M. Twain  : Personal Recollections of Joan of Arc (1895-1896)

Dossier : Twain et le surnaturel

Mark Twain, Jeanne d’Arc, et le surnaturel
(Jean Gratteloup, 6 octobre 2025)

Sommaire

  1. Le surnaturel dans le roman Jeanne d’Arc
    1. Surnaturel, merveilleux, prodigieux, extraordinaire
    2. Faits historiques et ajouts romanesques
    3. Les faits historiques surnaturels
    4. L’explication catholique et son rejet par Twain
  2. Explication du génie spontanée
    1. Acquisition du talent militaire
    2. Acquisition du talent oratoire

      Plaidoiries :

    3. Conclusion sur l’explication du génie spontané
  3. Explication du don prophétique
    1. La télégraphie mentale
    2. La Society for Psychical Research (SPR) et les Études psychiques
    3. Mark Twain et la SPR
    4. Le roman de Twain et les Études psychiques

      Ajouts romanesques :

    5. Une autre expérience personnelle de Twain
    6. Conclusion sur l’explication du don prophétique
    7. Les Études psychiques et le génie spontané
  4. Le surnaturel omis
    1. L’embuscade figée sur place
    2. Un troisième type de surnaturel
  5. Conclusion générale
    1. Twain naturalise le surnaturel
    2. La singularité de Jeanne
    3. Sa pureté absolue
    4. Une sainte sans miracle
      (Jeanne, héroïne du paranormal)

    (Supplément)

I
Le surnaturel dans le roman Jeanne d’Arc

1.
Surnaturel, merveilleux, prodigieux, extraordinaire

Tout auteur qui traite de Jeanne d’Arc — qu’il soit romancier, dramaturge, mais aussi historien, philosophe, médecin, scientifique de manière générale — se heurte inévitablement à la question Jeanne d’Arc : les facultés extraordinaires qu’elle disaient tenir de ses voix, et donc l’irruption du surnaturel dans le monde matériel. Twain ne fait pas exception, et ne l’élude (presque) pas.

Dans son roman, Twain déploie un vaste lexique du surnaturel : supernatural (surnaturel), marvelous/marvel (merveilleux), prodigious/prodigy (prodigieux), extraordinary (extraordinaire), etc.1 Si l’usage relève parfois de la simple amplification stylistique, il renvoie aussi au sens premier du terme :

Puisque notre objet d’étude est précisément de chercher à comprendre la position de Twain sur ce qui paraît contredire les lois de la nature dans l’histoire de Jeanne d’Arc, nous retiendrons le terme de surnaturel, l’un de ceux qu’il emploie lui-même2.

surnaturel : ce qui contredit les lois de la nature telles que reconnues par la raison humaine.

2.
Faits historiques et ajouts romanesques

Dans sa Préface du traducteur, Twain fait la distinction entre deux types de contenus : les faits historiques, qu’il appelle l’histoire officielle et les ajouts romanesques, qu’il appelle les détails ajoutés.

Dans ses Souvenirs personnels, le sieur Louis de Conte suit fidèlement l’histoire officielle et s’y avère d’une fiabilité irréprochable ; mais pour ce qui est de la multitude de détails qu’il ajoute, le lecteur devra le croire sur parole3.

Ces détails ajoutés tiennent pour la plupart du burlesques et du merveilleux. Twain, avec humour, nous appelle à l’indulgence envers Louis de Conte, comme lorsqu’il évoque la légende du dragon du bois chenu que se racontaient les enfants de Domrémy (p. 8) :

On disait que ce dragon était d’un bleu éclatant moucheté d’or. Mais comme personne ne l’avait jamais vu, on ne pouvait pas vraiment savoir. Ce n’était qu’une croyance. Croyance à laquelle je n’adhérais pas, d’ailleurs, car j’estime qu’il est absurde de croire en quelque chose sans preuves tangibles. Aussi ai-je toujours tenu que le dragon n’était que doré, sans bleu, comme le sont tous les dragons4.

Les ajouts romanesques relevant du surnaturel sont :

  • l’expulsion des fées (I, 2) ;
  • l’ombre blanche dans le bois (I, 6) ;
  • les fantômes de la maison Boucher (II, 17 et 19) ;
  • les transes prophétiques de Jeanne (I, 5 et II, 28) ;
  • mais également des croyances répandues telles que l’œil voyant et la bouche créatrice (II, 11).

Une fois écarté ce merveilleux burlesque ou légendaire, reste la question du surnaturel dans les faits historiques de l’épopée de Jeanne. Car Twain rapporte ces faits fidèlement et se targue de les avoir vérifiés auprès des sources les plus autorisées, qu’il cite en tête de volume : Quicherat, Michelet, Wallon, etc.5

faits historiques : éléments du consensus historique, que Twain appelle l’histoire officielle.

ajouts romanesque : éléments inventés, généralement burlesque et merveilleux.

Par ailleurs, dans son essai Sainte Jeanne d’Arc, il insiste sur la fiabilité des témoignages et la véracité de l’histoire de Jeanne, dont il accepte l’entière réalité :

Sa carrière comme sa personnalité se révèlent si extraordinaires que nous sommes amenés à les accepter comme des réalités, précisément parce qu’elles dépassent ce que la fiction la plus audacieuse aurait pu imaginer6.

Enfin, si le roman est plein d’humour, Twain est toujours sérieux lorsqu’il adresse les points historiques de la carrière et de la personnalité de Jeanne.

Twain est donc sérieux lorsqu’il rapporte et admet des faits historiques relevant du surnaturel. Quels sont-ils ?

3.
Les faits historiques surnaturel à expliquer

Dans la quatrième partie de Sainte Jeanne d’Arc, Twain distingue trois aspects qui font de Jeanne d’Arc la merveille des siècles7.

  1. Son génie spontané (ses talents comme chef de guerre, puis face aux théologiens).
  2. Son don prophétique (sa connaissance des choses ou des pensées cachées ou des faits à venir).
  3. Sa pureté absolue, d’où découle sa charité et son désintéressement.

Si ce dernier point est remarquable pour Twain, il ne relève cependant pas du surnaturel en cela qu’aucune loi de la nature n’est violée par la pureté d’un individu, et n’exige pas d’explication particulière.

Restent les deux premiers points.

§1
Le génie spontané

Selon Twain, le génie existe à l’état latent, mais pour se révéler il doit baigner, — et assez longtemps, — dans la bonne atmosphère8.

Or, il constate que Jeanne, simple paysanne ignorante et illettrée, devient du jour au lendemain un chef de guerre accompli, capable en quelques batailles de renverser le cours de la guerre. Twain aime citer à ce sujet la déposition du duc d’Alençon, qui atteste de sa stupéfiante compétence dans l’art de disposer l’artillerie9.

Puis, sans préparation ni défenseur, confrontée à une assemblée de théologiens parmi les plus habiles, dont la mission était de la confondre sur le terrain de la doctrine, elle les surpasse. La grandeur morale et la clarté d’esprit dont elle fit preuve à son procès émerveillent Twain encore davantage que ses prodiges militaires.

Oui, Jeanne d’Arc fut toujours grande, grande en toute circonstance, mais elle le fut encore davantage lors de son procès de Rouen. Là, elle s’éleva au-dessus des limites et des faiblesses de la nature humaine10.

§2
Le don prophétique

Pour reprendre la classification de Jules Quicherat dans ses Aperçus nouveaux, — première autorité historique de Twain, — il s’agit de trois facultés extraordinaires mises en jeu par les visions de Jeanne. À savoir :

  1. la connaissance de pensées secrètes ;
  2. la perception de choses cachées ;
  3. l’annonce d’événements à venir11, autrement dit ses prophéties.

Twain intègre dans son roman tous les dons prophétiques de l’histoire officielle. Il en ajoute même de son cru, telle la prophétie de la onzième heure, qui vient dissiper les derniers doutes de Louis de Conte12.

Mais surtout, il en admet la réalité et les considère toutes comme authentiques. Ainsi écrit-il ainsi dans Sainte Jeanne d’Arc :

Son histoire présente encore un trait unique qui la rend sans égale ni rivale. Si les annales ne manquent pas de prophètes plus ou moins bien inspirés, elle fut la seule à s’être risquée à prédire chaque événement en en spécifiant la nature exacte, le délai précis de sa réalisation et le lieu, et à voir chacune de ses prédictions s’accomplir13.

En cela, il ne fait que suivre Quicherat :

Dans mon opinion, les documents fournissent pour chacune des trois espèces de révélations qui viennent d’être énoncées, au moins un exemple assis sur des bases si solides, qu’on ne peut le rejeter sans rejeter le fondement même de l’histoire14.

Par ailleurs, Twain intègre plusieurs prophéties qu’il rend nécessaires à la mécanique du récit. Jeanne s’en sert pour prouver la divinité de sa mission et débloquer des situations. Ainsi, elle convainc le capitaine de Vaucouleurs de l’envoyer auprès du roi en lui annonçant l’issue d’une bataille qui se déroulait au même moment à cent lieues de distance. Elle convainc le roi de croire en sa mission en lui révélant un secret connu de lui seul, etc.

§3
Dix principaux faits historiques surnaturel

Pour résumer, Twain admet deux types de pouvoirs et capacités15 de Jeanne d’Arc relevant du surnaturel :

génie spontané : maîtrise immédiate de talents qui exigent normalement un long apprentissage.

don prophétique : faculté de percevoir les pensées secrètes, les choses cachées et les événements à venir.

Pour la clarté du propos, limitons la liste des faits historiques surnaturels admis par Twain, aux dix principaux. Ceux-ci expliqués, tout le reste l’est.

Génie spontané :

  1. Talent militaire et courage sur le champ de bataille (livre II) ;
  2. Talent oratoire lors du procès de Rouen (livre III) ;

Don prophétique :

  1. Connaissance de la défaite du roi à la journée des Harengs (II, 2) ;
  2. Reconnaissance du roi (II, 6) ;
  3. Connaissance de son secret (II, 6) ;
  4. Connaissance de l’épée de Fierbois (II, 10) ;
  5. Prédictions personnelles : sa blessure (II, 21), la durée de sa mission (II, 23), son martyr (II, 28 ; III, 12) ;
  6. Prédictions extérieures : mort imminente d’un homme (II, 4), vent qui tourne devant Orléans (II, 13) ;
  7. Événements auxquels elle entend participer : libération d’Orléans, sacre à Reims (II, 6) ;
  8. Événements lointains : libération de Paris (III, 9), expulsion totale des Anglais (III, 3, 13).

Twain admet donc ces dix faits surnaturels. Les explique-t-il ?

4.
L’explication catholique et son rejet par Twain

§1
L’explication catholique

Jeanne d’Arc explique elle-même l’ensemble de ces faits surnaturels, par ses voix, qu’elle dit venir de Dieu. Ce fut d’abord un long enseignement depuis ses treize ans, puis une aide permanente pour aplanir les difficultés : si elle sait comment s’adresser au roi, aux soldats, aux théologiens de Rouen, disposer l’artillerie, choisir le lieu d’une attaque (génie spontané), si elle connaît certaines choses cachées ou à venir (don prophétique), c’est par le conseil de ses voix.

Le procès de réhabilitation puis de canonisation ont montré la compatibilité de cette explication avec le dogme catholique. Nous pouvons qualifier d’explication catholique, celles qui attribuent les pouvoirs et capacités de Jeanne à Dieu, et qui n’excluent pas la possibilité des voix et des visions.

§2
Son rejet par Twain
a.
Rejet de la nature des voix

Or, Twain n’admet pas les voix ou les visions de Jeanne. Car selon lui, elle ne voyait pas : elle croyait voir.

Elle croyait s’entretenir quotidiennement avec des anges. Elle croyait qu’elle les voyait face à face, et qu’ils la conseillaient, la consolaient, l’encourageaient, et qu’ils lui communiquaient des ordres venus directement de Dieu16.

La nuance est ici essentielle, et la formulation est tout sauf neutre en cette fin de XIXe siècle. Chez les auteurs de cette époque, on distingue trois positions de principe, qui se traduisent par trois types de formulations :

  • Convaincue : Jeanne voyait saint Michel ;
  • Neutre : Jeanne disait voir saint Michel ;
  • Sceptique : Jeanne croyait voir saint Michel.

Dans ce dernier registre, on retrouve notamment l’historien Michelet17, l’une des grandes influences de Twain. Ni l’un ni l’autre ne met en doute la sincérité de Jeanne : elle a vécu une expérience réelle ; mais ils refusent d’y voir des anges ou des saints envoyés par Dieu. Et, s’ils diffèrent sur la nature de ces visions — pour Michelet, ce sont des êtres créés par son imagination, tandis que Twain conserve une respectueuse prudence —, tous deux s’accordent à penser que leur forme relève d’une foi enfantine18, un imaginaire naïf peuplé d’anges et de saints.

b.
Rejet du lien entre les voix et les faits à expliquer

Enfin et surtout, Twain veille à montrer que les pouvoirs et capacités de Jeanne se manifestent avant même les premières apparitions des voix, écartant ainsi toute idée de lien de causalité.

Les éléments semblent même être méthodiquement disposés dans chacun des chapitres précédant celui des premières voix (livre I, chapitre 6).

Génie spontané :

  • son habileté oratoire face aux autorités, lorsqu’elle prend la défense des fées devant le curé de Domrémy (chapitre 2), puis celle du vagabond face à son père (chapitre 3).
  • son courage face au péril ennemi, lorsqu’elle ramène Bernard le fol en prison alors que tous les autres se sont mis à l’abri (chapitre 4).

Don prophétique :

  • les prophéties sur ses chacun des camarades : ses frères Jean et Pierre, Louis, et les compagnons de la onzième heure Noël et le Paladin (chapitre 5).
§3
Une position non idéologique

La correspondance de Twain montre que son opinion sur l’Église changea au cours de l’écriture de Jeanne d’Arc. Initialement partisan d’une Jeanne abandonnée par son roi et brûlée par l’Église, il réécrira le début du roman pour supprimer l’accusation contre l’Église19. On ne saurait donc le classer parmi les anti-catholiques français tels que Michelet, Quicherat ou Fabre, — qu’il cite comme autorités historiques.

De même, bien qu’imprégné de culture protestante, ses écrits révèlent certes un rejet des rigidités du protestantisme évangélique, mais aussi un désintérêt total pour les querelles dogmatiques (comme le rejet de l’intercession des saints chez les catholiques).

On ne saurait donc imputer son rejet de l’explication catholique à une hostilité idéologique envers l’Église ou une quelconque position partisane.

§4
Conclusion et conséquences

Twain se trouve ainsi confronté au dilemme suivant : il constate et admet le génie spontané et le don prophétique de Jeanne d’Arc — que celle-ci attribuait à ses voix — tout en rejetant l’existence objective de ces voix20.

Deux options s’offrent alors à lui : proposer une explication alternative, ou renoncer à expliquer.

À première vue, il semble pencher pour la seconde et considérer le problème insoluble par nature, puisqu’après avoir narré ses talents militaires, il s’exclame, dans un mélange de fascination et de frustration  :

Je ne vois aucun moyen de résoudre une énigme aussi déconcertante, puisqu’il n’existe aucun précédent, rien dans l’histoire avec quoi la comparer ou l’examiner. C’est une énigme que l’on ne pourra jamais élucider21.

Pourtant, nous pensons que Twain a disséminé dans son roman les indices permettant de saisir, ou du moins d’entrevoir, sa véritable position sur les pouvoirs et capacités de Jeanne d’Arc.

II
Explication du génie spontanée

L’aspect surnaturel du génie spontané ne réside pas dans l’existence du génie lui-même, mais dans son caractère spontané. Concernant le talent militaire, Twain ne prétend pas que Jeanne fut le plus grand chef de guerre de l’histoire, ni même de l’armée française sous Charles VII, mais qu’elle s’est hissée à ce niveau de compétence et d’autorité du jour au lendemain, sans aucune formation préalable.

Ce n’est donc pas le talent qu’il faut expliquer, mais son acquisition.

Twain parle d’énigme, et même d’énigme insoluble22. Pourtant, tant pour le talent militaire que pour le talent oratoire, il expose discrètement, mais réellement, un processus d’acquisition.

1.
Acquisition du talent militaire

§1
Géographie politique

Lors de la marche de Vaucouleurs vers Chinon en territoire ennemi, Louis de Conte est stupéfait par la capacité de Jeanne à éviter les régions dangereuses, connaissances géographiques et politiques qu’il attribue d’abord à ses voix (livre II, chapitre 2).

Je me disais que ses voix avaient dû la renseigner. Puis à la réflexion, je vis qu’il n’en était rien. À travers ses allusions à ce que telle ou telle personne lui avait dit, je compris qu’elle avait consciencieusement interrogé ces foules d’étrangers de passage, et ainsi patiemment amassé cet inestimable savoir23.

§2
Équitation militaire

Toujours au cours de la même marche vers Chinon, Jeanne ordonne un exercice équestre qu’elle observe de loin (livre II, chapitre 4).

Elle-même ne prit part ni à l’instruction ni aux manœuvres et cela lui suffisait, voyez-vous. Car jamais elle ne manquait ni n’oubliait le moindre détail d’une leçon ; elle absorbait tout par les yeux et par l’esprit, et le reproduisait ensuite avec autant d’assurance et de confiance que si elle l’avait déjà pratiqué24.

Sa fulgurante capacité d’apprentissage avait déjà été exposée lorsque les gens de Vaucouleurs lui avaient offert un cheval (livre II, chapitre 2).

Elle n’eut pourtant pas l’occasion d’essayer sa monture et de vérifier qu’elle saurait la monter […] mais peu importe : il n’y avait rien qu’elle ne pût apprendre, qui plus est en un rien de temps. Et son cheval aurait tôt fait de s’en rendre compte25.

L’acquisition de l’art équestre n’est pas non plus spontané. Sans pratiquer, elle enregistre pour reproduire plus tard. Et cette aptitude est étendu à l’ensemble des savoirs : jamais elle n’oubliait le moindre détail d’une leçon, il n’y avait rien qu’elle ne pût apprendre.

§3
Sept embuscades en cinq jours

Par ailleurs, la colonne de vingt-cinq soldats placée sous les ordres de Jeanne, qui chevauche en tête, est fréquemment prise pour cible. Ces embuscades répétées, souvent d’une grande violence, sont autant d’occasions pour elle de s’aguerrir au combat comme au commandement.

Les marches demeuraient aussi harassantes, les rivières aussi glacées, mais nous dûmes en plus affronter sept embuscades successives, qui coûtèrent la vie à deux novices et trois vétérans. […] Dès la première attaque, Jeanne ne chevaucha plus qu’en tête de la colonne26.

Si les affrontements ne sont pas décrits en détail, la dernière rencontre avec une troupe ennemie, qu’elle parvient à écarter par la ruse, la montre dirigeant l’opération de bout en bout.

§4
Sens aigu de l’observation

Lors de la prise de Jargeau, c’est encore son sens de l’observation qui lui permet d’adapter en temps réel sa stratégie.

Rien n’illustre mieux l’éclat et la sagesse de son génie militaire que sa compréhension instantanée du bouleversement qui venait de s’opérer, et l’identification immédiate de la seule et unique façon d’en tirer parti27.

§5
Conclusion sur l’acquisition du talent militaire

Ainsi, Twain relativise l’aspect spontané du talent militaire de Jeanne en décrivant un véritable processus d’acquisition — extrêmement bref, certes, mais relevant d’un auto-apprentissage. Celui-ci repose sur une assimilation massive et rapide de connaissances (par la collecte d’informations, l’observation et une mémoire infaillible), sur une aptitude à transposer tout aussi vite et de manière pragmatique la théorie en pratique, et enfin sur un entraînement concret : les sept combats qu’elle dirige et remporte.

Notons également que, si le talent militaire de Jeanne est un fait historique, tous les éléments du récit relatifs à son acquisition relèvent d’ajouts romanesques. Aucun témoin de la marche vers Chinon ne mentionne d’exercices équestres, ni même la moindre embuscade.

2.
Acquisition du talent oratoire

Ce qui émerveille le plus Twain chez Jeanne, c’est qu’une jeune paysanne illettrée ait réussi à tenir tête, dans un procès de foi, aux théologiens de Rouen — des docteurs de l’Université de Paris, l’élite intellectuelle de l’époque, dont le niveau d’études pourrait être comparé à celui d’un bac+14 aujourd’hui.

Mais ce n’est pas tant le contraste entre l’absence d’instruction d’un côté et la surqualification de l’autre qui frappe Twain. Loin de là, car lors de son examen de Poitiers, face aux armes rhétoriques des théologiens :

son ignorance était une forteresse28.

Ce qui l’impressionne, c’est l’éloquence de Jeanne, sa répartie, son bon sens, la pertinence de ses arguments simples, la logique de leur enchaînement, son charisme oratoire — en un mot : son talent à plaider une cause face à des autorités.

Ce talent est-il spontané ? Twain nous montre-t-il une novice qui comparaît devant le solennel tribunal de Rouen sans avoir jamais eu à défendre une cause de sa vie ? Bien au contraire, Twain nous la montre de bout en bout plaidant les causes les plus diverses. Elle traverse le roman en plaidant.

§1
Les fées

Livre I, chapitre 2. — Les fées, auxquelles il était défendu de se montrer aux humains, sont aperçues par madame Aubrey qui passait par là. Le curé procède à leur bannissement mais Jeanne prend leur défense et, par ses paroles, parvient à le convaincre de son erreur29.

§2
Le vagabond

Livre I, chapitre 3. — Au cours d’une veillée, un vagabond affamé surgit. Le père d’Arc, le prenant pour un brigand, veut le chasser, mais Jeanne s’interpose pour le défendre. Pendant que le maire reprend ses arguments et parvient à rallier l’assemblée en faveur du vagabond, Jeanne lui offre sa part du repas30.

§3
La promesse de mariage

Livre I, chapitre 8. — Jeanne est citée à comparaître devant la cour ecclésiastique de Toul : le Paladin prétend qu’elle lui avait promis le mariage et l’accuse d’avoir refusé de l’épouser. Sans avocat, Jeanne organise seule sa défense et démolit si efficacement l’accusation que le tribunal rejette l’affaire sans même entendre l’avocat du plaignant, tout en félicitant Jeanne et la qualifiant de merveilleuse enfant31.

§4
L’examen de Poitiers

Livre II, chapitre 8. — Après avoir convaincu le roi en lui révélant un secret qu’elle disait tenir de ses voix, celui-ci la fit examiner par des théologiens à Poitiers, afin de s’assurer que ces voix venaient bien de Dieu et non du diable. Durant trois semaines elle se défendit seule, et les envoûta32.

§5
Le connétable Richemont

Livre II, chapitre 29. — Au lendemain de la prise de Jargeau, l’armée française apprend l’arrivée de Richemont. Le duc d’Alençon s’oppose farouchement à sa réception, invoquant les ordres du roi et menaçant de quitter l’armée. Jeanne plaide pour la réconciliation et l’intérêt supérieur de la nation, et parvient à le convaincre33.

§6
Conclusion sur l’acquisition du talent oratoire

Ainsi, Twain nuance également le caractère spontané du talent oratoire de Jeanne en la présentant constamment en train de défendre les causes les plus variées, dès son plus jeune âge, et toujours avec succès.

Conclusion sur l’explication du génie spontané

Le surnaturel du génie spontané ne réside pas dans le génie lui-même, mais dans son caractère spontané. Or, bien que Twain affirme cette spontanéité, il l’atténue en décrivant un véritable processus d’acquisition : bref pour le talent militaire, puisqu’il commence au départ de Vaucouleurs ; long pour le talent oratoire, amorcé dès l’enfance.

Fait notable : si les talents militaire et oratoire de Jeanne sont des faits historiques, les éléments du récit décrivant leur acquisition sont, pour l’essentiel, des ajouts romanesques — qu’il s’agisse de la totalité de l’apprentissage militaire ou des premières plaidoiries. Twain s’est ainsi senti poussé à expliquer le vrai par la fiction, comme si ces ajouts romanesques étaient nécessaires pour rendre les faits historiques plausibles.

III.
Explication du don prophétique

À la différence du génie spontané — dont le caractère surnaturel ne tient pas à sa nature mais à son acquisition immédiate —, le don prophétique exige que l’on examine sa nature même. Prédire un événement à venir relève en soi du surnaturel, et l’on ne ferait que déplacer le problème en démontrant qu’il résulte d’un quelconque entraînement. L’expliquer représente donc un tout autre défi.

1.
La télégraphie mentale

Il convient de faire un bref retour en arrière.

En 1875, après une expérience qui selon lui ne peut pas relever de la coïncidence, Mark Twain se persuade de la réalité de la transmission de pensée, qu’il appelle télégraphie mentale (cette expérience fondatrice est décrite plus bas). Après avoir commencé à documenter ses anecdotes personnelles, il entreprend d’exposer sa théorie en 1878 dans son livre A Tramp Abroad, mais en retire finalement le passage, craignant de ne pas être pris au sérieux. Il tente ensuite de faire publier le texte anonymement dans la North American Review, qui le refuse par peur du ridicule34. Twain range alors son manuscrit et l’abandonne pour un temps, tout en continuant à consigner ses anecdotes.

Les années passent et l’opinion publique évolue sur le paranormal. En 1882, notamment, la Society for Psychical Research est fondée à Londres par des savants de premier plan — philosophes, médecins, mathématiciens —, dans le but explicite d’étudier scientifiquement les phénomènes paranormaux, et en particulier la transmission de pensée (Thought-transference).

Début 1891, Twain estime que le climat des idées lui permet enfin de publier ses réflexions. Il reprend son texte, l’enrichit légèrement, et son article Mental Telegraphy paraît dans le Harper’s Magazine du mois de décembre35. Il s’agit d’un exposé de sa théorie illustré par une douzaine d’anecdotes personnelles, dont son expérience fondatrice de 187536.

Toutes ses expériences convergent vers la réalité de la transmission de pensée entre individus (lettres croisées, inspiration simultanée, prémonition). L’écho est considérable : Twain confiera qu’aucun de ses articles n’a connu un tel succès37. Dans les semaines qui suivent la parution, il reçoit des dizaines de lettres. En juillet 1892, l’American Psychical Society le contacte pour reproduire son article.

Fin 1892, Twain commence la rédaction de son roman Jeanne d’Arc, qu’il achève en février 1895. La publication en feuilleton débute dans le numéro d’avril du Harper’s. Au cours de ce même mois d’avril, il envoie au Harper’s un nouvel article sur la télégraphie mentale : Mental Telegraphy Again, pour accompagner la sixième livraison de Jeanne d’Arc dans le numéro de septembre 189538. Bien plus court que le premier (2 600 mots contre 8 300), il ne développe pas davantage la théorie et se limite à quatre nouvelles anecdotes dans le même esprit.

L’article Mental Telegraphy Again (p. 521-524) n’est séparé de Jeanne d’Arc (p. 543-555) que par un seul texte d’une douzaine de pages, sur un total de 160 pages pour le numéro. Simple coïncidence ?

L’objectif semble être surtout de rappeler au lecteur l’existence du phénomène. Et selon nous, de lui suggérer un rapprochement implicite entre la télégraphie mentale et les faits surnaturels de l’épopée johannique.

2.
La Society for Psychical Research et les Études psychiques

Les faits surnaturels que Twain reconnaît et intègre à son roman relèvent-ils tous de la télégraphie mentale  ? La réponse est non : seule une partie de son don prophétique — tout ce qui ne touche pas à l’avenir (n° 3 à 6) — pourrait y être rattachée.

Cependant, la télégraphie mentale, telle qu’il la décrit dans ses deux articles, se limite à certaines de ses expériences personnelles. Or, nous allons montrer que Twain associe à ces phénomènes d’autres expériences qui ne sont pas personnelles, et qu’il a lui-même vécu une expérience foudroyante qu’il n’a pas incluse dans ses articles, élargissant ainsi considérablement le spectre.

3.
Twain et la SPR

Nous l’avons vu, la SPR fut fondée à Londres en 1882. Dès 1883, elle publiait le premier volume de ses Proceedings (comptes rendus). Après avoir recueilli, documenté et analysé un grand nombre de cas, les auteurs affirment la légitimité scientifique du sujet. Deux de leurs conclusions nous intéressent directement.

  1. La reconnaissance de la réalité de nombreux phénomènes, qu’ils se proposent d’étudier.
  2. Une position de principe excluant toute explication surnaturelle et postulant l’existence de forces ou de lois naturelles, simplement inconnues dans l’état actuel des connaissances, (comme l’étaient il y a encore peu les forces électriques ou magnétiques)39.
§1
William F. Barrett

Mark Twain entre en contact avec la SPR et, dans une lettre de fin 1884 au professeur Barrett, membre fondateur et vice-président de la société, demande à être admis comme membre40.

Le ton de la lettre indique une certaine connivence entre les deux hommes. Et surtout le lien étroit qu’établit Twain entre sa télégraphie mentale et l’objet d’étude de la SPR.

Le transfert de pensée, comme vous l’appelez, ou la télégraphie mentale, comme j’ai l’habitude de l’appeler, me passionne depuis près de dix ans.

(Note : Barrett était secrétaire du Comité sur le transfert de pensée de la SPR.)

§2
Frederic W. H. Myers

Mark Twain correspond également avec l’écrivain Myers, membre fondateur de la SPR, qui a développé la théorie du moi subliminal — une sorte de théorie générale des phénomènes psychiques. Dans une lettre de janvier 189241, Twain discute avec lui d’un phénomène que Myers appelle la distraction.

Cet échange revêt une importance particulière : non seulement il porte sur la théorie du moi subliminal, mais il intervient au moment précis où Twain s’apprête à commencer son roman. Or Myers avait publié dans le volume 5 des Proceedings (1889) un article sur le démon de Socrate42 dans lequel il appliquait sa théorie à Socrate (qui affirmait échanger avec un démon familier et personnel), puis à Jeanne d’Arc (et à ses voix).

Pour résumer sa position, l’adaptation au réel de Jeanne d’Arc permet d’écarter la pathologique (folie, hallucination). Ses voix n’exigent pas de postuler un esprit externe et peuvent être comprises comme l’expression de son moi subliminal, une sorte d’âme monitrice qui expliquerait à la fois ses dons prophétiques, et l’impulsion à l’origine de sa mission43.

§3
Les Études Psychiques

Par la suite, nous parlerons d’Études psychiques, puisque la fondation en 1882, de la Society for Psychical Research en Angleterre fut suivie, en 1885, par celle de la Société d’Études Psychiques en France. Les deux sociétés entretenaient des liens étroits, comme en témoigne la présence d’articles de la société française dans les publications de la société anglaise, parfois traduits en anglais, parfois directement en français.

4.
Le roman de Twain et les Études psychiques

Entre 1882 et 1892, date à laquelle Twain commence la rédaction de son roman, la SPR publie sept volumes d’articles et compte-rendus, que l’on pourrait synthétiser ainsi :

  • Phénomènes étudiés : télépathie ou transfert de pensée (d’esprit à esprit), télesthésie ou clairvoyance (perception d’objets ou d’événements distants), prémonition, automatisme, etc.
  • États et canaux étudiés : hypnotisme, mesmérisme, transe, hallucination, double conscience, rêve, etc.

Premier constat : on peut rattacher aux Études psychiques l’ensemble des dons prophétiques de Jeanne d’Arc faisant partis des faits historiques.

Deuxième constat, et le plus remarquable : parmi les phénomènes documentés par la SPR, deux ont été inclus par Twain à son récit comme ajouts romanesques : la prémonition en état de transe, la maison hantée.

§1
La prémonition en état de transe

Études psychiques : Les états modifiés de conscience — hypnotisme, transe — font l’objet d’un examen approfondi par la SPR, car ils constituent un canal privilégié pour l’observation de phénomènes tels que la prémonition, ou pénétration de l’avenir. On peut citer à ce titre le long rapport du professeur Charles Richet, de la Faculté de médecine de Paris (futur prix Nobel en 1913), publié dans le volume V (1889). Il y décrit le cas d’Alice : au cours de ses transes, elle prononce des propos dont elle n’a aucun souvenir une fois réveillée. Richet rapporte en particulier un épisode marquant de parole prémonitoire : Alice lui annonce un malheur appelé à lui causer de graves soucis personnels — prédiction qui se réalisa huit jours plus tard avec la mort de l’un de ses collègues44.

Roman : Dès le chapitre 5 du Livre I, alors que les enfants évoquent leurs futures prouesses, Jeanne bascule dans un état de transe et, d’une voix à peine audible, prophétise inconsciemment l’avenir de chacun de ses compagnons45.

La scène se répète au chapitre 28 du Livre II. Louis de Conte établit lui-même le parallèle avec la première expérience, et Twain emploie explicitement le terme de transe. Celle-ci correspond très exactement à la transe que décrit Richet : Jeanne annonce la débâcle des Anglais et sa propre mort tragique. Puis, comme Alice, elle reprend ses esprits sans aucun souvenir de ce qu’elle vient de prophétiser46.

Jeanne était de nouveau en transe — je le voyais — comme ce jour dans les prés de Domremy où elle avait prophétisé notre destin de soldats sans savoir ensuite qu’elle l’avait fait. Elle n’était plus consciente à présent. Un spasme à peine perceptible passa sur son visage, et elle murmura d’une voix rêveuse : Avant que deux années ne se soient écoulées, je mourrai d’une mort cruelle ! Puis elle sursauta, frissonnant légèrement, et revint à elle.

§2
Les maisons hantées

Études psychiques : Les maisons hantées constituent également un champ d’étude majeur pour la SPR, au point qu’un comité spécifique leur est dédié dès les débuts de la société47. Le volume VI des Proceedings (1890), rapporte notamment le témoignage d’une jeune gouvernante française dans une maison hantée de Mannheim48.

Nous attendîmes jusqu’à près onze heures ; nous n’entendîmes qu’un bruit qui pouvait être occasionné par des souris, mais après un certain temps nous entendîmes mon nom, aussi distinctement que possible, provenant d’un coin de la chambre. J’allai dans la chambre à coucher ; je demandai à N. si elle m’avait appelé. Elle était tout à fait réveillée et elle me dit non. Quand nous eûmes quitté nos chambres, le Baron me dit : En faisant les armoires dans la salle d’étude on a trouvé un squelette dans le mur.

Roman : Twain consacre les chapitres 17 et 19 du livre II, aux fantômes de la maison Boucher à Orléans, où logent Jeanne et ses compagnons de Domrémy49. Il s’agit là d’un ajout romanesque, sans aucun lien avec l’histoire officielle de Jeanne d’Arc. Voici le dénouement du chapitre 19 :

À onze heures, nous suivîmes Catherine et ses parents jusqu’à la chambre hantée, munis de chandelles et de torches. Une, deux, trois minutes s’écoulèrent, lorsqu’un long et profond gémissement nous fit tous sursauter. Le bruit semblait provenir du mur. Après un silence, nous entendîmes des sanglots étouffés, mêlés à de pitoyables lamentations. Démolissons ce mur et délivrons ces malheureux ! Les vieilles briques volèrent en éclats. À l’intérieur, rien, sinon une épée rouillée et un vieil éventail gisant sur le sol.

Twain semble avoir transposé la scène de la maison de Mannheim à celle d’Orléans, et remplacé l’esprit célibataire emmuré, par un couple.

5.
Une autre expérience personnelle de Twain

À 22 ans, Twain est profondément marqué par une expérience traumatisante. Une nuit, il rêve du cadavre de son frère Henry, étendu dans un cercueil métallique, surmonté d’un bouquet blanc avec une fleur rouge. La vivacité et la précision du rêve le frappent si fort qu’il le raconte à sa sœur avant de le chasser de son esprit. Trois semaines plus tard, son frère meurt dans l’explosion de son steamer. Lorsqu’il pénètre dans la salle funéraire, il retrouve son corps exactement comme dans son rêve, dans un cercueil métallique, et à ce moment précis, une vieille dame entre et y dépose un bouquet blanc avec une fleur rouge50.

Ce rêve prémonitoire ne figure pas dans ses articles sur la télégraphie mentale. Peut-être parce qu’elle n’implique aucune transmission de pensée entre esprits, ou parce qu’elle est beaucoup trop intime et tragique pour être partagé au public. Quoi qu’il en soit, Twain a dû être sensible aux nombreux articles de la SPR sur le sujet puisqu’un article du volume V (1890) consacré à la prémonition rapporte que deux tiers des cas recensés concernent des rêves51.

6.
Conclusion sur l’explication du don prophétique

Ainsi, l’ensemble des dons prophétiques de Jeanne d’Arc, parmi les faits historiques que Twain intègre à son roman — connaissance des pensées secrètes, perception des choses cachées, et prophéties — comme de ses ajouts romanesques — prémonitions en transe, maisons hantées — correspondent précisément aux champs d’investigation des Études psychiques : télépathie, clairvoyance, prémonition, états modifiés de conscience. En transposant des cas documentés par la SPR dans son récit, Twain ne relève pas du fantastique littéraire, mais inscrit délibérément son œuvre dans le cadre scientifique que la société cherchait à établir.

Nous pensons donc que pour lui, ces faits ne sont pas surnaturels au sens de contraire aux lois de la nature, mais relèvent au contraire de forces naturelles, simplement inconnues et en attente d’être découvertes : exactement la position de principe de la SPR.

7.
Les Études psychiques et le génie spontané

Les volumes de la SPR rapportent de nombreux cas d’acquisition psychique de talents, mais ceux-ci sont presque toujours de nature abstraite ou artistique (calculs complexes, composition musicale, versification), et se manifestent dans des états de conscience altérée (somnambulisme, hypnose), temporaires et généralement suivis d’amnésie. Le génie spontané de Jeanne d’Arc — ses talents militaires et oratoires — qui se manifestent à l’état conscient et de manière continue, ne trouvent guère d’équivalents expérimentaux.

On pourrait, à la rigueur, invoquer l’hypothèse de Myers, selon laquelle les voix de Jeanne relèveraient d’un automatisme sage, émanant de son Moi subliminal et guidant ses actes en pleine conscience. Mais Myers lui-même ne va pas jusqu’à attribuer au Moi subliminal l’origine de ses talents militaires ou oratoires, qu’il laisse en dehors du champ explicatif de sa théorie.

IV
Le surnaturel omis

Nous avons donc vu que Twain a intégré dans son roman tout le surnaturel possible : les faits surnaturels qu’il a trouvés chez les historiens (faits historiques) et ceux qu’il a inventés (ajouts romanesques) comme la maison hantée. Pourtant, dans cette profusion, une anomalie retient l’attention : un épisode historique que Twain reprend, mais qu’il transforme de manière à en effacer tout caractère surnaturel.

1.
L’embuscade figée sur place

Dans sa déposition au procès en réhabilitation, le frère Seguin raconte qu’au moment où des assaillants s’apprêtaient à bondir sur Jeanne et son escorte, ils se virent inexplicablement cloués sur place, comme retenus par une force invisible. L’épisode est repris par les historiens donné en référence par Twain ; Wallon et Sépet le décrivent ; Michelet le qualifie de miracle en renvoyant à la déposition de Seguin52.

Chez Twain, les assaillants assaillent bel et bien : Jeanne lance la charge et ils sont taillés en pièces.

Avant qu’ils n’aient pu se mettre en formation, Jeanne avait lancé l’ordre : Chargez ! et nous nous jetâmes sur eux. Ils n’eurent aucune chance ; ils firent volte-face et se débandèrent, tandis que nous les culbutions comme de vulgaires bottes de foin53.

2.
Un troisième type de surnaturel

Pourquoi rapporter le fait tout en lui faisant subir une telle transformation ?

Pour Seguin, la paralysie inexpliquée des assaillants est interprétée comme une protection divine. Sa déposition s’achève d’ailleurs sur la conviction que Jeanne était envoyée de Dieu54.

D’un autre côté, les Études psychiques rapportent bien quelques cas de paralysie soudaine, mais ils relèvent tous d’un choc psychique ou émotionnel extrême, le plus souvent lié à des apparitions (fantômes), ou encore à des impressions télépathiques, des suggestions hypnotiques, etc. Rien de tel chez les gens d’armes qui s’apprêtaient à attaquer le convoi de Jeanne d’Arc.

Nous sommes donc en présence d’un fait historique à caractère surnaturel, qui n’appartient ni à la catégorie du génie spontané, ni à celle du don prophétique définies par Mark Twain, et qui ne peut s’expliquer ni par un apprentissage accéléré, ni par les phénomènes recensés dans les Études psychiques.

V.
Conclusion générale

Twain a parsemé son récit de surnaturel, qu’il puise soit dans l’histoire (faits historiques), soit dans sa propre imagination (ajouts romanesques). Il les classe en deux catégories : le génie spontané et le don prophétique.

1.
Twain naturalise le surnaturel

Le génie spontané n’a rien de surnaturel en soi, sinon son caractère spontané. Mais, après s’en être émerveillé, Twain en montre les ressorts naturels : observation, collecte d’informations, apprentissage autodidacte pour le talent militaire, et pratique précoce de la plaidoirie pour le talent oratoire.

Le don prophétique, en revanche, semble relever par essence du surnaturel. Mais Twain l’associe aux Études psychiques, qui postulent que ces phénomènes relèvent de forces naturelles encore inconnues, à l’image de l’électricité ou du magnétisme avant leur découverte.

Il reste un troisième type de surnaturel : la paralysie soudaine des assaillants. Ni génie spontané, ni don prophétique, il n’entre dans aucune des deux catégories. Faute de pouvoir le naturaliser, Twain le rapporte… mais en le transformant, de manière à en retirer tout caractère surnaturel.

Ainsi Jeanne nous est présentée comme une singularité fascinante, mais ne relevant pas du surnaturel, en tout cas pas du surnaturel chrétien de Jeanne. Elle demeure inexpliquée, pour sa singularité, nous y revenons juste après, et parce que les Études psychiques, alors balbutiantes, n’ont encore débouché sur la découverte d’aucune nouvelle force ou loi naturelle.

2.
La singularité de Jeanne

Twain reconnaît le caractère unique de l’épopée de Jeanne d’Arc dans l’histoire humaine. Malheureusement, il ne développe guère ce point et l’on ne relève guère qu’une phrase, elle-même énigmatique, qui semble dépasser le simple constat de cette singularité.

Il a fallu six mille ans pour la produire, et la terre n’en reverra pas une pareille avant cinquante mille ans55.

Passons outre le paradoxe : s’il faut six mille ans pour produire une Jeanne d’Arc, pourquoi pas une nouvelle tous les six mille ans ?

Cette durée immense projetée dans le futur — cinquante mille ans — vise à élargir la période pour accentuer l’effet d’hyperbole. Mais elle transpose aussi la question sur le terrain statistique, des lois des grands nombres et des probabilités, cher à la SPR dont le but est d’exclure le hasard56 : cinquante mille ans, deux cent mille générations, des milliers de milliards d’individus…

Jeanne serait donc singulière non pas parce que ses pouvoirs et capacités seraient surnaturels, mais parce que la probabilité de les voir tous réunis en une seule personne est infinitésimale ?

3.
Sa pureté absolue

Souvenons-nous que Twain distingue trois aspects qui font de Jeanne d’Arc la merveille des siècles : son génie spontané, son don prophétique et sa pureté absolue.

Ce dernier point nous avait surpris puisque, ne relevant pas du surnaturel, il n’est généralement pas compris dans la question Jeanne d’Arc. Or si l’on considère que pour Twain les deux premiers ne relèvent pas non plus du surnaturel, cette trilogie prend tout son sens.

4.
Une héroïne du paranormal : une sainte sans miracle

Jeanne reste donc une énigme, une merveille — mais une merveille de la nature. Twain n’exclut pas formellement la possibilité d’une intervention divine, par prudence et par respect envers Jeanne ; toutefois, il expose méthodiquement tous les éléments montrant que l’on peut s’en passer : pour lui, l’hypothèse de Dieu n’est pas nécessaire.

Il ne conclut pas explicitement, mais la Jeanne qu’il esquisse est moins celle de la foi catholique que celle d’une psychologie élargie, où le paranormal remplace le miracle.

(Supplément)
Un engouement catholique ?

Ayant montré à quel point la Jeanne d’Arc de Twain tient davantage du paranormal que de la foi chrétienne, on peut se demander pourquoi elle séduit tant les catholiques — et de plus en plus57.

Plusieurs raisons semblent expliquer cette réconciliation.

D’abord, Twain, qui aime profondément les gens, veille à ne heurter ni les sceptiques ni les croyants.

Par ailleurs, le lien avec les Études psychiques et le paranormal échappe au lecteur non familier des articles de Twain sur la télégraphie mentale, de ses relations avec la SPR, ou des débats — aujourd’hui vieux de plus d’un siècle — qui les animaient : transes prophétiques et maisons hantées lui paraissent au mieux incongrues, comme un cheveu sur la soupe. De même, le fait qu’il ne considère pas les voix comme des anges de Dieu, ni, de surcroît, comme la cause de ses pouvoirs et capacités — puisqu’ils les précèdent —, peut passer inaperçu.

Surtout, la force littéraire du récit et ses allures d’hagiographie éclipsent les ombres du paranormal. Car, s’il s’agit d’une œuvre remarquable — divertissante, instructive, vivante, drôle et poignante —, elle reste avant tout un hommage vibrant à une héroïne catholique, devenue sainte, et presque un éloge de la sainteté.

Peut-être aussi, parce que Twain ne conclut pas explicitement, les catholiques peuvent imaginer qu’il aurait, au fond, fini par conclure comme eux.

Notes

  1. [1]

    Book II, chapter 31, p. 256 :

    Think of it. Yes, one can do that ; but understand it ? Ah, that is another matter ; none will ever be able to comprehend that stupefying marvel.

    [La concevoir (la victoire de Patay), certes, mais l’expliquer ? C’est une tout autre affaire ; car nul ne saurait expliquer un tel prodige.]

  2. [2]

    Book II, chapter 6, p. 113 :

    The perplexed King asked Joan for a sign. He wanted to believe in her and her mission, and that her Voices were supernatural and endowed with knowledge hidden from mortals.

    [Le roi perplexe demanda un signe à Jeanne. Il voulait croire en elle et en sa mission, croire que ses voix étaient surnaturelles et dotées d’une connaissance cachée aux mortels.]

    Book II, chapter 8, p. 122 :

    He privately appointed a commission of bishops to visit and question Joan daily until they should find out whether her supernatural helps hailed from heaven or from hell.

    [Il nomma une commission d’évêques chargés de visiter et d’interroger Jeanne tous les jours, jusqu’à ce qu’ils découvrent si ses secours surnaturels venaient du ciel ou de l’enfer.]

    Book III, chapter 8, p. 360 :

    Of course no one doubted that she had seen supernatural beings and been spoken to and advised by them.

    [Bien sûr, personne ne doutait qu’elle ait vu des êtres surnaturels et qu’ils lui aient parlé et donné des conseils.]

  3. [3]

    Preface, p. X :

    The Sieur Louis de Conte is faithful to her official history in his Personal Recollections, and thus far his trustworthiness is unimpeachable ; but his mass of added particulars must depend for credit upon his own word alone.

  4. [4]

    Book I, chapter 2, p. 8 :

    It was thought that this dragon was of a brilliant blue color, with gold mottlings, but no one had ever seen it, therefore this was not known to be so, it was only an opinion. It was not my opinion ; I think there is no sense in forming an opinion when there is no evidence to form it on. […] As to that dragon, I always held the belief that its color was gold and without blue, for that has always been the color of dragons.

  5. [5]

    Voir, p. VI, les onze sources consultées pour vérifier l’authenticité de ce récit.

  6. [6]

    Saint Joan of Arc, I, §1 :

    It gives us a vivid picture of a career and a personality of so extraordinary a character that we are helped to accept them as actualities by the very fact that both are beyond the inventive reach of fiction.

  7. [7]

    Saint Joan of Arc, IV, §22 :

    She is the Wonder of the Ages.

  8. [8]

    Saint Joan of Arc, IV, §22 :

    When we set about accounting for a Napoleon or a Shakespeare or a Raphael or a Wagner or an Edison or other extraordinary person, we understand that the measure of his talent will not explain the whole result, nor even the largest part of it ; no, it is the atmosphere in which the talent was cradled that explains ; it is the training which it received while it grew, the nurture it got from reading, study, example, the encouragement it gathered from self-recognition and recognition from the outside at each stage of its development.

    [Lorsqu’on évoque le destin d’un Napoléon, d’un Shakespeare, d’un Raphaël, d’un Wagner, d’un Edison ou de toute autre personne d’exception, il paraît évident que le talent n’explique pas tout, ni même l’essentiel. Non, ce qui explique une personne, c’est l’atmosphère dans laquelle son talent a baigné : l’éducation qu’elle a reçue, les fruits qu’elle a tirés de ses lectures, de ses études, de ses expériences, ainsi que la confiance puisée dans l’estime de soi et la reconnaissance des autres, à chaque étape de son développement.]

    Idée déjà en germe dans sa Translator’s Preface, p. VIII-IX :

    Caesar carried conquest far, but he did it with the trained and confident veterans of Rome, and was a trained soldier himself ; and Napoleon swept away the disciplined armies of Europe, but he also was a trained soldier.

    [César porta loin ses conquêtes, mais il le fit avec les vétérans aguerris et confiants de Rome, et était lui-même un soldat de métier ; et Napoléon balaya les armées disciplinées de l’Europe, mais lui aussi était un soldat de métier.]

    Pour résumer : deux éléments doivent être réunis :

    • Le contexte favorable : Thomas Edison aurait beau être le plus génial des inventeurs, il n’aurait rien inventé s’il avait grandi dans une famille du Bénin du XIXe siècle.
    • Le temps nécessaire : Une pêche est certes l’aboutissement d’un long processus depuis le noyau qui a donné l’arbre, lequel s’est développé, a donné le bourgeon qui a donné le fruit : mais elle ne peut pas jaillir instantanément d’un noyau.
  9. [9]

    Book II, chapter 27, p. 234 :

    Joan was abroad at the crack of dawn, galloping here and there and yonder, examining the situation minutely, and choosing what she considered the most effective positions for her artillery ; and with such accurate judgment did she place her guns that her Lieutenant-General’s admiration of it still survived in his memory when his testimony was taken at the Rehabilitation, a quarter of a century later. In this testimony the Duke d’Alençon said that at Jargeau that morning of the 12th of June she made her dispositions not like a novice, but with the sure and clear judgment of a trained general of twenty or thirty years’ experience. The veteran captains of the armies of France said she was great in war in all ways, but greatest of all in her genius for posting and handling artillery.

    [Dès l’aube, Jeanne était sur le terrain, galopant à droite, à gauche, examinant les moindres détails et choisissant les positions qu’elle jugeait les plus efficaces pour son artillerie. Elle plaça ses canons avec une telle justesse que l’admiration de son lieutenant-général restait vive lorsqu’il témoigna, un quart de siècle plus tard, au procès de Réhabilitation. En effet, le duc d’Alençon déclara qu’à Jargeau, ce matin du 12 juin, elle disposa l’artillerie non pas en novice, mais avec le jugement sûr et clair d’un général aguerri par vingt ou trente ans d’expérience. Les vieux capitaines français disaient qu’elle excellait dans tous les aspects de la guerre, mais plus encore par son génie à placer et à manier l’artillerie.]

  10. [10]

    Book III, chapter 17, p. 416 :

    Yes Joan of Arc was great always, great everywhere, but she was greatest in the Rouen trials. There she rose above the limitations and infirmities of our human nature.

  11. [11]

    Jules Quicherat, Aperçus nouveaux (1850), chapitre 7, Des facultés extraordinaires mises en jeu par les visions de Jeanne, p. 61 :

    Les communications que Jeanne recevait de ses voix, étaient ou des encouragements et des conseils conformes aux mouvements intérieurs qui accompagnent l’exercice de la volonté, ou des révélations par lesquelles il lui arrivait, tantôt de connaître les plus secrètes pensées de certaines personnes, tantôt de percevoir des objets hors de la portée de ses sens, tantôt de discerner et d’annoncer l’avenir. On ne s’est jamais beaucoup arrêté aux faits du premier ordre ; mais les autres sont de telle nature que, bien qu’ils aient été cent fois racontés, on voudra les entendre redire pour se convaincre qu’ils sont bien et dûment prouvés.

    Dans mon opinion, les documents fournissent pour chacune des trois espèces de révélations qui viennent d’être énoncées, au moins un exemple assis sur des bases si solides, qu’on ne peut le rejeter sans rejeter le fondement même de l’histoire.

  12. [12]

    Jeanne et son escorte ont quitté Vaucouleurs et passé leur première nuit dans un bois.

    Book II, chapter 3, p. 80 :

    As I lay there thinking over the strange events of the past month or two the thought came into my mind, greatly surprising me, that one of Joan’s prophecies had failed ; for where were Noël and the Paladin, who were to join us at the eleventh hour ? By this time, you see, I had gotten used to expecting everything Joan said to come true. So, being disturbed and troubled by these thoughts, I opened my eyes. Well, there stood the Paladin leaning against a tree and looking down on me !

    [Alors que j’étais là, toujours couché, songeant aux étranges événements des derniers mois, une pensée me vint soudain à l’esprit et me frappa : l’une des prophéties de Jeanne avait failli. Où donc étaient Noël et le Paladin, censés nous rejoindre à la onzième heure ? Voyez-vous, à ce moment-là, je m’étais habitué à ce que tout ce que Jeanne disait se réalise. Troublé et inquiet par cette réflexion, j’ouvris les yeux. Eh bien le Paladin était là, appuyé contre un arbre, me regardant !]

  13. [13]

    Saint Joan of Arc, IV, §25 :

    Her history has still another feature which sets her apart and leaves her without fellow or competitor : there have been many uninspired prophets, but she was the only one who ever ventured the daring detail of naming, along with a foretold event, the event’s precise nature, the special time-limit within which it would occur, and the place — and scored fulfilment.

  14. [14]

    Voir la note 11.

  15. [15]

    Book II, chapter 27, p. 235 :

    These vast powers and capacities were born in her…

    [Ces vastes pouvoirs et capacités étaient innés chez elle…]

    Voir le passage complet à la note 21.

  16. [19]

    Le 10 décembre 1894, Mark Twain écrit à Henry Alden, rédacteur en chef du Harper’s, Twain’s Geography :

    I have charged her assassination upon the Holy Roman Church — too broad a statement, and not true. It was an ecclesiastical political court, carefully packed in the English interest, and sitting within walls which had flown the English flag for three centuries. It was a lynch-court with a definite function to perform and no way to get around it.

    [J’ai imputé son assassinat à la Sainte Église romaine — affirmation par trop générale et contraire à la vérité. Il s’agissait en réalité d’un tribunal ecclésiastique politique, soigneusement composé dans l’intérêt anglais, et siégeant entre des murs qui arboraient le pavillon anglais depuis trois siècles. C’était un tribunal d’exception avec une mission précise à accomplir et sans aucune échappatoire possible.]

    À cette date, il n’avait pas encore écrit le livre III sur le procès. L’accusation d’assassinat par l’Église ne pouvait que figurer dans l’introduction (la préface du Traducteur), à côté de celle d’ingratitude du roi, qui la conclut :

    And for all reward, the French King whom she had crowned stood supine and indifferent while French priests took the noble child, the most innocent, the most lovely, the most adorable the ages have produced, and burned her alive at the stake.

    [Et pour toute récompense, le roi de France qu’elle avait fait couronner resta les bras croisés et indifférent, tandis que des prêtres français s’emparaient de cette noble enfant, la plus innocente, la plus belle, la plus adorable que les siècles aient produite, et la brûlaient vive sur le bûcher.]

    La première mouture devait ressembler à quelque chose comme :

    Et pour toute récompense, le roi de France qu’elle avait fait couronner resta les bras croisés et indifférent, tandis que la Sainte Église romaine qu’elle aimait tant l’assassinait…

    Si l’accusation portée contre l’Église a disparu de l’ouvrage, l’ingratitude du roi et du peuple imprègne l’ensemble du livre III. Après la capture de Jeanne, Louis de Conte reste persuadé qu’un sursaut du roi et du peuple se produira pour la délivrer. Le contraire lui est inconcevable, et il garde cet espoir jusqu’au matin du supplice. Twain semble avoir été influencé par Michelet, chez qui cette idée est omniprésente.

    Abandonnée et de son roi et du peuple qu’elle a sauvés (Jeanne d’Arc, 1853, Introduction, p. IV-V).

    Celle qui avait sauvé le peuple et que le peuple abandonnait, n’exprima en mourant que de la compassion pour lui (p. 144).

    On avait espéré sans doute que, se croyant abandonnée de son roi, elle l’accuserait enfin et parlerait contre lui. Elle le défendit encore (p. 145).

  17. [16]

    Saint Joan of Arc, IV, §26 :

    She was deeply religious, and believed that she had daily speech with angels ; that she saw them face to face, and that they counselled her, comforted and heartened her, and brought commands to her direct from God. She had a childlike faith in the heavenly origin of her apparitions and her Voices.

    Cette phrase, She believed that she had daily speech with angels, sert même de légende à la première des quatre illustrations d’Howard Pyle.

  18. [17]

    Michelet, Jeanne d’Arc, 1853, p. 10 :

    La jeune fille, à son insu, créait, pour ainsi parler, et réalisait ses propres idées, elle en faisait des êtres, elle leur communiquait, du trésor de sa vie virginale, une splendide et toute-puissante existence, à faire pâlir les misérables réalités de ce monde.

    Pour l’historien, les visions étaient une projection subjective et inconsciente de Jeanne : elle donnait une existence réelle, extérieure, visible, palpable, avec la parole et l’action, à ce qui n’existait que dans son imagination (Ayroles, Vraie Jeanne d’Arc, II, 349).

  19. [18]

    Saint Joan of Arc, IV, §26 :

    She had a childlike faith in the heavenly origin of her apparitions and her Voices.

    [Elle avait une foi enfantine dans l’origine céleste de ses apparitions et de ses voix.]

    Michelet, Jeanne d’Arc, 1853, p. 10 :

    Née sous les murs mêmes de l’église, bercée du son des cloches et nourrie de légendes, [la jeune fille] réalisait ses propres idées, elle en faisait des êtres…

  20. [20]

    C’est le nœud de la question Jeanne d’Arc, et la raison d’être de toutes les théories alternatives au surnaturel chrétien et donc à l’explication de Jeanne elle-même. Les plus connues sont les théories naturalistes, qui substituent aux voix des explications naturelles (hallucinations, pathologies, etc.) et à leur rôle des phénomènes humains (complot, bâtardise royale, etc.), ou celles qui minimisent son action pour évacuer la question (les Anglais étaient déjà aux abois, etc.).

  21. [21]

    Book II, chapter 27, p. 235 :

    Who taught the shepherd girl to do these marvels — she who could not read, and had had no opportunity to study the complex arts of war ? I do not know any way to solve such a baffling riddle as that, there being no precedent for it, nothing in history to compare it with and examine it by. For in history there is no great general, however gifted, who arrived at success otherwise than through able teaching and hard study and some experience. It is a riddle which will never be guessed. I think these vast powers and capacities were born in her, and that she applied them by an intuition which could not err.

    [Qui avait appris à cette bergère comment accomplir de tels prodiges — elle qui ne savait pas lire et n’avait jamais eu l’occasion d’étudier les arts complexes de la guerre  ? Je ne vois aucun moyen de résoudre une énigme aussi déconcertante, puisqu’il n’existe aucun précédent, rien dans l’histoire avec quoi la comparer ou l’examiner. Car on ne trouve dans l’histoire aucun grand général, si doué soit-il, qui ait jamais atteint le succès autrement que par un enseignement de qualité, un travail acharné et de l’expérience. C’est une énigme que l’on ne pourra jamais élucider. Selon moi, ces vastes pouvoirs et capacités étaient innés chez elle, et elle les employa avec une intuition infaillible.]

    L’idée d’énigme est repris dans Saint Joan of Arc, IV, §22 :

    She is the Wonder of the Ages. And when we consider her origin, her early circumstances, her sex, and that she did all the things upon which her renown rests while she was still a young girl, we recognize that while our race continues she will be also the Riddle of the Ages.

    [Elle est la Merveille des siècles. Et lorsque l’on considère ses origines, sa condition, son sexe, et le fait qu’elle ait accompli l’ensemble de ses hauts faits alors qu’elle n’était qu’une jeune fille, on comprend que, tant que notre espèce subsistera, elle restera également l’Énigme des siècles.]

  22. [22]

    Voir la note 21.

  23. [23]

    Book II, chapter 2, p. 76-77 :

    She mapped out the course she would travel toward the King, and did it like a person perfectly versed in geography ; and this itinerary of daily marches was so arranged as to avoid here and there peculiarly dangerous regions by flank movements — which showed that she knew her political geography as intimately as she knew her physical geography ; yet she had never had a day’s schooling, of course, and was without education. I was astonished, but thought her Voices must have taught her. But upon reflection I saw that this was not so. By her references to what this and that and the other person had told her, I perceived that she had been diligently questioning those crowds of visiting strangers, and that out of them she had patiently dug all this mass of invaluable knowledge.

    [Elle avait cartographié notre marche jusqu’au roi, comme une personne parfaitement versée en géographie ; et cet itinéraire avec ses étapes quotidiennes était si bien agencé qu’il contournait, par des mouvements de flanc, certaines régions particulièrement dangereuses — ce qui démontrait qu’elle connaissait aussi intimement sa géographie politique que sa géographie physique, alors qu’évidemment elle n’avait jamais mis un pied à l’école ni reçu aucune instruction. J’étais stupéfait, mais je me disais que ses Voix avaient dû la renseigner. Puis à la réflexion, je vis qu’il n’en était rien. À travers ses allusions à ce que telle ou telle personne lui avait dit, je compris qu’elle avait consciencieusement interrogé ces foules d’étrangers de passage, et ainsi patiemment amassé cet inestimable savoir.]

  24. [24]

    Book II, chapter 4, p. 86 :

    She ordered half an hour’s horsemanship-drill for the novices then, and appointed one of the veterans to conduct it. It was a ridiculous exhibition, but we learned something, and Joan was satisfied and complimented us. She did not take any instruction herself or go through the evolutions and manoeuvres, but merely sat her horse like a martial little statue and looked on. That was sufficient for her, you see. She would not miss or forget a detail of the lesson, she would take it all in with her eye and her mind, and apply it afterward with as much certainty and confidence as if she had already practised it.

    [Elle ordonna alors une demi-heure d’exercice équestre pour les novices, et chargea l’un des vétérans de les diriger. Le spectacle fut comique, mais nous y apprîmes des choses, et Jeanne s’en déclara satisfaite et nous complimenta. Elle-même ne prit part ni à l’instruction ni aux manœuvres, et resta simplement assise sur son cheval, telle une petite statue martiale, à observer. Cela lui suffisait, voyez-vous. Car jamais elle ne manquait ni n’oubliait le moindre détail d’une leçon ; elle absorbait tout par les yeux et par l’esprit, et le reproduisait ensuite avec autant d’assurance et de confiance que si elle l’avait déjà pratiqué.]

  25. [25]

    Book II, chapter 2, p. 76 :

    Already the people of Vaucouleurs had given her a horse and had armed and equipped her as a soldier. She got no chance to try the horse and see if she could ride it, for her great first duty was to abide at her post and lift up the hopes and spirits of all who would come to talk with her, and prepare them to help in the rescue and regeneration of the kingdom. This occupied every waking moment she had. But it was no matter. There was nothing she could not learn — and in the briefest time, too. Her horse would find this out in the first hour.

    [Déjà les gens de Vaucouleurs lui avaient donné un cheval et l’avaient armée et équipée en soldat. Elle n’eut pourtant pas l’occasion d’essayer sa monture et de vérifier qu’elle saurait la monter, car le premier de ses devoirs était d’accueillir tous ceux qui venaient à elle, de relever leur espoir et leur courage, et de les préparer à contribuer au sauvetage du royaume et à son redressement. Cela l’occupait du matin au soir. Mais peu importe : il n’y avait rien qu’elle ne pût apprendre, qui plus est en un rien de temps. Et son cheval aurait tôt fait de s’en rendre compte.]

  26. [26]

    Book II, chapter 4, p. 87 :

    [p. 79] We were twenty-five strong, and well equipped. […] But if we had had hard times before, I know not what to call the five nights that now followed, for the marches were as fatiguing, the baths as cold, and we were ambuscaded seven times in addition, and lost two novices and three veterans in the resulting fights. […] From the time that we had begun to encounter ambushes Joan had ridden at the head of the column.

    [Nous étions vingt-cinq, parfaitement équipés. […] Si nous avions connu des moments difficiles jusqu’alors, que dire des cinq nuits qui suivirent. Les marches demeuraient aussi harassantes, les rivières aussi glacées, mais nous dûmes en plus affronter sept embuscades successives, qui coûtèrent la vie à deux novices et trois vétérans. […] Dès la première attaque, Jeanne ne chevaucha plus qu’en tête de la colonne.]

  27. [27]

    Book II, chapter 27, p. 230 :

    Nothing shows the splendor and wisdom of her military genius like her instant comprehension of the size of the change which has come about, and her instant perception of the right and only right way to take advantage of it.

    [Rien n’illustre mieux l’éclat et la sagesse de son génie militaire que sa compréhension instantanée du bouleversement qui venait de s’opérer, et l’identification immédiate de la seule et unique façon d’en tirer parti.]

  28. [28]

    Book II, chapter 8, p. 124-125 :

    She sat there, solitary on her bench, untroubled, and disconcerted the science of the sages with her sublime ignorance — an ignorance which was a fortress ; arts, wiles, the learning drawn from books, and all like missiles rebounded from its unconscious masonry and fell to the ground harmless ; they could not dislodge the garrison which was within — Joan’s serene great heart and spirit, the guards and keepers of her mission.

    [Elle était là, assise seule sur son banc, impassible, et son ignorance sublime déconcertait la science des savants — une ignorance qui formait une véritable forteresse. Leurs artifices, leurs ruses, le savoir tiré de leurs livres rebondissaient sur cette maçonnerie inconsciente et tombaient à terre, inoffensifs ; ils ne pouvaient déloger la garnison qui s’y trouvait : le cœur noble et l’âme sereine de Jeanne, gardiens et protecteurs de sa mission.]

  29. [29]

    Book I, chapter 2, p. 16 :

    If a man comes prying into a person’s room at midnight when that person is half naked, will you be so unjust as to say that that person is showing himself to that man ?Well, no. The good priest looked a little troubled and uneasy when he said it. Is a sin a sin anyway, even if one did not intend to commit it ? Père Fronte threw up his hands and cried out : Oh, my poor little child, I see all my fault.

    [Si un homme vient épier une personne dans sa chambre à minuit, alors que celle-ci est à demi nue, seriez-vous assez injuste pour dire que cette personne s’est montrée à lui ? Eh bien, non. Le bon prêtre parut un peu troublé et mal à l’aise en disant cela. Un péché reste-t-il un péché, même lorsqu’on n’avait nullement l’intention de le commettre ? Le père Fronte leva les mains au ciel et s’écria : Oh, ma pauvre petite enfant, quelle faute ai-je commise !]

  30. [30]

    Book I, chapter 3, p. 25 :

    Father, if you will not let me, then it must be as you say ; but I would that you would think — then you would see that it is not right to punish one part of him for what the other part has done ; for it is that poor stranger’s head that does the evil things, but it is not his head that is hungry, it is his stomach, and it has done no harm to anybody, but is without blame, and innocent, not having any way to do a wrong, even if it was minded to it. Please let…

    [Père, si vous ne m’autorisez pas (à lui donner ma bouillie), qu’il en soit ainsi. Mais j’aimerais que vous réfléchissiez, et vous verriez comme il n’est pas juste de punir une partie de lui pour ce qu’une autre a fait. C’est la tête de ce pauvre étranger qui fait les mauvaises choses, mais ce n’est pas sa tête qui a faim, c’est son estomac, et celui-ci n’a fait de mal à personne, il est sans reproche et innocent, n’ayant aucun moyen de commettre le moindre tort même s’il en avait l’intention. S’il vous plaît, laissez…]

  31. [31]

    Book I, chapter 8, p. 64 :

    She was cited to appear before the ecclesiastical court at Toul to answer for her perversity ; when she declined to have counsel, and elected to conduct her case herself, her parents and all her ill-wishers rejoiced, and looked upon her as already defeated. And that was natural enough ; for who would expect that an ignorant peasant-girl of sixteen would be otherwise than frightened and tongue-tied when standing for the first time in presence of the practised doctors of the law, and surrounded by the cold solemnities of a court ? Yet all these people were mistaken. They flocked to Toul to see and enjoy this fright and embarrassment and defeat, and they had their trouble for their pains. She was modest, tranquil, and quite at her ease. She called no witnesses, saying she would content herself with examining the witnesses for the prosecution. When they had testified, she rose and reviewed their testimony in a few words, pronounced it vague, confused, and of no force, then she placed the Paladin again on the stand and began to search him. His previous testimony went rag by rag to ruin under her ingenious hands, until at last he stood bare, so to speak, he that had come so richly clothed in fraud and falsehood. His counsel began an argument, but the court declined to hear it, and threw out the case, adding a few words of grave compliment for Joan, and referring to her as this marvellous child.

    [Elle fut citée à comparaître devant la cour ecclésiastique de Toul pour répondre de sa perversité. Lorsqu’elle refusa de prendre un avocat et choisit de plaider elle-même sa cause, ses parents et tous ceux qui lui voulaient du mal se réjouirent, la considérant déjà vaincue. C’était bien naturel : qui aurait pu imaginer qu’une paysanne ignorante de seize ans resterait calme et articulée face à des docteurs en droit aguerris, entourée par les froides solennités d’un tribunal ? Mais tous se trompaient. Ils affluèrent à Toul pour voir sa peur, son embarras et sa défaite, et en furent pour leurs frais. Jeanne était simple, tranquille et parfaitement à l’aise. Elle ne cita aucun témoin, se contentant d’interroger ceux de l’accusation. Après leurs témoignages, elle se leva, résuma l’accusation en quelques mots, la jugeant vague, confuse et sans fondement, puis fit comparaître de nouveau le Paladin et l’interrogea. Son témoignage précédent fut démoli morceau par morceau sous ses mains ingénieuses, jusqu’à ce qu’enfin il se retrouve complètement nu, pour ainsi dire, lui qui s’était présenté si richement vêtu de fraude et de mensonge. Son avocat tenta de prendre la parole, mais le tribunal refusa de l’entendre, rejeta l’affaire et adressa quelques graves compliments à Jeanne, la qualifiant de merveilleuse enfant.]

  32. [32]

    Book II, chapter 8, p. 125 :

    Seventeen, she was — seventeen, and all alone on her bench by herself ; yet was not afraid, but faced that great company of erudite doctors of law and theology, and by the help of no art learned in the schools, but using only the enchantments which were hers by nature, of youth, sincerity, a voice soft and musical, and an eloquence whose source was the heart, not the head, she laid that spell upon them.

    [Elle n’avait que dix-sept ans… Dix-sept ans et seule sur son banc, elle n’avait pourtant pas peur. Elle affronta cette grande assemblée de docteurs érudits en droit et en théologie, et, sans recourir à aucune technique enseignée dans les écoles, ne se servant que des charmes que la nature lui avait donnés — sa jeunesse, sa sincérité, sa voix douce et musicale, et une éloquence qui lui venait du cœur et non la tête — elle les envoûta.]

  33. [33]

    Book II, chapter 29, p. 244-245 :

    Joan was for receiving Richemont cordially, and so was La Hire and the two young Lavals and other chiefs, but the Lieutenant-General, D’Alençon, strenuously and stubbornly opposed it. He said he had absolute orders from the King to deny and defy Richemont, and that if they were overridden he would leave the army. This would have been a heavy disaster indeed. But Joan set herself the task of persuading him that the salvation of France took precedence of all minor things — even the commands of a sceptred ass ; and she accomplished it. She persuaded him to disobey the King in the interest of the nation, and to be reconciled to Count Richemont and welcome him. That was statesmanship ; and of the highest and soundest sort. Whatever thing men call great, look for it in Joan of Arc, and there you will find it.

    [Jeanne était favorable à ce que Richemont fût reçu chaleureusement, et La Hire, les deux Laval ainsi que d’autres capitaines pensaient comme elle ; mais le duc d’Alençon s’y opposa avec force et obstination. Il affirmait avoir des ordres absolus du roi de repousser Richemont, et menaçait de quitter l’armée si ces ordres n’étaient pas respectés. Quel désastre cela aurait été  ! Jeanne entreprit alors de lui montrer que le salut de la France primait sur toute autre considération — même sur les ordres de l’âne au sceptre — et elle y parvint. Elle le persuada de désobéir au roi dans l’intérêt de la nation, de se réconcilier avec le comte Richemont et de l’accueillir. Voilà ce qu’est la véritable politique  ; et de la plus haute et saine espèce. Tout ce que les hommes appellent grand, cherchez-le chez Jeanne d’Arc, et vous le trouverez.]

  34. [34]

    Il tenta également de le faire publier dans le magazine The Century. Lettre du 1er novembre 1881 à James R. Osgood, Society for Psychical Research, Twain’s Geography :

    He also dealt with submitting the Mental Telegraphy article to the Century, and details about printing in Canada.

    [Il aborda la question de la soumission de l’article Mental Telegraphy au Century, ainsi que divers détails relatifs à l’impression au Canada.]

  35. [35]

    Lire l’article : Mental Telegraphy (anglais) et son résumé en français.

  36. [36]

    Résumé de son expérience Great Bonanza d’après l’article Mental Telegraphy.

    Le 2 mars 1875, l’idée d’un livre sur les mines d’argent du Nevada et sur la découverte du filon dit de la Big Bonanza surgit soudain dans l’esprit de Twain. Aussitôt, il écrit à son ami, le journaliste William Wright — alias Dan DeQuille — qu’il considère comme le plus qualifié pour traiter le sujet, et lui expose le plan complet de l’ouvrage. Mais l’idée de lancer son ami dans un tel projet sans garantie d’éditeur le dissuade finalement d’envoyer sa lettre. Le 9 mars, Twain remarque parmi son courrier une grande enveloppe. Sans même l’ouvrir, il en devine le contenu et le révèle à un parent présent : il s’agit, affirme-t-il, d’une lettre de Wright, datée du 2 mars, dans laquelle il propose précisément d’écrire un livre sur les mines d’argent du Nevada, et l’histoire de la Big Bonanza. Twain ouvre alors la lettre et la compare à celle qu’il avait lui-même rédigée le 2 mars :

    Wright’s letter and the one which I had written to him but never sent were in substance the same.

    [La lettre de Wright et celle que je lui avais écrite, sans l’envoyer, étaient en substance identiques.]

    Pour Twain, cela ne pouvait relever de la simple coïncidence. Le 2 mars, son esprit et celui de Wright avaient été en communication étroite et limpide à trois mille miles de distance. Curieux de savoir lequel des deux avait émis l’idée et lequel l’avait reçue, il écrivit à son ami ; de sa réponse, il conclut que Wright en était à l’origine.

    Voir : Dan DeQuille, History of the Big Bonanza, 1876, Google

  37. [37]

    Lettre datée du 29 avril 1898, adressée par Mark Twain à son ami Richard Watson Gilder, rédacteur en chef du magazine The Century, Twain’s Geography :

    […] In ’90 I sent an article 16 years old, to Harper’s, on “mental telegraphy,” and they paid only half rates for it because the subject was old. I have never written a mag. article that made quite so good a strike as that one made. Why, the subject is 4,000,000 years old ; yet was never yet dull — can’t be made dull, except by ingenuity of treatment.

    En 1890, j’avais envoyé à Harper’s un article rédigé seize ans plus tôt sur la télégraphie mentale. Ils ne me l’ont payé que la moitié du prix au prétexte que le sujet était ancien. Je n’ai jamais écrit d’article de magazine qui ait eu autant de succès que celui-là. Car ce sujet a beau avoir quatre millions d’années, il n’a jamais été rébarbatif et ne saurait l’être, à moins d’y mettre beaucoup d’ingéniosité.]

  38. [38]

    Lire l’article : Mental Telegraphy Again (anglais) et son résumé en français.

  39. [39]

    Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. I, 1883, Google

    Les deux extraits qui suivent sont tirés du premier rapport du comité (Report of the Literary Committee) du 9 décembre 1882, p. 116-155.

    1. Télépathie vs télesthésie (p. 146-147). Après avoir classifié les différents cas de transmission de pensées entre deux individus, se présentent ceux où un individu perçoit l’impression d’une scène distante. Les auteurs proposent de distinguer ces deux types de phénomènes en deux catégories : la télépathie (transfert de pensée d’esprit à esprit) et la télesthésie (perception directe de scènes ou d’objets distants).

    Here, moreover, the prophetic element clearly takes us on to altogether fresh ground. So, again, there is strong testimony that clairvoyants have witnessed and described trivial incidents in which they had no special interest, and even scenes in which the actors, though actual per sons, were complete strangers to them ; and such cases seem properly assimilated to those where they describe mere places and objects, the idea of which can hardly be supposed to be impressed on them by any personality at all. […] Our phenomena break through any attempt to group them under heads of transferred impression ; and we venture to introduce the words Telæsthesia and Telepathy to cover all cases of impression received at a distance without the normal operation of the recognised sense organs.

    [L’élément prophétique nous transporte ici clairement sur un tout nouveau terrain. De nombreux témoignages montrent des clairvoyants visualiser et décrire des incidents insignifiants, dans lesquels ils n’avaient aucun intérêt particulier, et même des scènes dont les protagonistes, bien qu’étant des personnes réelles, leur étaient parfaitement inconnus. De tels cas semblent pouvoir être assimilés à ceux où ils décrivent des lieux ou des objets quelconques, sans que l’on puisse supposer que l’idée leur a été transmise par quelqu’un d’autre. […] Ces phénomènes ne peuvent en aucun cas être rangés dans la catégorie des impressions transférées, et nous nous permettons d’introduire les termes télesthésie et télépathie pour distinguer l’ensemble des cas d’impression reçue à distance, sans recours au fonctionnement normal des organes sensoriels reconnus.]

    2. Rejet du surnaturel (p. 150).

    Many persons adopt the words natural and supernatural to express distinction between objects of inquiry belonging to the physical sciences and those with which we are concerned. This distinction we altogether repudiate. […] We entertain no doubt that orderly laws lie at the basis of all observed facts, however remote those laws may be from our present ken.

    [De nombreuses personnes emploient les mots naturel et surnaturel pour distinguer ce qui relève des sciences exactes de ce qui nous préoccupe. Nous rejetons absolument cette distinction. […] Nous n’avons aucun doute que des lois ordonnées soient à la base de tous les faits observés, si éloignées qu’elles puissent être de nos connaissances actuelles.]

    Ce dernier est tirés de l’appendice du professeur William F. Barrett sur la lecture de pensée (Appendix to Report on Thought-Reading) du 17 juillet 1882, p. 47-64.

    3. Analogie entre une force psychique fondamentale encore inconnues, comme l’étaient il y a peu encore l’électricité et le magnétisme (p. 61-62) :

    It will be said the cases, in which I suppose this power manifested, are of too trivial a nature to justify so novel a hypothesis. My answer is, the cases are few and trivial only because the subject has not been attended to. For how many centuries were the laws of electricity pre-indicated by the single fact that a piece of amber, when rubbed, would attract light bodies.

    [On arguera que les cas sont d’une nature trop insignifiante pour justifier une hypothèse si nouvelle. Ma réponse est que ces cas sont peu nombreux et insignifiants uniquement parce que le sujet n’a pas été étudié. Pendant combien de siècles les lois de l’électricité ne furent-elles énoncées que par le simple fait qu’un morceau d’ambre frotté attire de petits objets légers ?]

  40. [40]

    Lettre datée du 4 octobre 1884, adressée par Mark Twain à William F. Barrett, professeur de physique expérimentale et l’un des membres fondateurs de la Society for Psychical Research, Twain’s Geography, Twain Quotes :

    Dear Sir, — I should be very glad indeed to be made a Member of the Society […] ; for Thought-transference, as you call it, or mental telegraphy as I have been in the habit of calling it, has been a very strong interest with me for the past nine or ten years. I have grown so accustomed to considering that all my powerful impulses come to me from somebody else, that I often feel like a mere amanuensis when I sit down to write a letter under the coercion of a strong impulse…

    [Cher monsieur, — Je serais vraiment très heureux d’être admis comme membre de la Société. Le transfert de pensée, comme vous l’appelez, ou la télégraphie mentale, comme j’ai l’habitude de l’appeler, est un sujet qui me captive depuis neuf ou dix ans. Je me suis tellement habitué à considérer toutes mes puissantes impulsions comme venant de quelqu’un d’autre, que j’ai souvent l’impression, lorsque je m’assieds pour écrire une lettre, de n’être qu’un simple secrétaire sous la contrainte d’une vive impulsion…]

    Notons l’humour de Twain quel que soit l’interlocuteur et le sujet. Voici comment il conclut sa lettre :

    Very well, then, why shouldn’t some scientist find it possible to invent a way to create this condition of rapport between two minds, at will ? Then we should drop the slow and cumbersome telephone and say, “Connect me with the brain of the chief of police at Peking.” We shouldn’t need to know the man’s language ; we should communicate by thought only, and say in a couple of minutes what couldn’t be inflated into words in an hour and a-half. Telephones, telegraphs and words are too slow for this age ; we must get something that is faster. — Truly yours,…

    [Fort bien, donc  ! Il ne reste plus qu’à l’un de nos scientifiques d’inventer un moyen de connecter deux esprits à volonté  ! Nous pourrions alors jeter nos téléphones, lents et encombrants, et dire simplement  : Mettez-moi en communication avec le cerveau du chef de la police de Pékin. Nul besoin de connaître la langue de cet homme  ; nous communiquerions par la seule pensée, et dirions en quelques minutes ce qu’on ne parviendrait à exprimer avec des mots, même en une heure et demie. Téléphones, télégraphes, mots  : tout cela est bien trop lent pour notre époque. Il nous faut quelque chose de plus rapide. — Sincèrement.]

  41. [41]

    Lettre datée du 12 janvier 1892, adressée par Mark Twain à Frederic W. H. Myers, homme de lettres et l’un des membres fondateurs de la Society for Psychical Research, Twain’s Geography :

    Sam also responded to Frederic W.H. Myers in Cambridge, England. Myers’ letter is not extant. Sam described a type of sleep that happens as absent-mindedness — …sleep’s as good a name for it as another. I have several times been asleep at a steamboat’s wheel, for a few moments at a time without suspecting it — discovered it by the distance traveled.

    [Twain répondit à une lettre de Frederic W.H. Myers, à Cambridge, Angleterre. La lettre de Myers n’a pas été retrouvée. Twain lui décrit un type de sommeil assimilable à un cas de distraction : … le terme sommeil convient tout aussi bien. Il m’est arrivé plusieurs fois de m’endormir à la barre d’un bateau à vapeur, pendant quelques instants, sans m’en douter : je ne m’en suis aperçu qu’à la distance parcourue.]

  42. [42]

    Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. V, 1889, Google

    Quatrième article de Frederic W. H. Myers, sur l’écriture automatique : Le démon de Socrate (The Dæmon of Socrates), p. 522-547.

  43. [43]

    Frederic W. H. Myers, membre fondateur de la Society for Psychical Research, développa l’hypothèse du moi subliminal (subliminal self) : une sorte de théorie générale de la psychologie, englobant à la fois les faits normaux (rêve, inspiration, mémoire, perception) et les faits dits anormaux (hypnose, télépathie, automatisme) — une théorie qui prend en compte et prétend expliquer l’ensemble des phénomènes psychiques étudiés par la SPR. Dans un article intitulé Le démon de Socrate (The Dæmon of Socrates), paru dans le volume 5 des Proceedings (1889), il expose sa théorie, l’applique à ce que les Grecs appelaient le démon de Socrate, et conclut par un parallèle avec les voix de Jeanne d’Arc.

    Résumé sommaire de sa théorie

    Selon Myers, la personnalité humaine (le moi ou self) est multidimensionnelle, divisée en deux strates principales :

    • moi superficiel (ou supraliminal) : conscience ordinaire, rationnelle et quotidienne, limitée et éphémère, attachée à l’existence corporelle ;
    • moi subliminal : couche inconsciente profonde, source de phénomènes psychiques et de facultés supranormales, potentiellement immortel.

    Perçu comme un trésor enfoui, le moi subliminal est la partie la plus vaste, la plus profonde et la plus créatrice de la personnalité. Il n’est pas seulement un réservoir passif (comme l’inconscient freudien naissant), mais une source d’énergie, d’inspiration et de communication, qui se manifeste dans de nombreux phénomènes :

    • automatismes (les plus importants, explicités ci-dessous) ;
    • rêves et états créatifs (poésie, musique, invention) ;
    • télépathie et autres perceptions extra-sensorielles ;
    • extases mystiques, etc.

    Les automatismes occupent une place centrale dans la théorie du moi subliminal, car ils en constituent l’expression privilégiée. Myers les divise en trois classes principales :

    • automatisme moteur : mouvement physique sans volonté consciente (écriture automatique, paroles automatiques) ;
    • automatisme sensoriel : perception involontaire (hallucinations auditives ou visuelles) ;
    • automatisme idéationnel : pensée spontanée (intuition, inspiration créatrice, voix intérieures).

    Le démon de Socrate

    Myers reprend ici l’idée du médecin français Louis Francisque Lélut (Du démon de Socrate, 1836, rééd. 1856, Archive), qu’il réinterprète selon sa théorie. Socrate lui apparaît comme une exception : comme si son moi superficiel avait un accès direct et constant aux facultés de son moi subliminal. Ce que ses contemporains — Platon et Xénophon — décrivaient comme des interventions divines, du génie, voire de la folie, et que Socrate lui-même attribuait à une voix intérieure, un démon personnel et familier, relève pour Myers d’un cas d’automatisme — un automatisme sage.

    Le critère premier permettant d’exclure la folie est, selon lui, l’adaptation au réel : elle traduit la santé psychique et non l’aliénation, et permet à Myers d’écarter le diagnostic d’hallucination proposé par Lélut.

    Analogie avec Jeanne d’Arc

    Pour Myers, Jeanne d’Arc constitue un exemple historique plus récent où des voix intérieures ont guidé une personne vers une vie héroïque. Il remarque que, comme Socrate, elle fut condamnée en grande partie à cause de ses voix et fit preuve de la même obstination à en affirmer la vérité. De plus, Jeanne, à l’instar de Socrate, peut être jugée selon le critère de l’adaptation au réel.

    Après avoir analysé ses voix d’après ses déclarations lors du procès de condamnation, Myers conclut qu’il n’est pas nécessaire de supposer une influence d’un esprit externe : ces voix peuvent être comprises comme l’expression du moi subliminal — l’âme monitrice (monitory soul) qui agissait en elle.

  44. [44]

    Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. V, 1889, Google

    Long article (en français) de Charles Richet, intitulé Relation de diverses expériences sur la transmission mentale, la lucidité, et autres phénomènes non explicables par les données scientifiques actuelles, p. 18-168.

    Description de son état lors d’observations (p. 46) :

    Quand j’ arrive chez elle à 5 heures 25, je la trouve dans un état différent de son état normal. Elle vient à moi, et me dit avec une certaine hardiesse qui n’est pas du tout dans ses habitudes.

    Description de propos tenus en état de somnambulisme (p. 46) :

    Endormie, elle me dit que j’avais pensé à elle […]. Réveillée, elle n’ a conservé aucun souvenir de ce qu’ elle m’a dit au moment où je suis arrivé. Je dois donc admettre qu’elle était alors, comme je l’avais soupçonné, dans un état spécial, assez différent de l’état de veille, et proche de l’état de somnambulisme.

    Prémonition d’un malheur (p. 162) :

    Observation X, 10 décembre [1887]. — Faite par Alice. Elle me parle de quelqu’un qui sera malade avant peu et gravement malade (et elle ajoute que cela me donnera beaucoup d’ennuis). […] Le soir, en rentrant chez moi, j’inscris cela sur mon cahier d’expériences. […] Huit jours après, vers le 18 décembre, mon collègue, M. Y., qu’ Alice ne connaît absolument pas, est pris de fièvre assez forte […]. La maladie fait de rapides progrès […] l’infection urineuse survient, et le coma, si bien que le 26 décembre M. Y. meurt. Je n’ai pas à entrer ici dans le détail des événements qui ont suivi la mort de M. Y., mort tout-à-fait impossible à prévoir pour n’importe qui. Il me suffira de dire que, pendant un mois, j’ai eu de très graves soucis.

    Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. VI, 1890, Google

    Conclusion du supplément à son article du volume V : rejet du surnaturel (p. 83).

    But the method that I have adopted to prove this important fact is purely empirical and cannot carry conviction with it. […] I am firmly convinced that we must have recourse to Physical Science in attempting some explanation and some definition of these phenomena, which, to my mind, are certain but inexplicable.

    [ La méthode adoptée est purement empirique et ne suffit pour convaincre. Dans les sciences expérimentales il faut pouvoir contrôler les conditions de l’expérience. Si un chimiste découvrait une nouvelle substance sans savoir comment, ni comment la reproduire, personne ne l’écouterait. De même avec mes cas de lucidité : j’ignore pourquoi je réussis tantôt et échoue tantôt, ni comment les reproduire. C’est de l’empirisme, pas de la science. Cependant, je n’en tire aucune conclusion décourageante. Au contraire, nous avons là toute une série de phénomènes absolument nouveaux et obscurs, comme toute science à ses débuts. Il faut donc attaquer le problème résolument mais méthodiquement, comme pour toutes sciences expérimentales. Peut-être après tout les sciences dites occultes ne sont-elles qu’un chapitre des sciences physiques — simplement plus délicates — et je suis fermement convaincu que nous devons avoir recours aux sciences physiques pour tenter quelque explication et quelque définition de ces phénomènes qui, à mon sens, sont certains mais encore inexplicables.]

  45. [45]

    Book I, chapter 5, p. 45 :

    No, said Joan, he will go with Pierre. She said it as one who talks to himself aloud without knowing it, and none heard it but me. I glanced at her and saw that her knitting-needles were idle in her hands, and that her face had a dreamy and absent look in it. There were fleeting movements of her lips as if she might be occasionally saying parts of sentences to herself. But there was no sound, for I was the nearest person to her and I heard nothing. But I set my ears open, for those two speeches had affected me uncannily, I being superstitious and easily troubled by any little thing of a strange and unusual sort.

    [Non, dit Jeanne, il ira avec Pierre. Elle parla comme quelqu’un qui réfléchit tout haut sans s’en rendre compte, et personne ne l’entendit hormis moi. Je la regardai : ses aiguilles à tricoter étaient immobiles dans ses mains, et son visage avait une expression songeuse et absente. Par moments, ses lèvres remuaient furtivement, comme si elle se parlait à elle-même ; mais sans émettre aucun son, car j’étais la personne la plus proche d’elle et je n’entendis rien. Pourtant je tendis l’oreille : ces deux paroles m’avaient perturbé, moi qui étais d’une nature superstitieuse et facilement troublé par la moindre chose étrange ou inhabituelle.]

  46. [46]

    Book II, chapter 28, p. 241-242 :

    Catherine started (and so did I) ; then she gazed long at Joan like one in a trance. […] She was in a trance again — I could see it — just as she was that day in the pastures of Domremy when she prophesied about us boys in the war and afterward did not know that she had done it. She was not conscious now. […] A scarcely perceptible spasm flitted across Joan’s face, and the dreamy voice muttered : Before two years are sped I shall die a cruel death ! […] Soon she started, shivering slightly, and came to herself.

    [Catherine tressaillit (et moi de même), puis contempla longuement Jeanne comme en transe. […] Elle était de nouveau en transe — je le voyais — comme ce jour dans les prés de Domremy où elle avait prophétisé notre destin de soldats sans savoir ensuite qu’elle l’avait fait. Elle n’était plus consciente à présent. […] Un spasme à peine perceptible passa sur son visage, et elle murmura d’une voix rêveuse : Avant que deux années ne se soient écoulées, je mourrai d’une mort cruelle ! […] Puis elle sursauta, frissonnant légèrement, et revint à elle.]

  47. [47]

    Premier rapport du Comité (First report of the Committee on Haunted Houses), 9 décembre 1882, Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. I, 1883, Google, p. 101-115.

    Second rapport du Comité, 28 mars 1884, Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. II, 1884, Google, p. 137-151.

    (P. 138) We have made an analysis of the 65 stories which are printed as being provisionally complete, but which, of course, form but a small proportion of our collection. We have classified their evidential value under four qualities, A B C and D. Of these 28 are A, or first-class stories, for which the evidence is clear and strong, and the witnesses for which we regard as worthy of credence.

    [Nous avons analysé soixante-cinq récits, que nous publions ici, et qui ne représentent qu’une fraction de notre collection. Leur valeur probante a été répartie en quatre catégories, A, B, C et D. Parmi eux, vingt-huit appartiennent à la catégorie A, ou première classe, dont les preuves sont claires et solides, et les témoins dignes de foi.]

  48. [48]

    Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. VI, 1890, Google.

    Article de F. W. H. Myers, Des apparitions reconnues survenant plus d’un an après la mort (On Recognised Apparitions Occurring More than a Year after Death), p. 13-65.

    Document 10 (p. 43-45). Témoignage de Mlle Julie Marchand rapporté en juillet 1889, sur des faits remontant aux années 1840, lorsqu’elle était employée comme gouvernante dans une maison de Manheim. Elle occupait une grande chambre claire qu’elle partageait avec deux enfants de neuf et dix ans. Plusieurs soirs de suite, elle aperçut dans la pièce bien éclairée la figure d’un homme dont le visage était caché par l’ombre d’un grand chapeau. Convaincue d’une illusion, elle la contempla longuement, sans éprouver de peur, avant de s’endormir. N’osant en parler, elle découvrit bientôt que l’aînée des enfants, N. (Antoinette), voyait exactement la même apparition chaque soir, au pied de son lit, après le départ de la gouvernante. Elle alerta le Baron, qui décida d’enquêter.

    Nous attendîmes jusqu’à près 11 heures ; nous n’entendîmes qu’un bruit qui pouvait être occasionné par des souris, mais après un certain temps nous entendîmes mon nom, aussi distinctement que possible, provenant d’un coin de la chambre. J’allai dans la chambre à coucher ; je demandai à N. si elle m’avait appelé. Elle était tout à fait réveillée et elle me dit non. Le Baron me dit : Demain les enfants quitteront ce palier. On nous donna deux chambres au plain-pied. Quand nous eûmes quitté nos chambres, le Baron me dit : En faisant les armoires dans la salle d’étude on a trouvé un squelette dans le mur.

  49. [49]

    Book II, chapter 17, p. 180 :

    I’ve often thought I would like to see a ghost if I… — Would you ? exclaimed the young lady. We’ve got one ! Would you try that one ? Will you ? She was so eager and pretty that the Paladin said straight out that he would ; and then as none of the rest had bravery enough to expose the fear that was in him, one volunteered after the other.

    [Je me suis toujours dit que j’aimerais croiser un fantôme, juste pour voir si je… — Vraiment ? s’écria la demoiselle. Nous en avons justement un ! Voulez-vous tenter l’expérience ? Le voulez-vous ? Elle était si ardente et si jolie que le Paladin déclara tout net qu’il le voulait bien. Et, comme aucun des autres n’osa avouer sa peur, ils se portèrent volontaires l’un après l’autre.]

    Book II, chapter 19, p. 187-189 :

    We followed her and her parents to the haunted room at eleven o’clock, with candles, and also with torches to place in the sockets on the walls. It was a big house, with very thick walls, and this room was in a remote part of it which had been left unoccupied for nobody knew how many years, because of its evil repute. […] One minute — two minutes — three minutes of this, then we heard a long deep groan, and everybody sprang up and stood, with his legs quaking. It came from that little dungeon. There was a pause, then we heard muffled sobbings, mixed with pitiful ejaculations. Then there was a second voice, low and not distinct, and the one seemed trying to comfort the other. […] Sir Jean de Metz spoke out and said : Come ! we will smash that wall and set those poor captives free. […] Bang ! — whang ! — slam ! — smash went the ancient bricks, and there was a hole an ox could pass through. We plunged within and held up the torches. Nothing there but vacancy ! On the floor lay a rusty sword and a rotten fan.

    [À onze heures, nous suivîmes Catherine et ses parents jusqu’à la chambre hantée, munis de chandelles et de torches à fixer dans les appliques murales. C’était une grande demeure aux murs épais, et cette pièce se trouvait dans une partie reculée. Elle était restée inoccupée depuis on ne savait combien d’années, en raison de sa sinistre réputation. […] Une, deux, trois minutes passèrent ainsi, lorsqu’un long et profond gémissement nous fit tous sursauter, les jambes tremblantes. Le bruit semblait provenir du mur. Après une pause, nous entendîmes des sanglots étouffés se mêlant à de pitoyables lamentations. Et bientôt, une seconde voix, basse et indistincte, qui semblait vouloir réconforter la première. […] Jean de Metz prit la parole : Démolissons ce mur et délivrons ces malheureux ! […] Boum ! — Bang ! — Vlan ! Les vieilles briques volèrent en éclats, jusqu’à ce qu’un trou, large comme un bœuf, nous permette de nous engouffrer, torches à la main. À l’intérieur, rien. Seuls gisaient sur le sol une épée rouillée et un éventail en décomposition.]

  50. [50]

    Albert Paine, Mark Twain : A Biography, 1912, vol. I, p. 134, Archive.

    One night, when the Pennsylvania lay in St. Louis, he slept at his sister’s house and had this vivid dream : He saw Henry, a corpse, lying in a metallic burial case in the sitting-room, supported on two chairs. On his breast lay a bouquet of flowers, white, with a single crimson bloom in the center. When he awoke, it was morning, but the dream was so vivid that he believed it real. […] [He] rushed to the sitting-room, and felt a great trembling revulsion of joy when he found it really empty. He told Pamela the dream, then put it out of his mind as quickly as he could.

    [Une nuit (le 29 mai 1858), alors que le Pennsylvania faisait halte à Saint-Louis, il dormit chez sa sœur Pamela et fit un rêve saisissant : Henry lui apparut mort, étendu dans un cercueil métallique posé sur deux chaises, dans le salon. Sur sa poitrine reposait un bouquet de fleurs blanches, avec en son centre une unique fleur écarlate. Au matin, le rêve lui semblait si réel qu’il le crut d’abord véridique. […] Il se précipita au salon et ressentit une secousse de joie immense en le trouvant vide. Il raconta le rêve à Pamela, puis s’efforça de l’effacer de son esprit aussitôt.]

    Le 13 juin 1858, le Pennsylvania, explosait avec Henry à son bord, tuant instantanément plus de 150 personnes. Henry, gravement brûlé, fut transporté dans une hôpital de Memphis, où il succomba le 21 juin 1858, dans les bras de son frère Samuel (Mark Twain).

    (P. 143) The coffin provided for the dead were of unpainted wood, but the youth and striking face of Henry Clemens had aroused a special interest. The ladies of Memphis had made up a fund of sixty dollars and bought for him a metallic case. Samuel Clemens entering, saw his brother lying exactly as he had seen him in his dream, lacking only the bouquet of white flowers with its crimson center — a detail made complete while he stood there, for at that moment an elderly lady came in with a large white bouquet, and in the center of it was a single red rose.

    [Les cercueils destinés aux défunts étaient généralement en bois brut. Mais la jeunesse et les traits remarquables de Henry Clemens avaient ému les dames de Memphis, qui avaient réuni soixante dollars pour lui offrir un cercueil métallique. En entrant, Samuel Clemens découvrit son frère étendu exactement comme dans son rêve : seul manquait le bouquet — détail aussitôt comblé, car à ce moment précis, une dame âgée pénétra dans la pièce avec un grand bouquet blanc, au centre duquel se trouvait une unique rose rouge.]

  51. [51]

    Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. V, 1889, Google

    Article de Henry Sidgwick, Des preuves de la prémonition (On the Evidence for Premonitions), p. 288-354. Sur la proportion des rêves dans les cas de prémonition (p. 289, note) :

    I have selected for this paper some 38 first-hand cases of premonitions, of which 24 are dreams. But as I do not wish to lay stress on my own selection, let us take the whole of the first-hand cases, good, bad, and indifferent. These amount to some 240, or about two-thirds only of the number of selected cases of spontaneous telepathy, and of these 240 about 66 per cent. are dreams.

    [Pour cet article, j’ai retenu 38 de cas de prémonition de première main, dont 24 sont des rêves. Mais si l’on considérait non pas ma sélection mais l’ensemble des cas de première main, bons, mauvais ou médiocres, environ 240 cas (soit environ deux tiers des cas de télépathie spontanée), on trouve alors 66 % de rêves.]

  52. [52]

    Déposition de frère Seguin, trad. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, 1888, p. 150-151.

    Avant de connaître Jeanne j’avais entendu dire par maître Pierre de Versailles, professeur de théologie, qu’un jour en parlant d’elle, il avait ouï conter le fait suivant par quelques hommes d’armes. Ces hommes d’armes étaient allés au-devant de Jeanne lors de sa venue vers le roi, et ils s’étaient placés en embuscade pour s’emparer d’elle et de ses compagnons. Mais au moment où ils croyaient la prendre, ils n’avaient pu se remuer de place ; et tandis qu’ils demeuraient comme cloués, Jeanne s’éloigna avec ses compagnons sans empêchement.

    Michelet, Jeanne d’Arc, 1853, p. 21 :

    Une embuscade fut dressée à la Pucelle à quelque distance de Chinon, et elle n’y échappa que par miracle*.

    * Procès ms. de révision, déposition de frère Séguin.

    Henri Wallon, Jeanne d’Arc, éd. illustrée, 1876, p. 48.

    On lui permit donc de venir, et, sur la route il paraît qu’on lui tendit une embuscade : c’était une manière aussi de la mettre à l’épreuve ! L’épreuve réussit mal : ceux qui la voulaient prendre demeurèrent, dit un témoin de Poitiers, comme cloués au lieu où ils étaient.

    Marius Sepet, Jeanne d’Arc, 1869, p. 70.

    Quelques hommes d’armes au service du roi, ayant appris l’arrivée prochaine de la Pucelle à Chinon, s’étaient mis sur la route en embuscade, pour saisir Jeanne et dévaliser son escorte. Mais quand ils pensaient le faire, voici qu’ils ne purent bouger, et que leurs pieds demeurèrent comme cloués au sol.

    Mgr Ricard, Jeanne d’Arc la Vénérable, 1894, p. 70.

    Quelques soudards s’échappèrent de Chinon, où était le roi, et, sachant les chemins par où devait venir la Pucelle, ils vinrent lui tendre une embuscade pour l’enlever et piller son escorte. Ainsi, ce que n’avaient pu tenter Anglais ni Bourguignons, les gens mêmes de l’entourage royal l’essayèrent. Dieu et les saintes veillaient sur la Pucelle. Les conjurés se sentirent tout d’un coup cloués au sol et il leur fut impossible de bouger.

  53. [53]

    Book II, chapter 5, p. 99 :

    When we were half-way to Chinon we happened upon yet one more squad of enemies. They burst suddenly out of the woods, and in considerable force, too ; but we were not the apprentices we were ten or twelve days before ; […] Before they could form, Joan had delivered the order, Forward ! and we were down upon them with a rush. They stood no chance ; they turned tail and scattered, we ploughing through them as if they had been men of straw. That was our last ambuscade, and it was probably laid for us by that treacherous rascal the King’s own minister and favorite, De la Tremouille.

    [À mi-chemin de Chinon, nous tombâmes sur une nouvelle embuscade. Les assaillants surgirent soudain des bois, en nombre considérable ; mais nous n’étions plus les novices d’il y a dix ou douze jours. […] Avant qu’ils n’aient pu se mettre en formation, Jeanne avait lancé l’ordre : Chargez ! et nous nous jetâmes sur eux. Ils n’eurent aucune chance ; ils firent volte-face et se débandèrent, tandis que nous les culbutions comme de vulgaires bottes de foin. Ce fut là notre dernière embuscade, et elle nous avait sans doute été préparée par ce traître fieffé, le propre ministre et favori du roi : La Trémoille.]

  54. [54]

    Déposition de frère Seguin, trad. Fabre, Procès de réhabilitation, t. I, 1888, p. 153-154.

    [Jeanne] nous dit quatre choses, alors à venir, qui sont arrivées depuis : 1°, que les Anglais seraient détruits, le siège d’Orléans levé et la ville affranchie de ses ennemis, après sommation préalable faite par ladite Jeanne ; 2°, que le roi serait sacré à Reims ; 3°, que la ville de Paris serait remise en l’obéissance du roi ; 4°, que le duc d’Orléans reviendrait d’Angleterre. Or moi qui parle j’ai vu ces quatre choses s’accomplir.

    […]

    Pour moi, je crois que Jeanne a été envoyée par Dieu.

  55. [55]

    Book III, chapter 6, p. 349 :

    They make that poor young country girl out the match, and more than the match, of the sixty-two trained adepts. Isn’t it so ? They from the University of Paris, she from the sheepfold and the cow-stable ! Ah, yes, she was great, she was wonderful. It took six thousand years to produce her ; her like will not be seen in the earth again in fifty thousand. Such is my opinion.

    [Cette simple paysanne tint tête, et même s’imposa, à soixante-deux raisonneurs aguerris. Eux formés à l’Université de Paris, elle à la bergerie et à l’étable ! Ah oui, elle était grande, elle était merveilleuse. Il a fallu six mille ans pour la produire, et la terre n’en reverra pas une pareille avant cinquante mille ans. Voilà ce que j’en dis.]

  56. [56]

    Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. V, 1889, Google

    Article de Charles Richet (voir note 40)

    Chapitre I : Des précautions à prendre pour les bonnes observations, p. 23 :

    Je suppose que j’aie obtenu un résultat tout-à-fait extraordinaire pour la lucidité ou la transmission mentale, mais qu’il y a un petit point défectueux dans mon expérience. En vain le résultat sera admirable, le côté défectueux gâtera tout. Si la probabilité est seulement d’un milliardième pour avoir le même résultat par le hasard seul, il est clair que c’est la certitude à peu près complète que le hasard n’a pu arriver à ce résultat. Soit. Mais le côté défectueux de l’expérience empêche toute conclusion. Je conclurai peut-être, mais j’aurai tort, et personne ne me croira ; car la possibilité d’une erreur enlève tout le sérieux de ma démonstration.

    Chapitre II : Du hasard dans les expériences, p. 25-26 :

    On démontre en mathématiques que le calcul des probabilités n’est applicable que s’il y a un nombre infini de coups, et que c’est alors seulement qu’il est vrai. [Suit le calcul de la probabilité de tirer à chaque fois le 6 de cœur en multipliant les tirages successifs et indépendants d’une carte dans un jeu de 52 cartes.] Jamais je n’arriverai à la certitude mathématique, ou plutôt je n’ y arriverai que si l’on me donne la ressource d’un nombre infini de tirages. Si donc, pour conclure, on avait besoin de la certitude mathématique, on ne conclurait jamais ; car on n’arrivera jamais à un nombre infini de coups. Heureusement on peut conclure ; car la certitude mathématique et la certitude morale ont des exigences différentes. [Hypothèse de 100 tirages.] J’ai la certitude morale qu’il ne sortira pas 100 fois de suite, alors que je n’en ai pas la certitude mathématique.

  57. [57]

    Témoignages dans le catholicisme américain contemporain : Twain y est décrit comme plus catholique que les catholiques eux-mêmes.

    • How Joan of Arc conquered Mark Twain, par Ted Gioia, 12 avril 2018, dans America, the Jesuit review, AmericaMagazine.org

      In his novel about Joan of Arc, Twain comes across as more passionately Catholic than even more famous writers aligned with the church, like Graham Greene, Walker Percy or Evelyn Waugh.

      [Dans son roman sur Jeanne d’Arc, Twain apparaît comme plus ardemment catholique que bien des écrivains célèbres pour leur alignement avec l’Église, tels que Graham Greene (1904-1991, Anglais, converti en 1926), Walker Percy (1916-1990, Américain, converti en 1947) ou Evelyn Waugh (1903-1966, Anglais, converti en 1930).]

    • Read Mark Twain’s ‘Joan of Arc’ — It Will Surprise You and Make You Want to Become a Saint, par Zubair Simonson, 30 mai 2023, dans National Catholic Register, NCRegister.com

      Mark Twain was not a Catholic. […] And yet the reverence displayed throughout Joan of Arc could fool any reader into believing that its author must surely have been a devout Catholic, or perhaps even a priest.

      [Mark Twain n’était pas catholique. […] Et pourtant, la dévotion qui traverse sa Jeanne d’Arc est telle qu’on pourrait croire l’ouvrage écrit par un catholique fervent, voire carrément par un prêtre.]

    • Joan of Arc, by Mark Twain : A Book Review, par Katie Zachok, 27 mai 2025, theYoungCatholicWoman

      It took a witty, non-Catholic, American author to get me to embrace this medieval French saint, and I have come away with a better sense of appreciation for the differing gifts and vocations that God has planned for each of us.

      [Il a fallu que ce soit un écrivain américain, spirituel et non catholique, qui me fasse découvrir cette sainte médiévale française, et j’en ai tiré une meilleure compréhension des dons et des vocations que Dieu réserve à chacun de nous.]

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