A. Baillet  : Vie d’Edmond Richer (1714)

Livre I

Livre premier

Depuis que la politique séculière, et le génie de l’intérêt humain, se sont mêlés dans le gouvernement de l’Église, il s’est trouvé si peu de personnes capables de délivrer la vérité de leurs vexations, qu’on ne saurait faire paraître trop d’empressement pour connaître quels ont été ceux que Dieu a suscitez de temps en temps pour une si sainte entreprise. L’autorité de ceux qui veulent qu’Edmond Richer, docteur de Sorbonne, ait été du nombre de ces hommes extraordinaires, m’a fait rechercher d’abord avec tout le soin possible, ce qu’il a fait, ce qu’il a souffert, et ce qu’il a écrit pour la défense de la vérité. La même autorité m’a ensuite déterminé à communiquer au public ce que j’en ai pu remarquer, soit pour l’en instruire, soit pour lui faire juger si c’est à juste titre que ce docteur porte la qualité de défenseur de la vérité.

I.
1560. Naissance de Richer.

Il était né à Chource, petite ville dans ce le diocèse de Langres, dans la Comté de Champagne, à cinq lieues de Troyes, le dernier jour de septembre de l’an 1560, sous le pontificat de Paul IV et le règne de François II, dans le temps que l’on brûlait les huguenots à Paris sous le nom de Luthériens.

Ses parents étaient de famille fort honnête dans le commun du peuple, et en réputation de probité parmi les habitants du pays, mais peu accommodés des biens de la fortune. Le grand nombre des enfants qu’ils avaient de l’un et de l’autre sexe, les avait réduits à se contenter de les élever auprès d’eux, ou à leur procurer une éducation telle que les petites écoles du lieu la pouvaient donner. Néanmoins la piété qui leur avait inspire le désir d’en consacrer un particulièrement au service de Dieu, leur avait fait trouver le moyen d’entretenir l’aîné de leurs garçons aux études, espérant que dans l’état ecclésiastique ou religieux, il pourrait attirer la bénédiction du ciel sur leur maison.

Edmond qui était celui d’après, n’avait pas lieu de prétendre qu’ils fissent jamais de semblables efforts en la faveur. Mais cette considération ne fut pas allez forte pour vaincre en lui l’inclination qu’il avait toujours eue pour l’étude : de sorte que se voyant âgé de 18 ans, et pressé par les parents de se déterminer sur le choix d’une vacation qui pût faire son établissement et sa subsistance, il se servit de la liberté qu’ils lui donnaient de quitter la maison paternelle dans cette vue, et s’en vint à Paris.

II.
Ses études.

Il entra sans délibérer dans un collège de l’Université ; et jugeant qu’il ne pourrait parvenir à la jouissance de la sagesse que par un assujettissement semblable à celui auquel Jacob se réduisit pour obtenir Rachel, il mit sa vie en sûreté contre la faim, par quelques services qu’il rendit au collège, et donna tout le reste de son temps à l’étude. Ainsi sans attendre d’aucun autre endroit que du ciel les secours nécessaires à une si grande entreprise, il s’appliqua premièrement à la connaissance des deux langues savantes, avec un travail si opiniâtre et si heureux, qu’en moins de trois ans il se vit en état de passer en philosophie, et fut reçu maître ès arts deux ans après1.

De là il fut admis dans les écoles de théologie, où il eut pour compagnons ceux qui avaient été ses maîtres dans les classes d’humanités. Ce fut pour lors que la fortune, dont il avait supporté les mauvais traitements pendant cinq ans avec un courage invincible, se lassa de le persécuter, et se laissa vaincre à la réputation que son mérite lui avait déjà acquise dans toute l’Université. Car un docteur de théologies nommé Étienne Roze, vicaire de Saint-Yves, le retira chez lui, le traita comme un père ferait un fils, et l’assista dans tout ce qui lui était nécessaire pour mener une vie plus commode, et fournit aux dépenses que l’on fait dans les écoles pour les thèses, et les autres actions publiques. Richer usa toujours frugalement de la table et de la bourse de son bienfaiteur ; mais il n’en fit pas de même de la bibliothèque. Il ne se contenta pas de donner à la lecture de ses livres toutes les heures du jour qu’il ne devait pas absolument aux classes de Sorbonne ; il y passait encore les nuits, sur lesquelles il ne prenait que deux heures pour son repos, profitant des avantages d’une complexion très robuste qu’il avait apportée en naissant, et que la dureté de la vie qu’il avait menée dans le collège, n’avait fait que fortifier.

Il fut choisi quelque temps après pour professeur dans l’université, et il fut ravi que Dieu lui procurât cette occasion pour cesser d’être à charge à son bienfaiteur. Après avoir enseigné les humanités pendant deux ans, il fit sa rhétorique, où il se distingua principalement par les nouveaux moyens qu’il fournit pour perfectionner cet art, et pour en prévenir le mauvais usage2. Il apprit surtout la manière de ne point donner prise à son adversaire, et de prendre toujours sûrement son avantage. C’est ce qu’il continua de faire encore plus sensiblement dans la logique, qu’il enseigna l’année suivante.

Ses engagements dans la ligue.

Après avoir dicté un cours de philosophie, il se remit sur les bancs de théologie, pour finir la licence. La Faculté se trouvait alors entièrement déréglée par tous les désordres que les fureurs de la ligue causaient dans la ville de Paris, révoltée contre son roi. Depuis quelques mois elle avait donné un décret en Sorbonne3, par lequel elle avait eu l’insolence de déclarer tous les sujets du roi dispensés du serment de fidélité qu’ils lui devaient, et les avait excités à prendre les armes contre lui, sous prétexte de conserver la religion4. Cet horrible décret avait été publié dans toutes les églises, et dans plusieurs provinces, par les prédicateurs mendiants, et par la plupart des curés même. On refusait déjà tout communément l’absolution, la communion, et la sépulture ecclésiastique à quiconque refusait de se départir de l’obéissance de Henri III, qu’on n’appelait plus autrement qu’apostat et tyran. Enfin il n’y avait pas quinze jours que ce prince infortuné avait perdu la vie et la couronne, par un parricide que plusieurs regardaient comme le fruit du décret de Sorbonne, lorsque Richer se fit inscrire en la Faculté pour le doctorat5.

Ainsi se trouvant enveloppé dans les malheurs de la théologie du temps, il continua dans les préjugés où il avait été élevé, sans que Dieu permît qu’il rencontrât aucune personne éclairée, pour lui dessiller les yeux6. Son peu d’expérience, la mauvaise conjoncture des temps, et la nature des études qui lui étaient prescrites suivant la discipline scolastique, lui ôtaient la connaissance des anciens pères et des conciles, qui auraient pu d’ailleurs produire en lui ce bon effet : de sorte que toute la passion qu’il faisait paraître pour apprendre les vérités de la religion, et pour se rendre le plus habile de la licence, se termina pour lors aux écrits des professeurs, et au traité que Bellarmin, jésuite, qui fut depuis cardinal, avait publié depuis peu touchant l’autorité du souverain pontife, qu’on lui faisait respecter comme un cinquième Évangile, s’il est permis de répéter ses expressions7.

Il fallut soutenir des thèses conformes à la doctrine de ses maîtres, et il s’en acquitta avec tout le zèle d’un jeune ligueur disposé à jurer sur les écrits des Espagnols et des Italiens, et infecté des maximes du docteur Boucher8, curé de Saint-Benoît, le plus séditieux boutefeu de la ligue, qui dans la suite des temps se rendit l’un de ses plus implacables ennemis. Il se laissa emporter au torrent qui ravageait alors toute la Sorbonne, et le mauvais exemple l’engagea, comme plusieurs autres, à louer le parricide de Jacques Clément, comme une action héroïque, qui devait procurer la liberté à l’État et à l’Église de France9.

Son changement.

Mais Dieu ne permit pas qu’il demeurât longtemps dans son aveuglement. Personne ne put l’empêcher de faire connaître dans ses dernières thèses, combien il était opposé à ceux qui parlaient de faire venir l’infante d’Espagne en France, pour la mettre sur le trône, au préjudice du roi de Navarre. Il fit valoir dans la dispute les droits de la couronne, avec une liberté qui pensa lui être funeste10. Il fit voir combien il est plus avantageux aux États d’avoir des rois par succession héréditaire, que par élection ; et de quelle importance il est pour la monarchie, que les femmes soient exclues du gouvernement. La crainte d’être refusé au doctorat, l’empêcha pour lors d’aller plus loin : mais il n’eut pas plutôt reçu le bonnet, qu’il se porta ouvertement pour Henri IV et travailla puissamment dans la faculté, à ramener les esprits, et à les faire rentrer peu à peu dans leur devoir. Il se servit si heureusement du crédit que lui donnaient les charges et les emplois par où on le faisait passer dans l’université et dans la maison de Sorbonne, qu’il se rendit bientôt redoutable aux ligueurs, et à ceux qui cherchaient à profiter des désordres publics, et du relâchement de la discipline.

III.
Il devient prédicateur.

Il porta le même esprit dans la prédication de la parole de Dieu, à laquelle il s’appliqua tout sérieusement depuis qu’il fut docteur. Mais au lieu qu’il avait l’air sévère dans les assemblées de l’université, et dans toutes les autres occasions où il s’agissait de rétablir la discipline scolastique, il se donna un caractère doux et pacifique dans la chaire, se tenant à conserver toujours le juste milieu d’une gravité modérée, et digne de la majesté de l’Évangile, pour éviter les deux extrémités, de la badinerie, et de l’emportement ou tombaient la plupart des prédicateurs de son temps.

Quoi que sa manière de prêcher fût extrêmement goûtée, et qu’il fût l’un des plus suivis11, on ne laissa pas de lui donner avis de divers endroits, qu’il deviendrait encore plus agréable au peuple, s’il voulait se rendre plus moral, et s’il s’appliquait fortement à déclamer contre les vices. Mais la crainte de se voir confondre avec certains esprits turbulents de son temps, qui semblaient ne monter en chaire que pour détruire la charité chrétienne, fit qu’il s’excusa sur le peu d’habitude qu’il avait à faire des portraits et des descriptions, et sur ce qu’il se trouvait mieux disposé à expliquer les mystères de la religion, qu’à débiter de la morale.

En effet son application principale était de donner à ses auditeurs une intelligence parfaite de l’Écriture ; ce que la plus grande partie des prédicateurs avaient beaucoup négligé depuis le siècle de saint Thomas et l’introduction de la scolastique dans l’Église. Il en recherchait surtout le sens littéral et historique, l’exposait fidèlement après l’avoir trouvé ; et sans jamais s’en écarter, il le faisait toujours servir de fondement aux maximes qu’il avait dessein d’établir. Il prétendait que le sens littéral de l’Écriture suffit seul pour la connaissance et l’établissement des dogmes, et qu’il n’y a que ce sens qui puisse servir à les trouver ; à quoi il estimait que les sens spirituels et allégoriques étaient entièrement inutiles. Il ne faisait pas même difficulté d’avancer, que toute la doctrine des mœurs et toutes les règles de la vie chrétienne, tirent leur force, et tout ce qu’elles ont de solide, du sens littéral ; que les explications morales et spirituelles ne sont pas recevables, et ne doivent jamais même être proposées, si les vérités qu’elles contiennent, ne sont établies littéralement dans quelque endroit de l’Écriture ; à moins qu’elles ne soient évidentes par elles-mêmes.

Les succès dont le ciel bénit cette méthode de prêcher, attirèrent sur Richer la jalousie de plusieurs envieux, qui tâchèrent de le décrier, et de le faire passer pour un prédicateur sans onction : mais jamais leur inquiétude et leur chagrin ne furent capables de lui faire changer de conduite. Les grands fruits que ses prédications produisirent parmi le peuple, servirent plus que toute autre chose à démentir leurs médisances.

1594.

Il continua pendant plusieurs années de prêcher des avents, des carêmes, des dominicales, et des fêtes particulières, dans la plupart des paroisses, et dans diverses autres églises de la ville, ce qu’il fit toujours avec beaucoup de réputation, sans se départir de la méthode ordinaire.

IV.
Il travaille à soumettre l’université au roi.

La conversion du roi Henri IV qui se fit catholique en 1593 le rendit encore plus hardi qu’auparavant, à prêcher la soumission et la fidélité que lui devaient ses sujets. Non content d’agir sur l’esprit des peuples par la prédication, il se joignit encore à René Benoît, et à ceux des autres docteurs qu’il estimait les mieux intentionnés pour la paix de l’Église, et le repos du royaume. Ils firent si bien par leurs exhortations, et leur crédit, que toute l’université se trouva enfin disposée à reconnaître le roi, lorsqu’après s’être fait sacrer à Chartres, il entra dans Paris le 22 mars de l’année suivante. Ils ne travaillèrent pas moins heureusement auprès des religieux, surtout des mendiants, qui sont du corps de la faculté de théologie, et des moines qui ont des collèges dans l’université ; de sorte qu’après les délibérations d’une assemblée célèbre, tenue aux Mathurins le 18 avril sous le recteur Jacques d’Amboise, tous les membres de l’université prêtèrent serment au roi, et dressèrent un acte public de leur soumission, qu’ils souscrivirent le 22 du même mois.

L’exemple de l’université fut suivi incontinent par les ordres religieux, et les autres communautés régulières. Il n’y eut que les jésuites et les capucins qui refusèrent alors de prier pour le roi, et de lui promettre fidélité. Sur les instances qui leur furent faites, ils alléguèrent que comme ils n’étaient soumis qu’au pape, ils devaient attendre les ordres de la cour de Rome pour cela ; qu’ils prétendaient surtout être exempts de la juridiction royale, et qu’ils ne feraient rien de ce qu’on exigeait d’eux, si le pape ne le leur commandait expressément.

Ce refus servit de prétexte à l’université pour recommencer le procès qu’elle avait intenté contre les jésuites depuis plusieurs années13, et que les troubles du royaume lui avaient fait interrompre. Elle n’accusait leur compagnie entière de rien moins que d’être ennemie de la France, de favoriser la faction espagnole ; de vouloir rendre la puissance des papes absolue sur le temporel des royaumes de la terre, et d’enseigner des maximes séditieuses contre la puissance royale, et la sûreté de la vie des rois ; et elle demandait qu’on leur interdît les écoles publiques, et l’instruction de la jeunesse dans la ville et le royaume. Les curés de Paris intervinrent en la cause de l’université, pour tâcher de faire ôter aux jésuites l’administration des sacrements, et les exclure surtout des confessionnaux et de la chaire. Mais l’attentat de Jean Châtel, écolier de ces révérends pères, qui survint sur la fin de la même année, termina pour lors cette affaire d’une manière peu favorable aux jésuites, et ils furent tous chassés du royaume14, après le supplice de l’écolier parricide qui avait blessé le roi, et celui du père Jean Guignard son maître, dans les écrits duquel on avait découvert la doctrine meurtrière que l’université imputait à la société.

V.
Il est fait grand-maître et principal du collège du Cardinal-Lemoine.

La part que Richer avait eue au succès de l’université, fit connaître qu’il était capable des emplois les plus difficiles ; de sorte que le docteur Étienne Lafilé, grand-maître et principal du collège du Cardinal-Lemoine, étant mort quelque temps après, on jeta les yeux sur lui, pour remplir ces deux places qui se trouvaient vacantes. C’était de tous les collèges de l’université que la guerre avait désolés, celui qui paraissait le plus abandonné : la commodité de la situation à l’entrée de la ville, avait donné lieu aux soldats de s’y loger, et d’y introduire toute sorte de désordres, dont le moindre semblait être l’interruption de la plupart des exercices, et la désertion des écoliers. Les boursiers mêmes, qui s’étaient maintenus dans leur établissement durant les troubles, semblaient avoir oublié leur institut, et vivaient dans un dérèglement, qui ne différait guère de la vie oisive des soldats en quartier d’hiver.

Il réduit les boursiers qui s’étaient révoltés et rétablit la discipline.

Richer comprit d’abord l’obligation que lui imposait ce nouvel emploi ; et ces commencements furent pour les boursiers des présages d’un renouvellement qui ne devait pas être favorable aux désordres de leur communauté. Son air naturellement sévère, leur fit juger qu’il n’aurait pas pour eux la complaisance ou la faiblesse de ses prédécesseurs. Ils commencèrent à le regarder comme un réformateur importun, qui se voyant l’autorité en main, ne manquerait pas d’exécuter dans son collège ce qu’il avait souvent conseillé de faire dans toute l’université, dont il était déjà tout publiquement appelé le Caton.

1595.

Ils cherchèrent donc de bonne heure tous les moyens de traverser ses desseins ; et ne pouvant empêcher qu’il fût grand-maître, ils tâchèrent de lui ôter la principalité, sous prétexte qu’ils ne l’avaient pas choisi eux-mêmes ; prétendant que rien n’était capable de les frustrer du droit d’élire un principal, qui leur appartenait. Ils voulurent procéder juridiquement contre lui, et ils formèrent opposition, non seulement à sa réception, mais encore à tout ce qu’il pourrait entreprendre en qualité de grand-maître, pour tout ce qui les regardait. L’affaire fut portée au parlement, où ils tâchèrent de prévenir leurs juges contre lui par les sollicitations de leurs amis, et par tous les artifices de la chicane, dont ils purent s’aviser.

Le grand-maître se souvenant que Caton le Censeur avait été cité 44 fois devant les tribunaux, et absous autant de fois, crut devoir se reposer sur la bonté de sa cause, et sur l’intégrité de ses juges15. Il obtint des provisions suffisantes pour agir dans toute l’étendue de l’autorité que lui donnait sa charge ; et tous les délais que ses parties obtinrent dans la décision de cette affaire, ne causèrent aucun retardement à la réformation de son collège.

Mais l’approbation qu’il reçut des magistrats et des gens de bien, quoi que capable de le soutenir, et de l’animer, ne servit presque de rien pour diminuer les difficultés qui se rencontrèrent dans son entreprise. Les plus anciens d’entre les boursiers étaient les plus intraitables ; et depuis que le calme était rentré dans la ville, par la réception du roi, ils ne s’étudiaient qu’à réparer les pertes que les malheurs publics de près de 30 années leur avaient fait souffrir. Mais comme ils prétendaient se dédommager sur le collège même, et qu’ils ne semblaient fonder le rétablissement de leurs affaires que sur ses ruines, Richer crut devoir employer d’abord les voies de la douceur, pour les avertir de se conformer aux statuts de la communauté, et de ne point sacrifier le bien public à leurs intérêts particuliers.

Ces moyens n’eurent pas la force de les ramener ; et toutes les raisons qu’il put leur alléguer, ne servirent qu’à les irriter davantage. Il fallut employer des remèdes plus efficaces, et interposer l’autorité du magistrat pour les réduire. Ils ne purent opposer à ses poursuites que des libelles diffamatoires, et quelques vers satyriques pour déchirer sa réputation. La Cour reconnut et condamna les calomnies dont ils avaient rempli un factum et une requête qu’ils lui avaient présentée contre lui. Ceux qui possédaient des bourses depuis vingt-sept ans contre les régalements de leur fondation, les perdirent par un arrêt du parlement, et furent chassés du collège. Cet exemple de sévérité ne fit pas rentrer les autres dans leur devoir, ils demeurèrent dans cette haine irréconciliable qu’ils avaient reçue de leurs anciens, et qui depuis l’établissement de leur communauté, semblait avoir été presque continuelle et héréditaire parmi les boursiers contre leurs grands maîtres. Ils eurent grand soin de la faire passer aux nouveaux venus, de crainte de la laisser périr ; et la palliant sous le beau prétexte de maintenir leurs droits et leurs privilèges, ils la leur firent regarder presque comme un de leurs statuts, et comme une des principales conditions, auxquelles ils les admettaient dans la communauté ; en sorte que la qualité la plus requise parmi eux pour recevoir un boursier, était d’apprendre à plaider contre son grand-maître.

Richer se moqua de toutes leurs cabales ; et quoi qu’il témoignât souvent qu’il lui aurait été plus facile de dompter les monstres d’Hercule, que de gouverner ces boursiers, ou qu’il lui aurait été plus doux de vivre avec des cyclopes, et des harpies, il ne voulut rien rabattre de cette fermeté inflexible et inexorable, avec laquelle il avait entrepris de les remettre dans l’ancienne discipline de leur règle. Il en vint à bout par une persévérance de plusieurs années, durant lesquelles ils lui suscitèrent mille traverses, et lui firent essuyer beaucoup de méchants procès, dont les issues lui furent toujours glorieuses.

VI.
Il répare le collège qui était presque entièrement ruiné.

Il ne s’appliquait pas tellement au bien spirituel de la maison, qu’il ne prît aussi le soin du temporel, qui avait été dissipé, ou mal maintenu durant les guerres civiles. Dans le temps qu’il en bannissait les vices, il entreprit de faire défricher la cour du collège, toute hérissée de ronces et de chardons, où les couleuvres et les lézards trouvaient une retraite aussi commode que dans les déserts les plus affreux. Il rétablit l’église, et les autres édifices qui étaient presque tous tombés en ruines. Il fit revenir la plus grande partie des biens, qui avaient été aliénés par la facilité ou la négligence de ses prédécesseurs. Il revit tous les comptes que l’on trouva qui s’étaient rendus depuis les premiers établissements du collège. Il examina de nouveau tous les titres, et remit tous les droits de la maison en leur entier. Il apprit par ce moyen en combien de manières les boursiers avaient su attirer jusque-là les biens du collège, qui ne leur appartenaient pas, et il remédia sûrement à ces désordres, en coupant toute ressource à leurs usurpations, et à leurs friponneries.

Entre les plus récentes de ces friponneries, il découvrit qu’ils avaient distrait et vendu la vaisselle d’argent aux armes du cardinal fondateur, appartenant au collège, et qu’ils avaient détruit un grand corps de logis de 38 chambres à cheminée, dont ils avaient vendu la charpente, et dont ils avaient partagé l’argent entre 4 ou 5 d’entre eux.

Ces considérations l’obligèrent de veiller continuellement sur la conduite de ses boursiers, qu’il regardait comme autant d’espions, qui ne servaient qu’à l’observer lui-même, et comme autant d’ennemis qui ne s’étudiaient qu’à lui tendre des pièges partout. Il régla leur dépense, suivant l’abondance ou la cherté des vivres, et il leur fit voir malgré leurs murmures, qu’en cela, comme dans tout le reste, le grand-maître était l’unique interprète des intentions du fondateur. Il porta la réformation jusques dans leurs exercices particuliers, et les obligea de lui rendre compte de leur travail ; alléguant que pour suivre la volonté du cardinal leur fondateur, ce n’était pas assez qu’ils fussent exempts des crimes grossiers, mais qu’ils devaient fuir l’oisiveté dans toutes les heures du jour, et que la bourse n’était que pour ceux qui employaient leur temps à l’étude, et au service divin.

Il fit de nouveaux règlements, par l’un desquels il fut résolu qu’on ne pourrait plus recevoir aucun boursier, qui n’étudiât actuellement en théologie, et qui n’assistât à tous les exercices : résolution qu’il fit autoriser par un arrêt du parlement, et qu’il exécuta toujours inviolablement depuis ce temps-là. Il en obtint un autre, par lequel il lui était permis de chasser les vicieux, les rebelles et les scandaleux ; ce qui fit que la communauté se renouvela en peu de temps.

Après avoir purgé le collège et avoir suffisamment pourvu à sa sûreté et à son repos par une bonne clôture, il fit ouvrir celles des classes que les désordres de la ville avaient fait fermer, les remit au même nombre qu’elles avaient été avant les guerres civiles. Il y fit surtout refleurir la rhétorique et la philosophie, dont il y avait eu interruption, à cause que les boursiers profitant des malheurs publics, s’étaient emparez des revenus destinés pour les gages des professeurs.

Ses soins s’étendaient aussi sur les dehors du collège, et même sur tous les quartiers des environs, par l’inclination qu’il avait de servir le public et de faire du bien à tout le monde. Il détruisit prés de Saint-Nicolas du Chardonnet un cloaque insupportable, appelé le Trou-punais, qui infectait tout le voisinage. Il vint à bout de le détourner dans la Seine, par de grands travaux qu’il fit faire ; ce qui rendit depuis le quartier fort sain, et mieux peuplé qu’auparavant. En quoi il travailla aussi pour les religieux de l’abbaye de Saint-Victor, qui lui rendirent des témoignages publics de leur reconnaissance, aussi bien que le prévôt de Paris et les magistrats de la police de la ville. Il remédia aussi aux inondations fréquentes de la Seine, qui regorgeait sous terre tous les hivers, dans les grands jardins de son collège, et dans ceux des Bernardins. Pour en garantir les uns et les autres plus sûrement, il fit élever des terrasses et des chaussées jusqu’au quai de la porte Saint-Bernard.

Il n’était pas aisé de comprendre que l’exécution de tant de différents ouvrages était de l’entreprise d’un simple particulier ; et l’on aimait mieux se persuader que quelque main supérieure les gouvernait avec l’assistance de la cour et de la ville : mais ces faux bruits étaient encore les fruits de la jalousie et de la médisance des ennemis de Richer. L’épuisement où étaient encore le fisc du prince et l’épargne de la ville, ne permettaient pas de recourir si tôt à ces sources. Richer se contenta de ménager pour toutes ces dépenses, les fonds qu’il avait fait revenir, et d’y employer généreusement les revenus de sa maîtrise. L’économie admirable qu’il y apporta, fut presque toute la ressource qu’il crût devoir chercher à ces besoins.

C’est ce qui fit remarquer en lui un désintéressement, une générosité et une grandeur d’âme, que l’on ne trouve guère dans les personnes à qui la naissance et la fortune ont refusé le secours d’une bonne éducation. Il lui était très facile de s’enrichir dans tous les établissements qu’il fit pour renouveler son collège ; et il aurait pu s’autoriser par l’exemple de certaines âmes basses et intéressées, qui avant lui, et de son temps cherchaient à profiter de semblables occasions ; mais loin de croire qu’il lui fût permis de pêcher par imitation, ou d’agir même dans des choses indifférentes, seulement par le motif d’en avoir vu d’autres que lui agir de la même manière, il se regarda comme un homme obligé par sa profession et par son rang, à faire un exemple de la conduite pour les autres.

Dans le temps même qu’on le croyait accablé de besoins, il relâcha une portion considérable de ses gages, pour être moins à charge au collège ; et sans s’arrêter à la considération des grands-maîtres qui en avaient joui avant lui, il fit remettre les choses au point où le parlement les avait fixées en 1544 ; en quoi l’envie ne manqua point de publier qu’il y avait plus de vanité et d’indiscrétion, que de véritable désintéressement, et que c’était moins à lui qu’à ses successeurs que cette remise portait préjudice. Mais elle eut beau le suivre partout pour le décrier et pour tâcher de ternir l’éclat de ses actions ; sans elle nous aurions ignoré une grande partie de son mérite.

VII.
Il fait divers ouvrages pour former l’esprit et pour donner la vraie méthode de l’étude des sciences.

Après le rétablissement du collège et de ses exercices, Richer entrant dans la considération de tous les devoirs d’un grand-maître et d’un principal, se crut obligé de travailler en particulier pour les régents et pour les écoliers ; il chercha tous les moyens de faciliter aux premiers la véritable méthode d’enseigner ; et aux autres, la manière d’étudier solidement. Il n’eut point honte de se remettre lui-même à la grammaire pour cet effet ; et il ne fit nulle difficulté de partager son temps entre la théologie et les humanités, quoi que la théologie depuis plusieurs années semblât faire toute son étude.

Quand il n’aurait pas eu l’exemple de plusieurs grands hommes de l’antiquité, tant ecclésiastique que profane, pour justifier sa conduite contre les reproches injustes que lui en firent quelques-uns de ses envieux, la vue seule de ses obligations était plus que suffisante pour le consoler. Il ne croyait pas qu’il y eût rien de bas pour nous, dans tout ce qui est de la profession que nous avons une fois embrassée ; outre qu’il n’y a rien que de grand et de noble dans l’art de former l’esprit de l’homme, et de donner entrée à la vraie science, qui est ce qu’il envisageait principalement dans ce qu’il avait entrepris de faire en faveur des régents et des écoliers de son collège.

Après avoir beaucoup médité sur ce sujet, il trouva que tous ceux qui y avaient travaillé avant lui, n’avaient pas tellement épuisé la matière, qu’il ne restât toujours quelque chose de nouveau à produire, ou du moins qu’il y aurait toujours lieu de donner un nouveau jour, ou une méthode nouvelle à ce qu’ils en avaient dit. Pour en faire l’épreuve, il proposa son livre de l’Analogie, qui n’était proprement qu’un extrait raisonné d’un autre ouvrage de grammaire qu’il avait composé peu de temps auparavant. Les moyens qu’il y donnait pour apprendre à parler purement, et d’une manière toujours correcte, pour enrichir les langues maternelles, et pour trouver les véritables causes de l’éloquence, lui parurent si nouveaux et si faciles, qu’il ne craignit point de laisser comparer son ouvrage à ceux de Varron et des autres auteurs qui avaient écrit de l’Analogie avant lui : en quoi on peut dire que le public lui a rendu toute la justice qu’il pouvait attendre.

Quant à ce qui regarde l’ouvrage qu’il donna ensuite sous le titre de Grammatica obstetricia, il crut devoir y employer partout le raisonnement ou la démonstration et l’analyse, pour lier les causes et les principes avec les règles les plus courtes et les plus faciles de la grammaire, que les enfants peuvent aisément apprendre en six mois. En quoi il fit voir qu’il ne suffit pas d’être bon grammairien pour bien traiter de la grammaire ; mais qu’il faut encore posséder cette science générale, que les auteurs appellent Mathesis, pour savoir expliquer les vrais principes de tous les arts, et de toutes les sciences particulières. On sait aisément faire la différence d’un géomètre d’avec un maçon, dans la manière de parler d’un triangle et d’un carré. Un géographe discourt autrement des parties du monde, qu’un marchand qui a voyagé : ainsi le philosophe se fait bientôt distinguer d’avec le simple grammairien par sa manière de traiter de la grammaire. Richer avait bien vu qu’il ne suffisait pas d’en écrire comme avaient fait Priscien, Festus, Nonius, Charisius, Diomède, Donat et les autres grammairiens du commun, qui ne l’ont fait que comme de simples maîtres d’école. C’est ce qui lui avait fait prendre pour modèle Aristote, Jules Scaliger et les autres grands hommes, qui ont tâché de ramener cet art aux premiers principes de la nature, et de les réduire sous les lois de la raison et de la science, et qui ont fait voir par leurs excellents ouvrages qu’il faut être philosophe, pour savoir rechercher et pouvoir découvrir la science, l’ordre et la méthode en toutes choses.

Richer se servit des mêmes moyens pour écrire ensuite de la rhétorique ; et sans se contenter d’expliquer les causes de cet art, il voulut encore donner la méthode d’en réduire les maximes à l’usage de la vie civile : mais aucun des ouvrages qu’il fit alors pour les étudiants et pour les maîtres qui devaient les instruire, ne parut avec plus d’éclat que celui qu’on publia depuis sous le titre d’Obstetrix animorum. Tout son dessein était de former l’esprit de l’homme, de le perfectionner, et de le rendre capable de tout. L’auteur avec sa méthode ordinaire entreprenait d’y découvrir la véritable manière d’enseigner, d’étudier, de converser, d’imiter, de juger, de raisonner et de composer.

C’est ainsi que pour satisfaire aux devoirs de sa charge, il voulut employer au profit de la jeunesse, les grands talents qu’il avait reçus de Dieu, et qu’il avait cultivés par l’étude des sciences les plus sublimes. Il fallut pour cela se priver de toutes les douceurs qu’il trouvait dans l’Écriture, dans les livres des anciens pères de l’Église, et dans les autres auteurs ecclésiastiques, et renoncer au plaisir que lui donnaient les exercices et les études convenables à un théologien. Ce ne fut pas le seul sacrifice qu’il fit à Dieu en cette occasion. Cet engagement à des travaux de grammaire, lui fit encore abandonner plusieurs intérêts particuliers, que tout autre en sa place aurait eu grand soin de ménager, et le porta même à intéresser souvent sa santé, dans la vue de l’utilité publique.

Mais il ne s’employait pas tellement à former l’esprit des jeunes gens, qu’il ne s’appliquât aussi plus particulièrement à leur cœur. Il avait fait un point capital de la discipline, de les élever dans la piété, de les instruire des maximes les plus pures de la religion, et de leur procurer en même temps une éducation plus polie qu’on n’avait encore fait jusqu’alors dans l’université. Il veillait par lui-même sur tous les particuliers, sans perdre jamais personne de vue, et sans s’en rapporter trop facilement aux soins de ceux qui étaient commis sous lui pour le soulager.

Autant qu’il avait paru sévère aux boursiers qu’il avait fallu retirer du libertinage et de l’indépendance, autant était-il affable et caressant envers les écoliers à qui il tâchait de rendre la vertu aimable. Il avait pour tous les régents de son collège des manières d’agir toujours honnêtes et officieuses ; il entrait le premier dans leurs peines ; les prévenait dans les besoins qu’ils pourraient avoir de lui ; leur faisait rendre un respect et une obéissance parfaite par les écoliers ; les protégeait et louait toujours en public, pour conserver leur autorité, réservant pour le secret et le particulier les remontrances qu’il avait à leur faire, et leur apprenant par son exemple à joindre toujours la prudence avec l’exactitude dans toute leur conduite. Il maintenait entre eux une union très étroite, dont il était lui-même le lien, et il tirait des avantages merveilleux de leur correspondance réciproque, pour le bien de son collège. Mais comme il était incapable de faiblesse et de quelque lâche complaisance pour le vice, il était en même temps la terreur des écoliers et des régents déréglés ; de sorte que ne pouvant supporter longtemps sa présence et son autorité en cet état, ils étaient contraints de quitter sans délai ou leurs vices, ou son collège, qui devint par ce moyen le mieux discipliné et le plus florissant de toute l’université. C’est ce qui donna aux personnes de qualité beaucoup d’empressement pour mettre leurs enfants sous sa conduite. On a distingué longtemps depuis ses élèves, par les services qu’ils ont rendus à l’Église, et à l’État, et on en voit encore aujourd’hui, qui exercent avec beaucoup de dignité les premières magistratures du royaume16.

VIII.
Il est fait censeur de l’université pour travailler à sa réformation.

Pendant que Richer travaillait au rétablissement de son collège, le roi donnait de la pour la réparation entière de toute l’université, des ordres dont l’exécution lui fut aussi commise. Ce grand prince informé de l’état pitoyable où elle était, lors qu’il fit son entrée dans Paris, avait compris d’abord la nécessité qu’il y avait de rétablir promptement cette ancienne école de son royaume, où se devaient apprendre la religion, les lois, les sciences et les beaux-arts, d’où semble dépendre la félicité des peuples. Il avait nommé pour travailler à ce grand ouvrage les personnes les plus considérables du royaume par leur capacité, leur savoir, leur crédit et leur expérience ; savoir Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, grand aumônier de France ; Achille de Harlay, premier président au parlement ; Jacques Auguste de Thou, président à mortier ; Lazare Coquelei et Édouard Molé, conseillers de la grand-chambre ; Jacques de La Guesle, procureur général et Louis Servin, avocat général, auquel on joignit depuis … Séguier lieutenant de police et Claude de Faucon de Ris, premier président au parlement de Bretagne.

Les Commissaires ayant commencé la réformation par la visite des lieux17, n’avaient trouvé partout que des objets d’horreur et de compassion18. Ces lieux qui avaient été autrefois si longtemps le séjour agréable des muses, étaient devenus la retraite des soldats, des voleurs, et des bêtes. On n’y voyait que de tristes restes de la désolation, que la fureur des guerres civiles y avait laissé19. Les classes et les salles destinées pour les exercices publics, n’étaient plus que des écuries et des étables toutes rompues, mais qui regorgeaient encore de l’ordure des chevaux et des troupeaux qu’on y avait retirés. Ce qui restait d’appartements, que le feu ou la brutalité du soldat n’avait pas entièrement détruits, était occupé par des étrangers, qui y entretenaient leurs femmes, et leurs ménages.

La vue d’un spectacle affreux porta les commissaires à tenir souvent des assemblées dans l’université avec les recteurs, les procureurs des quatre nations, les principaux des collèges et les doyens des trois facultés supérieures, pour agir de concert avec eux dans cette entreprise. On se représenta d’abord l’état où on avait remis l’université après l’expulsion des Anglais sous Charles VII. On remit alors les règlements qu’avait faits le cardinal d’Estouteville pour le rétablissement de la discipline. On jugea qu’il était nécessaire d’y retoucher, pour les mettre dans une plus grande perfection ; et on le fit principalement sur les lumières du président de Thou, et de l’avocat général Servin, qui passaient pour les magistrats les plus éclairés et les mieux instruits des affaires de l’Église et du royaume, des histoires des siècles passés et des droits de l’une et de l’autre puissance.

On fit de nouvelles constitutions, qui furent autorisées par un édit du roi20 et publiées par les ordres du parlement, qui donna ensuite un arrêt pour en remettre l’exécution aux soins du président de Thou, et des conseillers Coquelei et Molé. Ces magistrats, accompagnés de Servin, les firent recevoir dans l’assemblée de l’université, tenue aux Mathurins le 18 septembre 1600. Servin, ensuite d’une belle harangue prononcée par de Thou, et de la lecture des statuts pour les quatre facultés, marqua ce que tous les professeurs seraient obligés de faire pour maintenir l’autorité du roi contre les mauvaises doctrines qui avaient causé une partie des troubles. Mais parce que le plus grand mal venait de la faculté de théologie, où les ultramontains et les autres personnes mal intentionnées, avaient toujours entretenu des intelligences préjudiciables à la liberté de l’Église et au repos de la monarchie, il fut arrêté que tous les externes qui voudraient y entrer, comme dans les autres facultés, s’obligeraient par serment, avant que d’y prendre aucun degré, à vivre selon les lois du royaume, à rendre une obéissance parfaite au roi et aux magistrats, et à ne jamais écrire ni parler contre la religion catholique, les libertés de l’Église gallicane, qui ne sont autre chose que les anciens canons, le gouvernement de l’état, et la puissance royale.

Tous ces règlements furent reçus avec beaucoup de joie et de soumission par tout le corps de l’université, qui en rendit publiquement des actions de grâces au roi et au parlement, par la bouche du recteur Marc Gigaut. On prit toutes les mesures possibles pour commencer cette réformation avec le siècle. Mais on s’aperçut bientôt qu’il fallait purger ce grand corps de beaucoup de mauvaises humeurs qui lui étaient restées, et qu’on ne pourrait établir la discipline prescrite par les nouveaux statuts, qu’après avoir fait une information exacte de la vie et des mœurs de tous les particuliers qui le composaient. On crut qu’il fallait choisir pour cet emploi des personnes de toutes les facultés, en qui la capacité et la prudence se trouvassent jointes à une intégrité de mœurs, telle que la qualité de ces temps pouvait l’exiger, pour être en état de corriger les autres : de sorte qu’à la requête du procureur général, le parlement nomma Richer de la part de la faculté de théologie, Claude Minaut, dit Minos, professeur en droit canon, Nicolas Eclain, docteur en médecine, et Jean Gallart, principal du collège de Boncourt, ancien recteur de la faculté des arts, pour travailler ensemble à cette réformation, sous l’autorité de la cour.

Mais ces nouveaux censeurs y trouvèrent de grandes résistances dès l’entrée de leurs fonctions de la part de plusieurs régents et de quelques principaux même, qui trouvaient leur compte dans les désordres de l’université. Ceux-ci n’osant s’en prendre au parlement pour la publication des nouveaux statuts, à l’observation desquels on voulait les obliger, déchargèrent leurs chagrins sur les censeurs, et particulièrement sur Richer, que l’on regardait non seulement comme le chef des autres, mais encore comme le grand promoteur de toute la réformation, avec René Benoît, confesseur du roi, nommé à l’évêché de Troyes.

Richer que les dangers les plus présents semblaient ne devoir jamais épouvanter, sentit croître sa force et son courage, à mesure que les oppositions des rebelles s’augmentaient. Il résolut de les traiter comme des malades que les médecins laissent crier lorsqu’ils ont peine à souffrir les remèdes. On punit les plus mutins et les plus incorrigibles, par des amendes pécuniaires, par la prison, et même par la déposition de leurs emplois ; et il résolut de supporter les insultes et les injures des autres, dans l’espérance de les gagner par sa modération.

1601.

Néanmoins six mois se passèrent sans beaucoup de succès. Richer appréhendant que ses collègues ne se rebutassent dans la suite, ou ne succombassent à l’effort des contradictions, alla trouver le premier président de Harlay, et les autres commissaires nommés par le roi pour la réformation de l’université. Il leur représenta l’importance qu’il y avait de ne point abandonner un ouvrage si nécessaire, et si heureusement commencé. Il voulut ensuite se démettre entre leurs mains de son office de censeur, afin de leur donner lieu de lui substituer une personne qui eût plus de capacité, de résolution et de bonheur que lui.

Le président de Thou, qui savait découvrir et estimer le mérite mieux qu’homme de son siècle, remontra à la cour, que ne connaissant personne qui fût plus capable que Richer, il fallait, sans avoir égard à sa modestie, le continuer dans son nouvel office, et augmenter même ses pouvoirs, s’il était possible. Son avis fut suivi. Richer et ses trois collègues furent de nouveau établis censeurs de l’université, par un arrêt du 15 septembre de l’an 1601. Leur office devait être de deux années ; et ils en prêtèrent le serment entre les mains du recteur Guillaume Poulart, (ou Poulet) dans le collège de Sorbonne, le jour de la naissance du dauphin, qui était le 27 du même mois.

Sur ce que Richer représenta ensuite à la cour, qu’il y avait beaucoup plus à travailler dans la faculté de théologie, que dans celles de droit et de médecine, et que celle des arts demandait aussi d’autant plus d’application et de loin, qu’elle était la base et le séminaire des trois autres, et plus infectée de la corruption causée par les guerres civiles, on lui donna encore deux adjoints pour le seconder : Charles Loppé, docteur de Sorbonne, dans la faculté de théologie, et Jean Morel, professeur royal, dans celle des arts.

IX.
Peine de Richer pour abolir le landi Minerval. Ce qu’il eût à souffrir tant de la part des ligueurs que de la part de ceux qui favorisaient le rappel des jésuites.

Les censeurs reprirent leurs fonctions dès le mois d’octobre suivant ; firent la visite de tous les collèges, et conférèrent avec tous les principaux, pour les porter à coopérer avec eux, et à tenir la main, chacun dans l’étendue de leur ressort, à la discipline qu’on voulait établir. Ils réglèrent les exercices de piété ; ils pourvurent à l’inspection des mœurs ; et ils tâchèrent de rendre la police scolastique uniforme partout. Mais ils furent traversés rudement dans la réformation qu’ils voulurent faire de certains abus, où les principaux et les régents intéressés trouvaient du profit. Cela regardait surtout la fixation des pensions pour les étudiants, que Richer et les autres voulaient modérer ; et le landi des deux semestres, communément appelé Minerval dans le pays latin, qu’ils voulaient retrancher. Ce landi était une fête scandaleuse qui se faisait dans les collèges pendant plusieurs jours, en hiver et en été, à l’occasion de la rétribution que les écoliers payaient à leurs maîtres. La fête se passait en festins et en débauches. C’était une source de désordres, dont les suites étaient toujours très fâcheuses.

Richer ne croyait pas qu’on pût bien remédier à cet abus, sans en retrancher entièrement l’usage. Mais loin de vouloir réduire les régents à mourir de faim, en abolissant le landi, comme ses envieux le publièrent depuis, il travailla fortement à faire rétablir partout l’honoraire menstruel, c’est-à-dire, le salaire modique et honnête qui se donnait auparavant par mois, pour reconnaître la peine des maîtres. Ce n’est pas qu’il fût persuadé que ce moyen fût encore un remède souverain contre les vices de l’intérêt, les partialités, les préférences et les acceptions de personnes que l’on voulait bannir ; mais il faisait espérer que les libéralités du roi mettraient les maîtres en état d’enseigner gratuitement dans toute l’université, si par les faveurs d’une longue paix l’on voyait dans les finances de ce prince, qui se rétablissaient de jour en jour, l’abondance dont on se flattait.

Ceux qui s’intéressaient à la conservation du landi, ne furent pas satisfaits des raisons des censeurs, et ils s’élevèrent contre leurs entreprises, croyant que l’on attentait à la liberté ancienne des écoles, et qu’on ne cherchait qu’à les détruire, en couvrant du nom du roi, et du parlement, toutes les violences qu’on leur faisait. Non seulement ils refusèrent de signer et de jurer sur les nouveaux statuts comme les autres pour s’obliger à leur observation ; mais ils débauchèrent encore plusieurs de ceux qui avaient déjà prêté le serment, et les portèrent à rétracter leur signature et à se rendre même parjures, plutôt que de se soumettre à ce qu’ils appelaient un honteux esclavage. Non contents d’avoir soulevé les maîtres, ils animèrent encore leurs écoliers, et armèrent même les valets des collèges contre les censeurs.

Richer fut néanmoins le seul sur lequel tomba le gros de l’orage ; il se trouva souvent en danger de se voir lapidé, allant dans le quartier de l’université. Il fut à diverses fois chargé d’injures et d’opprobres, en passant devant les collèges, quelquefois même couvert de boue par la canaille et les écoliers, dont l’insolence était soutenue par leurs propres régents. Le collège de Lisieux se signala sur tous les autres dans les insultes qui lui furent faites, à l’instigation de deux furieux, qui ne pouvaient souffrie qu’on arrêtât leurs dérèglements et qu’on retranchât les festins. L’un était un conseiller dégradé, nommé Duron, qui s’étant fait commissaire de quartier, après avoir été honteusement chassé du parlement, s’était retiré dans le collège ; l’autre était George Critton, Écossais, professeur royal, qui avait déjà été procureur de la nation allemande de l’université.

Richer tout intrépide qu’il était, se crut obligé de prendre des sûretés contre leur fureur, et ne se présenta plus dans leur collège qu’avec une puissante escorte.

La conspiration des autres régents qui se liguèrent par cantons, ne fut pas moins embarrassante pour lui. Ils cabalèrent par pelotons, pour tâcher de ne plus élire pour recteurs de l’université que ceux qu’ils savaient être ennemis de la réformation et qu’ils jugeaient assez hardis pour s’opposer aux censeurs, et éluder les ordres du parlement. Les tumultes et le mauvais exemple que les révoltés produisirent, scandalisèrent toute la ville. Ils furent cause que beaucoup de personnes de qualité retirèrent leurs enfants des pensions des collèges publics, et qu’ils les mirent en ville sous des particuliers, ou leur donnèrent des précepteurs chez eux : usage qui avait paru assez rare jusque-là, et qui est devenu depuis fort commun. Il n’y eut que la suite du temps, qui pût faire connaître la grandeur du tort qu’en reçut l’université.

Il fut tout autrement considérable, par le préjudice qu’elle appréhendait de l’ouverture du collège de Clermont, contre lequel elle parut si longtemps alarmée.

Il se trouva néanmoins quelques recteurs dans l’espace des deux années de la censure, qui ouvrant les yeux sur la désertion des collèges, écoutèrent Richer, et travaillèrent à ramener les esprits irrités dans le devoir. Ils prirent ses avis, pour retrancher la dissolution et les désordres parmi les régents et les pensionnaires ; et ils se joignirent à lui pour faire recevoir les nouveaux statuts ; mais les séditieux s’en vengèrent bientôt, par la brièveté du rectorat dans lequel ils n’eurent garde de les continuer, et ils rendirent presque toutes leurs bonnes intentions inutiles, en leur substituant des gens de leur cabale.

La prudence de Richer ne laissa pas de détruire toutes leurs pratiques ; et l’égalité d’esprit qu’il conserva toujours, la fermeté et la patience qu’il fit paraître partout, le rendit victorieux des ennemis de la discipline dans les principaux collèges de l’université, dès la première année de la censure. Mais ces succès attirèrent sur lui une autre tempête de la part de ceux qui, s’étant imaginés que les maux de l’université étaient incurables, espéraient toujours que l’on serait obligé de rappeler les jésuites de leur bannissement, pour leur faire ouvrir leurs écoles.

Ces gens qui paraissaient n’avoir été nourris que de maximes italiennes et espagnoles durant les troubles du royaume, souhaitaient de tout leur cœur que Richer et ses collègues succombassent sous la multitude des difficultés et des contradictions. Ils faisaient des parallèles odieux de cette réforme de l’université, avec celle que les protestants avaient prétendu faire dans l’Église, ajoutant que le ciel ne bénirait pas l’une plus que l’autre. Ils tâchaient même d’insinuer que le rétablissement de l’ancienne discipline ne tendait qu’à la ruine de la religion catholique. Mais sous le beau nom de religion catholique, ils n’entendaient autre chose que les restes de la ligue, avec les opinions ultramontaines, contraires à celles que tiennent l’Église gallicane et le parlement, touchant l’autorité du pape. Ils publiaient que c’était une chose honteuse à Richer, qui était prêtre et docteur de Sorbonne, de travailler ainsi à détruire une société aussi sainte qu’était celle des jésuites : comme si c’eût été ôter à ces pères toute espérance de retour, que de remettre le bon ordre et la paix dans l’université, et d’y faire refleurir la vertu avec les sciences.

Ces factieux prirent occasion de là, pour le décrier comme un parlementaire, qui était alors la même chose qu’hérétique parmi les sectateurs et les élèves des ligueurs. Car depuis que le roi avait abjuré le calvinisme et reçu l’absolution du pape, la grande hérésie du temps, n’était plus de se déclarer huguenot, mais de ne point adhérer aux prétentions de la cour de Rome, qui avait une infinité d’émissaires dans le clergé de France, et principalement dans les maisons religieuses du royaume. Les reproches et les plaintes de ces nouveaux adversaires, quoi que très méprisables aux yeux des censeurs, ne laissèrent pas de produire une espèce d’avantage, en ce que Richer, pour se rendre capable de s’opposer un jour à leurs entreprises, résolut dès lors de se donner tout entier à l’étude de l’antiquité ecclésiastique, qui avait été négligée depuis le règne des scolastiques.

X.
Difficulté sur le retranchement de l’usage qui souffrait deux régents dans une classe. Succès de ses travaux dans la réformation de l’université.

Dès la seconde année de la censure de Richer, on vit la face de l’université presque entièrement changée, par le renouvellement de plusieurs collèges, dont on avait ôté ceux des régents, qui avaient été reconnus vicieux, ou ignorants. La fête du landi fut entièrement abolie, avec les festins et la coutume de payer les maîtres en ce temps-là : mais les censeurs retombèrent dans de nouveaux embarras, lorsqu’ils entreprirent d’empêcher, qu’il n’y eût dans la suite deux régents pour chaque classe de rhétorique.

Il n’y avait que cinq ou six ans que cette coutume s’était introduite dans l’université, à l’imitation des jésuites, qui avaient établi cet usage dans leur collège. Richer, après s’être beaucoup tourmenté durant l’année 1601 pour persuader aux principaux que c’était une très méchante coutume et qu’il était de l’intérêt et de l’honneur de l’université, qu’on l’anéantît avant que de lui laisser prendre de plus fortes racines, avait obtenu dès la Saint-Jean, qu’il n’y aurait plus qu’un professeur en chaque classe. Il faisait dépendre de ce point la facilité de quelques règlements nouveaux, qu’il devait faire exécuter à la Saint-Rémi : sans quoi il ne pourrait jamais espérer de voir la discipline entièrement rétablie.

Peu de gens étaient entrés dans les inconvénients qu’il y avait de faire faire une classe par deux régents ; et beaucoup de personnes affectionnées au bien public, avaient jugé que cette institution pouvait être fort utile aux étudiants. Mais Richer, qui portait ses vues beaucoup plus loin, avait tellement fait goûter ses raisons aux commissaires nommés par le roi pour la réformation, qu’on en avait voulu faire un article exprès dans les constitutions nouvelles. Il fut dit aussi, que l’arrêt du 17 septembre 1601 ferait partie du premier règlement pour la faculté des arts, qui portait la défense en ces termes :

Caveant in posterum gymnasiarchæ, ne duo præceptores eidem classi præficiantur, ita ut unus horis matutinis, alter pomeridianis doceat : quod statutum diligenter servetur a remigialibus anni 1601 : ne præceptoribus qui hoc anno fidem dederunt, fit fraudi.

Quelques-uns voulurent d’abord ménager une exception en faveur de la rhétorique ; comme si l’intention des auteurs du règlement eût été qu’on se gardât seulement de faire passer cette pratique dans les autres classes, où l’on ne s’était pas encore avisé de l’introduire. Mais Richer fit voie que le statut ne regardait précisément que la rhétorique, n’étant pas à craindre qu’aucune autre classe pût jamais imaginer un prétexte plausible, pour demander aussi deux régents.

1602.

Sur ce que Richer, parmi les raisons qu’il allégua pour adoucir les esprits, et les résoudre à l’observation des statuts, ajouta qu’un second régent était à charge à l’universite, Critton, son adversaire de l’année précédente, prit occasion de s’élever de nouveau contre lui. Il sollicita le principal du collège de Lisieux, nommé François-Adrien Baven, qui avait été recteur de l’université six ans auparavant, de vouloir entrer dans ses desseins ; et il lui fit entendre qu’il avait trouvé un moyen fort sûr pour maintenir son collège dans ses usages, et rendre inutiles toute la reformation et les entreprises de Richer.

Il s’offrit comme professeur surnuméraire et hors de rang, pour faire la classe de rhétorique l’après-midi, dans la seule vue d’honorer la profession et d’attirer les écoliers, sans prendre néanmoins la qualité de second régent. Baven se laissa persuader, et il crut faire honneur à l’université, de permettre qu’un historiographe et professeur royal vînt de surérogation faire la classe de rhétorique chez lui, seulement pour donner de la réputation à son collège. L’affaire réussie d’abord suivant le projet de Critton, de qui l’expédient pensa rendre entièrement inutiles, et l’arrêt du parlement, et les statuts de la réformation. Les autres collèges voulurent en user de même ; et lorsque Richer entreprit de s’y opposer, on lui allégua toujours l’exemple du collège de Lisieux, qu’on ne pouvait se dispenser de suivre.

Ces contestations durèrent pendant tout l’été, jusqu’à ce que Richer et les autres censeurs appréhendant qu’elles ne continuassent encore à la Saint-Rémi suivante, députèrent Eclain, leur collègue, au mois d’août, vers le premier président de Harlay, pour lui représenter la suite de ce mauvais exemple. Ils pressèrent de leur côté Claude Palliot, recteur de l’université, et Baven, principal de Lisieux, de faire cesser le scandale que causait l’inexécution des nouveaux statuts auxquels ils s’étaient obligés l’un et l’autre par un serment solennel.

Les vacances survinrent, et messieurs du parlement étaient à la campagne. Nonobstant la satisfaction que le premier président avait promise à Eclain, Critton et Léger, professeurs ordinaires de la rhétorique à Lisieux, entreprirent au mois d’octobre de régenter la même classe alternativement, celui-ci le matin, et l’autre l’après midi. Ils se flattèrent même de l’appui du parlement, espérant de lui faire voir la surprise qu’ils prétendaient avoir été faite à la cour. Ils menaçaient d’aller au roi, près de qui ils s’étaient procurés des amis, si le parlement ne leur était point favorable à la Saint-Martin.

Cependant Critton publia un libelle plein d’injures et d’indignités contre les censeurs. Il y attaquait principalement la personne de Richer, et le reste n’était qu’une déclamation puérile et séditieuse contre les règlements nouveaux de l’université. Il alla ensuite avec Baven trouver les juges qui tenaient la chambre des vacations. Il tâcha de leur persuader que ce qui avait porté le plus les parents à donner leurs enfants aux jésuites, était le grand nombre de régents qu’ils avaient dans leurs classes, et que la disette de régents avoir fait ôter plusieurs écoliers à l’université, surtout dans les premières classes, où l’on manquait de bons professeurs. Que par cette seule considération, préférant le bien public à ses intérêts particuliers, il s’était laissé résoudre, malgré ses grandes occupations, à régenter, ou plutôt à soulager un régent de rhétorique, afin de maintenir la réputation de l’université, et d’ôter par ce moyen tout prétexte de faire revenir les jésuites : qu’au reste, tout ce qu’il faisait était entièrement gratuit, tant du côté du collège de Lisieux, que de celui des écoliers qu’il enseignait ; et que comme la peine qu’il prenait, était toute volontaire, sa conduite ne devait être tirée à conséquence pour les autres collèges, qu’autant qu’il plairait à la cour.

Critton ajouta quelques raisonnements spécieux aux artifices de son discours ; et il sut si bien en imposer à messieurs des vacations, qu’ils jugèrent même à propos de le remercier de ses soins. On avait lieu d’appréhender quelque surprise dans ces nouveaux juges : c’est pourquoi Eclain fut envoyé par ses collègues vers le président Séguier, qui présidait dans cette chambre, pour l’informer de toute l’affaire, et le désabuser. Il obtint que Critton et Baven seraient mandés à la cour le 4 octobre ; mais ils ne comparurent que deux jours après l’ajournement, parce que Critton avait demandé du délai, pour se préparer à répondre.

Les quatre censeurs s’y trouvèrent en même temps. Richer porta la parole pour eux. Il fit valoir avec beaucoup de poids les bonnes intentions de S. M. et celles du parlement. Il fit voir la justice des trois arrêts de la cour qui autorisaient la conduite des censeurs, et il montra l’inconvénient qu’il y aurait que le collège de Lisieux fût excepté de la règle des autres, soit pour l’alternative des deux régents d’une seule classe, soit pour les festins du landi. Il fit remarquer à la cour, que Critton ne faisait la rhétorique de Lisieux en second, que pour se moquer des statuts et des arrêts : qu’il en sortait toujours un moment après y être entré pour donner sa place à un autre. Qu’il lui avait déjà été ordonné par un arrêt de l’année précédente, où il était exprimé personnellement, de se désister de cette entreprise.

Critton eut permission de répondre, et le président des vacations le laissa parler aussi longtemps qu’il put le souhaiter ; mais lorsque Richer voulut répliquer, il lui imposa silence, disant qu’il n’était pas juste que pour la satisfaction d’un, ou de deux hommes, on détruisît les règlements du corps entier de l’université, et qu’on en renversât toute la discipline. Il ajouta qu’il fallait attendre le retour du premier président, et remit l’affaire après la Saint-Martin.

Quoi que cette délibération ne fut pas fort favorable à Critton, il ne laissa pas de prendre un air triomphant, comme s’il eût reçu toute la satisfaction qu’il avait demandée à la cour. Il revint plein de gloire et de vanité au collège de Lisieux, où il fit accroire qu’il avait rendu inutiles tous les efforts des censeurs, et qu’il avait expliqué le vrai sens des statuts de l’université, dans un écrit qu’il avait composé exprès, et qu’il avait produit devant les juges. Il fit aussitôt imprimer cet écrit, qu’il intitula, Paranomus, pour insinuer d’abord à ses lecteurs, que les adversaires qu’il y attaquait, ne faisaient autre chose que renverser les lois dans l’exécution des nouveaux statuts. Il eut même la hardiesse de le dédier à messieurs du parlement, et de publier partout qu’il avait été approuvé par les juges de la chambre des vacations.

Plusieurs régents de l’université prirent droit là-dessus, pour se rendre les maîtres d’enseigner et de se gouverner comme il leur plairait. Ils ne parlèrent plus qu’avec mépris des statuts et de leurs auteurs. Ils rejetèrent le salaire ou la paye de chaque mois, dont on venait de rétablir l’usage, prétendant faire revivre la fête du landi ; ce qui fut même appuyé du recteur.

Ils accompagnèrent cette nouvelle rébellion de tant d’excès et d’insolence, que Richer voyant les progrès que le désordre avait faits pendant tout le mois d’octobre, crut que c’était fait de la faculté des arts. Le chagrin qu’il en conçut, pensa le jeter dans le découragement. Son indignation retomba principalement contre Critton et Baven ; et ne trouvant plus de sûreté à continuer ses fonctions de censeur, il se crut obligé de prendre la plume, pour réprimer les calomniateurs et tâcher au moins d’arrêter le cours des affaires à l’ouverture des audiences. Il composa, avec l’aide de Minaut, un de ses collègues, l’apologie du parlement et de l’université, contre le paranome du collège de Lisieux. Il découvrit précisément la source de tous les maux, et en marqua les vrais remèdes, mais il épargna le nom de ses adversaires.

Le retour de messieurs du Parlement le ranima, et il ne fut pas trompé dans l’espérance qu’il avait conçue du premier président. Ce grand magistrat, après avoir pris les conclusions de l’avocat général Servin, donna un arrêt le 22 novembre 1602 portant ordre d’exécuter de point en point les règlements faits pour le rétablissement de la discipline, et les statuts de l’université, avec défense de mettre plus d’un régent dans chaque classe au collège de Lisieux, et injonction de peine pour ceux qui y contreviendraient, ou qui attaqueraient de vive voix, par écrit, ou autrement, les lois établies pour réformer l’université, ou les arrêts donnés pour les maintenir. Critton plein de dépit et de confusion que l’entrée du collège de Lisieux lui fût nommément interdite, tâcha de s’en venger par des libelles satyriques, qu’il sema secrètement pour déchirer la réputation de Richer, et diffamer l’ouvrage de la réformation de l’université. Richer trop satisfait des heureux succès de la censure, n’y aurait eu aucun égard, s’il n’avait eu en vue que lui-même, et les personnes de son temps : mais croyant qu’il était bon d’informer la postérité de tout ce qui s’était passé durant les deux années de sa censure, il écrivit un traité latin qu’il intitula De la meilleure manière de régler l’université21, où travaillant à la justification particulière, il eut soin de cacher Critton son adversaire, sous le nom de Palemon. Il le dédia au premier président de Harlay, et le fit paraître en public à Paris l’an 1603.

XI.
Richer jaloux de la gloire de l’université travaille à empêcher le rétablissement du collège de Clermont.

Richer, voyant la discipline rétablie enfin dans l’université, alla remettre son office de censeur, avec ses collègues, entre les mains des commissaires nommés par le roi, pour en être les curateurs : mais l’amour qu’il avait pour elle ne lui permettant pas de demeurer ensuite dans l’indifférence à son égard, il ne put s’empêcher de marquer aux présidents de Harlay et de Thou, aux conseillers Gillot et Molé, à l’avocat général Servin, et à tous les autres magistrats, qu’il savait être les plus éclairés et les plus zélés pour le bien de l’État et de l’université, l’inquiétude qu’il avait du retour des jésuites en France, dont on parlait comme d’une chose déjà résolue dans l’esprit du roi. Ce n’est pas qu’il ne fût bien aise de voir la compagnie de ces pères rétablie dans le royaume, et à Paris même, pourvu qu’ils s’abstinssent d’enseigner d’autre jeunesse que leurs novices : mais il craignait beaucoup pour l’université, qui commençait à se remplir et à devenir plus florissante que jamais, si l’on permettait à ces pères d’ouvrir leur collège de Clermont ; qu’on n’avait pas grand besoin de l’émulation que cette école pourrait donner à l’université, puisque tous les collèges de ce grand corps étaient capables d’en produire une suffisante entre eux, tant qu’on y maintiendrait la discipline dans cette vigueur que l’on venait de lui communiquer ; qu’enfin il prévoyait que les basses jalousies, l’intérêt, et l’appréhension de perdre des pensionnaires, feraient commettre bien des lâchetés et des faiblesses, qui pourraient faire retomber l’université dans de nouveaux désordres.

Messieurs du parlement eurent presque les mêmes vues, et les mêmes appréhensions que Richer ; mais ils ne purent empêcher le retour des jésuites, que le roi eut la bonté de rappeler en France sur la fin de l’année 1603, après neuf ans de bannissement hors de Paris et des autres villes du royaume. Ils furent même obligés de vérifier l’édit de leur rétablissement, par un arrêt qu’ils donnèrent le 2 janvier de l’année suivante.

1604.

Néanmoins, Richer et tous ceux qui prenaient à cœur la gloire et l’intérêt de l’université, furent délivrés d’une partie de leurs appréhensions ; car les jésuites n’eurent pas sitôt la liberté d’enseigner dans Paris ; et cette permission ne leur ayant été accordée que 14 ou 15 ans après, l’université eut tout le loisir de se remplir et de se fortifier, avant qu’on fît l’ouverture du collège de Clermont.

Richer ne songeant plus qu’à respirer des travaux et des tourments que lui avait coutés la reformation de l’université, se renferma dans le collège du Cardinal-Lemoine, résolu de donner à l’étude tout le temps que les soins de la communauté pourraient lui laisser de reste. Mais ses boursiers, jaloux de son repos, tâchèrent peu de temps après de renouveler la querelle qu’ils lui avaient faite autrefois sur les titres de la principalité du collège, qu’ils lui contestaient.

1605.

Par une conclusion de leur assemblée du 15 janvier 1605, ils résolurent de poursuivre le procès qu’ils lui avaient intenté pour cela dès le commencement de sa grande maîtrise. Ils en avaient fait un tout semblable vingt ans auparavant au grand maître Lafilé, son prédécesseur, pour le même sujet, et ils l’avaient perdu avec dépens après avoir été contraints d’abandonner le principal22 qu’ils avaient nommé : mais soit qu’ils aient aussi perdu leur cause dans cette nouvelle tentative, soit qu’ils aient désisté de leur poursuite, Richer demeura toujours principal ; et il ne se démit de cette charge, qu’il était bon de tenir réunie avec la grande maîtrise dans une seule personne pour le bien du collège, que lors que son âge et ses infirmités ne lui permirent plus de l’exercer avec sa vigueur et son assiduité ordinaires.

C’est à cette même année, que l’on doit rapporter l’origine des troubles excités en Sorbonne au sujet de la puissance ecclésiastique et séculière. Les libraires de Paris, qui avaient formé une société pour se mettre en état de redonner au public tous les ouvrages des pères et des auteurs ecclésiastiques les plus célèbres, ayant entrepris de rassembler en un corps ceux de Gerson, autrefois chancelier de l’Église et de l’université de cette ville, avaient engagé Richer à les revoir, et l’avaient prié de vouloir présider à leur édition. L’amitié qui était dès lors fort étroite entre notre docteur et le fameux Paul Sarpi, vénitien, religieux servite, théologien de la république de Venise, connu vulgairement sous le nom de Fra-paolo, ne permit pas qu’il lui dissimulât ce qu’il faisait pour la gloire de Gerson et le bien public.

1606.

L’édition n’était pas encore achevée lorsqu’en 1606 on vit éclater le fameux différent qui s’était élevé entre le pape Paul V et la république de Venise. L’interdit que le pape jeta sur la ville, donna occasion à Fra-paolo de rechercher la qualité et la valeur des censures ecclésiastiques ; et l’engagement où il se trouvait de défendre la république le porta à publier en Italie deux petits traités de Gerson, concernant la matière des excommunications et des irrégularités. Ces deux écrits furent regardés par les Vénitiens comme une puissante défense contre les censures du pape, et ils déplurent fort à la cour de Rome.

Le cardinal Bellarmin y répondit aussitôt en langue vulgaire : mais il s’en acquitta d’une manière si injurieuse à la mémoire de Gerson, qui était en vénération par toute la France, et à la doctrine entière de l’université de Paris, qu’il choqua plusieurs docteurs de Sorbonne, et les plus habiles d’entre les conseillers et les avocats du parlement.

C’est ce qui donna la pensée à Richer de rechercher les moyens les plus propres à faire encore mieux connaître qu’auparavant, quelle avait toujours été la doctrine de l’université de Paris, touchant l’autorité du pape et du concile général. Il crut qu’il serait bon pour ce dessein, de publier autant qu’on pourrait les écrits de ceux qui avaient été autrefois les témoins et les dépositaires de cette doctrine ; et tandis que les théologiens de Venise étaient occupés à repousser Bellarmin, il conseilla aux libraires de Paris d’imprimer à la fin des œuvres de Gerson, quelques petits traités du cardinal Pierre d’Ailly évêque de Cambrai, de Jacques Almain, et de Jacques le Maire, dit Major, docteur de la faculté de Paris.

Dans le même temps, Maffée Barberin nonce du pape en France, et depuis souverain pontife sous le nom d’Urbain VIII, cherchait dans la faculté de Paris des théologiens qui voulussent écrire de la puissance du pape contre les Vénitiens ; et il employait le docteur André Duval, qui lui avait toujours paru fort attaché à son service, pour chercher quelqu’un qui fût dans cette bonne disposition. Duval était un homme élevé dans les préjugez de la scolastique moderne, et entièrement dévoué à la cour de Rome. Quoi qu’il fût assez peu versé dans l’étude des pères et de l’antiquité ecclésiastique, il avait été choisi avec Philippe de Gamaches pour être premier professeur royal en théologie positive, l’an 1598, incontinent après l’institution des deux chaires, faite par le roi Henri le Grand.

Duval, au lieu de s’acquitter de sa commission, crut devoir donner avis au nonce de la nouvelle édition des œuvres de Gerson, comme d’une chose plus préjudiciable encore à l’autorité du pape que tout ce que l’on pourrait écrire en faveur des théologiens de Venise. Le nonce en eut peur, et alla sur le champ rendre visite au chancelier Brulart de Sillery, de qui il obtint qu’on n’exposerait point le Gerson en vente pendant toute l’année 1606. La défense qui en fut signifiée aux libraires toucha sensiblement Richer, qui regardait cette entreprise du nonce comme une première démarche que faisait la cour de Rome pour opprimer et détruire, même dans le cœur du royaume, la doctrine des anciens, touchant l’autorité de l’Église et du concile sur le pape. Il crut en même temps que l’on faisait affront à Gerson et à toute l’université ; de sorte que le zèle qu’il avait pour conserver la réputation de l’un et de l’autre, lui fit entreprendre la défense de Gerson, qui avait été le principal appui de la faculté de théologie, et l’un des grands ornements de l’Église de France en son temps.

XII.
Richer compose une apologie pour Gerson.

Le dessein de cette apologie n’était pas de s’élever contre ce le que ce que le nonce venait de faire à Paris au préjudice de Gerson, mais de réfuter l’écrit italien que le cardinal Bellarmin avait publié contre les deux petits traités de ce docteur très-chrétien23, imprimé par Fra-paolo, et qu’on venait de faire paraître en latin à Mayence. Richer, aussi bien que ce qu’il y avait de gens d’honneur, et d’amateurs de la vérité en France, était indigné de la hardiesse avec laquelle Bellarmin avait osé déshonorer un si saint personnage. Il ne pouvait comprendre dans quel esprit cet écrivain avait avancé que la doctrine de Gerson, qui a été consacrée et comme canonisée dans le concile œcuménique de Constance, est une doctrine téméraire, très injurieuse au Saint-Siège, entièrement erronée, schismatique, et fort approchante de l’hérésie des hérétiques de notre temps. Néanmoins il s’appliqua beaucoup plus à développer les sophismes de ce cardinal, qu’à repousser ses injures ; et joignant toujours la modération à la force, il fit voir que la doctrine de Gerson et de la faculté de Paris, touchant la puissance du pape, était autorisée par le droit divin et naturel, par la tradition ancienne de l’Église, et par un usage suivi et constant des huit premiers conciles généraux, et qu’elle avait été depuis pleinement rétablie par celui de Constance ; ce qu’on ne pouvait plus dissimuler depuis ce temps-là, sans être ou parfaitement ignorant, ou aveuglement passionné pour les injustes prétentions de la cour de Rome.

Richer ne put travailler si secrètement à cet ouvrage, que Duval n’en eût le vent. Celui-ci en prit l’alarme, et alla déclarer au nonce que Richer était soupçonné d’écrire contre le cardinal Bellarmin pour la défense de Gerson, et qu’il était d’une très grande conséquence de l’arrêter dans les commencements. Le nonce qui avait été créé cardinal depuis peu de jours, voulut se servir de Duval même, comme d’un internonce, pour déclarer ses intentions à Richer. Duval le vint trouver par son ordre, et le pressa de sa part de s’aller purger devant lui des soupçons et des rapports désobligeants dont on l’avait prévenu. On était alors dans les réjouissances publiques de la cérémonie que l’on fit du baptême du dauphin, et Richer fit conscience de troubler la joie qu’on affectait d’y faire paraître, en lui refusant la satisfaction qu’on demandait de lui. Il l’alla trouver à l’hôtel de Cluny, où les nonces avaient coutume de loger pour être plus près de la Sorbonne. Il prit des détours pour lui ôter le soupçon qu’on lui avait donné de lui, et il lui fit accroire que ce qu’on lui avait rapporté de l’apologie de Gerson contre Bellarmin, dont les discoureurs le faisaient auteur, venait principalement de ce qu’on le faisait passer pour un homme fort attaché aux anciennes prétentions de l’Église de France, fort zélé pour la gloire de la faculté, et grand admirateur de Gerson.

Le nonce parut content de cette défaite, et Richer revint continuer l’apologie avec encore plus d’assurance qu’auparavant, mais sans dessein de la faire paraître alors, par respect pour le cardinal Barberin. On sut ce qui s’était passé chez le nonce. Le bruit qu’on en fit excita la curiosité de plusieurs savants de la ville, qui allèrent importuner Richer pour leur faire voir son ouvrage. Il ne put refuser cette satisfaction à son intime Nicolas le Fèvre, qui fut depuis précepteur de Louis XIII. Une infidélité que d’autres firent à cet ami, qui leur en avait communiqué la vue, fut cause qu’on l’imprima l’année suivante en Italie, mais d’une manière si défectueuse que l’auteur eut honte de le reconnaître en cet état.

Son dessein fut pour lors d’abandonner et de laisser périr même cet ouvrage, dans l’espérance que l’accommodement du différent de Venise avec Rome, ôterait aux défenseurs de la puissance absolue du pape, l’envie de plus maltraiter Gerson et la Sorbonne. Mais 4 ans après, lorsque toute la France pleurait la perte de son roi, Bellarmin ayant pris occasion du détestable parricide qui avait ôté du monde ce grand prince pour publier son livre de la puissance du pape dans le temporel, contre Barclai ; où ce cardinal semblait assez ouvertement approuver le crime de Ravaillac, l’indignation saisit Richer de nouveau ; de sorte que la tendresse qu’il avait pour la patrie et la compassion dont il fut touché pour le triste état du royaume et pour le bas âge du roi Louis XIII se joignant à l’amour de la vérité qui se trouva offensée en même temps par des thèses conformes à la doctrine de Bellarmin, soutenues au grand couvent des jacobins de Paris, lui firent remettre la main à son apologie pour Gerson. Il y apporta plus de soin et d’étude qu’il n’avait encore fait à aucun de ses autres ouvrages, parce qu’il prétendait y renfermer tous ses véritables sentiments sur ce sujet, d’une manière également exacte et succincte, afin qu’on pût juger de ses autres écrits par ce livre et qu’on pût réformer sur lui tout ce qu’il aurait dit ou écrit ailleurs, qui ne s’y trouverait pas conforme.

Mais l’engagement où il se vit ensuite de donner son petit écrit de la puissance ecclésiastique et politique, qui n’était qu’un extrait de cette apologie, et qui excita de grands bruits dans la faculté de théologie, fut cause qu’il en différa la publication après la pacification de ces troubles. L’occasion une fois échappée ne se présenta plus commodément de son vivant ; et l’apologie pour Gerson pour l’autorité souveraine de l’Église et du Concile général, et pour l’indépendance de la puissance temporelle des rois, demeura ensevelie, avec les autres ouvrages manuscrits de Richer, jusqu’à ce qu’on la fit imprimer en Hollande, la première année du pontificat d’Innocent XI avec la vie du même Gerson.

XIII.
Pratique du nonce pour faire reconnaître la puissance absolue du pape et son infaillibilité en France.

Quoi que le cardinal Barberin parût extrêmement jaloux de l’honneur de la cour romaine, et zélé pour la défense de ses prétentions, Richer ne laissait pas de s’estimer encore assez heureux dans sa nonciature ; parce qu’étant éclairé et naturellement bienfaisant, il n’employait ni la violence ni l’artifice, pour détruire la doctrine opposée à celle qu’il souhaitait faire recevoir.

1607.

Mais le cardinal s’en étant retourné à Rome l’an 1607 aussitôt après l’accord du pape Paul V avec la république de Venise, fait par l’entremise du roi Très-Chrétien, on vit venir en France un autre nonce de la Sainteté, qui apporta peut-être plus de zèle, mais moins de modération dans le maniement des esprits. Ce nonce était Robert Ubaldin, natif de Florence, évêque de Montepulciano. Il avait pour auditeur Alexandre Scappi, docteur en droit canon de l’université de Boulogne, homme remuant et hardi, ayant toujours l’esprit inquiet et turbulent, toujours disposé à brouiller les affaires et à mettre la division dans les assemblées. Cet homme profitant du voisinage de Sorbonne24, où le nonce était logé, ne fut pas longtemps sans troubler toute la faculté de théologie de Paris par ses intrigues continuelles. Le nonce qui appuyait son auditeur, agissait de son côté par des intrigues un peu plus concertées, pour tâcher d’engager les principaux du clergé à prendre la défense de ce qu’il appelait la puissance du pape. Car c’est le terme spécieux dont on se servait pour colorer les embûches qu’on tendait à la liberté des églises.

Il y avait deux raisons principales qui portaient le nonce à faire toutes ces sollicitations. La première était l’issue de l’interdit de Venise, qui n’avait pas réussi, au contentement de la cour de Rome. L’autre était la découverte qui s’était faite en Angleterre de la conspiration des poudres contre le roi Jacques. Pour détourner les soupçons de cette conspiration, dont on voulait charger les catholiques du pays, l’archiprêtre George Blackwell, et plusieurs autres prêtres anglais, avaient écrit que les catholiques d’Angleterre pouvaient en sûreté de conscience prêter le serment de fidélité au roi et signer le formulaire qu’on leur présentait pour cela ; de plus que la faculté de théologie de Paris tenait que la puissance spirituelle du pape était limitée par les canons ; et que pour la temporelle, il n’en avait aucune, pas même indirectement, de droit divin, comme le prétendait le cardinal Bellarmin.

Ce dernier point fit que le nonce Ubaldin chercha principalement à s’assurer dans la Sorbonne, de ceux qui étaient portés pour la doctrine de Rome. Il communiqua surtout avec le docteur Duval, qu’il trouva aussi zélé pour le servir en ce point, qu’il l’avait paru sous son prédécesseur Barberin. Il lui parla d’abord de faire en forte que la faculté donnât une déclaration de la puissance que le pape devait avoir sur le temporel : mais Duval qui convenait que l’on ne pouvait trop étendre l’autorité du souverain pontife pour la gloire de Dieu et le maintien de la religion, ne crut pas que cet expédient pût réussir. Son avis fut que le nonce obtînt plutôt du Chancelier que la Sorbonne s’assemblât, pour résoudre si le pape avait quelque pouvoir sur le royaume d’Angleterre ?

Richer qui depuis plus de deux ans ne se trouvait plus aux assemblées de Sorbonne, pour donner plus de temps à ses études particulières, apprit d’un docteur25, qui était l’ami et le confident de Duval, la résolution qu’il avait prise avec le nonce. Cette nouvelle l’affligea d’autant plus sensiblement, qu’il ne voyait presque personne dans toute la faculté, qui eût assez de force pour s’opposer efficacement à cette entreprise. Mais Dieu, qui le destinait lui-même à cet ouvrage, fit bientôt naître l’occasion de le faire retourner en Sorbonne.

1608. Richer est élu syndic de la faculté.

Dans l’assemblée ordinaire de la faculté qui se tint le 2 janvier de l’an 1608, Richer fut élu d’un commun consentement de tous les docteurs qui la composaient, pour être syndic en la place de Rolland Hébert, curé de Saint-Côme, qui fut depuis grand pénitencier de l’église de Paris et ensuite archevêque de Tours, et qui avait déclaré, en quittant le syndicat, qu’il ne connaissait personne plus capable de l’exercer dignement que le grand-maître du collège du Cardinal-Lemoine.

Richer qui était non seulement absent, mais qui était même fort éloigné de penser à rien de semblable, ou de croire que l’on dût jamais songer à lui, parut un peu embarrassé de ce choix. Il se transporta en Sorbonne le 15 du même mois, et déclara dans l’assemblée de la faculté qu’il ne pouvait se résoudre à accepter le syndicat, à moins que tous les docteurs ne promissent de travailler avec lui pour rétablir l’ancienne discipline de la faculté, qui était extrêmement déchue. La compagnie le lui promit tout d’une voix, et elle le remercia solennellement d’avoir des intentions si louables.

Il empêche que l’on ne soutienne dans les thèses rien de contraire aux libertés de l’Église gallicane.

Il commença les fonctions de son syndicat par revoir tous les titres et registres de la faculté, qui étaient ensevelis dans la poussière et mangés des vers. Outre l’ordre qu’il y remit et les suppléments qu’il fit faire à tout ce qu’il y avait de défectueux ; il y apprit aussi les délibérations des anciens, dont il croyait qu’il avait besoin dans la conjoncture des affaires du temps. Il s’appliqua en même temps à découvrir toutes les intrigues dont se servait l’auditeur Scappi pour gagner la Sorbonne ; et voyant de quelle conséquence il était d’arrêter promptement le cours de ses artifices, il fit ordonner par la faculté, assemblée le premier jour de février suivant, que tous les bacheliers en théologie apportassent leurs thèses au syndic, un mois avant que de répondre en public, afin qu’il eût le loisir de les examiner avec plus d’exactitude qu’on n’avait fait auparavant.

Il fit avertir en même temps tous les bacheliers de s’abstenir de toutes propositions odieuses dans leurs thèses ; parce que l’état présent des affaires du royaume demandait beaucoup de circonspection, et que la nécessité où l’on était de tolérer les huguenots en France, pour jouir de la paix suivant les édits du roi, obligeait à ne les point scandaliser mal à propos, et à ne leur donner aucune prise sur l’église catholique ; qu’il fallait qu’ils se conformassent surtout aux maximes de l’Église gallicane de l’université de Paris, qui de tout temps étaient demeurées dans le juste milieu entre les extrémités vicieuses de ceux qui donnaient trop ou trop peu de puissance au pape, comme on le pouvait voir dans les lettres de Saint-Bernard au pape Eugène, dans les écrits de Gerson, d’Almain, et dans les articles de la faculté qu’on avait coutume de signer ; et afin que l’ignorance ne leur fît rien faire en ce point qui fût préjudiciable à leur devoir, il obtint dans l’assemblée du premier mars suivant, que les articles seraient réimprimés de nouveau, et que tous ceux qui étaient du corps de la faculté, en auraient un exemplaire.

Mais Duval, qui était entièrement dévoué au nonce du pape et qui demeurait aveuglement attaché à la doctrine des jésuites, chez qui il avait fait toutes ses études, empêcha par ses brigues et ses sollicitations, que l’on n’exécutât ce décret de la faculté. Ce docteur profitant de l’autorité que lui donnait la chaire royale, et de l’accès qu’il avait auprès des prélats et de quelques grands de la cour avait acquis dès lors beaucoup de crédit en Sorbonne. Aussi a-t-on remarqué que depuis qu’il s’est vu en charge, il a toujours tâché de disposer de toutes choses à sa fantaisie, soit dans la faculté de théologie, soit dans la maison particulière de Sorbonne, sans vouloir s’assujettir aux statuts, ni à aucune autre règle.

Richer ne laissa pas de demeurer toujours ferme à empêcher que l’on ne soutînt aucune proposition contraire aux véritables maximes de la Sorbonne. Il sut si bien brider l’auditeur Scappi et les autres émissaires du nonce, que Duval, chagrin de voir qu’il biffait tous les jours quelques thèses, et particulièrement celles des mendiants, sans qu’il pût y apporter d’obstacle, disait publiquement qu’il aurait souhaité devenir le martyr de la puissance du pape, où se voir au moins condamné au bannissement pour la défense de cette cause ; mais toutes ses plaintes furent alors sans effet, et elles ne servirent qu’à faire mieux connaître de quel génie il était inspiré.

XIV.
1609. Il s’oppose à l’ouverture des classes des jésuites, s’attire leur haine.

Sur la fin de l’an 1609, les jésuites obtinrent des lettres patentes du roi pour ouvrir les classes de leur collège de Clermont à Paris. Ces pères se souvenant de ce qui s’était passé dans le temps de leur établissement, avaient adroitement divisé les quatre facultés, et en avaient gagné ou intimidé les principaux suppôts, pour empêcher que l’université ne s’opposât à ces lettres.

Richer à qui la charge de syndic facilitait toutes choses, travailla fortement pour réunir les esprits. Il sut tellement encourager les quatre facultés, qu’il fit former l’opposition au nom de toute l’université. Il employa aussi le crédit du cardinal du Perron, qui rendit à cette occasion à l’université tout le service dont il fut capable, et qui continua ses bons offices pour elle, tant que le roi Henri IV fut au monde.

C’est ainsi que Richer fit échouer l’entreprise des jésuites. Ils surent bien lui en attribuer tout le mauvais succès, et ils le regardèrent toujours depuis, comme un objet digne de haine.

Ce qui se passa dans la suite entre l’université et eux pendant le temps de son syndicat, ne contribua point à diminuer cette aversion. La constance et l’égalité d’esprit que Richer garda partout, servit encore à la faire croître, et il apprit par son expérience à quoi doivent se résoudre ceux qui ont quelque chose à démêler avec cette puissante compagnie. Il savait que lorsqu’on leur a déplu une fois, ou qu’on les a traversés dans leur chemin, non seulement ils ne pardonnent jamais, mais qu’outre autant d’ennemis qu’ils sont de têtes, ils arment encore tous leurs amis et leurs créatures ; qu’ils mettent en œuvre tous les moyens que leur nouvelle politique leur suggère, sous le beau prétexte de la plus grande gloire de Dieu, pour perdre au moins de fortune et de réputation ceux dont ils se croient offensés. Mais il aima mieux se préparer à tout souffrir, que de jamais abandonner les intérêts de la justice et de la vérité ; résolu de n’opposer à tous les artifices de ses adversaires, que le témoignage d’une bonne conscience, avec ce qu’il plairait à Dieu de lui donner de courage et de lumière.

1610.

L’assassinat imprévu, commis le 14 mai 1610 en la personne de Henri le grand, entre les malheurs où il plongea la France, causa aussi une étrange révolution dans les esprits de beaucoup de gens, et servit à découvrir bien des désirs secrets et des pensées qui avaient été cachées jusque-là : car plusieurs de ceux que la présence et le respect de ce prince avaient retenus dans le devoir, levèrent le masque, et cherchèrent à brouiller l’Église et l’État dès qu’ils lui virent les yeux fermés.

Il s’élève contre la maxime qu’il est permis de tuer les tyrans, enseigné par les jésuites, et il est traversé par le nonce et les prélats.

Incontinent après le supplice du parricide Ravaillac, le parlement ordonna le 27 mai, que la Sorbonne s’assemblerait pour délibérer sur le renouvellement de son ancien décret contre ceux qui enseignent qu’on peut licitement tuer les tyrans. Le syndic Richer pour seconder les bonnes intentions des magistrats, représenta à la faculté : qu’après Dieu, le salut des des peuples dépendait de la personne du prince ; que l’année précédente un jésuite renommé, Sébastien Heissius, avait publié une apologie pour sa compagnie, où il montrait que les jésuites se font directeurs de ceux qui cherchent à remuer et qui veulent troubler un État ; et qu’il appartient autant à ces pères de se mêler de déposer les souverains, que de donner des remèdes contre la peste26 ; que les deux grandes maximes des jésuites qui enseignent, 1° que le pape seul est infaillible, 2° qu’il peut déposséder les rois qui refusent de lui obéir, étant conférées avec les réponses que Ravaillac avait faites devant les juges, faisaient assez connaître que le peuple ignorant concluait de ces deux propositions, qu’il était permis, et qu’il y avait même du mérite à entreprendre sur la vie des rois ; que c’était ainsi que Ravaillac se l’était persuadé, puis qu’étant sur la sellette, il avait soutenu devant les juges, que c’est la même chose de résister à Dieu et au pape ; qu’il avait résolu de tuer le roi, parce qu’il armait contre la volonté du pape pour des princes protestants, et qu’il ne faisait pas la guerre aux huguenots de son royaume, comme il y était obligé ; que comme les gens de bien se plaignaient de cette doctrine des jésuites, le père Jean Gontery, l’un des plus célèbres prédicateurs de leur compagnie, avait pris de là occasion pour faire d’aigres invectives dans ses sermons, contre ceux qu’on appelait bons français, et que par mépris il nommait catholiques royaux, voulant persuader que c’était une nouvelle secte qui s’élevait dans l’Église ; que c’était aussi ce que venait de faire en Flandres un autre jésuite, nommé Héribert Rosweyde, dans le livre qu’il avait imprimé nouvellement, de la foi qu’on doit garder aux hérétiques.

La faculté de théologie, s’étant assemblée à la réquisition du syndic pour arrêter le cours d’une doctrine si pernicieuse, renouvela le 4 juin le décret qu’elle avait donné autrefois contre Jean Petit, dit Parvi.

Mais il n’y eut point de brigues, point d’artifices que les partisans de la cour de Rome n’employassent pour détourner ce coup. Le nonce Ubaldin n’ayant pu empêcher que la faculté ne s’assemblât, voulut au moins faire en sorte que décret ne fût point publié dans les paroisses. Il en vint à bout, avec le secours de Henri de Gondi, évêque de Paris, d’Antoine Rose, évêque de Clermont, de Charles Miron évêque d’Angers et de quelques autres prélats ; c’est-à-dire, de ceux mêmes qui par le devoir de leurs charges, étaient obligés de faire tout le contraire.

Richer, qui dans sa remontrance n’avait été que l’organe du parlement, ne put empêcher que toute l’envie et le blâme de cette affaire ne retombassent sur lui ; et peu s’en fallut que les jésuites, qui avaient agi de concert avec le nonce pour la faire échouer, ne le sacrifiassent à leur ressentiment. Les calomnies dont ils le chargèrent dans cette occasion, redoublèrent encore tout autrement, lorsqu’au mois d’août suivant, l’université s’opposa de nouveau aux lettres que ces pères avaient obtenues de la cour, dans la minorité du jeune roi, pour ouvrir leur collège de Paris. Le mauvais succès de cette seconde tentative les irrita de telle sorte, qu’ils ne gardèrent plus de mesures avec Richer, qu’ils en croyaient l’auteur ; mais ce qu’ils purent faire pour lors, fut de le décrier partout, de le déclarer hérétique, et de faire courir le bruit qu’il avait été excité par les huguenots pour empêcher les jésuites d’enseigner dans Paris, et de rendre par là tous les services dont ils étaient capables, inutiles à la religion catholique.

XV.
Le clergé de France tâche de rabaisser la puissance du roi et des magistrats.

L’exemple de la conduite que gardèrent les prélats amis du nonce du pape, pour traverser le décret de Sorbonne, qui voulait assurer la vie des rois contre les attentats, fait voir que le clergé de ce temps-là, n’était guère moins porté que les jésuites pour la monarchie absolue du pape, préjudice de l’indépendance et de la souveraineté de la puissance royale, ou séculière. Incontinent après la mort du roi, plusieurs prélats animés par le nonce, tinrent entre eux plusieurs conférences, pour délibérer sur les moyens de relever le crédit et l’autorité des ecclésiastiques, qu’ils croyaient avoir été trop rabaissée en France sous le règne précédent.

C’est ce qui fit que dès le mois de septembre de la même année ils formèrent de grandes plaintes contre les parlements et contre les appellations, comme d’abus. Leurs cris n’empêchèrent point qu’avant la fin du mois il ne vînt un édit du roi, pour régler les appellations conformément à l’ordonnance de Melun, donnée en 1579, et que l’édit ne fût vérifié un an et demi après, et autorisé par un arrêt du parlement de Paris.

Ce ne fut pas le seul effort que firent les prélats, pour remettre le clergé dans le rang dont ils le croyaient déchu par les entreprises des laïques. Ils s’assemblèrent encore quelque temps après chez le cardinal de Joyeuse, où sous le nom spécieux d’une sainte union et d’une bonne intelligence, ils se liguèrent contre ce qu’ils appelaient la secte des parlementaires, dont on publiait que Richer s’était déclaré le défenseur dans l’université. Ils promirent aussi de ne séparer jamais leurs intérêts, et de s’assister mutuellement dans leur cause commune, qui selon eux était celle de toute l’Église. Le cardinal de Joyeuse pria le cardinal du Perron archevêque de Sens, dont Paris était encore suffragant, de vouloir entrer dans cette union, à laquelle il savait que son autorité et son mérite donneraient beaucoup de poids. Il n’eut aucune peine à l’obtenir. Du Perron, après la mort du roi, n’avait plus de fortes considérations pour se tenir dans les intérêts de l’Église gallicane. Il ne se soucia plus de pratiquer Richer avec tant d’assiduité ; il commença à croire que la pratique des jésuites, pour lesquels il avait eu jusque-là beaucoup d’aversion, pourrait être bonne à quelque chose ; et il ne parut point fâché de voir naître durant la minorité où était réduit le gouvernement, les occasions de satisfaire aux engagements que lui imposait la pourpre dont il était revêtu.

On ne pouvait trouver des conjonctures plus favorables aux entreprises des ultramontains, que le temps auquel le clergé commençait à former ces projets. Ce fut aussi pour lors que l’on fit entrer en France le nouveau livre du cardinal Bellarmin, touchant la puissance du pape dans les choses temporelles, dont nous avons parlé ailleurs. Les brouillons et les mauvais sujets de l’État eurent grand soin de le répandre par la ville, pour tâcher d’établir sur l’esprit des peuples le règne absolu du pape. Ils firent courir un bruit sourd dans le même temps, que que les enfants des hérétiques étaient incapables de régner : doctrine venue d’Italie et d’Espagne, qui se trouvait dans le livre intitulé, le Directoire des inquisiteurs, et qui semblait être tirée des décrétales.

Richer, indigné de voir que les personnes malintentionnées ne cherchaient qu’à profiter de la faiblesse de la régence et du bas âge du roi, et persuadé en même temps que la dignité de cardinal mettrait Bellarmin à couvert de tout ce qu’il pourrait requérir en Sorbonne contre son livre, crut qu’il était plus à propos de prendre la plume, pour préparer les remèdes qu’il jugeait les plus propres contre ces pernicieuses nouveautés. Pendant ce temps, le livre de Bellarmin fut condamné par un arrêt du parlement, donné le 26 novembre, sur les conclusions de l’avocat général Servin, comme un ouvrage injurieux à la souveraineté des puissances légitimes, et tendant à faire révolter les sujets du roi, et attenter à sa vie.

Le nonce fit grand bruit de cet arrêt au conseil du roi, et il menaça les ministres que s’ils n’en empêchaient l’exécution, il s’en retournerait à Rome, sans prendre congé du roi ni de la reine régente. Ses plaintes eurent la force d’intimider le conseil ; en quoi on reconnut aisément quelle était la faiblesse du gouvernement, et jusqu’où était déjà monté le crédit de ceux qui favorisaient le parti de Rome à la cour de France, depuis la mort du roi. On fit donc surseoir l’exécution de l’arrêt contre le livre de Bellarmin, aussi bien que le procès d’entre l’université et les jésuites. Mais on ne réprima point l’animosité des partis, qui s’attaquèrent vivement par divers écrits, où les uns entreprenaient de défendre la souveraineté de nos rois, et les autres se rangeaient du côté de Bellarmin pour la cour de Rome.

Fin du premier Livre.

Notes

  1. [1]

    Richer, De optimo academiæ statu, p. 94.

  2. [2]

    Richer, De optimo academiæ statu, p. 177.

  3. [3]

    7 janvier 1589.

  4. [4]

    Traité des causes et des raisons de la prise d’armes faite en janvier 1589, par Louis de Gonzague, duc de Nevers, p. 467.

  5. [5]

    Au mois d’août 1589.

  6. [6]

    Richer, Histoire du syndicat.

  7. [7]

    Ibid.

  8. [8]

    Jean Boucher, De justa Henrici tertii abdicatione e Francorum regno (1589).

  9. [9]

    Richer, Histoire du syndicat.

  10. [10]

    Richer, De optimo academiæ statu, p. 173.

  11. [11]

    Richer, De optimo academiæ statu, p. 176.

  12. [13]

    Du Boulay (Bulaeus), Historia Universitatis Parisiensis, t. 6, p. 617.

  13. [14]

    1595.

  14. [15]

    Richer, De optimo academiæ statu, p. 187-204.

  15. [16]

    Monsieur Boucherat, Chancelier de France.

  16. [17]

    Bot. comment. l. I, ann. 1594.

  17. [18]

    Du Boulay (Bulaeus), Historia Universitatis Parisiensis, t. 6, p. 916.

  18. [19]

    Jacques Auguste de Thou (Thuanus), Historiæ sui temporis, l. 123 ad ann. 1600.

  19. [20]

    Jacques Auguste de Thou (Thuanus), Historiæ sui temporis, l. 123 ad ann. 1600.

  20. [21]

    De optimo academiæ statu.

  21. [22]

    L’Empereur.

  22. [23]

    C’est le surnom de Gerson.

  23. [24]

    Depuis l’an 1601 les nonces logeaient à l’hôtel de Cluny.

  24. [25]

    Jean Fortin.

  25. [26]

    Cum de rebus politicis et mutandis regibus agitur, de quo consultate jesuitarum non minus proprium munus est, quam grassante lue curare ne desint amuleta.

    (Sébastien Heissius — Heiß, Aphorismorum doctrinæ jesuiticæ declarationem apologeticam, c. 5, aph. I, n. 96.)

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