! Mais les flammes ne brûlèrent pas l’appel de sa confiance filiale au Vicaire de Jésus-Christ : Je ne suis pas vôtre, je suis du Pape de Rome. Et le Pape de Rome, après vingt-cinq ans, répondit : Non, elle n’était pas à eux ; et le Pape de Rome, après quatre siècles, répond : Oui, elle est à nous : Johanna nostra est. Seul, le Vicaire de Dieu, ici-bas, peut dire au monde de ces mots qui ressuscitent la vérité du passé et illuminent les espérances de l’avenir. Les vaines clameurs n’y pourront rien : Jeanne est à nous.

Elle est à nous par son baptême, à nous par sa foi catholique et les vertus que cette foi féconda dans son âme virginale ; à nous par les apparitions de nos saints et de nos saintes ; à nous par la mission que notre Dieu confia à sa piété et à sa vaillance ; à nous par les Lettres de créance signées à Poitiers ; à nous par son zèle d’apôtre et sa fidélité à nos sacrements ; à nous par ses triomphes qui faisaient jaillir de son âme non pas les bulletins des réussites superbes mais le Te Deum attendri de l’humilité ; à nous par les acclamations de nos pères qui, aux jours d’indicible tristesse, 210quand ils avaient encore quelques gouttes de sang pour la dure épée de l’ennemi mais plus de larmes pour leur fatale déchéance, se retrouvèrent debout, ranimés et forts, devant la bannière dont les plis mêmes invoquaient Jésus, Marie ; à nous par ses tribulations et son supplice, car sa résignation ne fut pas celle d’une héroïne mais celle d’une sainte ; à nous par l’Acte apostolique qui proclama son innocence et flétrit les juges prévaricateurs ; à nous enfin, par l’hymne de reconnaissance qui, à cette heure, d’Arras à Tarbes, de Quimper à Saint-Dié attire devant nos autels tout un peuple en liesse.

Nous ne voulons ni la confisquer, ni la céder ; moins encore nous ne voulons l’amoindrir. Nous la laissons telle que notre Dieu l’a faite sur son piédestal de libératrice et de vénérable, et nous désirons, de toute notre âme, que son front reçoive, pour suprême ornement de sa céleste beauté, le nimbe radieux. Ce nimbe déplaira peut-être aux prudentes lâchetés. Eh ! qu’importe ?

Jeanne pardonna à ceux de l’autre parti. Faisons de même ; pardonnons et plaignons les légèretés ou les illusions de ceux qui voudraient la rapetisser, mais gardons-la telle qu’elle est ; vénérons-la telle que l’Église nous la montrera.

211Quant aux sectaires, dont les mensonges éhontés affirment une opposition entre Jeanne et l’Église, ils savent bien que notre Jeanne les a en horreur. Ce qu’ils blasphèment, elle l’a adoré ; ce qu’ils recherchent, elle l’a détesté ; et si au ciel on pouvait souffrir, Jeanne souffrirait de voir que Dieu tarde à les bouter tous hors de doulce France.

Quel illogisme, ou plutôt quelle tartuferie, dans toutes ces colères juives ou enjuivées contre le triste évêque de Beauvais ! Pierre Cauchon, ce honni de l’Église, mais c’est leur homme à eux ! Aujourd’hui, il signerait des deux mains tous leurs articles, et son rictus soulignerait chacune de leurs thèses : Jeanne n’a pas été une envoyée de Dieu ; Jeanne ne s’est pas soumise à l’Église ; Jeanne n’a pas suivi sa carrière sans laisser aux buissons du chemin quelques lambeaux de sa pureté ; Jeanne n’a pas accepté de contrôle sur ses convictions individuelles et ses libres déterminations. Ne sont-ce pas, sous une autre forme, les accusations mêmes de Pierre Cauchon ? ! Sors de la tombe, prévaricateur mitré, et prête l’oreille à ces clameurs : après quatre siècles, elles te donnent raison contre ta victime ; elles justifient ta forfaiture, et tu dois applaudir !

Cette Jeanne que la haine inventa, que l’histoire rejette, et que le rationalisme admire, nous n’en voulons pas.

212Johanna nostra est. Qu’ils prennent aussi pour eux celle de leurs rêves, de leurs systèmes, de leurs ignorances : la libertine de Voltaire, l’illuminée de Henri Martin, l’hallucinée de Michelet, la puissante stratège de Villiaumé, ou l’aventurière de Gaston Save. Nous ne voulons pour nous que celle de la vérité et de l’histoire ; nous la voulons comme elle est, avec sa grandeur de libératrice et sa beauté de sainte, et nous expliquons son héroïsme de vertu comme ses prodiges de guerrière par la miséricorde de Dieu qui, pour sauver la France, prédestina notre Jeanne au triomphe et au supplice.

Son Sacre à elle, les Anges qui, tant de fois, l’avaient visitée, se réservaient de le faire au paradis. Elle sourit maintenant à notre vénération et à nos espoirs : elle se détourne avec dégoût de ceux qui veulent la saluer et qui ne s’inclinent pas tout d’abord devant le Jhesus Maria de sa bannière, qui, dans leurs fêtes en son honneur, ne voudraient pas répéter, comme elle, ces noms bénis qui furent sa force et sa consolation.

213Appendice

I.
Sur la prétendue abjuration de la Vénérable Jeanne d’Arc

(Extrait du Sommaire principal du Dossier)

Dans la session du 24 mai les Juges demandaient à la Servante de Dieu si elle voulait rétracter tout ce qu’elle avait dit et tous les faits que lui reprochaient les gens d’Église. Elle répondit : Je m’en rapporte à Dieu et à Notre Saint-Père le Pape. Mais on lui dit que cette réponse ne suffisait pas, qu’on ne pouvait aller si loin interpeller le Saint-Père, que chaque Ordinaire était juge dans son propre diocèse, et que partant il fallait qu’elle s’en remît à notre Sainte-Mère l’Église et qu’elle acceptât ce que le Clergé et le peuple après mûr examen pensaient et décidaient de ses dits et gestes. Trois fois elle reçut ce même avertissement. Après quoi, lecture de la sentence à peine commencée, elle dit qu’elle voulait bien accepter tout ce que les Juges et l’Église voudraient dire et décider, et qu’elle voulait obéir en tout à leurs ordres et volonté. Alors, en présence des gens susdits et d’une grande multitude de personnes qui y assistaient, elle fit sa rétractation et abjuration en la manière qui suit, et dit plusieurs fois, que puisque les Gens d’Église disaient 214que ses apparitions et révélations ne pouvaient être ni crues ni soutenues, elle ne voulait pas les soutenir, mais qu’en tout elle s’en rapportait aux Juges et à notre Sainte-Mère l’Église. Tels sont les préliminaires de l’acte qu’on a désigné des noms d’abjuration et de rétractation. Ils ne signifient nullement, en l’espèce, que Jeanne ait abjuré la religion catholique, les commandements de Dieu et de l’Église, ni l’autorité de notre Saint-Père le Pape, puisqu’elle a déclaré, au contraire, de soumettre tous ses actes et toutes ses paroles à notre Mère l’Église et à notre Saint-Père le Pape : c’est-à-dire à l’Église universelle et au Pape de Rome, et non à l’Église ni aux Ecclésiastiques de Rouen, représentés par Cauchon et ses affidés. Ces mots abjuration et rétractation, considérés dans leur sens propre et restreint, ne s’appliquent donc exclusivement qu’aux actes et paroles de Jeanne ayant trait aux apparitions et révélations de ses célestes messagers : apparitions et révélations qu’elle a jusqu’à la fin affirmé avoir eues, mais dont l’origine et la signification surnaturelle pouvaient faire naître des doutes dans son esprit, en face des contestations, des arguties et des négations dont elles étaient l’objet de la part de ses Juges133. Pour éclairer son esprit et découvrir le chemin, Jeanne demande 215donc la lumière à notre Sainte-Mère l’Église et à notre Saint-Père le Pape : on lui répond que l’Église c’est chaque Évêque dans son Diocèse et que le Pape de Rome est trop loin ! Comment sortira-t-elle de ce cercle où on veut la renfermer ? Elle en est sortie en déclarant qu’elle s’en rapportait à notre Sainte-Mère l’Église. Les Juges retinrent la Cause, puisque l’Église de Rouen refusait pour un motif inadmissible de soumettre le procès au Tribunal du Saint-Père à Rome.

Voici en quels termes la Servante de Dieu, d’après le témoignage de ses ennemis, aurait rétracté ses actes et paroles, ses apparitions et révélations ; c’est le document officiel inséré aux Actes du procès de condamnation134.

Toute personne qui a erré et mespris en la foy chrestienne, et depuis, par la grâce de Dieu, est retournée en lumière de vérité et à l’union de nostre mère saincte Église, se doit moult bien garder que l’ennemi d’enfer ne le reboute et face recheoir en erreur et en damnacion.

Pour ceste cause, je Jehanne, communement appellée la Pucelle, misérable pécherresse, après ce que j’ay cogneu les las (les lacs ou filets) de erreur auquels je estoie tenue, et que, par la grâce de Dieu, suis retournée à nostre mère saincte Église, affin que on voye que non pas fainctement, mais de bon cuer et de bonne volonté, suis retournée à icelle, je confesse que j’ay très griefment péchié, en faignant mençongeusement avoir eu révélacions et apparicions de par Dieu, par les anges et saincte Katherine et saincte 216Marguerite, en séduisant les autres, en créant folement et légièrement, en faisant supersticieuses divinacions, en blasphemant Dieu, ses Sains et ses Sainctes ; en trespassant la loy divine, la saincte Escripture, les droiz canons ; en portant habit dissolu, difforme et des honneste contre la décence de nature, et cheveux rongnez en ront en guise de homme, contre toute honnesteté du sexe de femme ; en portant aussi armeures par grant présumpcion ; en désirant crueusement effusion de sang humain ; en disant que toutes ces choses j’ay fait par le commandement de Dieu, des angelz et des Sainctes dessusdictes, et que en ces choses j’ay bien fait et n’ay point mespris ; en mesprisant Dieu et ses sacremens ; en faisant sédicions et ydolatrant, par aourer, mauvais esperis, et en invocant iceulx. Confesse aussi que j’ay esté scismatique et par plusieurs manières ay erré en la foy. Lesquelz crimes et erreurs de bon cuer et sans ficcion, je, de la grâce de nostre Seigneur, retournée à voye de vérité, par la saincte doctrine et par le bon conseil de vous et des docteurs et maistres que m’avez envoyez, abjure de ceste regnie, et de tout y renonce et m’en dépars. Et sur toutes ces choses devant dictes, me soubzmetz à la correccion, disposicion, amendement et totale déterminacion de nostre mère saincte Église et de vostre bonne justice. Aussi je vous jure et prometz à monseigneur saint Pierre, prince des apostres, à nostre saint père le Pape de Romme, son vicaire, et à ses successeurs, et à vous, mes seigneurs, révérend père en Dieu, monseigneur l’évesque de Beauvais, et religieuse personne frère Jehan Le Maistre, vicaire de monseigneur l’Inquisiteur de la foy, comme à mes juges, que jamais, par quelque enhortement ou autre manière, ne retourneray aux erreurs devant diz, desquels il a pleu à nostre 217Seigneur moy délivrer et oster ; mais à toujours demourray en l’union de nostre mère saincte Église, et en l’obéissance de nostre saint père le Pape de Romme. Et cecy je diz, afferme et jure par Dieu le Tout-Puissant, et par ces sains Évangiles. Et en signe de ce, j’ay signé ceste cédule de mon signe. Ainsi signée : Jehanne ✝

Pour quiconque a étudié, analysé et réuni en une synthèse générale toutes les déclarations faites par la Servante de Dieu, depuis l’ouverture des interrogatoires le 21 février 1431 jusqu’au 24 mai, c’est-à-dire durant plus de trois mois ; pour quiconque a suivi avec attention les pas de la vierge de Domrémy, depuis l’âge de treize ans jusqu’à la prison de Rouen, et entendu les paroles qu’elle a dites en toute circonstance, d’après les témoignages et chroniqueurs contemporains : la dictée de la cédule d’abjuration et de rétractation que nous venons de donner, est fausse, à moins que Jeanne d’Arc n’ait perdu complètement la raison dans les derniers jours, ou bien n’ait été qu’une aventurière, une fourbe et une menteuse ! C’est de ce dilemme qu’il nous faut sortir avant tout. Or, Jeanne n’avait pas perdu la raison, car elle a donné les preuves les plus indiscutables de la pleine possession et lucidité de cette raison jusqu’au moment suprême où elle expira sur le bûcher : ses ennemis eux-mêmes l’ont certifié dans l’information posthume (quædam acta posterius) et ont ainsi fourni les arguments contre leur propre cause135. Ou bien, avons-nous 218dit, il faudrait que Jeanne ne fût qu’une aventurière, une fourbe et une menteuse, c’est-à-dire qu’elle ait commis tous les méfaits que lui reprochaient ses accusateurs ; mais il n’y a qu’une voix et qu’un cri dans le monde entier pour protester contre ces abominables imputations, réprouvées et condamnées par la conscience universelle !

Ainsi donc la vie de Jeanne avant le 24 mai 1431, mise en confrontation avec la cédule d’abjuration, et spécialement depuis les paroles — en faignant mençongeusement jusqu’à celles-ci — ay erré en la foi, — constitue une antithèse et une contradiction impossible à admettre. Et 25 ans après le supplice de Jeanne, la sentence de réhabilitation du 7 Juillet 1456, rendue après les consultations, discussions, délibérations et décisions les plus solennelles, décrétait en ces termes :

Nous disons, nous prononçons, nous jugeons, nous déclarons que les dits procès (chute et rechute) et sentences, entachés de dol, de calomnie, d’iniquité, de contradiction, d’erreur manifeste en droit et en fait, de même que la susdite abjuration, les exécutions et toutes les suites, ont été, doivent être regardées, et sont (en droit) nuls et nulles, sans valeur, sans force, et non avenues.

Les Juges de la réhabilitation ont donc censuré et réprouvé tous les actes des deux procès de condamnation, y compris la cédule d’abjuration, en leur infligeant la même marque d’infamie ; ce qui confirme pleinement toutes nos déductions précédentes.

Mais il nous faut encore aller plus avant et élucider complètement cette question essentielle qui se rattache si intimement à la Cause de Béatification et Canonisation de la Servante de Dieu.

Plusieurs catholiques, très honorables et fervents, éprouvent des scrupules au sujet de l’abjuration, et sans 219vouloir aller au fond de la question, s’en tiennent au mot et à l’apparence. Jeanne, disent-ils, a abjuré ; Jeanne s’est rétractée : donc elle ne peut être Sainte. Avant de tirer cette conclusion, il est de la prudence la plus élémentaire d’examiner ce que contenait, ou plutôt ce que ne contenait pas la formule de la prétendue abjuration.

Jusqu’ici nous ne nous sommes servis que de considérations morales et logiques pour démontrer qu’il était impossible que Jeanne ait prononcé une abjuration ou rétractation conçue dans les termes de la cédule officielle. Nous le prouverons maintenant par les témoignages recueillis dans les procès de réhabilitation.

Jean Massieu, prêtre, qui fut l’huissier du procès de condamnation, a déposé, sous la foi du serment, ce qui suit :

qu’il fut chargé de donner lecture de la cédule d’abjuration à Jeanne, qu’il sait et reconnaît que cette cédule contenait environ huit lignes et pas davantage, qu’il sait pertinemment que ce n’est pas celle qui est insérée au procès, parce qu’il en a lu (c’est lui-même qui parle) une autre que Jeanne signa, et qui est différente de celle qui fut insérée au procès.

Nicolas Taquel, prêtre, un des trois notaires du procès de condamnation, a déposé sous la foi du serment ce qui suit :

il était très près de la victime, sur la place Saint-Ouen ; il se rappelle bien avoir vu Jeanne quand Massieu lui lut la cédule d’abjuration, qui contenait comme six lignes de gros caractères ; cette cédule écrite en français commençait par ces paroles : Je Jehanne136.

(Suivent les dépositions déjà citées ci-dessus de Guillaume Delachambre, Jean Monnet et Pierre Miget.)

Nous avons donc la déclaration, faite sous serment, 220de quatre témoins qui affirment que la cédule d’abjuration, lue à la Servante de Dieu sur la place Saint-Ouen, signée par elle, ne contenait d’une manière ou d’une autre pas plus de six ou huit lignes d’écriture ; deux d’entre eux corroborent cette déclaration par ces mots : la cédule était petite ; mais voici un témoignage encore plus catégorique et qui enlève toute incertitude : c’est celui d’un cinquième témoin affirmant que la lecture de la cédule ne dura que le temps nécessaire pour dire un Pater noster.

Or la cédule officielle insérée dans le procès, et dont nous venons de donner la teneur, contient quatre cent quatre-vingt-dix paroles : le Pater noster n’en contient que cinquante ; donc la lecture de la cédule que Jeanne a signée sur la place de Saint-Ouen aurait été dix fois plus courte que la cédule officielle insérée au procès. Pierre Miget, Prieur de Longueville-Giffard, qui sans doute savait et disait chaque jour son Pater, n’a pu commettre une erreur aussi énorme, et la clarté et simplicité de son affirmation mettent la solution en pleine lumière.

Jean Massieu, l’huissier du procès qui a donné lecture de la cédule à Jeanne, en présence des Juges, affirme d’autre part sous la foi du serment que

Jeanne a signé une cédule différente de celle qui fut insérée au procès137.

Donc cette dernière est fausse ; fausse dans son extension, fausse dans son texte, fausse dans sa signature, fausse en tout et pour tout ! ! ! L’honnête et consciencieux L’Averdy déclare fausse la cédule d’abjuration qui fut insérée au procès de condamnation, et démontre l’évidence de cette falsification par des raisons qu’il développe longuement et logiquement.

L’Évêque 221 de Beauvais, [dit-il], n’osa pas faire lire la fausse abjuration par-devant Jeanne, bien que les Assesseurs l’eussent expressément décidé ; il craignit de s’exposer au risque d’un démenti dont une partie des assistants aurait dû reconnaître la vérité. Il se mit à couvert des reproches en commettant ainsi un nouveau crime devenu nécessaire, pour achever sans danger de consommer l’injustice.

Nous avons cherché, sans pouvoir la trouver, la cause qui a pu pousser un critique moderne sérieux à soutenir la thèse contraire, et c’est avec un réel et bien douloureux étonnement que nous avons lu les tristes pages qu’il a consacrées à défendre, en cette occasion, le juge Cauchon et ses complices. (Il s’agit de Quicherat138.)

Quicherat hésite devant de telles énormités ! Ainsi Jeanne a été condamnée au feu comme récidive, pour avoir forfait à son abjuration ou rétractation, et le procès ne contient pas le document littéral et authentique qui justifie sa condamnation ! On nous donne une longue copie amplifiée de la cédule, mais l’original est soigneusement caché et soustrait aux regards indiscrets ! Cherchez dans la longue cédule du procès la rétractation proprement dite et montrez-nous la ! Où est-elle ? où 222commence-t-elle ? où finit-elle ? quels en sont les termes ? Quels sont les crimes dont Jeanne est accusée ? Désignez-les par leurs noms : on n’envoie pas à la mort sur un si, sur une hypothèse, sur un brin d’écrit, dans lequel on ne peut distinguer nettement la faute que le Juge lui impute…

La formule du procès est là sous nous yeux, et, la main sur la conscience, devant Dieu, nous déclarons qu’il est impossible de faire accorder cette formule avec la théorie et les suppositions de Quicherat pleines d’indulgence pour les bourreaux de la Servante de Dieu.

II.
Quelle était probablement la formule vraie ?

On pourrait par contre, d’après toutes ces dépositions, reconstituer approximativement et quant à la substance, les six à sept lignes de l’acte vrai de la prétendue abjuration, à peu près en ces termes :

Je Jehanne, communement appellée la Pucelle, confesse que j’ay souventes fois péchié ; de tout quoy je demande perdon a messire nostre Seigneur et a Nostre Dame Saincte Marie et aux benoits sains et sainctes du Paradis. Ensuite de quoy, je me vueil soubmettre a nostre mère saincte Église pour tous mes faicts et dicts et en l’obéissance de nostre Saint Père le Pape de Romme. Et point ne basphèmeray-je ne Dieu, ne Sainte Marie, ne Sains et Sainctes (ce fut sans doute cette promesse de ne pas blasphèmer qui, lue par Massieu, fit sourire Jeanne !) Et plus ne porteray-je habits de homme ne armeures ne cheveulx en ront rongnés. Et 223ainsy je jure par ces Sains Évangiles. Et en signe de ce, j’ay signé ceste cédule de mon signe : Jehanne.

Cette formule que nous reconstituons soit avec les mots de la formule amplifiée, soit avec certaines réponses textuelles de Jeanne, ne fait pas la moindre allusion aux Voix, aux révélations de l’Envoyée de Dieu. Le triste Juge savait que sa victime ne consentirait jamais à signer une phrase quelconque dont la contexture eut jeté, ne fut-ce que l’ombre d’un doute sur sa mission divine et ses Conseils surnaturels. Il devait donc s’en tenir à un aveu général de péché, qui serait accepté par l’humilité de la sainte enfant.

Il ne devait pas non plus préciser que, dans sa pensée, la saincte Mère Église c’était lui-même, comme il l’avait dit durant le Procès : Jeanne hésita, et elle avait raison, car là était le piège, mais habilement dissimulé par la clause relative au seigneur Pape de Rome, clause qui, dans la pensée de Jeanne, était une garantie. Sa droiture ne pouvait soupçonner que le prévaricateur avait déjà en main sans doute l’autre formule nécessaire à son iniquité. Et aujourd’hui, aux quatre coins de la terre, le nom de la victime est acclamé ; le nom de son Juge est honni : Iustus es, Domine, et rectum judicium tuum ! [Tu es juste, Seigneur, et ton jugement est juste !]

Notes

  1. [1]

    La Position est l’ensemble des documents sur un Procès déterminé : Position sur l’introduction ; Position sur le non-culte, sur les vertus, les miracles, etc., etc. Le mot français qui s’approche le plus du sens serait, ce nous semble : le Dossier. Le Dossier, ordinairement imprimé, est remis aux Éminentissimes Cardinaux et aux autres membres de la Sainte Congrégation. Il contient, outre les pièces intégralement reproduites qui sont nécessaires au Procès, un abrégé des dépositions des témoins : mais les dépositions originales forment un nombre parfois considérable de volumes in-folio manuscrits.

  2. [2]

    Cette Étude a été publiée, sauf quelques additions ultérieures, dans les Analecta ecclesiastica de Rome. Le premier article, sous le titre même du frontispice et avec l’épigraphe : Joanna nostra est, parut dans le fascicule de février 1894.

  3. [3]

    Introduction à la vie dévote : Préface.

  4. [4]

    Ecclesiasticus XXXIX, 19 :

    Florete, flores, quasi lilium, et date odorem, et frondete in gratiam, et collaudate canticum et benedicite Dominum in operibus suis.

  5. [5]

    Perceval de Cagny. C’est au récit de cet incomparable chroniqueur que le présent Répertoire emprunte une bonne part des dates. La chronique de Perceval a été insérée par Quicherat en tête de son IVe volume. Pour les dates au sujet desquelles les auteurs sont en divergence nous avons, le plus souvent, préféré celles que donne Perceval.

  6. [6]

    Durant l’emprisonnement de Jeanne au château de Rouen, la duchesse de Bedford, soit par simple curiosité, soit peut-être délicatesse de femme, fit visiter Jeanne la Pucelle par deux matrones. Elles déclarèrent, après examen, que Jeanne avait pleinement droit au nom de Pucelle [Vierge] qui lui était donné ; et la duchesse fit donner des ordres, plus ou moins obéis, que nul geôlier ne se permit le moindre attentat contre la prisonnière. Nul doute donc sur l’innocence de Jeanne durant sa vie militaire. Et nous avons ainsi, par une disposition secrète de la divine Providence, la double attestation de sa pureté virginale au début et à la consommation de sa mission.

  7. [7]

    Page 1-76.

  8. [8]

    Synopsis vitæ Servæ Dei.

  9. [9]

    Bened. XIV, De Beatif. et Canon. SS. Lib. III, C. 45, 9. :

    Quomodo autem factum sit, ut virgini rusticæ et quæ patris sui greges ducebat, ducendi exercitus cura commissa sit, nonaliter explicari potest quam si ad spiritum propheticum referatur, quo fuisse praeditam deprehensum est iudicio doctorum et theologorum.

    Le grand Pontife, par ces derniers mots, rappelle l’examen auquel Jeanne fut soumise, par ordre du Roi, devant les Docteurs de l’Université de Poitiers.

  10. [10]

    Ibid., p. 63 :

    de Obitu et fama sanctitatis.

  11. [11]

    Le même sans doute qui avait pris et dirigé la main de Jeanne pour lui faire signer la prétendue abjuration.

  12. [12]

    De Gratiis et miraculis post obitum.

  13. [13]

    Epilogus, p. 33.

  14. [14]

    Summarium super dubio : An sit signanda Commissio introd. Causæ, p. 1-212. — Summarium additionale excerptum ex Processu Aureliæ condito anno 1885, p. 1-349.

  15. [15]

    Nous citons parmi eux MM. :

    • Robert Deschamps, Conseiller à la Cour d’Appel d’Orléans ;
    • le Comte Anatole de Pibrac ;
    • Alexis-Aignan Germon, Président du Tribunal de commerce ;
    • Paul-Eugène Homberg, Conseiller à la Cour d’Appel ;
    • Henri Genty, Président du Tribunal ;
    • le Baron Achille de Morogues ;
    • Théophile Cochart, professeur au Grand Séminaire ;
    • Maxime de Laage de la Rocheterie ;
    • etc., etc.
  16. [16]

    Jeanne d’Arc par Henri Martin de l’Académie française. Nouvelle édition illustrée de 20 gravures sur bois, (qui sont bien médiocres, y compris celle de la fausse-garde !).

  17. [17]

    Étude sur Jeanne d’Arc et les principaux systèmes qui contestent son inspiration surnaturelle et son Orthodoxie par le Comte de Bourbon-Lignières, 2e édit., Paris 1894, p. 197 au bas de la note.

    Ce n’est pas seulement à ce passage mais dans plusieurs chapitres de la Ie et IIe partie que l’auteur de cette étude, si calme, si forte, si pleine, réfute victorieusement les théories fantaisistes de Henri Martin, comme il réfute, ailleurs, d’autres théories moins spécieuses mais non moins capricieuses de ceux qui s’obstinent à trouver et à montrer une Jeanne d’Arc autre que celle de la vérité.

  18. [18]

    Dans les Procès de Béatification, les témoins d’office sont cités non par le postulateur, mais par le tribunal lui-même, c’est-à-dire par le promoteur fiscal, en vue principalement de confirmer ou d’infirmer les dépositions des autres témoins. (A. Lauri, Codex pro Postulatoribus, p. II, Monita VI. p. 50).

  19. [19]

    Dans l’Univers du 15 février 1894, M. d’Assigny, à propos du livre de M. l’abbé Nalot (Recherches sur la nationalité de Jeanne) expose très nettement les raisons pour et les prétextes contre la nationalité française de Jeanne, et il donne le vrai mot de la conclusion : causa finita est.

    Aux preuves ci-dessus énumérées, et à celles que donnent d’autres auteurs, il serait bon d’ajouter, au moins comme induction très significative, le fait dont nous avons dit un mot au Répertoire. Pour se rendre de Vaucouleurs à Nancy, Jeanne eut besoin d’un sauf-conduit. Donc, elle ne se considérait pas et elle n’était pas considérée comme sujette de Charles II, Duc de Lorraine.

  20. [20]

    Déposition du témoin XI, p. 42 du Summarium ; aux Procès in extenso, fol. 322. La déposition de M. Wallon, dans le présent dossier, est traduite en italien. De l’italien, nous la remettons en français, et partant nous ne pouvons garantir que la conformité des deux textes mais non l’identité de formule. Cette traduction du français en latin ou en italien n’est plus requise. Un décret du 19 janvier 1891, autorise le Cardinal Préfet des Rites à accorder la dispense de cette traduction dans les Procès soit Ordinaires soit Apostoliques.

  21. [21]

    Summarium, n. XII, § 56-61.

  22. [22]

    Matthieu X, 19-20.

  23. [23]

    Quicherat, Procès, t. III, p. 204.

  24. [24]

    Nous verrons ci-dessous quelle était cette conviction intime.

  25. [25]

    Quicherat, Procès, t. I, p. 101.

  26. [26]

    Summarium, XIV, p. 121.

  27. [27]

    Nous traduisons tel quel le mot italien. Si les doctes auteurs de cette dissertation ont employé, en français, le mot rétractation, leur plume — qu’il nous soit permis de le dire salva reverentia — a mal servi leur pensée. Le mot uniquement vrai, dans l’espèce, est celui de rectification, et non de rétractation.

  28. [28]

    Summarium additionale, excerptum ex Processu Aureliae condito, anno 1885… — Pars Prima continens documenta judicialia (1-307).

    Cette première partie s’ouvre par le catalogue des nouveaux témoins, interrogés en 1885 et 1888, parmi lesquels nous relevons :

    • le chevalier Rémi Boucher de Molandon ;
    • Mgr Camille-Albert de Briey, évêque de Saint-Dié ;
    • Xavier Rivet, chanoine d’Orléans, et plusieurs autres de ses collègues du Chapitre ;
    • R. Mère Anna de la Boulaye, Supérieure des Visitandines d’Orléans, et plusieurs de ses filles ;
    • M. Émile Arqué, médecin, et son confrère J. B. Albin Baillé ;
    • etc., etc.
  29. [29]

    Summarium additionale, n. II.

  30. [30]

    D’après le Summarium, nos 5965 et 5966 du fonds latin.

  31. [31]

    Cataloguée, d’après le Dossier, sous le n° 5970 du fonds latin.

  32. [32]

    Sous le n° 17013, ou 138 du fonds de Notre-Dame.

  33. [33]

    Summarium additionale, n II. § 3 et seqq.

  34. [34]

    Summarium additionale, n II. § 8 etc.

  35. [35]

    Les quelques variantes, signalées tout récemment par le R. P. Ayroles, S. J. (La Paysanne et l’Inspirée, Appendice J.) ne sauraient infirmer aucunement, ce nous semble, la conclusion des deux délégués. Le P. Ayroles déclare lui-même qu’il n’a eu nulle intention de contester, pour ces divergences, le mérite de ce grand travail paléographique.

  36. [36]

    Cette regrettable lacune a été, depuis Quicherat, heureusement comblée. Le P. Jean-Baptiste Ayroles, S. J. dans son beau livre : La Pucelle devant l’Église de son temps, en a donné des analyses très larges et souvent des transcriptions textuelles. Les PP. Balme et Belon, dans leur étude si consciencieuse et si forte, ont publié et commenté le Summarium de Jean Bréhal et sa Recollectio : la conclusion de cet admirable travail est celle dont nous parlerons ci-dessous. Avant eux, et peu après le P. Ayroles, M. Pierre Lanéry d’Arc a fait paraître les Mémoires et consultations en faveur de Jeanne d’Arc, par les Juges du Procès de réhabilitation, d’après les manuscrits authentiques.

  37. [37]

    Ces juristes avaient été choisis parmi ceux dont le nom seul faisait autorité, notamment, outre Jean Bréhal, le doyen de Noyon Guillaume Bouillé, le Prieur des dominicains de Vienne, Paul Pontanus, avocat consistorial de la Rote romaine, Théodore de Lellis, juge de ce suprême tribunal romain, qui mourut à 58 ans, au moment où Paul II, en témoignage de ses rares mérites, allait l’élever au cardinalat ; Robert Cybole qui, malgré les hostilités de ses confrères de l’Université, jouissait de la plus haute réputation : vir sane inter doctos et eruditos sapientissimus ; Jean de Montigny maître ès-arts et docteur en droit de l’Université ; Thomas Basin, d’abord professeur de Droit à Caen, puis évêque de Lisieux et enfin archevêque de Césarée ; le franciscain Élie de Bourdeilles, fils du sénéchal royal Armand de Bourdeilles, qui, à 19 ans, soutint devant le chapitre de sa Province, les thèses les plus difficiles de la théologie, évêque de Périgueux à 24 ans, puis archevêque de Tours et enfin Cardinal. (Il est présentement question d’ouvrir un Procès super confirmatione cultus B. Eliæ de Bourdeilles.) Citons encore Martin Berruyer, évêque du Mans, et Jean Bochard de Vaucelles, évêque d’Avranches. (Cf. Jean Bréhal, par les PP. Balme et BeIon, et surtout : La Pucelle devant l’Église de son temps, par le P. Ayroles.)

  38. [38]

    Voir ci-dessus le Répertoire chronologique : 7 novembre 1455.

  39. [39]

    Chose admirable et providentielle ! L’évènement le plus extraordinaire, le plus surnaturel qui figure dans les annales humaines est en même temps le plus authentique et le plus incontestable. Ce n’est pas seulement la certitude historique, c’est la certitude juridique qui garantit jusqu’aux moindres détails de cette vie merveilleuse.

    — (Le Cardinal Pie, en 1844, cité par le P. Ayroles : La Pucelle devant l’Église de son temps, Introduction, VII.)

  40. [40]

    Summarium, n. XIV, p. 187.

  41. [41]

    Jeanne d’Arc par H. Martin. Fragments servant de complément à l’Histoire de Jeanne d’Arc : N. II.

  42. [42]

    Jeanne d’Arc, par Henri Martin, p. 61.

  43. [43]

    Étrange influence des jugements tout faits ! Quelques historiographes de Jeanne, animés d’un excellent esprit, ont répété, sur la foi de Henri Martin et autres, que les Juges de Rouen s’étaient astreints à la procédure inquisitoriale, quant à la lettre mais non quant à l’esprit. Esprit, lettre, forme et fond, tout y fut violé.

  44. [44]

    Aux Juges de Rouen qui la menaçaient du bûcher, Jeanne avait répondu qu’ils ne le feraient point sans être frappés en leur âme et en leur corps. Et ils furent frappés ! Pierre Cauchon mourut d’apoplexie foudroyante ; Guillaume d’Estivet fut trouvé étouffé dans un bourbier ; le traître Nicolas Loyseleur quitta Rouen pour aller soutenir, au concile de Bâle, ses doctrines de révolté et de schismatique : à peine arrivé à Bâle, il tomba frappé de mort subite ; Nicole Midi, le prédicant de l’exhortation dernière à Jeanne, fut atteint d’une lèpre horrible qu’il porta jusqu’au tombeau ; Guillaume de Flavy, le gouverneur de Compiègne, mourut, la gorge coupée par son barbier à l’instigation de sa femme, etc., etc.

  45. [45]

    Summarium additionale, De Vetustis Process. n. 111 et seqq.

  46. [46]

    Citons parmi ces témoins les trois Dominicains Isambart de la Pierre, Martin Ladvenu et Pierre Miget ; Guillaume Delachambre, un des médecins qui soignèrent Jeanne durant sa maladie ; Jean Massieu, qui avait été l’huissier du tribunal ; Thomas de Courcelles ; et enfin les deux notaires ou greffiers Guillaume Manchon et Guillaume Colles ou Boysguillaume. Ces deux derniers, par crainte des violences de P. Cauchon, étaient les auteurs juridiquement responsables des falsifications sur les procès-verbaux primitifs, dont le texte fut encore arrangé, par après, par Thomas de Courcelles qui les traduisit. Ils avaient donc grand intérêt à atténuer le plus possible les iniquités commises contre Jeanne, et pourtant leurs dépositions sont écrasantes pour les juges prévaricateurs.

  47. [47]

    In un cavo dit la traduction italienne. Il n’est pas à croire que le traducteur et surtout les collecteurs se soient mépris sur le mot : il s’agit bien d’un fossé (un cavo) et non pas d’une cave (una cantina, una grotta).

  48. [48]

    C’est par une erreur d’impression, à la manchette de la p. 297 (§ 46), que cette grâce miraculeuse est indiquée sous cette rubrique : Sanatio mulieris. Le manuscrit devait porter Emilii, etc.

  49. [49]

    Pars secunda continens Documenta authentica de fama sanctitatis Servæ Dei tum in vita, tum post obitum usque in præsentiarum (p. 309-349).

    Les diligents compilateurs auraient pu peut-être plus justement les désigner ainsi : documenta traditionalia.

  50. [50]

    M. Pierre Lanéry d’Arc a publié la Bibliographie des ouvrages relatifs à Jeanne d’Arc.

  51. [51]

    Ego quoque in interitu ridebo et subsannabo. [Moi aussi je rirai et me moquerai de (leur) malheur.] (Proverbes I, 26).

  52. [52]

    Un florilegium complet ou à peu près complet de Jeanne d’Arc, depuis les témoignages de ses contemporains jusqu’aux Lettres postulatoires de l’épiscopat catholique, serait pourtant un beau travail qui devrait tenter quelque admirateur de Jeanne, un de ces heureux privilégiés à qui Dieu donne capacité et loisirs. Si le R. P. Ayroles, qui a tant étudié la Vraie Jeanne d’Arc, nous permettait d’exprimer un desideratum, nous lui demanderions d’ajouter, à cette fin, une 2e partie à son troisième volume en préparation.

  53. [53]

    Il serait superflu de dire que ces Lettres postulatoires, dont chaque original est soigneusement conservé aux Archives des Rites, ne sont pas reproduites in integro dans le présent dossier. Il aurait fallu, pour cela, trois à quatre volumes in-folio. Le Postulateur les mentionne toutes, mais n’en reproduit textuellement que deux ou trois de chaque grade hiérarchique. (Litt. Postulat., p. 351-400 ).

  54. [54]

    Ne pourrait-on pas, sans forcer d’ailleurs outre mesure une induction purement étymologique, admettre un certain patronat de Saint Remy à l’égard de Jeanne ? Et cela non pas seulement parce que la Pucelle avait mission de conduire Charles VII à Reims, la ville où Saint Remy avait sacré la royauté française, mais encore parce que Jeanne était originaire, fille, de Dom-Remy : e pago Domni-Remigii ?

  55. [55]

    The Times, cité par la Vérité, de Paris, n° 256.

  56. [56]

    Cf. : Renommée universelle de la sainteté de Jeanne d’Arc, par l’abbé Victor Mourot, p. 24, 25.

    M. Mourot, curé de, Sauley (près Saint-Dié, Vosges), est un admirateur enthousiaste, et un apôtre de Jeanne d’Arc. Il a écrit plusieurs ouvrages ou opuscules qui méritent bon rang parmi les eulogies consacrées, en ces derniers temps, à l’Envoyée de Dieu. Nous signalons tout particulièrement son principal ouvrage : Jeanne d’Arc, modèle des vertus chrétiennes.

  57. [57]

    Sa Gr. Mgr P. Coullié, aujourd’hui Archevêque de Lyon.

  58. [58]

    Litt. Postul. n° 49, p. 377.

  59. [59]

    Jeanne d’Arc à Domrémy : Recherches critiques sur les Origines de la mission de la Pucelle, par Siméon Luce. Nous citons l’édition que nous avons sous les yeux, celle de 1887.

  60. [60]

    Voir les Études historiques sur la Province dominicaine de France, par le R. P. M. D. Chapotin, et particulièrement la troisième de ces études : La Guerre de cent ans : Jeanne d’Arc et les Dominicains. On pourrait, ce nous semble, distinguer, dans la forte unité de ce travail, deux parties ou plutôt deux aspects qui répondent aux deux thèses de Siméon Luce : les Dominicains ont manqué de patriotisme et partant combattu la Pucelle ; les Franciscains, très patriotes, l’ont soutenue et Jeanne doit beaucoup à leur influence.

    Pour la première partie, tout, absolument tout, dans le travail du savant dominicain, mérite l’admiration : les dires de Siméon Luce sont, non pas réfutés, mais broyés, pulvérisés ; et nous comprenons fort bien que l’Académicien n’ait même pas essayé une défense impossible.

    Pour la seconde partie, que nous pourrions appeler la contre-partie, c’est-à-dire les relations de Jeanne d’Arc avec les franciscains, il y aurait plus d’une réserve à faire. Le. R. P. Chapotin, si ces lignes tombent sous ses yeux, et nous en disons autant au R. P. Ayroles qui a largement mis à profit le travail du vaillant fils de Saint Dominique, voudra bien nous permettre de lui faire observer que les exagérations peuvent expliquer mais non pas excuser les exagérations contraires. Siméon Luce a exagéré de beaucoup les relations de Jeanne avec les franciscains et de ceux-ci avec Jeanne : soit ; mais est-ce une raison suffisante pour nier ces relations, ou du moins les révoquer en doute ? Passer le but, ce n’est pas l’atteindre. Les RR. PP., dans leur légitime désir d’une réfutation pleine, n’ont pas remarqué que leurs réflexions, par exemple sur Saint Bernardin de Sienne et la dévotion au nom de Jésus, s’écartent sensiblement du texte même du Bréviaire.

  61. [61]

    Voir l’ouvrage ci-dessus mentionné : Jean Bréhal, Grand Inquisiteur de France, et la Réhabilitation de Jeanne d’Arc, par le R. P. Marie-Joseph Belon, des FF. Prêcheurs, professeur de Dogme aux Facultés catholiques de Lyon, et le R. P. François Balme, du même Ordre, lecteur en Théologie (un vol. in-4. VI-166, Paris, Lethielleux). Il est impossible, après avoir étudié ce beau travail, de ne pas souscrire plena mente à la conclusion des savants auteurs, à savoir que Jean Bréhal fut l’âme de la réhabilitation de Jeanne d’Arc.

  62. [62]

    Le Rme P. Bernardin de Portogruario, aujourd’hui Archevêque titulaire de Sardique.

  63. [63]

    Sur les relations de Jeanne d’Arc avec l’Ordre franciscain, et son agrégation probable au Tiers-Ordre, on pourra utilement consulter la plaquette de M. L. de Kerval : Jeanne d’Arc et les Franciscains. Le dernier fascicule (févier 1894) de la Revue franciscaine ajoute aux conjectures de M. de Kerval quelques données nouvelles en faveur de cette agrégation. Dans son ouvrage sus-mentionné : Jeanne d’Arc, modèle des vertus chrétiennes, l’abbé Victor Mourot fait sienne l’opinion de M. de Kerval, mais sans l’appuyer sur des preuves plus solides. L’un et l’autre ont puisé cette déduction dans l’ouvrage de Siméon Luce.

  64. [64]

    Et volebat jacere in focario : focarium foyer et non pas four (Gloss. de Ducange) ; c’est-à-dire près de l’âtre qui devait, comme c’est encore l’usage pour les grandes cheminées de campagne, avoir des bancs latéraux.

  65. [65]

    Déposition d’Isabelette Gérardin (Quicherat, Procès, t. II, p.426-427).

  66. [66]

    Summarium additionale : Docum. auth. §23. Voir aussi le P. Ayroles : La Pucelle devant l’Église de son temps, p. 390.

  67. [67]

    La bannière de Jeanne avait été brodée sur ses indications personnelles. Perceval de Cagny, comme nous l’avons dit ci-dessus, en décrit sommairement le dessin. M. Victor Canet, dans son excellent ouvrage : Jeanne d’Arc et sa Mission nationale (p. 98), est plus explicite et nous donne une reproduction de la bannière ou étendard et du pennon de bataille de Jeanne. Les noms Jhesus Maria sont brodés du côté de la hampe. M. Canet distingue entre l’étendard et la bannière, et reproduit deux gravures différentes (p. 253). — L’anneau en or mais non pur lui avait été donné par sa famille.

  68. [68]

    Lib. I, c. XVIII, n. 1.

  69. [69]

    Animadversiones R. P. D. Promotoris fidei, p. 1-101.

  70. [70]

    Nous rapprochons des objections du Promoteur les réponses correspondantes des Défenseurs. Cette méthode est, à la fois, nous semble-t-il, plus intéressante et plus claire.

    Nous avouons franchement les imperfections de l’analyse que nous entreprenons : ceux qui comprennent la difficulté d’un tel travail nous accorderont spontanément leur indulgence : quant aux autres, nous n’avons qu’une excuse à présenter, ou plutôt une invitation à adresser à leur sévérité : celle d’essayer eux-mêmes. Inutile d’ajouter que la présente analyse n’est point complète : nous nous sommes bornés à résumer les objections et les réponses principales.

  71. [71]

    Animadversiones, p. 2.

  72. [72]

    Voir ci-dessous, aux objections : De fama.

  73. [73]

    Responsio ad Animadversiones R. P. D. Promotoris Fidei (1-170), p. 1-5.

  74. [74]

    Animadversiones, cap. I : De Probationibus, p. 5-11.

  75. [75]

    Voir ci-dessus le Répertoire chronologique.

  76. [76]

    Quicherat, Procès, t. II, p.13.

  77. [77]

    Nous avons fait observer ci-dessus que le notaire Manchon devait, dans son propre intérêt, ne pas révéler au Tribunal de réhabilitation, la part qui lui revenait, à lui personnellement, de toutes les illégalités et les falsifications des procès verbaux de 1431. Un mot de trop aurait suffi pour le transformer de témoin en accusé, sous la très grave inculpation de faux en écritures officielles.

  78. [78]

    Responsio ad Animadversiones, p. 17.

  79. [79]

    Le Ier n’est qu’une constatation anodine du devoir de l’Évêque et de l’Inquisiteur de poursuivre les hérétiques, les sorciers, etc. (Quicherat, Procès, t. I, p. 204 et seqq.)

  80. [80]

    Quicherat, Procès, t. I, p. 67.

  81. [81]

    Guillaume d’Estivet affirmait ainsi que Jeanne partageait une superstition, assez répandue de son temps, sur les mystérieuses vertus de la plante dite mandragore.

  82. [82]

    Quicherat, Procès, t. I, p. 89.

  83. [83]

    C’est cette rédaction que nous avons appelé ci-dessus les arrangements de Thomas de Courcelles. Il mit en latin et sous la forme narrative, au nom de l’évêque de Beauvais, les minutes en français des notaires.

  84. [84]

    Responsio ad Animadversiones, p. 23. Les Défenseurs empruntent, mot à mot, ce portrait de Thomas de Courcelles à Quicherat lui-même qui n’est certes pas suspect d’excessive bienveillance envers les Juges de 1456.

  85. [85]

    Voir ci-dessus, pag. 41 et seqq.

  86. [86]

    Le Promoteur (Animadversiones, p. 9) cite notamment le Livre IV, chapitre IV, et sa sévérité a dû sans doute souligner ces mots, à la page 449 :

    Jeanne d’Arc sur les autels, c’est le phare surnaturel… c’est la France sollicitée de se remettre sur la voie de la France de Charlemagne et de saint Louis…

  87. [87]

    Il n’est pas hors de propos de noter ici que le P. Ayroles (p. X note 2) signale la publication de Pierre Lanéry d’Arc qui parut, dit-il, quand son ouvrage à lui était sous presse.

  88. [88]

    Responsio ad Animadversiones, p. 30.

  89. [89]

    Animadversiones, cap. II, p. 12.

  90. [90]

    Bened. XIV. De Beatif. et Can. SS. II. C. XXXIX n. 7, édit. de Prato, à la page 342.

  91. [91]

    Voir au Répertoire chronologique : février 1429.

  92. [92]

    Dicit insuper quod eam pluries vidit in balneo et stuphis… [Ajoute qu’elle la vit plusieurs fois au bain et dans les étuves.] (Quicherat, Procès, t. III, p. 88.)

  93. [93]

    Animadversiones, §. 18, 19, 20, p. 13, 14. 15, etc.

  94. [94]

    Tessera veræ famæ est, ut semper jugiterque eadem perduret et augeatur in dies. [C’est le gage d’un véritable renom que de durer et de croître au fil des jours.]

  95. [95]

    Voir ci-dessus p. 3, 32, 33.

  96. [96]

    Quamdam columbam exeuntem de flamma.

    Quicherat (Procès, t. II, p.352) a préféré lire de Francia. Sa version, démentie par la consultation manuscrite de Paul Pontanus et par le judicieux L’Averdy, n’a pas de sens ; et Quicherat le comprend si bien qu’il cherche à l’expliquer et lui fait dire nettement un contre-sens.

    [Exeuntem de Francia] signifierait à la rigueur du côté de la France, dans la direction du midi.

    Mais alors, la colombe, en allant de Rouen vers le midi, ne sortait pas de France, elle y entrait au contraire ! Ces faux-fuyants du rationalisme pour échapper au miracle sont vraiment pitoyables.

  97. [97]

    Voir dans l’Univers, n° 9487, l’article du marquis A. de Ségur : Un portrait contemporain de Jeanne d’Arc.

  98. [98]

    Nous ne savons quel est le panégyrique de Jeanne auquel M. Lanéry d’Arc fait allusion, Mgr Dupanloup ayant célébré plusieurs fois, dans sa cathédrale, les mérites de la Libératrice. Le premier, qu’il prononça le 8 Mai 1855, débute précisément par la constatation du culte traditionnel envers Jeanne, en commentant ce texte de Joël : Les pères le racontent à leurs fils, ceux-ci à leurs enfants, et les enfants à la génération suivante.

    Vous avez été fidèles à cette recommandation sacrée… Le culte des immortels souvenirs n’a point péri parmi vous ! et depuis quatre cent vingt-six ans, vous apprenez à vos fils à prononcer avec respect le nom de la fille généreuse qui sauva vos pères.

  99. [99]

    Estivet le grand criminel (Respons., p. 53.)

  100. [100]

    Quid de turpibus Voltairii fabulis, quo vix ullum reperies magis impurum, mendacem et impium. — (Respons., p. 61.)

    Que dire des misérables fables de Voltaire : vous trouveriez difficilement quelque chose de plus impur, mensonger et impie.

  101. [101]

    Animadversiones, p. 15 etc.

  102. [102]

    Quicherat, Procès, t. III, p. 49 et 52.

  103. [103]

    Respondit… quod erat una pauper filia quæ nesciret equitare, nec ducere guerram.

  104. [104]

    … Et ascendens equum, quod nusquam antea, iter aggreditur.

  105. [105]

    Responsio ad Animadversiones, p. 65.

  106. [106]

    M. Lecoy de la Marche, résumant ces études antérieures sur Jeanne d’Arc et Jeanne des Armoises, dans un article qualifié de lavoro stupendo par un très haut personnage de la Sainte Congrégation des Rites, et inséré dans la Vérité de Paris (13 janvier 1894) a fait bonne et entière justice d’une brochure qui cherchait à donner crédit à la sotte historiette d’une Jeanne d’Arc, sauvée du bûcher et réapparaissant, en 1436, pour recommencer une vie bien différente de la première. Nous nous faisons un devoir de signaler cette étude du savant auteur, en raison non seulement de son mérite intrinsèque mais encore de son opportunité : elle fut publiée juste au moment où, à Rome même, une petite coterie s’efforçait d’attirer l’attention sur ladite brochure. La démonstration péremptoire, complète, de M. Lecoy de la Marche, coupa court à cette ridicule tentative.

  107. [107]

    Math. XXIV, 24 : Surgent enim pseudochristi et pseudoprophetæ.

  108. [108]

    Le texte reproduit par le Promoteur (Animadversiones, p. 25) est pris du Summarium additionale, p. 219, où la citation, au point de vue bibliographique, est plus complète :

    Martyrologium Gallicanum, in quo Sanctorum, Beatorum, ac Piorum… (nomina recensentur). — Studio ac labore Andreæ de Saussay, Parisini, Sanctæ Romanæ Ecclesiæ Protonotarii, Concionatoris Regii, etc. Lutetiæ Parisiorum, anno 1637 ;

    c’est-à-dire précisément à l’époque où, d’après le rationalisme, l’Église de France ne pensait plus à Jeanne !

  109. [109]

    Répertoire chronologique : 24 mai 1431.

  110. [110]

    Animadversiones, §. 37.

  111. [111]

    Répertoire chronologique : 30 mai 1431.

  112. [112]

    Notre analyse ne dit rien des objections du Promoteur contre les miracles, attribués à Jeanne, parce que ces objections d’ailleurs très sommaires (§. 38, 39), visent plutôt les miracles eux-mêmes que la confiance des fidèles envers Jeanne : et c’est le fait même de cette confiance qui est requis dans le Procès d’Introduction.

  113. [113]

    Animadversiones, caput tertium : de Obstaculis, p. 28 et seqq.

  114. [114]

    Cf. Belon et Balme, Jean Bréhal et la Réhabilitation de Jeanne ; Ayroles, La Pucelle devant l’Église de son temps.

  115. [115]

    Répertoire chronologique : octobre 1430.

  116. [116]

    Animadversiones, §. 43, 44.

  117. [117]

    Il ne faut pas perdre de vue que les Anglais, depuis la sommation de « Jehanne la Pucelle » avant la délivrance d’Orléans, n’avaient cessé de prodiguer les insultes les plus calomnieuses contre la chasteté de leur ennemie.

  118. [118]

    Jules Doinel, Jeanne d’Arc telle qu’elle est. Cité par les Défenseurs, p. 109.

  119. [119]

    Qu’on remarque tout ce que ce mot a d’insidieux. Pénitence alors signifiait aussi bien repentance, repentir, que pénitence imposée par le confesseur. Si Jeanne répondait dans le premier sens, la conclusion allait de soi : un grand repentir suppose un grand péché ; si elle entendait pénitence comme expiation imposée par le confesseur, cette grande pénitence amenait la même conclusion. La réponse de Jeanne à cette demande si abusive déjoua toutes ces mesquineries.

  120. [120]

    Animadversiones, p. 33-35.

  121. [121]

    Animadversiones, §. 50-55.

  122. [122]

    Quicherat, Procès, t. I, p. 447 en français ; p. 448 en latin. Au Dossier de la Sainte Congrégation en italien : Summarium, p. 142.

  123. [123]

    Les Postulateurs de la Cause donnent, au premier Sommaire, une savante et apodictique dissertation qui a grandement aidé les Défenseurs ; mais la présente analyse, pour ne pas s’étendre outre mesure, doit se borner à ce qu’il y a de plus substantiel dans la réfutation proprement dite et renvoyer à l’appendice le résumé de cette dissertation.

  124. [124]

    Voir ci-dessus, p. 103.

  125. [125]

    Cette lettre, comme le Décret, est datée du 27 janvier 1894. Les actes de culte prohibé seraient, par exemple, de représenter la Vénérable avec le nimbe ou l’auréole, de dire publiquement des prières en son honneur, surtout durant quelque cérémonie liturgique, de lui dédier des autels, de porter son image en procession, de la laisser dans les églises exposée à la vénération des fidèles, de donner à Jeanne, autrement qu’au sens optatif, le titre de bienheureuse ou de sainte, etc., etc.

  126. [126]

    Voir : Gallia vindicata du Cardinal Sfondrate, édit. de S. Gall, p. 660.

  127. [127]

    M. le professeur d’histoire du lycée de Nancy n’est peut-être pas obligé de savoir minutieusement les particularités des Conciles. Une vue sommaire suffit sans doute à ses besoins. Il est certain qu’une étude un peu plus complète aurait gêné ses dires : et il tenait tant à lâcher contre le Décret, dont il n’avait vu d’ailleurs que la version française, son petit coup de pistolet ! Les lecteurs qui désireraient une réfutation plus développée, la trouveront dans la Vérité de Paris, n° 291. C’est M. Arthur Loth, ce bénédictin laïque, d’une érudition si vaste et si sûre et d’une si puissante logique, qui a donné au professeur de Nancy cette magistrale leçon d’histoire et de réserve.

  128. [128]

    Quicherat, Procès, t. II, p. 304. Plus explicite dans la minute française (p. 4) que nous aurons l’occasion de citer plus loin.

  129. [129]

    Nous avons quelque peine à comprendre pourquoi les Postulateurs de Jeanne près le Tribunal diocésain d’Orléans ont préféré suivre la voie ordinaire d’un Procès de béatification pour une vierge, au lieu de faire un Procès super martyrio. Sous cette dernière forme, la Cause de Jeanne ne serait-elle pas bien simplifiée et bien facilitée ? Sciscitans non affirmans dico ! [Je m’interroge sans affirmer.]

  130. [130]

    Jean XI, 50.

  131. [131]

    Quicherat, Procès, t. III, p. 154 : déposition de Jean Massieu, l’huissier du Tribunal de Pierre Cauchon.

  132. [132]

    Quicherat, Procès, t. II, p. 4-5.

  133. [133]

    Qu’il nous soit permis de formuler, sur ce point, une opinion diamétralement opposée à celle des Postulateurs d’Orléans : Jeanne d’Arc, malgré toutes les habiletés de ses Juges, n’a jamais eu l’ombre d’un doute au sujet des célestes messagers. Son jugement personnel, d’une droiture innée, aussi bien que ses Voix dont les avertissements réitérés l’obligeaient à se tenir en garde contre ses ennemis, expliquent et légitiment certaines hésitations non dans sa conviction intime mais dans ses réponses, ou plutôt dans les réponses que lui attribuent les Actes du Procès.

  134. [134]

    Quicherat, Procès, t. I, p. 447, 448.

  135. [135]

    Quicherat, Procès, t. I, p. 479, 582, 482. Johanna erat sana mente. [Jeanne était saine d’esprit.]

    L’Averdy émet l’opinion que Jeanne n’aurait pu signer la prétendue cédule d’abjuration sans avoir perdu la raison. (Notices des manuscrits du Roi, p. 427.)

  136. [136]

    Quicherat, Procès, t. III, p. 156.

  137. [137]

    Quicherat, Procès, t. III, p. 156.

  138. [138]

    Quicherat, Nouveaux Aperçus sur l’histoire de Jeanne d’Arc, p. 133 à 138.

    Quicherat cherche vainement dans cet opuscule à démontrer la régularité des formes du procès de Cauchon ; en vain fait-il tous ses efforts pour atténuer la réprobation dont il a été frappé par tous les honnêtes gens de tous les pays, par la conscience universelle. Qui veut lire attentivement tout ce que ce savant critique a écrit pour justifier les Juges de 1431, y reconnaîtra facilement l’embarras avec lequel il cherche à écarter toutes les contradictions, toutes les équivoques et tous les sophismes sous lesquels il se débat vainement.

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