Abbé Dubois  : Dissertation dans laquelle on prouve que le ms. 411 d’Orléans contient la minute française du procès de la Pucelle (1823)

Texte intégral

Dissertation
dans laquelle on prouve
que le manuscrit de la Bibliothèque publique d’Orléans, inscrit sous le n° 411,
contient la minute française du procès de la Pucelle

par

l’abbé Dubois

(1823)

Éditions Ars&litteræ © 2025

191Il est certain que Jeanne d’Arc n’ayant aucune connaissance de la langue latine, on l’interrogeait en français, et qu’elle répondait dans la même langue. Les actes latins de son procès ne sont donc qu’une traduction des questions qui lui ont été proposées et de ses réponses, traduction qui n’a pu être faite que sur la minute française du procès ; cette minute a donc dû exister.

Elle a effectivement existé, car M. de L’Averdy nous apprend que le quinze décembre mil quatre cent cinquante-cinq, Manchon1, un des notaires au procès de condamnation de Jeanne d’Arc, 192remit la minute latine et la minute française de ce procès aux commissaires nommés par le pape pour réhabiliter la mémoire de cette pieuse héroïne ; que ces deux minutes furent examinées avec soin, ainsi que les sceaux et les signatures, et qu’ayant été trouvées en bonne forme, il fut ordonné qu’elles seraient déposées au greffe, afin que le promoteur et ses parties pussent en prendre communication.

L’auteur du manuscrit d’Orléans dit positivement qu’il a eu entre les mains deux copies du procès de la Pucelle, qui différaient en plusieurs points.

J’ai trouvé, — dit-il, — plusieurs mensonges en deux livres, ès quels est contenu le procès de la condampnation de Jeanne, où il y a plusieurs diversités, spécialement ès interrogations et en ses réponses.

Or tous les exemplaires de la minute latine que nous avons, sont parfaitement conformes ; au contraire, je prouverai plus bas que la minute latine ne rend pas toujours fidèlement les questions proposées à la Pucelle et ses réponses2. L’auteur 193du manuscrit s’était donc procuré la minute latine et la minute française du procès de condamnation. Il lui était d’autant plus facile de le faire, qu’écrivant par ordre de Louis XII et de l’amiral de Graville, tous les dépôts publics devaient lui être ouverts.

Pour donner un nouveau poids à cette preuve générale, je vais en ajouter plusieurs autres qui me paraissent tout à fait décisives.

1° M. de L’Averdy (p. 234), nous apprend qu’il a trouvé une partie de la minute française du procès de la Pucelle, dans un manuscrit qui a appartenu autrefois à M. d’Urfé, et qui est maintenant déposé à la bibliothèque du roi. Or, ce que renferme ce manuscrit précieux, est parfaitement conforme à ce qu’on lit dans le manuscrit d’Orléans, si on en excepte quelques fautes de copiste. Ils sont donc 194l’un et l’autre, la copie des mêmes actes. Pour faire connaître à mes lecteurs cette parfaite conformité, je vais mettre sous leurs yeux une question avec la réponse telle qu’elle est consignée dans le manuscrit de M. d’Urfé, et dans celui d’Orléans.

Manuscrit de M. de d’Urfé :

Interrogée s’elle sait point que ceux de son parti l’avoient faicte saincte3, ou une oraison pour elle. Répond : qu’elle n’en sait rien, et s’ils le font, ne l’ont point fait par son commandement ; et s’ils ont prié pour elle, lui est advis qu’ils ne font point de mal.

Manuscrit d’ Orléans :

Interrogée se elle sçait point se ceux de son parti ayent fait service, messe ou oraison pour elle. Respond : qu’elle n’en sçait rien, et se ils ont faict service, ne l’ont point faict par son commandement ; et se ils ont prié pour elle, il lui est advis qu’ils n’ont point faict de mal.

Les mots, se ils l’ont faicte saincte, ou une oraison pour elle, qui se trouvent dans le manuscrit de M. d’Urfé, ne sont pas liés ensemble ; d’ailleurs la question a pour objet le temps passé, et dans la réponse, la Pucelle parle au présent. Ces deux inexactitudes n’ont pas lieu dans le manuscrit d’Orléans : tout y est lié, et la réponse est parfaitement 195analogue à la question ; il est donc plus exact que celui de M. d’Urfé.

2° Lorsqu’on fait une traduction, on peut omettre de traduire quelques endroits, mais on ne peut pas ajouter dans le français des phrases entières qui n’existent pas dans le latin ; or, la question et la réponse que je viens de copier ne se trouvent pas dans les actes latins du procès de la Pucelle. Les auteurs des manuscrits de M. d’Urfé et d’Orléans, n’ont donc pas traduit les actes latins du procès de la Pucelle ; et puisqu’ils rapportent la même chose, ils ont donc puisé à une source commune, qui ne peut être autre que la minute française.

3° Cette minute ne devait contenir que les questions proposées à Jeanne d’Arc, avec ses réponses ; on ne devait donc pas y insérer les préambules et les conclusions des séances qui n’avaient aucun rapport à ces questions et à ces réponses : or, on ne trouve ces préambules et les conclusions des séances qui n’avaient aucun rapport à ces questions et à ces réponses, ni dans le manuscrit de M. d’Urfé, ni dans celui d’Orléans ; cette omission est donc un nouveau trait de conformité avec la minute française.

4° Après le dix-sept mars mil quatre cent trente-un, le promoteur réduisit à un grand nombre d’articles les principaux aveux de la Pucelle, et il fut ordonné qu’on les lui lirait, et qu’en les lisant, on les traduirait, afin qu’elle déclarât si elle 196les regardait comme vrais. Ces articles ne devaient donc pas faire partie de la minute française. Or ces articles ne se lisent ni dans le manuscrit de M. d’Urfé ni dans le manuscrit d’Orléans : cette omission est donc une preuve des plus fortes qu’ils renferment une copie de la minute française.

5°. Il a été prouvé au procès de la réhabilitation de Jeanne d’Arc, que la formule d’abjuration qu’on lit dans les actes latins de son procès n’est pas celle qu’on lui a fait faire4. Jean Massieu, curé de Saint-Candide de Rouen, qui avait assisté au premier procès en qualité d’appariteur, a attesté juridiquement que la formule d’abjuration signée par Jeanne d’Arc, ne contenait qu’environ huit lignes ; et que c’est lui-même qui l’a lue à cette infortunée, avant qu’elle la signât ; et legitipse, et signavit ipsa Johanna [Jeanne la lut et la signa elle-même]. Nicolas Taquel5, un des notaires qui avaient rédigé les actes du premier procès, a déclaré avec serment6, que Massieu a lu à Jeanne d’Arc la formule d’abjuration qu’on exigeait d’elle, qu’elle la répétait après lui, qu’elle ne contenait que six grosses lignes, et qu’elle commençait par ces mots : Jehanne, etc. Or cette, formule, qui n’a point été insérée dans la minute latine, et qui ne pouvait se trouver que dans la minute française, se lit dans le manuscrit d’Orléans, comme on le verra 197plus bas. Ce manuscrit contient donc une copie de cette minute.

6° Quand on traduit, on se sert des mots usités dans le temps où on écrit. Or le texte français des deux manuscrits de M. d’Urfé et d’Orléans, est parfaitement semblable au langage qui avait cours du temps de Jeanne d’Arc. On y trouve même les expressions qui, lui étaient familières ; ils ont donc été copiés sur un ouvrage qui remonte jusqu’à cette héroïne, et qui a été composé par une personne qui l’avait entendue.

7° Il a été prouvé au procès de révision7, que 198dans la première procédure, les réponses de Jeanne d’Arc ont souvent été traduites d’une manière fausse et inexacte, au lieu que Manchon, un des notaires qui ont rédigé les actes du procès, atteste avec serment8, qu’il a consigné dans la minute française les questions telles qu’elles ont été faites à Jeanne d’Arc, et ses vraies réponses. La minute française doit donc différer en bien des points de la minute latine : or c’est ce qu’on observe dans le manuscrit d’Urfé et dans celui d’Orléans. Loin donc qu’on puisse leur reprocher ces différences comme autant d’inexactitudes, on doit au contraire les regarder comme une preuve de l’authenticité de la minute sur laquelle ils ont été copiés.

Pour donner quelque idée de l’infidélité avec laquelle la minute latine a été rédigée, je vais mettre sous les yeux du lecteur la manière dont, dans trois ou quatre circonstances, les deux minutes 199rendent compte de questions et de réponses qui devaient être les mêmes. Je citerai la minute latine, d’après la traduction que M. Lebrun des Charmettes a insérée dans son Histoire de Jeanne d’Arc, tome 3.

Interrogatoire du 20 février 1431 :

À genoux, les mains sur un missel, Jehanne jura de dire la vérité sur les choses touchant la foi qui lui seroient demandées et qu’elle sauroit, sans parler davantage (disent les actes latins), de la condition dessusdite, savoir : qu’elle ne dirait rien des révélations à elles faites9.

Voici ce qu’on lit dans la minute française :

L’évesque de Beauvais l’admonesta, et pria que en ce qui toucheroit la foi, elle feist serment de dire la vérité : laquelle Jehanne se mit à genoux, et les deux mains sur le livre, c’est assavoir un missel, jura qu’elle diroit vérité de toutes les choses qui lui seroient demandées, qui concernent la matière de la foi ; mais que des révélations dessusdites, ne les diroit à personne.

En comparant ces deux textes, on voit dans la minute latine une omission qui tendait à faire condamner la Pucelle comme coupable d’un parjure. (Interrogatoire du 21 février, minute latine.) La Pucelle dit que, pour crainte des Bourguignons, elle partit de la maison de son père, et alla à Neufchâteau en Lorraine, chez certaine femme nommée la Rousse, où elle demeura environ quinze jours. Elle ajouta ensuite :

Quand j’étois 200dans la maison de mon père, je vacquois au soin du ménage, et ne conduisois point les brebis et les autres bestiaux aux champs10.

Cette addition n’a aucun rapport avec le commencement de la réponse ; d’ailleurs, on y fait dire à Jeanne d’Arc qu’elle n’a jamais mené paître les troupeaux de son père ; or, elle déclare le contraire dans une autre séance. On voulait donc la faire tomber en contradiction avec elle-même. La minute française rétablit la réponse de la Pucelle telle qu’elle doit être.

Dit outre qu’elle avoit laissé la maison de son père en partie pour doubte des Bourguignons, et qu’elle se estoit allée à Neufchatel, avecques une femme nommée la Rousse, où elle demeura par quinze jours ; en laquelle maison elle faisoit les négoces de ladite maison, et ne alloit point aux champs garder les brebis ne autres bêtes.

Après une telle déclaration, comment Pasquier, qui avait eu pendant quatre ans le procès de la Pucelle en sa possession, a-t-il pu avancer11 :

Qu’aux vingt ans de son âge, elle alla à Neufchâtel en Lorraine, où elle demoura chez une hôtesse, nommée la Rousse ; et là menait les bêtes aux champs, même les chevaux paître et abbreuver : et ainsi apprit de se tenir à cheval ; qu’après y avoir servi cinq ans, 201elle retourna chez son père.

Si Pasquier eût consulté les actes du procès de la Pucelle, aurait-il avancé comme un fait constaté au procès, qu’elle a servi pendant cinq ans à Neufchâtel, où elle n’a demeuré que quinze jours ; il n’aurait pas ajouté qu’elle avait vingt ans quand elle sortit de la maison de son père ; il aurait lu dans l’interrogatoire du vingt février mil quatre cent trente-un, qu’elle déclare avoir environ dix-neuf ans ; d’où il suit qu’elle est morte avant qu’elle ait eu vingt ans révolus. Comment donc aurait-elle pu sortir de la maison paternelle à vingt ans, servir cinq ans à Neufchâtel, retourner chez ses parents et se rendre ensuite à Orléans, en mil quatre cent vingt-neuf, et mourir à Rouen, deux ans après, n’ayant encore que dix-neuf ans ? À combien d’erreurs est-on exposé, lorsqu’on s’en rapporte à sa mémoire, sans remonter jusqu’aux sources12. Après la réponse 202 dont je viens de parler, on demande à Jeanne d’Arc, à qui, quand, et combien de fois par an elle confessait ses péchés. Elle répondit :

A mon curé, et quand il étoit empêché, à quelqu’autre prêtre, avec la permission de mon curé ; quelques fois aussi (deux ou trois fois je pense), je me suis confessée à des religieux mendiants : ce fut à Neufchâtel. Je recevois le sacrement de l’eucharistie, à Pâques13.

La réponse de la Pucelle suppose qu’on ne lui avait parlé que de la confession paschale, car elle est la seule qui exige qu’on demande une permission à son curé : la question qu’on lit dans la minute latine, n’est donc pas celle qui lui a été proposée. Il y a également une faute dans la réponse. En effet, il est difficile de croire que la Pucelle, qui n’a demeuré que quinze jours à Neufchâtel, s’y soit confessée trois fois : la minute française nous apprend ce qu’on a demandé à Jeanne d’Arc, et ce qu’elle a répondu.

Interroguée se elle se confessoit touts les ans, dit que oui, à son propre curé ; et se il estoit empesché, elle se confessoit à ung autre prestre, 203par le congé dudit curé ; et se dist qu’elle s’est confessée deux ou trois fois à des religieux mendiants, et qu’elle recepvoit le corps de Nostre-Seigneur, touts les ans à Pasques.

On lit dans le manuscrit d’Orléans, que la Pucelle fut

interroguée qui lui conseilla de prendre habit d’homme.

L’auteur de ce manuscrit dit qu’il a

trouvé en ung livre que ses voix lui avoient commandé qu’elle prinst un habit d’homme ; et en l’autre que combien qu’elle en fust plusieurs fois interroguée, toutesfois elle n’en fit point de réponse, fors : Je ne charge personne. J’ai trouvé audit livre, — ajoute-t-il, — que plusieurs fois elle varia à cette interrogation.

Il est certain que le premier livre n’était pas une copie du second, puisqu’il met dans la bouche de la Pucelle une réponse toute différente de celle qu’on lit dans le second. Or, celui-ci était la minute latine, dans laquelle il est dit que Jeanne d’Arc refusa longtemps de répondre : qu’elle dit ensuite : Je ne charge personne, et que plusieurs fois elle varia. Le premier contenait donc la minute française et la vraie réponse de la Pucelle. Je dis la vraie réponse, parce qu’elle est conforme à ce que plusieurs fois elle a déclaré hardiment dans le cours du procès, et que la réponse que lui prête la minute latine ne présente aucun sens. Les juges voulaient lui faire un crime d’avoir porté un habit d’homme ; ils ont rédigé la réponse de manière à faire croire qu’elle avait été fort embarrassée, 204lorsqu’on lui avait demandé qui lui avait conseillé de le prendre. Ils ont supposé que longtemps elle avait refusé de répondre ; qu’ensuite elle avait varié dans ses réponses, et qu’enfin elle en avait fait une tout-à-fait insignifiante ; tandis qu’elle avait déclaré franchement que c’étaient ses voix qui le lui avaient conseillé : pouvait-on pousser plus loin la mauvaise foi ! On verra dans le cours de cet ouvrage, que cent fois on a changé les questions proposées à la Pucelle, ainsi que ses réponses, afin de pouvoir la trouver coupable.

Les passages que je viens de citer suffisent pour prouver combien la minute française du procès de la Pucelle est nécessaire pour connaître, et la perfidie de ses juges, et l’histoire de sa vie, qu’elle nous a tracée elle-même, dans les réponses qu’elle a faites aux juges qui l’ont interrogée sur le détail de toutes ses actions. Aussi M. de L’Averdy avait-il fait les plus grandes recherches pour se la procurer : mais il n’a pu en découvrir qu’un fragment. Ayant été plus heureux que lui, j’ose espérer que le public me saura gré de lui avoir offert cette minute, mais je dois le prévenir que, dans le manuscrit d’Orléans, il y a une lacune assez considérable. On a omis les trente-deux derniers interrogatoires de la séance du vingt-sept février, et les trente-trois premiers de la séance du premier mars ; et malheureusement ces interrogatoires ne se trouvent pas dans le fragment de la minute 205française, que contient le manuscrit de M. d’Urfé. Il faut espérer qu’on découvrira quelque autre manuscrit qui permettra de compléter cette minute précieuse : je vais expliquer ce qui a donné lieu à cette lacune.

Le caractère du manuscrit d’Orléans nous apprend qu’il n’a été copié qu’à la fin du seizième siècle sur l’ouvrage composé par ordre de Louis XII ; et la signature de M. Thiballier me porte à croire que cette copie a été faite par ordre de M. Thiballier, qui est mort en seize cent treize, lieutenant-criminel au bailliage d’Orléans14.

Je ne doute pas que la minute française ne fût complète dans le manuscrit qu’on avait remis à M. Thiballier ; il y manquait seulement le commencement 207de la préface de l’auteur qui, pour cette raison, n’a pu se trouver dans le manuscrit d’Orléans, quoiqu’il soit très bien conservé. Mais dans l’interrogatoire du vingt-sept février, on avait demandé à la Pucelle si elle avait vu saint Michel et ses anges corporellement ; quelle figure il avait ; ce qu’il lui avait dit la première fois qu’elle le vit. Après avoir écrit une partie de la réponse à cette question, le copiste a probablement interrompu son travail. Lorsqu’il a voulu le reprendre, au lieu d’examiner à quel interrogatoire il en était resté, il a cherché dans le manuscrit un endroit où il était parlé de saint Michel, il en a trouvé un dans l’interrogatoire du premier mars, il s’est mis à copier. Saint-Michel était-il nu ? avait-il une balance ? croyant que ces questions faisaient suite avec ce qui précédait. M. Thiballier, en lisant son manuscrit, a pensé la même chose ; il a cru que la fin de la séance du premier mars faisait partie de celle du vingt-sept février, et que depuis ce jour, jusqu’au trois mars, il n’y avait point eu d’interrogatoire ; il a donc regardé sa copie comme exacte, et n’a pas cherché à la compléter.

Le manuscrit qui est maintenant déposé à la bibliothèque publique d’Orléans, appartenait avant la révolution, à celle du chapitre de la cathédrale. M. Deloynes d’Auteroche de Talsy, qui en était doyen, avait envoyé à M. de Breteuil une notice de ce manuscrit, composée par M. Moutié, grand-chantre ; elle a été communiquée à 208M. de L’Averdy, qui l’a insérée dans son ouvrage, page 223.

À cette époque, M. Laurent, directeur des vingtièmes à Orléans, possédait une copie authentique des actes latins du procès de la Pucelle15.

M. Moutié et M. Laurent comparèrent ensemble les deux manuscrits ; après cette comparaison, M. Moutié soupçonna que le manuscrit du chapitre contenait la minute française de ce fameux procès16, et je suis convaincu que ses doutes se seraient convertis en une certitude absolue s’il avait lu ce que M. de L’Averdy a écrit quelque temps après sur le manuscrit de M. d’Urfé. M. Laurent s’efforça de le dissuader ; il prétendit que le manuscrit du chapitre ne contenait pas, à proprement parler, les actes du procès de la Pucelle, mais seulement une histoire abrégée de ses faits et de ses gestes ; que son procès y était plutôt rapporté en forme historique qu’en forme judiciaire, et que c’était l’écrivain qui racontait à sa manière ce qui avait été dit et fait dans chaque session.

Il est 209vrai qu’au commencement du manuscrit, on trouve une histoire abrégée des actions de la Pucelle, laquelle a été imprimée à la tête du Journal du siège d’Orléans, dans l’édition de seize cent vingt et un ; on y lit :

Cy commence la déduction du procès fait par M. Pierre Cauchon, évesque et comte de Beauvoys, en matière de foi, contre une femme nommée Jehanne, vulgairement appelée la Pucelle, translaté de latin en francois, par le commandement du roi Louis XII du nom, à la prière de M. l’amiral de Graville.

Ce texte, et les observations que j’ai faites ci-dessus, suffisent pour prouver que les réflexions de M. Laurent n’étaient pas exactes, et ne devraient pas faire changer de sentiment à M. l’abbé Moutié.

On pourrait m’objecter que l’auteur ayant déclaré qu’il a traduit la minute latine du procès de la Pucelle, par ordre de Louis XII, j’ai tort d’offrir son ouvrage comme contenant la minute française de ce procès. J’avoue qu’au premier coup d’œil, cette conséquence paraît juste ; mais les raisons que j’ai exposées au commencement de cette dissertation étant décisives, il faut se borner à dire : 1° que l’auteur du manuscrit a effectivement traduit plusieurs pièces qu’il a insérées dans son ouvrage ; 2° qu’il est très probable qu’il a regardé la minute française, qu’il avait entre les mains, comme une traduction de la minute latine ; 3° qu’ayant été chargé de présenter en français 210à Louis XII, les actes du procès de la Pucelle, et ayant trouvé la minute française, il s’en est servi pour s’épargner la peine de faire une traduction ; et 4° qu’il a cependant voulu faire croire qu’il avait fait effectivement cette traduction pour se donner plus de mérite auprès de Louis XII et de l’amiral de Graville ; au reste, l’auteur du manuscrit copiait si servilement tout ce qui lui tombait sous la main, qu’il nous a donné deux copies très différentes de la sommation que la Pucelle a faite au roi d’Angleterre de sortir du royaume, et deux copies tout-à-fait semblables de la sommation que l’évêque de Beauvais a faite aux ducs de Bourgogne et de Luxembourg, de remettre la Pucelle au roi d’Angleterre ; et deux de la lettre écrite par le roi d’Angleterre aux prélats, gens d’église, ducs, comtes, nobles et citoyens du royaume, pour faire connaître les motifs de la condamnation de Jeanne d’Arc.

M. Langlet du Fresnoy a donné une Notice du manuscrit d’Orléans dans le deuxième tome de son Histoire de la Pucelle17 ; il l’annonça comme étant in-folio. M. Moutié soutient qu’il est in-4°. Je crois qu’on peut concilier ces deux sentiments, en disant qu’il forme un très petit in-folio ou un très grand in-4° ; aussi ce n’est point pour un objet de si peu d’importance, que je ferai le moindre reproche à M. Langlet du Fresnoy, ce sera pour avoir omis de parler dans sa notice, des actes mêmes du procès de la Pucelle qui contiennent 211les questions qui lui ont été faites, et ses réponses, actes qui occupent la moitié du volume.

Le manuscrit imprimé ici nous apprend que la Pucelle ayant été prise le vingt-huit mai quatorze cent quarante [trente], les Anglais firent pendant six semaines les plus vives instances auprès du duc de Bourgogne et du duc de Luxembourg, pour les déterminer à leur remettre une guerrière que ses exploits leur avaient rendue si redoutable. Il est vrai que les lois de la guerre permettaient au roi d’Angleterre de réclamer certains prisonniers en payant à celui auquel ils s’étaient rendus, une rançon qui n’excédait jamais 10,000 francs, mais il fallait que ce prisonnier fût un prince du sang royal, ou un connétable, ou un maréchal de France, ou au moins un lieutenant-général18. Le roi d’Angleterre n’aurait donc pu réclamer la Pucelle, qu’en la regardant comme un des principaux 212généraux de l’armée française : on conçoit facilement que les Anglais ont dû essayer toutes sortes de moyens, avant de se déterminer à rendre un témoignage si honorable aux talents de Jeanne d’Arc.

Pendant ces six semaines, Charles VII aurait donc pu faire des démarches auprès du duc de Bourgogne, pour obtenir l’élargissement de la Pucelle, et offrir une rançon qui eût flatté le duc de Luxembourg. Il est probable que le duc de Bourgogne, qui était mécontent de la hauteur des Anglais, et qui voyait leur puissance diminuer tous les jours, aurait consenti volontiers à prier le duc de Luxembourg de traiter de la rançon de Jeanne d’Arc, avec le roi de France. Ce seigneur savait combien son épouse était attendrie sur le sort qui menaçait cette jeune guerrière ; lui-même partageait ces sentiments, puisqu’il avait témoigné tant de répugnance à la livrer aux Anglais. Tout porte 213à croire que cette négociation aurait réussi : aussi le manuscrit dit positivement

que le conseil du roi d’Angleterre craignoit que la Pucelle n’eschappast en payant rançon ou autrement ; et que voyant que le duc de Luxembourg la vouloit bailler à nulle fin, il en estoit bien mal content.

Il est difficile ou même impossible de disculper Charles VII de n’avoir fait aucune démarche pour obtenir la liberté de Jeanne d’Arc, et d’avoir témoigné si peu de reconnaissance envers une héroïne, sans laquelle il aurait infailliblement perdu sa couronne.

Le continuateur de l’Histoire de France de Velly19, prétend que

dès que Jeanne d’Arc fut arrêtée, Pierre Cauchon réclama, comme son pasteur métropolitain, le droit de la condamner ; qu’il s’adressa pour cet effet à l’inquisiteur, au duc de Bourgogne, au roi d’Angleterre, et qu’il ne discontinua ses poursuites qu’on ne lui eût livré sa proie.

Ce qu’a dit Villaret a été répété par une infinité d’auteurs, qui se plaisent à nous représenter l’évêque de Beauvais comme un tigre altéré du sang de la Pucelle, et qui attendait avec impatience le moment où il pourrait se jeter sur elle, et la dévorer. Je suis bien éloigné de vouloir justifier ce prélat : dans l’instruction du procès de Jeanne d’Arc, il a donné plusieurs preuves de mauvaise foi qui suffisent pour ternir sa mémoire ; cependant il est certain qu’il ne s’est chargé qu’avec la plus grande répugnance, d’un procès dont il redoutait les suites : c’est ce 214que nous apprend le manuscrit publié ici. Ce fait m’a paru assez intéressant pour que j’en fisse connaître toutes les circonstances.

Trois jours après la prise de la Pucelle, le vicaire-général du grand inquisiteur avait sommé le duc de Bourgogne de la remettre entre ses mains, afin qu’il lui fît son procès comme étant véhémentement soupçonnée d’hérésie ; on n’avait fait aucun cas de cette sommation. L’Université de Paris avait écrit à ce duc pour appuyer la demande du vicaire-général de l’inquisiteur ; cette lettre était demeurée sans réponse. Les Anglais voyant que ces moyens n’avaient pas réussi, envoyèrent à différentes fois des députés aux ducs de Bourgogne et de Luxembourg, pour les déterminer à leur remettre Jeanne d’Arc ; mais ces nouvelles démarches avaient encore été infructueuses. Dans cette perplexité, on assembla plusieurs fois le conseil pour aviser aux moyens qu’on devait employer afin d’obtenir qu’on livrât la Pucelle au roi d’Angleterre. Un des conseillers proposa de mander l’évêque de Beauvais, et de lui représenter que cette fille dangereuse avait été prise dans son diocèse, qu’elle y était détenue prisonnière, et par conséquent que c’était à lui d’instruire son procès. On l’engagea à la réclamer, tant en son nom qu’en celui du roi d’Angleterre, qui consentait à payer 10,000 fr. pour sa rançon c’est-à-dire autant qu’il aurait payé pour un roi de France.

Pierre Cauchon résista quelque temps. Il prévoyait qu’en 215déclarant Jeanne d’Arc innocente, il s’attirait la haine des Anglais, et s’exposerait à leur vengeance ; et qu’en la condamnant il trahirait sa conscience. Les Anglais redoublèrent leurs instances, il fut ébranlé ; il promit de consulter l’Université de Paris, et de suivre sa décision. Ce qu’on appelait alors l’Université de Paris n’était composée que des docteurs vendus aux ennemis de la France ; la partie saine de ce corps respectable avait abandonné Paris avec Charles, encore dauphin, et s’était retiré à Poitiers. L’Université répondit au prélat qu’il pouvait et qu’il devait réclamer la Pucelle et instruire son procès. Elle lui offrit d’écrire une seconde lettre aux ducs de Bourgogne et de Luxembourg, pour lui représenter que, comme bons chrétiens, ils devaient s’empresser de livrer leur prisonnière au roi d’Angleterre et à l’évêque qui la réclamait, afin qu’on procédât contre elle, comme étant fortement soupçonnée d’être hérétique et magicienne. Le prélat crut que la décision de l’Université mettait son honneur à couvert ; il étouffa le cri de sa conscience, et consentit enfin à devenir le vil instrument de la vengeance des Anglais.

On ne voulut donner lieu à la réflexion ni au repentir. La lettre de l’Université fut aussitôt écrite ; elle est datée du quatorze juillet mil quatre cent trente. On rédigea en même temps la sommation qui devait être faite aux ducs de Bourgogne et de Luxembourg. Le quinze, Pierre Cauchon partit de Paris, accompagné d’un notaire apostolique et d’un envoyé 216de l’Université. Le seize, cette sommation fut signifiée aux deux ducs ; on leur remit en même temps la lettre de l’Université. On offrait, dans cette sommation, 10,000 fr. au duc de Luxembourg, pour la rançon de la Pucelle20, et 300 liv. de rente viagère au bâtard de Vendôme, qui l’avait arrêtée. Le duc de Luxembourg délibéra quelques jours sur le parti qu’il devait prendre. Le roi d’Angleterre réclamant la Pucelle, comme étant un des principaux généraux du roi de France, et offrant la plus forte rançon qu’on pût exiger de lui, le duc de Luxembourg se vit obligé d’accepter les offres des Anglais ; toutefois il ne leur livra qu’au mois d’octobre son intéressante prisonnière.

Cependant l’évêque de Beauvais ne pouvait se déterminer à procéder contre Jeanne d’Arc ; l’Université lui en fit des reproches dans une lettre qu’elle lui écrivit le vingt-un novembre. Malgré ses sollicitations, il ne se rendit à Rouen qu’à la fin du mois de décembre ; ce ne fut que le vingt-sept de ce mois qu’il convoqua les personnages les plus grands, les plus éclairés et les plus lettrés, pour les prier d’assister à un procès que le roi de France et d’Angleterre, leur souverain seigneur, voulait qu’on fît à une 217femme vulgairement nommée la Pucelle, auquel il voulait procéder par leur conseil ; ils lui répondirent qu’ils y assisteraient volontiers. Le roi d’Angleterre ordonna, le trois janvier, à ceux qui gardaient la Pucelle, de la conduire devant l’évêque de Beauvais, toutes les fois qu’il la requerrait ; ce ne fut cependant que le premier février qu’elle parut devant lui pour la première fois, parce qu’ils ne purent payer sa rançon qu’à cette époque21.

Dans le cours de la procédure, il a constamment 218cherché à détourner de dessus lui la honte d’avoir condamné la Pucelle ; il s’est associé comme juge le vice-inquisiteur ; dans toutes les circonstances importantes il a consulté ses nombreux assesseurs et a toujours suivi leurs avis. Quoiqu’on ne puisse prononcer le nom de Pierre Cauchon sans éprouver un sentiment d’horreur, cependant ce n’est point lui, mais ce sont les Anglais22 qu’on doit accuser d’avoir témoigné un acharnement inconcevable contre Jeanne d’Arc, puisqu’ils ont sacrifié une somme considérable pour obtenir qu’on la remît entre leurs mains, qu’ils ont payé une partie des assesseurs qui ont assisté à son procès23, qu’ils 219ont protesté qu’ils ne la relâcheraient pas quand même elle serait déclarée innocente24, qu’ils n’ont été satisfaits que lorsqu’ils l’ont vue expirer dans les 220tourments les plus inouïs, et qu’ils ont eu l’impudence d’envoyer partout le royaume des lettres scellées du sceau du roi d’Angleterre, afin de justifier la condamnation de cette jeune héroïne, dont ils connaissaient l’innocence, et qui n’était coupable à leurs yeux que parce que son nom seul répandait la terreur et l’épouvante au milieu de leurs phalanges25.

Notes

  1. [1]

    [Éd.] Le texte porte tout du long Manchou.

  2. [2]

    En quatorze cent cinquante-deux, Philippe de la Rose, fut nommé par le cardinal d’Estouteville pour continuer les informations qu’il avait commencées, non à la requête de Charles VII, comme le soupçonnèrent M. de L’Averdy et M. Lebrun des Charmettes, mais à celle de la mère et des frères de Jehanne d’Arc, pour réhabiliter sa mémoire. Le procurateur, Jehan Prévosteau, proposa alors vingt-sept nouveaux articles, sur lesquels les témoins furent interrogés et dont la vérité fut constatée.

    Le premier porte :

    que le procès d’icelle Jehanne, fut premièrement fait en français et depuis translaté en latin, en laquelle translation furent obmises plusieurs de ses excusations, et changées plusieurs de ses responses, aultrement qu’elle ne les avoit faites, comme on peut veoir à l’original de son procès, qui est en plusieurs lieux différent de ladicte translation.

    Il est dit aussi à l’article 5 :

    que les notaires, escrivains en la cause, pour la crainte de menaces que leur faisoient les Anglois, ne osoient escrire véritablement ce que ladicte Jehanne disoit en ses responces, ne faire les actes du procès, selon la vérité.

  3. [3]

    Il y avait le mot service dans le manuscrit, et le copiste a cru qu’il y avait le mot saincte, qui renferme le même nombre de lettres, et qui commence par une s et finit par un e, comme le mot service. — D.

  4. [4]

    L’Averdy, p. 484.

  5. [5]

    [Éd.] Le texte porte Taquet.

  6. [6]

    L’Averdy, p. 484.

  7. [7]

    Enquêtes qui ont précédé le procès de révision (voy. L’Averdy, p. 476.) :

    Ipse loquens (Manchon) erat in pedibus judicum cum Guillelmo Coles et clerico magistri Guillelmi Beaupère, qui scribebant, sed in eorum scriptura erat magna differentia, adeoque inter eos erat magna contentio… quanto dicebatur ipsi loquenti quod per alios fuerat aliter scriptum inducendo eum quod scriberet ad modum aliorum quibus respondebat, quod nihil mutaret prout nec mutavit.

    [Le déposant (Manchon), se tenait aux pieds des juges, avec Guillaume Colles et le clerc de maître Guillaume (Jean !) Beaupère, lesquels prenaient également des notes  ; mais il y avait de grandes divergences dans leurs transcriptions, suscitant un vif désaccord entre eux… et lorsqu’on lui faisait observer que d’autres avaient écrit autrement, et qu’on l’exhortait à écrire comme eux, il répondait qu’il avait écrit fidèlement et qu’il ne changerait rien.]

    Il suit de cette déposition que si la minute latine, rédigée par Manchon, était exacte, celle qui était rédigée par Coles, dit Boisguillaume, était extrêmement infidèle ; aussi était-elle la seule que les Anglais laissassent circuler dans le public. C’est pour cette raison que les deux manuscrits de la Bibliothèque du roi, n° 5965 et 5966, qui sont expédiés en forme authentique, sont signés au bas de chaque folio Coles, dit Boisguillaume. Il est vrai qu’on trouve à une page de chacun de ces manuscrits la signature des deux autres notaires, Manchon et Taquet, qui avaient été nommés, comme Boisguillaume, pour rédiger les actes du procès de la Pucelle ; mais cette signature prouve seulement que l’expédition qu’on leur avait montrée était conforme à l’original sur lequel elle avait été livrée, et non pas qu’elle renfermât les questions telles qu’elles avaient été proposées à la Pucelle, et ses vraies réponses. — D.

  8. [8]

    L’Averdy, p. 478.

    Dicit quod in processu principali facto in gallico inseruit veritatem interrogationum et articulorum traditorum per promotorem et judices, et responsiones dictæ Johannæ.

    [Il dépose que, dans le procès principal rédigé en français, il a consigné la vérité des questions et articles transmis par le promoteur et les juges, ainsi que les réponses de Jeanne.]

  9. [9]

    Lebrun, Histoire, t. III, p. 267.

  10. [10]

    Lebrun, Histoire, t. III, p. 285 et 260.

  11. [11]

    Dans ses Recherches, t. VI, chap. 5.

  12. [12]

    Rapin-Thoyras a inséré dans son Histoire d’Angleterre une dissertation sur la Pucelle ; il appuie ce qu’il dit, 1° sur le passage de Pasquier que je viens de citer, et qu’il suppose entièrement conforme aux actes du procès de Jehanne d’Arc, quoiqu’il les contredise formellement ; 2° sur le témoignage de Monstrelet, qui vivait dans un pays ennemi des Français, etc. ; 3° sur la lettre écrite par le roi d’Angleterre au duc de Bourgogne, et à tous les évêques et seigneurs de France, pour justifier la condamnation de cette infortunée guerrière, que toutes les personnes impartiales lui reprochaient comme une injustice criante et comme un acte de vengeance indigne d’un souverain : qu’on juge maintenant du mérite d’une dissertation qui repose tout entière sur des fondements aussi ruineux ! — D.

  13. [13]

    Minute latine, Lebrun, Histoire, t. III, p. 286.

  14. [14]

    Un autre Thiballier est mort en quinze cent quatre-vingt-trois, avocat du roi au bailliage d’Orléans. Si le manuscrit de notre bibliothèque lui a appartenu, il est certain qu’il l’a fait copier dans les dernières années de sa vie ; car le caractère dont il est écrit, quoique très lisible, ne peut remonter au-delà de quinze cent quatre-vingt.

    Il est vrai qu’on n’y voit aucune ponctuation, mais plusieurs i sont marqués d’un point, les u sont très distingués des n ; les l qui sont au milieu des mots s’élèvent à peine au-dessus du corps de l’écriture ; elles ressemblent à nos e ; les n et les m majuscules sont tellement penchées vers la gauche, qu’elles sont presque horizontales. Plusieurs a et plusieurs e sont semblables aux nôtres, etc. Voici la notice de ce manuscrit. Il est écrit sur papier et couvert en veau fauve avec filet ; la tranche est dorée et dentelée. Il renferme :

    1. Une histoire abrégée de la Pucelle, jusqu’au sacre de Charles VII ;
    2. Les préliminaires de son procès ;
    3. La minute française de ce procès jusqu’à la deuxième sentence de condamnation inclusivement ;
    4. L’information qui a été faite après la mort de la Pucelle, pour justifier sa condamnation ;
    5. La lettre du roi d’Angleterre écrite à tous les évêques, ducs, comtes, etc., et pour le même objet ; elle est datée de Rouen, le 28 juin 1431 ;
    6. Un abrégé du procès de révision, dans lequel il est dit que c’est à la requête de la mère et des frères de Jeanne d’Arc, que le cardinal d’Estouteville a fait une information pour réhabiliter sa mémoire ; qu’il nomma M. Prévosteau pour son promoteur, et pour notaire Denis le Comte et François Tobonne, notaires apostoliques.

    On trouve dans le manuscrit les douze articles sur lesquels les témoins furent interrogés. Le cardinal d’Estouteville ayant été obligé de se rendre à Rome, nomma Philippe de la Rose pour le remplacer, et lui donna plusieurs assesseurs. On dressa vingt-sept nouveaux articles, sur lesquels plusieurs témoins furent assignés ; ces vingt-sept articles se trouvent dans le manuscrit, avec un extrait des principales dépositions. Ils sont suivis de la traduction française, de la sentence de réhabilitation de la Pucelle, de la liste des témoins qui ont été interrogés par ordre des commissaires nommés par le pape, et d’un extrait des dépositions les plus remarquables.

    Le manuscrit est terminé par un ouvrage tout-à-fait étranger à la Pucelle : c’est une pièce de vers français en forme de dialogue, composée par ordre de madame la duchesse de Nevers, sur la mort de mademoiselle Hélène d’Albert, sa sœur ; les interlocuteurs sont la défunte, sa sœur et la Fortune. — D.

  15. [15]

    M. Laurent est mort au commencement de la révolution, laissant une fille unique, mariée à Gien, à M. de Hancourt. Sa bibliothèque, qui était bien choisie, a été vendue ; mais avant cette vente, le volume qui contenait le procès de la Pucelle avait disparu. Quelques recherches que j’aie faites, je n’ai pas encore pu découvrir dans quelles mains il a passé. — D.

  16. [16]

    L’Averdy, p. 226 et 227.

  17. [17]

    Histoire, p. 137.

  18. [18]

    Voy. les Actes Publics de Rymer t. IV, page 235, année quatorze cent vingt-huit. Dans le traité fait avec le comte de Salisbury, pour l’autoriser à lever un corps de troupes, le roi déclare expressément que ledit comte aura tous les prisonniers qui seront pris par lui ou aucuns de ses gens :

    exceptez rois et grands capitaines du sang royal et tous les lieutenants, connestables et mareschaux, ayant pouvoir de Charles, qui se dit roi de France, et pour lesquelz le roi nostre seigneur fera raisonnable agrément à celui ou à ceux qui les auront pris.

    En conséquence de l’usage constamment reçu, le maréchal de Rieux ayant été pris par Jehan Cornwal, le roi avait le droit de le réclamer, mais il permit à ce seigneur de le regarder comme prisonnier. Voici le texte des lettres-patentes du roi d’Angleterre :

    Cum Petrus de Reus, Armiger, marescallum Franciæ se dicens, nuper tanquam unus principalis capitaneus et ductor partis adversæ, in campo captus fuerit, idemque Petrus nobis et non ad alium, tanquam prisonnierus noster pertineat et pertinere debeat, nos de gratia speciali dedimus ei Johanie Cornewali, qui præfatum Petrum cepit, quidquid nobis pertinet in prisionnario prædicto, ita quod idem Johannes præfatum Petrum habeat et teneat ipsum tanquam prisonnierum secum tractet et gubernet. 13 aprilis 1420.

    — D.

  19. [19]

    Villaret, continuateur de l’Histoire de France de l’abbé Velly, t. 14, p. 42.

  20. [20]

    Ces 10,000 liv. valaient environ 60,000 de notre monnaie ; car dans les comptes de la ville d’Orléans, pour l’année quatorze cent trente, on lit que le marc d’argent était estimé 7 liv. 15 sols parisis ou 8 liv. tournois ; c’est-à-dire à peu près six fois moins qu’il ne vaut actuellement.

  21. [21]

    Lorsque le duc de Luxembourg eut promis de rendre la Pucelle à condition qu’on lui paierait une rançon de 10,000 liv., le duc de Bedfort n’ayant point de fonds, se trouva fort embarrassé ; pour s’en procurer, il convoqua à Rouen, pour le quatre août quatorze cent trente, les états de la province de Normandie et de celles qui avaient été conquises depuis dix à douze ans. 10,000 livres devaient être employées à payer la rançon de Jeanne d’Arc, 10,000 à faire le siège de Louviers ou de Bon Moulins ; et on exigea que sur cette somme, on payât 80,000 liv. avant la fin du mois de septembre.

    On possède, à la bibliothèque d’Orléans, plusieurs pièces curieuses qui ont été copiées en 1775, par M. Mercier, abbé de Saint-Léger de Soissons, sur les actes originaux qui se trouvaient alors dans les archives de Saint-Martin-des-Champs. Parmi ces pièces, il se trouve une répartition faite sur les paroisses de la vicomté d’Argentan [le texte porte Argenteau] et d’Exmes, de la somme de 6,430 liv. pour leur quotepart de la somme de 80,000 liv., et dont 10,000 liv. devaient servir à payer la rançon de la Pucelle. Elle était payée le vingt octobre ; car une des pièces dont je viens de parler est une quittance de Jehan Bruyse, escuyer, garde des coffres du roi, de 5,249 liv. 19 sols 10 den., et reçue de Pierre Sureau, receveur général de Normandie, en vertu de lettres du roi, données à Rouen le vingt octobre quatorze cent trente, pour remplacer pareille somme qui était sortie de ses coffres,

    pour l’employer en certaines ses affaires touchant les 10,000 l. payés par ledit seigneur, pour avoir Jehanne, qui se dit Pucelle, personne de guerre.

    — D.

  22. [22]

    Il faut se rappeler que l’abbé Dubois était prêtre. Mais rien ne peut laver la honte dont s’est couvert l’infâme évêque de Beauvais, en condamnant une innocente jeune fille à un horrible supplice, pour satisfaire la vengeance d’un ennemi irrité. — J.-A. Buchon.

  23. [23]

    Dans les pièces copiées par M. Mercier dans les archives de Saint-Martin-des-Champs, se trouvent des ordonnances de Thomas Blunt, chevalier, et général gouverneur des finances du roi d’Angleterre, adressé à Pierre Sureau, receveur général de Normandie, pour lui enjoindre, par ordre du roi, de payer :

    1° vingt sols par jour à six membres de l’Université de Paris, qui avaient été envoyés à Rouen pour assister au procès de la Pucelle, à compter du dix-huit février quatorze cent trente-un jusqu’à leur retour à Paris. Ces docteurs sont : Jehan Beau-Père, Jacques de Thouraine, frère mineur, Nicole Midy, Pierre Morice, Gérard Feuillet, et Thomas de Courcelles ;

    2° 20 sols d’or à Pierre le Maître, vicaire de l’inquisiteur et prieur du couvent des frères prescheurs de Rouen, pour ses peines, jusqu’au quatorze avril ;

    3° 100 liv. à quatre des docteurs ci-dessus nommés, savoir : Jehan Beau-Père, Nicole Midy, Jacques de Thouraine et Gérard Feuillet, pour les indemniser des frais, qu’ils ont faits en portant à Paris les douze articles auxquels on avait réduit les aveux de la Pucelle, et afin de les communiquer au duc de Bedfort et aux gens de son conseil, et à l’Université de Paris ;

    4° 20 sols par jour à Guillaume Erard, pendant tout le temps qu’il aura vaqué à l’instruction dudit procès : il s’est fait payer 31 francs, pour y avoir vaqué depuis le six mai jusqu’au cinq juin.

    M. Mercier a aussi copié plusieurs quittances des personnes ci-dessus dénommées. Il en résulte que les docteurs de Paris ont demeuré à Rouen jusqu’au dix juin, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’information qui suivit la mort de la Pucelle fût terminée. Il est vrai que les Anglais ne payaient pas les docteurs qui avaient leur résidence à Rouen, mais on les menaçait de les condamner à une amende, s’ils négligeaient d’assister à tous les interrogatoires. À la fin de celui du 1er mars, on lit dans la minute française :

    Fut faite assignation à tous les assistants, au samedi ensuivant, heure de huit heures du matin, et fut requis de eux s’y trouver aux jour et heure dessusdits, qu’ils ne fussent intéressés, — c’est-à-dire, ajoute la minute, — sur certaines peines.

  24. [24]

    Dans ses lettres, du 3 janvier 1431, le roi d’Angleterre déclare formellement que son intention est de

    ravoir et de reprendre par-devers lui icelle Jehanne si ainsi il estoit qu’elle ne fût convaincue ou acteinte des cas dessusdits, ou d’aucuns d’iceux, ou d’autres regardant la foi.

  25. [25]

    Au commencement de mai 1430, les Anglais redoutaient tellement la Pucelle, que ceux qui étaient enrôlés pour passer en France, se trouvaient à la vérité aux revues, mais quand le moment de l’embarquement approchait, ils se retiraient dans leurs foyers et refusaient de partir. Le roi fut obligé de faire publier, à Londres et ailleurs, qu’on emprisonnerait tous ces lâches, et qu’on saisirait leurs équipages jusqu’à nouvel ordre. Rymer, qui rapporte cette ordonnance, datée du 3 mai 1430, lui donne pour titre De Proclamationibus contra capitaneos et soldarios tergiversantes, incantationibus Puellæ terrificatos ; ce qui signifie : Des proclamations qui doivent être faites contre les capitaines et les soldats qui refusent de partir, parce que les sortilèges de la Pucelle les ont épouvantés. — (Actes de Rymer, t. IV, part. 4, p. 160.)

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