N. Valois  : Un nouveau témoignage sur Jeanne d’Arc (1906)

Traduction en français

170Traduction
de la réponse d’un clerc parisien

De ce qui précède, j’entends déduire, en m’appuyant sur le droit canon, un petit nombre de considérations tendant à la louange du Dieu tout-puissant, à l’exaltation de la sainte foi catholique, à la destruction de l’erreur.

Et, d’abord, nous avons le devoir d’adhérer fermement à la foi catholique, suivant le chapitre Firmiter du titre De summa Trinitate, sans donner en aucune manière notre assentiment aux innovations superstitieuses, vu qu’elles engendrent des discordes, comme on lit au chapitre Cum consuetudinis du titre De consuetudine.

De plus, donner si légèrement son adhésion à une pucelle qu’on ne connaît pas, sans s’appuyer sur un miracle ou sur le témoignage de l’Écriture sainte, c’est là porter atteinte à cette vérité et à cette force immuable de la foi catholique ; savants et canonistes n’en sauraient douter. La preuve en est dans le chapitre Cum ex injuncto du titre De hæreticis.

De plus, si ceux qui approuvent le fait de cette Pucelle disent qu’elle est envoyée de Dieu d’une manière invisible, et, en quelque sorte, inspirée, et qu’une telle mission invisible l’emporte beaucoup sur une mission visible, de même qu’une mission divine l’emporte sur une mission humaine, il est raisonnable de leur répondre que, cette mission tout intérieure échappant à l’observation, il ne suffit pas que quelqu’un nous affirme purement et simplement être envoyé de Dieu, — c’est la prétention de tous les hérétiques, — mais il faut qu’il nous prouve cette mission invisible par une œuvre miraculeuse ou par un témoignage précis extrait de la Sainte Écriture. Tout cela est démontré dans le chapitre susdit Cum ex injuncto.

De plus, comme ladite Pucelle n’a prouvé d’aucune de ces manières qu’elle était envoyée de Dieu, il n’y a nullement lieu de la croire en cela sur parole, mais il y a lieu de procéder contre elle comme étant suspecte d’hérésie.

Joint à cela que, si elle était réellement envoyée de Dieu, 171elle ne prendrait pas un habillement prohibé par Dieu et interdit aux femmes par le droit canon sous peine d’anathème, au chapitre Si qua mulier, distinction 30e.

En outre, au cas où ceux qui se laissent décevoir par ladite Pucelle tenteraient d’excuser et de justifier son habillement en considération de l’affaire pour laquelle elle est soi-disant envoyée, de telles finesses ne servent de rien ; ce sont plutôt de ces excuses dont parle le Psalmiste, qu’on cherche pour excuser ses péchés, et qui accusent plus qu’elles n’excusent, comme il est dit au chapitre Quanto du titre De consuetudine. En ce cas, sous l’apparence du bien, on pourrait faire beaucoup de choses mauvaises. Or, il faut s’abstenir non seulement du mal, mais de toute apparence de mal, comme on lit au chapitre Cum ab omni du titre De vita et honestate clericorum.

De plus, si une femme pouvait impunément revêtir à son gré l’habillement viril, les femmes auraient de faciles occasions de forniquer et d’exercer des actes virils qui leur sont juridiquement interdits suivant la doctrine, etc., et cela contraire ment à l’enseignement canonique contenu dans le chapitre Nova quædam du titre De pœnitentiis et remissionibus.

De plus, d’une manière générale, tout office viril est interdit aux femmes, par exemple, prêcher, enseigner, porter les armes, absoudre, excommunier, etc., comme on voit audit chapitre Nova quædam et au Digeste, loi première du titre De regulis juris.

De plus, le susdit maître qui a compilé le traité en question en faveur de ladite Pucelle l’a louée fort, et inconsidérément (sauf le respect qui lui est dû), et il semble avoir mal médité le mot de Caton : Soyez avare de vos éloges ; car un seul jour peut vous dévoiler, etc.

De plus, s’il avait bien considéré la règle de droit Qui scandalizaverit, au titre De regulis juris, il ne tolérerait pas que, sous prétexte d’acquérir un royaume, on violât en quoi que ce soit, à l’occasion de cette Pucelle, la vérité de la foi, même s’il regardait comme un scandale que le royaume fût transféré aux Anglais, attendu qu’en pareil cas mieux vaut laisser naître un scandale que s’écarter de la vérité, comme on lit au chapitre Qui scandalizaverit du titre De regulis juris in antiquis. Et, 172comme dit saint Augustin, il ne faut pas faire le mal pour qu’il en ressorte du bien.

De plus, d’après les œuvres, les fruits de cette Pucelle, nous pouvons droitement, pieusement et dûment juger si elle procède de Dieu ou de l’Ennemi de la foi, suivant le chapitre Estote misericordes du titre De regulis juris, vu qu’elle a excité, parmi les princes et le peuple chrétien, une guerre plus grande qu’il n’y en avait auparavant. Cependant Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce roi pacifique, a ordonné, dans sa pieuse miséricorde, que ses sujets fussent pudiques, pacifiques, modestes, comme on lit dans le préambule du pape Grégoire : c’est le contraire qu’a fait notoirement ladite Pucelle, par elle même ou par les siens.

De plus, si elle avait été envoyée de Dieu, elle n’aurait jamais entraîné — ce qu’elle a fait — les hommes à s’entre-tuer aux principales fêtes de la sainte Vierge, mère de Dieu, le jour de l’Assomption, le jour de la Nativité : injures que l’Ennemi du genre humain a infligées au Créateur et à sa très glorieuse Mère par l’intermédiaire de cette femme. Et, quoiqu’il en soit résulté quelques massacres, grâce à Dieu ils n’ont pas été tels que cette ennemie le souhaitait.

De plus, si elle avait été guidée par le Saint-Esprit, jamais elle ne mentirait dans ses prédictions ; or, parmi ses principaux mensonges, il y a celui-ci : elle a prédit qu’il y aurait grande guerre entre le Roi et quelques princes avant que le Roi vînt à Reims. Il n’en a rien été. Donc, elle n’était pas conduite par l’Esprit de vérité, d’où toute vérité procède, mais par le Diable, père du mensonge, dont elle s’efforce d’accomplir les desseins, selon ce qui est marqué au chapitre Quæritur du Décret, § Non enim, cause 22, question deuxième.

De plus, elle ne souffrirait jamais que des enfants lui offrissent, à genoux, des cierges allumés : c’est ce qui est arrivé, dit-on, en plusieurs villes notables de l’obédience de nos adversaires, et elle acceptait ces cierges comme une sorte d’offrande. C’est là une espèce d’idolâtrie, et en cela elle paraît avoir usurpé l’honneur et les hommages qui ne sont dus qu’au Créateur : véritable crime d’idolâtrie, le plus grave de tous, comme on voit au chapitre Idololatria de la cause 28, question 173première, et au chapitre De homine du titre De celebratione missarum.

En outre, si toutes ces choses étaient passées sous silence, il en résulterait de graves inconvénients, des divisions, des scandales, des dangers très grands pour la foi, d’autant qu’en beaucoup de contrées on a élevé déjà et l’on vénère des portraits ou des statues de cette Pucelle, tout comme si elle était déjà béatifiée : en sorte qu’une grande erreur nous menace, à moins que l’on n’y porte remède au plus vite. Nul ne doit être, en effet, vénéré comme saint durant sa vie, ni même après sa mort, à moins d’avoir été approuvé et canonisé par l’Église, comme on lit au chapitre Venerabili du titre De testibus et dans tout le titre De reliquiis et veneratione sanctorum. On voit donc que la situation de ladite Pucelle ne saurait être tolérée sans porter atteinte à la foi.

De plus, ce serait se jouer de la foi, ce qui ne doit point se faire : car

La foy, l’œil ne la renommée

Ne doyvent estre jamais touchées22.

De plus, dans l’ordre de la piété et de la dévotion compatibles avec la foi catholique, le fait de cette Pucelle ne saurait être défendu, si l’on considère ce qui est réellement patent. En effet, elle provoque chez les simples les superstitions déjà mentionnées, qui font non pas honneur, mais plutôt injure au Créateur, qui constituent un péril pour les âmes, tendent au renversement de la foi chrétienne ; c’est ce qui a été montré plus haut.

De plus, à ce qu’on rapporte, elle semble user de sortilèges. Ainsi, par exemple, lorsque les enfants dont il a été parlé lui offraient, avec la vénération que j’ai dite, les cierges en question, elle faisait tomber sur leur tête trois gouttes de cire ardente, en pronostiquant qu’à cause de la vertu d’un tel acte, 174ils ne pouvaient être que bons. Donc, idolâtrie dans le fait de l’offrande, et, dans le fait de laisser égoutter cette cire, sortilège compliqué d’hérésie. Par conséquent, il importe que l’Inquisiteur de la foi informe, à raison de son office, sur le crime d’hérésie, et qu’il punisse selon ce qui est observé par les docteurs au chapitre Accusatus, § Sane, à la note Nisi hæresim saperent, dans le titre De hæreticis du Sexte, livre V.

Enfin, il résulte de ce qui précède que tout cela manifestement contient erreur et hérésie, causant, directement et indirectement, ouvertement et notoirement, dommage à la foi orthodoxe. C’est pourquoi il est de l’intérêt de tout fidèle chrétien, mais surtout il importe à l’Université, ma mère, à l’Évêque et à l’Inquisiteur de combattre, pour l’honneur de Dieu, de telles superstitions, et cela sans ménagement et avec promptitude.

Principiis obsta ; sero medicina paratur23.

Voir le chapitre Ad hæc du titre De rescriptis. Il faut tailler les chairs gangrenées et chasser la brebis galeuse du bercail, au chapitre Resecandæ de la cause 24, question troisième.

Et que ces quelques mots suffisent quant à présent.

Cela suffisait, en effet, en 1429, alors que Jeanne d’Arc tenait encore la campagne. Le procès en matière de foi était simplement amorcé.

Il reprendra et se poursuivra, sur l’initiative de la même Université de Paris, quand la Pucelle sera captive.

Notes

  1. [22]

    Sous cette forme française, ce dicton se retrouve, comme veut bien me le signaler mon confrère et ami M. J. Lair, dans le Recueil des sentences notables et dictons communs de Gabriel Meurier (Anvers, 1568, in-12, p. 108) et aussi dans le Florilegium ethico-politicum de J. Gruter (Francfort, 1610, in-8°, 2e partie, p. 217).

  2. [23]

    Ovide, Remedia amoris, 91.

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