Livre I : L’Université de Paris dans l’Église au temps de Jeanne d’Arc
3Livre I L’Université de Paris dans l’Église au temps de Jeanne d’Arc
Introduction
Texte du Cartulaire
Voici en quels termes commence la dissertation sur la Pucelle des auteurs du Cartulaire :
Nous voudrions esquisser à grands traits les raisons qui pouvaient, à notre avis, exciter l’Université contre la Pucelle.
Et d’abord on doit rejeter l’explication récemment proposée suivant laquelle les professeurs de l’Université qui ont pris part au procès auraient été des schismatiques. Car le Concile de Bâle, alors convoqué, il est vrai, ne fut pas constitué avant la fin de juillet 1431, et la première session n’eut lieu que le 14 décembre.
Si Courcelles fut l’âme du Concile, Érard en fut le père, écrit M. Ayroles. Mais Érard n’alla jamais au Concile, Thomas de Courcelles y siégea seulement à partir de 1433, et ne fut pas l’âme du Concile avant 1437. D’autres membres de l’Université de Paris assistèrent au Concile plus tard, ils n’étaient que cinq au début. L’Université est alors si loin d’être schismatique qu’elle reçoit des Papes Martin V et Eugène IV les éloges habituels et qu’elle envoie, à la fin de 1431, pour présenter un rôle à Eugène IV, une ambassade dans laquelle figure Jean Lohier, celui qui avait pris à Rouen la défense de Jeanne d’Arc. On ne peut donc pas soutenir que l’Université fût alors plus schismatique que Charles VII, pour qui combattait Jeanne d’Arc ; au contraire, elle le devint après le transfert du Concile de Bâle à Ferrare ; c’est-à-dire à l’époque où l’Université, revenue au parti de Charles VII, n’aurait à aucun prix condamné la Pucelle.
Division de la réponse
Prenant notre point de départ là où l’établissent nos savants contradicteurs, 4nous nous proposons de démontrer que l’Assemblée de Bâle fut schismatique longtemps avant sa translation à Ferrare : schisme à part, il conservait le nom du Vicaire du Christ, mais ruinait totalement son autorité ; il détruisait de la même manière l’autorité des évêques, et transférait l’autorité doctrinale et directrice à une assemblée de clercs qui se disaient en ce connaissant, les savants, et — pour employer un mot tout récent — les intellectuels. Un coup d’œil sommaire sur les doctrines et les actes de l’Assemblée rendra, nous l’espérons, notre assertion manifeste.
Après une rectification sur Évérardi et Courcelles, qui sera en même temps une confirmation de la thèse que l’on nous conteste, nous espérons démontrer que les doctrines non seulement schismatiques, mais pleinement subversives de la notion de l’Église, avaient pris consistance dans l’Université de Paris, qu’elle les proclamait, les appliquait depuis près de quarante ans, qu’elle ne travailla tant à ce que l’Assemblée de Bâle ne fût pas en vain convoquée, que pour les y ériger en dogmes de foi.
C’est d’après cette notion entièrement fausse de l’Église qu’elle s’est portée contre la Pucelle aux attentats qu’elle renouvela contre Eugène IV, moins de dix ans après, et ce qu’il y a de remarquable, ce sont les mêmes hommes qui dans les deux forfaits remplissent les principaux rôles.
5Chapitre premier Le schisme de l’assemblée de Bâle : ses commencements, son caractère
I
§1 Le Concile de Bâle tourne au schisme dès son ouverture
Dire que l’assemblée de Bâle fut schismatique longtemps avant sa translation à Ferrare, c’est parler comme Eugène IV.
§2 Nature de ce schisme d’après Eugène IV
Dans le mémoire qu’en 1436 il adressa aux princes chrétiens pour les préparer à cette mesure, on lit :
Que peut-il y avoir de plus périlleux pour l’Église de Dieu, pour les fidèles du Christ, pour toute la république chrétienne, que ce schisme manifeste qui depuis près de six ans repousse dans l’Église de Dieu3 ?
Schisme à part, et d’un genre particulier ; ni les annales du passé, ni la mémoire des hommes n’en ont jamais signalé de semblable4.
C’est toujours le même Pape qui parle. Les schismes précédents rompaient ouvertement avec le Pape ; les hommes de Bâle en conservaient le nom, bien plus, 6faisaient précéder de protestations de pieux respect les décrets les plus attentatoires à son autorité : c’était pour mieux le dépouiller de ses prérogatives. C’est encore ce que dit le Pontife :
Ils s’arrogent le pouvoir de dépouiller le chef suprême de l’Église de tout pouvoir ; ils ne lui laissent que le nom et ne veulent qu’un simulacre sur le trône apostolique5.
Si l’assemblée de Bâle ne fut schismatique qu’à l’époque de sa translation à Ferrare, en 1437, il faut admettre que les sessions précédentes sont celles d’un Concile œcuménique ; ce n’est pas l’avis d’Eugène IV, qui écrit que
dans les XXIV premières sessions, il n’est presque pas un décret qui ne renferme une atteinte à l’honneur du Siège apostolique ou du Pontife Romain6.
Soucieux de ménager les princes, ils semblent ne siéger que pour susciter, au scandale de l’Église, des querelles au Souverain Pontife et lui faire une continuelle guerre7.
§3 Presque chacune de ses sessions renferme un attentat contre la Papauté
Il n’y a pas de président de république, pour démocratique qu’elle soit, qui n’ait des pouvoirs beaucoup plus étendus que les Basiléens n’en laissaient à celui auquel Notre-Seigneur a donné plein pouvoir de lier et de délier. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil rapide sur quelques sessions.
1e Session, 14 décembre 1431. — Concile tous les cinq ans d’abord, tous les dix ans ensuite. Un mois avant de se séparer, le Concile désignera le lieu de la prochaine assemblée. Le Pape ne pourra le changer que dans un cas extrême, du consentement écrit des deux tiers des cardinaux. Il faut que l’on soit toujours en présence du Concile qui se tient, ou dans l’attente de celui qui doit se tenir8.
2e Session, 14 février 1432. — Le Concile tient ses pouvoirs immédiatement de Dieu ; personne ne peut le dissoudre ou le transférer, fût-il le Pape. Le Pape est tenu de lui obéir. (Ces schismatiques faisaient semblant d’ignorer que le Pape l’avait transféré à Bologne depuis deux mois.)
3e Session, 29 avril. — Décret contre la translation, et injonction de publier le décret. Sommation au Pape de venir à Bâle, s’il n’a pas d’empêchement 7personnel, sous peine de voir procéder contre lui. Même sommation, mêmes menaces aux cardinaux. Quiconque en sera requis doit, sous peine d’excommunication, intimer ces dispositions aux intéressés.
4e Session, 20 juin. — En cas de vacance du Saint-Siège durant le Concile, défense de procéder à l’élection d’un pape ailleurs qu’à Bâle. Excommunication, note d’infamie, privation de bénéfices contre les cardinaux qui le tenteraient. Défense au pape de créer de nouveaux cardinaux, de préconiser ceux qu’il avait élus. Nomination d’un cardinal pour gouverner Avignon à la place de celui qu’avait envoyé Eugène IV.
5e Session, 9 août. — Nomination de commissions pour juger des causes de la foi, et recevoir les plaintes de ceux qui se croyaient injustement lésés. Défense de citer en cour de Rome ceux qui sont incorporés au Concile, etc.
6e Session, 16 septembre. — Le promoteur, Nicolas Lami, demande que l’on déclare contumace Eugène IV qui n’a pas révoqué ses bulles de translation du Concile, n’est pas venu à Bâle, et ne s’est pas excusé. Même demande contre dix-sept cardinaux. On veut bien accorder un sursis.
7e Session, 6 novembre 1432. — En cas de vacance du Saint-Siège, l’on ne procédera à l’élection d’un pape que soixante jours après le décès, et à Bâle.
8e Session, 18 décembre. — Si dans soixante jours Eugène IV n’a pas révoqué la bulle de translation, l’on procédera contre lui selon l’inspiration du Saint-Esprit. Défense de créer évêques ou archevêques en vue de résister au présent décret. Si vingt jours après ce délai, le Pape n’a pas obéi, cardinaux, officiers du palais doivent quitter son service.
Ces décisions d’énergumènes se poursuivent durant l’année 1433. Pressé par l’empereur Sigismond, chassé de Rome, Eugène IV révoque ses bulles de translation, adhère au Concile à condition que l’honneur du Saint-Siège sera sauvegardé. Il faiblit, dit Raynaldi. Cette condescendance ne fait que provoquer de nouveaux excès d’insolence. — Citons quelques traits seulement au milieu de beaucoup d’autres :
17e Session, 26 avril 1434. — Les légats du pape n’ont d’autres droits au Concile que de contresigner les décrets de l’assemblée. S’ils s’y refusent, ces décrets seront contresignés par le prélat le plus voisin de leurs sièges.
19e Session, 7 septembre 1434. — Eugène IV travaillait très activement à la réunion des Grecs à l’Église romaine. Les Basiléens se jettent à la traverse, et prétendent que c’est par eux et avec eux que la réconciliation doit s’opérer. Il serait difficile de trouver dans l’histoire quelque chose 8de plus scandaleux, de plus fastidieux que les menées et les scènes auxquelles donne lieu cette prétention des rebelles.
21e Session, 9 juin 1435. — Retranchement au Pape des annates et des revenus qu’il prélevait sur la collation des bénéfices. Il n’en avait jamais eu un besoin plus urgent pour travailler à la réunion des Grecs, repousser le Turc, combler le déficit causé par les troubles de Rome et de l’État pontifical. Moins d’un an après, dans la session du 14 avril 1436, ils rétablissaient le prélèvement de ces revenus, mais en leur faveur, sous prétexte de travailler à la réunion des Grecs ; destination à laquelle ils ne furent jamais employés. Pour provoquer les libéralités des fidèles, ils s’attribuaient le droit de distribuer des Indulgences plénières.
Dans l’intervalle, à la 23e session, 25 mars 1436, ils avaient décrété qu’aussitôt après son élection, et sous peine de nullité de cette même élection, le Pape jurerait l’observation des décrets de Bâle ; que chaque année, à l’anniversaire de ce jour, le premier des cardinaux lui donnerait lecture de son serment ; tout cela au milieu de pédantesques remontrances au Pape et au Sacré-Collège sur les devoirs de leur charge.
Cette série d’attentats sacrilèges, et d’autres encore passés sous silence, ont été perpétrés avant la translation de l’assemblée à Ferrare, qui n’eut lieu que le 18 septembre 1437. Quel catholique n’y verrait avec Eugène IV un vrai schisme, plus dangereux qu’une rupture totale que les peuples n’auraient pas supportée ? Le Pape est un pur nom, vide de toute autorité, désigné aux méfiances de tous.
Ce n’était pas le Pape seul qui était dépouillé de son autorité, les évêques l’étaient avec lui ; et l’on s’explique difficilement que, dans la suite, les évêques gallicans, si jaloux, la plupart, de leur autorité, aient fait sonner si haut l’autorité de ce qu’ils appelaient le sacro-saint Concile de Bâle.
II
§1 Ses décrets rendus par de simples clercs, au détriment de l’autorité des évêques, que ce désordre force à se retirer
Par qui, en effet, étaient rendus ces prétendus décrets ? Eugène IV le constate encore dans le même mémoire :
Ils ont admis également et sans distinction les clercs des ordres inférieurs. Parmi eux beaucoup non seulement n’étaient pas gradués, ils étaient de toute ignorance… On leur a donné voix non seulement consultative, mais délibérative, et droit de suffrage. Très souvent tous les prélats, ou tout au moins la majeure et plus saine partie, étaient d’un sentiment ; le sentiment contraire prévalait, 9parce qu’il avait en sa faveur la majorité numérique des délibérants9.
Ne furent-ils pas jusqu’à exiger, à partir de la troisième session, qu’avant d’être incorporés au Concile, chacun des nouveaux arrivants jurerait les décrets des trois sessions, qui renferment la justification de toutes les scélératesses qui ont suivi ? Serment refusé par de nombreux personnages et de nombreux ambassadeurs des princes10, dit encore le mémoire pontifical.
Le même mémoire relate qu’être dévoué à l’Église romaine, c’était se créer des haines mortelles ; en être l’ennemi, avoir un titre exceptionnel à la faveur. Quel exemple plus caractéristique que les applaudissements qui saluèrent comme des fils préférés de l’Église ceux qui dans une diabolique audace avaient osé comploter de réduire en captivité le Pontife romain11 ?
§2 Un simple tonsuré président de la congrégation de la foi
Un des plus célèbres personnages de l’assemblée, qui en changeant de principes et de mœurs, est devenu plus tard le Pape Pie II, par le récit qu’il fait à un ami de la suite de sa vie, va nous donner une idée de ce que devenait la Hiérarchie à Bâle. Æneas Sylvius Piccolomini n’était que simple tonsuré quand il vint à Bâle ; il ne devait recevoir le sous-diaconat qu’environ quinze ans plus tard, en 1450 ; il écrivait à son ami Pierre Noretano :
J’avais vingt-six ans. La guerre me fit quitter ma patrie et l’étude du droit civil à laquelle je m’adonnais ; je vins au célèbre Concile de Bâle ; je trouvai grâce devant les Pères ; je fus secrétaire et abréviateur des lettres, et l’un des douze investis d’une magistrature que l’on pourrait appeler de censure. L’on n’était admis à prendre part aux délibérations conciliaires, que sur l’avis des douze qui écartaient les incapables.
L’assemblée était partagée en quatre sections appelées congrégations ; l’une de la foi, l’autre de la paix, la troisième de la réforme, la quatrième des affaires communes. Chacune élisait son président tous les mois. J’étais inscrit à celle de la foi, et je la présidai souvent12. Je fus élu deux fois parmi les collateurs de bénéfices ; je fus envoyé souvent en ambassade auprès 10des princes ; le duc de Savoie, devenu pontife sous le nom de Félix, me fit son secrétaire13.
Ainsi donc voilà un simple clerc tonsuré qui préside la congrégation de la foi. Il était, il est vrai, excellent humaniste, mais son âge, ses études antécédentes, portent à croire qu’il était loin d’être aussi bon théologien. Ce censeur, qui devait sans doute crier réforme comme tous les autres, écrivait alors des œuvres fort licencieuses, dont il a exprimé plus tard le regret, et ses lettres mêmes prouvent que ses mœurs étaient loin d’être exemplaires.
§3 Autres vices essentiels
Aussi le même mémoire pontifical nous dit-il, que si (après la réconciliation de 1434 sans doute) le nombre des prélats était monté à près de cent cinquante, s’était maintenu quelque temps à cent, ces prélats n’avaient pas tardé à se retirer en voyant le droit de suffrage dévolu à ceux auxquels il n’appartenait pas, en sorte qu’au moment où le mémoire était écrit, ils n’étaient pas vingt-cinq en comprenant ceux qui restaient à Bâle comme ambassadeurs des princes et sur leur ordre14.
Les auteurs du Cartulaire nous disent que le Concile ne s’ouvrit qu’à la fin de juillet 1431. Ils sont indulgents en fixant l’ouverture à cette époque, où il ne comptait guère que trois évêques titulaires et à peu près autant d’abbés mitrés. Il était dans un tel discrédit que, par ses lettres du 7 octobre, le légat Cesarini, revenu de la croisade contre les Hussites, reprochait aux abbés et autres dignitaires du diocèse de Bâle de n’avoir pas fait encore acte de présence15.
Mais ce n’est pas une histoire de ce prétendu Concile que nous avons à faire. Tout ce qui vient d’être exposé s’est passé avant la translation à Ferrare. On peut voir, par suite, s’il n’a été schismatique qu’à partir de cette date, ou si, comme le dit le mémoire pontifical, il ne le fut pas dès sa première session, et s’il n’est pas resté tel et par ses décrets et par la manière dont ils étaient rendus. Il fut, ainsi que cela sera démontré, l’œuvre de l’Université de Paris, qui, comme le dit justement un de ses historiens, se donna des peines infinies pour y amener ceux qui le composèrent ; il fut surtout l’exposé, l’application des doctrines qu’elle voulait faire prévaloir dans la Chrétienté, que depuis environ quarante ans elle appliquait dans sa sphère d’action. Quelques emprunts faits aux théories émises à Bâle par celui de ses docteurs à la suite duquel elle marchait, Thomas de Courcelles ; au président Louis Allemand, archevêque 11d’Arles, dont Courcelles était le familier, et probablement l’inspirateur, nous les feront connaître. Les ambassadeurs de l’Université furent les plus énergiques soutiens de l’un et de l’autre.
III
§1 Suite des attentats de la schismatique assemblée
Hors d’eux-mêmes en voyant les Grecs monter sur les galères pontificales, les évêques se rendre à Ferrare d’abord, à Florence ensuite, où on les vit au nombre de cent soixante-dix autour du Vicaire de Jésus-Christ, les énergumènes de Bâle, dans la session du 24 janvier 1438, déclarent Eugène IV suspendu des fonctions du souverain pontificat, et s’en attribuent l’administration. La session du 24 mars est une diatribe contre le Concile de Ferrare et ses adhérents, contre lesquels ils lancent de prétendues censures.
§2 Les trois prétendues vérités de foi
En vain la catholicité voit avec effroi le moment où va se rouvrir le spectacle de plusieurs papes se disputant la tiare, recommencer un déchirement dont les plaies saignent encore après cinq siècles ; rien n’arrête les révoltés, qui s’acheminent vers le suprême attentat. Pour le préparer, ils résolurent de faire définir comme vérités de foi les trois propositions suivantes :
- Le Concile œcuménique est supérieur au Pape ;
- le Concile ne peut être ni dissous, ni même transféré sans son consentement ;
- quiconque n’admet pas ces propositions est hérétique.
La conséquence était immédiate pour ceux qui voyaient un Concile dans le pandæmonium Basiléen.
La lutte fut acharnée dans les congrégations. Piccolomini, témoin oculaire, Fabricius qui a puisé dans les mémoires gardés à Bâle, récemment imprimés dans les Monumenta Conciliorum sæculi XV, Sponde, qui a eu entre les mains les récits envoyés aux collègues de Paris, nous ont laissé le récit de ces batailles de paroles, où parfois, dit Piccolomini, on eût dit deux armées qui allaient en venir aux mains. Les évêques, la plupart du moins, parmi eux l’archevêque de Palerme, Tedeschi, l’archevêque de Milan, et d’autres encore soutenaient la doctrine de l’Évangile et de la tradition sur la constitution de l’Église, contre Courcelles, Lami, Jean de Ségovie, Allemand, et la tourbe des clercs novateurs.
§3 Théorie de Courcelles sur la constitution de l’Église
Courcelles disait :
Tous les théologiens de quelque valeur admettent que le Concile plénier est supérieur au Pape ; tout ce qui est dit de l’Église est vrai du Concile plénier. Notre-Seigneur renvoyait le Pape au Concile quand il disait : Si quelqu’un n’écoute pas l’Église qu’il soit regardé 12comme un païen et un publicain ; c’est comme s’il avait dit : Si quelqu’un n’écoute pas le Concile. Quand Jésus-Christ donnait les clés à Pierre, il les lui donnait en tant que Pierre représentait l’Église, et c’est à l’Église qu’il donnait la puissance exprimée par ces paroles. Je ne suis pas de ceux qui regardent le Pontife romain comme le chef de l’Église, à moins peut-être que l’on ne semble le regarder comme le chef ministériel (le premier des ministres, des exécuteurs des ordres de l’Église). L’Église est mère et le Pape est fils. Il faut considérer comme une double Église ; l’une renferme les clercs et les laïques, l’autre les clercs seulement. C’est à la seconde qu’il appartient d’éclairer, de diriger, de corriger la première… Elle ne peut errer… C’est à elle qu’a été donné l’exercice de la puissance sur tous les fidèles et sur le Pape lui-même… Elle peut l’excommunier… Aussitôt que s’ouvre le Concile, le Pape a un supérieur, etc.
§4 Combattue par les archevêques de Palerme et de Milan
Le Panormitain [Tedeschi, archevêque de Palerme] prit soin de rappeler au théologien de Paris, qui paraît bien ne pas l’admettre, qu’il y a une hiérarchie dans l’Église des clercs. Après avoir constaté que la majorité des prélats était opposée à la définition des trois prétendues vérités, il déclara hautement que toute l’autorité du concile résidait dans les évêques ; les clercs d’un ordre inférieur, disait-il, n’ont que voix consultative et nullement décisive ; l’on ne saurait supporter qu’au mépris des évêques, ils décrètent ce qui leur plaît.
§5 Comment ils qualifient l’assemblée
Il s’échauffa au point d’appeler le concile une cohue d’écrivailleurs ; c’était un crime et une honte pour l’archevêque d’Arles de vouloir conclure avec trois évêques en titre contre tous leurs collègues16.
L’archevêque de Milan fut encore plus véhément : il accusa l’archevêque d’Arles de stipendier une troupe d’écrivailleurs et de pédagogues, et de tout conclure avec eux ; il l’appela un autre Catilina, refuge de tous les hommes sans ressources et perdus de réputation ; il était leur chef et c’est avec eux qu’il gouvernait l’Église. Dans une affaire de la plus grande importance, il n’avait aucun égard aux grands prélats, ni aux ambassadeurs des grands princes17.
§6 Stupéfiante réplique du président, Louis Allemand
13Voici comment, d’après Piccolomini, le président, l’archevêque d’Arles, répondait à ses adversaires :
D’après le Panormitain, disait-il, quand la majorité des évêques n’a contre elle qu’une minorité de prélats, ce n’est pas d’après la multitude des clercs qu’il faut prendre une décision. Le Panormitain devrait se rappeler que notre manière de procéder n’est pas d’aujourd’hui ; le Concile l’a adoptée dès le commencement et s’y est toujours tenu. Dans un concile ce n’est pas, ainsi qu’il le prétend, à la dignité des Pères, mais à la raison qu’il faut avoir égard. Un évêque parfois ignorant et sans science ne doit pas s’indigner… si le suffrage d’un prêtre pauvre, mais intelligent, est préféré au sien… La sagesse s’abrite sous un chétif manteau beaucoup plus souvent que sous de pompeux vêtements.
La coutume seule a rendu les évêques supérieurs aux prêtres ; une coutume contraire peut la faire disparaître. Le souvenir de Constance est tout récent ; je n’étais ni évêque ni cardinal, je n’étais que docteur. J’ai vu que sans la moindre difficulté les prêtres décidaient avec les évêques des points les plus ardus… Où en serait le Concile si seuls les évêques avaient eu voix délibérative ?… Les évêques auxquels seuls le Panormitain accorde le droit de suffrage, voyez combien en petit nombre ils sont parmi nous18.
§7 Aveux
Jean de Ségovie, l’émule de Courcelles, dit que la prétention des évêques renversait tout le concile, qui s’était ouvert avec le seul abbé de Vézelay.
Les trois propositions subversives furent déclarées vérités de foi, le 16 mai 1439, par la cohue de clercs qui vient d’être dépeinte, contre la majorité des évêques présents. Les révoltés avaient de leur côté vingt porte-mitres, la plupart étaient des abbés mitrés qui furent nombreux au prétendu concile.
§8 Sentence de déposition contre Eugène IV
L’attentat fut consommé le 25 juin. La cohue prétendit déposer le vertueux Eugène IV, qu’elle n’appelait plus que Gabriel, comme contumace, violateur des saints canons, notoirement perturbateur de la paix, schismatique, errant dans la foi, hérétique, pour ne citer que les qualifications qui se lisent dans la sentence de condamnation de la Vénérable Jeanne. Il est dit que l’on appliquera les peines de droit. C’était abandonner le vertueux pontife au bras séculier et au bûcher.
Trois ou quatre cents clercs se permirent cette scélératesse. Ils n’avaient que sept évêques titulaires de leur côté. Ce qui faisait dire au célèbre Nicolas de Cusa que le droit canon exigeait douze évêques pour condamner un 14évêque, et que sept évêques avaient prétendu déposer un Pape19. On savait les raisons peu honorables qui les avaient précipités dans la révolte.
§9 Foudroyante réponse du Concile de Florence aux attentats de Bâle
Le concile de Florence répondait dix jours après, le 6 juillet 1439. La Constitution Lætentur cæli et terra, qui annonçait au monde la réunion de l’Église d’Orient à l’Église d’Occident, se terminait en définissant que, dans la personne du bienheureux Pierre, au Pape a été confié par Jésus-Christ plein et entier pouvoir de paître, gouverner et administrer l’Église universelle.
Le 4 septembre, la constitution Moyses foudroyait tout ce qui s’était fait à Bâle avec les artisans de tant de désordres : même avant la translation, ce fut une officine de nouveautés, de déviations, de déformations sans nombre et de maux graves, à l’infini20. Les auteurs, engeance monstrueuse, étaient avec leurs fauteurs et défenseurs, des hérétiques, des schismatiques, dignes des châtiments de Coré, Dathan et Abiron.
§10 Élection burlesque du pseudo-Félix V
L’assemblée dans laquelle, d’après la constitution Moyses, tous les démons semblaient s’être donné rendez-vous, continua son œuvre sacrilège et burlesque. Trois prêtres, parmi lesquels Courcelles, conférèrent à 29 membres, prêtres ou évêques, le droit de choisir un Pape. Réunis en conclave, dans un édifice bâti pour être une salle de bal, ils élurent pour Pape un laïque, Amédée de Savoie, le joyeux solitaire de Ripailles. En élisant un prince apparenté à la plupart des princes de l’Europe, ils espéraient attirer les princes, ou tout au moins s’appuyer d’un prince. C’était la remarque d’Allemand :
Considérez, disait-il, à quelles extrémités nous sommes réduits. Lequel des princes obéit à notre concile ? Les uns ne le tiennent pas pour un concile et ne reçoivent pas nos décisions. Si les autres disent de bouche que nous sommes un concile, leurs actes montrent que le concile est réuni à Florence21.
§11 Raisons de ce choix
Admettre la légitimité des sessions qui ont précédé la translation à Ferrare serait admettre que juridiquement les forcenés pouvaient pousser l’œuvre jusqu’où ils l’ont poussée.
Qui donc avait altéré à ce point les notions de l’Église, et donné tant de force à une erreur, qui renversait de fond en comble l’œuvre de Jésus-Christ ? Un coup d’œil rapide sur l’histoire de l’Université de Paris à partir du grand schisme, spécialement à partir de la mort du pseudo-Clément VII, 15montre que c’est au sein de cette Université que l’erreur prit consistance, par elle qu’elle grandit, et fit courir à l’Église un de ses plus grands périls. Mais avant de donner cette esquisse, il faut faire une rectification dont nous sommes redevable aux auteurs du Cartulaire, et montrer qu’elle ne fait que confirmer notre thèse : Les ennemis les plus acharnés de la Pucelle furent les ennemis les plus acharnés de la Papauté.
Citons le passage incriminé.
16Chapitre 2 Érard, Évérardi, Courcelles, également ennemis de la Pucelle et du Pape
Si Courcelles fut l’âme du concile, Érard en fut le père, écrit M. Ayroles ; mais Érard n’alla jamais au concile, et Thomas Courcelles y siégea seulement à partir de 1433, et ne fut pas l’âme du concile avant 1437.
En note :
Guillaume Érard a été confondu jusqu’à nos jours avec Guillaume Évérardi,
et le lecteur est renvoyé à la liste des maîtres qui ont pris part au procès de la Pucelle, nos 77 et 98. Il y est dit qu’Évérardi n’a paru qu’une fois au procès, le 3 mars, et qu’il n’y a pas pris la parole. J’espère démontrer qu’au lieu de deux ennemis acharnés du Pape et de la Pucelle, nous en avons trois, et qu’Évérardi ne le cède pas aux deux autres en haine pour la Libératrice.
I
§1 Érard, différent d’Évérardi
C’est vrai ; avec du Boulay, Launoy, le procès de réhabilitation, Quicherat, j’avais fait un seul personnage d’Érard le faux prêcheur du cimetière Saint-Ouen, et d’Évérardi, que du Boulay nous montre à Bâle comme le principal des députés de l’Université durant les cinq premières années.
17C’est une erreur. Contemporains, tous deux du diocèse de Langres, tous deux portant le même prénom de Guillaume, les manuscrits eux-mêmes ont donné lieu à une confusion aujourd’hui enfin dissipée par les savants paléographes.
§2 Tous deux ennemis de la Pucelle et ennemis du Pape
Qu’Érard fût l’ennemi acharné de la Pucelle, les insultes dont il l’accabla le 24 mai, ses suffrages, le montrent suffisamment ; mais qu’il le fût également du Saint-Siège, et qu’à ses yeux, l’Université de Paris fût la suprême autorité, cela ressort de la même séance. Au prêcheur qui la somme d’abjurer ses erreurs, Jeanne répond, en s’en rapportant encore une fois au Pape. Cela ne suffit pas, répond Érard :
— Il faut que vous vous soumettiez à notre mère sainte Église, et que vous teniez ce que les clercs et gens en ce connaissant ont dit et déterminé de vos dits et faits22.
Ces clercs et gens en ce connaissant étaient uniquement les maîtres de Paris, les seuls qui aient condamné Jeanne. C’est le même Érard qui, au milieu du tumulte de la même journée, présentait à Jeanne la cédule d’abjuration à signer. Au rapport de l’appariteur Massieu, Jeanne disait :
— Que les clercs voient la formule et me disent si je dois la signer.
— Signe de suite, répondait Érard, sans quoi tu seras brûlée aujourd’hui même23.
§3 D’après Érard, l’Université de Paris supérieure au Pape et à Rome
Ce n’était pas la première fois qu’Érard mettait ainsi l’autorité de l’Université au-dessus de celle de Rome. Dans un différend avec l’évêque de Paris, le recteur, l’inquisiteur avaient d’un commun accord décidé que l’affaire serait portée devant le Saint-Siège. Érard, alors procureur de la nation de France, était absent. Il sollicite un nouvel examen ; il fait rapporter la première décision par les considérations suivantes :
L’honneur du roi et du royaume demande que pareille question soit traitée en France et à Paris ; car, à Paris, se trouvent en plus grand nombre qu’à Rome ou dans aucune autre ville de la Chrétienté, les excellents maîtres et docteurs en droit divin et en droit canonique24.
La présence d’Érard à Rouen, le 24 mai, m’avait fait différer jusqu’à la fin de mai l’arrivée des députés de l’Université. Les auteurs du Cartulaire me relèvent justement et affirment qu’ils y étaient arrivés le 9 avril ; ce qui prouve qu’ils y ont attendu plus longtemps que je ne le croyais que le concile sortît de son état d’embryon ; il n’en était guère sorti lors de la première session, le 14 décembre ; il ne comptait qu’une dizaine de mitres, la plupart mitres d’abbés.
§4 Érard n’a pas pu accompagner Cauchon en Champagne en 1430
18Lié intimement avec Pierre Cauchon, Érard, nous disent nos contradicteurs, partit avec lui en Champagne en 1430. Ils se trompent à leur tour d’au moins un an. Jeanne d’Arc avait rendu la Champagne française en 1429. C’est sans doute pour la conserver à l’Anglais que Cauchon était à Reims le jour de la Fête-Dieu, le 27 mai 1429, et portait le Saint-Sacrement à la procession ; mais, dit le chanoine Cocaut :
Il devait dire adieu à sa patrie pour jamais25.
Quatre jours après il était à Châlons, dont il était depuis longtemps archidiacre (non résident), et l’année suivante il était remplacé dans cette dignité par Jean de Gribouval26.
§5 Combien Érard était Anglais
Érard était avec Cauchon au congrès d’Arras, où, contrairement aux légats du Pape, il encourageait les Anglais dans leurs inacceptables prétentions par cette dure parole : Mieux vaut terre foulée que terre perdue.
Cet ennemi de la Pucelle et du Saint-Siège mourut chez ses chers Anglais en 1439.
II
§1 Évérardi
Évérardi est loin d’avoir joué dans le procès le rôle si effacé que lui attribuent les auteurs du Cartulaire. Nous savons par Cauchon lui-même qu’aussitôt après la prise de la Pucelle, l’Université et le vice-inquisiteur demandèrent que la Pucelle fût mise en jugement, et cela avec la plus grande instance27.
§2 Il a ouvert les poursuites contre Jeanne ; avec quel emportement et quelle insistance
La lettre par laquelle le vice-inquisiteur Billorry joignait ses instances à celles de l’Université est datée du 26 mai, et la Pucelle avait été prise à Compiègne le 23 sur les six heures du soir. La nouvelle, d’après le greffier du Parlement, ne serait arrivée à Paris que le 2528. Bedford n’était pas à Paris. L’Université a-t-elle pu dans un si court espace de temps être convoquée, se réunir et délibérer sur les termes de la lettre au duc de Bourgogne ? Il ne le semble pas. En tout cas, si le recteur ne l’a pas écrite de lui-même, sûr d’être l’interprète de la corporation, il a dû faire grande diligence. Or, quel était ce recteur ? Évérardi lui-même29, qui a eu ainsi la première initiative du procès contre la Vénérable, comme il devait l’avoir de la guerre de l’assemblée de Bâle contre Eugène IV. L’impétuosité de 19vautour avec laquelle il se jette sur la Vierge montre que c’était une proie qu’il guettait depuis longtemps.
Le duc de Bourgogne, comme le prouvent les lettres de l’Université remises par Cauchon, le 14 juillet, ne répondit pas à cette demande précipitée. Évérardi voulut que de nouvelles instances marquassent la fin de son rectorat. Il finissait le 23 juin ; le 22, il y eut une assemblée générale aux Mathurins pour des lettres au roi sur le fait de la Pucelle30. Que ce fussent les lettres à Jean de Luxembourg et au duc de Bourgogne, remises par Cauchon sous les murs de Compiègne, le 14 juillet, comme cela est très probable, ou que ce fussent avec ou sans ces lettres, des lettres au conseil royal d’Angleterre, puisqu’elles avaient la Pucelle pour objet, le sens ne saurait en être douteux ; c’était afin de presser la poursuite ; Évérardi, comme recteur, en a la première responsabilité.
§3 Combien significative sa présence à Rouen dans les premiers jours de mars
La présence d’Évérardi à Rouen, le 3 mars, est loin d’avoir l’insignifiance que lui attribuent les auteurs du Cartulaire. Le 3 mars est le jour fixé pour l’ouverture du Concile de Bâle, pour lequel la nation de France a élu Évérardi comme son représentant depuis le 27 octobre 142931, c’est-à-dire depuis plus de seize mois. Pourquoi n’y est-il pas et pourquoi laisse-t-il seul l’abbé de Vézelay ? Pourquoi n’y a-t-il aucun des cinq députés de l’Université ?
C’est que ce même jour, 3 mars, tous, excepté Fiévé, qui y vient quelques jours après, sont à Rouen. Denys Sabrevois s’y trouve depuis le 24 février, et n’a manqué aucune séance. Évérardi, Lami, Canivet, au lieu d’aller à Bâle, se sont détournés sur Rouen, et les quatre assistent à la séance du 3 mars. Ce n’est pas une séance ordinaire ; c’est comme une sorte de séance de récapitulation ; aussi toute la semaine qui suit est-elle consacrée à des délibérations privées dans la maison de Cauchon sur les réponses obtenues et la marche à suivre désormais, afin d’échafauder une condamnation que vraisemblablement l’on espérait prononcer le 3 mars. Mais il faut citer le procès-verbal.
Le dimanche qui a suivi immédiatement, le 4 du susdit mois de mars, et les jours d’après, lundi, mercredi, jeudi, vendredi, Nous, évêque (c’est Cauchon qui parle), avons convoqué dans notre demeure à Rouen, plusieurs solennels docteurs, maîtres et juristes en droit divin et ecclésiastique ; nous avons fait recolliger tout ce que Jeanne avait avoué en jugement, les réponses qu’elle avait faites ; nous en avons fait extraire les points sur lesquels ses réponses avaient été plus défectueuses, et sur lesquels elle devait être ultérieurement interrogée. Après 20cette récollection et ces extraits soigneusement opérés, nous avons conclu, d’après le conseil et l’avis des doctes, qu’il fallait procéder à des interrogations ultérieures. Nos diverses occupations nous exposant à des absences, nous avons constitué maître Jean Fontaine, licencié en droit canon… pour interroger à notre place ladite Jeanne ; nous lui avons donné cette commission en présence des docteurs et maîtres Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Pierre Maurice, Thomas de Courcelles, Nicolas Loyseleur et Guillaume Manchon32.
§4 Les députés de l’Université à Bâle aiguisent leur langue contre la Pucelle avant de la tourner contre le Pape
Ce n’était donc pas assez des six maîtres distingués mandés de Paris à Rouen pour être l’âme de l’indigne procès, il faut que les boutefeux de la guerre au Pape à Bâle viennent à Rouen participer à leur œuvre. Il n’est pas douteux, à notre avis, qu’ils n’aient pris part à ces délibérations privées qui ont duré six jours. Les auteurs du Cartulaire disent qu’Évérardi n’a pas parlé au procès ; mais le procès est rédigé au nom de Cauchon, qui est censé parler du commencement à la fin ; c’est à peine si, dans les quinze premières séances, l’on mentionne deux ou trois interrogateurs, encore que nous sachions par les témoins que les tortionnaires se coupaient mutuellement la parole, et fondaient en escouade sur l’innocente jeune fille.
Les ambassadeurs de l’Université à Bâle ne se sont pas trouvés à l’ouverture du Concile si ardemment sollicité, parce qu’ils devaient aiguiser leur langue contre la Pucelle avant de la tourner contre le Vicaire de Jésus-Christ. Évérardi, qui avait si promptement commencé les poursuites, n’a pas dû garder le silence ; il pouvait repartir avec ses collègues ; il laissait Beaupère, Midi, Loyseleur, Courcelles et d’autres qui exécuteraient le plan, et, l’œuvre finie, viendraient, la plupart, faire avec eux la guerre au Pape, et s’y distingueraient, Courcelles surtout.
III
§1 Courcelles
Les savants auteurs me reprochent d’avoir dit que Courcelles, le bras droit de Cauchon à Rouen d’après Quicherat, fut l’âme de l’assemblée de Bâle. Il ne le fut, disent-ils, qu’à partir de 1437.
§2 S’il a pu être l’âme du concile même avant 1437
S’il poussa avec tant d’ardeur les conséquences les plus violentes, les plus extrêmes des doctrines émises dans les sessions précédentes, il n’est pas douteux qu’il n’ait également poussé de toutes ses forces à émettre les prémisses. Or, quoiqu’il fût jeune encore, il est certain qu’il exerçait la plus grande 21influence dans la corporation. Recteur à vingt-six ans (22 mars 1426), cette suprême dignité lui est conférée encore en 1430 (octobre-décembre). Il en profite pour faire adresser, par la corporation, des reproches à Cauchon sur sa lenteur à mettre la Vénérable en jugement, des instances au roi d’Angleterre pour que sans retard le procès commence33.
Quicherat va jusqu’à comparer sa position parmi ses collègues à celle de Gerson34, sans doute avant 1418. Il est incontestable qu’on lui confia, malgré sa jeunesse et avant son doctorat, les charges les plus honorables. Or, d’après un contemporain bien digne de foi dont il sera parlé plus loin, Boniface Ferrier, frère de saint Vincent Ferrier, l’Université, quoique constituée sous le régime le plus démocratique, et peut-être à cause de ce régime, était menée par trois ou quatre grammairiens, que suivaient la tourbe des écrivailleurs et des pédagogues, dont nous ont parlé les archevêques de Palerme et de Milan. Appartenant à la turbulente Faculté des arts, puisqu’il n’était pas encore docteur, pareille dénomination semble convenir à Courcelles, non moins qu’à Évérardi, qui fut maître des grammairiens. Les communications étaient fréquentes entre les maîtres restés à Paris et les collègues présents à Bâle, et les premiers leur transmettaient, quelquefois bien impérieusement, leurs avis et leurs exhortations. Courcelles pouvait par là exercer une influence prépondérante.
S’il n’y a été délégué en ambassadeur attitré qu’en 1433, il y est passé en 1432, à son retour d’une ambassade à Rome, dont il était le chef. Il y était encore le 16 avril. Or le 29 avril, c’est la troisième session. Elle est empreinte d’une telle insolence contre le Pape et la cour romaine que dès lors, d’après saint Antonin, ce n’est plus un Concile, mais la synagogue de Satan35. Serait-il téméraire de soupçonner que le passage du jeune chef de l’ambassade aurait contribué à pousser les esprits à ces extrémités ?
§3 Présenté comme tel par des auteurs de grand mérite
Quoi qu’il en soit, par le mot âme de l’assemblée
, nous avions pensé traduire et résumer l’expression de Sponde, qui l’appelle :
le principal artisan des décrets de Bâle36 ;
De Piccolomini :
Personne ne dicta autant de décrets dans le Concile que Thomas Courcelles ;
De Quicherat, qui nous dit :
qu’il en fut la lumière (Luciférienne), et qu’il y dicta une à une toutes les libertés gallicanes ;
Et s’ils avaient été imprimés, les mots suivants, du 22R. P. Denifle lui-même :
Thomas de Courcelles, quoique à peine licencié en théologie, tint la première place dans le Concile et troubla tout37.
§4 Ce qu’il faut penser de sa modération et de son désintéressement
On a vanté la modération et le désintéressement de Courcelles. La manière injurieuse dont à Bâle il parle des adversaires de ses théories révolutionnaires, les nombreux bénéfices, même incompatibles38, c’est-à-dire à charge d’âmes, que cumula cet ennemi très acharné des annates et autres revenus de la cour de Rome39, prouvent que ces éloges sont immérités.
Les coryphées parmi les ennemis de la Vénérable sont les mêmes que les coryphées de la guerre déclarée au Saint-Siège. Les rectifications demandées par les auteurs du Cartulaire ont fourni l’occasion de corroborer une thèse très importante, émise pour la première fois, croyons-nous, dans la Pucelle devant l’Église de son temps. Il y a toujours profit à fréquenter les vrais savants.
23Chapitre 3 L’Université de Paris à l’occasion du grand schisme se pose comme la suprême autorité dans l’Église
24I
§1 La thèse d’après les aveux mêmes du R. P. Denifle
Si les actes de l’assemblée de Bâle sont une suite d’actes schismatiques et subversifs de la constitution de l’Église, c’est un pareil jugement qu’il faut porter des actes de l’Université de Paris durant les trente ou quarante ans qui ont précédé cette assemblée. Nous avons entendu Allemand réclamer pour les simples clercs le droit de juger à l’encontre des évêques, de prononcer même la déposition du Pape, parce que, disait-il, ils avaient la science. C’est à pareil titre que l’Université de Paris réclamait la suprême autorité doctrinale dans l’Église, et prétendait la diriger ; elle se disait l’Église en vertu de cette figure [synecdoque] qui fait que dans le langage ordinaire la partie la plus éminente d’un tout se prend pour le tout lui-même.
Le R. P. Denifle résume ainsi ses prétentions durant cette période :
Ses maîtres, — dit-il, — prétendaient que la voix universelle proclamait que la vérité catholique avait établi son siège dans la Faculté de théologie de Paris… Les docteurs de Paris ont pour mission principale de discerner ce qui est vrai, ce qui est faux en matière de foi ; les prélats sont chargés de mettre en sentence (sententialiter definire) ce qui a été discuté et déterminé par les docteurs40.
Et encore :
Les maîtres qui entreprirent de mettre fin au schisme crurent que les docteurs de l’Université de Paris étaient dans le corps de l’Église, comme la raison, qui dicte la conduite à tenir, distingue ce qui est mal, ce qui est bien ; que les prélats étaient comme la volonté, qui a pour fonction propre d’exécuter, et de définir avec autorité ce que les docteurs avaient discuté et déterminé dans les écoles, que par suite il appartenait à l’Université de Paris d’admonester le Pape, les prélats, le roi, les princes et les fidèles41.
25D’après Gerson, — dit toujours le savant archiviste du Vatican, — c’est à l’Université de Paris de juger si le gouvernement de l’Église est conforme à la doctrine, et il appelle ses maîtres les coadjuteurs du Pape42.
§2 Dès 1383, l’Université intime à la Chrétienté que le pseudo-Clément est le vrai Pape
L’Université, après avoir d’abord adhéré au vrai Pape Urbain VI, avoir oscillé sous la pression du pouvoir civil, après avoir vu nombre de ses maîtres les plus distingués la déserter pour ne pas devenir schismatiques, finissait par se courber ; et, en 1383, adressait à tous les fidèles du Christ un manifeste, dans lequel elle signifiait que Clément était le vrai Pape. Elle y énumérait ses titres à être crue sur parole, en termes d’une telle superbe que les auteurs du Cartulaire ne peuvent s’empêcher, après les avoir reproduits, de les ponctuer par cette exclamation : monstrum horrendum, horreur et monstruosité.
§3 Peu d’effet de cette déclaration
De telles rodomontades ébranlaient si peu ceux qui s’étaient attachés au vrai Pape que, même dans l’Université de Paris, la nation anglaise n’adhéra jamais aux antipapes d’Avignon, et qu’en 1388 l’Université d’Heidelberg refusait de reconnaître les grades conférés par l’Université de Paris, comme conférés par des schismatiques ; elle aurait voulu qu’il fût interdit d’aller puiser le savoir à un foyer que n’éclairait pas le soleil d’un Pape légitime43.
§4 L’Université veut faire cesser le schisme par un moyen de son choix
Le soleil de toute la Chrétienté, disait Gerson, c’était l’Université de Paris44. L’Université, nous le verrons, se parait encore de semblable titre, alors que la décadence, commencée avec le grand schisme, en était arrivée à ce point que, de son aveu, ses écoles étaient presque désertes. Elle ne pouvait pas admettre que le soleil eût dévié. Ce fut, avec l’appât des bénéfices, pivot de l’existence, dit justement le R. P. Denifle, la cause qui ne lui fit voir que des Papes illégitimes dans les Papes de Rome, où Boniface succéda à Urbain VI le 2 novembre 1389. Les bénéfices étaient distribués en France par le pseudo-Clément. Ayant simoniaquement usurpé la tiare, son pseudo-pontificat fut le règne éhonté de la simonie. À sa cour les bénéfices se troquaient, se vendaient, étaient usurpés par les puissants, plus papes que le Pape lui-même, dit un de ses adhérents, Nicolas Clemengis. L’Université le voyait, elle voulait la fin du schisme, mais elle la voulait par des moyens de son choix, qu’elle prétendait imposer au reste de la Chrétienté, et au Pape même qu’elle proclamait légitime.
§5 Manière étrange dont elle recherche ce moyen
Le soleil n’a pas de lumière à emprunter aux astres secondaires. C’est 26ce qui explique comment, au lieu de s’entendre avec les autres Universités et les autres contrées de la Catholicité, l’Université de Paris crut qu’il lui suffisait de concentrer ses rayons pour connaître le moyen de faire cesser la néfaste division.
C’est, ce semble, l’explication de l’étrange mesure par laquelle, en janvier 1394, elle invitait tous ses suppôts à déposer, dans une urne cadenassée au cloître des Mathurins, un écrit dans lequel ils indiqueraient le moyen le plus propre à mettre fin à la division. On y trouva plus de dix mille cédules. D’après le religieux de Saint-Denis, quatorze professeurs de théologie, dix-huit professeurs de droit canon, vingt-deux maîtres ès arts, un plus grand nombre, d’après le Père Denifle, furent chargés du dépouillement des avis de ces conseillers improvisés. Il ne semble pas qu’un seul ait donné le conseil que faisait alors arriver avec beaucoup de modestie l’Université de Cologne : mettre de côté les informations erronées de la première heure et les passions de parti qui avaient donné naissance au schisme, et se soumettre à Boniface IX, dont la légitimité ne présentait pas l’ombre d’un doute à l’Université rhénane. Le conseil ne fut pas goûté45.
§6 Pourquoi elle ne veut pas même examiner les titres des Papes de Rome
Il aurait fallu avouer que le soleil animé de la Chrétienté avait dévié, et s’était efforcé d’entraîner les autres astres hors de la carrière. L’Université de Paris n’était pas capable de pareil aveu. Elle s’arrêta promptement à la voie de cession ; les deux contendants devaient s’effacer, celui qui avait le droit de son côté comme l’intrus ; la déviation du beau soleil de la Chrétienté était ainsi dissimulée. L’Université de Paris a poursuivi cette voie avec une irréductible opiniâtreté, a émis pour l’imposer des doctrines, s’est portée à des actes, qui devaient produire dans l’Église une anarchie qu’on n’avait pas connue jusqu’alors.
§7 Mort du pseudo-Clément
Le 16 septembre 1394, quatorze ans jour par jour après Charles V, une attaque d’apoplexie jetait au tribunal de Dieu celui que sainte Catherine de Sienne appelle si souvent dans ses lettres un démon, un antéchrist, et qui a été certainement un des plus grands fléaux de l’Église de Dieu, le pseudo-Clément VII. La violente colère dans laquelle le jetèrent les lettres de l’Université de Paris ne fut pas étrangère à pareille fin.
§8 Élection du pseudo-Benoît XIII
Dès le 28 septembre 1394, les pseudo-cardinaux lui donnèrent pour successeur le cardinal aragonais Pierre de Lune, le pseudo-Benoît XIII. Comme tous ses collègues, il avait juré d’employer tous les moyens pour faire cesser le schisme, la cession comprise, si elle était jugée nécessaire par la majorité des cardinaux. Il aurait cependant, paraît-il, observé que 27l’engagement était inutile, et que le Pape ne pouvait être lié que par l’obligation de rendre au plus tôt l’unité à l’Église46.
II
§1 Le pseudo-Benoît XIII reconnu légitime par l’Université
L’élection fut accueillie par la cour de France et l’Université avec une joie qui devait être de courte durée.
§2 Elle veut prématurément lui imposer la cession, voie généralement réprouvée par l’immense majorité de la Chrétienté
L’Université s’empressa de mettre en avant son moyen de faire cesser le schisme : la cession. Ce n’était pas pour se mettre sous la houlette du vrai pasteur Boniface IX, et s’adjoindre ainsi à la majeure partie de la catholicité. L’Université avouait que l’obédience romaine était la plus nombreuse, mais l’obédience opposée était la plus saine, disait-elle dans un long document où quelques pages plus loin elle trace de cette même obédience plus saine le plus noir des tableaux47.
Parlant en son nom, Pierre Leroy disait de Boniface IX qu’il avait de son côté non seulement la plus grande, mais la très grande partie de la Chrétienté ; et qu’elle était décidée à prendre les armes plutôt que de se le laisser arracher48. C’était sans s’être assurée que la cession serait agréée et par Boniface IX et par la majeure partie de la catholicité qui le suivait, par la partie même de l’obédience avignonnaise, qui ne reconnaissait pas l’autorité que s’arrogeait l’Université de Paris, qu’en mai 1395 une nombreuse ambassade de princes et une ambassade de l’Université venaient proposer la cession au pseudo-Benoît XIII.
§3 Refus de Benoît
Ce furent près de deux mois d’obsessions, de frauduleuses menées, cachant, sous des formes de prières, un commandement que l’Aragonais trouvait justement, croyons-nous, odieux et impropre à obtenir le but, tant que la cession n’aurait pas été préparée. Elle était loin de l’être :
À l’origine du schisme, — écrivait Boniface Ferrier, — et longtemps encore durant les années qui suivirent, presque toutes les Universités, tous les hommes instruits la condamnaient et la réprouvaient expressément ; ils la trouvaient très injuste, très périlleuse pour les élections à venir, inconnue dans l’Église de Dieu, comme il est facile de s’en convaincre49.
L’Université d’Oxford, dans un mémoire plein de verve, la repoussait hautement, 28réfutait vigoureusement les raisons mises en avant par les maîtres parisiens, non sans quelque ironie, et non sans leur donner des leçons de modestie50. Si le pseudo-Benoît a usurpé la tiare, il en a défendu les prérogatives contre ceux qui les anéantissaient, et voulaient faire du Pape leur docile porte-voix et l’exécuteur de leurs décrets. C’était la prétention de l’Université de Paris.
§4 Emportement de l’Université
Outrée de ce que celui qui, à ses yeux, était pourtant le seul et unique Pape, ne suivait pas la direction qu’elle voulait lui prescrire, l’Université de Paris se mit à le décrier dans les prédications et dans des libelles.
§5 Elle se conduit comme si Jésus-Christ lui avait remis les clés
Aux avertissements que Benoît fait entendre, elle répond par de nouvelles insolences. Dès lors se vérifie ce qu’écrit Boniface Ferrier :
Il est patent, — dit le vénérable Chartreux, — que c’est pour eux un principe indiscutable : toutes les fois que, justement ou injustement, un Pape fait contre eux ou contre la maison de France, quelque chose qui leur déplaît, il cesse d’être Pape. Ils engagent contre lui des procédures, des soustractions. Ils proclament que ces Papes sont des hérétiques et des schismatiques, se constituent leurs supérieurs et leurs juges ; portent leurs mains sacrilèges sur les biens ecclésiastiques… sèment par leurs écrits des impostures, des faussetés pour les décrier51.
C’est bien le résumé de la conduite de l’Université, entraînant à sa suite les évêques, la plupart ses suppôts, dans cette querelle dont nous ne pouvons que présenter sommairement la suite.
§6 Ce qu’elle dit être dans le plan divin
Dans un de ces factums, aussi chaotiques qu’insolents, envoyés à Benoît au nom du recteur, des doyens des quatre Facultés, des procureurs des quatre nations, de tous les docteurs, licenciés, bacheliers, étudiants de l’Université, il est dit :
De même que Dieu suscita Daniel pour défendre Suzanne, Matathias et ses fils contre Jason et Ménélas, de même, pour conserver à l’Église sa pureté, il a suscité l’Université de Paris, source intarissable de toute sagesse, vraie lumière de l’Église. Elle ne décline jamais vers le couchant, elle n’a jamais subi d’éclipse, c’est un miroir de la foi toujours net et poli, convexe et non concave ni anguleux ; pas un nuage ne l’obscurcit, pas un souffle ne le ternit. Il a suscité le sérénissime roi des Français, un soleil de justice, les illustres ducs et princes de la famille royale, étoiles fixes au firmament de l’Église, où elles brillent du plus vif éclat. Cette maison fut toujours à l’abri du schisme et de l’hérésie, elle n’a jamais favorisé les intrus ni les schismatiques…, et à l’aide de Dieu ne le fera jamais52.
C’est en ces 29termes qu’en 1396 l’Université en appelait au futur Concile. Benoît avait parfaitement raison de flétrir ce fatras comme attentatoire à la plénitude du pouvoir pontifical ; cela ne fit qu’aigrir la querelle.
§7 Soustraction d’obéissance, c’est-à-dire schisme
Elle aboutit à une première soustraction d’obéissance, nom inventé, dit fort bien Boniface Ferrier, pour déguiser celui de schisme, odieux à toute oreille chrétienne. Une ordonnance royale l’imposait à la date du 27 juillet 1398. Elle était surchargée de considérations théologiques, dont la simple lecture, s’il l’a faite, ne pouvait qu’affaiblir la tête du malheureux roi qui l’a signée, atteint qu’il était, depuis six ans, de son terrible mal.
§8 Débats qui la précèdent
La soustraction avait été précédée d’une discussion contradictoire dans une grande assemblée d’évêques et de prélats ; l’élite des théologiens de l’Université de Paris l’avait ardemment soutenue contre nombre d’évêques et de théologiens du Midi, qui s’y étaient fortement opposés. À l’objection très fondée que se soustraire à l’obéissance du Pape, c’était apprendre au peuple à se soustraire à l’obéissance du roi, l’un des plus renommés théologiens du temps, Pierre Plaoul, répondait entre autres choses : Les princes du siècle ne sont pas soumis aux lois ; le Pape est soumis à l’Église, qui peut lui imposer la cession lorsqu’il empêche ou trouble le bien des âmes53.
§9 Petit nombre de meneurs
Boniface Ferrier répète à plusieurs reprises que toutes ces affaires sont menées par trois ou quatre grammairiens, d’accord avec trois ou quatre prélats de renom, membres patents du diable, qui combinent secrètement leurs coups avec quelques puissants du siècle54.
§10 Violences pour imposer la soustraction
Dans son ordonnance, le roi disait ne pas nommer l’adversaire de Benoît, parce qu’il ne lui avait jamais obéi, et ne voulait ni ne devait lui obéir jamais55. On refusait d’obéir au Pape de Rome, à cause des criailleries des Romains à l’élection d’Urbain VI. Elles ne sont pas dignes de mention, comparées aux violences par lesquelles on s’efforça d’imposer, dans la branche schismatique, les décisions libellées sous l’influence universitaire.
Comme l’observe Boniface Ferrier, c’était la propagation de ce qu’ils appelaient soustraction, à la manière de la propagation de l’Alcoran, par le glaive. Défense très sévère de correspondre avec Benoît. Les Chartreux furent menacés d’être traités comme l’avaient été les Templiers56.
§11 Le pseudo-Benoît assiégé durant cinq ans dans son palais
Le pseudo-Benoît est assiégé durant près de cinq ans dans son palais d’Avignon par le frère du maréchal Boucicault. Les évêques, 30devenus papes dans leurs diocèses, en distribuent les bénéfices, au grand mécontentement de l’Université elle-même, qui suspend ses leçons, parce qu’on ne fait à ses suppôts qu’une minime part. L’anarchie est partout.
§12 Mécontentement du reste de l’obédience Avignonnaise
La sécession s’était faite au mépris d’une partie notable de l’obédience avignonnaise, des autres Universités, même de plusieurs maîtres de l’Université de Paris. Les Universités d’Orléans, d’Angers, de Montpellier, de Toulouse, alléguées comme ayant voulu la soustraction, protestèrent avoir toujours été d’un sentiment contraire57.
§13 Lettre de l’Université de Toulouse
L’Université de Toulouse composa sous forme de lettre un mémoire, vrai chef-d’œuvre de fond et de forme, dans lequel sont amplement exposées les prérogatives du Vicaire de Jésus-Christ, les maux innombrables de la sécession58.
§14 L’obédience rétablie
Les rois et princes, hors de la cour de France, n’aimaient pas davantage semblable état de choses. Ils disaient que mieux valait avoir un Pape, fût-il illégitime, que n’en avoir aucun59. Les députés de l’Université de Toulouse viennent avec les ambassadeurs du roi d’Aragon demander que l’on se remette sous l’obéissance de Benoît. Benoît avait dans le frère du roi, Louis d’Orléans, un appui plus puissant.
Le rusé Aragonais s’échappe de son palais, le 12 mars 1403. Tous ses pseudo-cardinaux qui, par crainte de perdre leurs bénéfices situés en France, l’avaient déclaré hérétique manifeste et hérésiarque, viennent gémir à ses pieds à Château-Renard, où il s’est d’abord réfugié. Louis d’Orléans, qui a de son côté la majorité des évêques, fait rétablir l’obédience par son frère, le 25 mai 1403 ; elle est imposée par une ordonnance du 30 mai 1403.
III
§1 Nouvelles divisions
L’Université de Paris accède, non sans tiraillements. Gerson est député pour faire acte de soumission à Benoît, qui entame avec Boniface IX des pourparlers interrompus par la mort de ce dernier. Son successeur, Innocent VIII (12 octobre 1404), continue à faire des avances pour la paix.
§2 Les causes
L’Université murmure de ce que Benoît demande aux bénéficiers 31pourvus durant la soustraction, de recevoir de lui des titres qui assurent leur valide et légitime possession ; ce qui, dans l’hypothèse qu’il était vraiment Pape, était élémentaire. Il veut prélever de plus les droits attachés à la collation de ces titres ; ce qui était, sinon injuste, au moins imprudent. Un de ses cardinaux, de Chalant, envoyé à la cour de France, profite du long délai qu’on lui impose avant de lui donner audience, pour attaquer dans des conversations privées l’Université qu’il représente comme un nid turbulent de gens de cervelle troublée, plus désireux de faire prévaloir leur sentiment que de travailler à la paix60. Dans la harangue qu’il fait, lorsque audience lui est donnée, il défend son maître en attaquant par des mots mordants les bavards qui le calomnient61.
§3 Fureurs de l’Université
L’Université comprit que c’était d’elle qu’il s’agissait.
Ce fut de la fureur ; de la fureur au conseil royal, au Parlement, auquel le conseil remet de statuer sur les multiples demandes qu’elle fait pour justifier la nouvelle soustraction qu’elle sollicite.
§4 Elle obtient que la lettre de l’Université de Toulouse sera brûlée
Une première victoire qu’elle obtient, c’est que l’original de la lettre des docteurs languedociens sera brûlé aux portes de Toulouse ; des copies le seront aux portes d’Avignon, Montpellier et Lyon. Une amende de mille marcs sera infligée à quiconque en sera le détenteur. L’on punira exemplairement l’auteur et le porteur62. Ce qui était beaucoup plus facile que de la réfuter.
§5 Les origines du Gallicanisme
Le 18 novembre 1406, soixante-quatre archevêques ou évêques, réunis à Paris, y délibèrent jusqu’en février 1407, avec une multitude d’abbés et de docteurs. D’après Raynaldi, ce serait l’origine de l’hérésie gallicane.
§6 Quelques motions de l’Université
Ne faudrait-il pas remonter plus haut ? N’est-elle pas dans l’Epistola pacis, qui aurait été composée dans les premières années du schisme ? Là, les pouvoirs du Pape sont assimilés à ceux du recteur dans l’Université. Le recteur tient tous ses pouvoirs de l’Université, et ne peut rien que par son consentement ; le Pape tient tous ses pouvoirs de l’Église. L’Église, ne pouvant pas toujours être réunie en Concile, a délégué les cardinaux en son lieu et place. Sans eux, disait plus tard un des coryphées de l’assemblée, Simon Cramaud, patriarche d’Alexandrie, le Pape n’est qu’un homme63.
§7 Théories pleinement subversives
Il y avait bien plus que l’hérésie gallicane, telle qu’elle a été soutenue dans la suite, dans la prétention de l’Université de Paris de décider au point de vue de la doctrine ce qui était vrai ou faux, au point de vue de la conduite ce qui était bien ou mal, de rendre des décisions que le Pape 32et les évêques n’avaient qu’à authentiquer et à mettre à exécution64.
Boniface Ferrier disait justement :
Les paroles de Notre-Seigneur sur l’universelle puissance du Pape sont périmées pour eux ; leur conduite dit que c’est à eux et non pas au Pape qu’il a été dit : Tout ce que tu lieras sur la terre, etc.65
Et encore :
Ils poussent la démence jusqu’à dire que la véritable Église est gallicane66.
Ils auraient dû dire parisienne, puisque, en dehors de l’Université de Paris, pareilles doctrines trouvaient, dans le Midi surtout, d’ardents contradicteurs.
L’Université parla haut dans l’assemblée de 1406. Elle aurait voulu que les partisans de Benoît XIII ne fussent pas même entendus, et que la soustraction fût prononcée immédiatement67. Plusieurs de ses orateurs non seulement le déclaraient schismatique et hérétique, mais regardaient comme une suprême ignominie de lui rendre obéissance. Les plus infâmes accusations, la plupart sans fondement, furent alléguées contre l’Aragonais, que l’on disait non seulement hérétique, mais encore hérésiarque68.
L’Université solennellement convoquée présentait au roi des propositions telles que celle-ci : Un Pape agissant contre son serment est notoirement hérétique, et doit être poursuivi comme tel ; c’est un mérite aux princes de poursuivre un Pape criminel avéré69.
Le doyen de Reims, Filastre, ayant dit que les Papes ne pouvaient pas être dépossédés par les princes, tandis que les Papes pouvaient déposséder les princes, en preuve l’élection de Pépin, excita une telle tempête qu’il fut obligé de se rétracter. Un docteur de Sorbonne, alors un des plus renommés, émit des doctrines diamétralement opposées :
Le Pape peut errer, l’Église ne le peut pas ; le diocèse de Rome n’est pas un autre diocèse que celui de Paris ; celui qui est promu à l’évêché de Rome est le président de l’Église universelle… Le roi peut convoquer un concile même dans les matières de la foi. Le pouvoir d’un Pape n’est que le pouvoir d’un ministre : le pouvoir du roi est un pouvoir d’autorité et de puissance70.
§8 L’Université arrache une ordonnance qui enlève à Benoît la collation des bénéfices
33L’assemblée, sous la pression de l’Université, obtint une ordonnance qui enlevait à Benoît la collation des bénéfices dans le royaume ; les prélats opposants, et particulièrement le duc d’Orléans, obtinrent qu’elle ne serait pas encore promulguée ; occasion de calomnies, d’injures, de satires et de libelles71.
§9 Négociations entre les deux contendants pour faire cession des deux côtés
Pendant que ces scènes se passaient à Paris, un Pape d’une éminente vertu montait sur le siège de saint Pierre. Ange Corrario devenait Grégoire XII en succédant le 30 novembre 1406 à Innocent VIII, mort le 6. Grégoire XII s’empressa de donner des gages de son amour de l’union en offrant à Benoît de se démettre du pontificat, si de son côté il renonçait à la tiare. Benoît reçut, au moins en apparence, cette ouverture avec joie.
L’affaire se traitait avec les envoyés du Pape de Rome, et était déjà fort avancée ; les deux compétiteurs s’étaient engagés à s’aboucher à Savone, le 29 septembre 1407, lorsqu’une très nombreuse ambassade partie de Paris, tout en protestant, et peut-être en ne voulant que faciliter l’union, vint tout compromettre et tout briser. C’est encore l’Université qui porta le trouble partout, et jeta dans une tempête plus terrible le vaisseau qui semblait toucher au port. Les préliminaires conclus entre les deux contendants portaient la joie dans tous les cœurs. L’on ne trouva des mécontents que parmi les universitaires qui leur donnaient une sinistre interprétation.
§10 L’ambassade française devant Benoît
L’ambassade partit pour Marseille, où se traitait l’affaire de la cession. Elle devait, dix jours après son arrivée, obtenir de Benoît une bulle de renonciation au pontificat, et en cas de refus, intimer la soustraction d’obéissance. L’Aragonais, encore qu’il connût ce qui s’était tramé à Paris et sût que l’ordonnance qui lui enlevait la collation des bénéfices était rédigée, quoique non publiée, reçut fort bien les ambassadeurs. Il s’engagea en plein consistoire à se démettre du pontificat ; mais il refusa d’en prendre l’engagement par écrit. Il trouvait injurieux pour la dignité pontificale, dont il revendiquait fort bien les droits, que l’on ne se contentât pas d’une parole publiquement donnée. Un engagement écrit semblerait un engagement extorqué, et par suite nul. À la menace que le roi se séparerait de son obédience comme d’un schismatique obstiné, il répondait non sans raison : Comment un roi de mon obédience pourrait-il me déclarer schismatique obstiné72 ?
Les ambassadeurs ne crurent pas devoir déclarer la soustraction d’obéissance. Les uns partirent pour Rome afin de traiter avec Grégoire, les autres restèrent auprès de Benoît 34pour le maintenir dans ses bonnes dispositions, tandis qu’un troisième groupe rentrait à Paris, où se rendait un ambassadeur de Grégoire.
§11 L’Université seule mécontente d’une concession de l’ambassade
La conduite des ambassadeurs reçut l’approbation générale, excepté au sein de l’Université, où ils furent traités de parjures et d’infâmes pour n’avoir pas intimé soustraction d’obéissance. La haine des brouillons se donna libre carrière. Déjà, en décembre 1406, l’Université avait déclaré et Grégoire et Benoît schismatiques et suspects d’hérésie, malgré les protestations de la nation d’Angleterre, qui avait affirmé son inébranlable fidélité au Pape de Rome, et qui reçut son envoyé avec de grands honneurs73.
§12 Ses menées et ses menaces
Les universitaires ennemis de l’union assiégeaient de leurs plaintes et le roi et les princes. Ils allaient jusqu’à menacer de suspendre leçons et prédications, si le roi ne publiait pas l’ordonnance qui enlevait à Benoît la collation des bénéfices. Charles VI obtint un sursis.
§13 Grégoire demande pour l’entrevue un lieu plus sûr que Savone ; ses raisons
Les Français, avec Gênes, possédaient aussi Savone, lieu fixé pour l’entrevue de Grégoire et de Benoît, le 29 septembre 1407. Grégoire fut averti par Venise et par ailleurs encore qu’un piège l’attendait, et qu’une fois aux mains des Français, il devrait subir leurs conditions. Saint Antonin pense que cet avis était fondé. Les violences dont l’obédience avignonnaise avait usé partout où elle avait été la maîtresse, même contre Benoît, quand il avait résisté aux injonctions parisiennes, n’étaient pas de nature à le rassurer. Le meurtre du duc d’Orléans, qui allait avoir lieu dans moins de deux mois, n’a pas dû faire croire à Grégoire qu’il avait cédé à des craintes sans fondement. Grégoire demanda qu’un lieu plus sûr fût assigné. Benoît se plaignit de ce que l’on revenait sur ce qui avait été arrêté ; ce ne fut pourtant pas au point de rompre les négociations.
§14 L’Université toute-puissante
L’Université était à l’apogée de sa puissance ; elle était étroitement liée avec le duc de Bourgogne ; l’un et l’autre avaient un ennemi commun. Le duc de Bourgogne voyait dans le duc d’Orléans, le frère du roi, un rival qui lui disputait le droit de gouverner, avec le roi dément, le royaume tout entier ; l’Université voyait dans le malheureux prince un partisan de Benoît qui paralysait les concessions qu’elle arrachait au roi. Elle allait fournir un apologiste à l’assassin ; serait-il téméraire de se demander si elle n’a pas renfermé dans son sein quelques conseillers du crime ? L’insolente réparation qu’elle exigeait et finissait par obtenir — il en sera parlé — du prévôt de Tignonville, précisément à cette époque, marque à quel point elle était jalouse de tout ce qui avait l’apparence d’une offense à sa dignité.
35On lit dans grand nombre d’histoires qu’il y eut collusion entre les deux contendants à la tiare pour se partager les honneurs du pontificat, et que ce fut la cause de la rupture de l’entrevue. C’est, croyons-nous, une injure imméritée à la mémoire de Grégoire XII, qui s’avança jusqu’à Lucques, et peut-être à celle de Pierre de Lune, qui a pu vouloir alors ce qu’il a refusé dans la suite. Ce qui se passa ne pouvait qu’exaspérer sa nature altière.
§15 Elle obtient une ordonnance fixant la soustraction au 15 mai 1408
L’Université profita de ces délais pour redoubler avec plus d’insistance ses demandes de totale soustraction. Elle arracha, en janvier 1408, une ordonnance qui l’imposait à tout le royaume ; mais, dit le Religieux, le roi obtint qu’elle ne serait publiée que le jour de l’Ascension, 15 mai, si Grégoire et Benoît n’en étaient pas venus à une entrevue74.
§16 Terrible bulle de Benoît au cas de la publication de l’ordonnance
Elle n’était pas effectuée à cette époque, mais Benoît avait aussi chargé ses armes. Une bulle foudroyante était rédigée pour le jour où la nouvelle soustraction serait publiée. C’était non seulement l’excommunication, mais l’interdit, et les sujets déliés du serment de fidélité vingt jours après la publication de la soustraction75 ; l’enseignement était interdit à l’Université de Paris.
Le 14 mai, un envoyé pontifical, Sanche Lupus, escorté par le chevaucheur Gonzalve, se présentait à la cour de France, et remettait une première et affectueuse lettre de Benoît, et ensuite une seconde, mais en ayant soin de fuir précipitamment. C’était la foudroyante bulle.
§17 Solennellement mise en pièces par le recteur de l’Université
Les plus fameux docteurs de l’Université demandent qu’il leur soit permis d’en faire justice. Le lundi 19, une assemblée convoquée au palais réunit le clergé et la noblesse dans ce qu’ils ont de plus éminent. Le recteur est sur une estrade en face du roi ; il désigne le docteur Courte-Cuisse pour parler au nom de l’Université. Ce fut une diatribe contre Benoît, que tout chrétien doit réputer schismatique et hérétique, lui et ses adhérents ; contre la bulle qui est inique et nulle. Le chancelier ratifie au nom du roi tout ce qui vient d’être dit. La bulle déployée est transforée par le canif des secrétaires, et jetée au recteur (projecerunt), qui la déchire en menues pièces.
§18 Violences de l’Université contre ceux qui ne partagent pas ses emportements
Sur la demande de l’Université, d’éminents personnages tels que l’abbé de Saint-Denis, des évêques tels que l’évêque de Gap, bien d’autres encore sont jetés en prison ; on les accuse, faussement, d’avoir eu connaissance des bulles, et de n’en avoir rien dit ; l’Université veut qu’ils soient condamnés comme coupables de lèse-majesté et fauteurs de schisme ; ils renouvellent vainement leurs appels 36soit à l’évêque de Paris, soit au Parlement. Les ordres du chancelier, qui veut qu’ils soient mis en liberté, sont méconnus.
Les jurisconsultes, adjoints aux maîtres ès arts et autres universitaires pour le procès des prisonniers, entrent en discussion avec les pédagogues étrangers à la procédure. Après quatre mois d’emprisonnement, la reine, revenant de Melun avec le dauphin, rend les prisonniers à la liberté, même avant de rentrer au Louvre. Ce ne fut pas la faute des pédagogues, si les prisonniers ne subirent pas l’ignominieux traitement des envoyés de Benoît, qui avaient été saisis dans leur fuite.
§19 Traitements sans nom infligés aux envoyés de Benoît
Ramenés à Paris, renfermés dans les prisons du Louvre, les envoyés en sont retirés pour être hissés sur le char aux ordures, coiffés de mitres de papier, revêtus de dalmatiques de toile noire sur lesquelles les armes de Benoît sont peintes renversées ; on lit parmi les inscriptions ignominieuses : Traîtres envoyés par un traître ; ils sont ainsi promenés dans les rues, exposés à la risée publique sur une estrade dressée dans la cour du Parlement.
§20 Discours orduriers contre le Pontife
Une seconde fois ils sont promenés dans le même accoutrement, et exposés de nouveau au pilori dans le parvis Notre-Dame. Un maître en théologie, prenant la parole, vomit contre Benoît des injures et des insultes telles que la vile populace aurait rougi de les prononcer. Encore que le religieux de Saint-Denis dise ne pas les rapporter par respect pour le lecteur, aucune plume n’oserait reproduire l’unique spécimen qu’il en donne. L’assistance se retira indignée, en disant hautement et justement que pareil discours était un opprobre pour l’Université entière.
Le sordide harangueur termina en publiant que Lupus était condamné à la prison perpétuelle, et son chevaucheur à trois ans de la même peine76.
Sur le conseil de l’Université, ordre immédiat avait été transmis à Boucicaut de se saisir de Pierre de Lune, qui n’était pourtant venu en terre française que muni d’un sauf-conduit. En prévision de semblable éventualité, l’Aragonais tenait la mer avec ses galères, d’où il gagna Perpignan.
IV
§1 Promulgation de la soustraction d’obéissance
Cependant, le 25 mai, dans une nombreuse Assemblée convoquée à Saint-Martin-des-Champs, le docteur Franciscain, Pierre-aux-Bœufs, avait publié, en la commentant, l’ordonnance royale qui déclarait que la 37France n’entendait se soumettre à aucun des deux contendants à la tiare.
§2 Ambassades pour la faire adopter par la Chrétienté
Des ambassadeurs envoyés dans les cours de l’Europe devaient engager les princes à publier la même soustraction d’obéissance, seul moyen efficace de donner un chef unique à la catholicité, disait-on77.
§3 Assemblée du clergé
Les prélats du royaume, convoqués à Paris, ouvraient dès le 10 août une assemblée qui durait jusqu’au 10 novembre. L’universel moteur dans l’Église de Dieu était momentanément supprimé ; il fallait aviser au moyen de le remplacer. De là de nombreux règlements. N’en citons qu’un. L’Université se rappelait que, lors de la précédente soustraction, les prélats, devenus distributeurs des bénéfices, s’étaient montrés parcimonieux vis-à-vis de ses suppôts.
§4 Le soin jaloux avec lequel l’Université sauvegarde ses intérêts
Elle obtint qu’une partie notable de ces bénéfices serait réservée dans chaque diocèse à ceux qui seraient inscrits sur le rôle transmis à chaque évêque. Une ordonnance royale vint exiger l’exécution d’une disposition chère entre toutes à l’Alma mater78.
§5 Ses délations et ses motions contre ceux qui sont rebelles à la soustraction
Sa fureur contre ceux qui n’entraient pas dans ses vues ne tombait pas. Après avoir fait entendre dans l’assemblée de vives plaintes de ce que l’on voyait dans les rues des fauteurs de Pierre de Lune, elle finit par en faire une liste.
§6 Ils sont nombreux et haut placés : Pierre d’Ailly, Gerson
Le recteur vint en donner lecture au sein de l’assemblée ; on y voyait les noms de l’archevêque d’Auch, des évêques de Saint-Pont, de Cavaillon, de Lavaur, de plusieurs cardinaux, des généraux des Frères Prêcheurs et des Frères Mineurs, de l’abbé de Saint-Saturnin de Toulouse et d’autres encore. Au jugement de l’Université, c’étaient autant d’hérétiques et de schismatiques qui, comme tels, devaient être privés de leurs bénéfices. L’assemblée ratifia cette décision79.
Pareille révolution n’était pas sans trouver de nombreux improbateurs parmi les personnages les plus graves. L’archevêque de Reims, Gilles de Roye, écrivit à l’assemblée qu’il ne reconnaissait ni la soustraction, ni la valeur de décrets qui n’émanaient pas de l’autorité de l’Église romaine. Il invitait l’assemblée à se rendre à Perpignan, où Benoît avait convoqué un Concile pour le 1er novembre. Ce fut un grand déplaisir pour l’assemblée, et l’Université obtint qu’il serait cité à comparaître. Il répondit que, premier pair du royaume, il n’avait à répondre que devant le roi.
Jean de Luxembourg avait reçu l’ordre d’appréhender Pierre d’Ailly, évêque de Cambrai, opposé lui aussi à la soustraction. Averti à temps, le prélat se sauva par la fuite80.
Gerson fit une déclaration par laquelle, tout en s’engageant à se conformer 38à ce qui serait arrêté par le roi et le conseil royal, il improuvait que Benoît fût traité de schismatique et d’hérétique ; il ne l’était pas. Il se faisait fort de prouver que les accusations portées contre le Pontife devaient se retourner contre ceux qui les émettaient. Lui, Gerson, n’a jamais permis que de si graves imputations fussent soulevées dans l’Université ; si elles s’y produisaient en sa présence, il les combattrait en son nom et au nom de ses adhérents. La soustraction d’obéissance est, à ses yeux, pleine de périls81.
§7 Concile de Perpignan
Benoît ouvrit son Concile à Perpignan le 1er novembre. En France, l’on se saisissait de ceux qui devaient traverser le pays pour s’y rendre. L’assemblée eut, d’après Boniface Ferrier, plus d’importance que l’on ne lui en attribue généralement. C’est une preuve de la résistance que trouvaient les impétueuses décisions de l’Université ; mais elle était parvenue à brouiller les choses au point de rendre impossible la réconciliation de Grégoire et de Benoît. Par elle, le désordre qu’elle prétendait faire cesser allait être porté à son comble.
V
§1 Double ambassade aux Cardinaux de Grégoire
La soustraction à peine déclarée, une double ambassade, celle du roi et celle de l’Université, était partie à peu de jours de distance pour solliciter les cardinaux de Grégoire qui avaient quitté Rome à la suite du Pape. Il s’agissait de les détacher de leur maître et de leur persuader de s’unir aux cardinaux de Benoît, pour créer un nouveau Pape.
Les ambassadeurs français furent puissamment secondés par Balthazar Cossa, qui ne pardonnait pas à Grégoire d’avoir voulu lui enlever la légation de Bologne, qu’il administrait en tyran.
§2 Détachés de leur Pape, s’unissent aux Cardinaux de Benoît
La création par Grégoire de quelques cardinaux, faite contre le serment de n’en nommer que du consentement du Sacré-Collège, servit de prétexte à la défection. Les cardinaux romains s’unirent à ceux d’Avignon, qui pour la seconde fois abandonnèrent celui qui les avait faits ce qu’ils étaient, ou qu’ils avaient eux-mêmes élevé à la tiare.
§3 Tous sont deux fois excommuniés
Les uns et les autres étaient excommuniés, et par le Pape de l’obédience qu’ils abandonnaient, et par le Pape de l’obédience opposée.
§4 Assemblée de Pise
Ils n’en convoquèrent pas moins un prétendu Concile à Pise pour le 25 mars 1409. Rien ne fut omis pour qu’il fût le plus nombreux possible. L’Université de Paris y fut largement représentée, puisqu’un de ses 39envoyés écrivait que dans une congrégation de cent vingt membres, quatre-vingts étaient de ses suppôts.
Grégoire et Benoît avaient été cités ; ils envoyèrent des députés qui ne furent pas entendus, ou le furent pour la forme seulement. Boniface Ferrier, l’un d’eux, nous dit qu’il ne fit pas sans péril acte de présence. Les deux contendants à la Papauté furent déclarés schismatiques et hérétiques.
§5 Élection d’Alexandre V
Du conclave de ces cardinaux excommuniés par les chefs de l’une et l’autre obédience, sortit, le 26 juin, l’élection de celui qui en créait une troisième. C’était l’archevêque de Milan, le Franciscain Pierre de Candie, qui prit le nom d’Alexandre V.
L’Université de Paris avait prôné à tous les vents qu’imposer la cession aux deux rivaux était le moyen de réunir la Chrétienté sous un seul chef. La Chrétienté en compta trois au lieu de deux. Chacun d’eux eut ses partisans. Si Grégoire XII eut moins de chefs d’État, saint Antonin assure qu’il comptait beaucoup d’adhérents parmi ceux qui dans les deux autres obédiences étaient censés appartenir à celui des rivaux dont le prince avait adopté le parti. Vrai Pape, croyons-nous avec le saint et docte Dominicain, il ralliait autour de lui implicitement tous ceux qui, dans cette nuit si profonde, voulaient adhérer au Pape que Dieu savait être le Pape légitime, et ils étaient nombreux.
§6 Comment il provoque les colères de l’Alma Mater
Alexandre V n’était pas seulement élève de l’Université de Paris ; il y avait enseigné, non sans éclat. Et cependant, même avant d’avoir quitté Pise, il s’était attiré ses colères. Par une bulle en date de cette ville du 12 octobre, il avait renouvelé en faveur des Ordres mendiants les privilèges concédés par ses prédécesseurs, et condamné des erreurs déjà condamnées, telles que la proposition suivante de Jean de Pauliac :
Dieu même ne pourrait pas autoriser un fidèle à se confesser à un autre prêtre qu’à son curé sans le consentement de ce dernier82.
L’exaspération des maîtres parisiens fut au comble. La Faculté de théologie déclare la bulle intolérable, une source de confusion dans la hiérarchie. Gerson l’attaque en pleine chaire de Notre-Dame. D’après le célèbre chancelier, c’est manifestement à l’Université de Paris qu’il appartient de juger du mouvement qui doit être imprimé à l’Église. Cela regarde spécialement la Faculté de théologie, mais à divers points de vue les autres Facultés ; cela regarde même la Faculté des arts en tant qu’elle enseigne la philosophie morale, qui doit être conforme à la théologie83.
§7 Sa mort
Cependant Alexandre V, qui, en quittant Pise, avait été contraint d’aller se fixer à Bologne, y mourut le 4 mai 1410, non sans laisser peser des 40soupçons de poison sur Balthazar Cossa, qui lui succédait le 17 mai, sous le nom justement honni par l’histoire de Jean XXIII.
§8 Jean XXIII cherche vainement de gagner les bonnes grâces de l’Université
Le nouveau Pape savait de quelle importance il était de se concilier l’Université de Paris. Il envoie l’archevêque de Pise lui porter, avec ses bénédictions, de nouveaux privilèges en matière bénéficiale pour ses suppôts, et une bulle qui déclare non avenue la bulle de son prédécesseur en faveur des Ordres mendiants ; il devait, en retour, demander l’appui de l’Université contre ses deux rivaux, et le prélèvement sur le clergé des droits accoutumés, afin de poursuivre leur expulsion…
§9 Manière insolente dont elle accueille ses faveurs et ses propositions
La bulle de révocation pure et simple de celle d’Alexandre V ne suffit pas aux maîtres parisiens ; ils auraient voulu qu’elle en eût annulé, irrité les dispositions qui subsistaient déjà avant d’être renouvelées par Alexandre ; l’Université signifia, en maîtresse impérieuse, mal servie par un valet maladroit, que les deux bulles lui déplaisaient84.
Ce fut encore avec beaucoup plus d’emportement qu’elle dénia au Pape tout droit sur les biens ecclésiastiques, ne lui reconnaissant que celui de faire appel, dans un besoin pressant, au bon vouloir du clergé. Elle écrivit aux autres Universités de faire corps avec elle pour repousser pareille prétention, engagea les bénéficiers à se saisir des collecteurs s’ils se présentaient, à braver les censures et à en appeler au futur Concile général.
Le légat, dans une séance du conseil royal à laquelle assistaient des membres de l’Université, ayant soutenu que le droit divin, canonique et civil accordait au Pape le droit de faire des prélèvements sur les biens ecclésiastiques, souleva une tempête de toute violence. On prétendit que les envoyés pontificaux, par semblable doctrine, insultaient l’Université, le roi, le royaume. On parla de les emprisonner ; ils prirent la fuite sans faire leurs adieux85.
VI
§1 Réflexions de Boniface Ferrier sur l’état de l’Église au commencement de 1412
Armagnacs et Bourguignons se combattaient, et les deux partis avaient fait ou allaient faire appel à l’étranger. Jeanne d’Arc naissait dans cette nuit de tout côté si profonde, le 6 janvier 1412. Boniface Ferrier écrivait son traité, daté du 7 janvier 1412. Il a été déjà cité plusieurs fois ; empruntons encore quelques assertions à ce témoin d’une probité exceptionnelle, intimement mêlé aux événements. Encore que le hideux spectacle lui inspire une indignation qui force parfois la note, l’on ne peut pas lui imputer d’inventer les faits auxquels il a été personnellement mêlé.
§2 Renversement de sa divine constitution
41Nous l’avons entendu dire que tout était mené par trois ou quatre grammairiens, d’accord avec trois ou quatre prélats, membres patents du diable, et qu’à leurs œuvres l’on dirait que c’est à eux qu’il a été dit : Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel. N’est-ce pas ce qui ressort des faits qui viennent d’être exposés ?
Le R. P. Denifle nous dit que les théologiens de Paris portaient trop haut leurs crêtes86. Ne faut-il pas dire qu’ils étaient plus que schismatiques, qu’ils étaient hérétiques, renversaient complètement la vraie notion de la constitution de l’Église ? La foi à l’Église et au Pape a péri, chez eux, répète Boniface Ferrier à plusieurs reprises.
Ils sèment sur le pouvoir du Pape et de l’Église des erreurs et des hérésies, dont plusieurs ont déjà pénétré chez les Chartreux, et au moment où j’écris, — ajoute-t-il, — elles jettent de plus profondes racines87.
Paroles très dignes de remarque. Ce n’est pas seulement chez les Chartreux que l’hérésie faisait et allait faire des progrès. Elle allait infecter d’autres Universités ; la notion de la constitution de l’Église bâtie tout entière sur Pierre, notion si bien exposée dans la lettre de l’Université de Toulouse, de l’Université d’Oxford, dans les ouvrages des docteurs scolastiques des XIIIe et XIVe siècles, la plupart élèves, maîtres dans l’Université de Paris, cette notion allait s’obscurcir dans une foule d’esprits pour des siècles.
§3 Progrès de l’erreur
De l’Université de Paris, qui les avait soutenues, appliquées durant les années dont on vient de voir l’esquisse, ces erreurs et ces hérésies s’insinuèrent dans d’autres Universités. L’Université affectait vis-à-vis d’elles l’autorité d’une sœur aînée et d’une sœur impérieuse. De fait, les premiers maîtres de ces nouveaux foyers de savoir étaient souvent sortis de son sein, et presque toutes avaient reproduit son organisation. Quoiqu’en pleine décadence, l’Université de Paris jouissait toujours d’un grand prestige, même auprès de celles qui alors comptaient des maîtres supérieurs aux siens.
Jamais elle ne revendiqua l’hégémonie avec la hauteur qu’elle y mit à cette époque. Toute-puissante auprès du roi, elle frappait par le pouvoir civil des coups qui avaient nécessairement leur retentissement en dehors du royaume, 42comme lorsqu’elle faisait assiéger dans son palais le faux Benoît, sans avoir l’assentiment des autres parties de l’obédience. Par ses doctrines et par ses actes, elle portait la perturbation dans les esprits et les âmes. Au rapport de Boniface Ferrier, le peuple, après l’élection d’Alexandre V, disait à Gênes :
Les Français, dans l’espace d’un an, nous ont dotés de trois Papes pleins de vie ; ils ont une caisse pleine de Papes et ils les en tirent quand ils veulent88.
§4 Un quatrième Pape
De fait, le grave Chartreux raconte qu’à Perpignan un cardinal de Benoît (qu’il ne tarda pas à abandonner), lui communiquant une mesure illicite, il lui avait observé que la conséquence serait de faire un troisième Pape notoirement intrus ; le pseudo-cardinal lui aurait répondu :
— Peu importe, pourvu que nous en ayons un, fût-il un antipape. On y remédiera ensuite.
Un autre lui aurait dit :
— Qu’importe le nombre ? qu’importe de faire un troisième ou quatrième Pape, autant que l’on voudra ? Une fois que l’on a commencé, il n’y a pas de difficulté89.
Ferrier prédit qu’il se fera un quatrième Pape ; et si, à Constance, Jean XXIII avait pu échapper aux poursuites de Sigismond, tout porte à croire que l’on aurait vu ce nouveau scandale.
L’on ne manquait pas de plumes savantes prêtes, moyennant finances, à justifier toutes les innovations.
L’Université de Paris, — dit Ferrier dans une ironie hyperbolique, — a plein pouvoir de dispenser au sujet de l’Écriture Sainte, de l’interpréter, d’en faire des applications à sa guise ; c’est ainsi qu’elle a fait passer deux des péchés capitaux, la gourmandise et la luxure, au nombre des œuvres de miséricorde, et qu’elle est en train d’y greffer l’avarice et l’orgueil90.
Parfaitement d’accord avec le R. P. Denifle, qui nous a dit que l’acquisition des bénéfices était le pivot de l’existence des gradués, Boniface Ferrier dit de son côté :
La mesure de la foi, ce sont les bénéfices. Pour les acquérir, les conserver et les accroître, l’on n’imaginerait pas un mal qu’ils ne soient disposés à commettre91.
Les emportements de leur lubricité dépassent ceux des bêtes92.
Il parle ainsi des hauts dignitaires, spécialement des pseudo-cardinaux. C’est là qu’en était l’obédience dont l’Université de Paris fit la force. Ainsi était justifié ce que sainte Catherine avait dit des cardinaux qui avaient élu Robert de Genève :
Des démons ont choisi un 43démon.
Et Boniface Ferrier appartenait à cette même obédience ; ce qui doit rendre encore moins suspect un tableau, dont sa vertu et la position qu’il occupait à la cour du pseudo-Benoît nous garantissent la vérité. Les erreurs et les hérésies enfantées par l’Université s’implantent en ce moment plus profondément, fortius convalescunt, écrivait-il en 1412. L’assemblée de Constance en donna la preuve.
44Chapitre 4 Les doctrines schismatiques de l’Université de Paris de l’ouverture de l’assemblée de Constance à celle de Bâle
I
§1 Double sentiment de Jean XXIII se rendant à Constance
L’assemblée de Constance s’ouvrit le 1er novembre 1414. Jean XXIII était entré dans la ville le 28 octobre, partagé entre la crainte que lui inspirait Sigismond, sous la main duquel il allait se trouver, et l’espérance que l’assemblée le délivrerait de ses deux compétiteurs : Grégoire et Benoît. Cette espérance semblait d’autant plus fondée que son obédience seule avait répondu à la convocation. Il devait promptement la perdre.
§2 Le mode des délibérations de l’assemblée calqué sur celui de l’Université de Paris
Telle était l’idée que l’on se faisait de l’Université de Paris, que le 45mode traditionnel des délibérations et des votations fut changé pour être calqué sur celui de l’École parisienne. L’assemblée se partagea en quatre nations, et il fut arrêté que les suffrages se prendraient par nations, au lieu d’être comptés par têtes. Jean XXIII et les prélats protestèrent inutilement contre une innovation qui enlevait aux assemblées plénières de l’Église le caractère cher entre tous au cœur du Maître : l’unité. Pris par tête, le suffrage montre que dans le royaume du Christ il n’y a ni Juif ni Gentil ; ni Grec, ni Barbare. La division par nation tend à y établir les divisions et les susceptibilités des royaumes terrestres.
§3 Le droit de suffrage concédé aux simples clercs
Une altération plus profonde fut le droit de suffrage accordé aux clercs gradués, et même à de simples laïques. Il fut hautement revendiqué par Pierre d’Ailly, qui non seulement défendit cette thèse par la parole, mais composa encore plusieurs traités à cette fin.
§4 Les raisons alléguées
Si dans le passé l’on ne voit pas de simples clercs intervenir par leurs votes dans les décisions des Conciles généraux, c’est, dit-il, que les Universités n’étant pas encore fondées, il n’y avait pas de docteurs ; mais depuis leur fondation, l’on crée des docteurs en théologie et en droit canon. Il serait absurde de les exclure du droit de suffrage concédé, parce qu’ils sont abbés ou évêques, à des hommes souvent fort ignorants. Le Concile de Constance est la continuation de celui de Pise ; or à Pise l’on n’a pas établi cette distinction parmi les assistants93.
C’est bien la théorie des intellectuels de nos jours, émise par un des personnages réputé avec Gerson le premier théologien de l’époque dans la célèbre Université ; comme si le grade constituait le savoir, et comme si docteur était toujours synonyme de docte. Boniface Ferrier avait raison de dire que l’Université de Paris avait pouvoir de changer les Écritures ; elle en retranchait le Posuit nos episcopos regere Ecclesiam Dei [Il nous a fait évêques pour gouverner l’Église de Dieu.].
§5 Jean XXIII jure la cession
L’assemblée, qui se donnait comme la continuation de celle de Pise, commença par ébranler la seule œuvre que celle de Pise avait accomplie. Elle avait créé une troisième tige pontificale représentée par Jean XXIII. Les continuateurs de Pise exigèrent que Jean XXIII s’engageât à renoncer au pontificat, sitôt que Grégoire et Benoît feraient cession. Jean XXIII sembla s’y prêter sans répugnance ; il en fit le serment solennel le 2 mars 1415, d’après une formule dont du Boulay attribue la rédaction définitive aux envoyés de l’Université de Paris. Il ne tarda pas à prouver que ce n’était là qu’une feinte pour mieux échapper à la surveillance de Sigismond. S’il y était parvenu, tout porte à croire que la prédiction de Boniface Ferrier se serait réalisée. On aurait eu un quatrième Pape.
§6 Il s’enfuit
46Le 20 mars au soir, il sort de Constance déguisé en palefrenier, dans le dessein de passer en Italie ; et en attendant se réfugie à Schaffhouse sous la protection de Frédéric, duc d’Autriche.
§7 Ses protestations contre le Concile : ce n’est pas un concile
De là, tandis qu’il s’efforce de tromper les envoyés de l’assemblée, il écrit à Charles VI, au duc de Bourgogne, au duc d’Orléans :
Ce que l’on appelle un Concile, dit-il, n’en mérite pas le nom ; c’est un grand scandale dans l’Église ; le mode de votation par nation est inconnu dans la tradition ; il n’y a aucune liberté ; des sifflets accueillent les propositions qui déplaisent ; c’est le Vicaire de Jésus-Christ qui donne l’être au Concile, dat esse Concilio ; et il y était prisonnier94.
Balthazar Cossa espérait avoir passage par les États du duc de Bourgogne. Frustré dans son attente, il erre de ville en ville, et finit par être livré par Frédéric ; il est enfermé dans une forteresse. Menacé de voir étaler en pleine assemblée sa vie de crimes et de turpitudes, il s’abandonne à la clémence du soi-disant Concile, qui le dépose le 29 mai 1415.
§8 L’assemblée menée par l’Université de Paris
Une lettre des députés de l’Université de Cologne à leurs collègues nous apprend que ce sont les maîtres de Paris qui mènent l’assemblée. Ils écrivent :
L’Université de Paris est très avant dans les affaires de l’Église ; elle est très écoutée. Dans les cas ardus, on a coutume de réunir ses docteurs et ses maîtres, qui sont au nombre de deux cents et plus, et de conclure d’après leur avis95.
§9 Instructions transmises de Paris
Ceux qui étaient à Paris ne restaient pas étrangers à ce qui se passait à Constance. Entre autres lettres, voici comment ils relevaient le courage de l’assemblée après le départ de Cossa :
L’autorité de ce Concile est telle que quiconque, sciemment, cherche directement ou indirectement à le dissoudre, ou à annuler son autorité, est suspect de schisme, bien plus, d’hérésie. De quelque état qu’il soit, il peut être cité pour avoir à se justifier du cas de schisme et d’hérésie. L’on peut et l’on doit dire que l’autorité de ce sacré Concile réside dans les prélats, dans les docteurs et autres personnes lettrées qui resteront en permanence dans le sacré Concile, fussent-elles en petit nombre96.
On chercherait bien vainement dans la Tradition trace de pareils oracles ; mais quoi d’étonnant que celle qui, d’après Boniface Ferrier, s’attribuait de changer les Écritures, eut moins de respect encore pour la Tradition ?
§10 Quelques propositions de Gerson
L’on peut en dire autant de plusieurs des douze propositions avancées 47par Gerson après la fuite de Balthazar Cossa97 ; et Bernard Gentien, un des maîtres alors les plus en renom de l’Université de Paris, fut plus excessif encore, dit Mgr Hefele98.
§11 Définition de la supériorité du Concile
Ce fut au milieu de cette confusion d’idées que, dans les troisième et quatrième sessions, furent votées les fausses doctrines de la supériorité du Concile sur le Pape, doctrines destinées dans la suite à un si funeste retentissement, et point de départ du latrocinium de Bâle. Elles le furent, malgré l’opposition de plusieurs cardinaux, par la seule obédience de Jean XXIII, et lorsque ce Pape légitime ou non, illégitime selon nous, avait fui une assemblée qu’il appelait le scandale de la Chrétienté.
§12 L’Université veut établir un antagonisme constant entre le chef et les membres
La constante préoccupation de l’Université de Paris fut à cette époque d’établir entre le Pape et le Concile, ou ce qu’elle appelait de ce nom, un antagonisme monstrueux, puisqu’il est celui de la tête et des membres. Il éclate d’un bout à l’autre dans une série de propositions qu’elle envoya à l’assemblée de Constance, et que l’assemblée n’adopta pas.
§13 Ses propositions à ce sujet
En voici seulement quelques-unes :
L’Église est supérieure au Pape ; car elle est plus nécessaire, plus excellente, plus digne, plus honorable, plus forte que le Pape.
Institué par l’élection de l’Église, ou de ceux qui la remplacent, le Pape tient sa suprême puissance de l’Église dont il est le ministre, encore que cette puissance, ainsi que toutes les autres, vienne principalement de Dieu.
Le Christ, époux de l’Église, lui a conféré, avec beaucoup d’autres dons, les clés du royaume du ciel… Ce n’est pas du Pape que l’Église tient les clés du royaume du ciel ; c’est le contraire, le Pape tient de l’Église ces mêmes clés…
L’Église, convenablement représentée, peut en bien des cas user des clés remises par le Christ entre ses mains, pour juger, corriger, et même, s’il y a juste cause, déposer le Pape, ainsi que tout autre membre de l’Église.
Le Pape est l’exécuteur de la puissance conférée à l’Église99.
Comme l’Université de Paris prétendait bien être, sans discussion possible, la partie la plus éminente de l’Église, il s’ensuivait, selon la remarque de Boniface Ferrier, que c’était à elle que les clés de l’Église avaient été remises. Les actes qui viennent d’être rappelés, et ceux qu’il 48nous reste à indiquer, démontrent que dans la pratique elle se dirigeait d’après ce délire d’orgueil.
L’Université de Paris s’était si mal trouvée de la collation des bénéfices par les évêques, qu’elle s’efforça longtemps d’en maintenir la distribution au Pape. Ainsi la nation d’Angleterre écrivait de Paris à son envoyé de résister, par tous les moyens possibles, à ceux qui voulaient faire passer la collation des bénéfices entre les mains des prélats100 ; mais par une étrange anomalie, elle voulait enlever au Pape les revenus qu’il percevait sur cette collation, tels que les annates. La nation de France à Constance s’efforça, sans y réussir, d’entraîner les trois autres dans cette voie.
§14 Inculpations contre Rome retournées contre l’assemblée
Or voici ce que l’on peut lire dans un mémoire, en réponse aux objections des trois autres nations :
Si l’on reconnaît l’Église romaine comme la suprême souveraine et maîtresse de toutes les autres, c’est à cause des vertus et des mérites de ceux qui jadis la gouvernèrent ; mais la fin ne correspond pas au commencement101.
Ce ne sont donc pas les promesses de Jésus-Christ à saint Pierre, ce sont les vertus de saint Pierre et de ses successeurs qui ont créé les privilèges de l’Église romaine. Boniface Ferrier avait raison de dire que l’Université de Paris s’arrogeait le pouvoir de changer le sens de l’Écriture.
L’on reproche à l’Église romaine d’être déchue de la vertu de ses fondateurs. Ce n’était certainement pas à Constance que la vertu s’était réfugiée. Ce n’est pas le lieu de citer, même en latin, certains textes qui nous disent quelles créatures accoururent à Constance, les mœurs qui régnaient parmi les ecclésiastiques. Ils confirmeraient celui de Boniface Ferrier qui a été reproduit plus haut.
C’est Pierre qui a reçu le pouvoir de tuer les bêtes impures qui souillent l’humanité. Elles étaient figurées par ces animaux qui lui furent présentés dans un vaste linge mis sous ses yeux, et dont il lui fut dit : tue et mange, c’est-à-dire après les avoir débarrassées de leur venin, communique-leur tes vertus. La Papauté anéantie comme elle l’était presque dans l’obédience avignonnaise, ce sont les souillures païennes qui gangrènent un clergé sans chef ; et l’autre obédience se ressentait immensément de la paralysie causée au vrai chef par un si redoutable antagonisme.
§15 Grégoire XII convoque le Concile et se démet
49Le vrai chef, pensons-nous avec saint Antonin, était le très vertueux Grégoire XII. Cossa mis de côté, il pensa que le moment était venu de faire cette cession qui avait toujours été dans ses intentions. Il la fit dignement.
Le cardinal de Raguse, de l’Ordre de Saint-Dominique, le bienheureux Jean Dominici, fut chargé de venir comme son légat remettre sa renonciation au Concile. Il commença par le convoquer au nom de celui qui l’envoyait, et par lui conférer tous les pouvoirs nécessités par le situation de l’Église ; il lut ensuite l’acte par lequel Grégoire XII redevenait Ange Corrario. Ceci se passait le 4 juillet 1415.
§16 Inutiles efforts auprès de Pierre de Lune
Restait l’Aragonais Pierre de Lune, le pseudo-Benoît. L’ambassade la plus solennelle peut-être que mentionne l’histoire, puisque l’empereur Sigismond était à sa tête, vint le solliciter, à Perpignan, de mettre fin aux déchirements de l’Église. Plusieurs mois de pourparlers ne purent pas triompher de son obstination ; saint Vincent Ferrier et son frère Boniface détachèrent de lui par leurs prédications l’Aragon et les autres contrées, que leur autorité n’avait pas peu contribué à maintenir sous son obédience. Il ne resta plus à l’ambitieux vieillard que le rocher de Péniscole, sur lequel il se réfugia et où il mourut en 1424.
§17 Élection de Martin V
Raconter ce qui se passa au Concile convoqué par Grégoire XII n’est pas de notre sujet102. Le 11 novembre 1417, l’assemblée portait sur la Chaire de saint Pierre le cardinal Othon Colonna, qui prit le nom de Martin V.
§18 En quels termes il approuve le Concile qu’il dissout
Le 22 avril 1418, il mettait fin au Concile en approuvant les décrets en matière de foi rendus conciliariter et non aliter, expression vague qui sauvait les droits de la vérité, sans rallumer des querelles qu’il fallait éteindre.
II
§1 Tergiversations de la cour de France pour le reconnaître
C’était en s’appuyant sur l’infortuné Charles VI que l’Université avait fait son jouet du pseudo-Benoît, créé une troisième tige papale. Il était assez naturel que la cour n’entendît pas que le titulaire en fût dépossédé sans son intervention. Aussi quand l’assemblée de Constance eut donné connaissance de la déposition de Jean XXIII, le dauphin, duc de Guyenne, qui gouvernait durant la maladie de son père, adressa-t-il à l’Université, 50qui avait sollicité une audience dans un motif d’ailleurs louable, ces sévères paroles :
Vous avez voulu vous mêler de choses qui étaient au-dessus de votre pouvoir et de votre rang, et il en est résulté beaucoup de dommages et d’embarras pour le royaume. Qui vous a rendus assez téméraires et assez hardis pour déposer le Pape sans notre assentiment ? Vous pourriez à ce compte travailler à l’expulsion de Mgr le roi et des princes ; ce que nous ne souffrirons pas103.
Le jeune prince constatait ainsi la part prépondérante de l’Université dans la déposition de Balthazar Cossa, l’effet de ses tumultueux agissements, prévoyait ce à quoi ils devaient conduire, en même temps qu’il revendiquait pour le pouvoir civil une autorité qui ne lui appartenait pas, mais que l’Université avait immensément contribué à lui attribuer durant les années qui ont été esquissées.
Elle s’était servie du bras séculier pour faire prévaloir ses arbitraires décisions ; le bras séculier allait graduellement s’appesantir sur elle et en faire sa servante. Un premier essai eut lieu au sujet de l’élection de Martin V.
§2 Pourquoi l’Université se montre plus empressée
La cour tarda à reconnaître l’élection, qui ne fut officiellement fêtée qu’en avril 1418. Défense avait été faite de la proclamer avant qu’elle en eût fait connaître la légitimité. L’Université, tout en s’abstenant de démonstrations extérieures, n’attendit pas les décisions du conseil royal ; dans ses assemblées particulières elle reconnut que l’élection était valide ; elle envoya même au nouveau Pape le rôle pour les bénéfices. Elle était d’autant plus empressée, qu’à son grand déplaisir, la cour songeait à attribuer aux évêques la nomination aux bénéfices, conformément à l’ordonnance rendue en 1408, lors de la seconde soustraction. Des réunions se tenaient à ce sujet et préparaient l’ordonnance de la fin de mars. L’Université ne voulait pas de cette disposition. La mort de deux frères aînés avait fait passer le titre de dauphin au duc de Touraine, le futur Charles VII. Durant les accès du mal de son père, il gouvernait sous le titre de lieutenant-général.
§3 Admonestations à l’Université
Le 26 février 1418, une solennelle audience est accordée à l’Université, en présence d’une nombreuse assemblée de prélats, de haute noblesse, sous la présidence du dauphin. Le premier président du Parlement, où se tenait l’assemblée, reproche sévèrement à l’Université de transgresser l’ordre du roi en s’occupant de l’élection de Martin V.
C’était la première fois que la fille du roi était ainsi admonestée par un magistrat. Le recteur ordonne à maître Rodolphe Delaporte de parler au nom de 51l’Université. L’orateur se plaint de ce qu’on viole les privilèges de l’Université, notamment en transférant aux prélats la nomination aux bénéfices. Le procureur général, Guillaume Le Turck, réplique que le roi est empereur dans son royaume, et tient de Dieu seul le pouvoir de le gouverner ; personne n’a le droit d’appeler de ses sentences ; en appeler est un crime de lèse-majesté.
§4 Les premiers actes du Parlement contre l’Université
Quand il eut fini de parler, le dauphin ordonne de conduire en prison le recteur, l’orateur et tous ceux qui l’avouent comme ayant exprimé leur pensée. Les prisonniers ne furent délivrés qu’après de nouvelles admonestations, et avoir protesté que leur intention n’était pas d’en appeler du roi au Pape104. C’était un premier pas, en attendant que le roi, dont elle avait outré les pouvoirs au détriment de la Papauté, mît sous la main des magistrats celle qui, comme fille du roi, ne pouvait être reprise que par son père.
§5 Conduite de Martin V vis-à-vis de l’Université
Martin V savait combien il importait, pour ne pas renouveler le schisme, de ménager l’Université de Paris. Il s’efforça de se l’attacher par des bienfaits, et ferma les yeux sur des procédés et des doctrines qu’il n’aurait pu réprimer qu’en courant au-devant d’un mal pire. C’est ainsi qu’il accrut ses privilèges et ne lui refusa aucun des titres d’éloges que lui donnaient ses prédécesseurs alors qu’elle les méritait. Il lui recommandait, en retour, de déployer en faveur du Saint-Siège un zèle proportionné aux faveurs qu’elle en recevait.
§6 Impertinence de l’Université vis-à-vis de Martin V
À part les actes du commencement du Pontificat dont on vient de voir le motif intéressé, l’on ne voit pas comment elle pouvait justifier ce qu’elle répondit, qu’elle n’était pas en retard ; elle prend vis-à-vis du Pontife des airs de mentor jusque dans les suppliques obséquieuses par lesquelles elle sollicite des faveurs. C’est ainsi que demandant au Pontife de confirmer l’élection de Nanton au siège de Sens, elle lui dit :
Très Bienheureux Père, l’autorité des saints Conciles est si grande qu’il n’est pas de classe d’hommes qui ne doive s’y attacher fermement. Il n’y a pas sur la terre de puissance égale ; pas d’institution, pour grande et excellente qu’elle soit, qui ne soit régie par celle des saints Conciles. Les saints Conciles sont émanés de la source d’où sont émanés la loi divine, la foi orthodoxe, les saints Livres, tous les dons conférés à l’homme… Aussi n’est-il pas douteux que le Saint-Siège Apostolique gardera dans toute leur rigueur les décrets des Conciles généraux, et en particulier du Concile de Constance, qui en confiant la chaire de saint Pierre à Votre Sainteté, lui en a aussi imposé les obligations. Elle gardera surtout les constitutions qui regardent le gouvernement général de l’Église, 52parmi lesquelles la confirmation des élections légitimes tient une importante place. C’est par la voie du Saint-Esprit que le chapitre de Sens a choisi Jean de Nanton, etc.105
§7 Son ingérence dans les élections qualifiée de voie du Saint-Esprit
Il semble que le Saint-Esprit ne pouvait pas se passer de l’intermédiaire de l’Université de Paris, puisque le R. P. Denifle écrit :
Jamais autant qu’à cette époque l’Université ne s’entremit pour faire promouvoir aux évêchés et aux abbayes des hommes objets de ses faveurs106
§8 Monitrice de toutes gens
Les élections étaient légitimes lorsqu’elles étaient faites par suite de ses pressantes interventions, telles qu’on en verra au livre suivant un spécimen pour l’élection de Cauchon au siège de Beauvais.
Elle revendique en propres termes le rôle de monitrice universelle, sans excepter le Pape. Elle écrit à Martin V :
Puisque c’est notre vocation d’exciter l’attention de tous les mortels, il nous faut prendre le rôle d’exhortateurs107.
§9 Mouvements qu’elle se donne pour l’ouverture du Concile de Sienne
C’était à propos du Concile indiqué à Pavie au bout de cinq ans par le Concile de Constance. Dans cette lettre, encore que les maîtres parisiens avouent que beaucoup blâment les récents Conciles comme une source de nouveautés, ils n’en pressent pas moins la tenue du Concile indiqué. Sans doute pour satisfaire à leur vocation d’universels moniteurs, ils écrivent à l’empereur, aux cardinaux, pour recommander ce même Concile.
§10 Le Dominicain Jean de Raguse
Ils avaient trouvé pour agir à Rome un auxiliaire qui leur vint d’un camp d’où sortaient leurs plus redoutables adversaires. Le dominicain Jean de Raguse, après avoir étudié et enseigné à Paris, avait adopté les idées de l’Alma mater. L’Université, si défiante des réguliers, porta celui-là aux nues ; elle l’envoya à Rome pour presser la tenue du concile de Pavie.
Il raconte lui-même comment durant quatre mois, non sans l’indignation du Pape et de beaucoup d’autres, il ne négligea ni les écrits publics, ni les instances auprès des plus influents personnages, pour amener la tenue du concile108.
§11 Étrangetés dans les doctrines et la constitution du Concile de Sienne
Le 25 mars 1423, Martin V faisait partir ses légats pour Pavie, où le concile s’ouvrait le 22 avril, mais, à cause de la peste, était bientôt transféré à Sienne.
L’on y renouvela tous les errements de Constance : divisions et votes par nations, voix délibératives aux curés, aux gradués en théologie jusques et y compris les bacheliers formés, aux gradués en médecine, 53pourvu qu’ils fussent dans les ordres sacrés, à tout clerc au moins sous-diacre, réputé idoine et utile109.
On y avança les doctrines les plus subversives de la constitution de l’Église et les plus fantaisistes. Un Franciscain, Guillaume Josselme, disait aux applaudissements de la nation de France :
La sainte Vierge avait deux époux : le Saint-Esprit, auquel elle obéissait ; saint Joseph, auquel elle commandait ( ! ! !) ; de même l’Église a deux époux : le Saint-Esprit, auquel elle obéit ; le Pape, auquel elle commande. Le Pape est gouverné par l’Église. C’est par l’Église qu’il est enseigné dans les choses de la foi, et dans tout ce qui regarde le salut.
Les légats ordonnèrent de poursuivre le moine comme un hérétique, les Siennois le dérobèrent, non sans encourir les remontrances de Martin V.
Les saines doctrines trouvèrent des défenseurs.
Il ne vous est pas permis de juger le Pape, — disait Richard, évêque de Lincoln.
Jean de Raguse fut combattu par le général de son Ordre, par son confrère Jérôme de Florence, qui disait justement :
Les conciles fréquents et réguliers amèneront directement ou indirectement la ruine de l’Église romaine.
Il faisait aussi justice de l’argument si souvent invoqué alors : Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux, quand il disait : Les pécheurs et les impies ne sont pas rassemblés au nom du Christ.
§12 Sa dissolution
Les légats profitèrent de dissensions survenues dans la nation de France, pour faire décréter que le prochain concile se tiendrait à Bâle dans sept ans, et pour dissoudre l’assemblée. Beaupère arrivait avec la députation de l’Université de Paris ; mais c’est l’esprit de la corporation qui animait ses suppôts nombreux dans la nation de France, et où se trouvait en particulier Alexandre, abbé de Vézelay.
À la suite du concile avorté de Sienne, l’Université de Paris continua de soutenir les doctrines schismatiques et subversives de l’Église de Jésus-Christ, qui viennent d’être exposées, et de préparer à Bâle leur suprême triomphe.
III
§1 La théorie des intellectuels émise par Érard
On a vu plus haut (p. 17) en vertu de quels principes Érard, le futur insulteur de la martyre, empêcha, en 1426, de soumettre à Rome un différend que, d’un commun accord, l’Inquisiteur et l’Université avaient résolu d’y porter. Les intellectuels d’alors prétendaient se passer de l’autorité hiérarchiquement constituée, comme de nos jours ils ont prétendu lui dicter ses arrêts et casser ses sentences.
§2 Jean Sarrazin
Encore que, comme le constatait Boniface Ferrier, l’erreur gagnât du terrain, la vérité ne fut pas sans avoir des défenseurs. Ils se trouvaient 54surtout dans les Ordres religieux. L’un de ces religieux, le Frère Prêcheur Jean Sarrazin, dans le mouvement de la polémique, se laissa entraîner à une erreur opposée à celle qu’il combattait.
§3 Ses exagérations
Il outra le pouvoir du Pape, au point de laisser croire que l’épiscopat était une institution dépendante de la volonté du Pontife romain.
C’était en 1430, sous le rectorat d’Évérardi qui allait dans quelques semaines ouvrir les poursuites contre la Pucelle prisonnière ; Évérardi requit la Faculté de théologie d’exiger une réparation de la part de Jean Sarrazin. Elle fut faite très solennellement, le 30 mars, devant la Faculté de théologie, et ensuite dans la grande salle de l’évêché en présence du recteur, de nombreux maîtres tant séculiers que réguliers.
§4 Erreurs contraires qu’on lui impose dans sa rétractation
Jean Sarrazin dut admettre huit propositions dont voici quelques-unes :
La force des décrets d’un concile ne réside pas seulement dans le Pape, mais principalement dans le Saint-Esprit et l’Église.
Aucun catholique ne doute que la force des décrets d’un concile ne réside dans le Saint-Esprit ; la question est de savoir par qui le Saint-Esprit rend ses oracles. En disant que c’est par l’Église, les maîtres parisiens qui se vantaient d’avoir pour vocation d’être les moniteurs universels, d’être le siège de la doctrine, prétendaient bien que c’était avant tout par eux. C’était la troisième proposition.
La sixième était ainsi conçue :
Dire que le pouvoir de juridiction des prélats inférieurs, évêques et curés, vient immédiatement de Dieu est conforme à l’Évangile et à la doctrine des Apôtres.
La conséquence est qu’on ne peut pas plus le leur retirer que le caractère sacerdotal ; et les curés siègent de droit dans les conciles, où l’on règle la manière d’exercer la juridiction qu’ils tiennent immédiatement de Dieu.
La septième est celle-ci :
Il est un pouvoir, celui de l’Église, qui de droit et dans certains cas peut quelque chose contre le Pape110.
C’était préparer ce qui allait se passer à Bâle que d’imposer de telles propositions. Jamais la corporation parisienne n’exerça mieux sa prétendue vocation de monitrice universelle, que par les mouvements qu’elle se donna pour que le Concile s’ouvrît à l’époque fixée à Bâle, et forcer la main à Martin V.
Le brigandage fut son œuvre du commencement à la fin. Elle y montra au grand jour les doctrines qu’elle avait mises en vogue, et l’on vit le progrès qu’elle leur avait fait faire depuis que Boniface Ferrier constatait leur force envahissante. Si jamais elle se conduisit comme dépositaire des clés données à saint Pierre, c’est surtout dans cette période, où elle poursuit en même temps la destruction des privilèges de la papauté et condamne la Libératrice française.
C’est ce qu’il faut montrer.
55Chapitre 5 Le brigandage de Bâle, œuvre de l’Université de Paris
I
§1 Juste horreur de Martin V pour les conciles
Après ce qui s’était passé à Pise, à Constance et à Sienne, il n’est pas étonnant que Martin V montrât peu d’empressement pour la tenue des conciles. Avec l’esprit qui s’y était manifesté, c’était, comme le disait Jérôme de Florence, la ruine de l’Église romaine. L’autorité en resta affaiblie pour des siècles ; c’était aussi la ruine de la hiérarchie, et l’anarchie au sein de la société catholique. Aussi rien de plus naturel que ce que Jean de Raguse écrit du Pontife :
Le seul nom de concile lui inspirait une indicible horreur111.
La catholicité semblait indifférente, sinon hostile, 56ou méfiante ; mais celle qui avait imprimé aux assemblées de ce nom leurs désastreuses tendances, l’Université de Paris, veillait, l’œil fixé sur la date attendue.
§2 Combien longtemps à l’avance l’Université de Paris s’occupe de préparer celui de Bâle
Plus de seize mois avant l’ouverture, le 11 octobre 1429, le recteur, entretenant l’assemblée générale, s’occupe du nombre des députés à déléguer. Le 27 octobre, la nation de France élisait pour la représenter Guillaume Évérardi et Pierre Maugier112.
§3 L’année 1430 employée simultanément à poursuivre la Pucelle, et à préparer la guerre au Pape à Bâle
Le long intervalle qui restait avant le 3 mars 1431 ne devait pas être perdu. Du Boulay résume ainsi l’année 1430 :
Cette année, l’Université tint ses assemblées générales à diverses reprises, pour de multiples affaires, mais surtout sur la matière du concile général de Bâle113.
N’est-ce pas pour préparer Évérardi au rôle qu’il devait remplir, qu’elle le portait au rectorat (23 mars-23 juin) ? Il est certain que ce premier persécuteur de la Pucelle ne perdit pas de temps, pour montrer qu’il avait sur la constitution de l’Église les idées de la corporation, puisque à sa requête, le 30 mars, Jean Sarrazin devait souscrire les propositions dont il a été parlé.
Le 29 septembre 1430, le recteur entretenait l’Université du futur concile. Il rappelait que le temps de l’ouverture approchait ; il disait quel zèle l’Université avait montré dans le passé pour ces assemblées…, il fallait former ses ambassadeurs et régler ce qu’ils auraient à traiter dans le concile114.
§4 Lettres ; ambassades
C’était à peu près à cette date que Luxembourg, cédant aux injonctions de l’Université et à la séduction des dix mille livres promises par l’Angleterre, faisait passer la prisonnière entre les mains du duc de Bourgogne ; elle était à Arras le 29 septembre. Le 3 septembre, Pierronne de Bretagne avait été brûlée pour avoir soutenu, sans se rétracter, que Jeanne était bonne et envoyée de Dieu. Les lettres du 21 novembre à Cauchon et au roi d’Angleterre prouvent que l’Université suivait avec une égale sollicitude la condamnation de Jeanne, et la guerre qu’elle se proposait de faire à la Papauté.
Elle remplit fidèlement le rôle que nous l’avons vue revendiquer d’excitatrice, de monitrice du genre humain, comme il convenait à celle qui, d’après Boniface Ferrier, semblait porter les clés que, d’après 57l’Évangile, Notre-Seigneur a confiées à Pierre. C’est précisément Pierre qu’elle admoneste le premier au sujet du futur concile, dans des lettres au Pape, lues en séance publique, le 7 octobre 1430 ; le 20 du même mois, séance pour entendre celles qu’elle adresse aux princes et aux prélats. Le 21 novembre, sous le rectorat de Courcelles, elle pousse la guerre contre les deux ennemis qu’elle poursuit simultanément. Tandis qu’elle gronde Cauchon de sa lenteur à mettre la Pucelle en jugement, qu’elle presse instamment le roi d’Angleterre de faciliter et de seconder pareille œuvre, elle écrit au roi des Romains, aux électeurs du Saint-Empire, à l’Université de Vienne115 pour qu’ils se disposent à venir à Bâle, où, comme le montrèrent les événements, le principal objectif fut la guerre au Pape, simultanéité qui nous semble très digne de remarque.
Jusqu’au jour du supplice de la céleste envoyée, l’Université, dans la personne de ses notabilités, se partage comme sur deux théâtres, Rouen et Bâle ; et par une singulière coïncidence, tandis que, le 24 mai, les docteurs présents à Rouen emploient perfidie, violence pour extorquer à la Vénérable un semblant d’abjuration, ceux qui sont à Paris lisent les lettres des députés envoyés à l’Université de Louvain pour la presser de se trouver sur le lieu du combat contre le Pape, à Bâle. Peu contente d’écrire, du Boulay nous dit qu’elle envoie des députés pour secouer l’indifférence générale. Il est vraisemblable que si la prudence le permettait, les députés s’ouvraient des desseins que l’on avait formés à Paris.
§5 Mouvements de Jean de Raguse à Rome
L’important était d’agir à Rome. L’Université avait dans la capitale du monde catholique l’homme le plus apte à pousser ses desseins. Jean de Raguse y résidait comme procureur de son Ordre ; il se vante lui-même dans son mémoire de s’être démené très activement auprès des cardinaux, des hauts personnages de la cour pontificale, en faveur de l’ouverture du concile, d’en avoir parlé jusque dans des discours prononcés dans le palais apostolique. Martin V feignait de tout ignorer.
§6 Propositions affichées aux portes de Saint-Pierre
Le 8 novembre 1430, une suite de propositions, destinées à le réveiller, furent affichées aux portes de Saint-Pierre et dans les principaux lieux de Rome. En voici quelques-unes :
La célébration d’un concile à Bâle, en mars prochain, est indispensable pour l’extirpation de l’erreur des Hussites.
Le concile étant le moyen nécessaire, tout chrétien est obligé de le promouvoir.
Le Pape et les cardinaux qui ne s’appliqueraient pas à le promouvoir, ou voudraient l’empêcher, doivent être tenus pour fauteurs d’hérésie.
Si, au mois de mars prochain, le Pape n’ouvre pas le concile par lui-même 58ou par ses légats, ceux qui seront présents au concile doivent, au nom de la Chrétienté, lui refuser obéissance, et tout chrétien est tenu d’obéir à ceux qui seront à Bâle.
Si le Pape et les cardinaux ne viennent pas à Bâle, l’on doit procéder contre eux de plano et sommairement116.
Boniface Ferrier écrivait, en 1411, que les hérésies des grammairiens de Paris se fortifiaient et gagnaient jusqu’à la Chartreuse. Quel chemin parcouru depuis qu’en 1400 l’Université de Toulouse écrivait la fameuse lettre, où était exposé l’enseignement traditionnel sur la plénitude de pouvoir conféré par Jésus-Christ à son Vicaire, jusqu’au jour où l’on placardait à Rome, sous les yeux de Martin V, les doctrines qui le mettaient à la merci d’une insolente tourbe de clercs !
L’on s’explique qu’il hésitât, partagé entre la crainte des attentats que présageait semblable impudence, et la crainte de fournir prétexte aux clameurs des rebelles exaspérés.
§7 Martin V annonce l’ouverture pour le 3 mars
Le 1er février, il nommait par lettre, légat au concile Julien Cesarini, cardinal de Saint-Ange, qui était déjà parti de Rome en mission auprès des Hussites ; des bulles affichées dans Rome annonçaient l’ouverture du concile à Bâle pour le 3 mars, conformément aux décrets de Constance et de Sienne. Martin V mourait le 20 février, et le 3 mars le Sacré-Collège lui donnait pour successeur Gabriel Condolmieri, qui prenait le nom d’Eugène IV. Il confirmait par rapport au concile les actes de son prédécesseur.
§8 Indifférence de la catholicité
Que produisirent tant d’agitations des maîtres de Paris, et combien de Pères étaient rendus à Bâle le 3 mars ? Un seul, Alexandre, abbé mitré de Vézelay, un des âpres tenants des plus extrêmes doctrines de l’Université, dont il était un des suppôts.
§9 Pourquoi les députés de l’Université ne sont pas à l’ouverture
Où étaient donc les députés de l’Université déjà désignés depuis si longtemps, Évérardi entre autres ? Cela a été déjà dit, Évérardi était à Rouen avec l’ambassade presque entière. Les députés s’y étaient rendus, a-t-il été dit, très vraisemblablement dans l’espérance de voir aboutir à la condamnation de la Pucelle les poursuites engagées par ce même Évérardi, qui se trouve ainsi le premier des persécuteurs de la Vénérable, le premier des députés de l’Université délégués pour spolier de ses prérogatives le Vicaire de Jésus-Christ.
§10 Après leur arrivée, le 9 avril, ils se morfondent à attendre
Frustrés dans leur attente, après six jours de délibérations, ils repartent, et arrivent à Bâle le 9 avril. Ils s’y trouvent avec l’évêque de Chalon et trois ou quatre abbés mitrés. Les maîtres parisiens se morfondent dans une attente sans résultat, écrivant des lettres sans effet.
§11 Ils se dispersent de divers côtés pour racoler des adhérents au concile
59C’est alors qu’ils prennent la résolution d’aller personnellement recruter des Pères au concile.
§12 Évérardi reste à Bâle
Évérardi restera à Bâle, comme le général en chef reste à son quartier général tandis que courent ses lieutenants.
§13 Échange de lettres avec l’Université
Il correspondra avec l’Université de Paris, transmettant les nouvelles de l’état des choses, en recevant encouragements et direction. Il dit dans une de ces lettres :
Ainsi que je l’ai mandé à Vos Seigneuries (dominationibus vestris), nous avons envoyé de nombreux écrits à divers princes, prélats, Universités, aux chapitres, aux communautés, même à Notre Saint-Père le Pape, et au roi, sans obtenir autre chose que des promesses. Fatigués de tant de délais, roulant de nombreux projets dans notre tête, nous avons compris qu’il était de toute nécessité d’envoyer quelques-uns d’entre nous démontrer au Saint-Père et au roi des Romains l’urgente nécessité du concile. Nous avons choisi Denys Sabrevois et Thomas Fiévé comme députés auprès du roi des Romains et du cardinal de Saint-Ange, légat du Siège Apostolique. Après dix semaines de fatigues sans relâche, nous avons à peine obtenu le fruit désiré. L’empereur, qui se rend en Italie, a promis d’amener le Pape117.
Évérardi demande que l’Université agisse auprès des prélats de bonne volonté, et auprès du roi (d’Angleterre), qui n’envoya ses ambassadeurs qu’après trois ans, lors de la réconciliation momentanée d’Eugène et des Basiléens.
Beaupère quitta Rouen deux jours avant que fût allumé le bûcher préparé par ses insidieuses questions, afin de se jeter en Allemagne, à la rescousse de Sabrevois et de Fiévé. Tous les trois courent de ville en ville à la poursuite de Sigismond, du légat, des personnages influents, pour que le concile n’expire pas dans le vide. Nicolas Lami est envoyé auprès du duc de Savoie.
Évérardi tient l’Université au courant. La séance du 23 juillet est si peu nombreuse que Jean Polémar et Jean de Raguse, envoyés par le légat Julien Cesarini pour tenir sa place, n’osent pas déclarer le concile ouvert, ni enjoindre à l’évêque et aux abbés du diocèse de Bâle de s’y rendre118.
§14 Il est donné comme son principal représentant
Cependant à la date du 10 août, Évérardi écrit à Paris que le concile a commencé ; l’on se réunit pour traiter les matières à discuter, pour adresser des lettres aux princes ; l’on sollicite, comme étant plus rapprochés, les évêques savoyards et allemands de ne pas se faire plus longtemps attendre. Sabrevois et Fiévé se sont dépensés durant trois mois en Allemagne. Les maîtres de Paris seront tenus au courant119.
60Ces derniers répondent en félicitant Évérardi de ces heureux commencements, dont on lui est redevable. Son honneur, l’honneur des ambassadeurs, de l’Université, demandent qu’il persévère. Si ces heureux commencements, son œuvre, restaient sans résultats, ce serait une honte pour lui et pour l’Université. L’on ne doute pas de son zèle120.
§15 Il faut menacer de l’excommunication les prélats du diocèse de Bâle pour les amener au Concile
Crevier a parfaitement raison de dire que l’Université de Paris se donna des soins infinis pour amener à Bâle ceux qui y parurent. Tant d’agitation depuis deux ans n’avait pas réussi à déterminer l’évêque de la ville et les abbés du diocèse à faire acte de présence à l’assemblée, puisque le légat Cesarini, venu enfin à Bâle le 9 septembre, leur ordonnait sous peine d’excommunication, le 19, de s’y rendre, ou de s’y faire représenter121.
Jean Beaupère partait le 17 septembre pour informer de tout Eugène IV ; il y avait à Bâle trois évêques et sept abbés mitrés122. Le nombre s’était fort légèrement accru lorsque, le 14 décembre, le concile tint sa première session et renouvela le décret de Constance : la supériorité du concile sur le Pape et la périodicité de ces assemblées.
II
§1 Eugène IV transfère le concile à Bologne
Le 18 décembre, Eugène IV transférait à Bologne, au bout de dix-huit mois, le concile de Bâle. L’indifférence manifestée jusque-là par la Chrétienté n’était pas la seule raison : il y en avait de multiples et de fort graves ; mais l’histoire de la néfaste assemblée n’est pas l’objet de ce travail. Une idée de ses décrets attentatoires à toutes les prérogatives du Saint-Siège a été déjà donnée ; il faut sommairement exposer comment réuni, quoique légitimement convoqué, par l’influence de l’Université de Paris, c’est encore sous son influence qu’il s’est maintenu, et a tracé dans les annales de l’Église un des plus honteux sillons qui puissent attrister le lecteur chrétien.
§2 Oppositions, résistance
La translation à Bologne excita une vraie fureur à Bâle123. Le légat Julien Cesarini n’osa pas en donner connaissance lui-même ; il écrivait qu’il aurait été lapidé, bien plus, qu’il aurait été déchiré avec les dents. Si vous voulez 61que je meure, envoyez-moi chez les Sarrasins, disait-il. Il cessa de présider l’assemblée. Il fut remplacé par Philibert de Montjeu, évêque de Coutances, qui, avant de se rendre à Bâle, avait répondu à la consultation de Cauchon par une des condamnations de la Vénérable les plus sévères que l’on trouve au procès.
Jean de Prato ayant fait la lecture que n’avait pas osé faire le légat, plusieurs des membres du concile s’enfuirent ; Canivet, un des cinq députés de l’Université de Paris, qui avait paru à Rouen, ferma les portes du couvent des Dominicains pour que l’on se saisît du courageux serviteur du Pape. Prato, jeté en prison, y resta cent quatre jours124.
Cette fureur était attisée par les mécontents, qui, à la suite de Capranica, avaient quitté Rome et répandaient contre le Pontife les plus infâmes calomnies. Sigismond voulait le concile dans l’espérance qu’il ramènerait les Hussites, contre lesquels ses armes étaient impuissantes.
§3 Recommandations des évêques de France
Une assemblée d’évêques français réunie à Bourges par ordre de Charles VII, le 29 janvier 1432, s’était prononcée pour la continuation du concile ; mais Sigismond, Charles VII, et les évêques, réclamaient les plus grands égards pour le Pape.
On aime à citer ces paroles des prélats français :
Que l’on ne souffre, de la part de qui que ce soit, contre Notre saint Seigneur, le Pape, ou la cour romaine, la moindre atteinte qui puisse être pour le Pape ou le Sacré-Collège occasion de s’indigner, de différer, suspendre, transférer le concile. Sans quoi tout le fruit qui peut en être attendu serait perdu ; les hérésies se fortifieraient, les mœurs se pervertiraient de plus en plus, à l’offense de Dieu et pour le plus grand mal du peuple chrétien125.
§4 Langage insolent de l’Université ; son ingratitude
Pareil langage forme un saisissant contraste avec celui que les maîtres parisiens adressaient en même temps, le 9 février, à l’assemblée de Bâle. En voici quelques extraits :
Certaines personnes, venues de la cour de Rome, ont répandu le bruit que la plupart des fils d’iniquité de cette cour déploient toutes leurs forces pour faire proroger, transférer le concile qui vient de commencer. L’on est ébahi que tant de perversité puisse trouver entrée dans un cœur chrétien, surtout si c’est celui d’un chrétien avisé et instruit. C’est pourquoi, Vénérables Pères, ni torpeur, ni désespoir… Si le Pontife romain voulait de sa propre autorité dissoudre le concile avant qu’aient été discutées les questions entamées, il faudrait lui résister en face, in facie ei resistendum… Encore qu’il en soit le président de droit, son pouvoir ne s’étend pas à conclure ainsi qu’il l’entend. 62La majorité des suffrages décide des conclusions à formuler126.
L’on sait à qui s’étendait le droit de suffrage.
Les mêmes sentiments étaient exprimés dans une lettre du 10 avril, par laquelle l’Université remercie le prétendu concile de la lettre qu’elle en a reçue, rappelle les peines qu’elle s’est données pour sa réunion, revendique l’honneur de ce qui s’y est fait, et s’offre à travailler, soit en corps, soit par chacun de ses suppôts, à le seconder127.
C’est par l’insolence et l’ingratitude qu’elle répond aux bienfaits du Pontife. Elle avait, en octobre 1431, avec des éloges et des paroles de grande obséquiosité pour le nouveau Pontife, envoyé une solennelle ambassade chargée de présenter le rôle pour les bénéfices ; Eugène IV répondit par de larges concessions et des paroles de louanges128.
Avec le pli des faveurs, il y en avait un second. Dans la nation de France, plus nombreuse que les trois autres réunies, le pli des faveurs est lu ; mais avant d’ouvrir le second, le procureur Borelly, sans trouver un seul contradicteur, commence par appeler de ce qu’il contenait. Il soupçonnait, ce qui était vrai, qu’il contenait l’ordre de se faire représenter au concile transféré à Bologne. Loin d’obéir, la nation de France écrit à Évérardi d’obtenir de l’assemblée qu’elle envoie à Paris des agents destinés à surveiller ceux qui parlent contre le concile et cherchent à en entraver la marche ; qu’ils soient cités à comparaître devant l’assemblée pour s’y entendre déclarés déchus de leurs bénéfices129.
§5 Lami, le d’Estivet d’Eugène IV
Le premier persécuteur de la Pucelle, Évérardi, est constamment représenté par du Boulay, jusqu’en 1435, comme le principal intermédiaire entre l’assemblée et ceux des universitaires qui sont à Paris. Encore qu’outre les ambassadeurs qu’elle a délégués, beaucoup de ses maîtres soient députés par des évêques ou des chapitres, tels que Courcelles par l’évêque d’Amiens, Beaupère par le chapitre de Besançon, etc., que beaucoup d’autres soient ses suppôts, anciens élèves ou anciens maîtres, la corporation, tenue au courant, transmet ses demandes, ses injonctions, ses félicitations.
Il semble même qu’en dehors du commerce épistolaire, les délégués se détachaient pour aller entretenir les collègues de Paris ; c’est ce que l’on serait porté à conclure de la lettre en date du 20 juin 1432, par laquelle Évérardi demande que des subsides lui soient apportés par Lami, à son retour130.
63Nicolas Lami est pour le vertueux Eugène IV ce que d’Estivet est pour la vénérable Pucelle. Premier promoteur du prétendu concile, il urge contre le pontife les mesures les plus révoltantes ; citations, appels à la porte, déclaration de contumace, la déposition : actes ridicules, s’ils n’étaient pas sacrilèges.
§6 L’Université, plus extrême que l’assemblée schismatique, n’entend pas qu’on touche à ses privilèges
Ce qu’Eugène IV refuse à l’Université, elle le demande aux Basiléens. Le Pape n’ayant pas voulu ratifier l’élection d’un candidat au siège de Bayeux, la nation de Normandie en appelle aux hommes de Bâle. Elle en profite pour demander réforme de l’Église dans le chef et les membres131 : il y avait pourtant, on va le voir, des membres auxquels il ne fallait pas toucher.
Zanon de Castillon, transféré de Lisieux à Bayeux, trouve un compétiteur dans celui qui a été élu par le chapitre ; il en appelle à Bâle, demande à l’Université des lettres à ses ambassadeurs ; il en veut une, spéciale, à part, in speciali ad partem, pour Évérardi, comme délégué de la nation de France132.
Non seulement l’Université applaudit aux mesures les plus odieuses contre le Pape, elle ne les trouve pas assez rigoureuses. C’est ainsi que l’assemblée, ayant décrété que les contestations en matière de bénéfices seraient décidées sur les lieux, sans être portées à Rome, avait cependant fait une exception en faveur des cardinaux et de leurs officiers. Cette exception, qui n’avait pas trouvé d’opposants dans l’assemblée, en trouva dans l’Université de Paris qui s’en plaignit ; plainte d’autant plus odieuse qu’elle en réclamait une semblable pour ses suppôts ; mais elle était la souveraine, et il ne fallait pas toucher à ses privilèges ; elle le signifiait en termes de reine.
Nous vous signifions, — écrit-elle à ses délégués, — que notre intention est que l’on ne mette pas notre privilège en discussion devant quelque juge que ce soit. En quelque lieu que nous soyons en cause, nous voulons que nos privilèges soient préalablement supposés et tenus pour avérés ; le droit commun établit leur existence et leur origine ; l’usage notoire que nous en faisons emporte prescription, et équivaut à un titre légitime133.
L’on croirait entendre le roi-soleil deux cents ans avant qu’il vînt à l’existence, et ce sont des pédagogues qui parlent !
§7 Suppression des annates
D’après du Boulay, ce furent les députés de cette Université, où l’on 64n’étudiait qu’en vue des bénéfices, qui furent les plus ardents promoteurs de la mesure par laquelle, le 9 juin 1435, on enlevait au Pape, au moment où il en avait un plus pressant besoin, les annates et autres revenus qu’il prélevait sur la collation des bénéfices. Cette mesure fut votée par la cohue des clercs, car les évêques se retiraient, et quelque temps après, un nonce écrivait qu’il en restait à peine vingt en présence de quelque quatre ou cinq cents clercs que nous connaissons134.
La mesure était à peine édictée que Denys Sabrevois, Thomas Fiévé, Gilles Canivet, Guillaume Évérardi — tous intervenus à Rouen — Nicolas Hermenger, se hâtaient de demander copie du décret pour le transmettre aux collègues de Paris135.
Les Basiléens, a-t-il été déjà rappelé, rétablirent les annates en leur faveur, sous prétexte de travailler à la réunion des Grecs. C’est ce même prétexte qui leur fit accorder une indulgence plénière à ceux qui verseraient pour le même but des sommes qui ne furent jamais employées à cette destination. Eugène IV protesta contre le droit que s’arrogeait l’assemblée, et contre l’usage quelle en faisait, supposé l’existence du droit. C’est à cette occasion que l’on entendit celui que l’Université regardait comme son grand champion, Courcelles, soutenir que c’était le renversement du bon sens, que de dénier à un concile général le droit d’accorder une indulgence plénière, vu qu’il représente l’Église universelle.
À mon avis, — disait-il, — il faut les mettre au rang des hérétiques ; car s’il est hérétique celui qui nie la primauté de l’Église romaine, à combien plus forte raison doit-on regarder comme hérétique celui qui rabaisse l’autorité de l’Église universelle, dans laquelle sont renfermées l’Église romaine, et les autres églises… tous ceux qui comptent pour quelque chose soumettent au concile le Pape de Rome136.
Fous, hérétiques, hommes nuls, tous ceux qui n’applaudissent pas le pandæmonium de Bâle, c’est-à-dire l’immense majorité de l’Église ; ainsi parle ce modéré de l’école gallicane ; ils sont les mêmes dans tous les temps. Déjà, nous le verrons, l’Université de Paris n’avait pas traité autrement, à l’occasion de la Pucelle, le bercail très fidèle de presque tout l’Occident.
65III
§1 Rôle des députés de l’Université dans la prétendue déposition d’Eugène et l’élection du pseudo-Félix
La prétendue déposition d’Eugène IV fut surtout l’œuvre de l’Université de Paris, et l’antipape Félix lui dut, avec sa création, le fantôme d’autorité qu’il garda durant quelques années.
Ce ne fut pas Courcelles seul qui, parmi les délégués de l’Université, joua un rôle important dans le sacrilège attentat ; Nicolas Lami usa de son titre de promoteur pour précipiter le schismatique dénouement. Au Panormitain qui disait : C’est nous évêques qui faisons le Concile, c’est à nous de conclure, Lami faisait cette réponse :
De votre conclusion j’en appelle au Concile ; j’affirme que ce que vous venez de faire est sans conséquence ; et s’il faut le prouver, je suis prêt137.
§2 L’Université est le principal appui de l’antipape
Le 15 mai, Lami résume ce qui s’est fait, et demande que le lendemain l’on définisse les trois prétendues vérités. Le retard serait périlleux. Il demande aux évêques de ne pas laisser opprimer la foi ; aux autres il rappelle l’engagement pris en entrant au concile. Le Panormitain s’étonne du discours de Lami et lui reproche de vouloir faire le président138 ; n’importe, Lami est vainqueur, et le lendemain, a lieu la prétendue définition des trois vérités. Tous les délégués de l’Université sont pour la déposition, sûrs d’être les interprètes de leurs commettants.
L’élection des membres du prétendu conclave est faite par Courcelles, l’abbé de Cîteaux, et Jean de Ségovie. Courcelles est partout, il célèbre les morts que la peste a emportés en très grand nombre après la déposition d’Eugène, harangue le pseudo-Félix, pérore aux assemblées de Bourges contre les légats du Pape, aux diètes d’Allemagne, pour y faire reconnaître l’antipape, sans se laisser décourager par l’insuccès.
C’est qu’en effet les peuples et les princes voient avec effroi les attentats des révoltés. Le roi d’Angleterre se déclare constamment pour Eugène, fait révoquer Loyseleur de sa mission par le chapitre de Rouen. L’Iscariote de la passion de la Pucelle n’en va pas moins à la diète de Mayence, pour l’entraîner du côté des rebelles. Dès 1438, les états du Languedoc demandent qu’on mette fin aux scènes des Basiléens. Le duc de Milan, quoique gendre du pseudo-Félix, le roi d’Aragon, tous deux ennemis d’Eugène en politique, refusent de se séparer de son obéissance.
66L’Allemagne tient diètes sur diètes, et garde jusqu’en 1446 une neutralité qui n’est qu’apparente. Frédéric III ne permet pas aux pseudo-cardinaux de l’antipape de paraître devant lui avec les insignes du cardinalat, et passant par Bâle, il visite Félix seulement de nuit, pour attester que c’est le duc de Savoie, le parent, et non pas le Pape qu’il veut honorer. Au reste, nous avons là-dessus le jugement de Piccolomini lui-même, devenu le secrétaire de Frédéric III, et pleinement au courant de tous les ressorts de la politique. Il écrit au cardinal Julien Cesarini :
On parvient difficilement à détruire la neutralité, parce qu’elle est au profit de plusieurs, et que les ordinaires confèrent les bénéfices à leur guise. Croyez-moi, il est difficile de tirer la proie de la gueule du loup ; mais, autant que je le comprends, toute la Chrétienté suit Eugène : tota christianitas Eugenii sequitur partes139.
§3 Elle résiste au roi, qui veut la faire adhérer à Eugène IV
En 1440, Charles VII avait convoqué une assemblée du clergé à Bourges pour délibérer sur les affaires de l’Église. Ce fut un solennel tournoi entre l’inévitable Courcelles et les envoyés d’Eugène IV. Les envoyés pontificaux demandaient, avec l’adhésion à leur maître, l’abolition de la Pragmatique Sanction promulguée deux ans auparavant, le résidu des doctrines émises dans l’Université et à Bâle. Charles VII s’obstina à maintenir l’acte néfaste, mais il protesta avec fermeté ne vouloir pas voir un Pape dans son cousin de Savoie, et maintint l’obéissance à Eugène IV.
Une ordonnance de septembre la prescrivit dans tout le royaume. Elle défendait que personne ne fût assez hardi, sous aucun prétexte, fût-ce au nom du concile de Bâle, de prêcher, dogmatiser, écrire contre l’obéissance due à Eugène IV ; les transgresseurs devaient être punis comme le cas le requerrait ; l’on devait châtier non seulement les auteurs d’écrits contraires, mais les colporteurs, et ceux qui leur auraient prêté l’oreille140.
On a vu en quels termes l’Université exaltait l’autorité royale, et comment elle se servait de son autorité pour frapper ses coups. C’était le mal de l’époque, et dans une lettre au chancelier Sclick, Piccolomini va jusqu’à dire :
Notre foi, c’est celle de nos princes… sous la pression du pouvoir séculier ce n’est pas seulement le Pape, c’est le Christ que nous renierions141.
L’Université de Paris résista au pouvoir séculier, lorsque Charles VII l’engageait dans le chemin de la justice et de l’orthodoxie. Denys Sabrevois était venu en janvier 1441, de la part des révoltés de Bâle, pour maintenir ses collègues dans l’obéissance à l’antipape ; il 67parla presque pendant deux jours devant l’Université. La conclusion fut qu’elle était disposée à obéir au concile de Bâle ; il ne se manifesta quelque opposition que dans la nation de Normandie et chez les religieux mendiants, encore fut-elle muette au vote final ; les opposants sentaient que leur opposition serait nulle.
La décision parvint aux oreilles du chancelier Regnault de Chartres, du connétable et du conseil royal. On en fut fort mécontent ; l’on fit une convocation de l’Université, Denys Sabrevois présent. Le chancelier s’adressa en termes très vifs au recteur en présence des maîtres, et requit une réunion bien plénière de l’Université pour révoquer la conclusion adoptée. Il renouvela son injonction dans l’hôtel du connétable. Le jour venu, le chancelier, de nombreux conseillers, des membres du Parlement, le prévôt de Paris, parurent à l’assemblée. Chartier y parla éloquemment pour obtenir la révocation ; l’Université délibéra, et s’arrêta à cette conclusion :
Nous nous maintenons, bien plus, nous nous confirmons dans l’obéissance du sacré Concile de Bâle conformément au roi notre sire142.
Conformément au roi notre sire était une manière de couvrir la résistance, Charles VII ayant reconnu le concile de Bâle, tout en continuant d’adhérer à Eugène IV. C’était une inconséquence, derrière laquelle la schismatique corporation abritait sa résistance au Pape et au roi.
§4 Elle tenait pour l’antipape en 1444
Cette résistance durait encore en août 1444. Pendant un mois presque entier, des discussions solennelles eurent lieu chez les Bernardins. Sabrevois, Évérardi, Pain-et-Chair, Berouet, y défendirent la supériorité du concile sur le Pape, la légitimité du pseudo-Félix. Ils furent fortement attaqués par Pierre de Versailles, alors évêque de Meaux, l’un des examinateurs de Jeanne à Poitiers, dont l’approbation semble avoir plus impressionné, par Robert Ciboule, futur chancelier, qui devait composer pour la réhabilitation un des premiers mémoires.
Il faut ajouter que la doctrine catholique avait, ce semble, conquis de nombreux adhérents dans la faculté. Après avoir attaqué les doctrines de Bâle et la légitimité du pseudo-Félix, Pierre de Versailles proposa de changer les rôles et de répondre aux objections. Les adversaires refusèrent, en disant que leurs propositions étaient celles de la commune mère l’Université. Pierre de Versailles en appela à l’Université143. J’ignore la suite, et comment l’Université fut amenée à plier sous la main du roi.
§5 Universités infectées par le virus de celle de Paris
Le virus des doctrines des maîtres de Paris, dont Boniface Ferrier 68constatait en 1411 la marche progressive, n’avait pu que s’accélérer par ce qui s’était passé à Constance, à Sienne, à Bâle ; il avait surtout infecté les Universités d’au-delà du Rhin. Celles de Cologne, Heidelberg, Vienne, Prague, Cracovie, qui étaient restées fidèles à Urbain VI, lorsque l’Université de Paris se rangeait du côté du pseudo-Clément, se déclarèrent contre Eugène IV, dont la légitimité n’offrait pas les quelques ombres que l’on pouvait voir à celle d’Urbain. C’est qu’auprès d’elles, l’école de Paris, malgré sa très profonde décadence, n’avait pas perdu de sa grande autorité. Nous en avons une preuve dans la lettre que l’Université de Cracovie écrivait à la date du 16 juillet 1448144.
Les rois et les peuples se montrèrent dans cette crise beaucoup plus catholiques que les distributeurs de la science sacrée ; et l’on est étonné que l’exemple des nombreuses universités allemandes qui viennent d’être citées n’ait pas entraîné ce pays du côté de pseudo-Félix, au lieu de la neutralité apparente dont il a été parlé. Le roi de Pologne Casimir reçut, avec toute la pompe et la solennité dues à celui qu’il représentait, le légat a latere que lui envoya le pape Nicolas V, successeur d’Eugène IV.
Au milieu de l’allégresse générale, l’Université se tint à l’écart ; elle ne voyait dans le légat que l’envoyé de Thomas de Sarzanne. Cette attitude attira sur elle la réprobation du roi et du peuple, qui la qualifia de schismatique ; l’on se disposait à procéder contre elle, comme les lois du temps voulaient que l’on procédât contre les violateurs de l’unité catholique. Le légat faisait observer que tous les rois, que toutes les universités, même celle de Paris, reconnaissaient Nicolas pour Pape. En entendant nommer l’Université de Paris, les maîtres polonais demandèrent un délai pour consulter celle que, dans la lettre d’où ces détails sont extraits, ils appellent leur maîtresse, leur mère, la source dont ils ne sont qu’un ruisseau dérivé. Ils sollicitent une réponse et, s’il est réel, l’exposé des motifs de pareil revirement. Ils seraient heureux que l’Université de Paris, et même le roi de France, voulussent écrire en leur faveur au roi de Pologne.
À cette date, l’Université de Paris avait donc abandonné l’antipape, qui en dehors du duché de Savoie, de l’Université de Paris et des satellites qui viennent d’être nommés, ne compta qu’un nombre insignifiant d’adhérents : Tota christianitas Eugenii sequitur partes, nous a dit le futur Pie II.
69Conclusion
La sentence, qui flétrit et condamne le crime, le suppose et ne le fait pas : la flétrissure s’étend à tous les actes qui le constituent dans le passé. Arius était hérétique, hérésiarque avant le concile de Nicée. Il le fut le jour où rompant obstinément et opiniâtrement avec l’enseignement chrétien, il nia, tout en l’exaltant comme une créature à part, la consubstantialité du Verbe. Ne peut-on pas, ne doit-on pas dire que l’Université de Paris fut non seulement schismatique, mais encore hérétique, lorsque, rompant opiniâtrement avec une tradition de treize siècles, avec l’enseignement du reste de la catholicité, elle se donna, au nom de la science, dont elle se disait la dépositaire sans pareille, comme la suprême autorité doctrinale et directrice de l’Église, et, comme l’a dit Boniface Ferrier, revendiqua pour elle les promesses faites à Pierre ?
Les textes cités, et l’on pourrait en ajouter bien d’autres, prouvent qu’elle ne recula pas devant la théorie ; les actes établissent encore mieux cette intolérable prétention. Non seulement elle s’attache au pseudo-Clément contre le sentiment de l’immense majorité de la catholicité, à laquelle dès 1383 elle prétend imposer la défection ; elle ne tient aucun compte du sentiment de sa propre obédience, lorsqu’il est en opposition avec ce qu’elle a arrêté. Dès 1398 elle prétend déposer celui qu’elle a reconnu jusqu’alors pour Pape, encore que le midi de la France, les universités de Toulouse, d’Angers, de Montpellier, l’Espagne, et le reste de l’obédience à laquelle elle a appartenu, ne veuillent nullement s’en détacher.
Ce ne sont pas les Papes qui prononcent de quel côté est le schisme et l’hérésie, c’est l’Université de Paris ; et elle qualifie de ces tares les deux rivaux entre lesquels se partage la catholicité. La catholicité elle-même est à ses yeux schismatique et hérétique, parce qu’elle ne veut pas la suivre dans ses arbitraires volte-faces.
Si elle n’essaie pas de réduire par les armes l’obédience de Rome, Pierre Leroy, parlant en son nom, nous a avoué que c’était par impuissance. Dans sa propre obédience, Boniface Ferrier a dit justement, que partout où elle le peut, elle impose ses décisions comme Mahomet sa doctrine, par la violence, faisant brûler la lettre de l’Université de Toulouse, faisant édicter de grosses amendes contre les simples détenteurs, faisant emprisonner, si elle le peut, les personnages les plus respectables, se plaignant si le pouvoir civil ne seconde pas ses fureurs. Telle fut sa conduite sous 70le pseudo-Benoît, qui pour elle était le vrai Pape.
Elle dicte ses lois à Alexandre V, à Jean XXIII, condamne leur enseignement ; elle applaudit à Constance à l’arrestation de ce dernier, et demande sa déposition ; elle contraint Martin V à convoquer à Sienne, à Bâle, ces assemblées qui n’ont de concile que le nom, et dont le digne Pape voit tout le péril. Elle en a fait décréter la périodicité à Constance, et, tout en poursuivant la Pucelle, elle travaille à enfanter ce latrocinium de Bâle, qui devait tuer la Papauté, et par suite renverser l’Église, si la Papauté pouvait être tuée et l’Église renversée.
Appeler non seulement schismatiques, mais encore hérétiques les artisans de telles œuvres, même avant qu’ils fussent frappés par le concile de Florence, nous paraît aussi juste que de qualifier Arius d’hérétique avant sa condamnation par le concile de Nicée. Arius conservait au Rédempteur son nom de Christ, et consentait à lui donner tous les noms les plus glorieux, les attributs les plus relevés, à condition qu’il ne serait pas dit consubstantiel au Père, c’est-à-dire vrai Dieu ; mais le Christ qui n’est pas Dieu n’est pas le Christ. Les maîtres parisiens et ceux qui les suivaient gardaient le nom du Pape, affectaient même les formules du respect le plus humble ; mais un Pape privé du droit de lier et de délier, un Pape qui doit apprendre de l’Université de Paris, ou d’un concile tel que l’entendaient les maîtres parisiens, ce qu’il doit croire et enseigner, la décision à donner dans les questions douteuses, un tel Pape n’est plus le Pape de l’Évangile ; il n’est plus le Pape fondement visible de l’Église, le confirmateur de la foi ; il est au contraire confirmé, jugé par ceux qui revendiquent le droit de l’enseigner et de le guider.
C’est avec raison que Martin V avait horreur de ces sortes de conciles, qu’il avait vus fonctionner à Pise, à Constance et à Sienne. Cependant le 1er février il convoquait celui de Bâle, tout en redoutant justement les écœurantes scènes dont ces assemblées avaient donné le spectacle. Il ne pouvait pas agir autrement sans avoir à craindre des maux pires encore ; il faut en dire autant du silence sur les déviations de l’Université de Paris. En les flétrissant, il devait redouter le renouvellement des déchirements qui avaient précédé son élection. Loin d’y voir une atténuation au crime de la corporation, c’est au contraire une aggravation. Les rebelles sont d’autant plus coupables qu’ils forcent à se taire, par la crainte d’empirer le mal, l’autorité légitime qu’ils combattent.
Condamnée par l’Université de Paris, la Pucelle a été condamnée par les ennemis acharnés du Saint-Siège. Le rapide exposé qui vient d’être fait le montre, croyons-nous, avec évidence.
71Elle l’a été par l’application des faux principes sur l’Église et sur ses lois que l’Université proclamait, qu’elle s’efforçait d’implanter dans l’Église, les mêmes qui allaient être appliqués au vertueux Eugène IV.
D’où venait la haine de l’Université contre la sainte fille ? Pour bien s’en rendre compte, il faut avoir sous les yeux le rôle politique assumé par l’Alma Mater, dans les révolutions du temps. Nous ne pouvons qu’en donner un aperçu sommaire. Encore doit-il être assez complet pour expliquer l’aveugle acharnement avec lequel la corporation a poursuivi la sainte fille dès son apparition sur la scène.
Notes
- [3]
Raynaldi, 1436, § 7 :
Quid hoc aperto schismate quod annis fere sex repullulat, Ecclesiæ, aut Christi fidelibus, populis et toti reipublicæ christianæ periculosius esse potest ?
- [4]
Raynaldi, 1436, § 7 :
Nunquam ex hominum memoria, vel in annalibus majorum nostrorum, simile genus schismatis aut scissuræ novit Ecclesia.
- [5]
Raynaldi, 1436, § 6 :
Existimant posse supremum Ecclesiæ principem… omni potestate denudare, ita ut pro solo nomine, et veluti signum quoddam in Apostolico throno sedere velle videantur.
- [6]
Raynaldi, 1436, § 14 :
Si omnia eorum decreta revolvantur quæ in XXIV sessionibus continentur, vix erit decretum invenire in quo aliquid non detrahatur de honore aut sanctæ Sedis Apostolicæ, aut Romani Pontificis.
- [7]
Raynaldi, 1436, § 14 :
Non libenter qui Basileæ sunt contendunt cum principibus, sicut cum Papa, cum ad nihil aliud ibi stent, nisi ut cum scandalo Ecclesiæ, cum Summo Pontifice lites et contentiones exercentes, continuam pugnam agant.
- [8]
Ut sic per quamdam continuationem semper aut Concilium vigeat, aut per termini pendentiam expectetur.
- [9]
Raynaldi, 1436, § 8, circa med. :
Admiserunt communiter et indistincte omnes inferiores non graduatos, sed penitus ignaros qui habuerunt necdum vocem consultivam, sed definitivam et auctoritativam vocem… it aut frequentissime prælati omnes vel major pars et sanior fuerit in una sententia, reliqua vero in contrarium prævaluit a majoritate vocum.
- [10]
Raynaldi, 1436, § 8 :
Quædam juramenta et pollicitationes… quod juramentum multi graves et conscientiosi viri, multi etiam principum oratores subire recusarunt.
- [11]
Raynaldi, 1436, § 9 :
Magno applausu incorporati, suut veluti peculiares Ecclesiæ filii qui tam egregium facinus attentaverunt, ut Christi Vicarium diabolico ausu caperent.
- [12]
In deputatione fidei, in qua eram inscriptus, sæpe præsedi.
- [13]
Epistolæ, lettre 188.
- [14]
Raynaldi, 1436, § 8, versus finem.
- [15]
Martène, Amplissima collectio, VIII, præfatio, § 7.
- [16]
Fabricius, Hist. Concilii Basiliensis, c. XC ; Acta Conc., t. IX, col. 1154.
In tantum excanduit, ut colluviem illam copistarum concilium appellaverit, affirmaveritque flagitium fieri ab Arelatensi, qui cum tribus episcopis titularibus contra omnes Concilii prælatos vellet statuere.
- [17]
Æneas Piccolomini, De gestis Concilii Basiliensis, édit. de 1535, p. 42.
Mediolanensis… acerbissime convitiatus est : ipsum esse qui copistarum pædagogorumque gregem nutriret, remque cum ipsis concluderet, alium eum Catilinam vocitans ad quem desperati omnes et perditi confugerent, illorum esse principem et cum illis Ecclesiam regere ; nec in re omnium maxima magnis prælatis et magnorum principum oratoribus auscultare.
- [18]
Piccolomini, p. 33.
- [19]
Raynaldi, 1439, § 9.
- [20]
Ubi innumeræ novitates, inordinationes, deformationes et quasi infinita mala patrabantur.
- [21]
Piccolomini, op. cit. ; Raynaldi, 1439, § 33 ; Martène, op. cit. ; præfatio, § 103.
- [22]
Procès, I, 445.
- [23]
Procès, III, 157.
- [24]
Du Boulay, V, 375.
- [25]
Manuscrits de la bibliothèque de Reims, p. 652.
- [26]
D’après des manuscrits de la bibliothèque de la ville, communication du R. P. Carrez.
- [27]
Procès, III, 378 :
Continuo… instantissime requisierunt.
- [28]
Vraie Jeanne d’Arc, III, 379.
- [29]
Cartulaire, IV, nomenclatura Rectorum, p. XXVIII.
- [30]
Cartulaire, IV, 516 ; cf. Fournier, Cartulaire de la Faculté de décret, p. 253.
- [31]
Du Boulay, V, 387.
- [32]
Procès, I, 102.
- [33]
Procès, I, 15 et seq.
- [34]
Aperçus nouveaux, p. 105.
- [35]
Raynaldi, 1432, § 9.
- [36]
præcipuus decretorum Basileensium fabricator
- [37]
Auctarium, II, col. 454, note 1 :
Thomas de Courcelles, vix licentialus in theologia, in Concilio primus auctor fuit et omnia perturbavit.
- [38]
Cartulaire, IV, 705, note 2.
- [39]
Du Boulay, V, 917 :
Annatarum et aliarum ejusmodi exactionum curiæ Romanæ infensissimus hostis.
- [40]
Cartulaire, III, Introd., p. 4 :
Contendebant in toto mundo esse famam quæ in facultate theologiæ Parisiensis tanquam in sede sua catholicam veritatem reponit ; Doctores Parisienses imprimis habere discernere quid verum, quid falsum in fide ; prælati autem discussa et determinata a doctoribus habent sententialiter definire.
- [41]
Cartulaire, III, 552 :
Existimarunt doctores Ecclesiæ, et quidem Universitatis Parisiensis, in corpore Ecclesiæ esse quasi rationem dictantem quid agendum, quid bonum, quidve malum, prælatos vero Ecclesiæ esse quasi voluntatem, cujus proprium esset exequi et auctoritate id definire quod a doctoribus scolastice discussum erat, etc.
- [42]
Cartulaire, III, Introd., 4.
- [43]
Cartulaire, III, § 1656-1658.
- [44]
Opera Gersonis, IV, col 583 :
Pulcher et clarus sol Franciæ et totius christianitatis.
- [45]
Cartulaire, III, § 1687-1688.
- [46]
Baluze, Vitæ Pontificum Avenionensium, III, 570.
- [47]
Religieux de Saint-Denis, édition Bellaguet, II, p. 160, 166 et seq. :
Altera amplior est ; altera sanior.
- [48]
Du Boulay, IV, 776 :
Adversarius habet majorem, imo maximam partem chistianitatis sibi adhærentem et, ut communiter tenetur, bellum subire paratam pro defensione ipsius.
- [49]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1525.
Boniface Ferrier frère de saint Vincent Ferrier, général des Chartreux de l’obédience avignonnaise, vécut longtemps, comme son frère, à la cour du pseudo-Benoît qui l’employa précisément dans les grandes affaires ici touchées. Il a laissé un mémoire très instructif, trop peu cité. Boniface, qui, comme son frère, finit par combattre l’antipape, était non seulement fort instruit, mais un saint. Le Père Tromby, annaliste de l’Ordre des Chartreux, dit que les miracles se multipliaient à son tombeau, comme l’herbe qui y croissait.
- [50]
Voir ce mémoire dans Du Boulay, IV, année 1395.
- [51]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1449.
- [52]
Du Boulay, IV, 806.
- [53]
Du Boulay, IV, 842.
- [54]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1448, 1488 :
Per tres aut quatuor grammaticos cum tribus aut quatuor nominatis prælatis qui omnes sunt patentia membra diaboli.
- [55]
Voir l’ordonnance dans le Religieux de Saint-Denis, II, 592-644.
- [56]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1448 et passim.
- [57]
Religieux, III, 88.
- [58]
Voir cette lettre dans Du Boulay, V, 5-24.
- [59]
Du Boulay, IV, 871 :
Non placuit aliis principibus et regibus secessio ista, aientibus satius esse habere aliquem pro pontifice, etiam forte non legitimum, quam habere nullum.
- [60]
Le Religieux, III, 363.
- [61]
Le Religieux, III, 375.
- [62]
Le Religieux, III, 375-389.
- [63]
Le Religieux, III, 617.
- [64]
Cartulaire, supra.
- [65]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1466 :
Ita quod non Papæ, sed eis asserant suis operibus fuisse dictum : Quodcumque ligaveris, etc.
- [66]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1453 :
Nisi dicas cum insania illorum quod vera Ecclesia est Gallicana, more ipsorum.
- [67]
Du Boulay, V, 133.
- [68]
Religieux, III, 467 et seq.
- [69]
Du Boulay, V, 137.
- [70]
Du Boulay, V, p. 133 :
Dixit Papam errare posse, Ecclesiam non posse ; diœcesim romanam non aliam esse quam parisiensem, et eum qui episcopatum obtinuit romanum toti Ecclesiæ presidere… Regem posse concilia convocare in negotiis etiam fidei ; potestatem Papæ esse ministerialem tantummodo, regiam potestatem auctoritativam et potestativam, multaque alia ejusmodi.
- [71]
Religieux, III, 416.
- [72]
Religieux, III, 697.
L’historiographe officiel raconte longuement toutes les péripéties de cette négociation dont nous n’indiquons que la substance.
- [73]
Auctarium, I, col. 937-941 et, II, col. 14-18.
- [74]
Religieux, IV, 4 :
Rex eorum pulsatus precibus importunis… obtinuit tamen.
- [75]
Religieux, IV, p. 7 et seq. ; Du Boulay, V, 159 et seq.
- [76]
Religieux, IV, 9-29, 63 ; Juvénal des Ursins, éd. Michaud, p. 446 ; Monstrelet, éd. Buchon, I, 353.
- [77]
Religieux, IV, 19 et seq.
- [78]
Du Boulay, V, 166.
- [79]
Du Boulay, V, 185.
- [80]
Religieux, IV, 53.
- [81]
Du Boulay, V, 185.
- [82]
Religieux, IV, 239 et seq.
- [83]
Du Boulay, V, 201.
- [84]
Du Boulay, V, 201 :
Miratur Universitas quare Papa dubitat illam bullam annulare et irritam declarare. Unde… ambæ bullæ displicent.
- [85]
Du Boulay, V, 212 et seq.
- [86]
Cartulaire, III, introductio, p. VII :
Theologis præsertim illius temporis surgebant cristæ plus quam fas est.
- [87]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1446 :
Superseminant errores et hæreses super potestate Papæ et Ecclesiæ, quorum aliquæ jam pervenerunt ad dictos carthusienses et nunc fortius convalescunt.
- [88]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1464.
- [89]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1490.
- [90]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1491.
- [91]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1454 :
Mensura fidei beneficia pro quibus… committerent omnia mala quæ cogitari possunt.
- [92]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1457 :
Super omnem fœditatem bestialem debacchantur.
- [93]
Hefele, Histoire des conciles, traduction de l’abbé Darc, X, 383 et suiv.
- [94]
Mansi, Sacrosancta concilia, XVI, col. 60, 804, 805, 807 ; voir surtout la lettre au duc d’Orléans.
- [95]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1619 :
Solent… de Consilio eorum concludere.
- [96]
Mansi, Sacrosancta concilia, XVI, col. 811-812.
- [97]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1623 :
Concilium generale est Congregatio… ex omni statu hierarchico totius Ecclesiæ catholicæ, nulla fideli persona quæ audiri requirat exclusa.
- [98]
Hefele, X, 5-6.
- [99]
Mansi, Sacrosancta concilia, XVI, col. 812-814.
- [100]
Auctarium, II, col. 199 :
Quatenus resisteret omnibus modis possibilibus contra illos qui laborant ut collatio beneficiorum veniat ad manus prælatorum.
- [101]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1596 :
Ab omnibus recognoscitur tanquam suprema domina et magistra omnium propter virtutes et merita eorum qui præfuerunt in ea, cujus ultima non respondent primis.
- [102]
L’on n’a pas remarqué que le supplice de Jean Huss et de Jérôme de Prague ne saurait être imputé aux Papes, puisqu’il eut lieu dans l’intervalle qui sépare la cession de Grégoire XII de l’élection de Martin V ; celui de Jean Huss le 5 juillet 1415, celui de Jérôme de Prague le 30 mai 1416.
- [103]
Religieux, V, 700.
- [104]
Cartulaire, IV, § 2096-2098.
- [105]
Cartulaire, IV, § 2201.
- [106]
Cartulaire :
Eo tempore magis quam alio se interposuit Universitas ut episcopatibus et abbatiis præficerentur personæ sibi gratæ.
- [107]
Monumenta Conciliorum generalium sæculi XV, I, 4, 5 :
Quoniam in hoc vocati sumus ut pias omnium mortalium aures excitemus, hortatoris sunt nobis partes assumendæ.
- [108]
Monumenta Conciliorum, I, 8.
- [109]
Monumenta Conciliorum, I, passim, dans les soixante premières pages.
- [110]
Du Boulay, V, 338.
- [111]
Monumenta Conciliorum, I, 66 :
Martinus in immensum Concilii nomen abhorrebat.
- [112]
Du Boulay, V, 387 ; cf. Auctarium, II, col. 421
- [113]
Du Boulay, V, 302 :
Eodem anno variis vicibus congregata est Universitas ob multiplicia negotia imprimis vero super materia Concilii generalis.
- [114]
Du Boulay, V, 398 :
Die penultima septembris narravit Rector qualiter tempus appropinquaret, qualiter in temporibus præteritis Universitas ad Concilium generale celebrandum… expediens erat ; quod suos ambassiatores et ea quæ in dicto concilio tractarent disponerent.
- [115]
Du Boulay. V, 393.
- [116]
Monumenta Conciliorum, I, 66.
- [117]
Du Boulay, V, 410.
- [118]
Monumenta Conciliorum, I, 91.
- [119]
Du Boulay, V, 410.
- [120]
Du Boulay, V, 410.
- [121]
Monumenta Conciliorum, I, 111.
- [122]
Martène, Veterum scriptorum, amplissima collectio, VIII, præfatio, § 8.
- [123]
Ibid. § 9 et Monumenta Conciliorum, III, 104 et seq. :
Omnes de concilio quodammodo in furorem versi sunt.
- [124]
Monumenta Conciliorum, III, 104, circiter.
- [125]
Martène, Veterum scriptorum, VIII, præfatio, § 12).
- [126]
Du Boulay, V, 412.
- [127]
Du Boulay, V, 413.
- [128]
Cartulaire, IV, § 2403 et 2407 ; cf. Auctarium, II, col. 453, note.
- [129]
Du Boulay, V, 416.
- [130]
Ibid.
- [131]
Du Boulay, V, 419.
- [132]
Du Boulay, V, 423.
- [133]
Du Boulay, V, 428 :
Vobis significamus intentionem nostram non esse ut coram quocumque judice nostri privilegii agitetur discussio ; ubicumque enim causam nostram deduci contigerit, privilegia nostra supponi volumus et pro confessatis haberi.
- [134]
Hefele, XI, 318.
- [135]
Du Boulay, V, p. 432
- [136]
Æneas Piccolomini, De gestis Concilii Basiliensis :
Confutatur vesania eorum qui dari posse per synodum generalem remissionem plenariam inficiantur… Illos hæreticorum loco habendos censeo, quoniam si hæreticus qui Romanæ Ecclesiæ primatum aufert, quanto magis hæreticus qui Ecclesiæ auctoritati detrahit, in qua Romana et omnes aliæ continentur. — Romanum Papam omnes qui in aliquo numero sunt concilio subjiciunt.
- [137]
Æneas Piccolomini, De gestis Concilii Basiliensis, ibidem.
- [138]
Ibidem.
- [139]
Æneas Piccolomini, Epistolæ, édit. de Bâle, lettre 65.
- [140]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, col. 1750.
- [141]
Æneas Piccolomini, Epistolæ, lettre 54 :
Non solum Papam, sed etiam Christum negaremus, sæculari potestate urgente.
- [142]
Auctarium, II, col. 525 :
Conclusio fuit ista : Nos stamus, quin imo persistimus in obedientia sacri concilii Basileensis, conformiter ad Dnum nostrum Regem.
- [143]
Mémoires de la Société de l’histoire de Paris, t. IV, p. 33.
- [144]
Martène, Thesaurus anecdotorum, II, p. 17 et seq. Cf. Auctarium, II, col. 739.