Père Belon, Père Balme  : Jean Bréhal et la réhabilitation de Jeanne d’Arc (1893)

Livres I-III : Préface

Jean Bréhal
grand inquisiteur de France
et la réhabilitation de
Jeanne d’Arc

par les révérends pères
de l’Ordre des Frères prêcheurs

Marie-Joseph Belon
& François Balme

(1893)

Éditions Ars&litteræ © 2023

Approbation
de l’ordre des Frères-Prêcheurs

Sur la commission qui nous en a été donnée par le T. R. P. fr. Joseph-Ambroise Laboré, provincial des Frères-Prêcheurs de la province d’Occitanie de l’Immaculée Conception, nous avons lu l’ouvrage intitulé : Jean Bréhal, grand inquisiteur de France, et la réhabilitation de Jeanne d’Arc par les R. R. P. P. Belon et Balme, du même Ordre, et nous déclarons l’avoir jugé digne de l’impression.

Le mémoire de Bréhal, composé en vue du procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc, va bien au-delà du but que poursuivait le grand Inquisiteur. Non seulement il montre l’iniquité de la sentence fulminée contre elle par le tribunal de Rouen ; mais encore — soit dit sans vouloir prévenir le jugement du Saint-Siège — il met en évidence les vertus héroïques et la sainteté de la pieuse bergère de Domrémy. Aussi ce livre vient-il à propos, à cette heure où tant de vœux sont adressés au Souverain Pontife pour le prier d’élever sur les autels la Pucelle d’Orléans.

Nous en approuvons donc la publication, avec l’analyse préliminaire et les notes jointes au travail de Bréhal par les savants éditeurs.

Poitiers, 1er janvier 1893.

frères M.-Henri Desqueyrous et Denys Mézard, des Frères-Prêcheurs.

Imprimatur : frère Jean-Ambroise Laboré, provincial des Frères-Prêcheurs.

VPréface

Ce livre est l’histoire d’un procès, œuvre de justice et de réparation accomplie au nom de l’Église et de la France envers Jeanne d’Arc, victime innocente de l’iniquité et de la haine.

Par ses démarches et ses écrits, le dominicain Jean Bréhal, grand inquisiteur de France, a été dans cette œuvre le principal et le plus actif instrument de la divine Providence. Raconter ces démarches, publier ces écrits, les étudier et en faire ressortir la valeur et l’importance est assurément de nature à intéresser les cœurs que passionne tout ce qui touche à la mémoire de l’héroïque Pucelle. Puisque tel est le but et l’objet de ce livre, nous espérons qu’il sera favorablement accueilli.

Il convenait avant tout de faire connaître l’homme dont Dieu s’est servi pour venger l’honneur de Jeanne d’Arc. Les documents que nous avons pu recueillir, si incomplets qu’ils soient, nous en ont fourni le moyen, et nous avons la joie de donner ici la preuve manifeste que Jean Bréhal a été digne de sa mission, qu’il l’a remplie avec un zèle à la hauteur de son noble caractère, et que, durant sa longue existence, il est demeuré toujours égal à lui-même dans son amour de la justice et de la vérité. Cela ressort surtout de ce qu’il a fait pour effacer la flétrissure imprimée par un juge prévaricateur au front de la vierge de Domrémy. Guidés par les pièces officielles du procès, nous avons suivi pas à pas le grand inquisiteur : à l’enquête préparatoire, ouverte par l’autorité du cardinal légat, Guillaume d’Estouteville ; auprès du roi et des savants théologiens et canonistes de la France et de l’étranger, pour s’assurer de leur concours et donner à l’affaire une direction utile ; en cour de Rome, où il sollicita l’agrément du souverain pontife ; enfin, pendant la révision de la cause par les commissaires apostoliques, dont il fut le collègue et le collaborateur infatigable et le plus dévoué.

Chemin faisant, nous avons rencontré les écrits qu’il composa : le Summarium destiné à fournir aux consulteurs les éléments authentiques de l’appréciation qui leur était demandée, et la Recollectio, ou résumé doctrinal des discussions qui devaient éclairer la VIconscience des juges et former les bases d’une sentence parfaitement motivée. Bien que les deux textes eussent été publiés, il était nécessaire de les éditer de nouveau : le premier avait été mutilé par la suppression d’un chapitre et l’introduction d’un préambule étranger, nous l’avons rétabli dans son intégrité d’après le manuscrit à l’usage de Bréhal ; le second présentait bon nombre de leçons fautives, et avait subi dans ses références des remaniements inadmissibles et parfois erronés, nous avons reproduit avec tout le soin possible le registre des greffiers officiels tel qu’il doit se lire.

Afin de mettre plus en relief la valeur de ces précieux documents, nous avons indiqué dans une analyse raisonnée la trame et la portée des arguments développés par l’inquisiteur ; puis, dans des notes nombreuses, nous avons contrôlé l’exactitude de ses assertions par les procès-verbaux des interrogatoires et les dépositions des témoins, vérifié les citations — textuelles ou non — des autorités alléguées, Écriture, Saints Pères, lois civiles et canoniques, théologiens, jurisconsultes et littérateurs, apporté les éclaircissements désirables sur les aphorismes empruntés à la philosophie, à la théologie, et au droit ; en un mot, nous avons essayé de fournir les éléments d’appréciation qui permettront au lecteur de ne se prononcer qu’à bon escient.

Puissions-nous avoir réussi à montrer avec quelle science, quelle justice et quel dévouement le dominicain Jean Bréhal a rempli son rôle au service de la religion et de son pays ! Puissions-nous aussi — car nos visées vont jusque-là — contribuer à la glorification de Jeanne d’Arc et à son élévation sur les autels ! La Recollectio du grand inquisiteur, document ecclésiastique et judiciaire d’une autorité irréfragable et d’une souveraine compétence, a victorieusement prouvé que la Pucelle était innocente des crimes dont on a voulu la flétrir ; elle aidera puissamment, telle est notre conviction intime, à établir aussi qu’elle a été une chrétienne parfaite, un modèle des vertus de son sexe et de son état, une digne messagère du ciel, une vraie fille de Dieu, héroïque dans sa vie et dans sa mort.

Cependant, nous tenons à le déclarer conformément aux décrets du pape Urbain VIII, nous n’entendons point préjuger les décisions de la sainte Église catholique, apostolique et romaine, dont nous sommes et voulons être les enfants toujours fidèles. Lors donc que nous parlons de révélations, de prophéties, de vertus, de sainteté, de martyre, de récompense céleste, ces expressions et plusieurs autres analogues sont le témoignage de notre pensée personnelle, et leur portée ne dépasse pas les limites d’une autorité purement humaine et sujette à défaillir. Au Saint-Siège seul appartient le droit d’accorder aux fidèles trépassés les qualifications surnaturelles dans leur acception rigoureuse et parfaite. Nos désirs, nos espérances, nos sentiments sont subordonnés à son jugement infaillible.

VIIÀ l’exemple de Jeanne d’Arc, qui avait fait inscrire les deux noms sacrés Jhesus-Maria sur son étendard comme une sauvegarde et un gage de victoire, à l’exemple aussi de Jean Bréhal qui les a tracés de sa main comme une pieuse dédicace en tête de quelques pièces du procès dans un registre à son usage personnel, nous consacrons les pages qui vont suivre à la gloire du Sauveur et de sa divine Mère, vrais seigneurs et maîtres du beau royaume de France.

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