Abbé Bossard  : Gilles de Rais, maréchal de France, dit Barbe-Bleue, 1404-1440 (1885)

Texte : Chapitres 5-8

115V
Alchimie. — Les opérateurs. — Leurs tentatives. — Leurs insuccès. — Alchimistes et magiciens.

Gilles de Rais l’avait compris : c’était la ruine terrible, menaçante, prochaine.

Pour consolider sa fortune croulante, il chercha partout des appuis. Ses expériences, ses tentatives, ses déceptions, nous font entrer de plain-pied dans les sciences occultes, l’alchimie et la magie.

Il n’y a peut-être pas de siècle, dans notre histoire littéraire et philosophique, plus ignorant et tout ensemble plus avide de connaître, que le temps malheureux, qui marqua la fin du moyen âge et prépara, comme dans un champ demeuré longtemps en repos, le fécond épanouissement de la renaissance ?

Et pourtant, ce XVe siècle, sur lequel tant de causes avaient épaissi les ténèbres, pareil à un homme longtemps plongé dans l’obscurité, était avide de voir et de connaître. Les hommes de cette époque troublée, d’autant plus curieux d’apprendre qu’ils ignoraient davantage, impatients de se retrouver, pour ainsi dire, au même point après des siècles d’efforts pour aller en avant, en vinrent à se dire que la science était un arcane impénétrable aux hommes ordinaires, mais accessible à ceux qui étaient favorisés des puissances surnaturelles. De là, les sciences occultes ; de là, l’alchimie, qui précède la magie ; de là, les évocations du démon ; de là, les relations établies entre l’homme et les puissances de l’enfer ; de là, enfin, toutes les pratiques mystérieuses des sciences interdites aux profanes. Il était bien difficile à 116l’homme de s’arrêter dans cette voie. Comme il y était entré avec des espérances inouïes, il mit à la parcourir une incroyable ardeur, qui le poussa jusqu’aux dernières extrémités. Comme il ne comptait plus sur ses forces naturelles toujours faibles, mais sur des puissances supérieures dans sa pensée toujours efficaces, par une contradiction logique, lui, qui naguère désespérait de tout lorsqu’il n’attendait rien que de lui-même, osa bientôt, quand il se fut allié à un pouvoir supérieur à lui, ne plus se refuser à aucune espérance : secrets de la nature et de la vie, secret de faire l’or au fond du creuset ou de le découvrir dans les profondeurs de la terre ; secret de prolonger l’existence au delà des bornes marquées par la nature ; secrets de lire dans les cœurs et d’enchaîner la nature à ses volontés, il n’est pas de folies auxquelles ne croyaient des hommes devenus fous et par la grandeur de leur audace et par celle de leurs espérances. Malgré tout ce que disent plusieurs savants contemporains sur la possibilité du grand œuvre, on ne revient pas de son étonnement, quand on voit des hommes penchés toute leur vie sur un creuset où bouillonne je ne sais quel mélange, philtre enchanté et toujours impuissant. Rien n’est plus vrai cependant : il n’y a point de question historique plus solidement établie que cette monstrueuse prétention de l’orgueil ; c’est une preuve que la crédulité humaine est sans bornes quand l’esprit humain est aveugle160.

Gilles de Rais, poussé d’un côté par ce désir de tout pénétrer et de tout connaître qui caractérise son siècle, stimulé d’un autre par le besoin d’argent chaque jour augmenté encore par de nouvelles dépenses, ne pouvait pas ne point 117s’arrêter à écouter les voix, qui lui annonçaient science, richesse et puissance. Parées de leurs promesses, l’alchimie et la magie, apparurent aux yeux de Gilles comme de séduisantes sirènes ; et Gilles malheureusement n’avait ni la prudence ni le courage du sage antique ; il leur prêta l’oreille, il fut séduit ; il se jeta à corps perdu, les mains tendues en avant, à la poursuite de ces belles chimères, et finit par aller se perdre, lui, sa fortune et son honneur, dans un gouffre plus profond que celui de Scylla. Comme il n’avait mis de frein ni à son imagination ni à ses désirs, et qu’il était toujours altéré de jouissances nouvelles par l’arrière-goût des plaisirs finis, il étudia d’abord par curiosité les sciences permises, et, lorsqu’elles ne lui eurent donné que l’amer fruit de la déception, il passa bientôt, par nécessité et sans remords, aux tentatives défendues. Sa crédulité inquiète fut savamment exploitée ; des hommes, ou crédules ou trompeurs, lui promirent monts et merveilles161. Mais tous ces brillants fantômes, qu’ils montrèrent à ses yeux, semblèrent se rire de ses espérances, et, par exaspération, il les poursuivit alors sur toutes les voies, même sur celle du crime ; et, sur cette route funeste, il alla si loin que nul homme ne l’a jamais dépassé162. Nous verrons en leur lieu chacune de ses infamies, et le lecteur mesurera, non sans effroi, la profondeur de perversité et de dépravation où tombe une âme, qui, n’écoutant plus ni la voix d’un ami, ni le cri de la conscience, ni celui de la foi, ni même les menaces de la justice, n’entend et n’aime que la voix de ses passions.

118Vraisemblablement le premier livre d’alchimie, que Gilles eut entre les mains, lui fut donné à Angers par un soldat incarcéré au château de cette ville pour crime d’hérésie. Ce livre traitait à la fois de l’alchimie et de l’évocation des démons, et donnait des règles de ces deux sciences occultes. Le maréchal de Rais le lut avec avidité et à plusieurs reprises ; il le fit connaître à diverses personnes, et vint même assez souvent à la prison s’entretenir en secret avec le soldat alchimiste et magicien. La lecture de cet ouvrage fut-elle pour Gilles de Rais à la fois une révélation par les secrets qu’elle lui dévoilait, et un aiguillon à sa cupidité par les trésors dont elle lui fit concevoir l’espérance ? On ne saurait le dire ; mais on peut affirmer qu’il le parcourut avec une extrême curiosité. Sur ces entrefaites, il fut obligé de quitter Angers, et il rendit le livre au soldat prisonnier en lui disant adieu163. Ce fait eut lieu probablement après sa retraite de l’armée ; mais aucune date n’est restée qui puisse fixer l’historien.

Eustache Blanchet, un de ses complices, nous apprend que, passant par Angers, Gilles descendit au Lion-d’Argent. Là, il entendit parler d’un orfèvre de la ville, célèbre, disait-on, dans la pratique de l’alchimie. Gilles commande à Blanchet de l’aller quérir en toute hâte ; aussitôt dit, aussitôt fait. L’orfèvre arrive ; Gilles lui donne un marc d’argent en lui demandant d’opérer sur cette matière ; puis il l’enferme dans une chambre de l’auberge. L’orfèvre était sans doute moins bon alchimiste par état que habile ivrogne de profession. Riche de l’argent qu’il avait reçu, il trouva, même sous clef, le moyen de se faire apporter du vin, s’enivra et s’endormit profondément. Quand le maréchal de Rais rentra, il le trouva couché par terre. À cette vue, il le prit par les épaules et le jeta à la porte avec colère, en lui criant :

— Va donc, ivrogne ! va donc, imbécile ! va donc, vieux fou ! je me moque de toi ; va te faire pendre ailleurs.

119L’orfèvre, revenu de sa surprise, tira rapidement ses grègues et s’enfuit, assez content, sans doute, d’en être quitte à si peu de frais, et satisfait de n’avoir pas été obligé à rendre le marc d’argent qu’il avait dépensé164.

Cette mésaventure ne pouvait guérir Gilles de Rais de sa funeste passion. Il avait eu affaire à un escroc ou à un ivrogne ; raisonnablement, il ne pouvait en conclure que tous les alchimistes étaient ou des ivrognes ou des fripons. Par raison, non moins que par amour de l’or, Gilles sut donc se mettre en garde contre toute exagération. Bien loin de s’éteindre, le feu qui le brûlait prenait chaque jour une nouvelle ardeur. Au grand désespoir de sa famille et de ses vrais amis, il se lança à corps perdu dans des dépenses ruineuses165. La renommée, souvent menteuse, lui apporte que les pays lointains, l’Allemagne et l’Italie surtout, sont des terres privilégiées, où fleurit par excellence le grand art de l’alchimie166. Tout aussitôt ses désirs s’enflamment ; il envoie ses familiers les plus intimes parcourir ces contrées, les mains pleines d’or et de promesses, non moins pour éblouir les yeux des savants des bords du Rhin et du Pô, que pour suffire aux dépenses du voyage167. Aussi, comme des chiens avides de curée, les initiés accourent de toutes parts, et ce n’est pas sans orgueil que Gilles voit arriver devers lui ce que l’Allemagne, l’Angleterre et l’Italie ont produit de plus grand et de plus célèbre. Les Italiens, race intelligente et rouée en l’art de plaire, se distinguent parmi tous les autres par leur esprit, leurs belles manières, leurs mœurs polies168.

120Les Procès nous ont conservé les noms de plusieurs d’entre ces hommes ; presque tous sont des Italiens. Antoine de Palerne, François Lombard et Prélati, sont venus de la Lombardie et de la Toscane ; le premier de tous est Prélati, dont la vie appartient moins encore aux pratiques de l’alchimie qu’à celles de la magie noire. Avec Antoine de Palerne, François Lombard, un orfèvre de Paris, nommé Jean Petit, et quelques autres encore, Gilles de Rais s’enferme au château de Tiffauges, qui sera, jusqu’à la fin de sa vie, le lieu préféré de ses travaux secrets. On construit les fourneaux ; les instruments sont achetés à grands frais ; Gilles fournit aux ouvriers du grand art l’or et les matières précieuses. Rien n’échappe à leurs investigations. Le mercure, que Gilles dit être l’argent vif169, coule dans les creusets ; sous l’action de la science, il va se congeler et se prête à tous les caprices de l’imagination ; il n’est plus aucun secret pour ces ouvriers ardents ; le grimoire obscur des anciens est enfin expliqué ; sur le fourneau enflammé, l’œuf philosophique se forme ; et déjà la pierre philosophale, œuvre de patience, de veilles et de génie, l’objet de ses plus vifs désirs, composé des vils métaux et de l’or que Gilles a mélangés, se dessine au fond du creuset ; il l’entrevoit ; plus heureux mille fois que l’homme qui voit naître sur la branche le fruit qui chargera sa table, il le salue avec des tressaillements de joie ; ce quelque chose qu’il dévore des yeux, c’est son âme ; ce sont ses espérances, c’est l’or à profusion, c’est la puissance sans limite…170, Mais tout à coup, — c’est Gilles lui-même qui nous le raconte avec désespoir, — un grand bruit se fait entendre au dehors du château ; du donjon, la sentinelle signale une troupe d’hommes armés ; on frappe, et Gilles apprend avec colère que le dauphin Charles, depuis Louis XI, est aux portes, et demande l’hospitalité. Nouvelle funeste, 121qui brise ses plus chères espérances ! C’était le temps où les lois de Charles V contre les alchimistes étaient encore en vigueur, et la magie s’était alliée, d’ailleurs, dans les travaux de Gilles de Rais, aux pratiques de l’alchimie ; le maréchal eut peur d’être découvert. Il commanda de renverser à la hâte les fourneaux et de briser les appareils, pendant qu’il courait lui même, la mort dans le cœur et la malédiction sur les lèvres, offrir ses hommages à l’hôte royal. Que venait faire à Tiffauges le fils de Charles VII ? Nous n’avons pu le savoir ; le procès ne nous dit rien de ce qui se passa entre le baron exilé et mécontent et le fils révolté déjà, ou secrètement décidé à la révolte contre son père : les documents, qui nous sont restés sur la visite du dauphin, ne la signalent que pour peindre le désespoir du maréchal de Rais. Il est plausible cependant, que, soit par amour du repos, soit par un secret mécontentement, soit encore par prévoyance de l’avenir ou par défiance de l’astucieux dauphin, Gilles n’entra pour rien dans la révolte du prince, et se tint constamment à l’écart de la lutte171.

Trompé dans ses espérances, Gilles ne fut pas découragé par l’insuccès ; autant par caractère que par besoin, il était tenace dans son ambition. Aussi, après le départ de Louis, il reprit avec une ardeur nouvelle le cours de ses opérations. Mais cette ardeur était désormais mélangée de je ne sais quelle amertume ; s’il avait vu le moment où le secret de faire de l’or allait être livré à son impatience, il se souvenait que ce secret lui était échappé à l’instant même où il croyait le saisir, et il ne pouvait s’empêcher de voir dans ce contretemps une sorte de fatalité attachée à sa poursuite. Sur ces entrefaites, arrivèrent à Tiffauges Eustache Blanchet et François Prélati. Bien que ce dernier fût plus versé encore dans la science de la magie que dans les secrets de l’alchimie, son habileté dans cet art avait devancée sa venue et rallumé toutes les convoitises du cupide baron. Mais, par 122une résolution prise d’un commun accord, on convint que, à l’avenir, les expériences, au lieu de se faire dans l’enceinte fortifiée du château, auraient lieu en dehors des murs ; de la sorte, on devait se mettre plus sûrement à l’abri des visites dangereuses, et l’on était plus certain de n’être point troublé dans une œuvre qui demande le silence, un travail continu et le mystère.

Près de l’église de Saint-Nicolas de Tiffauges, habitait une vieille femme du nom de Perrota. Comme elle n’était pas, sans doute, plus étrangère aux secrets du baron qu’à ses plaisirs, elle avait près de lui ses entrées libres et familières. Sa maison, isolée des autres habitations, était bâtie à deux portées de trait du château, sur la colline qui s’élève, à l’ouest, en face de la forteresse. Ce fut dans une chambre réservée de cette maison que Gilles de Rais, Jean Petit, l’orfèvre parisien, et François Prélati, décidèrent de poursuivre la réalisation du grand œuvre. Leurs tentatives furent passionnées et durèrent longtemps ; Prélati opéra, tous les jours et presque continuellement, depuis l’Ascension 1439 jusqu’à la Toussaint de la même année. Les familiers intimes du baron se réunissaient quelquefois dans cette chambre autour de leur maître ; mais le plus souvent Prélati travaillait seul. Soit qu’Eustache Blanchet et Perrota fussent regardés comme des profanes, soit que la vieille femme eût naturellement la langue un peu longue, et que Blanchet fût un peu femme par ce côté-là, ils n’assistèrent qu’à l’une de ces opérations172. À part cette seule fois, sur l’ordre de Gilles, ils se retiraient aussitôt que Prélati était arrivé, et ne rentraient qu’après qu’il était sorti. Quant au maréchal, il visitait souvent son complice et s’informait anxieusement du point où en était rendu le grand œuvre. Il arrivait à toutes les heures du jour, tantôt le soir, à la tombée de la nuit ; tantôt le matin, au lever de l’aube et au premier chant du coq173. Que faisait-il, demeuré seul avec son nouvel ami ? 123Était-il du nombre de ces savants simples et purs d’intention, qu’aiguillonnait seul l’amour de la science ? Ou bien plutôt la passion de l’or ne fait-elle pas supposer qu’ils étaient de ces extravagants, qui, poussés hors du bon sens par leurs désirs impétueux, nous sont dépeints faisant usage de formules cabalistiques et superstitieuses, traçant des lignes et des cercles magiques, murmurant des formules de conjuration, pontifiant, prêtres d’une religion cachée, pieds nus, une lame d’or au front, à la clarté de deux cierges de cire, devant un autel où se déploie la carte sacrée ; écoutant enfin dans le creuset et dans le sein de la terre, la palpitation des métaux qui y respirent ; épiant l’influence des astres sur leur gestation au sein des roches épaisses174 ? Que Gilles de Rais et François Prélati se soient adonnés à ces pratiques communes aux alchimistes, il n’y a rien en cela qui puisse surprendre. En même temps, en effet, qu’ils poursuivaient dans cette chambre le secret de faire de l’or, leurs compagnons curieux les aperçurent plus d’une fois, se livrant, dans une chambre voisine, à des évocations dont le but était évidemment d’obtenir le succès de leurs entreprises : cercles magiques, invocations infernales, feux ardents, où brûlaient l’encens et l’aloès, prostrations devant un génie invisible, mais présent, sacrifices en son honneur, toutes ces choses leur étaient familières, et l’on n’y trouve rien qui diffère beaucoup des cérémonies plus haut décrites ; tout, au contraire, les rappelle.

De la chambre voisine Eustache Blanchet prêta un jour une oreille curieuse : Satan, disait à mi-voix Prélati, Satan, viens ou venez à notre secours ! et d’autres paroles mystérieuses, que ne put saisir ou répéter Eustache Blanchet. Pendant une demi-heure environ, Gilles et Prélati se tinrent debout, ayant à la main un flambeau. Peu de 124temps après que ces paroles furent prononcées, un impétueux tourbillon d’un vent glacial s’abattit sur le château, à tel point violent qu’Eustache en fut effrayé jusqu’au fond de l’âme175.

Mais quelques invocations qu’il fit, quelque habileté qu’il apportât dans ses travaux, si attentif qu’il fut à surveiller la naissance du grand œuvre, et encore bien qu’il ne ménageât ni l’or ni les dépenses ruineuses, la pierre philosophale ne se forma pas dans le creuset, où il avait jeté toutes ses espérances. La richesse, la grandeur, le pouvoir, ces trois brillants fantômes, dorés par son imagination ambitieuse, s’évanouirent comme des ombres, devant l’éclat de la réalité ; et Gilles fut contraint de reconnaître que l’alchimie, qu’il avait regardé comme le moyen de s’enrichir, n’avait été, au contraire, qu’un nouveau chemin, et le plus sûr et le plus rapide, pour aller à une ruine complète. Comme il voulait faire croire qu’il créait de l’or, il avait à cœur de faire dire qu’il en faisait réellement. Son orgueil ne pouvait s’habituer à la pensée que l’on pût se moquer de l’inutilité de ses efforts ; d’où sa prodigalité le jetait dans des folies plus insensées encore que les pratiques de l’alchimie. Jamais générosité ne fut plus ridicule. S’il empruntait quelques grosses sommes aux bourgeois d’Angers, de Nantes ou d’Orléans ; s’il recevait l’argent de ses pensions royales, de ses revenus ou de la vente de quelqu’une de ses belles et riches propriétés, tout aussitôt on voyait dans sa demeure l’or couler à flots : les chambres, les tables, les cheminées, les meubles, les lits en étaient couverts ; nul n’en connaissait au juste la valeur ; il aurait rougi lui-même de s’en enquérir un seul instant, comme d’une préoccupation indigne d’un si grand seigneur, lequel avait trouvé les sources inépuisables de la richesse. Les ouvriers, auxquels il fournissait abondamment l’or, l’argent et toutes les autres matières précieuses, faisaient or à la vérité, mais à leur profit. Laissant à leur maître les 125richesses imaginaires qui allaient sortir de leur creuset, ils empochaient pour leur propre compte les richesses réelles qu’il y versait176. Le sot amour-propre de Gilles transformait donc sa maison en l’un de ces palais enchantés de la Perse moderne, où les princes sèment sous leurs pas et l’or et les faveurs. Aussi, courtisans, aventuriers, serviteurs, amis, familiers de toute sorte et de tout état, clercs et soldats, puisaient largement aux eaux abondantes du pactole bienfaisant. Mais il était facile de prévoir qu’enfin le fleuve serait tari par les canaux qui se gonflaient de ses ondes, et ne pourrait alimenter son cours jusqu’au bout ; assez semblable à ce fleuve du nord, si puissant depuis son origine jusque vers la fin de sa course, et qui, enfin, pour avoir fourni ses eaux à plusieurs ruisseaux, se perd lui-même, avant d’arriver à la mer, épuisé et tari dans les sables de dunes arides. Il advint que, vers la fin de sa vie, Gilles de Rais manquait de tout, même du nécessaire de la table, alors que ses serviteurs et ses courtisans avaient en abondance et le vivre et le couvert, et roulaient sur l’or177. C’est ainsi que l’alchimie et les dépenses extravagantes qu’elle amena, achevèrent de dévorer une fortune si profondément entamée déjà par les frais des représentations théâtrales, les magnificences des cérémonies religieuses et les mille joyeusetés d’une vie de fêtes et de plaisirs178.

Ce n’était pas là ce que lui avaient promis Antoine de Palerne, François Prélati et tant d’autres ; ce n’était pas là ce qu’il avait rêvé lui-même en présence de ses coffres vides et à la vue de ses terres aliénées. Après la puissance, après la richesse, qui d’ordinaire est le prix dont on paye les honneurs, aucune chose n’avait plus fasciné le cœur de Gilles que la science, qui devait le mener à l’une et à l’autre ; et ces trois choses, la science, l’or et la puissance, n’étaient entrées dans ses désirs que pour servir son ambition, la passion qui 126fut en lui le moteur de toutes les autres. Après avoir demandé à la valeur des armes les honneurs qui suivent la puissance, il les avait demandés à la science, et la science elle-même, au seul art naturel qui la promettait à cette époque, à l’alchimie. Il est vrai que cet art caché, mystérieux, étant le seul qui offrît de la donner, la lui avait promise dans sa plénitude. À entendre les alchimistes, rien de ce qui peut tenter la curiosité humaine ne leur était inconnu, au moins dans leurs espérances, ni les secrets de la nature, ni l’or, qui fait l’éclat de la vie, ni la panacée universelle, qui la prolonge, si même elle ne donne l’immortalité. Cette science lui avait offert, en un mot, comme le tentateur de la Bible, le moyen de monter vers la puissance et de devenir un dieu : aussi rien n’avait fasciné plus puissamment les yeux de Gilles que le pouvoir divin de faire de l’or, qui, dans sa pensée, le devait élever au rang des rois. Il avait donc appelé à lui les prêtres de cette science sublime ; il en avait parcouru avec avidité tous les livres ; il en avait étudié tous les secrets ; leurs fourneaux, il les avait construits à grands frais ; leurs instruments, il les avait achetés à grand prix ; dans leurs creusets, il avait mis son or et le sang de son âme, ses désirs et ses espérances ; il avait suivi patiemment leurs élaborations : mais il n’avait jamais trouvé au fond du creuset que poussière, déception, ruine. Sur l’arbre de la science, sa main trompée n’avait cueilli qu’un fruit de mort, âcre et aride ; âcre comme le désespoir, aride comme ces fruits qu’on nous dit mûrir aux rivages de la Mer-Morte, beaux d’apparence et désirables à la vue comme celui de l’Éden, mais cachant, sous leur peau veloutée et vermeille, une cendre amère et mortelle. C’est que Gilles n’avait pas été et ne pouvait pas être de ces savants modestes, dont le progrès est l’unique fin, et l’unique joie le savoir. Il avait compté sur autre chose que sur des découvertes chimiques, en apparence stériles, mais fécondes en réalité ; l’or seul avait été l’objet de ses désirs ; et il n’avait trouvé que la triste réalité de la ruine. Alors d’amers reproches s’échappèrent de ses lèvres ; il eut 127des paroles de moquerie et d’incrédulité à l’adresse des opérateurs179 : ils pensèrent donc à trouver une nouvelle manière de l’amuser. Gilles était allé trop loin dans la poursuite de ses espérances pour se montrer difficile ou hésitant sur les moyens de les ressaisir et de les réaliser :

Non quibus modis id assequeretur, dum sibi pararet, quidquam pensi habebat180.

De l’alchimie, ils le firent donc passer de plain-pied dans la magie.

Beaucoup s’étonnent aujourd’hui qu’on ait accusé les alchimistes d’avoir été en même temps magiciens ; ils ne croient pas qu’il y ait eu beaucoup d’évocateurs des démons parmi les alchimistes : nous sommes convaincus du contraire. Plus d’un Paracelse faisait usage d’évocations des êtres surnaturels, ou en recommandait la pratique aux initiés. Nous dirons tout à l’heure les relations nécessaires qui devaient exister entre la magie et l’alchimie : l’amour immodéré de l’or unissait trop étroitement ces deux moyens de l’acquérir, pour qu’ils n’aient pas été pratiqués ensemble. Beaucoup de savants, assurément, résistèrent à la dangereuse et folle tentation qui en entraîna d’autres dans les secrets ténébreux de la magie ; car personne n’oserait accuser d’un pareil crime un Gerbet, un Raymond Lulle, un Alain de Lille, un Albert le Grand, et tant d’autres saints personnages du moyen âge. Mais le procès de Gilles de Rais et de ses complices prouve que trop souvent la magie était la funeste conséquence de l’alchimie. Parmi les alchimistes, qui affluaient à la cour de Gilles, presque tous cultivaient à la fois les deux arts : Antoine de Palerne, François Lombard, du Mesnil, Prélati. Les livres dont ils se servaient contenaient les règles de ces deux sciences. À Florence, comme nous le raconterons bientôt, lorsque Eustache Blanchet fit la connaissance de François Prélati et qu’il chercha à sonder le mystère de sa vie, il commença par lui demander s’il connaissait le grand art de l’alchimie, pour s’enquérir ensuite 128prudemment s’il savait également l’art plus sublime encore d’évoquer les démons : preuves manifestes qu’à cette époque, au moins, la plupart des alchimistes étaient magiciens, et que la croyance publique unissait étroitement, non sans raison, ces deux sciences secrètes. La scène enfin que nous avons décrite plus haut et dont Blanchet avait entrevu quelques détails, ne laisse aucun doute sur ce sujet. Ainsi, le personnage de Faust, si vigoureusement dessiné par le génie de Gœthe, n’est pas une fiction dans l’histoire : or, c’est ce personnage seulement que poursuivirent l’Église et l’État ; contre lui, l’Église eut des foudres, et l’État des bûchers.

Car, à part une bulle de Jean XXII, en 1317, un édit royal de Charles V et plusieurs autres moins connus, qui bientôt tombèrent tous sans nul effet, aucune peine ne fut édictée contre les adeptes de l’alchimie181. Loin de proscrire cette science, au contraire, plusieurs papes et princes l’ont cultivée et se sont entourés des maîtres dans cet art ; bien plus, des saints l’ont pratiquée sans scrupules ; il est à remarquer enfin que, dans les deux procès de Gilles, on ne lui fait jamais un crime d’avoir cherché la pierre philosophale et la panacée universelle. On le verra devant ses juges : après les insultes hautaines du grand seigneur, viendront les ruses calculées du légiste. Ses crimes seront publics, dévoilés, convaincants ; alors l’accusé, pour couvrir par une apparence de sincérité ce qu’il a de mauvais dans sa vie et donner une explication à ce qu’elle renferme de mystérieux, avouera, sans peur comme sans contrainte, ses chimériques et infructueuses tentatives de faire de l’or. Au moment même où il niera les crimes qui le feront condamner à mort, il confessera volontiers les espérances qu’il avait mises dans un art dont les prétentions choquent peut-être le bon sens, mais contre lequel la justice n’a point de rigueurs ; il entrera même dans des détails précis, croyant que la curiosité de ses juges et du public en sera satisfaite. Il a cru, dira-t-il, et il croit encore que cet 129art a des promesses réalisables ; et, dans toutes ses paroles, il gardera un ton d’indifférence, qui montre clairement le peu de danger qu’il courait en faisant de tels aveux. Quant au reste, quant à ce qui pourra constituer un motif grave d’accusation, il s’écriera que c’est faux comme le mensonge et impudent comme la calomnie. L’imprudent ! il ira même jusqu’à porter à ses accusateurs un superbe défi, qui le condamnera d’avance : Je suis innocent de tout ce qu’on élève ici contre moi ; et mon témoignage est si fort, que, si l’on prouve ces crimes, je consens à être brûlé vif ! On le voit donc bien : il ne redoute pas qu’on puisse l’accuser d’avoir pratiqué l’alchimie, puisqu’il l’avoue lui-même ; on dira peut-être qu’il fut un insensé de mettre en cette science son espoir ; mais, pour lui, il a cru et il croit encore qu’il y a dans cet art des promesses réalisables. Seulement il se garde bien de dire qu’il y mêlait les pratiques criminelles, de la magie : or, c’étaient précisément ces crimes que poursuivaient dans les alchimistes magiciens les deux pouvoirs unis de l’Église et de l’État.

L’alliance était donc intime entre la science mystérieuse des alchimistes et l’art encore plus caché des sorciers, des magiciens, des évocateurs du démon. Il était inévitable que des hommes, si avides d’or et de puissance, n’allassent des agents naturels incapables de satisfaire leurs désirs, aux agents surnaturels dont la superstition, non moins que la foi, peuple le monde. Ce que les pratiques du laboratoire, ce que la fusion des métaux ne pouvaient produire, les esprits supérieurs pouvaient le donner : on pressa Gilles de les appeler à son aide. Mais, par un mouvement naturel à ceux qui font le mal, comme les prières des magiciens étaient mêlées d’infamies et que leur culte renfermait encore plus de crimes que de ridicules, bien loin de s’adresser à Dieu et aux bons esprits, ils se retournèrent vers le démon et les esprits malins, résolus qu’ils étaient dès le début à tout faire dans le mal pour se les rendre soumis ou favorables. À Gilles de Rais découragé, le démon fut présenté comme une 130suprême ressource. Il vint sous le manteau de ses conseillers182, promettant beaucoup, offrant cette puissance, cet or, cette science supérieure que le baron n’a cessé de poursuivre un seul instant. Auprès d’un homme tel que Gilles, le tentateur devait avoir l’accueil de Méphistophélès auprès de Faust : il fut reçu comme un nouveau et dernier maître. Tout lui fut abandonné en échange des biens qu’il offrait, tout, hormis deux choses, que Gilles n’aliéna jamais : ses droits sur sa vie et ses droits sur son âme. Dans les cédules qu’il signa de son sang pour les offrir au démon, il excepta toujours en termes exprès ces deux biens, auxquels, par prudence, par peur, et peut-être aussi par un reste de foi, il tenait plus qu’à l’or, à la science et au pouvoir, dont le désir pourtant est la source de tous ses crimes. Nous touchons aux pratiques criminelles de la magie noire qu’il nous faut maintenant raconter avec quelques détails.

131VI
Magie. — Évocations.

S’il faut s’en rapporter aux aveux contenus dans le procès, ce fut vers l’année 1426 que Gilles de Rais se livra, pour la première fois, aux pratiques occultes de la magie. Mais dans ce moment, ce ne fut pas sans doute avec cette passion que l’on remarque vers la fin de sa courte carrière, et qui fut toujours plus impérieuse à mesure qu’il s’enfonçait dans la ruine et le crime. En ce temps-là, en effet, sa fortune était encore intacte : le besoin de l’or ne se faisait donc pas sentir aussi vivement que plus tard, lorsqu’il commença à dissiper ses ressources. Quant à la puissance et aux honneurs, il n’y avait pas lieu de les demander au démon, puisque la guerre et la faveur l’y menaient plus directement qu’aucun autre chemin. Il convient donc d’attribuer ces premiers essais plus à la curiosité naturelle de son esprit, qu’au désir de combler les vides faits à ses trésors et à l’ambition des honneurs et de la puissance. Ainsi donc, Gilles ne s’adonna à l’étude soutenue de la magie qu’après la mort de Jeanne d’Arc, peut-être même seulement en 1432, après la mort de Jean de Craon, son aïeul maternel. C’est à cette époque, en effet, qu’il reporte de bien plus grands crimes encore, mais qui sont, comme nous le verrons bientôt, intimement liés à ses opérations magiques.

132Nous sommes plus fixés sur ses complices dans cet art mystérieux. M. Vallet de Viriville raconte que Gilles consulta les nécromants des deux sexes, qu’il choisit d’abord sous sa main, en Bretagne, puis à Paris. Ces complices sont loin d’être tous nommés dans les deux procès : ni Gilles de Rais, ni ses amis ne se rappellent le nom de chacun en particulier. On sait seulement qu’ils arrivaient de tous les points de la Bretagne comme des environs de Poitiers, de l’Angleterre comme de l’Italie. Hommes ou femmes (car, de toutes les sciences occultes, la magie est celle qui compte le plus d’adeptes, prêtres ou prêtresses, dans les deux sexes), ils viennent l’un après l’autre, attirés ou par une puissance qui les mettra à l’abri de la justice, ou par le flair de l’or qui les allèche. Car la renommée du maréchal, sa réputation de science et d’habileté, si grandes qu’elles soient, sont moins puissantes encore que l’appât de son argent, ses prières et ses promesses. Gilles de Sillé, Roger de Bricqueville, Eustache Blanchet, et bien d’autres encore, initiés aux secrets du maître, sont chargés de parcourir les pays limitrophes ou lointains, pour y découvrir ce que l’ombre y cache de plus célèbre parmi les évocateurs et les lui amener, à quelque prix que ce soit183.

Mais ils ne réussirent pas toujours dans leurs démarches. Deux vieilles sorcières, que Gilles de Sillé était allé consulter au nom de son maître, refusèrent de se rendre près de lui. Seulement elles lui firent savoir, au nom de Satan, qu’il n’obtiendrait jamais aucune apparition, tant qu’il mettrait, disait l’une, son affection dans l’Église catholique, dans les cérémonies religieuses et dans sa chapelle ; tant qu’il n’abandonnerait pas, ajoutait l’autre, certaine œuvre qu’il pourchassait184. Il y en eut plusieurs qui périrent misérablement en route ; l’un tomba, du bateau qui le portait, dans 133la rivière où il se noya, sans le moindre secours du diable, son maître185 ; un autre alla de vie à trépas dans les jours mêmes qui précédèrent son arrivée. Devant ses juges, Gilles se réjouissait plus tard de ce que Dieu n’avait pas permis qu’ils vinssent jusqu’à lui, ou du moins qu’il pût se livrer avec eux aux crimes qui lui étaient habituels ; rendant à Dieu et à l’Église catholique grâces d’une faveur dont il était évidemment redevable, disait-il, à la miséricorde de l’un et aux supplications de l’autre186.

Mais s’il montra tant de repentir devant le tribunal, il faut croire, à en juger du moins par la fureur avec laquelle il se lança dans le crime avec d’autres évocateurs, qu’il ne supporta pas ces contre-temps avec la résignation chrétienne dont il fit étalage devant la cour ecclésiastique de Nantes. Car en voici qui sont arrivés sains et saufs : voici le trompette Du Mesnil ; voici Jean de la Rivière ; voici un nommé Loys ; voici un quatrième dont il ignore même le nom, tant furent nombreux les évocateurs qui vinrent par devers lui ! tant il s’inquiétait peu de leur personne, pourvu qu’ils fussent tels qu’il les voulait, habiles dans leur art et riches en promesses187 ! Voici enfin, parmi tous les autres, Antoine de Palerne. Ils sont décidés à tout entreprendre, et leur puissance ne se mesure qu’aux ordres de leur nouveau maître, qui ne connaît point de bornes à ses désirs. Lui-même nous a laissé les détails des scènes de magie dont il fut l’inspirateur : c’est donc surtout à la lumière de ses propres aveux que nous allons les décrire.

À quelque distance de la ville et du château de Tiffauges188 s’étendait un grand bois : la solitude profonde et mystérieuse du lieu invitait Jean de la Rivière, un de ces magiciens qu’Eustache Blanchet lui avait amenés de Poitiers, à le 134choisir comme l’endroit le plus favorable à l’évocation du démon : lieu propice entre tous, en effet, et bien capable d’exciter l’imagination de l’évocateur, puisqu’il a prêté des descriptions si effrayantes et si fausses à la fois à l’historien de Roujoux189. En homme habile, Jean de la Rivière s’entoure de précautions contre le danger mystérieux auquel il veut faire croire. Gilles, Henriet, Poitou et Blanchet l’ont suivi jusque sur la lisière du bois ; l’évocateur a revêtu une cuirasse et pris une épée ; ainsi armé, il s’avance seul sous les arbres. Seul, en effet, il peut y pénétrer ; ses compagnons courraient le plus grand péril à le suivre : plus effrayés encore que crédules, ils demeurent donc à l’entrée de la futaie, en proie aux vives inquiétudes qu’excite naturellement le merveilleux. La nuit est sombre et ajoute encore par les ténèbres à la solitude pénétrante du lieu ; les minutes s’écoulent ; tout à coup on entend un grand bruit sous les arbres : ce sont des coups d’épée, des cris, une lutte à mort entre l’évocateur et le démon. En effet, voici le maître qui revient bientôt, éperdu, épuisé, couvert de sueur ; il retrouve ses compagnons, transis et mourant d’effroi, à la place où il les a laissés et qu’ils n’ont pas osé abandonner. Une terreur feinte peut-être, mais assurément bien imitée, décompose ses traits et fait trembler sa parole, tanquam perterritus et turbatus190. Il a vu le démon : il avait la forme et les allures d’un léopard ; il venait droit à lui, quand, à sa grande surprise, il a passé sans le regarder et sans daigner lui adresser la parole. Mais Jean de la Rivière n’indiqua pas la cause de ce silence étonnant. Sur ce récit, Gilles et ses compagnons rentrèrent au château, où ils passèrent la nuit

à boire et à se réjouir ensemble191.

Le lendemain, ou quelques jours après, l’évocateur vint dire à Gilles qu’il lui manquait, pour réussir, plusieurs choses nécessaires, et qu’il 135devait partir pour aller les chercher. Gilles fut vivement contrarié à cette nouvelle ; il consentit pourtant à le laisser aller, et lui donna même vingt écus d’or, en le priant instamment de revenir. Jean de la Rivière le lui promit en effet ; mais, soit qu’il mourut, soit qu’il n’eut plus l’espoir de tromper encore le maréchal, de ce jour il ne reparut pas au château de Tiffauges, et Gilles n’en reçut plus aucune nouvelle.

Ce récit montre que le compagnon de Jeanne d’Arc, l’émule de la Hire et de Xaintrailles, n’était pas aussi hardi contre le démon que brave contre les Anglais. Était-ce l’effet d’un défaut de courage ou d’une superstition irrésistible ? Je l’ignore ; mais jamais il ne se montra bien courageux dans toutes ces circonstances mystérieuses où sa croyance en la puissance du démon était soigneusement entretenue par d’effrayants récits. Un évènement, plus curieux encore que celui qui précède, et où la peur du maréchal offre un caractère ridicule, nous montre à quel point il était accessible aux frayeurs que donnent les démons. C’était toujours à Tiffauges : un évocateur, dont le nom échappait plus tard à la mémoire du maréchal, venait d’arriver : on convint de faire une nouvelle tentative auprès du diable. Dans une chambre du château, Gilles de Sillé, l’évocateur et le baron se réunissent donc un certain jour. Sur le sol, l’évocateur trace un cercle magique et commande à ses deux compagnons d’y entrer avec lui. Le maréchal obéit sans difficulté, sinon sans crainte ; mais Gilles de Sillé refuse obstinément d’y prendre place ; il recule même jusqu’à une croisée, tremblant d’une frayeur mystérieuse qu’il ne peut maîtriser, tenant entre ses bras une image de la Vierge Marie, prêt enfin, à la moindre apparence de danger, à sauter par une fenêtre restée ouverte. Devant l’obstination de ses refus, Gilles et l’évocateur s’enferment tous deux dans le cercle magique. La peur est communicative, dit-on ; Gilles de Rais se prend bientôt à trembler malgré lui ; il est tenté de faire le signe de la croix ; mais l’évocateur le lui a défendu au risque de courir les plus grands périls ; il n’ose, il hésite : 136tout à coup il se rappelle une prière à la Vierge, l’Alma Redemptoris ; aussitôt l’évocateur, hors de lui-même :

— Sautez hors du cercle ! s’écrie-t-il.

À ces mots, Gilles de Sillé enjambe la fenêtre ; le baron fait le signe de la croix, s’élance, ferme la porte derrière lui, et se sauve à toutes jambes. Au dehors, il rencontre Gilles de Sillé, non moins tremblant que lui. Gilles de Rais lui apprend que le malheureux évocateur, ainsi abandonné seul à la fureur du diable, est battu à coups redoublés, et tellement que le bruit en vient, en effet, jusqu’à leurs oreilles, pareil à celui d’une épée qui tombe sur une couette. Gilles, cependant, s’enhardit peu à peu, à mesure que les coups se font plus rares ; il ose même entrouvrir la porte ; mais quel spectacle s’offre à sa vue ! tout près du seuil, ensanglanté, le visage meurtri, le corps roué de coups et brisé de contusions, ayant en particulier au front une grosseur énorme, ne pouvant plus se soutenir, le malheureux évocateur, sur le point de rendre l’âme, était élendu gisant. Gilles et son compagnon le prennent doucement dans leurs bras, l’emportent dans la chambre du maréchal, où ils le couchent dans son lit et le soignent de leur mieux ; et le baron, dont la foi fut toujours vivante et forte, le fait confesser en prévision de la mort. Mais le malade se rétablit peu à peu, à la grande joie du maréchal. Toutefois, Gilles garda toujours de cet évènement terrible un souvenir, qui entretint dans son cœur, jusqu’à la fin, une crainte irrésistible du démon et de ses colères192.

Dans toutes ces évocations, si le diable ne se montrait pas à lui, Gilles croyait du moins sentir sa présence, et c’était assez pour piquer sa curiosité et exciter sa passion. D’où venait donc que l’esprit malin demeurait sourd à sa voix ? Rien ne manquait pourtant du côté du baron : les cercles magiques, les figures mystérieuses tracées sur le sol et sur la muraille, les appels multipliés, les promesses, rien n’était oublié ; mais si grand que fût son désir de voir le 137démon, de lui parler et de signer un pacte avec lui, encore bien qu’il fit tout dans ce dessein, il ne vit rien, s’il entendit quelque chose193. Jusqu’où n’allaient pas cependant sa docilité et son obéissance aux ordres des magiciens ? Invocations pressantes, enfants immolés, offrandes honteuses, débauches inouïes, promesses et obligations étroites de servir le nouveau maître194, tout était mis en œuvre, et toujours en vain. Un de ces hommes, anglais ou picard d’origine, appelé Jean de son nom195, lui demanda un jour, au nom du démon, une cédule écrite de sa main et signée avec le sang tiré de son petit doigt. Gilles se prêta à cette exigence du démon. Il se fit piquer le petit doigt avec un instrument pointu, et, au bas de la lettre, écrite tout entière de sa main, de sa plume trempée dans son sang, il écrivit en toutes lettres son nom196.

L’évocation eût lieu dans une prairie de Machecoul, tout près d’une auberge, à l’enseigne de l’Espérance : mais le diable n’apparut pas ; et Gilles, tenant l’évocateur pour charlatan sur un dire de l’hôtelière dont il était connu197, en fut quitte pour recommencer avec un autre, sinon tout aussi charlatan, au moins aussi malheureux dans ses tentatives.

138L’occasion ne tarda pas à se présenter. Pour cette fois, ce fut le trompette du Mesnil qui lui demanda de se prêter à la même comédie. Le baron, par espoir de réussir enfin, accorda tout ce qu’on exigeait. Il écrivit une nouvelle cédule, où il promettait avec serment de donner au démon, à chaque fois que celui-ci se présenterait, telles choses qu’il désignait, et dont le souvenir lui échappait dans la suite. La lettre achevée, il tira de nouveau de son petit doigt quelques gouttes de sang, et signa comme la première fois son nom en entier : Gilles.

Quant aux termes de la lettre, il ne put les rappeler précisément à ses juges : il se ressouvint seulement qu’il demandait au démon trois choses, science, puissance et richesses ; lui promettant en échange tout ce qu’on demanderait, à l’exception expresse toutefois et de son âme et de sa vie. Mais toute démarche fut inutile : le démon ne se montra pas[197]. Il allait plus loin encore pour briser toutes les résistances ; car il n’est pas d’extravagances qui ne soient passées par la tête de cet insensé. Plus il lui était difficile d’évoquer l’esprit malin, et plus il redoublait ses efforts. Il osa même, une fête de la Toussaint, faire chanter l’office du jour en l’honneur des esprits maudits et des damnés, détournant ainsi en faveur du diable et de l’enfer des hommages qui ne sont dûs qu’aux saints et à Dieu. Mais l’indigne mascarade, où le dépit apparaît si manifestement sous la farce sacrilège, fut aussi inutile que tout le reste : l’offrande dérisoire du sacrifice divin ne lui réussit non plus que l’oblation de son propre sang ; la déception était au bout de toute tentative, amère et cruelle comme le rire moqueur.

Science, pouvoir, richesses : trois choses qui sont l’objet de tous les vœux du maréchal ; âme et vie : deux biens exclusifs, sur lesquels il ne permit jamais au démon d’étendre sa patte velue. À quelque époque de son existence qu’on le 139prenne, au début, dans la carrière des armes, comme à la fin, dans les pratiques de la magie, la science, la richesse et la puissance, terme inévitable où tendent tous ses désirs et tous ses efforts, sont constamment le but qu’il met à son ambition. Elles répondent à un triple besoin de sa vie : sa curiosité naturelle, son amour de la gloire humaine, sa passion de l’or, qui étaient si étroitement unies par le lien de l’ambition. Pour arriver à son but, on peut croire qu’il n’était rien qu’il ne fût décidé d’avance à faire : travaux guerriers, qui le menèrent si vite à la gloire militaire et aux honneurs de l’État ; folles dépenses, qui le conduisirent si rapidement à la ruine de sa fortune ; crimes de toutes sortes, qui le précipitèrent, les mains tendues vers des promesses jamais réalisées, dans un abîme où il s’engloutit ; tout semble jeu d’enfant à son ambition. Coûte que coûte, lui fallût-il donner pour prix de ces chimères, repos, bonheur, gloire, fortune, il voulait la science, mais la science qui mène à la richesse ; il voulait de l’or, mais l’or qui mène à la puissance ; il voulait la puissance enfin, mais une puissance qui donne une réalité aux rêves du pouvoir les plus extravagants. À tout prix, il veut refaire sa fortune qui croule, remonter au rang élevé d’où il déchoit, et consolider les bases de sa grandeur qui menace ruine. Il tuait même pour atteindre, dit Monstrelet

intentions aucunes, haultesses, et chevances et honneurs désordonnés ;

par quoy il retournast au premier estat de sa seigneurie198,

ajoutent les procédures civiles. Et pourtant, chose étrange ! si décidé qu’il fût à faire le sacrifice de tout, il y eut toujours deux choses que l’instinct de la conservation et les lumières vivaces de la foi lui firent toujours réserver : son âme et sa vie. Sa vie ; car, à quoi bon la science, la richesse et le pouvoir, si le démon, qui d’une main lui eût donné les objets de ses désirs, de l’autre lui eût enlevé le temps, c’est-à-dire le moyen d’en jouir ? 140Son âme ; car, même dans les ténèbres les plus profondes et les plus épaisses du mal, la foi envoyait jusqu’à lui ses lumières ; et le repentir, qui sourdait par moments dans son cœur remué violemment par le remords, lui disait que le Dieu qui pardonne, pour pardonner, veut encore avoir sur une âme des droits reconnus199.

Celui qui s’élève si haut par ses propres désirs est incapable de modération. À cette époque, où, dans la pensée de presque tous les contemporains de Jeanne d’Arc, des apparitions, venant du ciel, avaient précédé et amené les plus grands évènements de notre histoire, les esprits étaient fort enclins au merveilleux ; et il était facile aux hommes mauvais, comme l’était Gilles, de croire aux influences surnaturelles, même venant de l’enfer : Gilles s’obstinait dans ses espérances avec une ténacité opiniâtre, d’où la raison elle-même est bannie et où il n’y a plus de place qu’à une folle ambition. Oui, il y a dans les désirs que Gilles de Rais avait de la puissance un excès qu’il est fort curieux de remarquer, parce qu’il nous paraît lié à la grande révolution de son siècle. Nul, plus que Gilles de Rais, n’avait dû être frappé du caractère surprenant, qui éclate dans la mission de Jeanne d’Arc. À ses côtés, il avait assisté à ses brillants faits d’armes ; il avait vu tomber devant elle les bastilles des Anglais et Orléans délivrée en quatre jours. À ses côtés, il avait pris part à la campagne de la Loire, aux expéditions non moins glorieuses de Reims et de Paris, au cours desquelles tant de villes, livrées par la trahison ou tombées de vive force aux mains des ennemis, ouvraient leurs portes d’elles-mêmes, le plus souvent sans coup férir, à un roi jusque-là toujours vaincu. Le peuple, les capitaines, toute l’armée, au dire du secrétaire de la ville de Metz, croyaient que rien ne 141saurait plus résister et que tout ce que le dauphin et la Pucelle entreprenaient leur réussissait en tout sans aucune résistance. Ni Gilles de Rais ni ses contemporains ne s’y trompaient, surtout, lorsque après la mort de Jeanne, le roi eut repris le cours de ses succès ; évidemment une force supérieure menait les forces humaines. Le maréchal de Rais avait été témoin de cet enthousiasme ; lui-même avait subi l’attrait de ce merveilleux ; il avait ouï raconter tous les prodiges dont l’imagination du peuple entourait la naissance, la jeunesse et la personne de l’héroïne : son ambition osa se promettre, l’insensé ! de renouveler à son profit les choses étonnantes qu’il avait vues. C’est sans doute dans ce dessein qu’il prêta son concours à la fausse Pucelle : pourquoi cette femme, qu’on disait, qu’il crut peut-être un moment être la même que la Pucelle d’Orléans, ne ferait-elle pas pour lui ce qu’elle avait accompli pour Charles VII ? N’y avait-il pas quelque analogie entre la détresse présente du maréchal et la détresse passée du dauphin ? Mais, comme tant d’autres, cette illusion fut de courte durée. Alors, par honte, ou par un reste de pudeur qui ne permet pas au crime de compter sur l’appui du ciel, il rechercha la protection de l’enfer. Ainsi que Dieu, le démon a sa puissance ; il peut donner à ceux qui le servent un pouvoir limité sans doute, mais enchanté cependant : c’est donc à lui que Gilles demande, science, or et puissance, et ce pouvoir merveilleux de faire tomber devant lui, au gré de ses caprices, les forteresses et les villes les mieux défendues par l’art et par la nature, sans que personne puisse jamais prévaloir contre lui200. Voilà bien, si je ne me trompe, le rêve d’une puissance semblable à celle qu’exerça la Pucelle d’Orléans et qui servit si heureusement les intérêts de la patrie. Par les esprits trop vastes, tout est conçu hors des limites naturelles : il n’y a pas d’hommes, auquel on puisse plus justement appliquer le 142mot de Salluste, parlant de Catilina : Vastus animus, immoderata, incredibilia, mimis alta semper cupiebat. L’empire du monde, les royaumes de la terre, les villes, les campagnes immenses, voilà ce qu’il aperçut un jour des sommets où l’ambition avait porté ses désirs ; et pour posséder toutes ces richesses, il n’hésita pas un seul instant à se courber devant le maître : il se jeta aux pieds du Tentateur, et il l’adora.

Mais en même temps, cet esprit trop vaste dans ses pensées est soumis à tous les changements capricieux de la passion, qui toujours est mobile dans les esprits faibles. Non seulement il change continuellement de moyens pour arriver au but constant de ses désirs ; mais il connaît encore toutes les alternatives du désespoir et de l’espérance. Cette agitation perpétuelle de son esprit et de son cœur est l’un des traits les plus visibles de son caractère. Or, on peut juger, par la grandeur de cette ambition, quelles amertumes et quelles colères suivaient l’insuccès de toutes ses entreprises : multum displicens et iratus erat, dit le procès201. C’était vainement qu’il avait fait fouiller les pays les plus lointains pour y découvrir les premiers maîtres du monde dans les sciences occultes ; vainement qu’il avait versé l’or à flots ; vainement qu’il avait fait couler son sang. La passion, si grande qu’on la suppose, ne l’empêchait pas de voir que ses ressources s’épuisaient, que ses plus belles terres étaient vendues, que les créanciers se faisaient plus rares, plus exigeants, et que, pour peu que cet état de choses continuât, c’était la ruine, et une ruine pleine de hontes. Devant un avenir si sombre, à bout d’expédients aussi bien que de patience et d’or, Gilles maudissait sa destinée ; de nouveau il doutait ouvertement de la magie et des magiciens, quand, un soir, un dernier évocateur, qui devait donner une nouvelle impulsion à son activité en réveillant ses espérances et en faisant éclore en lui comme une nouvelle floraison 143de chimères, vint frapper à la porte du château de Tiffauges. Cet homme, qui exerça sur Gilles, jusqu’aux derniers jours de sa liberté et jusqu’à la veille de sa mort, une si grande influence, était un italien venu directement de Florence.

Vers le milieu de l’année 1438, dans un hôtel de Florence, deux hommes, un italien et un français, se rencontraient à la même table. Les premiers jours se passèrent à parler de choses et d’autres, ainsi qu’il arrive entre étrangers : un certain Guillaume de Monte-Pulciano les avait mis en relation202 ; d’abondantes libations et de copieux festins, offerts par le français, les mirent en amitié. Ils se rencontraient souvent ensemble avec un certain Nicolas de Médicis, de Florence, et un nommé François, du diocèse de Castellane. Un jour, tout en causant, l’un d’entre eux, cédant évidemment à un mouvement de curiosité qui n’était pas irréfléchie, porta la conversation sur un autre sujet que la littérature, les arts et la poésie, et, s’adressant à son nouvel ami :

— Connaissez-vous, lui demanda-t-il, le grand art de l’alchimie ?

— Oui, lui répondit son compagnon, grand buveur par habitude203.

Sa réponse flatta manifestement son interlocuteur. Encouragé par cet aveu, il jugea en effet le moment venu de pousser plus loin :

— Et l’évocation des démons ? hasarda-t-il.

— Tout aussi bien, répondit son convive, qui pour un pot de vin aurait évoqué tous les diables204.

Ce fut sur le visage de l’interrogateur comme un éclair de joie :

— S’il en est ainsi, dit-il, voulez-vous me suivre en France ?

— Très volontiers, dit l’italien ; j’ai même en Bretagne, dans la ville de Nantes, un cousin nommé Martel, que je serais fort aise de revoir.

— Rien n’est plus heureux, dit le français, je connais dans ces contrées un illustre seigneur, 144le baron de Rais, dont le plus ardent désir est d’avoir en sa compagnie un homme expert dans les sciences secrètes. Si vous êtes vraiment versé dans ces arts divins et que vous vouliez venir avec moi vers lui, il vous en reviendra, j’en suis sûr, les plus grands avantages.

— Très volontiers ! reprit de nouveau l’italien joyeux ; et moi, je me fais fort d’enrichir en trois mois celui qui voudra bien me recevoir205.

Sur cette conversation, les deux nouveaux amis convinrent du jour du départ, et se séparèrent non moins contents l’un de l’autre que chacun de soi-même : tous deux bénissaient la fortune ; car ils avaient trouvé, l’un, le moyen de conserver, l’autre, celui de mériter les bonnes grâces d’un illustre et riche seigneur. Le français était un prêtre, Eustache Blanchet, soi-disant venu en Italie pour affaires privées près la cour romaine ; l’italien se nommait François Prélati.

L’imagination nous représente d’ordinaire le magicien et l’alchimiste du moyen âge comme un vieillard usé par les années, solitaire, négligé de barbe, de chevelure et d’habits. Tel est le vieillard de Téniers, au musée de Bordeaux, dans la Lecture diaboliquea. Le coude appuyé sur une table, un livre dans la main droite, et les yeux pétillants fixés sur le vieux parchemin jauni par le temps, sa tête repose sur sa main gauche. Les rides de son visage prennent encore quelque chose de grimaçant, au rire infernal qui les détend. Deux figures ignobles, deux vraies figures de démon, ricanent dans l’ombre ; en avant, une vieille femme à genoux tient une torche fumeuse. Des flacons d’eaux mystérieuses sont déposés sur un billot grossier, contre lequel s’appuient de lourds in-folios décousus par l’usage. Enfin, pour compléter la scène, sur la table, une tête de mort près de l’encrier noir, et, dans l’air, des chauves-souris au vol rapide, tournoyant et fantastique ; des serpents, monstres ailés et vomissant des flammes, s’agitent autour de la tête du vieux savant, symboles des idées monstrueuses qui s’agitent sous 145ce crâne dénudé et jauni. Tel n’était pas François Prélati.

Michelet fait de cet homme un prêtre de Pistoie, en Italie ; M. Vallet de Viriville en fait un prêtre de Florence : mais ils se trompent l’un et l’autre et sur son pays et sur sa profession ; car ils sont contredits sur ces deux points par les deux procès. François Prélati était né en Italie, au diocèse de Lucques, dans le Val-Noir, à Monte-Catini, tout auprès de la ville de Pistoie206. Il avait vingt-trois ans lorsqu’il vint en France. Agrégé de bonne heure à la cléricature, il avait reçu la tonsure des mains de l’évêque d’Arezzo207. C’était un esprit curieux, rempli de l’amour de la science et de la littérature, versé dans la connaissance de la belle latinité et remarquable par la pureté et l’élégance de son parler latin208. L’Italie, déjà si avancée dans le progrès des lettres, lui avait fourni de beaux modèles et des maîtres illustres en l’art de bien dire. Déjà les strophes harmonieuses de Pétrarque avaient charmé les oreilles de ce peuple artiste ; déjà la grande épopée de Dante, le plus beau poème de l’Italie et du moyen âge, avait enivré un peuple si naturellement ami de l’harmonie et de la beauté idéale. Cette culture intellectuelle, très avancée pour une époque où les peuples voisins sortaient à peine de la barbarie, si l’on pense à la littérature et aux beaux-arts, avait déjà fait de l’Italie une terre privilégiée, qui nourrissait pour le reste du monde des maîtres et des modèles. Ses peintres n’étaient pas moins connus que ses poètes ; avec les Papes d’Avignon, avec les ducs d’Anjou, rois de Naples et de Sicile, si épris d’amour pour les beaux-arts, ils avaient passé des rives du Tibre et du golfe de Naples dans les villes de la Provence et sur les bords de la Loire. Le Roi René, dont le goût des arts est prouvé moins encore par ses œuvres que par les largesses dont il combla les artistes en tout 146genre, en avait peuplé son palais et ses châteaux. Nous sommes portés à croire qu’avec des goûts si semblables à ceux du roi René, son suzerain, Gilles de Rais, dont l’unique ambition était de réunir autour de lui toutes les grandeurs et de lutter en faste et en prodigalités avec les princes, attira, de la cour d’Anjou à la sienne, des maîtres charmants et habiles, dont le nom était dans toutes les bouches. Les qualités brillantes de l’Italie savante et littéraire étaient faites pour lui plaire, et il n’était pas éloigné de croire que Prélati était à tout le moins aussi élevé par la science au-dessus de tous les autres alchimistes et évocateurs, qu’il l’était sur les autres hommes par les lettres, le beau langage et les belles manières. Comme ses juges lui demandaient la raison de son affection pour cet italien, il répondit qu’il trouvait tout en lui : habileté, complaisance, langage recherché et plein d’images, activité et rouerie dans les affaires. Ainsi, Prélati n’était pas seulement un brillant esprit, séduisant par ses belles paroles et ses manières agréables, il était surtout habile alchimiste, habile nécromancien (habilis), habile flatteur (eidem Egidio gratus), habile parleur (quod pulchre et ornate verbis latinis loqueretur), et surtout habile à se rendre nécessaire (ac eciam circa negotia ejusdem Egidii diligentem se exhibebat)209.

Les sciences occultes, dont il faisait profession et où un un certain fonds de vérité s’enveloppe de tant d’obscurités et de mystères, ce qui veut dire souvent de tant d’artifices et de duperies, avaient particulièrement fait des progrès en Italie. C’est de la haute Italie que s’envolèrent, au moyen âge et jusque dans les temps modernes, ces alchimistes, ces magiciens, ces évocateurs des démons, ces astrologues, qui s’abattirent sur toute l’Europe, mais surtout sur la France, et plus tard jusque dans les palais de nos rois, à la suite des Médicis. Mais à l’époque où nous sommes, nulle part, plus qu’à Florence, les sciences occultes ne s’étaient propagées 147dans l’ombre. En 1437, le jeune Prélati, qui avait l’esprit ouvert à toutes les curiosités humaines et divines et le cœur accessible à toutes les ambitions, se mit en commerce avec un médecin de Florence, grand évocateur des esprits malins, du nom de Jean de Fontenelle. Celui-ci l’avait, un certain jour, emmené dans une chambre située à la partie supérieure de sa maison, et il avait évoqué le démon en sa présence : des oiseaux s’étaient montrés à leurs yeux ; il en était venu vingt-cinq qui avaient la forme de corbeaux, noirs comme eux et muets, car ils n’avaient rien dit aux deux évocateurs. Une seconde fois, Barron (c’était le nom d’un diable très puissant,) leur était apparu sous la forme d’un beau jeune homme, à qui Jean de Fontenelle avait présenté Prélati. Ils passèrent ensemble un traité formel, aux termes duquel le nouvel adepte promit de donner au démon, à chaque fois qu’il se rendrait à sa voix, une poule, un pigeon ou une tourterelle210. Nous rapportons des aveux faits devant des juges à la veille d’une condamnation à mort : nous ne les discutons pas.

Tel était l’homme qu’avait rencontré Eustache Blanchet, à Florence, chez l’évêque de Montréal211, dit vulgairement de Mondovi. Au jour convenu du départ, François Prélati emporta un traité de l’évocation des démons et d’alchimie, et les deux voyageurs partirent pour la France. Arrivés, après une longue route, dans la province ecclésiastique de Tours, à la petite ville de Saint-Florent-le-Vieil, à mi-route d’Angers à Nantes, sur les charmantes rives de la Loire, les deux compagnons s’arrêtèrent, et soit qu’ils eussent besoin de repos, soit que Prélati, enchanté par le paysage, voulût en admirer la beauté, ils y séjournèrent pendant quelque temps. De cette petite ville, Eustache Blanchet, au bout de quelques jours, écrivit au maréchal de Rais pour lui annoncer l’arrivée du grand homme. Aussitôt qu’il eut reçu cet avis, Gilles dépêcha vers eux deux de ses plus fidèles serviteurs, 148Henriet et Poitou, avec de bons chevaux pour les deux voyageurs : c’est avec cette escorte que, dix-huit mois environ avant le mois d’octobre 1440, François Prélati se présenta aux portes du château de Tiffauges. À la vue de l’italien, dit le procès, à la vue de ses manières si distinguées, quand il entendit son langage, quand il constata que tout ce que Blanchet lui avait écrit de sa science et de son habileté était encore au-dessous de la réalité, Gilles laissa éclater sa joie ; toutes ses espérances se réveillèrent ; ses rêves évanouis se reformèrent devant ses yeux ; une nouvelle ardeur, comme un sang nouveau, circula dans ses veines : il allait donc enfin, — après combien de tentatives ! — faire de l’or, raffermir sa fortune ébranlée, monter à ce pouvoir sans bornes qui était l’objet de sa suprême ambition. Rêves trompeurs ! folles espérances212 !

Mais avant qu’une dernière et dure expérience vienne lui faire toucher du doigt la vanité de son espoir et de ses chimères, les fourneaux se rallument avec un nouvel éclat et les mascarades des évocations recommencent. À peine François Prélati, son nouveau maître, est-il arrivé, que Gilles le tourmente déjà pour travailler à la fusion des métaux et mener à bonne fin le grand œuvre. Ils s’enferment tous deux dans une chambre close à tout profane, où l’on trouva plus tard une main de cire et un pied de fer213 ; c’est à peine si Blanchet, Henriet et Poitou peuvent, du dehors, y jeter un regard curieux et saisir, au vol, quelques paroles entrecoupées214. Tant de précautions furent inutiles ; vaines furent l’habileté des ouvriers et leur persévérance opiniâtre ; vain leur espoir, aussi vain que le souffle qui passe.

En même temps que les opérations alchimiques, les évocations magiques se renouvellent. Nombreuses, elles sont marquées toutes par quelque crime nouveau, toujours ridicules 149et mystérieuses, souvent ensanglantées par le meurtre. Dès les premiers jours qui suivirent son arrivée à Tiffauges, Prélati fit la connaissance d’un médecin, breton bretonnant, qui demeurait dans la ville, chez un nommé Geoffroy Lecomte, dont il soignait la femme pour une maladie d’yeux. Ce médecin, attiré sans doute en ces lieux par l’espoir de quelque bonne fortune, montra à l’italien un livre écrit à l’encre noire, partie sur papyrus, partie sur parchemin, orné enfin de rubriques. Ce livre traitait d’évocations, de médecine, d’astrologie et de plusieurs autres choses cachées. Prélati le demanda à son nouvel ami, et, joyeux, vint en toute hâte le montrer au maréchal. Gilles en parcourut rapidement les pages avec lui, et, soit que ce livre fût d’accord avec les principes scientifiques de l’italien, soit qu’il contînt même des secrets qui lui étaient inconnus, ils résolurent de tenter, d’après les principes que ce livre renfermait, une nouvelle évocation du démon215.

Une nuit donc de l’été 1439216, après un souper copieux et prolongé bien avant dans la nuit, Gilles, Prélati, Blanchet, Poitou et Henriet se rassemblèrent vers minuit au château de Tiffauges, dans une grande salle qui donnait sur cette belle vallée de la Crûme, pleine d’eaux limpides et de verdure217. L’un d’eux tenait à la main un flambeau et un cierge de cire blanche. Sur l’ordre de Gilles et de Prélati, Blanchet, Henriet et Poitou avaient déjà apporté une grande quantité de charbon, du feu, de l’encens, une pierre d’aimant, des torches, des chandelles, et un pot de terre destiné à recevoir le feu et l’encens. Quand toutes ces choses furent préparées, Gilles et Prélati tracèrent avec la pointe d’une épée un grand cercle sur le sol ; et dans l’intérieur de ce 150cercle, en quatre endroits, ils dessinèrent des croix, des caractères de toutes sortes et des signes en forme d’armoiries semblables à une tête. Le réchaud s’allume ; une flamme pâle s’élève, dont les reflets donnent aux murs et aux visages des opérateurs cette teinte sombre et sinistre avec laquelle les romanciers ont toujours peint ces fantasmagories. À ce moment, Prélati allume un second feu, dans un angle de la chambre, non loin de la porte, et tout près du mur ; puis, il décrit sur la muraille elle-même, à l’aide d’un instrument pointu, divers autres dessins, qui représentent des armoiries comme ceux du cercle218. On jette sur les charbons ardents des poudres magnétiques, vulgairement appelées poussière d’aimant, de l’encens, de la myrrhe et de l’aloès ; une fumée odoriférante s’élève en nuage épais et remplit la salle de tous ces parfums mélangés219 ; enfin, quand tout est préparé pour l’arrivée du démon, Prélati fait ouvrir les quatre fenêtres de la salle disposées en forme de croix et dont le symbolisme doit jouer un grand rôle dans la cérémonie de l’évocation.

Quand tous ces préparatifs sont achevés, Gilles commande aux trois témoins de sortir de la salle, de se rendre à sa chambre à coucher, et d’y veiller en attendant son retour : surtout il leur défend bien, sous peine d’encourir toute sa colère, de revenir sur leurs pas pour voir et entendre ce qui se passerait entre Prélati et lui, leur recommandant en outre de garder un silence absolu sur tout ce qu’ils ont pu voir220. Les trois serviteurs obéirent à son ordre, et se retirèrent dans la chambre du maréchal. Poitou ne tarda pas à s’endormir : mais Henriet et Eustache Blanchet, ou par curiosité, ou par terreur, ne purent fermer les yeux avant l’arrivée de Gilles et de Prélati. Ceux-ci cependant se sont mis à l’œuvre : ils sont entrés dans le grand cercle magique tracé sur le sol de la salle ; Prélati a dans la main le 151livre des évocations, où il est affirmé que les démons ont le pouvoir de révéler les trésors cachés, d’enseigner la philosophie et de diriger les actions vers le succès221 ; Gilles tient dans la sienne une cédule dictée par son maître, et signée de sa main et de son sang, tout prêt à la donner au démon aussitôt qu’il apparaîtra222. Alors commence une longue série de prières, souvent interrompues ou accompagnées de protestations, de promesses et d’offrandes. Tantôt debout au milieu du cercle, tantôt à genoux devant le génie du mal, deux heures durant, ils l’adorent, ils lui font des sacrifices, ils lui adressent mille invocations ; ils lisent ensemble dans le livre mystérieux223 ; tour à tour suppliants et impérieux, tantôt ils commandent avec autorité et tantôt ils prient humblement :

— Je vous adjure, Barron, Satan, Bélial, Belzébuth, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; au nom de la Vierge Marie et de tous les saints, apparaissez ici en personne pour parler avec nous et faire à notre volonté224 !

Les évocateurs s’arrêtent ; ils attendent impatiemment, les yeux tournés vers les fenêtres ouvertes ; et Gilles, sa cédule à la main, dit du fond du cœur :

— Oh ! venez, esprits puissants, qui montrez les trésors cachés, la science, la philosophie de la vie225 ; venez à ma voix ; je vous promets tout, hors mon âme et ma vie, tout, si vous voulez me livrer, au gré de mes désirs, or, science et pouvoir226.

Malgré ces promesses, ces prières, ces adorations, malgré les saints noms invoqués, devant qui tout tremble au ciel et dans les enfers ; malgré la colombe, le pigeon, la tourterelle ou le coq offerts pour l’allécher227, le démon demeura sourd à la voix de Gilles : rien n’apparut ; il n’entendit rien. Seulement, durant que Poitou dormait, dans la chambre de Gilles, Blanchet et Henriet 152entendirent sur le toit de la maison comme les pas d’un animal à quatre pattes, qui marchait avec un grand bruit vers la lucarne de la poterne du château, près du lieu où étaient le baron et Prélati. Mais il se gardèrent bien d’en parler à Gilles de Rais, quand celui-ci leur demanda s’ils n’avaient rien vu ou rien entendu. Quelque temps après, vers une heure ou une heure et demie du matin, les deux évocateurs regagnaient la chambre où se trouvaient les trois amis ; Prélati, mécontent d’une tentative inutile, malgré tous les efforts qu’il avait déployés ; Gilles, la mort dans l’âme et la rage au cœur228, perdant malgré lui tout espoir, et redisant, à qui voulait l’entendre, que personne au monde n’avait le pouvoir de faire venir le démon ; que faux étaient tous les récits que l’on faisait de telles évocations, et folles les espérances des évocateurs229. Aspirer si haut pour tomber si bas serait risible, si ce n’était si terrible.

Ce sont là des scènes, en effet, auprès desquelles les plus effrayantes de Théocrite et de Virgile ne sont qu’amusement d’enfants ; ce sont même des drames réels auxquels on n’oserait croire, s’ils n’étaient appuyés par toutes les affirmations de l’histoire. Gilles n’avait pas reculé devant ces horreurs : ce qu’elles avaient de mauvais n’était pas ce qui l’affligeait, mais ce qu’elles avaient d’inutile et de vain. À lutter contre ses doutes et son découragement, Prélati employait toutes les ressources de son éloquence et toute l’autorité de son passé ; et son adresse en l’art de persuader, jointe à la haute opinion que le maréchal avait de son pouvoir et de sa science, entretenaient toujours le mourant espoir de Gilles de Rais. Deux fois encore, le baron tenta personnellement l’évocation à Bourgneuf et à Josselin, pendant un voyage qu’il fit auprès du duc de Bretagne dans les 153derniers mois de sa liberté et de sa vie230, au mois de juillet 1440 ; mais le démon ne fut pas plus favorable. Gilles conçut alors l’espérance qu’il le serait davantage à ses intimes231.

Un soir donc, Poitou partit de Tiffauges avec Prélati pour faire une nouvelle évocation. Par une nuit des plus noires, ils se rendirent du côté de l’auberge de l’Espérance, près d’une vieille maison inhabitée, située sur la route de Montaigu, au-dessous de l’étang du château, dans une prairie, qui s’étendait à une portée d’arc de cet étang232. Prélati emportait du feu, de l’encens, divers aromates, un cierge, une pierre d’aymant et le livre des évocations. Poitou avait grand peur ; mais l’ordre du maréchal était formel, impérieux, inévitable : il avait fallu cependant que Prélati l’assurât qu’il ne courrait aucun péril et ne recevrait aucune blessure. Prélati, à l’aide d’un couteau, traça dans la prairie le cercle magique avec des croix, des figures et des caractères mystérieux ; de nouveau, le charbon et le cierge furent allumés ; les parfums donnèrent leur fumée ; mais Prélati défendit expressément à Poitou de faire le signe de la croix sur le feu et le flambeau. Lui, cependant, son livre à la main, recommença toutes les cérémonies de l’évocation tant de fois essayée en vain. Pendant une demi-heure environ, Poitou, debout dans le cercle, tenant entre ses doigts une cédule écrite et signée de la main de Gilles lui-même, tremblant de frayeur et n’osant faire le signe de la croix, de crainte de mourir, comme l’en avait menacé l’évocateur, attendait avec impatience. La cédule portait écrits ces mots :

Veni ad voluntatem meam, et faciam tibi quidquid volueris, excepta anima mea et diminutione vitæ meæ. Viens à ma volonté, et je ferai tout ce que tu voudras, me réservant toutefois mon âme et ma vie !

Les paroles mystérieuses de Prélati, auxquelles il ne comprend rien et où il ne distingue 154que le nom de Barron, l’obscurité de la nuit, la solitude des lieux, l’approche d’un orage, ajoutent encore à la terreur de Poitou ; sans que Prélati s’en aperçoive, il fait secrètement le signe de la croix ; tout à coup un grand vent s’élève comme un tourbillon, et les nuages crèvent en une pluie torrentielle. Prélati et Poitou n’ont que le temps de s’enfuir de ce lieu maudit ; mais la nuit est si noire qu’ils se dirigent avec les plus grandes difficultés ; ils arrivent mouillés jusqu’aux os, et, pour comble de mésaventure, trop tard pour rentrer au château : le pont-levis est relevé ; et ils sont obligés d’aller chercher un refuge dans la ville. Heureusement que Blanchet, qui attendait leur retour, leur a fait préparer un grand feu et un lit pour la nuit233.

Barron, qui se montrait obstinément sourd lorsque Gilles de Rais était présent, l’était moins, paraît-il, quand Prélati était seul. Dans les entretiens secrets qu’il avait avec ce savant, il lui découvrait les motifs de sa mauvaise volonté pour le maréchal : Gilles lui avait fait, disait-il, des promesses qu’il n’avait pas réalisées. Le démon lui avait demandé, par exemple, qu’il servît trois pauvres en son honneur, à trois grandes fêtes de l’année ; et Gilles, l’ayant fait une fois à la Toussaint, avait ensuite oublié sa promesse ; et bien d’autres choses encore, dont peut-être l’artifice couvrait aux yeux du maréchal le savoir-faire de Prélati234. Mais en même temps que l’italien entretenait adroitement Gilles de Rais dans une sorte de soumission en lui donnant tous les torts, il avait soin de nourrir sa foi et ses espérances par le récit des merveilleuses choses que lui disait le démon.

Un jour, l’esprit lui apparut sous la forme d’un beau jeune homme. Prélati, au nom de Gilles, lui demanda des richesses. À ce moment, il aperçut dans la chambre une grande quantité 155de lingots d’or. Au bout de quelques jours, il voulut y toucher, mais l’esprit malin lui défendit d’y mettre la main, car le moment n’était pas encore venu. Prélati alla porter cette nouvelle à Gilles de Rais.

— Puis-je voir cet or ? demanda le maréchal.

— Oui, répondit Prélati.

Et sur cette réponse, ils se rendirent tous les deux à la chambre où cet or était renfermé. Mais, au moment où Prélati ouvrit la porte, un énorme serpent vert, de la grosseur d’un chien, lui apparut couché sur le plancher :

— N’entrez pas ! n’entrez pas ! cria-t-il au maréchal, car j’aperçois un grand serpent.

À ce cri, Gilles s’enfuit épouvanté, et Prélati après lui. Mais, sa première frayeur passée, le maréchal veut revenir à la chambre. Pour s’enhardir contre les attaques du démon, il a pris dans ses mains une croix, qui renferme une portioncule de la vraie croix ; ainsi protégé, dans sa pensée, contre tout péril, il s’imagine pouvoir entrer impunément dans le lieu redoutable. Mais Prélati l’arrête ; il lui fait comprendre qu’il est mal d’employer une croix bénite à de pareils usages, et le maréchal se range à son avis. Dans la suite, Gilles revint à cette même chambre ; mais il n’aperçut que des oripeaux d’or, dont, au seul toucher de Prélati, il ne resta qu’un peu de poussière jaune : d’où je connus bien, disait Gilles à ses juges, la fausseté de l’esprit malin235. Si l’on se demande comment Gilles, malgré tant d’avortements de ses entreprises, persévérait toujours dans sa foi en Prélati et dans ses espérances, il faut en chercher la raison dans sa crédulité naturelle et dans l’excès colossal de son ambition.

Quelque temps après cet évènement, Gilles partit pour le Berry, et se rendit à Bourges, vraisemblablement pour paraître à la cour. En quittant Prélati, il lui recommanda ses affaires et le pria de lui écrire bientôt le résultat de ses évocations. Au bout de quelques jours, Gilles reçut de l’italien une lettre et un petit coffret. Dans cette lettre, Prélati annonçait au maréchal, par paroles couvertes, et 156en français, que ses affaires allaient bien. Le démon lui était apparu encore avec les traits d’un beau jeune homme, qui lui avait remis sur une pierre d’ardoise une poussière noire ; le démon lui avait dit en même temps de la transmettre au baron, qui devait la déposer dans une petite custode d’argent pour la porter à son cou : Vous avez là, continuait Prélati, une chose bien précieuse ; et en vous conformant aux ordres du démon, il vous en reviendra de grands biens : gardez soigneusement cette richesse. Gilles reçut ce présent des mains de Poitou236, qui avait fait le voyage de Tiffauges à Bourges à dessein de le lui remettre. La poudre mystérieuse était renfermée dans un linge de sandal, contenu lui-même dans un vase d’argent. Le maréchal se conforma pendant quelque temps aux prescriptions de Prélati, et porta à son cou le petit coffret ; puis, impatient des retards mis à la réalisation de ses rêves237, il le quitta et rendit la poudre à l’italien. Celui-ci la conserva précieusement dans un petit coffret d’argent, qu’il avait lui-même dans sa chambre, chez un habitant de Machecoul ; et c’est là qu’elle fut trouvée à l’époque de l’arrestation de Gilles et de ses complices238.

De nouveau, l’esprit de Gilles était fortement ébranlé par les doutes qui l’assaillaient de toutes parts, quand une nouvelle aventure vint, dans les derniers mois de sa liberté, lui prouver le pouvoir redoutable du démon. Si l’italien Prélati était honoré des visites du diable, il en courait aussi tous les dangers ; et fut un jour si grand le péril qu’il faillit en perdre la vie. Ce jour-là, Eustache Blanchet était sorti dans la ville de Tiffauges pour rendre visite à quelques confrères, de ses amis, lorsqu’un envoyé de Gilles de Rais le manda sur l’heure au château. Eustache, étant accouru en toute hâte, trouva dans une galerie le maréchal tout en larmes :

— Ah ! 157dit le baron, je crois bien que mon ami François est mort ; je l’ai entendu pousser de grands cris dans cette chambre ; et, à sa voix, il se mêlait des coups terribles : je n’ai osé entrer ; je vous supplie d’y pénétrer vous-même pour voir ce qui se passe.

— Je me garderai bien de le faire, répondit Blanchet tout effrayé lui-même : non, non, je n’entrerai pas !

Cependant, après bien des prières, et pour complaire au maréchal, il s’avança dans la direction de la chambre ; mais au lieu de se diriger vers la porte, il passa dans le jardin, et, par une fenêtre, il cria de toutes ses forces :

— Maître François ! Maître François !

Prélati ne répondit rien ; mais Eustache Blanchet l’entendit distinctement qui gémissait et se plaignait comme un homme grièvement blessé. Alors, sans oser en découvrir plus long, il retourna vers Gilles et lui rapporta ce qu’il avait entendu : à ces détails, la douleur et les larmes du maréchal redoublèrent. Enfin ils virent François Prélati sortir de la chambre, pâle, défait, se soutenant à grand-peine sur ses jambes : il put cependant, en s’appuyant sur ses deux amis, gagner la chambre de Gilles. Là, il raconta que le démon l’avait frappé avec violence : Comme l’esprit malin lui était apparu, dit-il, il l’avait interrogé sur les évocations, et s’était permis de dire que les diables n’étaient que des vilains sans aucune puissance ; sur quoi le démon, irrité, lui avait trop bien prouvé que son pouvoir n’était pas une puissance vaine. Ce récit paraissait plus que vraisemblable ; car les coups étaient si graves qu’une fièvre ardente prit le blessé. Gilles voulut qu’il couchât dans sa propre chambre et dans son lit, le fit confesser, et pendant sept ou huit jours que l’italien fut en danger de mort, il lui présenta tous les remèdes, sans permettre à personne de lui donner ses soins. Grâce à ses délicates attentions, François Prélati revint à la santé ; mais il demeura toujours vivement frappé de cette aventure : Eustache Blanchet témoigne qu’il lui entendit souvent affirmer depuis ce temps que les esprits 158malins étaient créés d’une matière plus noble que la Bienheureuse Vierge Marie239.

Tous ces récits de Prélati, et plus encore les coups dont il avait été la victime, prouvaient à Gilles de Rais, plus qu’il n’était nécessaire, l’existence et le pouvoir réel des démons. Aussi, il n’était rien qu’il ne fît pour se les rendre plus faciles, malgré qu’il ne pouvait obtenir la faveur insigne de les voir et de leur parler. D’ailleurs, autant il était prêt à tout leur donner, autant, ce semble, ils étaient prêts à tout lui demander. Par un caprice inexplicable, ils exigent un jour un acte de charité chrétienne : pour mériter leurs bonnes grâces, Gilles donnera à manger à trois pauvres, à trois grandes fêtes de l’année ; mais le lendemain, le démon lui ordonne d’arracher de son cœur son affection à la sainte Église catholique et à sa chapelle240. Le maréchal avait formé un projet qui déplaisait à l’esprit maudit, peut-être celui de revenir à la vertu par un repentir sincère ; le démon lui enjoignit de renoncer à son dessein. D’autres fois enfin, par un dernier excès, celui qui fut homicide dès le commencement, demande qu’on lui apporte les membres d’un petit enfant ; le cœur, la main et le sang doivent lui être offerts en sacrifice241. Comme le dit Monstrelet :

Profitant toujours en pis, (il) était venu à la méconnaissance de Dieu, ne lui restant plus faire conscience de rien pour abominable péché que ce fût… Il continua longtemps ainsi, toujours désirant et venant à nul point de aucune perfection, s’aveuglant de plus en plus242.

Car il en est ainsi : ces évocations, par certains côtés, sont tellement ridicules qu’il en faudrait rire ; par certains autres aussi, elles sont si terribles qu’il faudrait en pleurer ; le grotesque ne le cède qu’à l’odieux : 159outre la perversité des désirs qu’elles dénotent dans cet homme, elles ont servi à des violences et à des meurtres aussi horribles qu’incontestables.

Un jour que Henriet et Poitou étaient entrés dans la chambre de leur maître, ils aperçurent, à leur grande surprise, Gilles tenant la main, le cœur, les yeux et du sang d’un petit enfant, qu’il venait de faire mourir sous leurs yeux ; il enveloppa ces parties sanglantes dans un linge blanc, les mit dans un verre, et les déposa sur la cimaise de la cheminée243 ; puis il leur ordonna de fermer sa chambre à clef et de n’y laisser pénétrer personne. Le soir, Gilles prit les parties sanglantes de l’enfant, les cacha dans sa manche244 (en ce temps-là, les grands seigneurs au repos portaient d’amples vêtements), et les apporta, comme une offrande digne de plaire au démon, dans l’appartement de Prélati. Ce fut là tout ce que purent savoir Henriet et Poitou ; mais les récits de Gilles et de Prélati nous permettent de compléter ce drame dont les deux serviteurs n’avaient vu que le prélude : la fin n’en fut dévoilée qu’au jour des débats judiciaires. Les deux complices, en effet, se rendirent à la chambre où ils avaient déjà fait une première évocation, et ils recommencèrent les mêmes cérémonies dans le dessein d’offrir au démon le sang, la main, les yeux et le cœur de la victime ; mais le démon ne se montra pas. Lorsque le baron, furieux de ce nouvel échec, le cœur plus lourd par le poids d’un nouveau crime, se fut retiré, Prélati prit les parties offertes en sacrifice, les roula dans un linge de lin, et quitta discrètement le lieu de l’évocation. Il traversa la partie du château qui est comprise entre le côté qui regarde la Crûme et celui que baigne la Sèvre, et vint, d’un pas furtif, tremblant d’être surpris, inhumer ces restes en terre sainte, au pied des murs de la chapelle dédiée à saint Vincent ; puis il se 160retira sans avoir été aperçu et comme soulagé d’un grand poids qui pesait sur sa poitrine245.

Combien de fois se renouvela le drame ? Nul ne le saura jamais. Seulement Eustache Blanchet disait parfois à Henriet et à Poitou :

Il est impossible que le maréchal réussisse dans ses entreprises, s’il n’offre au démon le sang et les membres d’enfants mis à mort246.

De son côté, François Prélati témoignait qu’il avait entendu dire à un serviteur et ami de Gilles de Rais, du nom de Guillaume d’Auxi, que son maître avait tué de nombreux enfants dans sa chambre, à Tiffauges, et au-dessus du portail du château de Machecoul,

pour offrir aux démons leur sang et leurs membres pendant les évocations diaboliques ; ut offerret illorum sanguinem et membra demonibus, faciendo predictam invocacionem de ipsis demonibus247.

Et Prélati, qui savait à quels crimes menait la magie noire, ne trouvait dans ce témoignage rien qui ne fût très vraisemblable. Tels étaient les crimes des sorciers : ainsi le prescrivaient les livres qui traitaient de magie et d’évocations. Gilles les connaissait à fond, au point que, dans son habileté, il employait lui-même son génie et son temps à tracer le plan et les règles de ces évocations. Un jour, il avait emmené dans sa bibliothèque, qui lui servait en même temps de cabinet de travail et d’étude, Eustache Blanchet et Gilles de Valoys, prêtre comme Blanchet, pour leur montrer un livre, qui traitait des cérémonies de sa collégiale de Machecoul, et dont il émaillait lui-même, en véritable artiste, la couverture248. Eustache Blanchet, tout en écoutant parler le maréchal et en admirant son œuvre, aperçut sur le bureau cinq ou six feuilles de papier, qui piquèrent vivement sa curiosité. De grandes marges bordaient ces feuilles, que, des deux 161côtés, couvrait une écriture rouge, tracée de la main de Gilles lui-même et entremêlée de croix et d’autres signes également rouges. La pensée vint immédiatement à Blanchet que cette écriture était faite avec le sang de quelque pauvre enfant ; car il avait ouï raconter, disait-il, que le maréchal faisait tuer des enfants pour écrire un certain livre avec leur sang. Henriet vit également ce livre ou un autre semblable entre les mains du maréchal, et il lui sembla qu’il était écrit avec du sang ou du vermillon249.

Quelques années plus tard, Monstrelet, à la lumière des débats de Nantes qui avaient éclairé tant de choses monstrueuses, confirmait expressément tous ces bruits :

Desquels enfants ou autres créatures, après qu’il les avait fait mourir violentement, faisait prendre aucune partie de leur sang, duquel on écrivait livres, où il y avait conjurations diaboliques et autres termes contre notre foi catholique250.

On disait d’ailleurs partout, dans la contrée, qu’il écrivait un livre avec le sang des enfants ; et le peuple, dont l’imagination grossit facilement les choses, répandait la terreur en répétant de tous côtés que ce livre le rendrait tout-puissant ; qu’il n’y aurait plus ni forteresse à tenir contre lui, ni personne à lutter contre sa puissance251. On raconte que le seigneur de Rais

use de l’art et science de nécromancie et qu’il fait murtrier et occire grand nombre d’enfants, afin d’en avoir et recueillir le sang, dont il escript tous ses caractères de divinements requis pour invoquer les infernales esprits, tendant parvenir par leur moyen à recouvrer grans trésors et richesses252.

Bruits étranges, qui offrent une coïncidence remarquable avec les espérances démesurées du maréchal de Rais. Tous ces faits sont une preuve convaincante des crimes dont se rendaient coupables les magiciens et les évocateurs, en même temps qu’ils sont une sorte d’apologie de la 162sévérité que les pouvoirs établis employèrent à les poursuivre253.

Ces crimes honteux n’étaient cependant que le prélude de crimes encore plus infâmes, par lesquels le fidèle se préparait au culte du maître. Dieu, qui est tout pureté et tout amour, veut que l’homme l’honore par un culte pur et tendre, car il ne se communique qu’aux chastes et aux aimants. Le démon, au contraire, dont la révolte est tout haine et perversion, exige de ses fidèles deux choses contraires à la pureté et à l’amour : la débauche et la cruauté. C’est ce que l’on remarque dans toutes les religions païennes, et il suffit d’ouvrir les procès de Gilles de Rais, pour découvrir, dans les aveux des coupables, les traces d’une corruption et d’une cruauté effrayantes. Les procès de Gilles de Rais servent de preuves aux récits des historiens et des moralistes. Il est à remarquer, en effet, que la plupart des évocations qui s’y trouvent signalées, sont précédées de débauches et de cruautés sans nom. Nous en parlerons plus au long dans le chapitre suivant ; mais il importe de le remarquer dès à présent : l’appel au démon, à Tiffauges, à Machecoul, à Bourgneuf, à Josselin, est presque toujours préparé par des actes d’une corruption et d’une cruauté telles que l’antiquité religieuse et païenne, avec ses Sodomes et ses Éleusis, ses Néron et ses Caius, n’offre rien de semblable à l’imagination. La vie et le procès de Gilles de Rais suffisent à démontrer à quels excès pouvait pousser le culte des démons, et de quels dangers la sorcellerie menaçait la société religieuse et politique : 163on s’estime heureux aujourd’hui de voir arraché du sol un arbre qui donnait de pareils fruits de mort.

Mais si les crimes, ordinaires aux magiciens et aux évocateurs du XVe siècle, furent communs à Gilles de Rais et à beaucoup d’autres coupables, il en est qui n’appartiennent qu’au maréchal. Rien de ce que nous avons à raconter ne ressemble à ce que nous avons déjà vu : l’ombre incertaine du soir ne diffère pas plus des ténèbres de la nuit. Sans exemple comme sans imitation, ces crimes sont tels par leur nature et leur énormité, que, parmi les hommes qui ont épouvanté la terre, Gilles de Rais tient une place à part, presque sans analogie, ni avec ceux qui l’ont précédé, ni avec ceux qui l’ont suivi :

Il fallait à ces ennemis du Créateur quelque chose de plus impie encore (que les sacrifices et les offices en l’honneur du diable), le contraire de la Création, la dérision meurtrière de l’image vivante de Dieu. Cette religion du diable avait cela de terrible, que, peu à peu, l’homme étant parvenu à détruire en soi tout ce qu’il avait de l’homme, il changeait de nature et se faisait diable. Après avoir tué pour son maître, d’abord sans doute avec répugnance, il tuait pour lui-même avec volupté254.

Oui, le génie du mal était apparu, apportant de là-bas des crimes nouveaux, inouïs.

164VII
Crimes de Gilles de Rais.

Comme nous l’avons dit plus haut, René de la Suze, frère puîné de Gilles de Rais, et son cousin, l’amiral de Lohéac, frère du comte de Laval, à la requête de la famille, et forts des lettres de Charles VII, qui interdisaient au prodigue le droit de vendre et d’aliéner ses domaines, s’étaient emparés à main armée des deux forteresses de Machecoul et de Champtocé255. Il y avait déjà environ trois mois qu’ils tenaient garnison dans ces places256, quand le maréchal résolut de les reprendre. Deux motifs surtout le poussaient à tenter ce coup de main : d’abord, il avait besoin d’argent, et, pour livrer au duc de Bretagne la seigneurie et le château de Champtocé qu’il lui avait vendus, il fallait qu’ils fussent en sa possession ; puis il craignait que l’occupation de ces deux forteresses n’amenât la découverte de certains crimes qu’il avait le plus grand intérêt à cacher. Le récit des évènements qui suivent fera connaître au lecteur le dessein que le maréchal poursuivait surtout en assiégeant Champtocé : ils nous faut entrer, par ce récit, dans les derniers secrets, et les plus terribles, d’une vie rendue déjà si mystérieuse par les pratiques de l’alchimie et par les évocations de la magie noire.

Vers la fin de l’année 1437257, ou le commencement de 165l’année 1438258, Gilles de Rais leva donc une armée, augmentée encore par les renforts que lui fournit le duc de Bretagne, son protecteur déclaré contre le roi de France lui-même. Il vint mettre le siège devant Machecoul dont la résistance fut courte, et de Machecoul il se dirigea sur Champtocé. Par composition ou par la force des armes, il entra dans la place, et s’apprêta aussitôt à la remettre, sans aucun péril, entre les mains du duc de Bretagne. En effet, dans la nuit même qui suivit la reddition de la forteresse, Gilles de Rais fit venir dans sa chambre ceux de ses hommes d’armes et de ses serviteurs dont il se croyait sûr ; c’étaient les compagnons de ses débauches et ses amis les plus fidèles : Henri Griart, Poitou, Petit Robin ou Robin Romulart, Hicquet de Brémont, Roger de Bricqueville et Gilles de Sillé. Ces deux derniers étaient déjà initiés au motif secret de l’expédition ; mais il fallait l’apprendre aux autres ; car, pour l’œuvre qu’on méditait, leur concours était indispensable. Mais, avant de leur dévoiler la plus effrayante partie de sa vie, Gilles de Rais leur demanda de faire devant Dieu le serment de ne jamais révéler, à qui que ce fut, les choses dont ils allaient être les témoins : les quatre serviteurs le jurèrent. Alors, le baron, sûr de leur avoir à jamais fermé la bouche par cet acte religieux, les mena tous ensemble dans une tour retirée du château, et leur dit qu’au fond de cette tour gisaient, sans sépulture, les restes de nombreux enfants mis à mort, qu’il fallait extraire immédiatement, afin d’en faire disparaître jusqu’aux moindres vestiges ; ainsi, pensait-il en lui-même, tout soupçon s’évanouira et j’aurai échappé à la vengeance de la justice.

Dans le silence commence alors une effrayante besogne. À l’aide d’une longue corde, Poitou et Robin descendent dans l’affreux tombeau ; une odeur fétide et cadavéreuse, une humidité pénétrante, les enveloppent de toutes parts ; à 166la lumière blafarde qui tombe sur les murs et le sol de ce réduit, ils aperçoivent un monceau de membres humains, gisants çà et là, des têtes séparées de leurs troncs, des ossements desséchés ou moisis par l’humidité de ce lieu. Trois mois au moins, en effet, s’étaient écoulés depuis que René de la Suze s’était emparé du château ; et les enfants, dont les restes étaient ensevelis dans cette tour, étaient morts longtemps auparavant259. Les deux serviteurs, malgré leur effroi, se mettent à l’œuvre : ils entassent pêle-mêle tous ces ossements dans un sac. Quand il est rempli, Hicquet et Henriet Griart le retirent à l’aide de la corde qui a servi à descendre leurs deux complices ; ils amoncellent les restes mutilés sur le pavé de la chambre, tandis que d’un œil impassible Gilles de Rais surveille leur travail et qu’au dehors Gilles de Sillé fait le guet, pour donner l’alarme au moindre bruit. Car la peur d’être surpris les fait frémir d’épouvante : Henri Griart avoua plus tard à ses juges, que, lorsqu’il fut arrêté et conduit à Nantes, pour n’avoir pas à dévoiler de pareils secrets, il songea, sur la route, par tentation diabolique, à se couper la gorge avec un couteau. Enfin l’œuvre est achevée, et, à la suite de ces restes funèbres, Poitou et Robin sont remontés vers leurs complices. Le baron de Rais leur commande de mettre tous ces ossements, témoins de ses monstrueuses cruautés, dans trois grands coffres260 ; solidement il les fait entourer de fortes cordes, et porter, toujours pendant la nuit, vers un bateau qui attend, tout prêt à partir, caché parmi les saules de la Loire. Le maréchal ne demeura dans Champtocé que le temps nécessaire pour remettre la place aux gens du duc de Bretagne : dès le lendemain ou le surlendemain de son entrée dans le château, il monta sur la barque avec tous ses serviteurs, et le convoi, porté par la rame et le courant, descendit le cours du fleuve, traversant les bourgs et les 167villes, où, près de leurs foyers déserts, tant de pères et de mères pleuraient leurs enfants disparus. Arrivés près de la ville de Nantes, les trois coffres furent descendus du bateau sur la rive, chargés sur une charrette et dirigés vers Machecoul. Aussitôt qu’on y fut parvenu, le baron fit transporter ces coffres dans sa chambre à coucher. Là, dans la haute cheminée, un grand feu fut allumé ; peu à peu, avec précaution, tous les ossements furent brûlés en présence de Gilles, de Henriet, de Poitou, de Gilles de Sillé et de Buschet ; puis la cendre fut recueillie avec soin et jetée dans les douves du château, où elle disparut sous la vague et la brise261.

Déjà, quelques semaines avant que René de la Suze et André de Lohéac se fussent emparés de la ville et du château de Machecoul, cette place avait été témoin d’une scène semblable à celle que nous venons de décrire262. Le maréchal de Rais, à la première nouvelle des intentions hostiles de son cousin et de son frère, avait pris en toute hâte de graves mesures en prévision de l’avenir. Sur son ordre, Gilles de Sillé, son digne complice, et Robin Romulart, l’un des serviteurs sur lesquels il pouvait le plus sûrement compter, avaient, pendant quinze jours ou trois semaines, extrait du 168fond de la tour située dans la cour du château, dans l’endroit le plus retiré, les corps de quatre-vingts enfants environ. Ils avaient brûlé ces restes, et en avaient jeté les cendres dans l’eau des douves et de l’étang. Mais pendant qu’ils se livraient à ce travail secret, ils avaient couru un grand péril : Roger de Bricqueville, (on ne sait dans quel dessein, par courtoisie peut-être et pour flatter la curiosité de deux femmes), avait conduit deux dames de ses amies à la porte de l’appartement où Gilles de Sillé et Robin Romulart étaient renfermés, et, par une petite fente de la porte, il les avait fait assister à l’œuvre sinistre. Gilles de Sillé racontait plus tard le fait à deux de ses compagnons, Henriet et Poitou, et, tremblant encore de crainte au souvenir du danger qu’il avait couru, il se félicitait d’y avoir échappé, lui, Gilles de Rais, son maître, et tous leurs amis et leurs compagnons ; il ajoutait en frissonnant :

N’estoit pas messire Rogier de Briqueville bien traistre qui nous faisoit regarder, Robin et moy, à la dame de Jarville et Thomin d’Araguin, par une fante, quand nous oustions lesdits ossemens, et savoit bien tout ce fait263 !

Si ces deux femmes étaient mères, elles durent éprouver une frayeur à peu près semblable à celle que ressentit l’épouse du terrible Barbe-Bleue, quand, tremblante et curieuse, pénétrant dans la chambre interdite, elle vit les sept femmes mortes pendues à la muraille ; si elles comprirent ce qui s’était passé dans cette enceinte maudite, elles durent s’enfuir épouvantées. Soyons pour le lecteur ce que fut Roger de Bricqueville pour la dame de Jarville et Thomin d’Araguin : un témoin réservé des crimes honteux du maréchal de Rais. En vain les assassins se sont cachés : rien n’a pu couvrir leurs forfaits, ni les serments impies jurés sur l’Évangile, ni les ténèbres de la nuit, ni les fleuves, ni le feu des cheminées ardentes, ni l’eau des douves et des étangs : toutes les savantes précautions du crime ont échoué ; Dieu, la justice et l’histoire ont tout vu. Nous pourrions les suivre partout ; mais, s’il ne nous est pas permis de voir 169dans tous leurs détails les lugubres scènes de Champtocé, de Machecoul, de la Suze et de Tiffauges, nous pouvons approcher du moins en tremblant, comme la dame de Jarville et Thomin d’Araguin, et, par la fente légitimement ouverte à notre curiosité, jeter un regard dans la vie la plus secrète de Gilles de Rais et dans le huis-clos de la justice et de l’histoire. Non, la chambre où les sept femmes de Barbe-Bleue étaient pendues à la muraille n’est qu’un amusement auprès de ce qui se passa réellement dans la chambre à coucher de Gilles de Rais, maréchal de France.

Ceux qui, de l’année 1432 au mois de septembre 1440, habitèrent ou traversèrent les contrées de l’ouest de la France, qui sont comprises entre Angers, Rennes, Vannes et la Rochelle, sentaient qu’au milieu des populations, inquiètes et attristées d’abord, affolées enfin par la terreur, il se jouait dans l’ombre un drame effrayant et terrible : c’étaient, de toutes parts, cette inquiétude vague, cette tristesse, cette frayeur, qui accompagnent un fléau, la guerre ou la peste : en effet, un fléau, un monstre, une bête d’extermination, selon l’expression de Michelet, insaisissable et partout signalée, invisible et partout présente, inconnue et partout maudite, ravageait les campagnes, suivie par le deuil et les larmes. Sur tous les points de la contrée à la fois disparaissaient comme par enchantement des jeunes gens, des jeunes filles, des enfants en bas âge ; car c’était uniquement à l’enfance et à la jeunesse que la bête mystérieuse s’attaquait ; disparus, personne n’entendait plus jamais parler d’eux ; toute voix se taisait ; toute trace était effacée : comme un silence de mort, mille fois plus lourd à porter que la nouvelle certaine de leur trépas, pesait sur leur mémoire. Qu’étaient-ils devenus ; étaient-ils morts ? s’ils vivaient encore, étaient-ils heureux ? ou gémissaient-ils au fond de quelque noire prison ? On les avait vus, à tel endroit, dans tel champ, dans telle rue, à telle heure du jour et de la nuit ; puis après c’était un mystère impénétrable.

Aux premiers récits de ces effrayantes disparitions, le 170peuple, toujours porté à mêler le surnaturel aux effets mystérieux dont il ne voit pas la cause, se disait, si l’on en croit la tradition, qu’ils étaient enlevés par des fées ou des nains malfaisants. C’était une explication qui se présentait d’elle-même dans le pays par excellence du conte et de la légende ; triste consolation toutefois pour le cœur d’un père ou d’une mère, en présence du foyer vide ou de la table déserte ! Elle ne pouvait calmer une douleur qui toujours grandissait : les regrets sont amers dans les cœurs des parents et l’espérance est douce à ceux qui souffrent et qui n’ont pas de leur malheur une certitude absolue : les nains et les fées s’évanouirent donc bientôt, comme un songe, devant la réalité d’un malheur qui se renouvelait sans cesse. Si le premier mouvement du peuple le porte à attribuer toute chose mystérieuse à un pouvoir surnaturel, il ne tarde pas, pour peu que sa misère se prolonge, à rejeter des explications qui ne satisfont ni sa raison ni sa douleur ; il arrive à se demander si les nains et les fées n’ont pas revêtu la chair d’hommes méchants et cruels. Quand une fois cette pensée est entrée dans son esprit, il l’exploite, il la fortifie par des observations ; il prête l’oreille à tous les bruits ; il observe toutes les traces ; il interroge tous les vestiges ; il explore toutes les routes de la vérité ; et, peu à peu, à force de patience, resserrant le cercle où il enveloppe le coupable, il le surprend enfin à son œuvre maudite. Alors la misère et la mort s’abattraient sur lui, sur ce qu’il a de plus cher au monde, que l’infortuné éclaterait en cris de vengeance vers le ciel et vers la justice : tel est, en deux mots, ce qui se passa autour de Gilles de Rais.

Les premiers enfants qui disparurent ne frappèrent pas outre mesure la foule : on crut à quelque accident naturel : les bois étaient profonds, les rivières rapides, les étangs dangereux. Seules, les familles s’affligèrent au foyer attristé, avec les amis, les parents ou les voisins, qui s’associaient à leur misère. Mais bientôt le bruit de semblables disparitions se répandit ; de nouvelles douleurs, racontées parmi le peuple, donnèrent aux anciennes une recrudescence 171et une nouvelle explosion. D’une extrémité à l’autre du pays, des récits circulèrent, mystérieux, terribles : les parents se rassemblèrent, et les commentaires allèrent leur train dans les foires voisines et dans les veillées du soir ; il n’y eut plus bientôt de disparition qui ne trouvât tout aussitôt ses nouvellistes, ses colporteurs, et d’autant plus actifs, que l’ennemi caché semblait être partout et menacer tout le monde. Dans l’Anjou, dans le Poitou, dans la Bretagne, sur toute la surface du pays, au foyer même de Gilles, entre sa femme et sa fille, il ne fut plus question que du fléau qui décimait les enfants du pays d’alentour ; il n’y eut bientôt presque pas de villes ni de bourgs où l’on ne citât quelqu’une de ces étranges disparitions. À Nantes, à Angers, à Vannes, à Josselin, à Pornic, à Bourgneuf, à Saint-Cyr-en-Rais, à Machecoul, à Tiffauges et dans toutes les paroisses avoisinantes, à Champtocé et dans tous les pays circonvoisins, la bête d’extermination passait et repassait, emportant toujours de nouvelles victimes. Elle semble être partout à la fois : elle parcourt les campagnes ; elle rôde autour des maisons ; elle se faufile jusque dans les foyers, dans les ténèbres comme à la lumière, à toutes les heures du jour et de la nuit. À Saint-Étienne-de-Montluc, un enfant, Jean Brice ; au Port-Launay, le fils de Jean Bernard ; à Machecoul, Georget le Barbier, Guillaume Roncin, Guillaume Gendon, Alexandre Chastelier ; de nombreux enfants aux environs de Tiffauges, de Mortagne et de Clisson ; un enfant de Saint-Mesme, près de Chinon264 ; des enfants de Nantes ; des marchands forains des environs de Bennes, pour ne donner que quelques noms parmi les victimes et les pays ravagés, parlaient assez au peuple et de sa misère et de l’immensité du péril qu’il courait.

Qu’on lise lentement et avec attention les pages de l’enquête judiciaire et des deux procès de Nantes, et l’on se 172représentera l’image de la douleur populaire. Dans les bourgs et les villes, à la nouvelle du malheur qui les frappe, les pères et les mères courent de toutes parts, s’adressant aux amis, aux étrangers, aux passants, se plaignant avec larmes de leur affreuse misère. Recherches infructueuses ! plaintes inutiles ! ni les bois, ni les champs, ni les routes, ni les fleuves, ni les voyageurs ne donnent trace des chers objets de leur tendresse et de leurs larmes. En vain se mettent-ils en voyage : d’Angers à Tiffauges et à Machecoul, de Pornic à Nantes, on rencontre à tout moment, sur les chemins, des malheureux qui redisent leurs infortunes à tout venant, et qui grossissent, par le récit de leurs propres malheurs, la douleur des habitants des lieux par où ils passent. Spectacle lamentable ! nous disent les actes de la justice, plein tout ensemble de colères, de douleurs, de soupçons et de larmes ! Voici une malheureuse mère qui court en pleurant à travers les rues de Nantes ; voici dans la ville de Machecoul, un père désolé qui arrive des environs de Tiffauges : il est parti depuis longtemps, et il n’a encore recueilli aucune nouvelle de son fils. Écho des douleurs de tout un pays, il raconte

que pour un enfant, qui est perdu au pays de Machecoul, il y en a sept aux environs de Tiffauges et qu’on les prend sur les champs en gardant les bêtes265.

Plus loin, voici des frères qui sont à la recherche d’un frère perdu, des amis qui pleurent un ami ; partout enfin des pères, des mères, des frères, des sœurs, des amis, des étrangers ; car personne ne peut demeurer insensible à de telles douleurs ; on les voit

s’en complaindre doloreusement [et se redisant les uns aux autres] de prendre bien garde à leurs enfants266 ;

tous les jours, enfin, ce sont de nouvelles infortunes qui passent comme un vent de mort sur les villes et les campagnes ; le pays tout entier a comme un long frisson de terreur.

173La première observation que fit le peuple, fut de remarquer que l’espace, où avaient lieu ces disparitions, bien qu’étendu, était cependant borné, et qu’il ne dépassait guère les limites d’Angers à Pouzauges, de Pouzauges à Vannes, de Vannes à Nantes et de Nantes à Angers. Cette première donnée — rien ne rend attentif comme le malheur — le conduisit naturellement à une autre, tout aussi féconde en conclusions : dans l’étendue de ce pays, où les disparitions étaient-elles plus fréquentes et plus remarquées ? Le peuple en éveil eut bien vite déterminé avec précision les lieux les plus suspects et par conséquent les plus dangereux. Champtocé, Machecoul, Tiffauges, la Suze, qui étaient les habitations les plus fréquentées par Gilles de Rais et par toute sa maison, sont désignés tout bas comme les lieux où se passent des drames, inconnus encore, mais trop mystérieux pour ne pas être terribles. À Nantes, à peu près tous les enfants qui disparaissent ont fréquenté l’hôtel de la Suze ; ils ont été vus aux abords de cet hôtel aux heures précises de leur disparition ; les jours précédents même, ils ont raconté qu’on les y avait attirés par des caresses, et charmés par une générosité inaccoutumée, en leur donnant à boire et à manger. Plus jamais on n’a vu revenir cet étranger qui marchait dans la direction de Machecoul ou de Tiffauges. S’il disparaît quelque petit mendiant ou quelques jeunes marchands forains ? ils ont toujours été aperçus, demandant l’aumône ou offrant leurs services, aux portes des châteaux de Tiffauges ou de Machecoul. Les petits paysans, partis le matin à la garde des troupeaux et qui ne sont pas revenus le soir ; les enfants ravis dans les fermes elles-mêmes, sont des environs de Tiffauges, de Machecoul et de Champtocé267.

De là, les habitants de ces contrées conçoivent de graves soupçons, engendrés par le chagrin, développés par leurs 174observations, nourris même par des indiscrétions et des paroles légères de Gilles ou de ses familiers268. Personne cependant n’ose ouvrir la bouche pour se plaindre ; on gémit, mais c’est en secret ; on se parle, mais c’est tout bas ; on accuse, mais en regardant autour de soi. Qui donc oserait élever la voix contre un grand seigneur ? Le maître n’est pas doux à ses ennemis : on se tait donc au loin autour de ses châteaux ; ils pèsent de leur lourde masse sur les poitrines oppressées ; l’on dérobe jusqu’à l’abattement de son visage à des yeux scrutateurs qui ne le pardonneraient pas. Aussi bien, tout est péril pour les opprimés : les familiers du maréchal, ses hommes d’armes, les gens de sa chapelle269, tous ceux de sa maison qui vivent des miettes de sa table ; car ils ont des menaces à la bouche, et l’on sait qu’au moindre bruit, au moindre murmure accusateur qui montera jusqu’aux oreilles de Gilles, ce sera l’oppression, la prison et peut-être la mort :

Desquelles pertes et autres, dit l’Enquête civile, les témoins ont ouï faire souvent de grandes clameurs, que l’on n’osait pas faire entendre en public270.

Mais au loin, en dehors des limites où le nom du sire de Rais est une puissance et par conséquent une menace, on raconte à haute voix les récits les plus effrayants sur Tiffauges et sur Machecoul. Un voyageur de Machecoul arriva un jour à Saint-Jean d’Angély ; à table, comme ses hôtes lui demandèrent d’où il venait, il répondit qu’il arrivait de Machecoul. À ce nom, l’effroi se peint sur tous les visages ; on s’écrie de tous côtés : Quoi ? de Machecoul ? Mais on raconte de ce pays-là des choses épouvantables : on dit qu’on y mange les petits enfants ! On le voit : le conte avait déjà sa matière trouvée dans les récits exagérés du peuple : l’Ogre, le Croquemitaine, dont, au pays théfalien, l’on effraye encore aujourd’hui les enfants, apparaissent dans le procès, et, dès 175l’origine, sous la forme que lui donne l’imagination populaire, surexcitée par la peur. Sans concorder pourtant avec les bruits de la foule, les récits du voyageur breton furent de ceux qui ne pouvaient apaiser une telle épouvante271. Enfin, aux portes mêmes de la ville de Rennes, à l’autre extrémité de la contrée, des marchands forains avaient répété partout, dans leurs courses journalières, que deux de leurs compagnons avaient disparu subitement au pays maudit de Rais272. Ainsi, de Saint-Jean d’Angély à Rennes, et de Vannes à Angers, il n’était question que de Champtocé, de Tiffauges, de Machecoul et de l’hôtel de la Suze, aux environs desquels il se passait de si étranges choses : par la frayeur que ces seuls noms excitaient au loin, on peut juger maintenant de l’épouvante que jetaient dans tout le pays le voisinage et l’aspect de ces terribles donjons.

Peu à peu, la méfiance publique, chaque jour précisant davantage ses soupçons, alla plus loin ; elle osa pénétrer jusque dans ces châteaux forts ; elle désigna les coupables eux-mêmes avec la certitude de ne pas se tromper. Aux yeux du peuple, ceux qu’une relation constante liait à toutes ses infortunes, ne pouvaient pas ne pas être les auteurs de ses misères. Or, là où disparaît quelque enfant, il est rare qu’on ne signale pas quelqu’un des familiers de Gilles de Rais, ou Bricqueville, ou Princzai, ou Poitou, ou Henriet, ou Éonnet de Villeblanche, ou Romulart, ou Prélati lui-même. Ce sont eux qui demandent les enfants aux familles, souvent avec une insistance qui n’est pas sans imprudence, toujours avec de magnifiques promesses. En traversant la Roche-Bernard, en septembre 1438, Poitou, à force de prières, de promesses et d’argent273, décide une femme pauvre, Perrine Loessart, à lui confier son fils Colin, âgé de dix ans,

l’un des plus beaux enffans du pais, qui apprenait moult bien274,

et que Gilles 176trouva avoir été bien choisi et bel comme ung ange. La pauvre mère, séduite par l’avenir brillant qu’on réserve à son fils, le lui abandonne ; mais elle le perd, sans que jamais, depuis lors, elle puisse rencontrer Poitou pour lui en demander des nouvelles : quant aux gens du maréchal qu’elle interroge,

177[ils] pensent que son fils est à Tiffauges ou à Pouzauges275.

Aux questions qui lui sont posées sur le sort de ceux qu’on lui a donnés, Gilles de Sillé ne trouve rien de plus ingénieux que de répondre que les Anglais, ces éternels ennemis de la France, ont réclamé des enfants, beaucoup d’enfants, pour la rançon de son frère, Michel de Sillé276. Un jour Roger de Bricqueville et lui demandèrent à un habitant de Machecoul de leur donner un jeune garçon pour porter un message au château, mais le jeune homme ne revint plus. On a vu Gilles de Sillé parcourant les campagnes, un voile d’étamine noire abaissé sur le visage, et rôdant autour des petits bergers comme un loup autour des agneaux : les agneaux ont disparu et l’on se demande si le ravisseur n’est pas cet homme dont le mystère épouvante. Prélati lui-même enfin est enveloppé dans les soupçons277 ; car un jeune page qui était à son service a été perdu.

Grâce à la fréquence du crime, ou grâce à une confiance inexplicable dans l’impunité, ils en arrivaient même à négliger les plus simples précautions exigées par la prudence ou par la peur : par habitude de se cacher, ils ne se cachaient presque plus. Une femme de Pouancé, Isabelle Hamelin, était venue avec son mari, Guillaume, habiter le bourg de Fresnay, près de Machecoul. Un jour de l’année 1440, vers la fin d’avril, elle envoya deux de ses enfants dans Machecoul pour y acheter un pain avec de l’argent qu’elle leur avait donné : l’un était âgé de quinze ans, l’autre en avait sept environ ; mais ils ne revinrent pas, et, depuis ce jour fatal, elle n’entendit plus jamais parler d’eux. Seulement il arriva, le lendemain, une chose qui frappa vivement son esprit : Prélati et le marquis de Ceva, qui demeuraient avec le sire de Rais et qu’elle connaissait fort bien pour les avoir vus plus d’une fois, vinrent à sa demeure et demandèrent à la voir. Le marquis s’informa tout d’abord si elle était guérie du mal dont 178elle souffrait à la mamelle. Sur quoi elle s’étonna grandement qu’il sût qu’elle y eût mal : car je n’y ai point mal, ajouta-t-elle. Si vraiment, vous y avez mal, lui répliqua-t-il avec assurance ; et en même temps il ajouta qu’elle n’était point du pays de Machecoul, mais de Pouancé. Et comme cette femme, de plus en plus surprise, lui demandait qui l’avait si bien informé : Je le sais parfaitement bien, répondit-il sans lui en dire plus long. Alors elle lui avoua qu’il disait vrai. Comme il allait s’en aller, il plongea la tête dans la maison et s’informa si elle n’était point mariée : elle lui répondit qu’elle l’était, mais que son mari était parti dans le pays de Pouancé pour se gager. Le marquis aperçut alors dans l’intérieur de la maison deux enfants en bas âge, un petit garçon et une petite fille, et voulut savoir si ces enfants étaient à elle ; et, comme elle répondit qu’ils étaient ses enfants, il lui demanda encore si elle n’en avait point d’autres. J’ai encore deux garçons, dit-elle ; mais elle n’osa point ajouter qu’ils étaient absents. Sur ces mots, le marquis et Prélati s’éloignèrent. Comment ils avaient été si bien instruits de la maladie et du pays de cette femme, et de qui ils avaient appris des détails si précis, on le devine aisément. Mais on s’étonne de les voir jouer avec le soupçon, et, par leur démarche imprudente et leurs paroles plus imprudentes encore, l’éveiller dans l’esprit des familles. Car les réflexions que ce récit fait naître en nous, Isabelle Hamelin et son mari Guillaume se les firent aussi en s’entretenant de la perte de leurs enfants. Il n’en faut pas d’autres preuves que le récit de la visite faite à la mère et racontée par elle-même : il est étroitement lié à celui de la perte des deux enfants, et est visible à tous que cette pauvre mère a conclu à la singulière coïncidence qui existe entre la disparition de ses fils et la visite de ces deux hommes278.

Aussi c’est en vain qu’ils s’enveloppent ensuite de mensonges : les mensonges, destinés à dissiper les défiances, les rassemblent et les fortifient. Quelques belles fables qu’ils 179inventent, quelques beaux récits qu’ils brodent, quelques tragiques accidents qu’ils racontent ; que celui-ci soit parti comme un voleur279 ; que celui-là soit passé au service d’un maître puissant, dans un pays lointain ; que cet autre, en traversant les ponts de Nantes, ait été emporté par un coup de vent dans les flots de la Loire280, le soupçon se faufile, scrutateur impitoyable, dans les replis tortueux du sombre mystère, et par instinct d’abord, et bientôt par conviction, le peuple se dit : Voilà mes seuls ennemis et les seuls coupables !

Les seuls ! je me trompe : après tous ceux-là, au-dessus de la foule des serviteurs et des familiers, il désigne avec frayeur et colère le maître de ces hommes maudits, Gilles de Rais lui-même. Nous l’avons vu : timide d’abord comme la crainte, l’insinuation se glisse dans l’ombre ; mais elle s’alimente comme la flamme à mesure qu’elle s’étend ; bientôt elle éclate ; c’est une immense clameur enfin qui s’échappe de la poitrine de tout un peuple, si épouvanté dans son malheur, si oppressé par le mal qui l’étouffe, que, vers la fin, ce n’étaient plus des rumeurs, des bruits publics, des sanglots ou des gémissements, mais des hurlements, selon l’énergique expression des procès, ululantium ! Le baron de Rais est le vrai coupable : c’est pour lui que travaillent ces familiers, ces amis, ces serviteurs ; devant lui, le peuple tremble et sa bouche reste muette, alors que son cœur souffre tant. Partout où le baron passe, le deuil l’accompagne ; le mystère entoure ses demeures ; l’ombre même de ses donjons donne la mort et cause l’effroi : sentiment si fort, entré si profondément dans le cœur des populations, que, même après quatre siècles et plus, les habitants n’approchent jamais sans terreur des tours démantelées de ses forteresses et qu’ils se signent, en pressant le pas, quand ils en longent, le soir, les murs à demi écroulés281. Il arrive à la Suze, et sur 180les familles de Nantes le malheur s’abat tout à coup ; il vient à Tiffauges, et c’est sur les toits d’alentour ; il séjourne à Champtocé, et c’est dans la vallée de la Loire qu’il lève son cruel tribut ; il passe et repasse à Machecoul, et à chaque fois c’est un nouveau deuil, ce sont de nouvelles larmes ; s’il demeure un seul jour dans un village, le lendemain une famille alarmée jette sa douleur à tous les échos et sème ses inquiétudes sur tous les chemins de la contrée ; il passe une seule nuit à Bourgneuf-en-Rais ; le lendemain un jeune homme de dix-huit ans a disparu282 ; au mois de juillet 1440, Vannes le voit à la cour de Bretagne283 : il n’est pas sorti de la ville, que l’émoi s’est répandu parmi tout le peuple ; il arrive à Josselin, presque aux portes de Rennes, et toute la ville est plongée dans la consternation. De toutes parts, en un mot, on dit et l’on répète que le maréchal de Rais est le vrai coupable284 ; les populations impatientes, confiantes cependant dans le secours du ciel, lèvent les yeux vers les hauteurs, pour voir s’il ne leur viendra pas enfin du secours. Mais elles l’attendront longtemps ; il paraîtra toutefois. Déjà, dans le secret, la justice s’avance : elle reçoit les soupirs, elle écoute les plaintes, elle sent sous sa main le soulèvement des poitrines oppressées ; son oreille et son cœur sont ouverts à la compassion ; elle viendra, émue par la complainte lamenteuse285 des familles ; elle viendra, renversant tous les obstacles de la fortune et de la politique. Mais avant de raconter les derniers excès et l’arrestation de Gilles de Rais ; avant d’entrer dans le récit de son procès et de sa mort, puisque nous connaissons les ravisseurs, il convient de dire ce que devenaient les victimes et quel était l’œuvre des bourreaux.

Ce qui suit est de nature il froisser la délicatesse de certains lecteurs : quelle que soit cependant la crudité des 181détails, en considération de la vérité de l’histoire, on voudra bien nous pardonner la souffrance qu’ils provoquent. On parlera bientôt du supplice de Gilles de Rais et l’on soutiendra que, si terrible qu’il ait été, il n’avait pourtant rien de trop cruel : or, pour démontrer à tous qu’il eût fallu même inventer des supplices nouveaux pour punir des crimes inouïs, il faut entrer dans le détail de ces forfaits. Il ne s’agit plus maintenant d’alchimie ; il ne s’agit plus même d’évocations diaboliques, si coupables pourtant : les fourneaux, où l’or fond, ne sont rien ; rien, non plus, les opérations magiques, si terribles qu’elles soient : nous avons à parler d’une chose auprès de laquelle toutes les autres, qui se sont passées, ne sont que fleurettes, d’une chose dont tout le monde fut stupéfait, dit Michelet, conticuit terra !

À peine le malheureux enfant, enlevé par la ruse ou par la violence, attiré dans un guet-apens par les promesses et les flatteries, a-t-il secrètement franchi le seuil de Champtocé, de la Suze, de Machecoul ou de Tiffauges, qu’il est conduit à la chambre à coucher de Gilles de Rais286. Le mystère et le silence qui l’environnent, les mauvais traitements qu’il a subis, les paroles mystérieuses de ces hommes inconnus, la dureté de leurs regards, tout le jette dans une vague épouvante. Soudain, on le saisit violemment287 ; on lui attache les mains ; on le bâillonne pour étouffer ses cris ; une corde est passée à son cou ; puis, cela fait, on l’enlève à trois pieds de terre pour le pendre à un crochet fixé au mur de la chambre. La prière, ne pouvant plus passer par ses lèvres bâillonnées, s’échappe encore, avec l’effroi, par ses yeux suppliants. Mais, peu à peu, sous le poids du corps la gorge pressée se resserre ; le souffle expire ; les convulsions commencent, et les affres de la mort se peignent sur tous ses traits : 182c’est la mort en effet. Mais voici que soudain le visage des bourreaux se transfigure ; de terribles et de menaçants qu’ils étaient, leurs regards se font doux et bienveillants ; leurs lèvres, qui disaient des paroles terribles, laissent tomber maintenant des paroles tendres : la corde fatale est dénouée. La pitié a pénétré dans ces âmes cruelles ; le baron, si terrible tout à l’heure, prend l’enfant sur ses genoux ; il l’embrasse, il le console, il lui dit de ne plus crier ; qu’on a seulement voulu lui faire peur ; mais qu’on lui veut du bien, qu’il veut s’amuser avec lui, et mille autres choses aimables encore pour le rassurer et obtenir de lui le silence288. Avec la vie, ces paroles et ces caresses font renaître l’espoir dans le cœur et sur le visage du pauvre petit ; il essaie de sourire à ses bourreaux : jeux terribles, vrais jeux du tigre qui s’amuse de sa proie avant de la déchirer. À peine le baron a-t-il mis au profit du plaisir la bonne foi de l’enfant, que la victime est de nouveau bâillonnée. Elle est jetée violemment par terre ; sur l’ordre de Gilles, ou même souvent de sa propre main289, d’un coup de poignard la gorge est coupée ; le sang coule à flots ; le sol et les bourreaux en sont inondés ; et cependant Gilles ne s’arrête pas. Armé d’une dague, d’un poignard, ou d’un long bracquemart290, il se joue de sa victime au gré de son imagination ; toute cruauté qui lui passe par la tête, toute monstruosité qui est née de ses rêves, il l’exécute avec l’attention savante d’un artiste. Aux caprices mouvants de sa passion, il coupe les membres ; il ouvre l’une après l’autre les sources de la vie, qui s’échappe à flots ; il déchire le sein et met à nu 183les entrailles. Puis, — l’histoire se refusera à le croire, — ce sont des rires répondant aux cris et aux gémissements de la victime ; à sa terreur mortelle, une joie monstrueuse. Penché sur elle, dans sa passion sanguinaire quelquefois il s’assied sur sa poitrine ; il suit avec ses complices les progrès de la mort,

plus content, dit-il, de jouir des tortures, des larmes, de l’effroi et du sang que de tout autre plaisir291.

Rien ne l’émeut, ni les larmes, ni les prières, ni les regards qui parlent encore, et si éloquemment, quand les lèvres se taisent ; que dis-je, rien ne l’émeut ? Ce qui briserait un cœur de rocher fait sa plus grande joie et ne provoque chez cet homme qu’un rire féroce, en lui donnant un surcroît de plaisir, qui ajoute encore à l’horreur d’une pareille agonie. Mais enfin la mort est victorieuse des retards calculés, apportés à sa marche par la science ingénieuse du meurtrier ; un dernier effort arrache l’âme à ses liens coupés de toutes parts : elle s’échappe pour aller porter aux pieds du Créateur le cri du sang et de la vengeance292. Pour Gilles, c’est le moment d’une nouvelle jouissance, d’un nouveau spectacle : car tout dans sa vie peut se résumer en ces deux mots qui la caractérisent, spectacle et sensation. Il demande quelquefois la plus belle tête, et il se constitue autour de lui un jury de la beauté de ces figures mortes, où la vie, nouvellement éclose, a laissé encore quelques traces de ses grâces naïves et de ses fraîches couleurs. Lorsque les juges se sont prononcés, que l’artiste lui-même a fait son choix, il prend cette tête, il la contemple avec amour ; dans son enthousiasme, effroyable amant de la beauté, il la baise avec une volupté si étrange, qu’en vérité, pour écrire ces choses, on a besoin de retourner encore une fois aux sources trop authentiques et trop claires de la justice et de la vérité293 : on se demande si 184l’esprit n’a pas été le jouet d’un mauvais rêve. Quel âpre goût du beau s’alliait donc dans ce monstre au goût du sang, de la souffrance et de la mort ? On se figure généralement que, dans de pareils cœurs, tout ce qu’il y a de bon s’en va à la suite de la vertu, parce qu’il y a un comble de méchanceté qui ne permet pas au bien de vivre ; il faut croire qu’il y a une méchanceté plus grande encore, qui change la nature du bien et le transforme en mal ; il faut croire que la corruption de certaines âmes est telle, que le plus mauvais, dans ces natures, est ce qu’il y a de meilleur dans les autres ; que tout s’y gangrène, même le bien, même les plus nobles qualités de l’esprit et du cœur, et qu’il naît de là des choses monstrueuses auxquelles on voudrait ne pas croire. C’est un étrange mystère que les goûts des hommes et des peuples corrompus par l’abus des plaisirs sensuels. Il faut bien le remarquer pourtant : le goût de la souffrance physique, du sang et de la mort, a toujours été le caractère particulier de tous ceux que les plaisirs charnels ont menés peu à peu jusque dans les derniers excès.

Les plaisirs sont variés et sans fin quand ils sont modérés et naturels ; mais, quand ils sont contre nature ou excessifs, ils deviennent uniformes et de courte durée ; l’exagération, qui semble donner du vif et du relief à la jouissance, l’efface et la détruit. Les plaisirs, que recherche Gilles de Rais, sont trop violents pour durer ; le dégoût suit de près de tels transports, et d’autant plus amer, que plus vives ont été les émotions qui meurent et plus cuisants les remords qui naissent. Gilles, fatigué de ces plaisirs extrêmes ; s’endort bientôt sur son lit294 : mais, avant de s’abandonner au sommeil, il a donné l’ordre de faire disparaître toutes les traces du crime ; car, nous le verrons bientôt, dans le dégoût qui suit la satiété, les marques de l’orgie lui sont odieuses ; après la débauche, la vue du sang lui fait peur : les victimes lui apparaissent comme autant de fantômes menaçants qui le 185poursuivent. Pendant qu’il dort, ses complices étanchent le sang qui souille le sol de sa chambre ; ils le lavent à grande eau. Dans la vaste cheminée, ils placent sur deux landiers des bûches longues et grosses et deux ou trois fagots de bois295 ; par dessus ils mettent enfin les membres mutilés de la victime, qu’ils recouvrent encore de paille et de feuilles sèches ; puis ils allument le feu. Tout disparaît enfin dans les flammes, et la victime, et jusqu’à ses robes et à sa chemise, que l’on fait brûler peu à peu, afin qu’on ne sente pas l’odeur de la fumée296. L’adresse des serviteurs est telle, que les cendres mêmes du foyer éteint ne trahiront pas le terrible secret ; car ils les recueillent avec soin et vont les jeter dans les lieux les plus secrets du château et dans les douves qui baignent les murs, ou les sèment, du haut des tours, aux vents qui les dispersent297. Ces précautions prises, Gilles se croit à l’abri des poursuites des hommes, sinon de celles de Dieu : il ne sait pas que le sang versé, comme s’exprime le promoteur du procès dans l’acte d’accusation, crie vengeance au ciel, jusqu’à ce que Dieu, auteur de tout amour et vengeur de toute vertu, se réveille et que le châtiment atteigne le coupable.

Mais, hélas ! que la justice fut lente à venir ! que de fois le drame terrible se renouvela dans les appartements de Gilles pendant la dernière période de sa vie. L’acte d’accusation, qui fut dressé contre lui par Jean de Malestroit, évêque de Nantes, et par le vice-inquisiteur de la foi, le dominicain Jean Blouyn, recule, sans toutefois l’affirmer d’une façon bien certaine, jusqu’à l’année 1426, le commencement de cette tragédie, toujours la même et toujours reprise avec une nouvelle fureur298. Quelques-uns des complices du maréchal299 la fixent également vers la même époque : 186mais la plupart de ceux qui ont été saisis, ne le fréquentaient que depuis sept ou huit ans, et de ce passé ne racontèrent que ce qu’ils en avaient ouï dire ; les complices plus anciens s’étaient enfuis à l’approche de l’orage. Voilà pourquoi, d’après nous, il convient de s’en rapporter aux aveux de Gilles de Rais lui-même : ils furent trop spontanés pour n’avoir pas été sincères. Or, tout en avouant plusieurs fois qu’il s’adonna dès sa jeunesse à toutes sortes de désordres et de plaisirs défendus, il met pourtant une grande différence entre les plaisirs coupables de son premier âge et de sa jeunesse et les excès monstrueux de l’âge mûr, qui marqua le terme de sa vie. On devine qu’il est arrivé à ces folies cruelles peu à peu, à la suite sans doute d’une vie déréglée, mais commune à plus d’un autre homme : seulement il a poussé dans des excès qui ont fait reculer les autres d’horreur. En réalité, il confesse que les crimes, dont nous venons de faire le sombre tableau, datent à peu près de la mort de Jean de Craon, son aïeul maternel : or, celui-ci mourut à Champtocé, en l’année 1432, huit ans environ avant le procès de son petit-fils. Mais, si la date de ces grands crimes n’est pas absolument certaine, on ne peut du moins douter un seul instant des causes de cette étrange dépravation morale.

L’ambition, le dérèglement de l’imagination, la curiosité naturelle, dont nous avons trouvé les traces partout dans le cours de sa vie, firent éclore en lui des idées monstrueuses : c’est lui-même qui nous l’apprend par ses aveux. Nous avons vu quelque part, que, durant les débats de son procès, on découvrit au château de Champtocé un exemplaire de Suétone, qui lui avait appartenu. Malgré nos recherches sur un fait si curieux, nous n’avons pu l’établir sur aucun texte contemporain. Toutefois, le fait paraît vraisemblable, si l’on examine, d’un côté, le goût de Gilles pour les livres et les nombreuses preuves que nous avons de son éducation soignée et brillante ; et, de l’autre, l’analogie frappante qui existe, à certains égards, entre les orgies du maréchal et celles de Tibère et de Néron. Mais que les récits de Suétone 187aient mis ou non son imagination en mouvement ; qu’il ait voulu ou non goûter les plaisirs infâmes de l’île de Caprée ou de la Maison Dorée, en y ajoutant encore tout ce que recouvrent les flots maudits de la Mer-Morte, il est certain du moins qu’il les goûta d’abord seul, dans l’ombre et le mystère300. Un passage du procès, assez obscur, il est vrai, parce qu’il est trop concis, semble dire que, dans les derniers temps de sa vie, Jean de Craon pénétra un jour à l’improviste dans la chambre de son petit-fils, à Champtocé, et le surprit dans l’acte même du crime301. Si la chose eut lieu, quelle dut être la douleur du vieillard, en voyant les funestes effets de ses condescendances et de ses faiblesses coupables, et en songeant à l’avenir, dont le voile venait de se déchirer devant lui ! De quelles prières il dut presser Gilles de consoler sa mort, de suivre l’exemple de ses aïeux et de respecter sa gloire !… Mais le vieillard mourut, et le jeune homme oublia les conseils et les larmes de l’aïeul : sa mort le faisait entrer dans une liberté complète ; il était désormais à couvert de tout contrôle et de tout regard indiscret. Aussi, dès ce jour, il ne garda plus ni retenue ni mesure dans ses passions et dans ses goûts. En même temps qu’il donna au luxe tout ce que l’ambitieux peut désirer dans ses rêves, il accorda aux sens tous les plaisirs grossiers que peut imaginer le voluptueux.

Mais la jouissance solitaire n’est pas la jouissance complète, et, dans le bien comme dans le mal, il faut à l’homme des amis qui partagent ses joies. Gilles de Rais chercha donc bientôt dans son entourage des complices, et pour participer à ses plaisirs, et peut-être aussi pour porter avec lui le poids écrasant du remords. Rien ne pèse sur le cœur comme le lourd fardeau du mal, et le méchant aspire à le partager avec d’autres : de la sorte, il croit se tromper lui-même et tromper le remords. Mais il n’en est pas du mal comme de 188la douleur : si la compassion d’un ami soulage une âme affligée, la complicité du mal est au contraire un surcroît de pesanteur pour une conscience coupable : l’aiguillon du remords s’envenime encore de la peur d’être trahi ; il devient plus vigilant par les soupçons toujours inquiets qui environnent le crime. Le premier homme, que Gilles jugea digne de lui être associé, fut un de ses amis et de ses parents, Gilles de Sillé, qui exerça sur lui, jusque dans les derniers temps, une funeste influence ; puis, bientôt, il lui adjoignit Roger de Bricqueville, gentilhomme normand, l’un de ses cousins aussi, dont la famille, fuyant devant l’invasion anglaise, s’était réfugiée sur les confins du Poitou et de la Bretagne ; enfin, il fit entrer dans ses secrets cinq ou six autres compagnons de débauche et d’orgie, Henriet Griart et Poitou302, Rossignol et André Buschet, Petit Robin ou Robin Ronnulart, Éonnet de Villeblanche, Hicquet de Brémont, et peut-être aussi François Prélati lui-même. Tels étaient les pourvoyeurs des plaisirs cachés de Gilles de Rais303. Car, dans la foule dont il aime à s’entourer, il faut distinguer ceux qui prennent part à ses plaisirs connus et ceux qui préparent ses plaisirs secrets. On ne peut imaginer 189quels maîtres il s’était donné en s’entourant, d’adulateurs pour flatter son ambition, et de complices pour servir à sa débauche : c’est ici le lieu de dire quels furent leur rôle et leur empire. Ils s’étaient constitués les amis du baron, se chargeaient de ses affaires, des plus délicates et des plus monstrueuses304 ; veillaient à lui trouver des plaisirs nouveaux ; étaient les agents actifs de ses spéculations et de sa ruine, s’enrichissant sans remords des débris de sa fortune305. Leur importance découlait de leurs services : leurs bassesses les rendaient commodes ; leur intelligence, utiles ; leur empressement et leur propre intérêt, dévoués ; leur familiarité, nécessaires ; leur corruption et leurs vices, charmants. Préparés à tout, à tout décidés d’avance, même au crime ; sans pudeur, sans conscience, sans humanité, ils s’entremettaient auprès du maître, s’entendaient entre eux, s’imposaient à sa faiblesse, le flattaient avec habileté ; lui ouvraient tout à coup, après toutes les joies épuisées, les sources les plus imprévues du plaisir ; évoquaient enfin à ses yeux les plus séduisants fantômes de la grandeur et de la fortune. Enveloppé de leurs flatteries comme d’un filet, Gilles ne peut plus s’en débarrasser ; que dis-je ? il aime les chaînes dont on le charge ; il lui est impossible de s’en passer306. Capables du reste, lettrés parfois, actifs, habiles, hardis, rompus aux affaires et aux intrigues, ils s’emparent de tout, prennent sur eux toutes les fatigues, ne laissant au maître que le léger fardeau de la jouissance tranquille.

Plusieurs étaient italiens, de ce peuple si habile en l’art de plaire, de cette race élégante et fine, prompte à tout entreprendre et à tout oser307. Les Italiens étaient particulièrement recherchés des grands seigneurs et des princes de cette époque : partout, les plus habiles et les plus corrompus se glissaient dans l’amitié des rois et des riches barons. 190Comparés aux Français de ce temps-là, ils étaient ce que furent les Grecs aux Romains, ce que furent les Romains aux Gaulois et les Gallo-Romains aux Francs victorieux. Ils portaient avec eux la culture et le goût des arts, qui caractérisent leur race ; les ducs d’Anjou, rois de Sicile et de Naples, les attiraient dans nos contrées. Certes, à une époque, où l’Italie était déjà florissante dans tous les arts, les habitants de la Lombardie et de la Toscane, les savants de Milan et de Florence avaient un autre air que les descendants des Théfaliens et des Bretons. La culture de leur esprit, la connaissance des langues, des arts et des lettres, le goût de l’intrigue inné chez les peuples du Midi, le plaisir de duper à son profit, le sentiment de leur supériorité intellectuelle, un raffinement singulier dans la corruption et la science de tous les plaisirs comme des secrets de la nature, développaient encore la distinction naturelle de leur type. Aussi, Gilles de Rais, qui était si facile à se laisser prendre à tous ces dehors brillants, avoue à ses juges qu’il était fasciné par leur génie séduisant ; que leur seule conversation et leur beau parler latin le charmaient à tel point et le jetaient dans une telle admiration, qu’il en était arrivé à ne plus pouvoir se passer ni de leur commerce ni de leur vue. Toutefois, ce n’était pas seulement de l’Italie que les flatteurs étaient accourus ; de toutes les parties de la France, de l’Angleterre et même de l’Allemagne, s’était abattue sur la demeure de Gilles de Rais une bande d’escrocs et d’ambitieux, comme un essaim de frelons sur le tronc vermoulu d’un arbre308.

C’est donc à de telles mains que Gilles de Rais s’était livré, lui, son or et ses biens, par faiblesse et par calcul. Il vivait avec eux dans la plus grande familiarité. Rebut de la cour, il trouvait en eux des amis, des intendants dignes de lui, des collaborateurs de ses travaux, des pourvoyeurs de ses plaisirs, des compagnons d’orgies, de voluptés et de 191cruautés. Dans la société du moyen âge, la femme était intimement liée à la vie de l’homme ; elle était le charme de son foyer et sa gloire dans la vie publique : Gilles avait plus d’intimité avec ses valets qu’avec sa femme ; sa fille elle-même, qui avait le cœur plein de tendresse309, ne disait rien à son âme par son sourire ; ses caresses le laissaient insensible : en lui, le cœur s’était durci par la volupté cruelle. Pendant que, reléguées toutes les deux dans la famille de Thouars ou au fond du château de Pouzauges, elles pleuraient sur leur abandon et sur leur ruine prochaine, sans se douter que l’avenir leur réservait des choses bien autrement dures et honteuses à déplorer, lui, demeurait des mois entiers et même des années, au loin, à Angers, à Orléans, avec la foule de ses flatteurs et de ses compagnons. Ils l’accompagnaient partout, à la ville, au théâtre, à l’église, dans ses voyages310. Il avait le goût des arts : ils s’étudiaient à lui en procurer la jouissance ; il aimait les représentations scéniques : ils dressaient des théâtres ; il goûtait la pompe de sa chapelle et l’éclat des fêtes religieuses : un clergé, tout entier à ses ordres, les lui donnait plus belles que dans les cathédrales et les églises des plus riches abbayes ; il aimait les joyeux convives, les rires, les fêtes mondaines : ses flatteurs riaient, étaient joyeux, versaient à grands flots le vin et la joie dans les coupes, à ces jours de fête surtout, où, pour tout venant, coulaient l’hypocras et le clairet311. Pour ces plaisirs-là, toute une troupe d’esclaves s’agite : clercs, soldats, artistes, aventuriers, valets ; tout ce monde veut la joie, des faveurs, et surtout des profits : qu’importe à Gilles, puisque tout ce peuple est joyeux ?

Mais aux plaisirs secrets que la peur, sinon la honte, voile de ténèbres, seuls, quelques initiés, quelques intimes, complices des crimes de leur maître et liés à lui par les plus 192épouvantables serments, veillent et donnent leurs soins. Ce sont eux qui pourvoient à ses appétits, à ses vices et à ses besoins : car, dans une telle existence, les jouissances sensuelles n’étaient point sacrifiées aux divertissements du théâtre ou des fêtes. Ces hommes lui sont nécessaires : il ne saurait leur rien refuser. Il leur confie tout, ses trésors, son honneur, ses biens, même sa famille, même ce qu’il doit avoir de plus cher312 : triste exemple d’une décadence peu rare parmi les riches, qui, suivant l’expression populaire, mènent la vie à grandes guides. Nous n’avons rien de précis sur Gilles de Sillé, son cousin, sinon qu’il exerça sur lui la plus pernicieuse influence ; sur Henriet et Poitou, la suite de cette histoire contient des traits curieux que le lecteur remarquera de lui-même ; nous savons ce que fut Prélati : disons donc seulement quelques mots de Roger de Bricqueville et de la Meffraye : leur rôle dans l’œuvre maudite que nous racontons a été commun à tous leurs complices : on verra, par ceux-là, ce que furent les autres, leur perversité et leurs crimes.

Roger de Bricqueville, dont l’action sur Gilles de Rais fut si grande et si tyrannique, soit qu’on regarde sa ruine, soit qu’on songe à sa dépravation, était normand d’origine. Nous serions restés dans une ignorance presque complète sur ce personnage, si un document échappé à l’oubli, où se sont engloutis tant de titres de cette époque, n’était arrivé jusqu’à nous : ce sont les lettres de rémission que Charles VII accorda, le 24 du mois de mai 1446, au compagnon de son ancien maréchal et conseiller313. Ces lettres curieuses nous apprennent que Roger de Bricqueville était issu d’une noble maison de Normandie. Son père, Guillaume de Bricqueville, était possesseur du château de Launé, et jouissait d’une fortune considérable. S’il est permis de le juger d’après ses actes, c’était un preux chevalier, français de cœur, ayant dans 193l’âme, avant toute chose, l’amour de la patrie et la haine de l’étranger. Lors de la conquête de la Normandie par les Anglais, plutôt que de subir un joug pesant, il prit sa femme, ses enfants, entre autres Roger qui n’avait que cinq ans, abandonna sans remords sa patrie, son château et ses biens, et vint, avec ses parents et ses amis, chercher, sur les confins de la Bretagne et du Poitou, une retraite honorable, mais pauvre, préférable à la servitude dorée, mais honteuse, sous l’étranger. Là, dans l’exil, commença pour la famille, retirée auprès de quelques parents, au lieu de la vie heureuse d’autrefois, une existence de peines et de privations : héroïsme de fidélité que l’on aime à saluer en passant : d’autant plus touchant qu’à cette époque le patriotisme endormi semblait mort même au sein de l’Université et de Paris. Où qu’on trouve un tel amour de la France, chez le grand seigneur comme chez l’homme du peuple, il console du peu de courage des uns et des trahisons des autres : l’histoire n’a pas de caractères plus beaux à louer, ni de noms plus chers à bénir, que ceux qui restent fidèles au devoir jusqu’à l’exil, jusqu’à la pauvreté, jusqu’à la mort.

Tombée ainsi dans un état voisin de la misère, la famille de Roger de Bricqueville ne pouvait le garder à son étroit foyer qu’autant qu’il était incapable de se suffire à lui-même. Aussi, dès qu’il put sans péril quitter le toit paternel, monter à cheval et courir le monde, plusieurs parents et amis lui ménagèrent son entrée dans la maison de Craon, au service du jeune baron de Rais. Il était proche parent de Gilles et les liens du sang lui assuraient des égards particuliers ; son habileté et ses complaisances devaient faire le reste : grâce à elles, il devait trouver en Gilles de Rais un protecteur puissant et surtout généreux ; or, la libéralité de son maître était ce qui souriait le plus à sa pauvreté. Élevé dans la gène et presque la misère, obligé, pour vivre, d’aller au service d’autrui, il porta ses regards et bientôt ses désirs vers cette belle fortune, dont les seules miettes pouvaient l’enrichir et dont le prodigue baron jetait à pleines mains les richesses à tout 194vent. La principale préoccupation des hommes qui n’ont pas de fortune, mais qui ont de l’ambition, est de récolter ce que les riches sèment sans discrétion autour d’eux. Roger, qui aurait pu, comme les autres, vivre et s’enrichir de ce qu’il aurait glané, fut plus favorisé qu’aucun d’eux, car il fut appelé à gouverner l’immense fortune de Gilles, son maître. Les rapports intimes qu’il avait avec le maréchal, l’ascendant qu’il possédait sur lui314, la confiance sans bornes dont il était l’objet, tout porte à croire qu’il fut, pour son profit personnel, âpre travailleur au pillage de la maison. Il avait tout dans ses mains, les châteaux, les bois, les étangs, les champs, les prairies, les vignes, les bijoux, les meubles, et même la fille unique du maréchal ; tout se gérait aux caprices de sa volonté ; et il pouvait agir en tout sans contrôle comme sans responsabilité, même aux yeux du baron, son maître.

Pour arriver, étant parti de si bas, à ce haut point d’influence, le jeune Roger de Bricqueville avait du ne pas ménager à son cousin les condescendances et les services. D’abord attaché à Gilles de Rais pendant ses campagnes contre les Anglais, il le servit moins par devoir que par ambition. Il lui convenait, disait-il plus tard pour sa défense, d’être complaisant envers un seigneur dont il était le sujet et qui lui donnait généreusement le vivre et le couvert. Comment aurait-il osé contrarier un maître si bon et si magnifique ? C’eut été de l’ingratitude ; d’autant plus que le jeune écuyer, assez timide de son naturel, n’était pas doué d’un très grand jugement. Telles sont, du moins, les raisons qu’il fit valoir plus tard pour se laver du crime d’avoir flatté sciemment les goûts mauvais et de s’être fait le pourvoyeur des plaisirs honteux de son maître. Le caractère de l’homme se révèle dans ses paroles : fourbe, pour atteindre son but, rien ne lui coûte, pas même la perte de sa réputation ; il conviendra de son peu de jugement et de son naturel timide ; folie et lâcheté, voilà ses excuses. Pour recourir à de pareils moyens de défense, il fallait bien évidemment que le jeune 195seigneur eût rendu à Gilles de Rais d’autres services que les devoirs obligés d’un écuyer envers son maître. Comme il l’avoue lui-même, et comme le prouvent d’ailleurs, à défaut de sa sincérité, les accusations accablantes de Gilles, d’Henriet et de Poitou315, il fut l’un de ces compagnons d’aventures, qui parcouraient les campagnes avoisinantes de Machecoul et de Champtocé, de Tiffauges et de Nantes, pour enlever les enfants et les jeter en pâture à la bête d’extermination. Il est vrai que Roger de Bricqueville, s’il faut l’en croire, ne se doutait pas du triste sort qui était réservé aux victimes ; qu’un jour cependant, cinq ans environ avant le 26 octobre 1440, il lui vint des soupçons sur la terrible réalité, et qu’épouvanté par ses doutes, il quitta bientôt pour jamais le service et la compagnie du maréchal de Rais : mensonge évident et odieux, que l’on est étonné de voir accueilli et appuyé dans les lettres de grâce. Roger de Bricqueville n’ignorait rien, absolument rien, des plaisirs et des crimes de Gilles ; il en a pris sa part, et l’une des plus lourdes : c’est Gilles lui-même, son maître, c’est Poitou, c’est Henriet, ses compagnons de débauches, de meurtres et d’orgies, qui l’affirment ; et leurs paroles sont vraies. La lâcheté de Roger de Bricqueville, pour sauver ses jours, eut encore recours au mensonge, qui n’est d’ailleurs qu’une forme de la lâcheté, et la plus méprisable316.

Dans la foule des complices de Gilles de Rais, à côté des hommes que nous venons de nommer, il faut remarquer enfin plusieurs femmes âgées, perdues de mœurs, versées depuis longtemps dans un commerce infâme317. Il appartenait aux familiers du maréchal de les embaucher à son service et de leur apprendre le rôle qu’elles devaient jouer. En même temps qu’ils enlevaient de vive force les enfants des villes et des campagnes, ces femmes, avec leur adresse naturelle, devenaient 196les agents et les entremetteuses des plaisirs du baron318. Non qu’elles cherchaient à corrompre les enfants, mais elles les engageaient à son service ou au service de ses amis. Il n’était merveilles qu’elles ne racontaient de la magnificence du maréchal, de la somptuosité de ses demeures, de l’immensité de ses richesses, de la superfluité qui l’entourait, et surtout de ses largesses et de ses libéralités319. Les enfants rencontreraient chez lui fortune et bonheur, qui, par un écoulement naturel, se répandraient comme un fleuve bienfaisant sur leurs familles. De si belles promesses, un si charmant avenir, trouvaient, comme on le conçoit facilement, de nombreux admirateurs ; l’admiration produisait d’immenses désirs ; moitié par ambition personnelle, moitié par amour pour leurs enfants, les parents se laissaient persuader ; ils les donnaient pour servir de pages ; moins encore, pour remplir toutes sortes d’emplois dans une maison tant vantée. Le crime se voilait sous ces mensonges ; sous ces fleurs, des périls étaient cachés. Les enfants, livrés au seigneur de Rais, ne reparaissaient plus ; on n’entendait plus jamais parler d’eux ; si leurs familles inquiètes demandaient de leurs nouvelles au maréchal ou à ses gens, nous avons dit par quelles ingénieuses réponses ils mettaient fin à ces questions : encore l’audace des coupables arriva bientôt à ce point de confiance dans l’impunité, qu’ils dédaignaient même de répondre et se moquaient joyeusement des alarmes des familles.

Parmi ces femmes, on remarquait une certaine Étiennette Blanchu et surtout Perrine Martin, qui est demeurée célèbre dans nos campagnes, où son souvenir, encore vivant, demeure intimement lié à celui du seigneur de Tiffauges et de Machecoul. Elle était de Nantes : le peuple l’avait surnommée la Peliczonne ou encore la Meffraye, d’un nom strident comme le cri d’un oiseau de proie, l’orfraie. C’est d’elle que Michelet a écrit ces lignes si vivantes, si dramatiques :

Une vieille femme, qu’on appelait la Meffraye, parcourait les campagnes, 197les landes ; elle approchait des petits enfants, qui gardaient les bêtes ou qui mendiaient ; elle les flattait et les caressait, mais toujours en se tenant le visage à moitié caché d’une étamine noire ; elle les attirait jusqu’au château du sire de Rais, et on ne les revoyait plus320.

Rien n’est exagéré dans ce tableau. La Meffraye, par ses manœuvres, était devenue la terreur des campagnes ; partout on la voyait, dans les champs, sur les grands chemins, autour de Nantes, de Machecoul, de Tiffauges et de Champtocé. Elle avait le visage vermeil et portait l’âge de cinquante à soixante ans : sur son habit gris s’ajustait un mouchoir de tissu ; sur sa tête était un chaperon noir ; sur son visage tombait d’ordinaire un long voile d’étamine également noire, qui donnait de l’effroi à tous ceux qui la voyaient passer321. Le mystère entourait sa personne, mystère d’angoisses et de terreurs. Un jour, — c’était aux environs de la saint Jean de l’année 1440, — elle traversa Saint-Étienne-de-Montluc : dès le soir même, un bel enfant de huit à neuf ans, nommé Jean Brice, avait disparu : mais un homme vint témoigner aux juges qu’il avait vu la Meffraye parlant à l’enfant, non loin du presbytère322. Un certain autre soir, elle vint au Port-Launay ; comme on l’interrogea sur le but de son voyage, elle répondit qu’elle allait à Machecoul : elle menait un bel enfant par la main ; Quelques jours après, comme elle repassait toute seule par le même chemin, quelques personnes lui demandèrent ce qu’elle avait fait du petit ; elle répondit qu’elle l’avait placé chez un bon maître323. Nantes surtout fut le théâtre habituel de ses tristes exploits. Vers le 24 août 1438324, elle enlève et livre à son maître, à l’hôtel de la Suze, un enfant de douze ans ; le 17 juin 1438, c’est un enfant de neuf ans, de la paroisse de Sainte-Croix, qu’elle emmène à Machecoul325 ; le 30 octobre 1438, 198c’est le fils de Pierre Dagaie326 ; au mois d’août 1439, un jeune homme de vingt ans, petit de taille et blanc de figure ; en juin 1438, un enfant de Jean Doucet327.

Comment la Meffraye faisait-elle naître une si grande persuasion ? Entre ses mains, la force était nulle ; et cependant elle ne se contentait pas de désigner les victimes à des brigands plus forts et plus audacieux qu’elle ; car elle a fourni autant d’enfants au baron que tout autre de ses familiers. La persuasion est facile quand elle est l’œuvre de la séduction. Aux enfants des campagnes, aux petits paysans, aux petites filles, elle apparaissait tout à coup, dans les champs, dans les vallées, avec un visage souriant, dans son accoutrement mystérieux328, telle que le peuple breton, dans son imagination naïve, s’est toujours plu à représenter les fées, ces déesses du bonheur, les mains pleines d’or et de belles promesses. Elle les abordait avec bonté, parlait à leur jeune imagination par de brillantes descriptions, piquait leur curiosité par ses récits, enflammait leurs désirs par des promesses et de beaux rêves. Ces rêves, enfin, elle les leur présentait comme de douces réalités : ces biens étaient là, devant eux ; ils n’avaient qu’à faire quelques pas et à tendre la main pour les saisir. Les enfants la suivaient : mais bientôt des hommes masqués, surgissant à l’improviste des haies ou des bois voisins, les saisissaient, et tout disparaissait, enfants, ravisseurs, corruptrice. D’ordinaire, ces hommes se servaient de poches où ils enfermaient les victimes bâillonnées : le peuple les appelait les empocheurs, et ce nom renferme, aujourd’hui encore, dans les environs de Nantes, quelque chose de si terrible et de si mystérieux, que les habitants des campagnes ne le prononcent qu’avec effroi, comme celui des sorciers malfaisants, des nains et des loups-garous329. La Meffraye n’était pas moins 199séduisante auprès des enfants des villes, où la corruption est souvent plus précoce, l’oisiveté plus grande, les guets-apens plus faciles. Chose incroyable et qui montre tout ensemble et son audace et son habileté : ce n’étaient pas seulement des enfants de sept et huit ans qu’elle enchantait par ses paroles, mais des jeunes filles nubiles, des jeunes gens et presque des hommes.

Tels étaient les pourvoyeurs de Gilles de Rais330. L’on est effrayé à de semblables récits, et l’imagination se demande quelle devait être la vie commune et journalière entre Gilles de Rais et ses complices, entre des hommes tels que Gilles de Sillé, Roger de Bricqueville, Henriet, Poitou, et des femmes comme Perrine Martin. II faut renoncer à peindre cette folle société. Pétris de boue et de sang, ces hommes se jouaient de la vie, de la vertu, de la mort ; donnant le coup fatal sans sourciller, entre deux plaisirs. Mais le héros lui-même, le maître de chœur de ce triste cortège, qu’était-il donc, puisqu’il les surpassait tous ? Le plus vil, le plus cruel, le plus effroyable des hommes.

Ce misérable prenait vis-à vis d’eux toutes les précautions dont peut s’entourer le crime : si mauvais et si pervertis qu’ils étaient, il craignait toujours une trahison. Dans ce monde plein de défiances, les complices eux-mêmes lui étaient toujours suspects ; il fallait être nanti de tous les crimes pour offrir à sa peur quelque sécurité. Il les rapprochait de lui par la corruption ; il leur fermait la bouche en leur faisant un épouvantail de la justice et de la mort, auxquelles ils ne pourraient échapper eux-mêmes s’ils dévoilaient ses turpitudes cachées ; bien plus, il se flattait de les rendre muets au nom de la religion elle-même par des engagements sacrés, passés devant Dieu qu’ils outrageaient. Car, sur ces âmes avilies, la religion seule gardait une sorte d’empire ; pour ces consciences oblitérées par le crime, accoutumées depuis longtemps à ne respecter plus ni lois divines 200ni lois humaines, par une contradiction singulière, le serment avait encore un caractère inviolable. Avant de les initier aux mystères de sa vie, Gilles leur demandait un serment. Le plus souvent il exigeait qu’il fût prêté sur les saints Évangiles, et quelquefois même jusque dans les lieux saints, dans les églises et près des autels. C’est ainsi qu’Henriet, lui ayant un jour amené un enfant de Nantes sous prétexte d’en faire un enfant de chœur pour la chapelle du maréchal de Rais, Gilles le conduisit dans l’église de la Trinité, à Machecoul : là, devant Dieu, auteur de la vie, il lui fit jurer sur le Christ de ne jamais dévoiler à personne les secrets qu’il pourrait lui confier à l’avenir : serments maudits, qui rappellent ceux dont les Templiers, dit-on, voilaient leurs infamies, et qui, en rendant une demi-sécurité à Gilles de Rais et en le rassurant du côté de la justice humaine, lui communiquaient une nouvelle ardeur pour le crime, mort ou débauche331. Ce n’était pas toutefois la seule précaution qu’il prenait contre la justice.

La plupart des victimes, en effet, étaient choisies parmi les jeunes mendiants. Car la charité de Gilles couvrait d’infâmes desseins et peuplait les abords de ses demeures d’embûches perfides ; sa générosité, en semant l’or autour de lui, n’avait d’autre objet que de moissonner pour ses plaisirs, et le faste prodigue dont il s’entourait était un appât, auquel la pauvreté se laissait prendre facilement. Si les petits pauvres, qui se présentaient à la porte du château pour y recevoir l’aumône, étaient étrangers et n’avaient ni père ni mère, on les faisait entrer dans l’intérieur332. Comme ils venaient souvent de fort loin, — car la libéralité du bon seigneur était répandue jusque dans les provinces voisines, — ils n’étaient point connus des habitants du pays et leur disparition n’était guère remarquée333. Qui s’occupe, en effet, du mendiant 201qui passe ? Ne sait-on pas que toute route est son chemin, tout abri sa maison, tout hôte charitable sa famille d’un jour ? il est pareil à l’oiseau nomade, que le chasseur tue impunément ; car le mendiant vagabond ne laisse guère plus de traces de ses pieds sur le chemin que l’oiseau voyageur ne laisse traces de ses ailes dans les airs. Ajoutez encore que beaucoup de ces petits pauvres étaient orphelins : qui songe à l’enfant, qui n’a plus ni son père ni sa mère et qui mendie son pain loin de son pays ? Personne donc ne s’inquiétait d’eux, s’il ne les voyait plus reparaître334 ; car nul ne sait où va l’enfant qui n’a point de famille, au foyer de laquelle il puisse revenir quelquefois : l’horizon est si vaste ! les routes de l’air et de la liberté si nombreuses ! Que s’ils avaient encore leurs pères et leurs mères, ceux-ci ne s’occupaient d’eux qu’avec cette circonspection timide, que donnent d’ordinaire aux petites gens la pauvreté et l’habitude de trembler devant les grands et les riches335.

Le plus souvent, c’était aux familiers du baron que revenait le soin de choisir les victimes ; quelquefois pourtant Gilles ne dédaignait pas de descendre lui-même jusque dans les préoccupations de ce choix336. Malheur à l’enfant qui s’offrait à sa vue, paré des charmes de la beauté ! S’il rencontrait sur son chemin une belle figure, il l’indiquait à ses hommes : le soir même, en échange de quelques sous d’or, d’un cheval ou d’un objet précieux, l’enfant lui était amené comme sa proie du jour337. Des croisées de son château, s’il apercevait dans la foule des pauvres, qui se pressaient aux portes, un enfant au teint frais, il faisait un signe ; sous un prétexte ou sous un autre, on éloignait le portier, dont on se méfiait, et l’enfant était introduit jusqu’à la chambre à coucher du baron, où se passait bientôt ce drame terrible, dont nous avons fait plus 202haut la peinture. Rien n’arrêtait Gilles dans sa passion : si celui qu’il avait désigné avait un frère, il les faisait enlever tous les deux et tous les deux mettre à mort338, de peur que l’un ne révélât la prise de l’autre. D’ailleurs, ils ne languissaient pas longtemps dans les prisons de ses tours. Le soir même qu’ils lui étaient amenés, tout au plus tard le lendemain, ils étaient massacrés, brûlés, et leurs cendres jetées au vent ou dans l’eau des douves339.

Ce détail montre combien est fausse l’histoire, telle que l’a faite la fantaisie des romanciers, et particulièrement l’imagination de M. Pitre-Chevalier :

En vain la mère en pleurs, dit-il, redemandait son fils ou sa fille à tous les saints du paradis : les oubliettes de Tiffauges gardaient leur proie et leur secret. Cependant elles ne purent le garder si bien qu’il ne transpirât au dehors… Des cris lugubres furent entendus dans la nuit ; des traces de sang conduisaient vers la caverne immonde. Les plaintes et les investigations se multiplièrent en même temps que les victimes… On trouva dans les souterrains de Tiffauges, dans la tour de Chantocé, dans les latrines du château de la Suze, les cadavres ou les squelettes de cent quarante enfants massacrés ou flétris. Un essaim de pauvres jeunes filles, réservées à la honte et à la mort, s’en échappa comme un chœur d’anges échappés à l’enfer. La tombe garda le silence sur le reste340.

Rien ne manque à ce tableau, ni les sombres couleurs de la prison, ni les émotions de la délivrance : malheureusement, il n’en fut pas ainsi que le raconte l’écrivain breton. Aucun enfant vivant ne sortit des demeures de Gilles : tout ce que l’on en retira fut un peu de cendre, qu’on disait être de la cendre des victimes brûlées, et aussi un petit vêtement d’enfant, qui sentait si mauvais, que les témoins de cette scène n’en pouvaient supporter l’odeur341. C’eût été une grave imprudence de garder, sous les 203verrous, des victimes, dont les cris pouvaient être entendus ou de la garnison ou des passants, et compromettre ainsi les bourreaux : ceux-ci pensaient justement que les morts seuls né parlent pas.

Que de malheureux disparurent ainsi, pendant huit années d’impunité, dans les trois provinces de l’Anjou, du Poitou et de la Bretagne ! L’on a fait sur ce sujet bien des suppositions, et maints chiffres ont été mis en avant par les romanciers et les historiens. Mais personne ne saura jamais au juste le nombre des victimes. Aux jours du procès, les bourreaux eux-mêmes ne le savaient pas. Gilles de Sillé et Roger de Bricqueville s’étaient enfuis ; Henriet et Poitou, qui furent saisis avec leur maître, n’avaient pas assisté aux premiers crimes de Gilles, et, qui plus est, ne se rappelaient pas tous les enfants qu’ils avaient livrés au maréchal : à la fin de sa confession, Poitou ajouta ces mots :

et un grand nombre d’autres, dont je ne connaissais les pères et les mères342.

Quant à Gilles enfin, qui devait connaître ce nombre mieux que personne, il déclara, à plusieurs reprises, qu’il était grand, si grand même qu’il ne s’en souvenait plus343. L’acte d’accusation des Procédures civiles le porte à plus de deux cents :

Ce n’est pas seulement dix, vingt, mais trente, quarante, cinquante, cent, deux cents et plus, et tant que bonnement l’on ne pourrait certainement faire la déclaration du nombre344.

Nous possédons là évidemment l’opinion des juges : elle a donc un grand poids ; car elle est fondée, à la fois, sur les dénonciations des témoins, sur les aveux des coupables et sur les appréciations morales des complices. Si l’on compte d’ailleurs toutes les victimes qui sont nommées dans le cours des deux procès, et celles qui, sans y être désignées nommément, y sont collectivement comprises, on arrive facilement à dépasser ces chiffres. Qu’on se rappelle, en effet, qu’un soir, Gilles et ses complices retirèrent d’une 204tour de Champtocé plus de quarante enfants dont les restes y étaient enfouis345 ; qu’on se souvienne qu’avant la prise de Machecoul par René de la Suze, Gilles de Sillé fut employé pendant trois semaines à sortir d’une tour les ossements de plus de quatre-vingts victimes mises à mort ; que l’on compte tous ceux dont les noms sont écrits dans les procédures ; qu’on songe enfin, que, sans fixer aucun nombre, Gilles et ses complices ont constamment désigné la Suze, et surtout Machecoul, Champtocé et Tiffauges, comme les lieux habituels où ces meurtres se commettaient souvent346, et qu’il n’est pas d’endroit, pour ainsi dire, par où Gilles ait passé, qui n’ait été marqué par le deuil de quelque famille. Plusieurs ont porté jusqu’à sept et huit cents le nombre de ces victimes : chiffre énorme, qui est peut-être exagéré : et cependant l’on oserait dire qu’il n’a rien d’invraisemblable, si l’on fait attention aux aveux de Gilles et de ses complices. Toutefois, comme en dehors des nombres précis, qui sont contenus dans les pièces originales et authentiques, il ne saurait y avoir que des hypothèses plus ou moins hasardées et que le champ ouvert à l’imagination n’a vraiment pas de limites, il est du devoir de l’historien d’avertir que ces chiffres ne reposent sur aucune preuve réelle et manifeste. Hélas ! en s’en tenant seulement à ceux des Procès et de l’Enquête, n’est-ce pas assez, et trop encore, pour assurer à Gilles de Rais la triste immortalité, qui s’attache à son souvenir et lui mérite à jamais le surnom, que lui donne Michelet, de bête d’extermination ?

Le souvenir profond et durable, qu’il a laissé dans la mémoire des peuples de l’ouest, nous amène à parler d’une tradition populaire, qui n’a d’autre fondement que les créations capricieuses du conte et de la légende. Cette tradition, universellement répandue d’abord en Vendée, en Bretagne et en Anjou, et qui, avec le temps, s’est étendue même aux provinces 205les plus éloignées de la France et de l’Europe, attribue à Gilles de Rais le meurtre de sept femmes, qu’il aurait, dit-on, épousées légitimement347. Nous verrons plus tard, en traitant de la légende de Barbe-Bleue, ce qu’on doit penser de cette croyance populaire : il suffit maintenant de constater que la tradition est en désaccord avec l’histoire. Gilles, en effet, ne fut marié qu’une seule fois, et sa femme, Catherine de Thouars, survécut de plusieurs années au supplice de son mari. On ne peut donc rapporter à Gilles ce trait de la tradition, au moins avec cette précision nette qu’offre la légende. Car, que Gilles de Rais ait porté ses mains homicides sur des femmes aussi bien que sur des hommes348 ; que des enfants des deux sexes aient subi ses violences, rien n’est plus certain ni plus incontestable : le fait est signalé en plus d’un endroit des documents judiciaires. On a le nom d’un jeune homme de vingt ans qui périt par ses mains ; on a la preuve que des jeunes filles ou des femmes furent victimes de ses cruautés voluptueuses : Il avoua, dit Monstrelet, historien contemporain du maréchal, il avoua avoir fait mourir plusieurs enfants en bas âge et femmes enceintes. Rien donc n’était capable de toucher cette âme : ni l’âge le plus tendre, car des enfants à la mamelle moururent de ses cruautés, et moins que des enfants à la mamelle ; ni le sexe le plus faible, car de timides jeunes filles furent victimes de ses terribles divertissements.

Où plutôt, il était des enfants privilégiés qu’il aima plus que ses passions, plus que le goût du sang et de la mort, auquel pourtant il sacrifiait tout, son âme et son honneur. Ceux-là, du moins, s’ils ne furent pas respectés par ses infâmes plaisirs, ne furent pas victimes de ses cruautés : c’étaient les enfants de sa chapelle349, et en particulier les fils de Jean Briant, 206Perrinet le jeune et Pierre, de la psallette350, qui vivaient continuellement dans sa chambre351. L’amour du chant et des cérémonies religieuses, la gloire qu’il retirait de la beauté de sa chapelle, la confiance qu’il avait dans la discrétion de ces enfants352, peut-être aussi le danger qu’il aurait couru en les faisant servir à ses jeux cruels, firent qu’il n’attenta jamais à leur vie, même après avoir tué leur vertu. Il les aimait, il les comblait de ses caresses et de ses dons ; en sorte que ceux qui vivaient habituellement sous son toit étaient plus en sûreté que ceux qui habitaient loin de sa demeure. En les voyant d’ailleurs si bien traités, courir si joyeux dans les cours du château, vanter les bontés de leur maître, aucun de ceux qui n’étaient pas dans le secret de tels crimes, n’avait de soupçons sur ce qui se passait au tour de lui dans l’ombre : si bien que, ni la plupart des enfants de chœur, ni les pages, ni les chapelains, ni les écuyers, ni les chanoines, ni les acteurs, ni les hommes d’armes, ni le seigneur de Gautelon qui vivait en familiarité avec lui, ni le prieur de Chéméré qui l’aimait, ni sa femme elle-même, n’avaient le moindre doute de ce que la vie cachée du maréchal de Rais renfermait d’infâme et de cruel353.

Et pourtant quels drames dans les appartements du maître, de l’ami, de l’époux ! Les détails que nous avons donnés plus haut, peignent bien l’une de ces scènes atroces où se trouvaient réunies cruauté et volupté. Il n’est rien qui n’ait été puisé aux sources les plus sûres de la vérité ; il n’y a pas, l’on ose le dire, de tableau plus fidèle. Cependant nous n’avons fait la peinture que de l’un de ces drames ; et presque tous, identiques pour le fond, étaient différents par les détails. La variété, en effet, y naissait au gré de l’imagination de l’artiste qui les jouait ; et ses capricieuses fantaisies étaient 207plus variables et plus changeantes que les nuages toujours mouvants. Il faudrait pouvoir réunir dans un même cadre tous ces détails variés, souvent contraires ; depuis ces rires féroces354, qui répondaient aux cris des mourantes victimes, jusqu’aux raffinements voluptueux dans l’art de tuer ; depuis ces caresses perfides, auxquelles succédaient les plus cruelles tortures, jusqu’à cette contemplation de la mort sur les visages éteints, mais encore vermeils, et ces baisers déposés par les lèvres de Gilles sur les fronts refroidis355. Tantôt il fait démembrer la victime sous ses yeux ou la démembre lui-même pièce à pièce356 ; tantôt il la transperce à coups de dague, ou la frappe à coups de poignard ; tantôt la passion impatiente lui enlève la vie d’un seul coup, et tantôt, au contraire, la passion contenue s’exerce à l’épuiser graduellement ; tantôt il s’amuse à promener dans tous les sens la lame homicide357, et tantôt enfin il jette sa victime contre terre et l’achève avec de gros bâtons noueux ; la cervelle jaillit ; tout ce qui lui tombe sous la main, dagues, couteaux, poignards, bâtons, pierres, devient une arme pour ce vaillant chevalier358, pour ce compagnon de Jeanne d’Arc, pour ce défenseur de la France, contre la faiblesse d’un enfant qui ne veut pas mourir : fortis in pueri necem359 ! C’est une folie qui n’a de nom dans aucune langue. Il va si loin et fait tant, qu’il peut dire avec orgueil, sa suprême ambition : Je suis né sous une telle étoile, que nul au monde n’a jamais fait et ne pourra jamais faire ce que j’ai fait moi-même. Et, s’adressant à ses complices, il leur disait des choses qu’ils ne voyaient pas et que nous ne pouvons même pas soupçonner360 : Il n’est personne au monde qui sache et qui 208puisse même comprendre tout ce que j’ai fait dans ma vie ; il n’est personne qui en la planète puisse ainsi faire. Le voilà donc enfin au point suprême où aspirait à monter son ambition : de là, il peut regarder avec mépris, de bien haut, le reste des hommes ! Cet excès d’orgueil confond ; mais l’on sait que les plus fanfarons des hommes ont été certains scélérats. Malgré tant de déceptions dans la théorie et tant de crimes dans la pratique, persuadé qu’il a du génie à force d’extraordinaire, Gilles a conçu de lui une idée orgueilleuse.

Et celui qui se souillait par de pareils crimes avait lui-même une enfant. C’est à croire qu’il n’avait jamais regardé dans son sourire, ni rafraîchi ses yeux dans ses regards limpides, ni senti la douceur de ses caresses et de ses baisers. Elle était absente : à défaut de l’histoire, les excès de son père le prouveraient suffisamment. Il n’est personne, en effet, de si criminel qui ose affronter le voisinage de son enfant. Il y a, dans l’haleine douce et suave de ces innocentes créatures, quelque chose qui est mortel aux mauvaises pensées ; et le regard et la prière d’un enfant sont le charme le plus puissant pour toucher le cœur et le fermer aux inspirations perverses qui montent de l’abîme. Il faut n’avoir plus au cœur un seul noble sentiment pour détourner la tête d’un enfant qui prie : plus dure et plus avilie encore mille fois l’âme de celui qui soutient en face, sans en être troublé — que dis-je ? — qui soutient par plaisir, par jeu, et avec un rire moqueur et féroce, ses regards effarés, sa pâleur, ses larmes et son désespoir. Il est raconté, que, vers ce temps-là, l’on jouait en France et en Angleterre une danse effrayante, la danse macabre, où la foule s’amusait de la mort. Les peintures qui nous en restent font peur à l’imagination ; on ne peut concevoir dans toute une génération d’hommes le goût de la mort qu’elles révèlent. Mais il n’y a rien pourtant, dans ces représentations, qui ressemble aux cruels amusements de Gilles et de ses complices autour de leurs victimes : eux aussi s’amusaient de la mort, mais d’une mort réelle, horrible ; eux aussi, les épouvantables monstres, 209riaient, et quels rires ! autour des enfants meurtris, morcelés, expirants. — Romans ! dira-t-on, purs romans, faits tout exprès pour effrayer l’imagination. — Eh bien ! il faut l’affirmer : il n’y a rien là qui ne soit vrai, appuyé sur les preuves les moins contestables ; et il y a plus encore, mais-il est impossible de tout raconter… L’homme s’est fait démon.

Il jouissait de la mort encore plus que de la douleur, s’écrie Michelet avec une effrayante vérité ; d’une chose si cruellement sérieuse, il avait fini par se faire un passe-temps, une farce ; les cris déchirants, le râle flattaient son oreille ; les grimaces des agonisants le faisaient pâmer de rire ; aux dernières convulsions, il s’asseyait, l’effroyable vampire, sur la victime palpitante361.

Ces paroles ne sont qu’un écho du procès :

Et celuy sire prenait plus grant plaisance a leur coupper ou voir coupper la gorge… Il leur faisait couper le col, par derrière, pour les faire languir… Il les encisait sur le coul, par derrière, pour les faire languir, ou il prenait grant plaisance 362.

Il n’est pas nécessaire ici de grossir la vérité pour la rendre monstrueuse : telle qu’elle est, elle suffit à contenter les plus difficiles en matière d’horrible et de merveilleux. Vénus Astarté avait reparu, telle que les statues archaïques la représentent, avec les traits du type asiatique, sensuel et sanguinaire, voulant un culte mêlé de supplices et de voluptés.

Pour la vérité complète de l’histoire, on doit avertir le lecteur que l’on passe forcément sous silence certains détails d’une immoralité telle, que des juges seuls pouvaient les entendre. On n’oserait les répéter, même en citant les graves documents du procès. Tel critique, dont nous ne pouvons partager le sentiment, prétend qu’un historien ne doit rien receler de la vérité, et que Suétone n’a pas reculé devant la peinture des infamies impériales. À ces deux raisons, il est permis de répondre par deux questions : pourquoi, lorsqu’il s’agit de 210certains crimes, la loi exige-t-elle le huis-clos de la justice ? et qui voudrait mettre entre les mains d’un jeune homme ces pages de Suétone ? Mais, malgré le cynisme qui souille son histoire, l’on ose dire que Suétone se serait tu sur certains détails des crimes de Gilles de Rais. Ni les saturnales de Néron et de Caligula, ni ces choses innommables, qui, au dire de Tacite, se passaient dans le palais de Tibère, à Caprée, et que cet historien ne décrit, pas, n’approchent peut-être et ne donnent même l’idée de ce qui eut lieu dans la chambre à coucher de Gilles de Rais, à la Suze, à Machecoul, à Champtocé, à Tiffauges. Qu’il nous suffise de dire, en général, que, de chute en chute, Gilles se trouva un jour au fond de l’abîme, face à face avec la débauche, mais une débauche telle qu’on ne peut la dépeindre : cependant, il regarda le monstre sans pâlir ; il lui sourit et lui jeta les restes de sa jeunesse et de sa pudeur à dévorer : le monstre dévora tout. C’est assez dire, trop peut-être ; à ceux qui désireraient davantage, il faut répondre : plutôt que d’être le Suétone de Gilles de Rais, il faudrait briser ici sa plume et jeter ces feuilles au feu. Et par respect pour sa propre conscience, et par respect pour l’âme des lecteurs, il est des choses qu’on ne peut dire : on raconte qu’en entendant la confession de Gilles, les juges de Nantes, saisis d’un irrésistible mouvement de pudeur, baissèrent les yeux et voilèrent la figure du Christ ; telle est du moins la tradition : or, il ne convient pas à l’historien d’être moins réservé ni moins chaste que les juges.

Une telle débauche était l’effet d’une vie de plaisirs. Ces plaisirs qu’il cherchait, pour les yeux dans les spectacles, pour les oreilles dans les chants et la musique, il les chercha pour le goût dans le boire et le manger, avec le double dessein et de satisfaire sa gourmandise et d’exciter la volupté. On a souvent et justement remarqué le lien fatal qui existe entre ces deux vices : l’histoire de Gilles de Rais prouve, comme la raison, que la luxure est la première-née de la gourmandise. Les mets les plus rares et les plus délicats, les 211vins les plus recherchés et les plus chauds, chargeaient sa table ; toute sorte de boissons enivrantes lui étaient habituelles ; et l’on n’oserait dire ou même penser à quel dessein, si le procès n’en témoignait en des termes d’une crudité qui défie toute hardiesse. Des plaisirs sauvages et contre nature, voilà ce qu’il fallait à cette chair corrompue, où se mouvait une âme devenue bestiale ; et il les lui fallait faciles, agréables, fréquents, à profusion. Aussi, les festins succédaient aux festins, les orgies aux orgies : entre deux, il n’y avait souvent que l’intervalle d’une nuit de crimes. Les tables étaient toujours ouvertes, les coupes toujours pleines ; et le ventre, selon l’expression réaliste de l’Apôtre, chaque jour traité comme un dieu :

Cibariis et vinis delicatis, eciam ypocrasio et clareto… et aliis speciebus calicis… Sepe, et sepius, ac superflue, ac indebito modo, usus fuit, et castrimargiam cotidie exercuit, et quod sic fuit et est verum363.

Pourtant, il ne faudrait pas croire que tout fut jouissance dans une pareille vie, et qu’elle ne fut pas mêlée de beaucoup d’ennuis, de regrets et de remords. Ce n’avait pas été sans souffrances que Gilles était descendu si bas dans le crime. Une tradition rapporte qu’Hérode, en proie aux remords, avait toujours devant les yeux les victimes de Bethléem, et dans l’oreille cette voix de Rachel, pleurant ses enfants et ne voulant pas être consolée parce qu’ils n’étaient plus aux heures où la solitude régnait autour de lui et quand les emportements de la passion lui laissaient quelque repos, Gilles de Rais semble avoir éprouvé quelque chose de semblable, et c’est à ces remords qu’il convient de rapporter la pensée de fonder, à Machecoul, une collégiale en l’honneur des Saints Innocents. Son âme était croyante ; si la vertu s’y trouvait éteinte, la foi y brillait toujours, et ses lumières y projetaient jusque dans les plus sombres profondeurs 212de vives clartés sur les plaies dont il souffrait364. Alors la honte l’agite ; comme un malade sur son lit, il se retourne sur lui-même et ne trouve à se reposer que sur des plaies vives. Parfois on le trouve errant dans les parties les plus solitaires de ses châteaux ; parfois aussi, il en sort dès le matin et parcourt les rues et les campagnes. On croit et on répète de toutes parts qu’il est fou ; et, plus tard, refusant d’attribuer ces extravagances à ses remords, sa famille les rejette sur sa folie365. Souvent il erre à l’aventure, laissant échapper des paroles incohérentes, sauvages, insensées, et ne rentre qu’à la tombée de la nuit, épuisé de fatigue366. Il pleure, parfois ; il jette des cris de douleur ; il tombe à genoux. Dans l’excès de sa souffrance, il prend des velléités de repentir pour le repentir lui-même ; et, déjà, dans sa pensée, revenu à la vertu par l’expiation, il jure à Dieu et aux saints du ciel de faire pénitence de ses crimes ; il crée des fondations pieuses ; il promet, en un mot, de renoncer désormais à cette vie infâme, dont le souvenir cuisant fait le tourment, de ses jours et de ses nuits. Il n’est rien de si dur ni de si pénible qu’il ne soit prêt à embrasser pour recouvrer la paix avec le pardon : tantôt le cloître l’attire avec ses austérités ; tantôt c’est Jérusalem et le tombeau du Christ. À Machecoul et à Bourgneuf-en-Rais, il en a fait le vœu : il partira seul, à pied, vêtu comme un pèlerin, mendiant son pain, vers les lieux qu’habita le Sauveur ; pèlerin pénitent, il verra Bethléem ; il ira aux rivages des lacs, sur le sommet des Oliviers, il gravira le Golgotha…367 Mais, si le courant qui mène à l’abîme est facile à descendre, il est rude à remonter ; il est même bien difficile de s’arrêter où l’on veut ; et ceux qui n’ont jamais vogué que sur des eaux paisibles et pures, ne savent pas ce que le gouffre, où conduit le flot 213impur et bourbeux, a d’étranges fascinations. Dans cet esprit mobile et violent, les impressions ne pouvaient durer longtemps. Des plaisirs indignes, de honteuses débauches succédaient à la pitié et aux larmes. Malgré ces remords, ces larmes et ces promesses, à la vue d’une nouvelle victime, la bête reparaissait, et le chien, dit le procès en s’emparant d’un mot effrayant de la Bible, retournait sans cesse à son vomissement. Ces mêmes infamies, qui étaient tout à l’heure l’objet de ses larmes, se renouvelaient dans sa chambre, attirant sur le monde, dit encore le procès, ces tremblements de terre, ces pestes, ces famines et tous ces fléaux, qui ont puni les crimes de la, Sodome et de la Gomorrhe antiques :

Nichilominus, predictis juramento, voto et promissione non obstantibus, depost, predictus Egidius reus, tanquam canis ad vomitum perseverens, plures infantes… jugulavit… propter quod peccatum, secundum juris disposicionem, fiunt terre motus, fames, pestilentie super terram368.

Ainsi, tout était vain dans cette âme vaine, éprise de tant de vanités. Le repentir est comme une fleur : dans la chaleur étouffante des passions, elle se flétrit, et son fruit, à, peine formé, tombe par terre. Si, comme on le voit, l’âme de Gilles n’avait pas perdu toute pudeur, au moins cette pudeur qui vient du remords et qui l’engendre ; si la sève chrétienne y produisait encore de généreuses pensées, à peine écloses, le tourbillon les emportait, stériles et vaines. Au moment où le bon grain allait mûrir, un orage soudain, soulevé par le souffle de quelque mauvais génie, anéantissait l’espoir de la moisson ; et personne, malheureusement, ni son épouse, ni un ami, n’était là pour ensemencer de nouveau le champ dévasté : les seuls familiers, au contraire, qui eussent accès dans ce clos, n’y entraient que pour en arracher de leurs propres mains les derniers germes de résurrection et de vie épargnés par l’orage. Plus que ses mauvais instincts et ses passions peut-être, ce fut ce qui perdit Gilles de Rais.

214Tel fut le monstre. Ce qui, dans la nature, nous étonne comme le produit horrible du hasard, n’est que le produit d’une loi particulière, différente de la loi générale. Dans la nature morale, Gilles de Rais est une effrayante création du mal ; il est l’effet naturel du vice ; si bien qu’aujourd’hui, comme au XVe siècle, de la même corruption pourraient germer les mêmes crimes. Si les institutions politiques devenaient moins fortes, si les lois tombaient dans le mépris, surtout si la foi et la morale chrétiennes s’affaiblissaient, si les passions humaines augmentaient, des superfétations étranges, dont s’épouvante justement la postérité, sortiraient du fond des corruptions humaines. Gilles de Rais pensait justement qu’il pourrait avoir des imitateurs : Prenez bien garde, disait-il aux parents qui assistaient à son procès, prenez bien garde d’élever vos enfants dans la mollesse et dans la satisfaction de tous leurs goûts : c’est ainsi que j’ai grandi, et c’est ce qui m’a perdu !

215VIII
Derniers excès de Gilles de Rais. — Son arrestation.

Au milieu de cette vie de plaisirs et de crimes, tout à coup un évènement grave vin troubler la sécurité de Gilles. Un de ses amis intimes, Eustache Blanchet, quitta subitement le château de Tiffauges, emportant dans son cœur, sinon des secrets compromettants, du moins de graves soupçons. De tous les familiers du maréchal, il semble que Blanchet ait été l’un des moins criminels. S’il trempa, en effet, jusqu’à certain point dans les pratiques occultes de la magie, il n’eut jamais ni ces impudences ni ces cruautés, qui marquèrent la perversité et la débauche de Gilles et de ses autres complices. La vie secrète de son maître, à ses yeux, se réduisait à des actions plus ou moins condamnées par la raison et par la foi : il n’osait aller plus loin dans ses affirmations.

Blanchet était né au diocèse de Saint-Malo, dans la paroisse de Saint-Éloi-de-Montauban. Élevé au sacerdoce, ce fut sans doute sur les prières de Gilles de Rais qu’il vint s’établir au château de Tiffauges, où son caractère lui devait donner une place toute marquée dans le chapitre du maréchal. C’était le jour de l’Ascension 1438. Quelques mois après, il annonça au baron de Rais qu’il allait être obligé de le quitter pour aller en Italie, où l’appelait le soin d’affaires graves et particulières. À cette nouvelle, Gilles fut d’abord vivement contrarié ; mais, se ravisant bientôt à la 216pensée qu’Eustache pourrait servir utilement ses desseins en Italie, il lui fit promettre de chercher en ce lointain pays quelque savant alchimiste et habile évocateur des démons ; peut-être lui donna-t-il en même temps le soin de solliciter du pape certaines faveurs qu’il ambitionnait beaucoup et que nous avons vu qu’il n’obtint pas. Eustache Blanchet lui fit ses adieux. Ainsi qu’il le raconta lui-même, il avait oublié la première recommandation du maréchal, quand le hasard lui fit rencontrer, à Florence, le jour de l’Ascension 1439, François Prélati avec Nicolas de Médicis et un certain Francisco, du diocèse de Castellane. De retour à Tiffauges avec Prélati, comme nous l’avons raconté, il demeura encore quelque temps en la compagnie du maréchal ; il assista aux préparatifs de quelques opérations alchimiques et de plusieurs évocations ; puis, tourmenté par je ne sais quel malaise, qui vient surtout du soupçon, il prêta l’oreille à tous les bruits qui se faisaient autour de lui et eut l’œil ouvert pour pénétrer ce qui se passait de caché et de mystérieux. Cette nuit profonde, dont Gilles de Rais cherchait à s’envelopper vis à vis de lui ; quelques indiscrétions, saisies au vol sur les lèvres des plus familiers du maréchal ; certains mots couverts, qui lui parurent voiler des horreurs ; plusieurs paroles, qui, du lieu des évocations fermé à sa curiosité, parvinrent jusqu’à son oreille ; la science que les livres de magie lui avaient donnée des abominations où peut conduire le génie du mal ; ce tourbillon impétueux et ces pas d’animal, qui se firent entendre au-dessus de lui sur le toit du château de Tiffauges, au moment où Gilles et Prélati évoquaient le démon ; la terreur, enfin, qu’il ressentit dans cette circonstance, firent naître dans son esprit des soupçons qu’il ne put dissiper369 ; il en vint jusqu’à dire à ses amis que le maréchal ne pouvait réussir dans ses entreprises que par la mort d’enfants et de beaucoup d’enfants370, 217et à se dire à lui-même que cet homme n’était pas de nature à reculer devant ces crimes. Il lui devint évident que la justice veillait autour des murs de ce château et que les pierres ne sauraient empêcher la vengeance d’y pénétrer quelque jour. De ce moment, il n’eut plus d’autre pensée que de s’en échapper, et le plus vite possible ; tant et si bien qu’il fit naître lui-même l’occasion de quitter Tiffauges : une querelle qu’il eut à dessein avec l’un des familiers de Gilles, nommé Robin, lui fournit un motif plausible de partir, le jour de la Toussaint 1439371.

Il se retira à quelque distance, dans la petite ville de Mortagne, en Poitou, située, comme Tiffauges, sur un coteau pittoresque qui domine la Sèvre. Deux lieues au plus le séparaient de Tiffauges, dont il pouvait même apercevoir au loin les hautes tours et le donjon, qui se dressaient tout au fond de la vallée de la Sèvre : il était difficile de choisir un meilleur poste d’observation pour surveiller ce qui adviendrait ; en même temps, il était admirablement placé pour recueillir toutes les nouvelles et tous les bruits que le vent apportait de Gilles et de ses compagnons. Il était descendu chez un hôtelier nommé Bouchard Ménard, près duquel il demeura environ sept semaines sans sortir de la ville. C’était en vain que Gilles lui écrivait de revenir le voir à Tiffauges, que le motif de son départ était déraisonnable et que l’œuvre de Prélati allait à merveille : le prudent malouin n’avait garde de se rendre à ces invitations, quand, un certain jour, il arriva jusqu’à lui des nouvelles, qui l’auraient raffermi dans son dessein, s’il avait été chancelant.

Un soir descendit chez son hôte un voyageur, qui arrivait de Nantes par la route de Clisson : il se nommait Jean Mercier, châtelain de la Roche-sur-Yon, au diocèse de Luçon. Le repas réunit les convives à la même table. Tout en causant avec le 218nouvel arrivé, Eustache Blanchet lui demanda des nouvelles de Nantes et de Clisson. Le voyageur, dont l’esprit était encore plein des récits qu’il avait entendus sur sa route, lui répondit qu’à Nantes, à Clisson et dans tous les lieux circonvoisins, il n’était question que de crimes épouvantables : on disait partout dans le peuple que le maréchal de Rais, seigneur de Tiffauges, faisait massacrer de nombreux enfants, et que, avec le sang de ses victimes, il écrivait de sa propre main un livre mystérieux ; que, lorsque ce livre serait achevé, toute forteresse tomberait devant le puissant baron comme par enchantement, sans que personne pût jamais lui nuire dans l’avenir. L’entretien prit fin sur ce récit ; mais, dès cette heure, Eustache Blanchet fut définitivement établi dans sa résolution de ne plus jamais revoir ni Tiffauges ni le maréchal372.

L’occasion du retour cependant ne devait pas tarder à lui être offerte. Dès le lendemain, en effet, au matin, Eustache Blanchet vit arriver de Tiffauges l’orfèvre Jean Petit, que Gilles de Rais et Prélati avaient dépêché pour lui dire qu’il était parti sous un prétexte ridicule, qu’ils le rappelaient de tous leurs vœux, lui mandant de revenir au plus vite. Jamais, répondit Blanchet : les bruits qui sont répandus sur le maréchal et sur maître François s’y opposent trop fortement. S’ils sont fondés, ajouta-t-il, je vous en supplie, dites à Gilles et à maître François de quitter une voie où ils commettent de si grands crimes. J’ignore si les récits du peuple sont justes ; mais à tout le moins ils sont généralement semés dans toute la contrée. L’orfèvre, sur ces paroles, moins avisé que son ami, repartit pour Tiffauges, où il rapporta, comme le croyait plus tard Eustache Blanchet, cette conversation à Gilles son maître. Mal en prit à l’imprudent ; car, à la nouvelle du refus d’Eustache et des bruits populaires qui couraient sur lui, Gilles entra dans une violente colère contre le malheureux orfèvre, 219qui l’avait jusque-là servi avec tant de dévouement ; il le fit saisir et jeter dans un sombre cachot, au château fort de Saint-Étienne-de-Mer-Morte, où il faillit mourir dans les fers.

Pendant ce temps, Gilles perdait moins que jamais de vue et de souvenir Blanchet, qui pouvait être si dangereux par ses paroles. Il le connaissait, en effet, comme un homme à la langue indiscrète, fragile, méchante et volatile373. Il n’avait jamais voulu, il est vrai, le faire entrer dans ses secrets les plus intimes ; mais il avait pu en pénétrer le mystère. Cet homme devait donc disparaître : on fit comprendre à Gilles de Rais que sa propre sûreté dépendait de la discrétion d’Eustache, et que, pour s’assurer de cette discrétion, il n’y avait d’autre moyen que la mort ou tout au moins la prison. Le maréchal en eut bientôt pris son parti. Un jour, quatre hommes vigoureux, quatre amis dévoués, mais de ce dévouement que donne aux hommes coupables la crainte d’être trahis, Poitou, Gilles de Sillé, Jean Lebreton et Henriet, entrent à l’improviste dans la ville de Mortagne, pénètrent jusque chez l’hôtelier, s’emparent d’Eustache Blanchet surpris et s’éloignent rapidement dans la direction de Montaigu. Lorsqu’ils furent arrivés à Rocheservière, Eustache comprit qu’on le menait tout droit à Saint-Étienne-de-Mer-Morte, sans aucun doute pour l’y renfermer dans un cachot, comme Jean Petit, ou pour le mettre à mort. Par une résolution énergique, il refusa d’avancer plus loin et fit si bien, et par ses paroles et par sa résistance, que ses anciens amis durent le conduire à Machecoul. Comme ils en approchaient, Poitou lui confia que, s’il était allé à Saint-Étienne-de-Mer-Morte, sa fin était certaine ; ainsi le maréchal de Rais, leur maître, l’eût puni d’avoir parlé, comme il l’avait fait, à l’orfèvre qu’on lui avait député ; lui donnant à entendre, par cet avertissement charitable, qu’éloigné de Mortagne où ses imprudentes paroles auraient pu être si dangereuses pour tous, il eût à bien 220veiller sur sa langue à Machecoul, s’il voulait y demeurer en sûreté. Mais, pour résister désormais à la démangeaison de parler, pas n’était besoin à Eustache Blanchet de tant de recommandations.

Les craintes de Gilles trouvaient donc un écho dans ses complices : la peur leur était continuelle, surtout dans les derniers temps, et la peur les rendait terribles aux curiosités indiscrètes. On en trouve les traces partout : à l’épisode que nous venons de raconter, il nous suffira d’ajouter ce récit d’une femme qui en fut la victime. Comme le maréchal demeurait souvent à Machecoul dans les derniers mois de sa liberté, Prélati et l’un de ses compatriotes, Lenano, marquis de Ceva, s’étaient établis dans la ville, où ils avaient loué, chez un habitant nommé Clément Rondeau, une chambre haute dans laquelle ils couchaient ensemble374. Leur hôte étant tombé malade, fut bientôt réduit à la dernière extrémité et mis en onction, si bien que, suivant le mot curieux de Perrine, sa femme, de qui nous avons ces détails, on espérait plus la mort que la vie. Abattue par cette espérance375, Perrine faisait entendre dans toute la maison moult lamentations ; tellement, que, vu les pleurs et douleurs qu’elle menait de son dit mary, on fut obligé, pour le repos du pauvre malade si bruyamment regretté, de la renfermer dans la chambre de Prélati et du marquis de Ceva. Ceux-ci étaient alors au château ; mais leurs pages, qu’ils avaient laissés dans leur chambre, y soupaient ensemble. Perrine était tout 221entière à sa douleur, lorsque les maîtres de céans rentrèrent. En la voyant dans leur chambre, ils sont pris d’une violente colère ; ils l’accablent d’injures, et bientôt des injures ils passent aux coups ; ils la prennent, l’un par les pieds, l’autre par les épaules, pour ]a jeter hors, du haut de l’échelle376, dans l’appartement d’en bas ; en même temps, Prélati la frappe de violents coups de pied dans les reins ; elle serait infailliblement tombée et se fut brisée dans sa chute, si sa nourrice, à des cris bien distincts de ceux dont elle pleurait la perte espérée de son mari, ne fut accourue et ne l’eût saisie par la robe377. Prélati et le marquis de Ceva délogèrent ; Prélati alla demeurer avec Blanchet dans une petite maison retirée de Machecoul, qui n’était point honnête pour gens d’honneur, et où, le jour de l’arrestation du maréchal, l’on trouva diverses choses très compromettantes, qui montrent bien clairement que les craintes manifestées dans cette occasion étaient loin d’être sans fondement378.

Ainsi, des bruits étranges couraient dans tout le peuple, et sur tout le pays s’étendait comme un sombre voile, qui s’obscurcissait toujours davantage : le deuil frappait chaque jour, tantôt à une porte, tantôt à une autre ; et les cœurs, plus encore que les foyers attristés, étaient environnés et remplis d’une indicible frayeur. Rien cependant ne semblait présager la fin du fléau, et l’on se demandait l’un à l’autre quel serait le terme mis enfin par Dieu à tant de douleurs. Pour Gilles de Rais, haut justicier dans ses terres, il semblait qu’il eût la tête au-dessus des nuages et que, n’ayant rien à redouter du côté de la terre, il mettait à défi le ciel lui-même. S’il s’inquiétait quelquefois de l’avenir, ce n’était pas de la foudre qu’il avait peur, mais de la ruine : cependant, tout en redoutant l’effondrement de sa fortune, il continuait à vivre dans le meurtre et dans l’orgie, et les plaisirs et la débauche endormaient peu à peu dans son âme le remords. 222À cela le conviait l’assurance de sa grandeur pour impunité, selon d’Argentré. Telle était la terreur qu’il inspirait, dit Michelet, que depuis 14 ans379 personne n’avait osé parler. Aussi, malgré les larmes du peuple, malgré les récits partout semés des crimes de Gilles, malgré l’enquête de l’évêque de Nantes, qui se fait dans l’ombre, malgré l’Inquisition, la justice eût été encore bien lente peut-être à venir, sans un évènement fortuit. Un nouvel attentat, moins grave assurément que ses autres crimes, mais public et qui relevait à la fois de la justice ecclésiastique et de la justice civile, fournit heureusement, à l’évêque de Nantes, l’occasion de parler haut en faveur de l’innocence, de la vertu et de la faiblesse, et au duc de Bretagne le prétexte de rompre avec son lieutenant général et de garder dans ses mains les riches dépouilles de son nouveau frère d’armes. Gilles ne crut voir encore, dans cette circonstance, qu’un léger nuage dans le ciel : ce nuage portait la foudre.

Toujours à court d’argent, malgré ses revenus considérables encore et le produit de nouvelles terres vendues ; après avoir aliéné maintes rentes et nombre de seigneuries ; après avoir engagé jusqu’aux domaines de Champtocé et d’Ingrandes, le maréchal se retrouva un jour, comme tant de fois déjà, en présence de ses coffres vides et de ses appétits non satisfaits ; il fit sans hésiter ce qu’il avait déjà fait tant de fois : il jeta à l’hydre un nouveau lambeau de sa fortune. Il possédait sur les confins de la Bretagne, du côté du Poitou, la seigneurie et la forteresse de Saint-Étienne-de-Mer-Morte : il les engagea et les vendit même à un sujet du duc de Bretagne, Guillaume Le Ferron, dont le frère, Jean Le Ferron, en prit possession des mains de Gilles de Rais lui-même380 : nous n’avons pu retrouver à quelle époque et pour quel prix. Que se passa-t-il entre le moment où Gilles livra ce beau domaine et les évènements que nous allons raconter ? 223Le maréchal, peu à peu dépouillé de ses plus belles terres, resserré chaque jour davantage dans les limites de sa puissance, confiné dans les bornes étroites de Machecoul et de Tiffauges, fut-il pris de regrets, à la pensée de ses meilleures places perdues ? Lui qui avait rêvé une puissance sans limites, qui aspirait sans cesse au moment où il pourrait refaire sa fortune, qui se flattait de voir un jour tomber devant lui les murailles les plus orgueilleuses, fut saisi de désespoir en voyant chaque coup de vent abattre un débris de sa maison381. Peut-être survint-il aussi entre Le Ferron et lui quelque difficulté imprévue au sujet du prix et de la vente de Saint-Étienne-de-Mer-Morte. Chacune de ces suppositions est plausible et peut-être que toutes ces causes sont vraies, s’étant toutes réunies pour pousser Gilles de Rais aux derniers excès, qui devaient marquer le terme de ses crimes. Gilles résolut d’attaquer Saint-Étienne à l’improviste et de s’en emparer les armes à la main.

Comme on l’a vu plus haut, il avait dans sa maison militaire environ deux cents hommes ; de plus, les nombreux serviteurs, dont il était entouré, pouvaient à l’occasion grossir et soutenir cette troupe ; il la fortifia encore, en enrôlant des mercenaires : il mit de la sorte sur pied de guerre une petite armée dévouée à ses ordres. C’était une révolte ouverte, au mépris du serment de fidélité qu’il avait prêté à la couronne ; c’était violer aussi cette autre loi du duché de Bretagne, qui défendait à tout baron de lever une armée et de se mettre en campagne, sans l’aveu du duc souverain382. Autant pour venger son pouvoir méconnu que pour servir ses intérêts, Jean duc de Bretagne, allait donc se trouver engagé dans la lutte contre son vassal ; enfin, par un hasard providentiel, le révolté contre l’État, le contempteur des lois bretonnes, allait devenir un révolté contre l’Église, un contempteur des lois ecclésiastiques. Dès lors, s’unissaient contre lui les deux puissances suprêmes de l’époque, l’Église et l’État : l’Église 224heureuse de venger les droits méconnus de la faiblesse en protégeant ses privilèges ; le duc, heureux, selon la pensée de Mézeray, de venger ses injures et de sauvegarder ses intérêts en vengeant celles de Dieu. Voici donc ce qui se passa à Saint-Étienne-de-Mer-Morte, dans la matinée du jour de la Pentecôte 1440.

C’était vraisemblablement vers dix heures et demie du matin : tout le peuple se trouvait rassemblé dans l’église paroissiale pour entendre la messe. Jean Le Ferron avait quitté le château pour assister comme les autres au saint sacrifice ; près de lui, non loin du chœur, se trouvait Guillaume Hautrays, venu au nom du duc de Bretagne pour enjoindre aux habitants de la seigneurie, au sortir de la grand-messe, de refuser tout impôt et toutes redevances à Gilles de Rais. Tout était donc désert dans la ville et autour du château. On s’explique ainsi comment le maréchal, avec sa petite troupe, put arriver sans être aperçu jusqu’à un petit bois, situé à quelques portées d’arbalète du château. Il y cacha cinquante à soixante hommes, revêtus de leurs armes, la tête couverte d’un capuchon, prêts, au moindre signal, à s’élancer en avant et à s’emparer de la place par surprise. Lorsque toutes ces précautions furent achevées, il commanda à Gilles de Sillé, à Bertrand Poulein et à quelques autres de ses hommes d’armes, de le suivre, leur seule épée à la main : lui-même tenait une guisarme dans sa main droite. La tête découverte, le front haut, le regard plein de colère, il s’avance, passe le long des murs du château et marche droit à l’église paroissiale. La messe touchait à sa fin ; la communion du prêtre venait d’avoir lieu ; à leurs places, Jean Le Ferron et Guillaume Hautrays, pieusement à genoux, priaient : tout à coup, la porte de l’église s’ouvre avec fracas ; le peuple s’agite, et la messe est interrompue par un grand vacarme : Gilles de Rais, le terrible baron, la terreur du pays, suivi de soldats, traverse les rangs tumultueux de la foule ; il brandit sa guisarme ; la colère sort de ses yeux ; il se précipite, le visage menaçant, sur Jean Le Ferron 225et ses amis :

— Ha ! ribault, s’écrie-t-il en s’adressant au malheureux tremblant de tous ses membres, ha ! ribault ! tu as battu mes hommes, et leur as fait extorsion ; viens ! viens hors de l’église, ou je te tuerai tout mort !

Pâle de terreur, Jean Le Ferron tombe aux genoux de Gilles de Rais :

— Faites de moi ce qu’il vous plaira, lui dit-il en suppliant.

— Dehors ! dehors ! lui crie le terrible maréchal en brandissant sa guisarme sur la tête de son ennemi.

De plus en plus épouvanté par cette voix et ces gestes menaçants, Jean Le Ferron supplie deux compagnons de Gilles, Lenano, marquis de Ceva et Bertrand Poulein, d’intercéder pour lui auprès de leur maître :

— Il ne vous sera fait aucun mal, lui disent-ils, sortez : nous vous en répondons sur notre vie.

Et pendant ce temps-là, Gilles criait toujours :

— Dehors ! ribault ! dehors ! ou je te tuerai tout mort !

Le peuple, autour d’eux, s’agitait ; à l’autel, le prêtre avait interrompu le sacrifice ; quelques-uns, ou plus craintifs ou plus prudents, s’esquivaient en toute hâte ; les plus curieux attendaient le dénouement de cette scène. Enfin Jean Le Ferron, un peu rassuré par les paroles du marquis de Ceva et de Bertrand Poullein, sortit de l’église, suivi du maréchal toujours menaçant et de ses compagnons. Aussitôt il est conduit devant les portes du château, que Gilles lui commande de remettre en sa possession ; sinon, il mourra sur place ; et Gilles fait le geste de lui trancher la tête d’un coup de sa guisarme : le prisonnier, effrayé de la menace et surtout du geste qui l’accompagne, obéit en tremblant : sur son ordre, la garnison abaisse le pont-levis et remet la place au maréchal. Mais la liberté ne fut pas rendue à Jean Le Ferron et à ses gens ; ils furent chargés de fers et jetés dans les prisons de Saint-Étienne d’abord, et plus tard conduits à celles du château de Tiffauges383. Le double attentat était consommé : Gilles de Rais s’était mis en pleine révolte contre le duc, son suzerain, en levant une armée sans son aveu, en mettant la 226main sur ses sujets, en reprenant enfin de vive force une place qui ne lui appartenait plus ; bien plus coupable encore, il s’était mis en révolte contre l’Église, en envahissant, les armes à la main et durant le sacrifice de la messe, une église consacrée au culte, et en osant porter la main sur un clerc : Jean Le Ferron, en effet, était entré dans la cléricature et avait reçu la tonsure des mains de l’évêque de Nantes384 ; ainsi les immunités de l’Église avaient été doublement violées par un double attentat.

Jusque-là, le duc de Bretagne avait soutenu le maréchal de Rais contre sa famille et même contre le roi de France : mais il lâcha le lieutenant général de son duché et son frère d’armes, dès qu’il vit que ses propres intérêts étaient compromis par l’appui qu’il donnait à Gilles ; il brisa d’ailleurs très facilement une alliance, qui n’avait que le faible lien de la cupidité, et fit sommer le baron révolté de rendre Saint-Étienne-de-Mer-Morte et de remettre ses prisonniers en liberté : en cas de refus et de désobéissance, une amende de cinquante mille écus devait dédommager le duc des injustices dont il se disait victime. Cette somme énorme était la moitié du prix de Champtocé et d’Ingrandes : on le voit, Jean V n’avait garde d’oublier ses intérêts particuliers. Comme le duc l’avait espéré, pour toute réponse à cette sommation, le maréchal irrité se porta à de nouveaux excès. Il fit saisir Guillaume Le Ferron et Guillaume Hautrays, receveur du fenaige, et quelques jours après, Jean Rousseau, sergent-général du duc de Bretagne, leur enleva leur dague et les fit jeter en prison ; en même temps, à Machecoul, les gens du duc, qui étaient venus lui enjoindre de payer l’amende de cinquante mille écus pour avoir mis la main sur leurs personnes et sur leurs biens, étaient, au mépris du droit des gens, roués de coups et accablés de mauvais traitements ; chaque jour enfin Gilles se livrait contre le duc et ses sujets à de nouveaux attentats. Enfin, pour mettre ses prisonniers hors de la puissance 227de Jean V, il les fit conduire par le marquis de Ceva au delà des frontières de la Bretagne, au château de Tiffauges, en Poitou385.

Une révolte si audacieuse demandait une prompte et sévère répression. Une troupe considérable, aux ordres du duc de Bretagne, s’avança contre Saint-Étienne-de-Mer-Morte et s’en empara : Gilles s’était déjà réfugié dans Machecoul, où il attendait les évènements. Ils marchèrent vite. Impuissant à délivrer des fers Jean Le Ferron et ses compagnons de captivité, le duc de Bretagne mit dans ses intérêts le roi de France, que gouvernait en maître le connétable de Richemont. Celui-ci, épousant la querelle de son frère, se déclara l’ennemi de son ancien compagnon d’armes et vint mettre le siège devant Tiffauges. Le maréchal, inquiet de la mauvaise tournure que prenaient ses affaires, effrayé de voir levées contre lui les deux puissances souveraines, se hâta de rendre aux captifs la liberté386.

Il croyait certainement que cet acte de soumission dissiperait l’orage qui menaçait sa tête ; mais il se trompait. Par la prise de Saint-Étienne-de-Mer-Morte et la reddition des prisonniers, la justice du duc de Bretagne était à peu près satisfaite : restait bien encore à régler le compte des injures faites à sa personne et à ses gens ; mais, poussé à bout par la force, contraint par la nécessité, Gilles aurait consenti à tout : un peu d’or, beaucoup d’or même, s’il avait fallu en donner beaucoup, aurait couvert ses fautes ; et la paix aurait suivi, sans profit pour le peuple, sans mesure contre l’oppression qui pesait sur lui, sans consolation pour sa douleur. Heureusement, comme nous l’avons dit, l’attentat de Saint-Étienne-de-Mer-Morte était double : en attaquant l’État, Gilles avait offensé l’Église ; ce fut ce qui le perdit. Tant bien que mal, le duc avait vengé ses injures en revendiquant ses droits ; l’évêque de Nantes allait venger celles du peuple en 228revendiquant les siens : derrière l’injure apparente, faite à l’Église catholique par la violation de deux de ses immunités, allaient tout à coup apparaître les crimes cachés, qui avaient été, pendant de si longues années, une injure permanente à la vertu, à la faiblesse, à l’innocence et à l’humanité.

On est étonné d’abord que les crimes de Gilles de Rais aient pu durer si longtemps sans éveiller plus tôt l’attention de la justice, soit ecclésiastique, soit civile ; sans qu’il s’élevât, des quatre coins du pays, un cri de réprobation ; sans qu’il parût enfin un juge pour venger les faibles. Mais, quand on réfléchit au mystère dont Gilles de Rais enveloppa sa vie secrète, ne laissant paraître au grand jour que les dehors brillants qui flattent les yeux ; à l’effroi des populations, décimées par un ennemi présent sur tous les points du pays à la fois et cependant invisible à tous les yeux ; à la crainte qu’inspiraient le nom et la puissance du seigneur de Rais, aux protections influentes, qui semblaient mettre sa tête à couvert des foudres de la justice et qui donnaient raison aux craintes des petits et des faibles, on est moins surpris que Gilles ait pu continuer, impunément, pendant plus de huit années, la longue série de ses crimes.

À cela le conviait l’assurance de sa grandeur pour impunité, dit d’Argentré, s’étant laissé gouverner par gens de même esprit387.

L’initiative des poursuites contre un si grand personnage ne pouvait venir que de ses égaux, qui étaient fort peu nombreux, ou de plus puissants que lui, plus rares encore ; et il ne pouvait tomber dans l’esprit du menu peuple d’espérer lutter avec avantage contre un homme tellement placé, dans l’imagination de la foule non moins que dans la sienne, au-dessus des lois et de la justice. Enfin, le duc de Bretagne montrait trop de passion à soutenir le maréchal interdit contre sa famille et le roi de France, Charles VII, pour qu’on s’imaginât qu’il mettrait moins d’ardeur à le défendre contre le pauvre peuple. Aussi, ce n’est point vers lui que montèrent les plaintes et les gémissements des malheureux.

229Michelet a dit de Gilles de Rais :

Il n’eut jamais été accusé ni jugé, sans cette circonstance singulière que trois puissances, ordinairement opposées, semblent s’être accordées pour sa mort : le duc, l’évêque et le roi388 ;

et sur ce thème, le brillant historien a écrit une page que chacun sait. Or, le duc ne prit point l’initiative des poursuites, et le roi, même de loin, n’eut point de part au procès. Nous prouverons bientôt, documents originaux à la main, ce que nous affirmons de Jean V ; quant à Charles VII, il suffit de remarquer que, deux années plus tard, il ordonna de travailler à un procès de réhabilitation de la mémoire de Gilles de Rais : or, l’on ne saurait admettre, qu’à deux ans de distance, le même roi de France eût ordonné et de condamner un homme à mort et de venger sa mémoire. Les termes de l’acte royal, que nous publierons plus tard, sont plus qu’injurieux pour le duc de Bretagne et les juges de la cour séculière de Nantes. On peut donc conclure, en corrigeant le mot de Michelet, et dire que le roi de France ne fut pour rien dans le procès, que le duc de Bretagne n’en eut pas l’initiative, et que l’honneur principal, pour ne pas dire tout entier, en revient à l’évêque de Nantes.

En parcourant les antiques chroniques de la Bretagne et les quelques biographies qui ont parlé de Gilles de Rais, il nous était arrivé plusieurs fois de rencontrer la trace d’un fait si honorable pour l’évêque de Nantes.

Son procès, disait d’Argentré, fut fait par le juge de l’Église, sur un diffame public et scandale, dont il fut chargé parmi le peuple ; assistant le juge séculier, comme étant plusieurs desdits crimes de la connaissance de l’un et de l’autre389.

Mais, encore éloignés des documents originaux que nous avons aujourd’hui sous les yeux, nous mettions sur ces paroles ce signe de doute qui enveloppe toujours un document de seconde-main. Aujourd’hui, autour de ce point si intéressant 230de l’histoire du XVe siècle, la lumière a chassé toutes les ombres : il est certain que le premier auteur, qui avait signalé la part prépondérante de l’évêque de Nantes dans ce procès mémorable, l’avait fait à la clarté de pièces originales, authentiques390. Michelet lui-même l’avait répété sur la foi de ses devanciers :

Le duc de Bretagne se trouvait à Nantes ; l’évêque, qui était son cousin et son chancelier, s’enhardit par sa présence à procéder contre un grand seigneur du voisinage, singulièrement redouté, un Rais de la maison des Laval, qui étaient eux-mêmes des Montforts, de la lignée des ducs de Bretagne. Telle était la terreur qu’inspirait ce nom, que, depuis quatorze ans, personne n’avait osé parler391.

Nous verrons plus tard qu’il y a quelques restrictions à faire sur cet encouragement, que la présence de Jean V, à Nantes, apporta à l’évêque : il nous suffit de remarquer ici que les preuves de l’intervention et de l’initiative de Jean de Malestroit, évêque de Nantes, se trouvent aux premières pages de la Procédure ecclésiastique contre Gilles de Rais.

On sait combien l’Église catholique a été, en tout temps, gardienne jalouse de ses privilèges : c’est son droit, comme c’est le droit de toute société de se faire respecter ; nul ne saurait lui en faire un crime. Au moyen âge surtout, où elle était l’autorité la plus haute et où elle exerçait sur les individus et sur les peuples un pouvoir incontesté et presque souverain392, elle s’était entourée de foudres et de menaces ; nul ne pouvait porter impunément la main sur elle, non plus qu’autrefois les Juifs d’une autre tribu que de celle de Lévi sur l’arche sainte. L’arche nouvelle, en effet, portait dans ses flancs, vers l’avenir, la civilisation et le progrès ; étendre sur elle une main coupable, c’était mettre du même coup le progrès et la civilisation du monde en danger ; et parce qu’il s’est rencontré, dans la suite, des hommes assez audacieux 231pour mépriser sa défense et rendre ses menaces vaines par leur révolte, le monde catholique, de temps en temps, a paru osciller sur ses bases, et la civilisation et le progrès chrétiens, les seuls qui soient féconds pour le bonheur réel de l’humanité, ont éprouvé dans leur marche un mouvement d’arrêt ou de recul. Parmi les plus chers d’entre ces privilèges, l’Église a toujours compté l’inviolabilité de ses clercs et l’inviolabilité de ses temples. Quiconque faisait violence à un clerc, ou, les armes à la main, profanait une église, en ces temps comme de nos jours, était frappé d’excommunication, c’est-à-dire de mort morale, et la sentence s’exécutait alors avec une sévérité inflexible jusque dans ses effets civils. Ce sont là des conditions de police nécessaires au maintien de l’ordre dans la république chrétienne ; non plus condamnables que les lois militaires, qui frappent, non d’excommunication, mais de mort réelle, le soldat assez oublieux de ses devoirs pour lever la main sur l’un de ses chefs. En menaçant de mort et en jetant dans les fers Jean Le Ferron, clerc du diocèse de Nantes ; en profanant l’église de Saint-Étienne-de-Mer-Morte, située dans les limites de ce même diocèse, Gilles devenait justiciable de ces deux actes devant la justice de l’Église et devait en répondre à la barre de l’évêque de Nantes.

La nouvelle des sacrilèges de Saint-Étienne-de-Mer-Morte ne laissa donc pas l’évêque plus indifférent que la révolte de Gilles le duc de Bretagne. Depuis longtemps d’ailleurs, de toutes les parties de la ville de Nantes et des points les plus éloignés de son diocèse, du pays de Rais et de Clisson en particulier, des rumeurs étranges étaient montées jusqu’à lui : C’était, dit d’Argentré, une diffame public et scandale dont Gilles fut chargé par le peuple. Ces bruits venaient des petits et des grands ; les rapports des curés, des chapelains, des témoins synodaux, qui formaient dans les diocèses comme une police secrète pour le maintien des bonnes mœurs et de la foi, arrivaient à lui comme les échos de la grande voix populaire, sourde encore, mais inquiétante, semblable 232au bruit lointain de la mer qui monte : or, toutes ces rumeurs disaient que Gilles de Rais, le seigneur puissant, le célèbre maréchal, était l’homme, qui, depuis huit ans, enlevait des enfants dans tout le pays d’alentour ; qu’il se passait, entre ses familiers et lui, au fond de ses châteaux et jusque dans son hôtel de la Suze, à quelques pas seulement de la demeure de l’évêque et du palais ducal, des scènes monstrueuses, des crimes inouïs. Chaque jour le bruit de ces voix accusatrices, qui s’élevaient de la foule, devenait plus fort, plus lamentable ; on ne pouvait plus douter, que, sous la rumeur populaire, il n’y eût quelque drame caché, horrible, s’il fallait s’en rapporter aux récits qui circulaient secrètement dans la ville et les environs de Nantes393. L’évêque, Jean de Malestroit, se trouvait en tournées pastorales, écoutant avec attention, mais avec prudence, des bruits aussi graves, qui constituaient clairement ce que le droit ecclésiastique de cette époque appelle la clamosa insinuatio, qui devait précéder l’enquête secrète, inquisitio famæ394. Leur gravité, qui ne lui permettait pas de les rejeter, lui défendait également de les accueillir à la légère. Si ce n’est durant une visite pastorale, que lui parvint la nouvelle de ce qui s’était passé à Saint-Étienne-de-Mer-Morte, du moins la visite de l’évêque la suivit de fort près, si même elle ne fut pas déterminée par cet incident aussi grave qu’imprévu. Dès cet instant, l’évêque de Nantes devenait plus libre à l’égard du baron de Rais. Ainsi, en même temps que le duc poursuivait, pour son propre compte, le grand seigneur révolté, l’évêque de Nantes, pour le compte de l’Église et du pauvre peuple, se préoccupa de faire la lumière sur la vie cachée du meurtrier. L’enquête secrète fut décidée dans la ville et le diocèse de Nantes.

Elle eut lieu au cours d’une de ces visites pastorales, que les évêques devaient accomplir, conformément aux capitulaires 233de Charlemagne et de Carloman. Jean de Malestroit lui-même, en personne, entendit un grand nombre de témoins, et put se convaincre, par leurs dépositions et leurs larmes, que ce diffame public, qui était monté jusqu’à lui, et qui, tout en piquant sa curiosité, avait sans doute excité sa surprise, était plus grave encore qu’il ne l’avait pensé aux premiers moments. Bien loin de tomber, en effet, la clameur lamenteuse du peuple augmentait de force à mesure que les évènements se précipitaient ; les récits, répandus dans la foule, colportés à travers le pays qu’il visitait, recueillis par les prêtres des diverses paroisses du diocèse et par les laïques les plus graves, au lieu de s’évanouir, ainsi qu’il arrive d’ordinaire des rumeurs vagues et sans fondements, ne faisaient que croître tous les jours et devenir plus précis, plus circonstanciés, plus nets. Enfin, des témoins dignes de foi, bien connus de tous par l’honnêteté de leur vie et l’intégrité de leurs mœurs, estimés pour leur discrétion et leur jugement, s’enhardirent jusqu’à venir eux-mêmes trouver l’évêque. De la paroisse de Sainte-Marie de Nantes, sur laquelle était bâti l’hôtel de la Suze, où habitait souvent Gilles de Rais ; de Saint-Denis, de Saint-Vincent, de Sainte-Croix, de Saint-Similien près de Nantes, de Saint-Clément-hors-les-murs395, les témoins affluent et les accusations se multiplient. C’est Agathe, femme de Denis de Le Mignon ; c’est la veuve Régnaud Donete, qui viennent se jeter aux pieds de l’évêque et lui redire leurs malheurs avec des torrents de larmes. Voici à leur suite Jean Delit, Jean Guibert et sa femme, la veuve d’Éonnet Kerguen, Jeanne Darel, et Théoffanie Éonnet Le Charpentier, et Étiennette Éonnet Le Charpentier, tous de Nantes, pleurant des mêmes douleurs, accusant le même coupable ; puis, après ces premiers témoins, voici les témoins synodaux des églises paroissiales elles-mêmes396, voici enfin une foule de personnes, aussi discrètes 234qu’honorables, placées à l’abri de tout soupçon par la dignité de leur vie et l’honneur de leur réputation ; elles se pressent sous les pas de l’évêque ; en quelque lieu qu’il arrive, à Nantes, à Machecoul, à Saint-Cyr-en-Rais, dans tout le pays en un mot ; il les rencontre partout, unanimes dans leurs récits, dans leurs accusations et dans leurs plaintes. Le cœur du père pouvait-il ne pas être touché ? La complainte des jeunes filles de Pléeur, que nous citerons plus tard, paraît avoir gardé le souvenir de ce qui se passa entre le pasteur et son troupeau : Je vous vengerai, moi, Jean de Malestroit, je vous vengerai, de par le ciel, et Gilles de Rais périra de male mort ! Par compassion pour une si grande douleur, moins encore que par devoir de sa charge et par amour de la justice, l’évêque promet à ces malheureux aide et protection ; non content de les faire interroger par d’autres avec le plus grand soin (examinari fecimus diligenter), il les interroge souvent lui-même. En même temps, il délègue des commissaires et des procureurs pour aller recueillir les plaintes et les dépositions là où il ne peut se transporter en personne ; il montre enfin une ardeur infatigable à hâter le soulagement du pauvre peuple, ployant sous le fardeau qu’il porte. Partout où pénètrent ses délégués, les accusations sont les mêmes ; identiques sont les bruits qui circulent dans les villes, les villages et les hameaux ; le doute n’est donc plus possible ; l’évêque a pris connaissance de tous les faits ; car, selon l’usage et d’après son ordre, toutes ces dépositions ont été consignées en latin sur les registres des visites épiscopales397. Aussi, l’avant-dernier jour de juillet, peu de temps après le commencement de l’enquête secrète, à peu près un mois après l’attentat de Saint-Étienne-de-Mer-Morte, Jean de Malestroit, par lettres patentes du 30 juillet 1440, signalait authentiquement les crimes imputés 235à Gilles de Rais, et ajoutait, par une déclaration solennelle, sa haute autorité aux récits populaires, dont quelques-uns pouvaient encore douter. C’était établir authentiquement l’infamie, infamatio, de Gilles de Rais.

À tous ceux qui les présentes lettres verront, Jean, par la permission de Dieu et la grâce du Saint-Siège apostolique, évêque de Nantes, salut en Notre-Seigneur et pleine assurance en ces présentes.

Nous portons à votre connaissance, par ces lettres, que, visitant en personne la paroisse de la Bienheureuse Marie, de Nantes, sur laquelle est bâtie la maison vulgairement appelée la Suze, demeure fréquente de Gilles de Rais, ci-dessous nommé et paroissien de cette même église, et d’autres églises paroissiales plus bas désignées ; sur le bruit public, sur les nombreux rapports venus jusqu’à nous, et sur la clameur dénonciatrice d’Agathe, femme de Denis de Le Mignon ; de la veuve Donete, femme de défunt Régnaud Donete, de Sainte-Marie ; de Jeanne, femme de Guibelet Delit, de Saint-Denis ; de Jean Guibert et de son épouse, de Saint-Vincent ; de la veuve Éonnet Kerguen, de Sainte-Croix, de Nantes ; de Jeanne, femme de Jean Darel, de Saint-Similien, près de Nantes ; de Théoffanie, femme d’Éonnet le Charpentier, de Saint-Clément-hors-les-murs ; fortifié encore par les dépositions des témoins synodaux de ces églises, et par celles d’hommes à l’abri du soupçon, grâce à leur probité et à leur prudence bien connues, et que, au cours de nos visites pastorales dans ces mêmes églises, nous avons fait interroger ou que nous avons interrogés nous-mêmes avec le plus grand soin sur les faits ci-dessous indiqués ou autres encore, qui touchent aux devoirs de l’évêque en tournée pastorale, nous avons découvert et les dépositions des témoins nous ont prouvé, entre autres choses, que Gilles de Rais, notre sujet et notre justiciable, par lui-même ou par certains hommes, ses complices, a étranglé, tué et inhumainement massacré un très grand nombre d’enfants ; qu’il a commis sur eux des crimes contre nature, qu’il a fait 236ou fait faire souvent nombre d’horribles évocations des démons, qu’il leur a fait des sacrifices et des offrandes, qu’il a passé un pacte avec eux, sans compter d’autres crimes énormes et nombreux qui relèvent de notre juridiction ; enfin par plusieurs autres visites faites par nous ou par des commissaires et des procureurs agissant en notre nom, nous savons que Gilles a perpétré et commis ces crimes et d’autres encore dans les limites de notre diocèse.

De quoi il était et il est encore publiquement, au su de tous, diffamé auprès des gens honnêtes et graves. Et, pour que personne n’ait de doute sur ce point, nous avons ordonné d’apposer et fait apposer notre sceau à ces présentes lettres.

Donné à Nantes, l’avant-dernier jour de juillet, l’an du Seigneur 1440.

Par mandement de Monseigneur l’évêque de Nantes,

J. Petit398.

À cette époque donc, la visite de l’évêque était achevée et Jean de Malestroit était de retour dans sa ville épiscopale. Cette date fixe la fin des tournées pastorales, mais non pas le terme des poursuites contre Gilles de Rais. L’enquête secrète, inquisitio famæ, qui a conduit à la déclaration d’infamie, va se continuer encore. Que ces visites de l’évêque dans la ville de Nantes, dans diverses parties du diocèse et surtout dans le pays de Rais, aient été déterminées ou non par les rapports qui lui avaient été faits, il est certain du moins que l’enquête se poursuivit jusque dans les premiers jours de septembre.

À qui les lettres précédentes étaient-elles adressées ? On ne saurait le dire au juste. Mais la nature même de l’enquête sur les mœurs et la vie de Gilles, ne permettait peut-être pas de donner à cette inquisition une publicité trop étendue ou trop bruyante. Parmi les gens qui n’ignoraient pas tout dans une matière si grave, il y en avait sans doute qui hésitaient 237encore à parler : un document de cette importance, émanant de la puissance épiscopale, était de nature il dissiper leurs craintes et à faire cesser leurs incertitudes. Tout au moins, à défaut de ces timides, il y avait le duc, dont la cupidité et l’intérêt, dans les dernières années, avaient si étroitement uni la fortune à celle de Gilles de Rais : une autorité aussi haute que celle de l’évêque de Nantes, son parent, son chancelier et presque son égal en puissance, devait inévitablement faire impression sur l’esprit de Jean V, au moment surtout où celui-ci avait tant à se plaindre d’un vassal révolté. Les lettres épiscopales, en lui dévoilant tout ensemble et la grandeur du mal et les progrès déjà faits par l’enquête, lui donnaient à comprendre qu’il n’était que temps d’étouffer la voix de l’amitié et plus encore celle de l’avarice, pour écouter les justes réclamations des malheureux. Elles soutenaient, d’ailleurs, les commissaires de l’évêque dans leur tâche pénible et quelquefois dangereuse, et encourageaient les témoins à redoubler de zèle.

Si on les examine attentivement, en effet, ces lettres, qui établissent une si grave présomption contre le coupable, ne préjugent en rien la question par une affirmation péremptoire des crimes dénoncés. En signalant le mal, l’évêque n’en affirme pas la certitude ; il rapporte seulement les dépositions des témoins entendus, la nature des crimes signalés, le bruit public, la croyance d’hommes sages et honorables. On dirait un éveil jeté dans le pays, comme un cri d’alarme, qui démasque un ennemi caché. Jusque dans les craintes de Gilles de Rais enfin, on sent le secret dont l’évêque enveloppait ses allées et ses venues399. Il paraît avoir le pressentiment de l’orage qui s’amoncelle sur sa tête ; il est inquiet ; il demande à Prélati de s’enquérir auprès du démon s’il n’a rien à craindre des sourds grondements de la foudre dans le lointain400 ; s’il n’y a point de danger pour lui à rejoindre le 238duc à Vannes et à Josselin ; et, quand il est revenu de ce voyage, heureux d’avoir échappé à tout péril, rien ne trouble plus sa sécurité ; les menaces de l’orage lui semblent vaines ; il va et vient de tous côtés, sans préoccupation, puisqu’il multiplie ses crimes ; sans crainte, puisqu’il étale partout sa puissance : à Vannes, à Bourgneuf, à Machecoul, à l’île de Bouin, à Palluau, partout où il porte ses pas, il semble défier le ciel et se moquer du nuage prêt à crever sur sa tête401 : au milieu de ce calme apparent, tout à coup un éclair brilla, et le tonnerre tomba à ses pieds. Le 13 septembre, une accusation solennelle, foudroyante, l’atteignit à Machecoul.

Les premières lettres de l’évêque de Nantes sont du 30 juillet ; les secondes sont du 13 septembre. À peine un mois et demi s’est écoulé : mais quel chemin parcouru par la justice ! La forme et le ton ont complètement changé. Aux soupçons graves, mais peut-être sans fondement solide, des premières lettres, ont succédé les affirmations les plus accablantes ; au cri d’alarme, un cri de guerre : c’est une citation d’office à l’accusé de paraître au tribunal de l’évêque ; c’est un mandat d’amener pressant, inévitable, commis à la force publique, quelle qu’elle soit. L’évêque s’adresse, non plus en général, à tous ceux qui liront ses lettres, mais à des personnes spécialement nommées : aux recteurs des églises du diocèse de Nantes et à leurs vicaires, aux chapelains, qui ont ou qui n’ont pas charge d’âmes, aux notaires et aux huissiers publics du diocèse et de la ville. Il leur enjoint enfin de se conformer sévèrement aux ordres qu’elles contiennent. On sait toutefois que toutes ces précautions, en ces temps comme aujourd’hui, n’étaient qu’une formule générale, et que, tout en étant confiée à tous sans distinction, l’exécution d’un arrêté était spécialement commise à quelque particulier. En quelques lignes rapides, l’évêque rappelle de nouveau les bruits publics, l’enquête qu’il a faite en personne ou par ses commissaires en diverses paroisses de son diocèse, les noms des témoins, les dépositions graves 239d’hommes respectables à tous égards, et les rapports des notaires assermentés, consignés sur les registres des visites épiscopales. L’enquête, signalée le 30 juillet précédent, s’est continuée sans relâche ; l’accusation s’est développée et étendue ; partout elle a été la même ; partout les mêmes crimes dénoncés, partout avec des larmes, au milieu d’une immense douleur. Le procès va plus loin, et pour peindre par un mot énergique l’étendue et la violence des cris du peuple, il dit que les populations faisaient entendre des hurlements, ululantium402 ! Le moment est venu d’exaucer ces cris suppliants et d’agir contre le coupable :

Voilà pourquoi, dit Jean de Malestroit, voilà pourquoi nous ne voulons pas cacher plus longtemps des choses aussi monstrueuses (ce qui prouve que les lettres du 30 juillet n’avaient pas été publiques), ni laisser se développer l’hérésie, qui, semblable à un cancer, dévore tout, s’il n’est promptement arraché jusque dans ses racines ; bien loin de là, nous voulons y apporter un remède aussi prompt qu’efficace. Aussi nous vous enjoignons, à tous et à chacun de vous en particulier, par ces présentes lettres, de citer immédiatement et d’une manière définitive, sans compter l’un sur l’autre, sans vous reposer de ce soin sur autrui, de citer devant nous ou devant l’official de notre église cathédrale, pour le lundi de la fête de l’Exaltation de la Vraie-Croix, 19 septembre, Gilles, plus haut désigné, noble baron de Rais, soumis à notre puissance et relevant de notre juridiction, et nous le citons nous-même par ces lettres à comparaître à notre barre pour avoir à répondre des crimes qui pèsent sur lui. Exécutez donc ces ordres, et que chacun de vous les fasse exécuter.

Donné à Nantes, le mardi 13 septembre, l’an du Seigneur 1440.

Par mandement de l’évêque de Nantes,

Jean Guiole.

240Tel fut le mandat d’arrêt lancé contre Gilles. On remarquera que, parmi les griefs énoncés contre lui, il n’est jamais question de la violation des immunités ecclésiastiques, et que, dans une cause de foi, se trouvent en première ligne des crimes de droit commun, dont la juridiction ducale aurait du se saisir, aussi bien ou mieux que la justice ecclésiastique ; preuve évidente, — s’il faut en croire du moins les deux seuls documents qui nous restent de l’enquête secrète et qui la résument, — preuve évidente que l’attentat de Saint-Étienne-de-Mer-Morte fut l’occasion d’informer contre le maréchal de Rais, mais n’entra pour rien, ou pour peu de chose, soit dans les premières dépositions des témoins, soit dans les plaintes du peuple. Parmi les motifs qui amenèrent, en effet, l’arrestation du maréchal, le sacrilège de Saint-Étienne-de-Mer-Morte n’apparaît jamais ; et, quand il fut jugé, ce motif fut regardé comme secondaire et placé, comme à l’arrière-plan des motifs invoqués, dans l’acte d’accusation et dans le jugement définitif prononcé contre les coupables.

Ainsi, du 30 juillet au 13 septembre, Jean de Malestroit n’avait pas ralenti ses poursuites. Convaincu, par l’abondance et l’évidence des preuves, que Gilles était vraiment coupable, il avait en même temps usé de tout son pouvoir auprès du duc de Bretagne pour l’amener à procéder contre le baron, son vassal, qu’on regardait encore comme le lieutenant général de son duché, et, malgré les derniers outrages, comme son ami ; il avait porté jusqu’aux oreilles du prince le cri des peuples ; lui-même avait parlé hautement au nom de la justice et de la faiblesse outragées ; autant par impossibilité de faire la sourde oreille aux lamentations de ses sujets, que par un secret espoir de garder définitivement dans ses mains tant de riches débris de la fortune de Gilles de Rais, dont il avait été le principal acquéreur, mais que celui-ci pouvait encore racheter, Jean V se rendit aux prières de l’évêque. Il marchait à sa suite, alors qu’il devait, ce semble, le précéder ; peut-être n’était-il pas fâché, en agissant 241contre un grand de Bretagne, de se mettre à l’abri sous le manteau de l’Église. Faut-il admettre, avec plusieurs historiens, qu’à son cœur la crainte et l’avarice aient parlé plus haut que l’évêque, le peuple et la justice ? Michelet a dit :

Le duc de Bretagne accueillit l’accusation ; il fut ravi de frapper sur un Laval ;

et, en note, l’historien ajoute :

d’autant plus, sans doute, que le roi venait d’ériger la baronnie de Laval en comté (1431). Ces Laval, issus des Montforts, formèrent contre eux une opposition toute française et finirent par livrer la Bretagne au roi en 1488403.

Il est certain, du moins, que l’évêque, assuré enfin que le pouvoir civil lui prêterait son concours et n’ayant plus à craindre d’entraves de la part d’une puissance, qui en avait mis jusque-là aux décrets du roi de France lui-même, se décida, tout étant préparé pour l’arrestation de Gilles et l’examen de la cause, à lancer contre le redoutable maréchal ce mandat d’amener, dont il vient d’être question.

Cet acte d’autorité souveraine est daté du mardi, 13 septembre : Gilles de Rais était alors dans son château de Machecoul. Dès le soir du même jour ou le lendemain, un capitaine d’armes breton, Jean Labbé, agissant au nom de Jean V, et ayant avec lui Robin Guillaumet, notaire faisant office d’huissier et agissant au nom de Jean de Malestroit, se présenta aux portes de Machecoul, à la tête d’une troupe armée404. D’abord surpris de cette menace, Gilles paraît hésiter ; quelques familiers lui conseillent la résistance. Mais l’esprit du maréchal est irrésolu : quelques jours avant, Roger de Bricqueville et Gilles de Sillé, deux de ses complices, qui prenaient depuis longtemps des décisions pour lui, pressentant bien que le tonnerre allait tomber sur cette demeure, s’étaient prudemment mis à l’abri de la foudre par une fuite précipitée. Le maréchal, privé de ceux qui le dirigeaient d’ordinaire dans tous les dangers, ressemblait, par ses irrésolutions et son peu d’énergie, à un navire désemparé. 242Résister pendant quelque temps, n’était pas impossible, assez longtemps du moins pour favoriser sa fuite ; mais fuir, c’était se reconnaître coupable ; et, d’ailleurs, l’éclat de son nom et de sa fortune ne lui permettrait pas de se cacher longtemps aux regards des hommes. Toutefois, une résistance à main armée ne ferait qu’accroître la révolte ; et il se flattait d’échapper au châtiment par une soumission facile et une amende pécuniaire. Qu’avait-il à craindre de la justice, dont s’épouvante le commun des criminels ? Il était haut justicier dans ses domaines, et, dans sa pensée, il ne relevait que de lui-même ; il était suffisamment protégé d’ailleurs par de puissantes amitiés, par un nom et un passé glorieux ; nul n’oserait l’attaquer ni dévoiler ses crimes ; et ces crimes mêmes, qui les connaissait ? La nuit et le silence ne parlent pas, non plus que la flamme éteinte, non plus que les vents et les flots assoupis, non plus que les lèvres fermées par les plus terribles serments. Bien loin de redouter donc la publicité des débats judiciaires, il avait lieu d’espérer qu’ils feraient évanouir tous les soupçons, en faisant éclater son innocence : cette innocence enfin, malgré sa ruine, il avait assez d’argent pour la payer :

Rais, dit Michelet, qui sans doute eût pu fuir, se crut trop fort pour rien craindre et se laissa prendre.

Cela ressort clairement des premiers débats du procès ecclésiastique, de l’attitude du maréchal devant les juges durant les premiers jours, et des défis jetés à la vérité de paraître à la lumière. Par orgueil donc, par politique, par bravade, il crut qu’il valait mieux se livrer aux mains des archers et il se rendit sans coup férir.

Il fait abaisser le pont-levis et ouvrir les portes du château, et il s’avance lui-même au-devant du capitaine, qu’il reconnaît :

— J’avais toujours eu le dessein, dit-il en se tournant vers ses gens inquiets, comme pour les rassurer par la tranquillité apparente de son âme, j’avais toujours eu le dessein de me faire moine : or, voici venir l’abbé, sous lequel je dois m’engager405 ; et, satisfait de l’esprit dont il venait de faire 243preuve, il se remit aux mains des soldats.

Mais cette confiance affectée fut sans doute d’assez courte durée. À peine entrée dans le château, en effet, la troupe se livre à une perquisition minutieuse de tous les lieux ; les mots de crimes, de meurtres, d’enfants massacrés, d’abominations de toutes sortes, arrivent jusqu’à Gilles, avec des détails si précis qu’il en est secrètement épouvanté ; ses amis, ses serviteurs, ses courtisans de la veille l’abandonnent et s’échappent de toutes parts avec précipitation ; quelques-uns cependant sont arrêtés avec lui : Blanchet, qu’on a pris dans la ville, Prélati, Poitou, Henriet, qui, dans leur âme, s’inquiètent grandement de l’avenir : Henriet même (il l’avoua plus tard), entrevoyant déjà la mort et le bûcher, pour n’avoir pas à révéler les terribles choses qu’il connaît, roule dans sa pensée le dessein de se couper la gorge avec un poignard. Cependant on apporte une poussière, fine comme la cendre, qu’on dit être les restes d’un enfant brûlé de la veille peut-être, et qu’on a sans doute oublié de jeter au vent ou dans l’eau des douves ; puis, une petite chemise d’enfant, toute ensanglantée, qui répand une odeur nauséabonde et qu’on a trouvée à quelque distance du château, dans une petite maison retirée de Machecoul, qui appartenait à un homme nommé Cahu et où couchaient ordinairement Eustache Blanchet et Prélati406 : les serviteurs imprudents n’ont pas pris, durant la nuit, le soin de la faire disparaître.

Enfin, Robin Guillaumet, huissier de l’évêque de Nantes, vient lire à Gilles de Rais le mandat d’arrêt dont il est porteur et le citer au tribunal de l’Église407. L’horreur est 244peint sur tous les visages ; les malédictions s’échappent de toutes les lèvres ; à la bonne nouvelle de cette arrestation, la foule est accourue de Machecoul et des environs ; l’espérance fait battre tous les cœurs, et la justice, si impatiemment attendue, paraissant enfin, implacable et vengeresse, mêle les bénédictions aux larmes.

C’est au milieu des agitations et des commentaires de la foule curieuse, que la petite troupe de Jean Labbé s’éloigna de Machecoul avec ses prisonniers. Partout, sur son passage, à la nouvelle que cette troupe, qui allait vers Nantes, conduisait le seigneur de Rais pour y être jugé et puni de ses crimes ; et dans toute la contrée d’alentour, quand cette nouvelle eut gagné les villes, les bourgs et les hameaux, il y eut un moment de cette stupeur qu’on ressent à la fin de l’orage ; puis, ce fut comme un grand soulagement des poitrines oppressées. Dès le soir même, dans les murs de Nantes, où il avait si souvent étalé son faste royal, entre deux haies de peuple accouru de toutes les parties de la ville, au milieu des sentiments divers de la foule, Gilles, baron de Rais, seigneur de Laval, maréchal de France, lieutenant général des armées de Bretagne ; Gilles, le compagnon de Jeanne d’Arc et du connétable de Richemont, le conseiller et l’ami de Charles VII ; Gilles, le plus cruel et le plus infâme des hommes qui ont paru dans le monde ; Gilles 245marchait, enchaîné comme un malfaiteur, mais le front encore hautain et le regard dédaigneux, en compagnie d’hommes obscurs, coupables comme lui et comme lui enchaînés, vers le château de la Tour-Neuve de Nantes408. En passant sous la porte de la forteresse, peut-être qu’il trembla ; c’est que, s’il eut, à ce moment, le sentiment de ses crimes et de sa situation, il dut comprendre que la patience de Dieu était arrivée à son terme et que l’heure de la justice avait sonné.

Le même jour, ou quelques jours après, plusieurs autres de ses complices, et particulièrement la Meffraye, furent arrêtés et jetés dans les prisons de la cour séculière à Nantes409.

Notes

  1. [160]

    L’objet de l’alchimie, comme personne ne l’ignore, est la transmutation des métaux : faire de l’or ou de l’argent par des moyens artificiels, tel est le but de cette singulière science, qui passionna tout le moyen âge et qui n’est pas complètement éteinte de nos jours. Les alchimistes doivent arriver à leur but par la pierre philosophale dont ils poursuivent la découverte, et qui se trouve nommée dans nos Procès. Qu’était-ce donc que cette chose étrange ? Une substance mystérieuse dans son nom : on l’appelait la pierre, la poudre philosophale, le grand magistère, le grand élixir, la quintessence de teinture. Plus mystérieux encore était son pouvoir magique : elle devait, au gré de l’heureux possesseur, convertir en or ou en argent les plus vils métaux, guérir les maladies et reculer les limites de la vie humaine au delà des bornes posées par la nature ; suivant le cas, c’était donc ou la pierre philosophale ou la panacée universelle. Les auteurs sont aussi loin d’être d’accord sur sa couleur que sur sa nature. L’un dit qu’elle est jaune comme le safran, l’autre rouge comme le pavot ; celui-ci la compare à l’escarboucle, celui-là à la couleur du soufre ; un dernier vient enfin, qui dit : Cette pierre réunit toutes les couleurs : elle est blanche, rouge, jaune, bleu de ciel et verte ; et les voilà tous d’accord.

  2. [161]

    Mémoire des Héritiers. — Lettres patentes de Charles VII.

  3. [162]

    Mémoire des Héritiers, f° 11, v° ; f° 16, v°, — Lettres patentes de Charles VII.

  4. [163]

    Proc. ecclés., Conf, de Gilles, f° 40.

  5. [164]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, fos 100, 101.

  6. [165]

    Mémoire des Héritiers, f° 11 et 16, r° et v°.

  7. [166]

    Les écoles d’Italie étaient déjà des sources fécondes d’instruction, où les lettres et les sciences, sortant de leur longue torpeur, attiraient les esprits curieux de toutes les parties de l’Europe. C’était surtout une belle époque pour les sciences d’observation et en particulier pour les sciences naturelles.

  8. [167]

    Lettres patentes de Charles VII. — Mémoire des Héritiers, f° 11, v°, et f° 16, r° et v°.

  9. [168]

    Ibidem.

  10. [169]

    Proc. ecclés., f° 40. — Le mercure, dont les alchimistes espéraient tirer de l’argent et même de l’or en se solidifiant, ne se congèle qu’à près de 40°.

  11. [170]

    On verra plus tard où s’élevaient ses prétentions folles.

  12. [171]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 40.

  13. [172]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, f° 92.

  14. [173]

    Ibidem.

  15. [174]

    V. Hœfer, Histoire de la Chimie, t. I. p. 223, 242, etc. ; Figuier, L’Alchimie et les Alchimistes. — Albert le Grand, De Alkemiâ, etc. Cette croyance à l’influence des astres est une tradition des Chaldéens. V. Alf. Maury, La Magie et la Sorcellerie, Paris, 1860, p. 47, 48.

  16. [175]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, f° 92.

  17. [176]

    Mémoire des Héritiers, f° 6, v° ; f° 11, r°.

  18. [177]

    Mémoire des Héritiers, f° 11, v°.

  19. [178]

    Ibidem.

  20. [179]

    Proc. ecclés. — Conf. de Blanchet, f° 95.

  21. [180]

    Salluste, Catilina, ch. V.

  22. [181]

    V. Louis Figuier, L’Alchimie et les Alchimistes.

  23. [182]

    Les Procès, les Lettres de Charles VII, le Mémoire des Héritiers, sont d’accord sur ce point.

  24. [183]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, fos 27, 66, 67. — Proc. civ., f° 401, r° et v°, Conf. de Gilles.

  25. [184]

    Proc. civ., fos 404, v° ; 405, r° ; Conf. de Gilles. — Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 69, 70.

  26. [185]

    Proc. civ., f° 405, r°. — Proc. ecclés., Conf, de Gilles, f° 70.

  27. [186]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 70.

  28. [187]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, f° 87.

  29. [188]

    Pouzauges, dit deux fois le Procès ecclésiastique ; Tiffauges, dit une fois le Procès civil. Nous avons pris le nom de Tiffauges sur la foi de Gilles lui-même, d’autant plus qu’il ne résida que très rarement à Pouzauges.

  30. [189]

    De Roujoux, Hist. des rois et des ducs de Bretagne. Paris, 1828-29, 4 vol. in-8°.

  31. [190]

    Proc. ecclés., dépos. de Blanchet, f° 89.

  32. [191]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 68, et surtout Conf. de Blanchet, f° 99. — Proc. civ., fos 402, v°, et 403, r° ; Conf. de Gilles.

  33. [192]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 68 et 69. — Proc. civ. f° 403, r° et v°.

  34. [193]

    Proc. civ., f° 401, v° ; Conf. de Gilles.

  35. [194]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 53 et 54.

  36. [195]

    Proc. civ., fos 389, v°, et 390, r°.

  37. [196]

    Fac-similé tiré d’un document ayant appartenu à M. Benjamin Fillon. Lettre signée, sur vélin, 3 septembre 1438 ; 1 p. in-f° oblong. Précieuse pièce relative à la cession faite par Gilles de la place de Champtocé au duc de Bretagne, moyennant certaines rentes qu’il avait transportées auparavant à Jean de Malestroit, évêque de Nantes, chancelier de Bretagne. [196] Proc. civ., f° 390, v° et r° ; Conf. de Poitou.

  38. [197]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 67. — Proc. civ., fos 401, v°, et 402, r° et v° ; Conf. de Gilles.

  39. [198]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, f° 27 : Conf. de Gilles, f° 62. — Proc. civ., fos 387, r°, et 396, v°.

  40. [199]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 55, 62 et 67, — Proc. civ., fos 396, v°, 401, v°, et 402, r° et v° ; Conf. de Gilles. La crainte d’être emporté par le démon, à laquelle il fait allusion en termes très clairs devant ses juges, s’explique par sa crédulité, entretenue par les récits légendaires dont le moyen âge est plein.

  41. [200]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. XXIV, f° 24. Conf. de Blanchet f° 93.

  42. [201]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 61.

  43. [202]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, f° 79. Conf. de Blanchet, fos 90, 112.

  44. [203]

    Proc. ecclés., Paroles de Blanchet ; Conf. de Poitou, f° 112 et alibi. — Proc. civ., Conf. de Henriet.

  45. [204]

    Ibidem.

  46. [205]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, f° 97.

  47. [206]

    Proc, ecclés., Conf. de Prélati. f° 79. — Monte-Catini di val di Nievole, près de Pistoie, au diocèse de Lucques, en Italie.

  48. [207]

    Proc, ecclés., fos 79 et 80.

  49. [208]

    Proc, ecclés., Conf. de Gilles, f° 65.

  50. [209]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 65.

  51. [210]

    Procès ecclés., Conf. de Prélati, fos 85 et 86.

  52. [211]

    Le diocèse de Mondovi (Montis regalis du Procès), est situé en Piémont.

  53. [212]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, fos 91, 92, 93, etc. ; Conf. de Prélati, fos 81, 82, 83, etc.

  54. [213]

    Proc. civ., Gonf. de Henriet, f° 375, v°.

  55. [214]

    Proc, ecclés., Conf. de Blanchet, f° 92.

  56. [215]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, fos 81 et 82.

  57. [216]

    Proc. ecclés., Conf. de Henriet, fos 127 et 128.

  58. [217]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, f° 100. — Conf. de Prélati, fos 81 et 82. — Poitou dit que ce fut à Machecoul. — Proc. civ., f° 388, v°. Mais il y a faute de copiste, puisque le même Poitou désigne Tiffauges dans la Proc. ecclés., fos 113 et 114.

  59. [218]

    Proc. civ., Conf. de Poitou, f° 388, v°.

  60. [219]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, fos 81 et 82.

  61. [220]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou. f° 113.

  62. [221]

    Proc. ecclés., Conf de Prélati, fos 81 et 82.

  63. [222]

    Proc. civ., f° 397, v° et r° ; 308, r° ; Conf. de Gilles.

  64. [223]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, fos 81 et 82.

  65. [224]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, fos 81 et 82.

  66. [225]

    Proc. ecclés., Conr. de Prélati, fos 81 et 82.

  67. [226]

    Proc. civ., f° 396, r° et v° ; Conf. de, Gilles.

  68. [227]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, fos 81 et 82.

  69. [228]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 61.

  70. [229]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet rapportant les paroles d’Alain de Mazières. — Pour les autres détails : Conf. de Blanchet, fos 91 et 92 ; de Poitou, fos 112, 113, 114 ; de Henriet, fos 127 et 128. — Proc. civ., fos 395, r° et v° ; 396, r° ; 397, r° et v°.

  71. [230]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 54, 55, 62, 63, 64 ; Conf. de Prélati, fos 86 et 87. — Proc. civ., fos 395, v° ; 398, v°, et 399, r°.

  72. [231]

    Proc. civ., f° 396, r° et v°. Conf. de Gilles.

  73. [232]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, fos 83 et 84.

  74. [233]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, fos 83, 84, 85 et 86 ; Conf. de Poitou. fos 113 et 114. — Proc. civ. f° 389, r° ; Conf. de Gilles, fos 397, v°, et 398, r°.

  75. [234]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, fos 81 et 85 ; Conf. de Gilles, f° 65. — Proc. civ., fos 396, r° et v° : 397, r°, et v° ; 399 r°, Conf. de Gilles.

  76. [235]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 63 et 64 ; Conf. de Prélati, f° 88.

  77. [236]

    Proc. ecclés., Prélati désigne Denys Gascard, de Pouzauges, f° 87.

  78. [237]

    Proc. civ., f° 499, v°, Conf. de Gilles.

  79. [238]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 65 ; Conf. de Prélati, f° 87. — Proc. civ., f° 399, r° et v° ; Conf. de Gilles.

  80. [239]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, fos 101 et 102.

  81. [240]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, f° 89. — Proc. civ., fos 406 r°, 400, v° ; Conf. de Gilles.

  82. [241]

    Proc. civ., f° 397, r° ; Conf. de Gilles.

  83. [242]

    Monstrelet, l. c.

  84. [243]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati f° 81 ; Conf. de Poitou, f° 111 ; Conf. d’Henriet, f° 128. — Proc. civ., Conf. de Poitou, f° 388, r°.

  85. [244]

    Proc. civ., f° 288, r°, Conf. de Poitou.

  86. [245]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 61 et 62 ; Interrogatoire simultané de Gilles et de Prélati, f° 57 ; Conf. de Prélati, f° 85 ; Conf. de Poitou, f° 111. — Proc. civ., f° 388, r° ; Conf. de Poitou ; 397, r°. Conf. de Gilles.

  87. [246]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 111.

  88. [247]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, f° 56.

  89. [248]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, f° 96.

  90. [249]

    Proc. civ., f° 382, r° ; Conf. de Henriet.

  91. [250]

    Monstrelet, l. c.

  92. [251]

    Proc. ecclés., Dép. de Blanchet, fos 95 et 96.

  93. [252]

    Alain Bouchard, Grandes Chroniques de Bretagne.

  94. [253]

    Charlemagne édicta les peines les plus sévères contre ceux qui osaient manger de la chair humaine et contre ceux qui se livraient à la magie. Les deux crimes se confondaient sans doute, et l’on prétendait, par d’horribles sacrifices, se rendre propices les esprits infernaux. Revue des Deux-Mondes, 15 novembre 1884, l’Anthropophagie et les sacrifices humains, par M. le marquis de Nadaillac, membre de l’Institut. La seule lecture de cet intéressant travail, auquel on désirerait peut-être une conclusion moins pessimiste, prouve que le culte des démons, plus que toutes les autres causes, a conduit aux sacrifices humains et aux horreurs qui les accompagnent ; et c’est une opinion que M. le marquis de Nadaillac nous a émise de vive voix.

  95. [254]

    Michelet, Hist. de France, t. V, l. c.

  96. [255]

    Proc. civ., fos 343-386, r° et v°.

  97. [256]

    Ibidem.

  98. [257]

    Proc. ecclés.) Conf. de Henri Griart, f° 118.

  99. [258]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou., fos 104 et 105 ; Conf. de Gilles, f° 60. — Proc. civ., fos 373-381.

  100. [259]

    Proc. civ., f° 313.

  101. [260]

    Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 373, r°.

  102. [261]

    On trouva, dans la tour de Chantocé, dit Michelet, une pleine tonne d’ossements calcinés, des os d’enfants en tel nombre, qu’il pouvait y en avoir une quarantaine. (Michelet, t. V, p. 211.) L’historien parle ici des fouilles que, d’après lui, la justice fit exécuter à Champtocé : on voit qu’il a été induit en erreur, ou par une lecture trop rapide du manuscrit, ou, ce qui est plus probable, par le récit d’un historien mal informé.

    On lit, dans un ouvrage qui jouit justement d’une grande valeur scientifique, les lignes suivantes : C’est une pure fantaisie des faiseurs d’historiettes que de placer à Chantocé la scène de ses exploits sinistres. Gilles de Retz, qui n’y fit jamais résidence, avait vendu la terre en 1437 au duc Jean V de Bretagne. — Le conseil du roi interdit en vain le maréchal. Le roi lui-même l’assigna en domaine à sa femme Isabelle (1er nov. 1442). Mais le duc, qui avait pris possession, s’y maintenait contre toute menace des officiers royaux et la garda dans sa maison. (Célestin Port, Dictionnaire de Maine-et-Loire, Angers, 1874. art. Chantocé.)

    On ne saurait faire, j’imagine, aux documents le reproche que M. Célestin Port adresse à la fantaisie des romanciers et aux faiseurs d’historiettes.

  103. [262]

    Proc. ecclés., f° 111, Conf. de Poitou ; Conf. de Henriet, f° 126. — Proc. civ., f° 372, Conf. de Henriet ; Conf. de Poitou, f° 387.

  104. [263]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 112.

  105. [264]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept., f° 325, r° :

    Ung nommé Oran, des parties de Sainct-Mesme, se complaignant piteusement et en plorent, de la perdicion d’un sien enffant.

  106. [265]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, f° 325, v°, et 326, r°.

  107. [266]

    Enq. civ. des 28, 29. 30 sept. 1440, f° 324, r°.

  108. [267]

    Tous ces faits sont tirés des Procès. — Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, fos 320 et suivants.

  109. [268]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1448, f° 321, v°.

  110. [269]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440 : fos 331 et suivants.

  111. [270]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440 ; fos 321 à 327.

  112. [271]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440 ; fos 315 à 319.

  113. [272]

    Enq. civ. du 8 oct. 1440 : f° 343 et suivants.

  114. [273]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 108.

  115. [274]

    Il n’est pas inutile de remarquer qu’au XVe siècle la Bretagne avait déjà de très nombreuses écoles, dans les villes et jusque dans les bourgs de médiocre importance. M. A. Dupuy (les Écoles de Bretagne au XVe siècle, Bulletin de la Société académique de Brest, 2e Série, t. V, 1877-1878) a fait quelques recherches curieuses sur ce sujet. Il a observé que chaque diocèse avait une haute école ecclésiastique, et chaque localité habituellement une école paroissiale.

    Les illettrés sont rares, dit un autre écrivain, dans la noblesse, la bourgeoisie et parmi les paysans qui possèdent quelque aisance. — (M. Léon Maître, Archiv. de la Loire-Inférieure ; L’Université de Nantes, ses origines ; Revue de Bretagne et de Vendée, juin 1876.)

    L’histoire de Gilles de Rais confirme ces observations. Parmi les jeunes enfants enlevés par ses complices, au dire des témoins, il y en avait beaucoup qui allaient à l’école. C’est le fils de Perrine Loessart, de la Roche-Bernard, âgé de dix ans alant à l’escole. À Poitou qui le demande pour en faire un page, la mère répond qu’elle ne peut l’ôter de l’école, où il apprend fort bien, et elle ne permet de l’emmener, que sur la promesse expresse qu’il continuera d’aller à l’école. (Enq. civ. du 18 sept. 1440, fos 309 et suiv.) — C’est le fils de Jeanne Édelin, âgé de huit ans, de Machecoul, allent à l’escolle de cette ville (Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, fos 324 et 325). — C’est encore le jeune Régnaud Donete, âgé de douze ans, de la paroisse de Notre-Dame de Nantes, qui alloit à l’escolle. (Enq. civ., 4 oct. du 1440 ; f° 347, r°.) C’est enfin pour mettre un terme à cette énumération, le jeune Jean Hubert, de la paroisse de Saint-Léonard de Nantes, âgé de quatorze ans, allant à l’escolle. (Enq. civ. f° 347, v°.) En un mot, la plupart de ceux qui ne mendient pas leur pain, suivent l’école. On sait, par ailleurs, que la collégiale fondée par Gilles lui-même à Machecoul, avait un maistre d’escholle, chargé de faire l’instruction des enfants de sa chapelle. Il en était ainsi dans toutes les collégiales et dans la plupart des monastères et des prieurés. Dans les Procédures politiques du règne de Louis XII, publiées en 1884 par M. R. de Maulde, dans la Collection des Documents inédits de l’Histoire de France, je remarque de nouvelles preuves que la Bretagne, au XVe siècle, à l’époque même où nous sommes, était abondamment pourvue d’établissements scolaires, et que l’on y étudiait avec beaucoup d’ardeur. J’en citerai deux exemples. À la page 410 (déposition de François le Saux, conseiller des comptes), il est dit qu’à l’âge de huit ans, à Vannes, il allait à l’école entre les clercs et enfans d’icelle ; et qu’il fut ensuite envoyé aux escolles, à Sainct Pol de Léon (p. 411), puis à l’Université de Paris, d’où il semble que Saint-Pol-de-Léon possédait des établissements qui rappellent nos écoles d’instruction secondaire. Un autre breton, Guillaume de Forest, devenu plus tard secrétaire du roi Louis XII et de la reine Anne, dépose (p. 402) qu’à l’âge de huit ans il allait à l’école. D’après l’âge de ces deux témoins, il faut rapporter ces faits vers l’année 1440. Il ressort même de leurs dépositions, que, pas plus alors qu’aujourd’hui, les enfants ne demeuraient étrangers aux événements politiques et qu’ils se passionnaient pour tout ce qui touchait à la patrie.

  116. [275]

    Enq. civ., du 18 sept. 1440, p. fos 309 et suivants.

  117. [276]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, fos 324 et suivants.

  118. [277]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, fos 321 et suivants.

  119. [278]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, fos 313 et suivants.

  120. [279]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, fos 320 et suivants

  121. [280]

    Enq. civ. du 28 sept. 1440, f° 312, r° et v°.

  122. [281]

    C’est un fait constant.

  123. [282]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, fos 108 et 109 ; Conf. de Henriet, f° 124.

  124. [283]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, fos 115 et 116.

  125. [284]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, fos 322 et suivants.

  126. [285]

    Proc. civ., f° 365.

  127. [286]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 85 ; Conf. de Poitou, f° 106. — Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 374, v°.

  128. [287]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 106 ; Conf. de Henriet, f° 120 ; Conf. de Gilles, f° 85. — Proc. civ., Conf. de Henriet, fos 382, r° ; 387 v° ; Conf. de Gilles, f° 93, v°.

  129. [288]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 106.

    Sibique blandiendo seu blandire fingendo et simulando, asserebat quod nolebat ipsos ledere, seu sibi malum aut lesionem inferre, ymo tantum se spaciare cum ipsis, ac taliter impediebat ne clamarent.

  130. [289]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 85 ; de Poitou, f° 107 ; de Henriet, f° 119. — Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 374, v° ; de Poitou, 384, v° ; de Gilles, 383, v°.

  131. [290]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 85 ; de Poitou, f° 59 ; de Henriet, fos 119 et 124. — Proc. civ., Conf. de Henriet, fos 379, 380, v° et r° ; de Poitou, f° 385 ; de Gilles, f° 393.

  132. [291]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 85 ; de Poitou, fos 93 et 94 ; de Henriet, f° 124. — Proc. civ., Conf. de Gilles, f° 393.

  133. [292]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. XXVII, f° 28.

  134. [293]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 85 ; de Poitou, f° 116 ; de Henriet, f° 124. — Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 381, r° ; de Gilles, f° 393.

  135. [294]

    Proc. civ., Conf. de Henriet. f° 377. r°.

  136. [295]

    Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 377, r°.

  137. [296]

    Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 378, r°.

  138. [297]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 107, etc. — Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 377, r°.

  139. [298]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. XV, f° 23.

  140. [299]

    Proc. civ., Conf. de Poitou, f° 387, r°.

  141. [300]

    Proc., ecclés., Conf. de Gilles, f° 60.

  142. [301]

    Proc. civ., Conf. de Poitou, f° 387, r° ; Conf. de Gilles, fos 393, v° ; 394, r°.

  143. [302]

    Henri Griart, surnommé Henriet, né dans la paroisse de Saint-Jacques de la Boucherie, à Paris, avait environ vingt-six ans ; il fut arrêté avec Gilles de Rais, forma alors le dessein de se trancher la gorge d’un coup de couteau, fut jugé et brûlé vif, à Nantes, le même jour que son maître, avec Poitou, son complice.

    Étienne Corrillaut, surnommé Poitou, né à Pouzauges, au diocèse de Luçon, était âgé de vingt-deux ans environ. Il était entré au service de Gilles de Rais, qui l’eût infailliblement mis à mort à coups de dague, comme les autres, sans Gilles de Sillé. Celui-ci fit remarquer au baron que Corrillaut était un superbe garçon, et qu’il valait bien mieux en faire un écuyer. Gilles se laissa toucher. Ainsi, la beauté, la force et surtout l’âge, ces avantages mortels à la plupart des autres, valurent la vie à Poitou. Mais Gilles exigea du jeune homme le serment de ne jamais révéler, à qui que ce fût, ni ce qui venait de se passer entre eux, ni ce qu’il pourrait apprendre encore, à l’avenir, des secrets de son maître : je n’ai pas besoin de dire que Poitou n’hésita pas. (Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 110. — Proc. civ., f° 385, v°.)

  144. [303]

    Proc. ecclés. et civ., Conf. de Gilles, de Poitou, d’Henriet et de Prélati, passim.

  145. [304]

    Mémoire des Héritiers, f° 11, r° et v°, etc. — Lettres patentes de Charles VII.

  146. [305]

    Mémoire des Héritiers, f° 7, r°., etc. Pièces communiquées pur M. Doinel.

  147. [306]

    Mémoire des Héritiers, f° 16, v°.

  148. [307]

    Proc. ecclés., Conf. de Gillee, f° 65.

  149. [308]

    Proc. ecclés. et civ., Mémoire des Héritiers, etc… passim.

  150. [309]

    Marchegay, Documents relatifs à Prigent de Coëtivy ; Tours, 1876, in-8°. Compte du 6 mars au 12 janvier 1450-1451, p. 34, etc.

  151. [310]

    Mémoire des Héritiers, f° 9, r°, 10, v°. Pièces communiquées par M. Doinel.

  152. [311]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. XXX, f° 30.

  153. [312]

    Mémoire des Héritiers, f° 11, r° et v°.

  154. [313]

    Lettres de grâce accordées par Charles VII à Roger de Bricqueville, le 24 mai 1446. Arch. nat. reg. JJ 177, f° 154, v°, et f° 155.

  155. [314]

    Proc. civ., Conf. de Poitou, f° 385, r°.

  156. [315]

    Proc. ecclés. et civ. ; v. surtout Proc. civ., Conf. de Gilles, f° 393, r° ; Conf. de Poitou, f° 385, r°.

  157. [316]

    Lettres de Rémission ; Proc. ecclés. et civ. passim.

  158. [317]

    Proc. ecclés., Acte d’acc., f° 29, art XXVIII ; dép. de Blanchet, f° 95.

  159. [318]

    Proc. ecclés., f° 29 ; acte d’accus., art. XXVIII.

  160. [319]

    Ibidem.

  161. [320]

    Michelet, Hist. de France, t. V., l. c.

  162. [321]

    Enq. civ., f° 316, r°.

  163. [322]

    Enq. civ. du 18 sept. 1440 ; dép. de Dupouez, fos 313, etc.

  164. [323]

    Enq. civ. du 27 sept. 1440, f° 316, v°.

  165. [324]

    Enq. civ., dépos. de Jeanne De Grepie, femme Regnault Donete, parente de la victime, fos 342, etc.

  166. [325]

    Enq. civ. du 2 oct. 1440, fos 344, etc.

  167. [326]

    Enq. civ., dépos. de Jean Estaisse et de Michelle, sa femme, de Saint-Clément, près de Nantes, fos 357, etc.

  168. [327]

    Proc. ecclés., dépos. de Agathe Le Mignon, f° 6.

  169. [328]

    Enq. civ. du 27 sept. 1440, f 316, r°.

  170. [329]

    Mourain de Sourdeval, Les Seigneurs de Rais, p. 23.

  171. [330]

    Proc. civ. ; Conf. de Gilles, f° 394, r°.

  172. [331]

    Proc. ecclés., Conf. de Henriet, f° 12. — Proc. civ., Conf. de Poitou, f° 385, v° ; Conf. de Henriet, f° 375, v°.

  173. [332]

    Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 383, r°. — Enq. civ. du 27 sept. 1440, f° 315, r°.

  174. [333]

    Enq. civ. des 28, 20, 30 sept. 1440, f° 320, r°.

  175. [334]

    Enq. civ. du 18 sept. 1440, f° 315, r°.

  176. [335]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 1.08. — Proc. civ., Conf. de Henriet, etc., f° 383, r°.

  177. [336]

    Ibidem.

  178. [337]

    Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 383, r°. — Proc. civ., Conf. de Poiton, f° 392, r°.

  179. [338]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 110. — Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 384, r° ; Conf. de Poitou, f° 388, r°,

  180. [339]

    Proc. ecclés., Conf de Henriet, etc., f° 124.

  181. [340]

    Pitre-Chevalier, La Bretagne ancienne, p. 480-481.

  182. [341]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, f° 329, v°.

  183. [342]

    Proc. civ., Conf. de Poitou, f° 392, r°.

  184. [343]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 58, 60.

  185. [344]

    Acte d’accusation, art.XXVII, f° 28. — Proc. civ., f° 367, r°.

  186. [345]

    Loc. citat.Proc. civ., f° 386, r° et v°.

  187. [346]

    Proc. civ., p. 392, etc…

  188. [347]

    Le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle prétend qu’il massacra un nombre illimité de femmes, et que sept d’entre elles furent, dit-on, légitimement épousées par lui : circonstance qui a donné évidemment lieu au conte de Perrault, a fait remarquer le Moniteur du soir du 10 février 1866.

  189. [348]

    Proc. ecclés., f° 124. — Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 383, v°,

  190. [349]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 112. — Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 384, r°.

  191. [350]

    On sait que, dans l’ouest, on appelle encore comme autrefois psallette ce qu’on nomme aujourd’hui communément maîtrise.

  192. [351]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, f° 97.

  193. [352]

    Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 384, r°.

  194. [353]

    Proc. civ., Conf. de Poitou, f° 389, v°.

  195. [354]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 58 et 59.

  196. [355]

    Loc. citat.

  197. [356]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, la 110 ; Conf. de Gilles, f° 59. — Proc. civ., Conf. de Gilles, f° 393 ; Conf. de Henriet, f° 374, v°.

  198. [357]

    Proc. ecclés., Conf. de Henriet, f° 120, etc.

  199. [358]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, fos 58, 59. — Proc. civ., f° 380 r° et v°, etc.

  200. [359]

    Sénéque le tragique, Les Troyennes, v. 756.

  201. [360]

    Proc. ecclés., Conf. de Henriet, 10 124. — Proc. civ., f° 380, v°.

  202. [361]

    Michelet, Histoire de France, l. c.

  203. [362]

    Proc. civ. Conf. de Henriet, f° 374, v°.

  204. [363]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. XXX, f° 30 ; Ibid., Conf. de Gilles, f° 71 ; Mém. des Héritiers, f° 9, v°. Ducange traduit castrimargiam par guise concupiscentia.

  205. [364]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. XXXVIII, fos 33 et 34 ; Proc. ecclés., passim, Conf. de Gilles.

  206. [365]

    Le Mémoire des Héritiers roule tout entier sur cette thèse.

  207. [366]

    Mémoire des Héritiers, f° 12, r°.

  208. [367]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. XXXVIII, fos 33 et 34 ; Conf. de Blanchet, f° 100, etc. Conf. de Gilles, de Prélati, de Poitou, de Henriet.

  209. [368]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. XXXIX, f° 33.

  210. [369]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, f° 92.

  211. [370]

    Proc. ecclés., Conf. de Poitou, f° 111 ; Proc. civ., Conf. de Henriet, f° 380, v°. Henriet affirmait qu’il avait

    ouï dire à maistre Blanchet que celuy sire ne pouvait faire ce qu’il avait entreprins sans donner pied, jambe ou aultre membre desdictz enfants au dyable.

  212. [371]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, f° 92.

  213. [372]

    Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, f° 92.

  214. [373]

    Proc. ecclés., Conf. de Gilles, f° 395, v°. — Proc. ecclés., f° 61.

  215. [374]

    Lenano, marquis de Ceva, qui reparaît ici pour la seconde fois, était d’une grande famille du Piémont, en Italie. Un poète du XVe siècle, Antoine Astezan, secrétaire du duc Charles d’Orléans, dans son poème de Varietate Fortune, composé vers 1447, a chanté cette famille comme une branche des familles de Montferrat et de Saluces, dont elle partagerait les origines héroïques. Le personnage, dont il est ici question, était sans doute un de ces aventuriers italiens dont Gilles aimait à s’entourer. Il occupait probablement une des charges militaires les plus importantes que Gilles avait distribuées autour de lui. Il est constant toutefois, d’après Poitou (Proc. civ., f° 389, v°), qu’il ignora toujours les crimes secrets de Gilles de Rais. Il comparut, dans les Procédures ecclésiastiques, comme témoin du sacrilège commis à Saint-Étienne-de-Mer-Morte.

  216. [375]

    Dans l’ouest de la France, espérer se dit encore pour attendre.

  217. [376]

    On montait à la chambre de Prélati par une échelle.

  218. [377]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, fos 327, v° ; 328, r°.

  219. [378]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, f° 321, v°.

  220. [379]

    Ce chiffre est exagéré.

  221. [380]

    Proc. ecclés., dépos. du marquis Lenano de Ceva, fos 131, 132. — Proc. civ., f° 368. r°.

  222. [381]

    Loc. citat.

  223. [382]

    Proc. civ., f° 368, r°.

  224. [383]

    Proc. ecclés., fos 122 et suiv. — Proc. civ., f° 369, v°.

  225. [384]

    Proc. ecclés., fos 131 et suiv.

  226. [385]

    Proc. civ., f° 369, v° et suivants.

  227. [386]

    Proc. civ., f° 370, v°.

  228. [387]

    D’Argentré, Hist. de Bretagne, p. 796.

  229. [388]

    Michelet, Histoire de France, t. V, l. c.

  230. [389]

    Histoire de Bretagne, p. 795.

  231. [390]

    Proc. civ., fos 1, 2, 3, 4 et 5.

  232. [391]

    Hist. de France, t. V, p. 208.

  233. [392]

    Leroy-Beaulieu, Revue des Deux-Mondes, 15 août 1884, p. 766.

  234. [393]

    On se souvient des bruits que nous avons rappelés plus haut.

  235. [394]

    Selon la règle : Inquisitionem debet clamosa insinuatio prævenire.

  236. [395]

    Ces deux paroisses sont aujourd’hui renfermées dans la ville.

  237. [396]

    Sorte de commissaires de police épiscopale, chargés de veiller, dans un diocèse, à la conservation de la foi et des mœurs. Ils prêtaient serment sur les Évangiles. Ils se rapportent à l’ancien droit ecclésiastique, auquel cette procédure est conforme, au moins dans ses grandes lignes.

  238. [397]

    Proc. ecclés., Acte d’accusation, art. XV, f° 22.

  239. [398]

    Proc. ecclés., fos 1 et 2.

  240. [399]

    Proc. ecclés., Act. d’accus art. XX, f° 26.

  241. [400]

    Proc. ecclés., Conf. de Prélati, f° 88.

  242. [401]

    Proc. ecclés., passim. Conf. de Gilles, de Poitou et de Prélati.

  243. [402]

    Sur les termes qui qualifient la douleur populaire, v. Proc. ecclés., Acte d’accus., art. XV, f° 22.

  244. [403]

    Michelet, Hist. de France, t. V, l. c.

  245. [404]

    Proc. civ., f° 366, r° et v°.

  246. [405]

    Bibl. Jacob, Procès célèbres, Paris, 1808, p. 14.

  247. [406]

    Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, f° 329, v°.

  248. [407]

    À propos des huissiers qui portaient aux accusés ces mandats d’amener, Michelet a fait une méprise, au moins en ce qui concerne l’histoire de Gilles de Rais : Je ne puis m’empêcher d’admirer, dit-il, l’intrépidité de ces hommes, qui se chargeaient de tels messages ; qui, sans armes, en jaquette noire, n’ayant pas, comme le héraut, la protection de la cotte armoriée et au blason de leur maître, s’en allaient remettre au plus fier prince du monde ou au baron le plus féroce, à un Armagnac, à un Rais, dans son funèbre donjon, le tout petit parchemin qui brisait les tours. Remarquez que l’huissier ne réussissait guère à faire un bon ajournement, régulier, légal, en personne, qu’en cachant sa qualité et risquant d’autant plus sa vie. Il fallait qu’il pénétrât comme marchand, comme valet ; il fallait que sa figure ne le fit point deviner ; qu’il eût mine plate et bonasse, dos de fer et cœur de lion. Ces gens-là étaient, je le sais, puissamment encouragés par cette ferme croyance que chaque coup leur reviendrait en argent ; mais cette foi au tarif ne suffit pas pour expliquer, en tant d’occasions, ces dévouements audacieux, cet abandon de leur vie. Il y a là aussi, si je ne me trompe, le fanatisme de la loi. (Hist. de France, L. V, p. 406, 407.)

    Sans vouloir déprécier le courage de maître Robin Guillaumet et des huissiers du XVe siècle, ce n’était pas à propos de l’arrestation de Gilles de Rais qu’il convenait de nous tracer ce portrait de l’homme en jaquette noire, au dos de fer et au cœur de lion, dont le dévouement n’était que le fanatisme de la loi : cet idéal ne trouve point ici sa réalité ; j’ignore même si elle existe nulle part.

  249. [408]

    Proc. civ., f° 366, v°.

  250. [409]

    Proc. ecclés., Dép. de Agathe, femme de Denis de Le Mignon, f° 5.

  1. [a]

    L’évocation ou la lecture diabolique par David Teniers le Jeune (1610-1690) :

    L’évocation ou la lecture diabolique, par David Teniers le Jeune. Musée des Beaux-Arts de Bordeaux
    (Musée des Beaux-Arts de Bordeaux)
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