Comte de Maleissye  : Les lettres de Jeanne d’Arc (1911)

Résumé de la thèse

Résumé
de la thèse de l’ouvrage

  1. Nous possédons trois lettres authentiques signées de la main de Jeanne
  2. L’examen de ces signatures suggère que Jeanne apprit à écrire, et probablement à lire
  3. Certaines de ses déclarations appuient cette hypothèse
  4. Elle signa la cédule d’abjuration d’une simple croix
  5. Ses juges avaient besoin qu’elle signe en présence de témoins
  6. Examen des témoignages des personnes ayant assisté à l’abjuration
  7. Disposition mentale de Jeanne à ce moment-là
  8. Reconstitution de l’abjuration à la lumière de ces faits nouveaux
  9. Conclusion intermédiaire : Jeanne n’a pas signé l’abjuration
  10. Conclusion finale : La condamnation est fondée sur un faux

1.
Nous possédons trois lettres authentiques signées de la main de Jeanne

Jeanne d’Arc entretint une intense activité épistolaire. Des nombreuses lettres qu’elle envoya, cinq nous sont parvenues intactes. Si elle ne les a pas écrites elle-même, les trois dernières (chronologiquement) sont en revanche signées de sa propre main.

2.
L’examen de ces signatures suggère que Jeanne apprit à écrire, et probablement à lire

L’absence de signature sous les premières lettres, son apparition, puis sa présence constante, corroborent l’hypothèse que Jeanne avait appris à signer et qu’elle signa toutes ses lettres ensuite. En outre l’étude de l’évolution de sa signature témoigne d’une pratique régulière qui laisse supposer qu’elle avait également appris à lire et à écrire.

3.
Certaines de ses déclarations appuient cette hypothèse

Divers témoignages attestent que Jeanne était illettrée lorsqu’elle arriva à Chinon. En revanche certaines déclarations extraites de son procès semblent indiquer qu’elle savait lire et écrire :

  • Le 2 mai, lors de l’admonestation publique, on lui propose de s’en rapporter aux membres de son parti quant au signe donné au roi, elle répond : Je veux bien […] mais c’est moi qui leur écrirai.
  • Le 24 février elle s’engage à répondre ultérieurement à certains points et demande à ce qu’on les lui remette par écrit.
  • Le 1er mars, interrogée sur le compte des trois papes, elle répond n’avoir jamais écrit, ni fait écrire à ce sujet.

Par ailleurs, les premières lettres présentent des corrections en surcharge (c’est-à-dire à côté du texte entièrement écrit), quand celles des deux dernières sont immédiatement dans le texte, et prouvent que Jeanne lisait à mesure qu’écrivait son scribe.

4.
Elle signa la cédule d’abjuration d’une simple croix

Des réponses de Jeanne à ses juges il résulte que jamais elle n’a employé une croix comme signature, mais que parfois elle en mettait une, à titre de ruse de guerre, comme désaveu de ce que comportait sa lettre. Or les témoins de la réhabilitation déposent qu’elle signa la cédule d’abjuration d’une croix, tandis qu’elle souriait d’une manière qui frappa l’assistance.

5.
Ses juges avaient besoin qu’elle signe en présence de témoins

Le but de Cauchon était que Jeanne désavouât sa mission divine. Or rien n’avait jamais pu la faire fléchir. D’où l’idée terrible d’une mise scène qui doit donner une apparence de réalité à une abjuration. L’enjeu de la séance du cimetière de Saint-Ouen (24 mai) est donc d’arracher à Jeanne une signature devant témoins.

6.
Examen des témoignages des personnes ayant assisté à l’abjuration

Les deux dépositions de 1456 qui rapportent que devant la cédule Jeanne aurait prétendu ne pas savoir signer sont à rejeter : celle de Macy, seigneur bourguignon, car elle présente trop d’erreurs ; celle de Massieu, huissier du procès de 1431, car elle contient deux formules contradictoires (Jeanne aurait dit : Je ne sais pas signer, puis juste après : J’aime mieux signer que d’être brûlée) qu’une étude d’autres témoignages permet de rejeter (Jeanne savait signer et ne craignait pas le feu).

Les autres dépositions s’accordent à dire que : Jeanne était calme (le docteur de La Chambre affirme qu’elle lut elle-même la cédule) ; elle avait été ferme durant la prédication publique qui précéda ; un tumulte éclata, au moment où on lui présentait la cédule ; elle souriait en y apposant une croix ; son sourire devint railleur (l’évêque de Noyon assure que pour la plupart des assistants […] ce n’était qu’une moquerie. Jeanne elle-même, à ce qu’il me parut, n’en faisait pas grand cas et n’en tenait pas compte ; à tel point que Cauchon se fît injurier par un Anglais).

Comment en effet faire admettre que Jeanne, subitement, sur une simple parole que personne n’avait entendue se serait soumise ?

Cauchon imagina et planifia le tumulte afin :

  1. de couvrir la voix de Jeanne pour qu’on n’entendît pas ses paroles véritables ;
  2. de détourner les regards pour qu’on ne vît pas ce qu’elle signait.

7.
Disposition mentale de Jeanne à ce moment-là

Jeanne, durant tout son procès, avait été d’une constance sans faille. Conduite dans la salle de torture (le 9 mai) elle répond : Si vous deviez me faire disloquer les membres et faire partir l’âme du corps, je ne vous en dirais pas pour cela autre chose. Admonestée la veille de la séance de Saint-Ouen (23 mai) : Je veux en ce maintenir la manière que j’ai toujours dite et tenue au procès, si j’étais en jugement, si je voyais le feu allumé, les bourrées flamber, le bourreau prêt à bouter le feu, si j’étais dans le feu, je n’en dirais pas autre chose, et jusqu’à la mort je soutiendrais ce que j’ai dit au procès.

Ni la vue du bourreau, ni la menace du bûcher ne la virent varier. Elle était mentalement prête à mourir ; la mise en scène de Cauchon devait lui permettre de prétendre l’inverse.

8.
Reconstitution de l’abjuration à la lumière de ces faits nouveaux

Les témoignages relus à la lumière des nouveaux éléments permettent d’établir le déroulé de la séance du cimetière de Saint-Ouen :

  • La foule nombreuse, pas plus que le prêche n’impressionnèrent Jeanne : elle maintint tout ce qu’elle avait dit au procès.
  • La condamnation devenait inéluctable ; mais Jeanne brûlée sans avoir abjuré restait l’envoyée de Dieu. Cauchon avait besoin de sa signature.
  • Un tumulte éclata dans l’assistance, alors qu’un conciliabule s’engageait autour de Jeanne.
  • Assaillie de sollicitudes pour qu’elle signât la cédule qu’on lui tendait, elle devina le piège ; sans se départir de son sang-froid et avec un sourire railleur, elle y apposa non pas sa signature, mais une croix, synonyme pour elle de désaveu.

Cette cédule, qui servit pourtant à la condamnation de Jeanne comme relapse, ne fut jamais montrée, pas même aux greffiers, et l’on en trouve seulement une copie, jointe au procès. Les témoins visuels de la scène rapportent que Jeanne signa d’une croix, une formule de six à sept lignes ; la copie substituée est dix fois plus longue, et signée Jehanne ✝.

Cauchon a produit un faux, qu’il s’est appliqué à rendre vraisemblable au cours d’une simulation d’abjuration publique.

9.
Conclusion intermédiaire : Jeanne n’a pas signé l’abjuration

L’abjuration telle que produite dans le procès verbal comprenait l’interdiction à Jeanne de reprendre un habit d’homme. Nous savons désormais que Jeanne ne l’avait pas signée ; ce qui explique (entre autres) sa réponse à Cauchon, le 28 mai : — Vous aviez promis et juré de ne pas reprendre l’habit d’homme. — Jamais, répondit Jeanne, je n’ai compris faire serment de ne pas le prendre.

10.
Conclusion finale : La condamnation est fondée sur un faux

Le 29 mai, Cauchon, muni de la fausse abjuration, convoqua plus de quarante assesseurs pour la dernière délibération. Pour la première fois, les juges se séparent de l’évêque de Beauvais : l’abbé de Fécamp demanda à ce Jeanne fût entendue et qu’on lui lût de nouveau la formule d’abjuration. Trente-huit opinèrent comme lui. Cauchon n’en tint pas compte et ordonna la comparution pour le lendemain matin.

Jeanne mourut admirable de foi, d’héroïsme et de confiance en Dieu. Devant une foule immense, elle se montre sublime, toujours calme et maîtresse d’elle-même.

page served in 0.094s (0,7) /