Préface

1Préface
Au commencement du XVIIe siècle, un érudit magistrat, Charles du Lys, descendant d’un des frères de Jeanne d’Arc, fit paraître un ouvrage sur la famille de l’héroïne. C’était pour la première fois que cette question était traitée. Trois éditions en parurent successivement, à des intervalles inégaux. La première, donnée en 1610, ne méritait guère que d’être appelée une esquisse fort imparfaite du sujet. La seconde, en 1612, était une œuvre déjà plus complète, à laquelle la troisième édition, publiée en 1628, apporta encore des modifications non sans importance1.
2Les divers exemplaires de cet intéressant travail étaient devenus fort rares, lorsque, en 1856, M. Vallet de Viriville, bien connu par ses travaux sur le XVe siècle et sur Jeanne d’Arc en particulier, en comprit la réimpression dans la collection publiée par la librairie Aubry, sous le titre de : Trésor des pièces rares et curieuses.
M. Vallet de Viriville n’a pas manqué de faire ressortir dans son Avertissement la sérieuse valeur du livre de Charles du Lys, mais il eût insisté davantage encore sur le mérite de l’auteur et de l’œuvre, s’il lui eût été donné de pouvoir apprécier le soin extrême et la délicatesse de conscience apportés par le savant magistrat jusque dans les moindres détails de sa composition. Une aimable obligeance nous a permis d’en juger : M. le comte de Maleissye, arrière-petit-fils de Charles du Lys, a hérité de tous les documents recueillis par son aïeul, pour l’éclaircissement d’une question entourée jusqu’alors d’une si 3profonde obscurité. Il a bien voulu nous en laisser prendre connaissance. Dans ses archives, nous avons trouvé, classées dans un ordre parfait et conservées avec un soin religieux, toutes les pièces qui ont servi d’éléments à la rédaction du Traité sommaire. Rien n’égale l’intérêt de ces documents, si ce n’est leur authenticité.
Ce sont bien là ceux auxquels fait allusion Charles du Lys, quand il dit en parlant de lui-même :
entre les mains du quel sont la plus part des patentes, contracts, enquestes, informations et aultres tiltres desquels est extraict le présent discours.
Nous avons donc été mis à même de contrôler l’exactitude des déductions auxquelles il s’est arrêté.
Or, cette vérification faite minutieusement, textes en mains, n’a rien donné qui puisse diminuer la réputation du sagace et consciencieux avocat général. Avec les documents qu’il avait recueillis, il ne pouvait rien faire de mieux que ce qu’il a fait. On peut même dire que malgré les progrès qu’a réalisés la science généalogique depuis le temps où il vivait, son œuvre reste, sur la plupart des points, intacte et même définitive.
Nous disons la plupart des points. Il en est en 4effet quelques-uns, au sujet desquels il a dû se faire quelques réserves, et c’est également sous réserves que nous nous conformons à son opinion. Ainsi, il eût été sûrement fort en peine d’expliquer certaines pièces récemment mises au jour par M. de Molandon. Du reste, hâtons-nous de le dire, cet embarras qu’il eût éprouvé, nous le partageons entièrement avec lui, et il est probable qu’il durera, chez nous et chez d’autres encore, jusqu’au moment inconnu où de nouvelles découvertes feront jaillir sur ces obscures questions des lumières décisives.
Mais, quoi qu’il en soit de ce que nous garde de ce côté l’avenir, il est certain que jusque-là le système de Charles du Lys est le seul qui soit rationnel et en même temps conforme à des pièces authentiques et judiciaires, à des enquêtes ayant l’autorité de chose jugée.
Aussi, sous le mérite des observations que nous venons de hasarder, avons-nous dû nous y conformer respectueusement et en faire la base, comme le point de départ de notre travail.
Nous ne croyons donc pas, dans l’état d’avancement où sont parvenues actuellement les études qui nous occupent, pouvoir relever dans le Traité de Charles du Lys aucune erreur prouvée 5et provoquant des corrections positives.
Du côté des omissions, il n’en est pas tout à fait de même. Il y a des branches de la famille du Lys qui, en des temps où les communications étaient rares et difficiles, lui ont échappé, par suite de leur éloignement, peut-être aussi par suite de l’ignorance où elles étaient de ses recherches. C’est ainsi que les Haldat paraissent lui être restés inconnus, malgré l’authenticité de leur position dans la lignée. Il en est d’autres, tels que les descendants d’une branche établie en Bretagne, dont il connaissait l’existence, mais de la filiation desquels il n’avait pas sans doute de preuves assez positives pour les admettre dans son traité. Enfin nous avons constaté différentes lacunes, et nous avons essayé de les combler.
Mais, dans un autre ordre d’idées, il y a un fait dont l’évidence ne saurait être discutée. Depuis 1612 bien des générations se sont succédé : l’œuvre de du Lys, eût-elle été complète au moment où il écrivait, réclame donc en tout cas une suite, qui, à travers deux siècles et demi, prolonge ses indications jusqu’à nos jours. Cette pensée a inspiré le travail généalogique qui constitue la seconde partie de notre ouvrage.
Le programme de ce travail est le suivant : 6prendre pour point de départ le traité de Charles du Lys, le rectifier, le compléter en quelques points et continuer jusqu’à notre époque la filiation, arrêtée par lui au premier quart du XVIIe siècle.
La tâche ne laissait pas que d’offrir des difficultés assez sérieuses, car la descendance masculine, celle qui trouve dans le nom même de la famille le plus sûr comme le plus facile des témoignages, faisait, dès le début, défaut à nos investigations.
Lorsque Charles du Lys, en effet, publiait la première édition de son ouvrage, le nom qu’il portait semblait assuré d’une longue conservation directe. Les descendants masculins des deux frères de Jeanne d’Arc étaient encore nombreux. Claude et Jean-Jacques du Lys, avec les deux fis de ce dernier, représentaient la branche aînée ; Charles du Lys lui-même, ses deux fils et son frère Luc, la branche cadette. On pouvait donc fonder de sérieuses espérances sur la perpétuité de la lignée. Mais un souffle de mort allait passer sur elle : vingt ans plus tard, tous les rejetons mâles avaient cessé d’exister et il ne restait que cinq filles, qui, presque à la même époque, allaient porter dans d’autres races l’honneur 7de leur glorieuse origine. Elles donnaient par là naissance à des branches féminines et collatérales, de même que l’avaient fait depuis le XVe siècle plusieurs de celles qui les avaient précédées. Depuis tant d’années, ces branches féminines, en se développant, n’ont cessé de produire de nombreux rejets, dans des lieux variés, avec des fortunes diverses. Les uns sont restés stériles, les autres se sont multipliés à leur tour.
C’est à travers ces nombreux changements de races, de noms, de conditions et de pays, qu’il nous fallait chercher les dernières gouttes du sang des du Lys. Cette matière n’avait jusqu’ici tenté aucun explorateur. Elle se présentait donc à nous sans le secours de ces initiateurs de première main, qui, même lorsqu’ils traitent imparfaitement une question, contribuent cependant à alléger la tâche de leurs successeurs.
C’était un champ inculte que nous nous proposions de défricher.
Néanmoins, malgré les difficultés de l’œuvre que nous abordions, nous n’avons pas reculé devant elle ; car nous savions que nous rencontrerions de précieux éclaircissements dans les archives publiques et dans celles de plusieurs familles qui, se glorifiant d’appartenir à la lignée 8de la Pucelle, gardent avec un soin religieux tout ce qui touche à cette illustre origine.
C’est ainsi que notre labeur a été facilité par la communication de pièces originales dont nous avons été redevables à l’obligeance de MM. de Maleissye, d’Ambly, de Haldat, Le Duchat, de Marin… Il est juste de leur associer dans l’expression de notre gratitude MM. Boucher de Molandon, Doinel et Herluison, d’Orléans, Siméon Luce, des Archives de France, et Lepage, de Nancy, auxquels nous avons dû également d’utiles communications.
Grâce à de patientes informations, soigneusement contrôlées, nous avons pu dresser bien des généalogies de familles, encore existantes, qui descendent des frères de la Pucelle. Nous y avons joint toutes les Preuves authentiques que nous avons pu réunir, afin de donner à notre travail un caractère de certitude scientifique. Nous croyons pouvoir, en toute sûreté de conscience, garantir la sincérité et même aussi l’exactitude du résultat de nos recherches.
Mais il est une autre déclaration que nous croyons devoir faire avant tout : c’est qu’il n’entre aucunement dans notre pensée, en publiant ce livre, de prétendre exclure d’une glorieuse 9parenté toute famille qui ne figure pas dans nos listes. Nous admettons même, comme chose certaine, qu’il doit en exister d’autres, restées ignorées de nous, mais ayant droit, néanmoins, à prendre place auprès de celles que nous avons citées.
Ces familles, si, comme nous le pensons, il s’en trouve, ne doivent attribuer notre silence à leur égard qu’à l’absence de documents établissant leur existence et leurs droits. Les lacunes que l’on pourrait relever de ce chef, nous sommes tout disposés à les combler, si l’on veut bien nous donner les moyens de le faire. Nous adressons un pressant appel à ceux qui seraient en situation de nous éclairer sur ce point. Ils se créeraient des titres à toute notre gratitude, en contribuant ainsi à rendre notre œuvre moins imparfaite et à la rapprocher de la vérité absolue, but suprême de nos efforts.
Disons maintenant un mot des lettres qui précèdent notre étude généalogique.
L’examen des documents laissés par Chartes du Lys, que nous avons dû à la bonne grâce de M. de Maleissye, nous a reportés pour ainsi dire au sein même du labeur de l’érudit magistrat. 10Nous avons pu le voir, dans le feu du travail, multipliant ses recherches de toutes parts, avec un zèle infatigable, pour réunir les renseignements dignes d’être accueillis et capables d’éclairer les parties encore obscures de son œuvre. Or pouvait-il, dans ce but, se donner de plus sûrs collaborateurs que les membres mêmes de la famille de l’héroïne ? Pour tout ce qui touchait particulièrement aux branches fixées en Lorraine, ne devait-il pas donner la préférence à ceux dont l’âge, la position et les connaissances rendaient le témoignage plus sérieux ?
À ces titres, il trouva un concours exceptionnellement précieux dans un digne magistrat, comme lui membre de la branche cadette, Jean Hordal, conseiller d’État de Lorraine et professeur à l’Université de Pont-à-Mousson.
Hordal était précisément occupé alors à élever de son côté un monument historique à la mémoire de la glorieuse Pucelle. Pendant que son parent appliquait tous ses soins à démêler les obscures origines d’une lignée rendue tout à coup illustre, puis redevenue modeste et presque effacée dans son nouvel état social, il consacrait ses veilles et les rares loisirs d’une carrière bien remplie à écrire en l’honneur de l’héroïne l’ouvrage le plus 11véritablement savant qu’elle eût encore inspiré2.
Jean Hordal, par ses titres d’auteur érudit, de conseiller de son prince, de docte professeur, mérite d’être mis en lumière. Il le mérite encore plus par son caractère plein d’honneur, ses vertus privées, son exquise délicatesse de conscience. Dans ses lettres à Charles du Lys, il se révèle tout entier.
Mais ce n’est pas seulement par la connaissance qu’elles donnent du caractère et de la vie de leur auteur que les lettres de Jean Hordal se recommandent. Elles contiennent encore des indications intéressantes sur plusieurs points de bibliographie et d’histoire ; la vie de famille du temps y est dépeinte d’une manière touchante ; c’est un tableau de mœurs tracé avec une saisissante fidélité.
Pour toutes ces raisons, il nous a paru que ces lettres, indépendamment même du vif attrait attaché à tout ce qui touche de près ou de loin à l’immortelle martyre, méritaient, avec leur style naïf et leurs confidences intimes, de voir le grand jour de la publicité.
Nous avons cru dignes du même honneur, et 12pour des raisons analogues, deux autres lettres, écrites par Claude du Lys, qui respirent la franchise et la sincérité. Charles du Lys faisait grand cas de son cousin de la branche aînée, qu’il appelait
un gentilhomme de singulière érudition, un des plus capables et recommandés du pays.
La réunion de ces lettres, intéressantes sous le rapport du style et des mœurs de l’époque, présente encore, au point de vue spécial du travail qui nous occupe, un supplément de Preuves d’une incontestable valeur.
Quel que soit ce livre, nous espérons que, malgré l’aridité à peu près inséparable de toute recherche généalogique, le public voudra bien le prendre en bonne part. Il se présente à lui avec la recommandation du grand nom de Jeanne d’Arc. S’occuper de la famille de la Pucelle, c’est encore s’occuper d’elle, en rappelant son souvenir. Aussi est-ce sous le patronage de ce souvenir sacré que nous plaçons nos modestes études.
Notes
- [1]
I. De l’extraction et parenté de la pucelle d’Orléans, avec la généalogie de ceux qui se trouvent descendus de ses frères. Paris, 1610. In-4°, Factum de 4 pages sans titre ni marque.
II. Discours sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la pucelle d’Orléans et de ses frères. Paris, 1612, 70 pages in-8°.
III. Traité sommaire tant du nom et des armes… etc… (ut supra). Paris, 1628, Edme Martin, 52 p. in-4°. Imprimé à la suite du Recueil de plusieurs inscriptions…
- [2]
Nobilissismæ heroinæ Johannæ Darc…, historia. Ponti-Mussi, Bernard, MDCXII.