Jean Hordal  : Histoire de Jeanne d’Arc (1612)

Témoins

Testium rei narratæ summa copia et authoritas. Abondance et autorité des témoins des faits rapportés

Exegi breviter historiæ fidem ; tota ut paucis comprehensa, quasi uno aspectu cerni possit. J’ai brièvement exposé la réalité de l’histoire, de manière à ce que l’ensemble, résumé en peu de mots, puisse être perçu d’un seul regard. Nuc ne quis me animo meo honorive gratificantem liberius putet, aut confinxisse aut dissimulasse quidpiam, tum ut coacta in angustum, explanatius deducta, suis adjunctis, et circunstantiis magis elucescant ; subjiciam ingentem, vim testium, quorum ex ore, quisque, et historiæ fidem, et puellæ Joannæ integritatem, atque innocentiam, et de re tota antiquitatis judicia recognoscat. Mais afin que nul ne pense que j’ai pris trop de liberté en sa faveur, par inclination personnelle ou par désir de l’honorer, ni que j’ai inventé ou dissimulé quoi que ce soit, et aussi pour que ce qui a été condensé brièvement apparaisse plus clairement lorsqu’il est développé avec ses détails et circonstances, je vais présenter un grand nombre de témoins afin que d’après leurs propres paroles, chacun puisse reconnaître, à la fois l’authenticité du récit, l’intégrité et l’innocence de Jeanne, et le jugement que les anciens ont porté sur toute l’affaire. Stylo varii erunt fateor, quippe aut suo, aut Interpretum sermone loquentes, sed tanto, opinor, æquius fecero, quanto integrius 37sua illis per me constabit integritas. Les styles seront variés, je l’avoue, puisque les extraits seront soit d’origine, soit des traductions, mais je pense que j’aurai agi d’autant plus équitablement que leur intégrité en sera ainsi plus fidèlement préservée. Sunt enim fere hujusmodi, ut vel eo tempore ipso quo Joanna vixit, vel paulo post, Ecclesiæ lumina, Reipublicæ columina, scientiarum ornamenta, et virtutum præsidia fuerint. En effet, la plupart d’entre eux furent, soit du vivant même de Jeanne, soit peu après, des lumières de l’Église, des piliers de l’État, des ornements des sciences et des remparts des vertus.

Pontifices et Theologi. Prélats et théologiens

I.
Æneas Sylvius Énée Sylvius

Primus esto Æneas Sylvius vir eruditione ac prudentia insignis qui et Pontifex Maximus ob virtutes suas postea creatus, Joannæ coætaneus hoc de ea elegans elogium profert cap. XLIII. descriptionis Europæ. Commençons par Énée Sylvius, un homme remarquable par l’érudition et la sagesse, devenu par la suite élu Souverain pontife en raison de ses vertus, et qui, contemporain de Jeanne, lui rend cet élégant éloge au chapitre XLIII de sa description de l’Europe :

In regno Francia, nostra ætate, Joanna, Virgo Lothoringensis, divinitus (ut credunt) admonita, virilibus indumentis, et armis induta, Gallicas ducens acies, ex Anglorum manibus magna ex parte (mirabile dictu) prima inter primos pugnans victoriam eripuit. À notre époque, dans le royaume de France, Jeanne, vierge lorraine, envoyée de Dieu (comme on le croit), menant les armées françaises habillée et armée en homme, combattant au premier rang parmi les premiers, arracha en grande partie la victoire aux Anglais (chose incroyable à dire).

II.
Divus Antoninus Florentinus Archiepiscopus Saint Antonin de Florence

Sylvio par ætate Divus Antoninus Florentinus Archiepiscopus ex Dominicanorum fratrum ordine assumptus, in tertia parte historiali capite IX. titulo XXII. §. 7. Puis un contemporain de Sylvius, Saint Antonin, archevêque de Florence, de l’ordre des Frères prêcheurs, dans la troisième partie de son ouvrage historique, au chapitre IX, titre XXII, § 7 :

Tunc obtulit se (inquit) Regi Franciæ, quædam puella filia Rustici assueta pascere 38gregem dicens se missam ad juvandum exercitum ejus, ætate octodecim annorum vel circa qua milites in multis instruebat in bellando, et civitates capiendo. Alors, (écrit-il), une jeune fille se présenta au roi de France ; une fille de paysan, habituée à garder les bêtes, et disant qu’elle était envoyée pour aider son armée ; âgée d’environ dix-huit ans, elle instruisait les soldats sur bien des aspects du combat ou de la prise des villes. Hæc equitabat apte, ut miles in exercitu ibat, cum eis insidias inimicorum detegebat, et modum ad capiendas civitates docebat, et multa alia admiratione digna agebat. Elle montait à cheval avec aisance, allait avec l’armée comme un soldat, découvrait avec les autres les embuscades ennemies, leur enseignait la manière de prendre les villes, et accomplissait bien d’autres actions dignes d’admiration. Quo autem spiritu ducta vix sciebatur, credebatur magis spiritu Dei, et hoc ex operibus suis ; nihil enim inhonestum in ea videbatur, nihil superstitiosum, in nullo a veritate fidei discrepabat. On savait à peine par quel esprit elle était guidée, mais on croyait plutôt que c’était par l’Esprit de Dieu, et cela en raison de ses œuvres ; car rien en elle ne paraissait malhonnête ni superstitieux, et en rien elle ne s’écartait de la vérité de la foi. Sacramenta confessionis et communionis frequentabat et orationes. Elle fréquentait les sacrements de confession et de communion, ainsi que les oraisons. Et post multas victorias Regis Francia, capta ab hostibus occisa est. Et après de nombreuses victoires du roi de France, elle fut capturée par les ennemis, mise à mort. Deinde pax facta est inter eos, post millia millium utriusque partis occisorum et regiones vastatas et desolatas. La paix fut ensuite conclue entre eux, après des milliers et des milliers de morts de chaque côté, et des régions dévastées et désolées.

III.
Paulus Jovius Paul Jove

Tertius sacris insulis ornatus, Paulus Jovius Novocomensis Episcopus Nucerinus in Britanniæ descriptione, ubi Henricum Regem ab formæ elegantia, viribus corporis animique bonis commendarat. En troisième, l’historien des îles sacrées [britanniques], Paul Jove, originaire de Côme, évêque de Nocera, dans sa description de l’Angleterre où il louait le roi Henri pour l’élégance de sa physionomie, sa vigueur physique et ses qualités morales.

39His tantis, ait, virtutibus una castrensis gloria deerat, concepta jam animo ingenti, adauctaque Anglorum studia quæ sua consuetudine bella prælia tranquillitati atque ocio præferebant, odio scilicet illo in Gallos a majoribus tradito deflagrantes, a quibus se Galliæ regno et tota fere continente pulsos indignabantur, et quod ignominiæ nomine in fortibus viris iras accendebat, Puella præsertim Duce quæ miraculo quodam excitatis Gallorum animis, fœlici ausu superiores victorias atque illa decora Anglicæ virtutis trophæa penitus evertisset. À ces si grandes vertus, dit-il, il ne manquait qu’une seule gloire militaire, conçue par une âme déjà grande et renforcée par l’ardeur des Anglais, eux qui, par habitude, préféraient les guerres et les combats à la tranquillité et au repos, brûlant d’une haine contre les Français, transmise par leurs ancêtres qui s’indignaient d’avoir été expulsés du royaume de France et de presque tout le continent, et qui plus est, ignominie suprême qui enflammait la colère de ces hommes courageux, sous la conduite d’une Pucelle qui avait, par une sorte de miracle, ranimé les esprits des Français et, par une audace heureuse, renversé les victoires antérieures et autres trophées de la vaillance anglaise.

IIII.
Arnaldus Pontacus Arnaud de Pontac

Arnaldus Pontacus Episcopus Bazatensis libro 2. chronographiæ refert e vetere memoria, Arnaud de Pontac, évêque de Bazas, dans le livre 2 de sa chronographie, rapporte d’après une source ancienne que :

Joannam puellam annorum circiter viginti natam, Aureliam urbem obsidione Anglorum liberasse anno 1428. et ejus auspiciis multa prælia fœliciter a Francis gesta esse. Jeanne, une jeune fille d’environ vingt ans, libéra la ville d’Orléans du siège des Anglais en l’an 1428 ; et sous ses auspices, les Français remportèrent de nombreuses batailles.

V.
Jacobum Philippum Bergomensem Jacques-Philippe de Bergame

Ab his dignitate Principibus ponam proxime Jacobum Philippum Bergomensem, Ordinis Eremitarum divi Augustini, 40quod ejus testimonium rem de qua agitur omnem luculenter confirmat, illustratque. Is de ea scribens in lib. de Claris Mulier. cap. 157. sic ait. Juste après ces prélats de haut rang, je placerai Jacques-Philippe de Bergame, de l’ordre des Ermites de Saint Augustin, car son témoignage confirme et illustre clairement toute l’affaire en question. Écrivant à son sujet dans son livre Des Femmes célèbres, chapitre 157, il dit :

Joanna virgo Gallica natione Lothoringensis [Lotharingensis] : circa annum salutis nostra 1429. in puellari adolescentulaque ætate divinitus (ut creditur) ad multa facinora obeunda præelecta : in metropoli Rothomagensis civitatis, cum quartum et vigesimum tantummodo ageret annum, in summa castitate decessit igne cremata. Jeanne, vierge française originaire de Lorraine : vers l’an de grâce 1429, alors qu’elle était encore jeune fille et adolescente, elle fut choisie par la volonté divine (comme on le croit) pour accomplir de nombreux exploits ; elle mourut dans une parfaite chasteté, brûlée dans la métropole de Rouen, à l’âge de seulement vingt-quatre ans. Hæc itaque in primis obscuris humilibus parentibus cum procreata esset, nihilominus in tota vita invicti animi princeps extitit victoriosa. Bien qu’elle fût née de parents obscurs et humbles, elle n’en demeura pas moins toute sa vie, un chef victorieux au courage invincible. Cum a principio magnam ætatis suæ partem inter pecora egisset : ubi cum suis sodalibus, cum quibus pascendo pecora obversabatur, sæpius cursum exercebat : et modo huc atque illuc illi frequens cursus erat : et aliquando currendo hastam ut fortis eques manu capiebat, et arborum truncos validissimis vulneribus percutiebat. Comme elle avait passé une grande partie de sa jeunesse parmi les troupeaux, elle s’était souvent exercée à la course avec ses compagnons, avec lesquels elle gardait les bêtes ; ainsi courait-elle fréquemment ici et là, et, tout en courant, saisissait parfois une lance tel un vaillant chevalier et frappait les troncs d’arbres de coups puissants. Plerunque [Plerumque] etiam aliquam ex equabus quæ in grege pascebatur, 41viriliter ascendebat, et hasta brachio supposita currendo ictus validos inferebat : et qui illam inspectabant, magna animi voluptate et admiratione afficiebantur. Généralement, elle choisissait une des juments du troupeau, la montait virilement, et, s’élançant la lance calée sous le bras, donnait de puissants coups ; ceux qui la voyaient faire en étaient tout remplis de satisfaction et d’admiration. Per hujusmodi autem exercitationes mulier evasit fortissima. C’est par de tels exercices qu’elle devint une femme aussi forte. Erat brevi quidem statura, rusticanaque facie, et nigro capillo, sed toto corpore prævalida : quæ per omnem vitam suam, illibatam servavit virginitatem, et religionis apprime custos extitit. Elle était de petite taille, d’allure rustique, avec des cheveux noirs, mais d’une grande vigueur physique ; tout au long de sa vie, elle conserva sa virginité intacte et fut une fervente gardienne de la religion. Ejus sermo satis ex more fœminarum illius patriæ lenis erat : quem sani ejus mores plurimum honestabant. Son langage était assez doux, selon la coutume des femmes de son pays, et grandement mis en valeur par ses mœurs saines. Tam rectus illi sensus, tamque integer, ut ibi educata, ibive enutrita crederetur : ubi summa prudentia et omnis consilii ratio vigere videretur. Son jugement était si droit et si intègre qu’on aurait cru qu’elle avait été élevée et nourrie dans un lieu où régnaient la plus grande sagesse et la raison la plus avisée. Ea igitur tempestate Henricus Anglorum Rex, atrox bellum Carolo ejus nominis septimo Francorum Regi intulerat, idemque majorem regni sui partem ademerat : et jam Aurelianam primariam sui regni urbem summa vi oppugnabat : et ejus urbis quotidie gravissima erat oppugnatio, eo quod undique circunsessa [circumsessa] erat, 42nec aditus ostendebatur quo posset talis obsessio solvi : in ea quippe omnis regni spes vertebatur : qua quidem amissa de toto regno Gallia actum esse videbatur. À cette époque donc, Henri, roi d’Angleterre, avait déclaré une guerre acharnée à Charles, septième du nom, roi de France, et lui avait déjà enlevé la plus grande partie de son royaume ; il assiégeait alors Orléans, la principale ville de son royaume, avec toute sa force ; ses assauts quotidiens contre la ville étaient terribles, car elle était cernée de toutes parts et aucune solution ne se présentait pour lever un tel siège ; tout l’espoir du royaume reposait sur cette ville car sa perte était considérée comme la fin du royaume de France. In hac ergo difficultate Rex constitutus, et angore animi incertus angebatur : nec quod consilium sequeretur, rationem ullam inire poterat. Le roi était tourmenté par cette situation critique et par l’angoisse de l’incertitude ; il ne savait plus quel conseil suivre ni quelle décision prendre. Tum hanc virginem, dum hac agerentur, contigit pascendo pecora in sacello quodam vilissimo, ad declinandam pluviam obdormire : quo in tempore visa est se in somnis a Deo qui se illi ostenderat admoneri, tumque sextum et decimum tantummodo agebat annum. Or, au moment même où cela se passait, cette vierge, qui s’était abritée dans une petite chapelle pour se protéger de la pluie alors qu’elle gardait son troupeau, vint à s’endormir ; c’est alors qu’elle vit Dieu lui apparaître dans son sommeil pour l’avertir ; elle n’avait alors que seize ans. Qua admonitione permota, confestim grege omisso quem pascebat : in castra ad Regem est profecta. Émue par cet avertissement, elle abandonna aussitôt le troupeau qu’elle gardait et se rendit auprès du roi dans son camp. Qua cum ad ejus tentorium pervenisset : præfata est velle se de rebus maximis cum Rege loqui, quod prædicaret se divinitus a Deo missam. Lorsqu’elle arriva à sa tente, elle annonça son désir de parler au roi d’affaires les plus importantes, affirmant être divinement envoyée par Dieu. Primores et Cubicularii aspernabantur puellam quod cultu et corporis habitu una ex agrestibus esse, sicut erat, videretur : unde eam duris verbis atque aspere increpabant, quod tam audax, 43tamque petulans et temeraria esset : ut tantum Regem stulta et subrustica adire et alloqui præsumeret. Les grands seigneurs et les chambellans éprouvèrent du mépris pour cette jeune fille, dont la tenue et la physionomie donnaient l’apparence d’une paysanne, ce qu’elle était effectivement ; ils la couvraient de paroles dures et âpres, lui reprochant d’être bien effrontée et téméraire d’oser s’approcher du roi et lui parler d’une manière aussi sotte et grossière. Illa nihilominus a Deo confortata et impulsa, in proposito perseverans, instanter expostulabat ad Regem ingredi licere, quum se magna sibi afferre diceret et seria, non utique levia aut minime ludicra. Elle, néanmoins, fortifiée et poussée par Dieu, persévérant dans sa résolution, insistait vivement pour être admise auprès du Roi, affirmant que ce qu’elle avait à lui communiquer était important et sérieux, et en aucun cas futile ou frivole. Quibus ex rebus permoti aulici, eam demum ad Regem introduxere. Émus par ces paroles, les courtisans finirent par l’introduire auprès du Roi. Introducta autem ad Regem Pulcellæ Janna, quum ad ipsius genua procidisset : Majestatem regiam ex more, omni cum reverentia salutavit. Introduite auprès du roi, Jeanne la Pucelle se jeta à ses genoux et salua la majesté royale avec toute la révérence d’usage. Salutatoque Rege, primoribus cunctis palam audientibus : sic locuta est. Puis, après avoir salué le roi, et en présence de tous les grands seigneurs qui l’écoutaient, elle parla ainsi. Gloriosissime Rex : ego ancilla tua minima, omissa mei gregis custodia, cui tanquam una ex agrestibus præeram, omnipotentis Dei imperio, ad opem tibi ferendam, qua regnum tuum amissum recuperes, huc impigre accessi : divinoque jussu, ducem totius tui exercitus, moneo me declarari jubeas. Très glorieux Roi : moi, ta plus humble servante, ayant abandonné la garde de mon troupeau, que je menais comme une simple paysanne, je suis venue ici sans tarder, par l’ordre de Dieu tout-puissant, pour t’apporter secours afin que tu recouvres ton royaume perdu ; et, par ordre divin, je t’exhorte à me déclarer chef de toute ton armée. Nec mireris quod puella inops agrestis, et hujusce vilissimæ fortis huc prodierim, ausaque fuerim tantum imperium 44suscipere : quia omnipotenti Deo sic visum est, infirma et contemptibilia eligere, ut fortia confundat. Ne t’étonne pas qu’une jeune fille pauvre et paysanne ait osé sortir de sa besogneuse humilité pour se charger d’un tel commandement, car il a plu à Dieu tout-puissant de choisir le faible et le méprisable pour confondre les forts. At Rex horum verborum gravitatem secum revolvens, ilico tacitus et mirabundus ad primarios suos sustulit oculos. Le roi, pesant la gravité de ces paroles, silencieux et étonné, leva les yeux vers ses grands. Eademque admiratio cæteros obstupefecit proceres, submissa voce dictitantes : hoc certe divinum, non humanum esse consilium. La même stupéfaction saisit les autres nobles, qui murmuraient : il ne peut s’agir là que d’un projet divin, et non humain. Rex autem inquit. Pulcella, ingenue profiteris te a Deo mihi omnino in auxilium missam esse. Le roi répondit : Pucelle, tu déclares ingénument avoir été entièrement envoyée par Dieu pour m’aider. Sed qua ratione ? Tu fœmina es admodum adolescentula, rerum omnium inexperta ; et quomodo præsumis tibi tanti muneris, tantique exercitus assumere administrationem ? Mais de quelle manière ? Tu es une toute jeune femme, inexpérimentée en toutes choses ; comment prétends-tu assumer la direction d’une telle charge et d’une telle armée ? Hoc utique tui non est officii et ætatis tenellæ munus, sed jure militari peritissimorum, exercitatissimorumque virorum. Cette charge ne convient assurément ni à ton état ni à ta nature délicate, mais revient de droit aux hommes les plus expérimentés et les plus aguerris dans l’art militaire. Itaque moneo semel atque iterum, ut videas etiam atque etiam quæ afferas et quæ apportes. C’est pourquoi je t’engage une fois de plus à bien réfléchir encore et encore à ce que tu avances et ce que tu proposes. Constanti vultu et intrepido confestim respondit. D’un visage ferme et intrépide elle répondit aussitôt : Maxime rex obsecro, ne plura percunctari pergas, Deus a quo missa sum, huic tuæ necessitati consulet, nec peto teras 45ultra tempus, si chara tibi est tui regni incolumitas. Très grand roi, je t’en prie, ne poses plus de questions, car Dieu, par qui je suis envoyée, veillera sur ta nécessité ; et je t’en supplie, si tu tiens à conserver ton royaume, ne perds plus de temps. Et ut verum intelligas, accipe quæ submotis arbitris tibi dicam. Et pour que tu discernes la vérité, écoute ce que je vais te dire, sans témoins. Postquam vero cum Rege locuta est, Rex prope stupefactus et incertus quid responderet. Après avoir parlé avec le roi, celui-ci demeura quasi interdit, sans savoir quoi répondre. E vestigio illam totius fui exercitus ducem enunciavit, cunctis primoribus acclamantibus. Sur-le-champ, il la proclama chef de toute l’armée, sous les acclamations de l’ensemble des seigneurs. Res prope incredibilis et inaudita, et maximo spectaculo digna, si animadverteris tot Principes, Regemque ipsum in bellis exercitatissimos, sese imperio adolescentulæ sedecim annos natæ subjicere, quæ ex ovium et suum vel porcorum gregis excepta fuerat : videre eam virilibus indumentis et armis indutam Gallicas ducere acies. Quelle chose à peine croyable et inouïe, et digne du plus grand spectacle, si tu considères bien : tant de princes et le roi lui-même, si aguerris aux combats, se soumettre à l’autorité d’une jeune fille de seize ans, que l’on venait d’arracher à son troupeau de chèvres ou de porcs ; et la voir, vêtue et armée en homme, conduire désormais les armées françaises. Igitur postquam Janna hac virago, totius regii exercitus declarata est imperatrix : mandavit Rex, coruscantia arma necessaria eidem statim dari, equumque fortissimum admoveri, faleris aliisque ornamentis mirifice coopertum : quem cum ascendisset, etiam galea suo capiti superinduta, capilli capitis sui per humeros dispersi dependebant. Ainsi, après que Jeanne, cette femme guerrière, eut été déclarée commandante en chef de toute l’armée royale, le roi ordonna qu’on lui donne immédiatement des armes étincelantes et qu’on lui amène un cheval très robuste, magnifiquement paré de harnais et d’autres ornements ; une fois enfourché, un casque sur la tête, ses cheveux flottaient librement sur ses épaules. Cumque taliter indutam et armatam omnis 46spectaret exercitus, et equo intrepide insidentem : visa est omnibus eques quida e cœlo demissus. Et lorsque toute l’armée la vit ainsi vêtue et armée, intrépide sur son cheval, elle apparut à tous comme un chevalier descendu du ciel. Quæ cum parte copiarum terrestri itinere equo invecta, contendit ad Aurelianam urbem obsidione solvendam : Rex vero cum omnibus aliis copiis, suisque primoribus Principibus strenuissimis : ad Rhodanum flumen castra castris opposuit. Menant à cheval une partie des troupes par voie de terre, elle prit la direction de la ville d’Orléans pour lever le siège ; le roi, avec toutes les autres forces et ses plus vaillants capitaines, établit son camp en face de celui de l’ennemi, au bord du Rhône [ ! ! !]. Ipsa autem cum ad hostem pervenisset, extemplo manum summa vi conseruit. À peine parvint-elle à l’ennemi qu’elle engagea le combat de toutes ses forces. In quo quidem conflictu, et prælio, dux totius hostilis exercitus cum decem millibus Anglorum e vestigio fuit interfectus, et trium horarum spatio, tria hostilia recepit munitissima propugnacula. Au cours de la bataille, le général de l’armée ennemie fut tué sur-le-champ avec dix mille Anglais ; et en l’espace de trois heures, elle avait pris trois bastilles ennemies extrêmement bien fortifiées. Quo viso : Rex omnem suum exercitum validissimum ad liberandam urbem admovit. Voyant cela, le roi envoya toute sa puissante armée pour libérer la ville. Atque ita intra quatriduum ipsa civitas (hoste pulso) cum maxima hujus adolescentulæ gloria, obsidione liberata est : quod potius divinum quam humanum factum omnes reputarunt et crediderunt. C’est ainsi qu’en quatre jours, la cité fut libérée du siège (et l’ennemi repoussé), à la plus grande gloire de l’adolescente ; ce que tous considérèrent et crurent comme un fait divin plutôt qu’humain. Hanc quidem rem gestam quidam optimus et locuples testis, vir clarissimus, nomine Guilielmus Guaschus 47serio mihi exposuit : tunc regius aulicus, prout audierat et viderat. Cet événement m’a été rapporté très sérieusement par un témoin respectable et riche, homme des plus célèbres nommé Guillaume Gasc, d’après ce qu’il avait entendu et vu alors qu’il était courtisan du roi. Postquam hoc per octo annos continuos, tricies cum hoste justo prælio conflixit. Par la suite, et pendant huit années consécutives [semaines consécutives ?], elle rencontra trente fois l’ennemi en bataille régulière. Ex quibus semper superior gloriosa discessit : capto, maxima cum ipsius gloria atque triumpho, Anglorum strenuissimo Imperatore, quem suo Regi vinctum tradidit. Elle en sortit toujours victorieuse et glorieuse, capturant, pour sa plus grande gloire et triomphe, un vaillant général anglais qu’elle livra enchaîné à son roi. Quibus gestis, regem ipsum Carolum ovantem Rhemos perducens, ex more a suis proceribus inunctus et consecratus est Rex : quod antea minus facere poterat. Après ces exploits, elle conduisit le roi Charles en triomphe jusqu’à Reims, pour être oint et sacré roi par ses pairs conformément à la coutume, ce qu’il n’avait pu faire jusque-là. Inunctus itaque Rex atque ex more corona donatus cum maxima omnium lætitia, suique gloria atque triumpho : in templo ea associante est præsentatus. Le roi fut ainsi oint et couronné selon la coutume, dans l’allégresse générale, et pour sa gloire et son triomphe, elle se tenait à ses côtés dans la cathédrale. Vetere enim lege non licet Francorum Regem alibi, quam ea in urbe consecrari. En effet, selon l’ancienne loi, il n’est pas permis de sacrer le roi de France ailleurs que dans cette ville. Cum omnia Gallorum Regum insignia, ibidem posita referventur, qua videlicet adhibentur rege coronando : in primisque sacra unctio, e cœlo demissa. Car c’est là que sont conservés tous les insignes des rois de France utilisé lors du couronnement, et en premier lieu la sainte ampoule, envoyée du ciel. Hæc igitur Joanna pulcella virgo, cum magnam gloriam in armis esset adepta, et regnum Francorum magna ex parte deperditum, e manibus 48Anglorum pugnando eripuisset, in sua florenti ætate constituta : non solum se morituram, sed et genus suæ mortis cunctis prædixit. Alors, Jeanne la jeune pucelle, qui avait acquis par les armes une grande gloire et arraché par ses combats une grande partie du royaume de France des mains des Anglais, tout cela dans la fleur de l’âge, annonça non seulement qu’elle allait mourir, mais aussi de quelle manière. Nam ab ipsis Anglis tandem in prælio capta, et ad Rhothomagensem urbem violenter perducta : ibidem ab ipsis et ipsorum Rege, veneficii et artis magicæ vitio incusata, favissima ignis morte demum damnata est. De fait, elle fut capturée par les Anglais au cours d’une bataille, puis emmenée de force en la ville de Rouen ; là, elle fut accusée par eux et par leur roi de sorcellerie et de magie, et enfin condamnée à la plus cruelle des morts, par le feu. Et hic tantæ Virginis vita finis fuit : quo quidem atrocissimo supplicio, hæc tam inauditæ virtutis mulier indigne occisa est. Ainsi prit fin la vie de cette formidable Vierge ; cette femme d’une vertu si inouïe fut indignement tuée par ce supplice des plus atroces. Post multos autem annos, Carolus ipse optimus sane Rex, Rhothomagensium urbe recepta, eo in loco ubi atrociter concremata fuerat Janna Pulcella, pro monumento et titulo puellaris decoris, crucem æneam et quidem eminentissimam inauratamque poni jussit. Bien des années plus tard, la ville de Rouen ayant été reprise, le bon roi Charles ordonna qu’à l’endroit même où Jeanne la Pucelle avait été si cruellement brûlée, soit érigée une imposante croix de bronze, sertie d’or, en guise de monument et de titre à la gloire de la jeune fille. Ludovicus autem rex postea patri succedens, ægre admodum ferens mortem tam indignam tantæ Viraginis, a Pio Pontifice Romano ejus nominis secundo impetrasse fertur : ut duos Jurisperitos in Galliam mitteret : qui iterato diligentius illius causam et vitam 49cognoscerent. Le roi Louis, succédant à son père et supportant très mal la mort si indigne d’une si grande héroïne, aurait obtenu du pontife romain Pie II qu’il envoie en France deux savants juristes, afin qu’ils réexaminent avec soin son procès et sa vie. Qui ubi in Galliam demum pervenissent, ilico duos ex falsis consiliariis indicibus superstites ad se citarunt. Lorsque ceux-ci arrivèrent en France, ils firent comparaître deux des faux juges assesseurs encore en vie. Qui postquam causam hujusmodi accurate diligenterque omnem cognovissent : deprehenderunt plane mulierem innocentissimam falso fuisse damnatam, ac omnia conficta contra ipsam extitisse : qua videlicet de veneficio aut arte magica adversus illam crimina dicta fuerant. Après avoir étudié attentivement et en détail toute la cause, ils découvrirent clairement que cette femme, parfaitement innocente, avait été faussement condamnée, et que tout avait été fabriqué, comme à l’évidence les accusations de sorcellerie et de magie portées contre elle. Quinimo [Quin immo] omnem ejus vitam, tam præclaris gestis ita æqualiter consensisse, nec quidpiam ab ea unquam admissum, quod religionem ulla ex parte violare potuisset. Bien plus, ils trouvèrent que toute sa vie, marquée par des exploits si glorieux, était en parfaite conformité, et qu’elle n’avait jamais rien fait qui eût pu violer la religion d’aucune manière. Quas ob res utrosque eodem mortis supplicio affecerunt : quo ipsi innocentissimam virginem diu ante promulgaverunt atque damnarunt. Pour ces raisons, ils infligèrent à l’un et à l’autre le même supplice par lequel ils avaient jadis déclaré coupable et condamné cette vierge totalement innocente. Atque huic damnationi additum est, ut duorum aliorum judicum mortuorum ossa, e sepulchris effossæ, igni similiter cremarentur. À cette condamnation vint s’en ajouter une autre : que les ossements des deux autres juges décédés seraient exhumés de leurs tombes et également brûlés. Eoque loci ubi hæc virago extiterat concremata, templum poneretur, et ex reliquis prædictorum bonis quæ publicata fuerant, ibidem ad Dei summi honorem, ipsiusque defunctæ 50propitiationem : quotidianum sacrificium institutum est. Une chapelle fut ensuite construite à l’endroit même où l’héroïne avait été brûlée, et, avec les biens confisqués auxdits juges, on y institua une messe quotidienne en l’honneur de Dieu Tout-Puissant et pour le salut de la défunte. Itaque hoc modo huic admirabili fœminæ decus omne recuperatum est. C’est de cette manière que tout son honneur fut rendu à cette femme admirable. Quibus quidem meritis et inauditis facinoribus, Janna hæc Pulcella, merito a nobis claris mulieribus venit hic applicanda. Et c’est en raison de ses mérites et de ses exploits inouïs, que Jeanne la Pucelle mérite que nous la comptions parmi les femmes célèbres.

VI.
Sibylla Francica La Sibylle française

Extat libellus Germani cujusdam Laudayani anonymi Clerici qui inscribitur Sibylla Francica, seu de admirabili puella Joanna Lotharinga pastoris filia ductrice exercitus Francorum sub Carolo VII. in cujus primi rotuli principio habentur hæc verba. Il existe un petit livre, d’un certain clerc allemand anonyme de Lauda, intitulé La Sibylle Française, ou De l’admirable pucelle Jeanne, fille d’un berger de Lorraine, commandante de l’armée française sous Charles VII. Au début du premier rouleau de ce livre, on trouve les mots suivants :

Exorto nuper rumore aures audientium qui titillat, de quadam Sibylla in regno Franciæ, quæ exorsa est prophetari fama rutilante fulgida, bonæ odore opinionis omnium respersa, vita, moribus, et conversatione spectabilis ; quam vulgus Sanctitate dicit fulgere ; doctam quoque ad bella et præliorum eventuum præsciam. Depuis peu, une rumeur titille l’oreille de ceux qui l’entendent, au sujet d’une certaine Sibylle du royaume de France, qui s’est mise à prophétiser avec une renommée éclatante et fulgurante, et qui, par sa vie, ses mœurs et sa conduite remarquables, jouit d’une bonne odeur dans l’opinion générale ; le peuple dit qu’elle brille de sainteté, et qu’elle est instruite à la guerre et connaît d’avance l’issue des batailles.

Provectus eodem rotulo longius de hac ipsa puella hæc addit ; Plus loin dans le même rouleau, à propos de cette même jeune fille, il ajoute :

Frequenter purgat et lustrat conscientiam per puram confessionem, et roborantur in virtute spiritus 51sapientiæ in Eucharistiæ perceptione, conversatione humilis, modesta et bonis consentiens, rapinam pauperum valde detestatur, pupillorum orphanorumque depressionem. Quare honoris statum in Francia obtinet. Elle nettoie et purifie souvent sa conscience par une confession pure, et se fortifie dans la vertu de l’esprit de sagesse par la communion, par une conduite humble modeste et conforme au bien, et par une vive détestation du vol des pauvres et de l’oppression des mineurs et des orphelins. C’est pourquoi elle est tenue en si haute estime en France.

Idem sub finem secundi rotuli anno M.CCCC. XXIX. conscripti ita memorat. De même, vers la fin du second rouleau, à l’année 1429, il rapporte :

Ista Virguncula in regno Franciæ Sibylla laudatur ab omnibus, in professione fidei Catholicæ, et in cæremoniis invenitur suffulta. Cette jeune fille est vantée comme une Sibylle par tous au royaume de France, soutenue en cela par sa profession de la foi catholique et sa participation au culte. Sacramenta Ecclesiastica valde veneratur, vita laudabili conversatur, religiosa in actis, et agendis, in nomine S. Trinitatis cuncta opera quantumcunque grandia aggreditur, [ ;] et ad finem perducit optatum, firmans pacem, pauperum tollens inopiam, justitiam sectando diligit, nihil vanitatis mundi, neque pomparum aut divitiarum exquirit. Elle vénère profondément les sacrements de l’Église, mène une vie digne d’éloges, pieuse tant dans ses actions que dans ses intentions, entreprend toutes ses œuvres, aussi grandes soient-elles, au nom de la Sainte Trinité, et les mène à leur terme désiré ; elle aime établir la paix, soulager la misère des pauvres, rechercher la justice, et ne convoite ni la vanité du monde, ni les honneurs, ni les richesses.

Hic te appello prudens Lector ; Qui de Joanna ei contemporalis ista scribat, et scribat ex communi fama et sermone ; nonne ab integerrima vita et Christianissimis 52moribus Christianam virginem, omni posteritati, omni æquo rerum æstimatori ac judici suspiciendam commendat ? Maintenant, j’en appelle à toi, sage lecteur ; un contemporain qui écrit ainsi sur Jeanne, et qui le fait d’après la réputation et la rumeur générale, ne recommande-t-il pas cette vierge chrétienne, par sa vie irréprochable et ses mœurs très chrétiennes, à l’estime de toute la postérité et de tout juge équitable et impartial ?

VII.
Joannes Nider Jean Nider

Septimus haud levi authoritate Joannes Nider Suevus, ordinis Prædicatorum Sacræ Theologiæ Professor et hæreticæ pestis inquisitor in suo insigni libro de Maleficis et eorum deceptionibus cap. 8. de hac bellatrice virgine ita testatur. Le septième et non des moindres en autorité, Jean Nider, originaire de Souabe, de l’ordre des Prêcheurs, professeur de théologie sacrée et inquisiteur de la peste hérétique, qui témoigne ainsi de la vierge guerrière dans son remarquable livre sur les Sorciers et leurs impostures, au chapitre 8.

Infra decem annorum spatia noviter in Francia quædam virgo Joanna nomine tam Prophetico spiritu, quam miraculorum potestate, ut putabatur clarens. Il y a moins de dix ans, en France, une certaine vierge nommée Jeanne brillait, à ce que l’on disait, pour son esprit prophétique et son pouvoir de faire des miracles. Hæc enim veste virili semper utebatur, nec ullis Doctorum quorumcunque, persuasionibus emolliri potuit, ut tales deponeret vestes, fœmineis contenta, præsertim cum se palam virginem, et fœminam esse protestaretur. Elle portait en permanence des vêtements masculins, et aucun docteur, quel qu’il fût, ne pouvait la persuader de les abandonner pour des vêtements féminins, surtout lorsqu’elle se proclamait vierge et femme. Sub hoc inquit habitu virili in signum futuræ victoriæ, ut verbo prædicam et habitu, a Deo missa sum juvare verum Francorum Regem Carolum et in suo firmare regno, a quo eum fugare nituntur Rex Angliæ et 53Dux Burgundiæ. C’est sous cet habit masculin, disait-elle, en signe de la victoire à venir que j’annonce par la parole et par l’apparence, que Dieu m’a envoyée pour aider le véritable roi de France, Charles, et l’affermir dans son royaume, dont le roi d’Angleterre et le duc de Bourgogne s’efforcent de le chasser. Pro tunc enim hi juncti mutuo cædibus et armis Franciam premebant gravissime. Car ils étaient alors alliés et, ensemble, opprimaient lourdement la France par les massacres et par les batailles. Igitur cum suo Domino Joanna continuo velut miles equitabat, futura et fausta multa prædicebat, victoriis bellicis intererat, et alia mirabilia perpetrabat : de quibus ne dum Francia, sed omnia Christianorum regna stupebant. Ainsi, Jeanne chevauchait constamment avec son seigneur comme n’importe quel chevalier, prédisait nombre de choses à venir et favorables, prenait part aux victoires militaires et accomplissait d’autres prodiges ; ce qui émerveillait non seulement la France, mais tous les royaumes chrétiens.

VIII.
Joannes Nauclerus Johann Vergenhans

Non dissimilia Joannes Nauclerus Præpositus Tubingensis qui in secundo volumine chronographiæ, generatione 48. sic habet. Johann Vergenhans, chancelier de l’université de Tübingen, ne tient pas d’autres propos dans le second volume de sa chronographie, génération 48, lorsqu’il écrit :

Anno Domini 1429. venit ad Regem Carolum in Franciam, quædam Puella plebeia ex Lotharingiæ, quæ asseruit se missam a Deo, ut per ipsam dictum regnum quo Rex erat fere destitutus, ad ejus obedientiam reducatur. En l’an de grâce 1429, une jeune fille du peuple, originaire de Lorraine, vint en France auprès du roi Charles et se déclara envoyée par Dieu pour que, grâce à elle, le royaume dont le roi était presque dépossédé soit ramené à son obéissance. Erat raso capite ad modum viri, et volens ad tumultus bellicos exire, vestibus et armis virilibus induebatur, rediens autem de bello, habitum muliebrem reassumpsit. Elle avait les cheveux rasés à la manière d’un homme, et s’habillait et s’armait en homme lorsqu’elle partait au combat ; cependant à son retour de la guerre, elle reprenait son habit de femme. Rex in tanta perturbatione faciliter credulus, Marescalcum et nonnullos alios sibi adjunxit, auxilium laturus Aurelianis obsessis, ubi 54Puella Anglicos ab obsidione repulit, quendam [quemdam] magnum Angliæ Capitaneum occidit. Le roi, facilement crédule dans un tel désordre, lui adjoignit un maréchal et quelques autres afin de porter secours aux assiégés d’Orléans, où la Pucelle chassa les Anglais du siège et tua un grand capitaine anglais. Aurelianis liberatis, Anglicos Franci insequuntur duce Puella, et oppidum Gergeum capiunt, Anglos trucidant, deinde Talebotum Capitaneum Supremum abeuntem insequuntur, et commisso prælio territi Anglici fugiunt, ac sternuntur. Après la libération d’Orléans, les Français poursuivent les Anglais sous la conduite de la Pucelle : ils s’emparent de Jargeau, massacrent les Anglais, puis lancent la chasse contre Talbot, leur capitaine suprême ; alors, la bataille s’étant engagée, les Anglais épouvantés s’enfuient et sont écrasés. Rex Carolus deinde multo nobilium et Baronum comitatu stipatus ingreditur Rhemos, et illic coronatur, in regemque inungitur. Le roi Charles, entouré d’une grande suite de nobles et de barons, entre ensuite à Reims où il est couronné et sacré roi. Post coronationem Soisson, Castrum Thierri, et alia loca usque ad S. Dionysium in Francia, per Anglos occupata ad obedietiam reducit : nam Dux de Bethford pro Anglicis locum tenens iverat Rothomagum, pro munienda Nortmannia. Après le couronnement, elle ramène à l’obéissance Soissons, Château-Thierry, et d’autres lieux en France jusqu’à Saint-Denis, alors occupés par les Anglais ; car le duc de Bedford, qui tenait la région pour les Anglais, était parti pour Rouen fortifier la Normandie. Itaque Rex etiam S. Dionysium recuperat, et tunc læsa fuit puella juxta Parisios, rex deinde ibat versus Bituriges. Le roi récupère donc Saint-Denis ; et après que la Pucelle fut blessée devant Paris, le roi prit la route de Bourges. Anno Domini 1430. obsesso Compendio capta est puella supradicta, per quendam Picardum qui vendidit eam Anglicis et Anglici eam Rothomagi occiderunt incineratam. En l’an de grâce 1430, lors du siège de Compiègne, la dite Pucelle fut capturée par un Picard qui la vendit aux Anglais ; ils la brûlèrent vive à Rouen.

IX.
55Henricus de Gorckein Henri de Gorkum

Sed et de Gallis et de Gallorum adjutrice Joanna, multo etiam honorificentius, Magister Henricus de Gorckein in principio libri primi de puella militari Francorum ita scribit : Mais c’est par les Français et leurs alliés que Jeanne était, et de beaucoup, la plus honorée ; maître Henri de Gorkum, au début du premier livre sur la Pucelle guerrière des Français, s’exprime ainsi :

Tulit me Dominus cum sequerer gregem, et dixit mihi Vade et prophetiza ad populum meum Isræl, Amos 7. Populus Isræl populus regni Franciæ non incongrue potest spiritualiter nuncupari, quem fide Dei et cultu Christianæ religionis notum est semper floruisse. Le Seigneur m’enleva alors que je suivais le troupeau, et il me dit : Va, et sois prophète de mon peuple Israël (Amos 7, [15]). Sans incongruité, le peuple du royaume de France pourrait être spirituellement appelé le peuple d’Israël, lui qui est connu pour avoir toujours prospéré par sa foi en Dieu et son culte de la religion chrétienne. Ad Caroli VI. Regis filium quædam juvencula pastoris cujusdam filia, quæ et ipsa gregem ovium secuta fertur, accessit, afferens se missam a Deo quatenus per ipsum dictum regnum ad ejus obedientiam reducatur. Le fils du roi Charles VI vit venir à lui une jeune fille, que l’on disait fille d’un berger et ayant elle-même gardé un troupeau de brebis, affirmant avoir été envoyée par Dieu pour que, par lui, ledit royaume soit ramené à son obéissance. Ne autem ipsius assertio reputetur temeraria, etiam signis supernaturalibus utitur, sicuti revelare occulta cordium, et futura contingentia prævidere. Et pour que son affirmation ne soit pas jugée téméraire, elle recourt à des signes surnaturels, tels que révéler les pensées secrètes ou prédire les événements futurs. Refertur insuper quod sit raso capite admodum viri, et volens ad actus bellicos procedere vestibus et armis virilibus induta, ascendit equum, quæ dum in equo est, ferens vexillum, statim 56mirabili viget industria, quasi peritus Dux exercitus, ad artificiosam exercitus institutionem. On rapporte en outre qu’elle avait les cheveux coupés à la manière d’un homme, et que lorsqu’elle partait au combat, elle s’équipait de vêtements et d’armes d’homme, montait à cheval, et qu’ainsi montée, portant un étendard, elle déployait spontanément une activité merveilleuse, comme l’aurait fait un capitaine expérimenté formé à l’art militaire. Tunc quoque sui efficiuntur animosi : e contra vero adversarii timidi, quasi viribus destituti. Les siens devenaient alors courageux, tandis que les adversaires au contraire, devenaient craintifs et comme privés de leurs forces. Ubi autem de equo descendit, solitum habitum reassumens, sit simplicissima, negotiorum sæcularium quasi innocens agnus imperita. Toutefois, dès qu’elle descendait de cheval et reprenait ses habits habituels, elle était des plus simples, aussi ignorante des affaires mondaines qu’un agneau innocent. Fertur etiam quod vixit in castitate, sobrietate, et continentia, Deo devota, prohibens fieri occisiones, rapinas, cæterasque violentias, omnibus his, qui ad dictam obedientiam se volunt exhibere. On rapporte également qu’elle vivait dans la chasteté, la sobriété et la continence, dévouée à Dieu, interdisant les meurtres, les pillages et autres violences envers ceux qui voulaient retourner à la dite obéissance. Propter hæc ergo et similia, civitates, oppida et castra se submittunt regio filio, fidelitatem sibi promittentes. Pour toutes ces raisons et d’autres semblables, villes, bourgs et forteresses se soumettaient au fils du roi, lui promettant fidélité.

Et paulo post idem Magister Henricus de eadem Puella loquens hanc assertionem subjicit : Un peu plus loin, le même maître Henri parlant de la même Pucelle fait cette déclaration :

Hanc filiam a Deo specialiter missam ad ea que non humanitus sed divinitus fiunt opera, cui fides est adhibenda. Que cette fille ait été spécialement envoyée par Dieu pour accomplir des œuvres qui ne sont pas humaines, mais divines, est digne de foi.

X.
Jacobus Meyerus Jacques de Meyer

Præclarissime autem maximeque ad Theologicas rationes Dei in re nostra consilia 57explicans, Jacobus Meyerus Baliolanus et Sacerdos Brugensis, lib. 16. annalium Flandriæ rem et judicium suum sic adscribit. Exposant avec éclat et de la manière la plus conforme aux raisons théologiques les desseins de Dieu dans notre affaire, Jacques de Meyer, originaire de Bailleul et prêtre de Bruges, rapporte ainsi les faits et les commente, dans le livre 16 des Annales de Flandre.

Joanna puella Franciæ. Jeanne la pucelle de France

Principio Martii anni 1428. accessit ad Carolum Regem apud Chinonem agentem Joanna illa virgo Gallica annos nata circiter 18. dicta ob intactum pudorem Puella, equisonis instar solita custodire et adaquare equos, pauper tamen et modicis orta parentibus. Au début du mois de mars de l’an 1428 [1429], arriva auprès du roi Charles, alors à Chinon, une vierge française d’environ 18 ans, Jeanne, surnommée la Pucelle en raison de sa chasteté intacte, habituée à garder et à mener boire les chevaux comme un palefrenier, bien que pauvre et née de parents modestes.

Ejusdem promissa. Ses promesses

Hæc se divinitus afflatam dicebat, pulsuram se Anglos ab urbe Aurelianensi Regemque perducturam in Remos ad sacram unctionem. Elle disait être inspirée par Dieu et qu’elle chasserait les Anglais de la ville d’Orléans, puis conduirait le roi à Reims pour son sacre. Irrisa primum habitaque pro fatua : tandem tamen, morum suorum sanctimonia ac prudentia fidem fecit, ac quidquid verbis erat pollicita factis complevit. D’abord raillée et tenue pour folle, elle inspira confiance par la sainteté de ses mœurs et par sa sagesse, et tout ce qu’elle avait promis en paroles elle l’accomplit en actions.

Deus misertus Gallorum misit illis Joannam regni vindicem. Dieu, ayant eu pitié des Français, leur envoya Jeanne pour libérer le royaume

Quis non videt hoc Dei fuisse opus ? Quis dubitare potest quin facta hæc sint per immensam Dei clementiam ? Ipse enim est qui non in perpetuum irascitur, neque in æternum comminatur. Qui ne reconnaît pas là l’œuvre de Dieu ? Qui oserait douter que ces événements procèdent de l’immense bonté de Dieu ? Car il est celui dont la colère n’est pas perpétuelle, ni les menaces éternelles. Regem vehementer pænituit morum anteactæ vitæ, quotidieque precibus ac lachrymis veniam a numine postulabat. Le roi s’était âprement repenti des mœurs de sa vie passée et, chaque jour, par ses prières et ses larmes, il implorait le pardon divin. Crebras 58supplicationes per omnes regni Ecclesias indixit. Il ordonna de nombreuses prières publiques dans toutes les églises du royaume. Crediderim per Gallias pios fuisse homines, quorum preces erant ante Deum exauditæ. Et je suis prêt à croire qu’il y avait en France des hommes pieux dont les prières devant Dieu ont été entendues. Dederat enim Gallia horrendas pœnas adeo ut a nemine perscribi satis possent. Car la France avait enduré des épreuves si terribles que personne n’aurait su les décrire pleinement. Ostendere Deus Opt. Max. volebat, ab se uno omnem dari victoriam. Dieu, très bon et très grand, voulait montrer que toute victoire vient de lui seul. Eam per fœminam, per sexum fragilem velle operari, quo vanitatem superbiamque Gallicæ Anglicæque gentis retunderet, ne diutius suis duntaxat fiderent viribus, sua inniterentur prudentia, sed a cœlo petere victoriam discerent, eamque nec sibi nec suæ fortunæ, sed soli numinis benignitati ascriberent. Il voulait que celle-ci soit emportée par une femme, par le sexe faible, afin de rabattre la vanité et l’orgueil des nations française et anglaise, et qu’elles ne se fient plus à leurs seules forces, ni ne s’appuient sur leur science, mais qu’elles apprennent à demander la victoire au ciel puis à l’attribuer non à elles-mêmes ni à leur propre fortune, mais à la seule bonté divine.

Et paucis interjectis, latius in Joannæ res gestas, tanquam in apertissimum divinæ gloriæ campum eleganti oratione ingressus eas earumque eventa sic oculis subjicit. Après quelques observations, il s’engage plus avant et avec éloquence dans les exploits de Jeanne, comme dans un vaste champ ouvert à la gloire divine, et les place sous nos yeux avec leurs conséquences :

Finis Anglicæ fœlicitatis. Fin de la félicité anglaise

Hic finem capit fœlicitas Anglorum in Galliis. Huc usque nemo illorum telis resistere valuit. Ici prend fin la félicité des Anglais en France. Jusqu’ici, personne n’avait pu résister à leurs armes. Hactenus non vinci, sed vincere sueti. Ils s’étaient habitués non à être vaincus, mais à vaincre. Grandis nunc mutatio, in 59qua virtus, robur, fortuna, victoriaque illorum abiit retro, ut manifesta appareant opera Dei, ut intelligamus, quam fortes fœlicesque sint a quibus stant numina, contra quam debiles et elumbes quibus cœlum non favet. Un grand changement s’opère alors, où s’effondrent leur courage, leur force, leur fortune et leurs victoires, afin que se manifestent les œuvres de Dieu, pour que nous comprenions combien sont forts et heureux ceux qui ont les puissances divines à leurs côtés, et combien sont faibles et misérables ceux que le ciel ne favorise pas. Aurelianenses vero jam fame prope domiti, ita rerum omnium laborabant penuria, ut in extrema agerent necessitate : quibus omni humano destitutis auxilio, divina benignitas succurrit : quod homo non potuit, Deus supplevit. Les Orléanais, presque vaincus par la faim, souffraient d’une telle pénurie de toutes choses qu’ils étaient réduits à la dernière nécessité ; à ceux qui sont privés de tout secours humain, la bonté divine vint en aide ; ce que l’homme ne pouvait par lui-même, Dieu le fit pour lui.

Joanna Aurelianum obsidione liberat. Jeanne lève le siège d’Orléans

Joanna virgo Dux Gallorum non ascita, non creata, non electa, sed a Deo data, potestate a Rege accepta, copias quas potest adunat, copiosum omnis generis commeatum invitis hostibus, in urbem importat. Jeanne, vierge et chef des Français, non point appelée, non point créée, non point élue, mais donnée par Dieu, ayant reçu le pouvoir du roi, réunit les troupes qu’elle peut, et introduit dans la ville, malgré les ennemis, un abondant ravitaillement de toute sorte.

Ejusdem Joannæ sucessus. Succès de Jeanne

Dehinc eruptionem fortissime facit, omnes munitiones, vallos, fossas, palos, aggeres, excitata castella tam multa dissipat, prosternit, incendit, hostes in fugam propellit, urbem obsidione liberat, mense Maio, haud absque multo hostium sanguine. Puis, au cours d’une sortie des plus hardies, elle renverse, brise et livre aux flammes toutes les fortifications, murailles, fossés, palissades, remblais et les nombreuses bastilles érigées ; chassant les ennemis en fuite, elle délivre la ville du siège, au mois de mai, non sans une abondante effusion de sang adverse. Inde Magdunum, Gergellum, Bogenciacum, Genovillam capit, vincit, fundit, fugatque Anglos. Elle s’empare ensuite de Meung, Beaugency, Jargeau, où elle vainc les Anglais, les disperse et les met en fuite. Ad 60Patacum in Belsia signis collatis Anglorum exercitum profligat, Joannem Talbotum Summum Ducem cum aliis multis capit interfectis compluribus. À Patay, en Beauce, au cours d’une bataille rangée, elle porte un coup fatal à l’armée anglaise, capture Jean Talbot, leur général en chef, ainsi que de nombreux autres, et en tue un grand nombre.

Carolus VII. Remos perductus coronatur. Charles VII, conduit à Reims, y est couronné

Dehinc Altissiodorenses, fanum Florentii, Tricasses, Cathalaunosque, recipit, Regemque Carolum Remos ad sacram unctionem perducit : quam ubi ab Reginaldo loci Pontif. [Pontifice] mense Julio accepisset, statim veluti altera Pentefilea aut Semiramis Velliacum, Privinum, Laudunum, Augustam Suessionum, Briæ castella et oppida, Crespiacum, Compendium, Cæsaromagum Bellovacorum victis pulsisque hostibus recipit. De là, elle reprend Auxerre, Saint-Florentin, Troyes et Châlons ; elle conduit le roi Charles à Reims pour l’onction sacrée, qu’il reçoit de l’archevêque Regnault au mois de juillet ; dans la foulée, telle une nouvelle Penthésilée ou Sémiramis, elle reprend aux ennemis vaincus et chassés Vailly, Provins, Laon, Soissons, les places fortes de la Brie, ainsi que Crécy, Compiègne et Beauvais.

Duces Joannæ auxiliares. Les compagnons d’armes de Jeanne

Ad hæc autem perficienda socii adjutoresque illi fuere Rex ipse Carolus, Carolus item Dux Borbonii, Arturus M. equitum, quanquam hic Remis non aderat, Joannes Alenconius, Stephanus Hyrus, Poton Santralla, Joannes Aureliensis nothus, Reginaldus Pontifex Remorum idem Cancellarius Galliæ, Vindocinensis, Lavallus, Ambrosius Lora, Renatus Barensis, Gaucuria, Gravilla, Carolus Alebretus, et quidam alii. Pour accomplir ces exploits elle eut pour compagnons et soutiens le roi Charles lui-même, le duc Charles de Bourbon, le connétable Arthur [de Richemont], bien qu’il ne fût pas présent à Reims, Jean d’Alençon, Étienne La Hire, Poton de Xaintrailles, Jean, bâtard d’Orléans, Regnault, archevêque de Reims, également chancelier de France, Vendôme, Laval, Ambroise de Loré, René de Bar, Gaucourt, Graville, Charles d’Albret et quelques autres. Henricus 61Cardinalis Angliæ collectum pugnatorum numerum in Boemiam ducendum, in Galliam adduxit auxilio suis Anglis. Henri, cardinal d’Angleterre, mena en France, au secours de ses compatriotes anglais, les troupes qu’il avait rassemblées pour être envoyées en Bohême.

Joanna Burgundos vincere nequit. Jeanne ne peut vaincre les Bourguignons

Silvanetum [Silvanectum] puella tentat, sed propter vires Burgundorum a pugna abstinet, non enim eadem illi fœlicitas erat contra Burgundos qua contra Anglos ; unde quidam. Anglos (inquit) vicit, Burgundos vincere nequivit. La Pucelle tente de prendre Senlis, mais s’abstient de combattre devant la puissance des Bourguignons ; car elle n’avait pas contre eux la même fortune que contre les Anglais, en sorte que certains disaient : Elle a vaincu les Anglais, mais elle n’a pas pu vaincre les Bourguignons. Sylvanetum tuebantur præter Anglos Joannes Villerius Adameus, Joannes Croiacus, Joannes Crequiacus, Antonius Betuniensis, Joannes Fossella, Hugo Alnetanus, Joannes Alnetanus, Simon Lalanus, Savosius cum septingentis equitibus. Outre les Anglais, Senlis était défendue Jean de Villiers de L’Isle-Adam, Jean de Croÿ, Jean de Créquy, Antoine de Béthune, Jean le Fosseux, Hugues d’Aulnay, Jean d’Aulnay, Simon de Lalaing et Saveuse avec sept cents cavaliers. Dubia Joanna, nunc pugnandum, nunc non pugnandum suasit. Jeanne, indécise, conseillait tantôt de combattre, tantôt de ne pas combattre. Trecenti circiter levibus præliis interierunt, et ita discessum. Environ trois cents périrent dans de petites escarmouches, et l’on se sépara. Sed de puella Synchronum puellæ scriptorem audiamus loquentem. Mais écoutons plutôt un chroniqueur contemporain de la Pucelle à son sujet.

Anonymus de Puella. Auteur anonyme sur la Pucelle

Ductu (inquit) Puellæ Franci victoria potiuntur, et Glassidas Dux Anglorum submergitur in aquis Ligeris, ex turri in profluentem salire coactus ardente turri. Sous la conduite de la Pucelle, — dit-il, — les Français remportent la victoire ; Glasdale, capitaine anglais, est contraint de se jeter d’une tour en flammes dans le fleuve et disparaît englouti par les eaux de la Loire. Ductu Joannæ puellæ Francus unus mille 62fugavit Anglos, et duo fugaverunt decem millia. Sous la conduite de Jeanne la Pucelle, un Français put mettre en fuite mille Anglais, et deux en mettre dix mille en fuite. Dei voluntas erat victoriam ponere in sexu fragili. C’était la volonté de Dieu de placer la victoire dans le sexe faible. Castra hostium expugnata, turres fractæ, Sagittæ Anglorum nihil non ante penetrantes, retusa acie nihil amplius potuerunt. Les camps ennemis furent pris d’assaut, leurs tours abattues ; les flèches anglaises, que rien n’arrêtait jusque-là, furent comme émoussées et ne purent plus rien. Repente fortunæ immutatus cursus, Francorum res quæ hactenus dejectæ, prostratæ ac miserrimæ erant, erectæ protinus sunt, affulsitque divinitus fœlicitas. Le cours de la fortune s’était soudain renversé : la situation des Français, jusque-là abattus, écrasés et plongés dans la misère, s’était redressée d’un coup ; la félicité divine leur avait été accordée. Anglorum vero res hactenus secundissima retro dilabi cœperunt. Quant à la situation des Anglais, jusque-là des plus favorables, elle commença à se dégrader.

Nomen Joannæ Anglis formidabile. Le nom de Jeanne, redouté des Anglais

Tantus solo Puellæ nomine eorum animis incessit pavor, ut magno eorum plurimi firmarent Sacramento, quod solo audito ejus nomine, aut signis ejus conspectis, vires animumque perderent, ita ut nec arcus tendere, nec jacula ulla mittere valerent, nec ferire hostem (ut soliti erant) haberent potestatem. Le seul nom de la Pucelle emplissait les Anglais d’un tel effroi que beaucoup d’entre eux témoignèrent sous serment qu’à la seule mention de son nom, ou à la vue de son étendard, leurs forces et leur courage s’évanouissaient, les rendant incapables de tendre leurs arcs, de lancer leurs javelots, ni même de frapper l’ennemi (comme ils en avaient l’habitude). Mirabilis Deus in Sanctis suis. Le merveilleux de Dieu se manifeste par ses saints. Joannes nothus Aureliensis idem Comes Dunensis in Carnutibus, et Joanna Puella Duces præcipui omnibus in rebus et bellis erant. Jean, le bâtard d’Orléans, qui sera fait comte de Dunois à Chartres, et Jeanne la Pucelle, étaient les principaux chefs pour tout ce qui concernait les affaires et la guerre. Angli omnibus locis excussi, fusi, fugati, cæsi. De partout les Anglais sont chassés, dispersés, mis en fuite ou taillés en pièces. Carolus Rex puellæ ductu 63Remis inunctus et coronatus. Le roi Charles, sous la conduite de la Pucelle, est sacré et couronné à Reims. Trecis Regem honorifice suscepit Joannes acutus Episcopus loci laudatissimus. À Troyes, le roi est accueilli avec les plus grands honneurs par l’évêque du lieu, Jean Lesguisé. Remi, Cathalaunum, Compendium, Bellovacum, Laudunum, Suessiones, Senones, Carnutes, aliaque civitates et populi pulsis Anglis in fidem redeunt sola Dei gratia et benignitate. Reims, Châlons, Compiègne, Beauvais, Laon, Soissons, Sens, Chartres et d’autres cités et populations, après avoir chassé les Anglais, reviennent à son obéissance, par la seule grâce et bienveillance de Dieu.

Hæc ille. Et paulo post idem Meierus. Ainsi s’exprime-t-il. Plus loin, le même Meyer poursuit :

Oppugnatur Lutetia a Puella. Assaut de Paris par la Pucelle

Puella capto fano Dionysii, urbem regiam, hoc est, Lutetiam Parisiorum oppugnat. Après avoir pris Saint-Denis, la Pucelle donne l’assaut à la ville royale, c’est-à-dire Paris. Præfectus tum urbis erat loco Bethfordii in Normannia occupati Ludovicus Luceburgius Episcopus Morinorum, sed carnalis magnusque Satrapa, quem, et Anglorum factio Cancellarium sibi crearat. En remplacement du duc de Bedford, alors occupé en Normandie, le gouverneur de la ville était Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, un homme porté aux plaisirs et à la magnificence, que la faction anglaise s’était choisi comme chancelier. Simul præsidio ibi erant ex nobilitate Philippi Joannes Crequiacus, Joannes Villerius, Simon Lalanus, et Joannes a bona Valle. Parmi les défenseurs se trouvaient également des nobles de Philippe [le Bon] : Jean de Créquy, Jean de Villiers, Simon de Lalaing et Jean de Bonneval. Pugnatum egregie per horas quatuor ad portam Divi Honorati, sed Puella in crure vulnerata postquam bene multos ex suis amisisset ad fanum Dionysii se recepit. On combattit vaillamment pendant quatre heures à la porte Saint-Honoré, mais la Pucelle, blessée à la cuisse et après avoir perdu beaucoup des siens, se retira à Saint-Denis. Anno sequente Puella invadit Anglos ad locum 64cui nomen Pons Episcopi, cadunt Angli XXX. et Galli aliquot. L’année suivante, la Pucelle attaque les Anglais près d’un lieu nommé Pont-l’Évêque, où trente Anglais tombent, ainsi que plusieurs Français. Joannes Brimæus captus a Potone Santralla et magno redemptus. Jean de Brimeu est capturé par Poton de Xaintrailles et libéré contre une forte rançon.

Franciscus Atrebas securi percutitur a puella. Franquet d’Arras, frappé à la hache par la Pucelle

Puella haud procul latiniaco ad amnem Matronam capit Franciscum Atrebatem dictum fortissimum Burgundicæ partis virum, quem interfectis multis Burgundis securi percussit. Non loin de Lagny-sur-Marne, la Pucelle capture Franquet d’Arras, un homme réputé comme l’un des plus vaillants du parti bourguignon, qu’elle frappa de sa hache après avoir tué de nombreux Bourguignons. Eum virum maxime plangebant Burgundi, cœperuntque ob eam rem puellam magis odisse. Les Bourguignons pleurèrent beaucoup cet homme, et se mirent à en haïr davantage la Pucelle. Et pridie feriarum ascensionis Dominicæ quæ tum incidit in IX. Calendas Junias hora quinta pomeridiana, Joanna Puella et Poton Santralla cum quingentis circiter pugnatoribus ex Compendio erumpunt ut apud Mariniacum obruant Bodonem Noiellam : sed Angli et Joannes Lucemburgius qui cum cohortibus suis non procul aberant, fortiter Bodoni accurrunt auxilio. La veille des fêtes de l’Ascension, soit le 24 mai, à cinq heures de l’après-midi, Jeanne la Pucelle et Poton de Xaintrailles s’élancent hors de Compiègne avec environ cinq cents combattants pour surprendre Baudouin de Noyelle à Marigny : mais les Anglais et Jean de Luxembourg, qui se trouvaient non loin avec leurs troupes, accourent rapidement au secours de Baudoin. Pugnatum est acriter apud Clariacum ; sed Galli cum crescentem hostium suorum numerum perferre nequirent, Compendium se recipiunt. La bataille fait rage près de Clairoix ; mais les Français, ne pouvant soutenir le nombre croissant de leurs ennemis, se retirent dans Compiègne.

Puella capitur a Burgundis. La Pucelle est capturée par les Bourguignons

Burgundiones propter necem Francisci Atrebatis puellæ magis infesti acriter insequuntur 65illamque suos ante se ducentem priusquam pervenire posset in oppidum equo dejectam capiunt, ductamque Mariniacum tradunt suo Duci Joanni Lucemburgensi, qui primum apud bellum locum, dehinc in arce Belloravorio diu illam tenuit captivam. En raison de la mort de Franquet d’Arras, les Bourguignons poursuivent la Pucelle avec davantage de fureur ; et, alors qu’elle menait les siens devant elle, ils la font chuter de cheval et la capturent avant qu’elle n’ait pu atteindre la ville ; puis, l’ayant conduite à Margny, ils la livrent à leur chef, Jean de Luxembourg, qui la maintint prisonnière d’abord près du champ de bataille, puis plus longtemps au château de Beaurevoir. Memorant quidam ab Gulielmo Flaviacensi oppidi præfecto hostibus venditam, eamque proditionem suam statim secuturam mortem puellam prædixisse confirmant. Certains rapportent qu’elle fut vendue aux ennemis par Guillaume de Flavy, gouverneur de la ville, et ils affirment que la Pucelle avait prédit que sa trahison serait bientôt suivie de sa mort.

Sed de ipsius innocentia nos cum Meyero atque aliis postea dicemus. Mais nous parlerons plus tard, avec Meyer et d’autres, de son innocence.

XI.
Robertus Gaguinus Robert Gaguin

Quo in citandis testibus progredior longius, eo me consilii mei minus pœnitet ; adeo singuli aut addunt aliquid aliis non dictum, aut ab his dictum, fide et diligentia sua confirmant ; cuncti certe una positi, mirificum omnium hujus historiæ partium concentum faciunt. Plus j’avance dans la citation des témoins, moins je regrette mon choix ; chacun d’eux, en effet, ajoute quelque chose que les autres n’ont pas dit, ou bien confirme par sa sa bonne foi et son exactitude ce qu’ils ont dit ; et tous ensemble, assurément, forment un merveilleux concert de toutes les parties de cette histoire. Ac quorum authorum jam testimonia posui, eis quanquam videbatur nihil addi posse, tamen quem illis subjicio multa habuit historicus et gravis et diligens, quæ eruta ex optimis 66antiquitatis monumentis facta et consilia iis adjiceret. Et bien qu’il semblât qu’on ne pût rien ajouter aux auteurs dont je viens de citer les témoignages, celui que je leur adjoins ici, un historien sérieux et consciencieux, leur apporte de nombreux faits et commentaires, tirés des meilleures sources anciennes. Is est Robertus Gaguynus Ordinis sanctæ Trinitatis minister generalis, cujus in historia Caroli VII. est hæc oratio. Il s’agit de Robert Gaguin, ministre général de l’ordre des Trinitaires, dont voici un passage de son histoire de Charles VII.

Erat illis diebus apud Vallicolorem annos viginti nata Johanna quæ patre Jacobo Darco : matre Isabella in vico Dampremo genita, ob corporis perpetuam integritatem Puellæ appellationem obtinuit. En ce temps-là vivait Jeanne, près de Vaucouleurs, âgée de vingt ans, de père Jacques d’Arc et de mère Isabelle, du village de Domrémy, et que l’on appelait la Pucelle pour avoir toujours conservé son intégrité physique. Ea rerum præsentium adversitatibus Deo authore compatiens : Robertum Baudricurtum oppidi præfectum : aliosque complures præsidii equites duce avunculo suo crebro adibat : eos admonens ut ad Carolum eam deducerent allaturam rebus desperatis non minimam opem. Compatissant aux malheurs présents voulus par Dieu, elle se rendait fréquemment, accompagnée de son oncle, auprès de Robert de Baudricourt, gouverneur de la place, et de plusieurs autres chevaliers de la garnison, les exhortant à la mener à Charles, à qui elle apporterait une aide non négligeable dans sa situation désespérée. Mulierem Baudricurtus parvi a se æstimatam iterum atque iterum aspernatus : perseverantem demum exaudivit : datisque puellæ corporis custodibus eam ad Regem duci jubet. Baudricourt, après avoir repoussé encore et encore cette femme qu’il estimait peu, finit par céder devant sa persévérance ; et, après avoir donné des gardes du corps à la Pucelle, il ordonna qu’elle soit conduite auprès du roi.

Joannæ puellæ ad Carolum adventus. L’arrivée de Jeanne la Pucelle auprès de Charles

Ad Carolum veniens puella : tametsi nullo illum tempore vidisset : ipseque cæteris aulicis veste minus ornatus ex industria esset : reverenter tamen atque urbane Regem intuita : salve inquit 67generosissime Rex detque vitam tibi prosperam Deus. En arrivant auprès de Charles, la Pucelle, bien qu’elle ne l’eût jamais vu et que lui-même eût pris soin de s’habiller plus simplement que les autres courtisans, le considéra avec respect et courtoisie et dit : Salut, très noble roi, que Dieu t’accorde une vie prospère. Cui cum se Regem esse Carolus pernegasset : ab inquit Puella : tu ipse Rex es Francorum nobilissimus. Charles eut beau nier être le roi, la Pucelle répliqua : C’est toi, le très noble roi des Francs. Ad hæc verba spem cepit Rex cujuspiam fortunæ melioris. À ces mots, le Roi conçut l’espoir d’une fortune meilleure. Itaque selectis prudentibus aliquot viris qui eam diligentius probarent : illa se ideo venisse constanter affirmat ut Carolum in regnum restituat : Deum ita decrevisse : ut se duce Aurelianenses obsidione liberentur : et Angli Francia tandem extrudantur : perducturam se Carolum ad Remos : ubi more majorum sacra unctione linatur : de quibus omnibus oracula divinitus accepisset. Et devant plusieurs hommes expérimentés, choisis pour l’examiner avec plus de soin, elle affirme avec constance être venue pour rétablir Charles dans son royaume, ainsi que Dieu en avait décidé ; pour que, sous son commandement, les Orléanais soient délivrés du siège et les Anglais finalement chassés ; qu’elle conduira Charles à Reims où il sera sacré selon la coutume de ses ancêtres ; et qu’elle tenait tout cela de révélations divines. Tantum copiis opus esse quas illi ducendas Carolus committat. Il ne lui fallait plus que des troupes dont Charles lui confierait le commandement. Et dum de aliis arduis et ad religionem Christianam pertinentibus multa accurate rogaretur : supra fœmina sensum respondebat. Et lorsqu’on l’interrogea en détail sur d’autres sujets difficiles concernant la religion chrétienne, elle répondait au-delà de ce qu’on attend d’une femme. Sive enim de divinitate sive de bello quæreretur : non muliebriter sed scite : et quasi perita loquebatur, ita ut mulier admirationi esset multis. En effet, qu’on la questionnât sur la divinité ou sur la guerre, elle répondait non pas comme une femme, mais avec entendement et comme une experte, si bien que cette femme suscitait l’admiration de beaucoup. Perpenso igitur consilio visum est optimum factu esse : si auspicio ejus Carolus ad bellum 68uteretur. Après mûre délibération, il fut jugé que le mieux était que Charles plaçât la guerre sous son auspice. De importando Aureliam commeatu primum mandatum Puella accepit : quam Rayus et Delorus aureæ militiæ equites valida armatorum manu stipati comitabantur. La Pucelle reçut d’abord la mission d’acheminer des vivres à Orléans ; elle était accompagnée par [Gilles de] Rais et [Ambroise] de Loré, chevaliers de l’armée d’or [maréchaux de France], escortés par une troupe de soldats bien armés. Profectis Blesam obvii adveniunt Reginaldus Chartus Remorum Pontifex Franciæ Cancellarius : Aurelianensis nothus : Stephanus Hyrus : aliique non pauci electi milites. Lors de leur départ vers Blois, ils sont rejoints par Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier de France, le bâtard d’Orléans, Étienne La Hire, et de nombreux autres chevaliers triés sur le volet. Commeatu curribus imposito et milite instructo : ex Blesis per Solonam Johanna movet. Après avoir chargé les vivres sur des chariots et rassemblé les soldats, Jeanne part de Blois par la Sologne. Atque postridie Aurelianum versus progreditur. Le lendemain, elle s’approche d’Orléans.

Joannæ gladius. L’épée de Jeanne

Utebatur Puella in expeditionibus gladio, quem hoc modo nacta erat. Au cours de ses campagnes, la Pucelle se servait d’une épée qu’elle avait obtenue de la manière suivante. Est templum in agro Turonensi divæ Catharinæ dicatum : genti regionis illius plurimum venerabile ubi donaria plurima atque vetustissima visuntur. Il y a, dans les environs de Tours, une petite chapelle dédiée à sainte Catherine ; très vénérée par les habitants de la région, on y voit de très nombreuses et très anciennes offrandes. In eo templo antiquum ensem inter sacras oblationes utraque parte liliis insculptum extare Carolo Johanna patefacit : petens ut misso ad templum armorum fabro gladium illi dono perferat. Jeanne révèle à Charles que, dans cette chapelle, parmi les offrandes sacrées, se trouve une épée marquée de fleurs de lys des deux côtés, et elle demande qu’un armurier soit envoyé à la chapelle pour que l’épée lui soit rapportée comme présent. Admiratus Carolus si templum illud aliquando Johanna invisisset, percontatur mulierem qualiter 69id norit. Étonné, Charles demande à Jeanne si elle a déjà visité cette chapelle et comment elle sait tout cela. Neque inquit Puella locum novi, neque humano ad hoc authore usa sum, Deus est qui revelavit. Je ne connais pas ce lieu, dit la Pucelle, ni ne tiens cela d’un intermédiaire humain : c’est Dieu qui me l’a révélé. Mittit Rex opificem qui inventum ad se gladium ferat. Le roi dépêche un artisan afin qu’il lui rapporte l’épée décrite. Profectus ad templum faber ensem inter squalentia alia arma rubiginosum ad Carolum perfert. L’armurier parti pour la chapelle rapporte à Charles une épée rouillée, trouvée parmi d’autres armes abandonnées. Quo mox Johannam Rex donavit. Peu après, le roi en fit don à Jeanne. Sed de Anglis orationem persequamur. Mais poursuivons notre récit du côté Anglais.

Angli qui ad propugnaculum sancti Johannis Blanci erant Francos venire audientes loco deserto ad Fratrum Augustinensium ædes quæ ad extremum pontem in Divi Laurentii suburbio spectant, se receperunt. Apprenant l’arrivée des Français, les Anglais qui occupaient la bastille de Saint-Jean-le-Blanc évacuèrent la place pour le couvent des Augustins, situé à l’extrémité du pont dans le faubourg Saint-Laurent. Puella vero per medios hostes flumine trajecto, quem vehebat commeatum in urbem importavit. La Pucelle, quant à elle, ayant traversé le fleuve sous le nez des ennemis, fit entrer dans la ville le convoi qu’elle escortait. At quandoquidem victualia tenuia erant, Rayus et Delorus cum suis Blesam remeantes civitatis periculu Cancellario narrant : cui nisi succurratur venturam esse in hostium potestatem. Mais, comme les vivres étaient insuffisants, Rais et Loré, de retour à Blois avec leurs hommes, font part au chancelier du danger menaçant la ville, qui, si elle n’est pas rapidement secourue, tombera sous le pouvoir de l’ennemi. Et Johannes Aurelianensis nothus magnopere orabat laborantibus civibus suppetiatum iri. Et Jean, le bâtard d’Orléans, suppliait que du secours fût accordé aux habitants à bout de forces. Stetit omnium sententia copiosissimum commeatum ad obsessos ferre et iter facere per 70Belsiam qua parte obsidio civitatem magis urgebat. Il fut décidé à l’unanimité d’acheminer un important convoi de vivres aux assiégés et de faire route par la Beauce, là où le siège pesait le plus lourdement sur la ville. Copiis igitur vecturisque rite ad iter ordinatis, Franci (dimidia quæ est inter Blesam Aurelianumque via confecta) castra ponentes restiterunt : se suaque corpora curantes. Les vivres et les chariots ayant été préparés pour la route, les Français (après avoir parcouru la moitié du chemin entre Blois et Orléans) firent halte pour dresser leur camp et se restaurer. Crastino diluculo insequentis diei cum ad duo passuum millia civitati successissent, Johanna assumptis aliquot cum valida manu præfectis urbe egressa : venientibus obviam pergit : atque ita exercitibus conjunctis cum Franci inferiores hoste non essent : in conspectu Anglorum prætereuntes in civitatem recepti sunt. Au matin du jour suivant, quand ils ne furent plus qu’à deux milles de la cité, Jeanne prit avec elle quelques capitaines et une forte escorte et sortit de la ville pour aller à leur rencontre ; les deux armées ainsi réunies, et comme les Français ne sont pas moins nombreux que l’ennemi, c’est sous les yeux des Anglais qu’ils font leur retour dans la ville. Victualibus civitate confortata Johanna armis egregie instructa ad propugnaculum quod sancti Lupi appellabatur, movens Anglos qui in eo erant potenter oppugnat atque vincit : nemine superstite qui vel occisus vel captus non fuerit. La ville ayant été ravitaillée, Jeanne, brillamment équipée, marcha sur la bastille appelée Saint-Loup ; elle attaqua vigoureusement les Anglais qui s’y trouvaient et les écrasa : pas un seul n’en réchappa qui n’eût été tué ou fait prisonnier. Hæc cum in conspectu majoris propugnaculi gererentur : tentavere hostes eruptionem facere et suis auxiliari : sed mox in propugnaculum se receperunt. Cela étant visible depuis leur bastille principale, les ennemis tentèrent une sortie pour secourir les leurs, mais se replièrent aussitôt dans la bastille. Franci propugnaculo dissoluto postquam in urbem rediere multis coitionibus clam habitis an 71Londonias propugnaculum oppugnatum irent : communicato tandem cum Johanna consilio, illa succensens ; nihil me inquit proceres celaveritis, potis sum hæc et majora animo condita meo silere : tacuerant siquidem Proceres ne muliebri levitate res in valgum prodiret : quod propugnaculum oppugnandum simularent : ut Anglos qui Salonam versus in obsidione erant, in alteram Ligeris ripam allicerent dum suis auxilio venire festinarent : quibus a sua sessione moventibus Franci eorum stationes occuparent. Après avoir rasé la bastille et regagné la ville, les Français tinrent plusieurs réunions secrètes pour décider s’ils devaient attaquer la bastille Londres ; finalement consultée, Jeanne, indignée, s’écria : Ne me cachez rien, mes seigneurs ! je suis capable de garder secrètes ces choses-là et de plus graves encore. En effet les grands ne lui avaient rien dit, de peur que par légèreté féminine leur plan ne soit divulgué ; ils comptaient feindre d’attaquer la bastille, pour attirer les Anglais postés du côté de la Sologne sur l’autre rive de la Loire, et tandis qu’ils se hâteraient au secours des leurs, les Français s’empareraient des positions qu’ils auraient abandonnées. Nec iram Johanna posuit : donec Joannes Aurelianus nothus id quod consilio definitum esset illi enarravit. Jeanne ne calma sa colère que lorsque Jean, le bâtard d’Orléans, lui eut expliqué la décision prise en conseil. Cognito decreto sententiam inquit Puella laudo si opus revera assit. Après avoir pris connaissance de la décision, la Pucelle déclara : J’approuve ce plan, s’il est vraiment nécessaire. Nam cum cordata esset et confidens Deo mulier : multa que a Præfectis de bello consulebantur improbabat : nihil obsidionis tempore sinistre aut infœliciter gerens. Car cette femme, sage et confiante en Dieu, désapprouvait bien des plans décidés par les chefs de guerre, mais sans jamais, durant tout le siège, entreprendre quoi que ce soit de funeste ou de malheureux. Aderat enim præliantibus suis armis instructa : equo usa potenti et animoso : in quem expedite instar expediti militis conscendebat. Et elle était présente aux combats, armée de toutes pièces, montant un cheval puissant et fougueux, qu’elle maniait avec autant d’aisance qu’un soldat aguerri. Igitur multa animo 72cogitans ; operæ pretium censet si hostem invadat qui ad extremum pontem sancti Laurentii suburbana sedebat : erant in flumine naves non pauca muris civitatis deligatæ : in eis multo milite imposito Ligerim transmittit, copiasque in continentem exponit : insultum factura in hostem. Ayant longuement réfléchi, elle jugea utile d’attaquer l’ennemi posté à l’extrémité du pont du faubourg Saint-Laurent ; des bateaux en nombre étaient amarrés aux murs de la ville ; elle y embarqua de nombreux soldats, les fit traverser la Loire, et débarqua ses troupes sur l’autre rive, prêtes à fondre sur l’ennemi. Pugnatum illic est donec occumbente fere Sole receptui signum Puella dat : regredientes in naves Francos Anglos adoritur. On combattit jusqu’au coucher du soleil, quand la Pucelle donne le signal de la retraite ; et tandis que les Français se replient vers les bateaux, elle charge les Anglais. Eam ob rem Puella suos cohortat a hosti restitit : propulsatque persequens eum usque ad Augustinensium ædes : quas licet Anglus munitissimas fecisset : captas tamen fugato hoste Franci occupaverunt. Ce faisant, la Pucelle exhorte les siens à résister à l’ennemi, le repousse, et le poursuit jusqu’au couvent des Augustins, qu’en dépit de ses solides fortifications par les Anglais, les Français prirent après avoir mis l’ennemi en fuite. Erat ad eum quem dixi pontem proxime Augustinenses turris ex quadrato lapide cum propugnaculo et fossa : in eo loco fugiens Anglus se recepit. Près du pont dont j’ai parlé, il y avait une tour en pierre de taille avec une bastille et un fossé, où les Anglais en fuite se retranchèrent. Ubi excubias continua nocte habens Joanna cum illuxisset propugnaculum oppugnare jubet : afferens tempus proxime adesse cum Anglus vincendus atque regno expellendus erat. Après avoir fait monter la garde devant la bastille toute la nuit, Jeanne fit donner l’assaut à l’aube, déclarant que l’heure était proche où l’Anglais serait vaincu et chassé du royaume. Dum hinc Francus instat : illinc hostis acriter se tuetur : Joanna in humero scorpione 73ex propugnaculo misso vulneratur : quo vulnere neque tristior neque negligentior fuit : stans continenter ad fossæ labrum et militem fortiter agere admonens. Alors les Français attaquaient d’un côté et que l’ennemi se défendait vigoureusement de l’autre, Jeanne est blessée à l’épaule par un carreau d’arbalète tiré de la bastille ; ni affligée par la blessure, ni moins active, elle reste au bord du fossé, exhortant sans relâche les soldats à combattre vaillamment. Continuata obsidione cum advesperasceret : Francus in fossam omnibus partibus dilapsus in propugnaculum scandens vi expugnat : quadringentis Anglis interemptis : cum præfectis tribus Mollino, Joanne Pommaro, et Guillermo Glassida. L’assaut se poursuivait alors que le soir tombait ; les Français s’étant répandus de toutes parts dans le fossé, escaladent la bastille et la prennent de force ; quatre cents Anglais périrent, dont trois commandants : [William] Moleyns, John Poynings et William Glasdale. Cæteri omnes capti in potestatem venere Francorum. Tous les autres finirent prisonniers aux mains des Français. Hæc a Joanna gesta, hostis qui Belsiam versus grande propugnaculum habebat prospicere facile poterat. Ces actions menées par Jeanne étaient parfaitement visibles pour l’ennemi, qui tenait une importante bastille du côté de la Beauce. Casu igitur suorum perterriti hostes postquam ab urbe campanas toto classico velut in communi lætitia pulsari exaudiunt : mane facto Magdunum (deserta obsidione) confugiunt. Effrayés par le sort des leurs et entendant les cloches de la ville sonner à toute volée comme pour une liesse générale, les ennemis, au petit matin, lèvent le siège et s’enfuient vers Meung. Ad hunc modum dissoluta obsidio est, et civitas ab hostis potestate erepta : quod maximum momentum ad Caroli fortunam fuit. C’est ainsi que le siège fut levé et la cité arrachée au pouvoir de l’ennemi ; ce qui constitua un tournant majeur pour la fortune de Charles. Tallebotus autem ægre ferens se Aurelianensi circunvallatione [circumvallatione] frustratum damnum compensaturus Lavallum aggreditur arcem 74oppidumque nocturno furto invadens. Talbot, aigri par l’échec du siège d’Orléans et décidé à compenser la perte, marche vers Laval et s’empare de la forteresse et de la ville lors d’une attaque nocturne. Cepit ibidem Lavallum comitem : quem donec quinque et viginti scutorum millia illi exsolvisset in vinculis habuit. Il y fit prisonnier le comte de Laval, qu’il retint en captivité jusqu’à ce que celui-ci lui eût versé vingt-cinq mille écus de rançon. Interim Joanna Carolum Regem sollicitat majores copias cogere et sibi recuperare quæ in agro Aurelianensi ab hoste occupabantur. Pendant ce temps, Jeanne presse le roi Charles de rassembler des troupes plus nombreuses et de la laisser récupérer les positions que l’ennemi occupait dans la campagne orléanaise. Vocato propterea ad se Alenconii duce Carolus Gergeum petere. C’est pourquoi Charles, ayant fait appeler le duc d’Alençon, décida de marcher sur Jargeau. Adfuerunt mox Joannes Aurelianensis nothus : Boussacus Marescallus, Gravilla, Culantus Admiraldus : Ambrosius Delorus, Vignolus Hyrus, et Guillermus Brussacus, qui tametsi stipendio regio non juvarentur, visendæ tamen Joanna causa quam divinitus missam arbitrabantur : militare non recusabant. On vit bientôt arriver Jean, le bâtard d’Orléans, le maréchal de Boussac, Graville, l’amiral de Culant, Ambroise de Loré, Vignolles La Hire et Guillaume de Boussac, qui, bien que non soutenus par la solde royale, n’hésitèrent pas à servir, voulant voir Jeanne qu’ils croyaient envoyée par Dieu. Itaque Gergeum Præfecti oppidum post octavum obsidionis diem expugnant. Après huit jours de siège, les chefs prennent Jargeau. Nec multis interpositis post diebus Magdunum auctis copiis Carolo jubente moventes : pontem cum turri capiunt : positoque præsidio, Bogentium protinus contendere. Quelques jours plus tard, sur l’ordre de Charles, ils marchent sur Meung avec des renforts ; ils s’emparent du pont avec sa tour, et après y avoir placé une garnison, marchent droit sur Beaugency. Audito Francorum adventu Angli relicto oppido in arcem quæ est ad pontem supra Ligerim amnem 75confugiunt : quam (dimissis libere abire Anglis) Franci receperunt. Apprenant l’arrivée des Français, les Anglais abandonnent la ville pour se réfugier dans la forteresse située près du pont sur la Loire, que les Français reprirent (après avoir laissé les Anglais partir librement). Recepta arce rumor per Francorum castra increbuit Tallebotum et Joannem Fastolum cum quinque Anglorum millibus apud Jenvillam in Belsia visos esse, qui Magdunum proficiscerentur. La forteresse prise, une rumeur se répandit dans le camp français : Talbot et John Fastolf avaient été vus près de Janville en Beauce, à la tête de cinq mille Anglais, et s’avançaient vers Meung. Missis exploratoribus postquam id verum esse Franci cognoverunt : composito agmine in hostem movent, et apud Patayum propter templum quod illic munitissimum erat castra metantur. Les éclaireurs envoyés l’ayant confirmé, les Français en ordre de marche vont à la rencontre de l’ennemi et dressent leur camp près de Patay, à côté d’une église puissamment fortifiée. Stabant in excubiis Belmanorus, Ambrosius Delorus, Hyrus, Potonusque hostis adventum explorantes. Beaumanoir, Ambroise de Loré, La Hire et Poton [de Xaintrailles] montaient la garde, guettant l’arrivée de l’ennemi. Quos non longe cum justo exercitu sequebantur, Aleconius dux, Richemontus Connestabilis Vindocinensis comes ; Joannes Aurelianensis nothus et Joanna Puella. Ils étaient suivis de près par l’armée régulière, sous le commandement du duc d’Alençon, du connétable de Richemont, du comte de Vendôme, de Jean, le bâtard d’Orléans, et de Jeanne la Pucelle. Angli vero dum viam pergunt : conspectis Francis ad proximum nemus iter convertunt pugnandi locum sibi idoneum captantes. Les Anglais, qui poursuivaient leur route, aperçoivent soudain les Français et rebroussent chemin vers un bois voisin, cherchant un terrain plus favorable pour combattre. At qui in excubiis erant nullo se colligendi spatio hosti dato, prælium commisere ; ita ut equitatum omnem Anglorum in fugam coegerint, pedites quidem 76visa equitum fuga in nemus et viculum qui juxta erat dilapsi : nemoris beneficio ut quisque poterat se tuebantur. Mais ceux de la garde, sans laisser le temps à l’ennemi de se rallier, engagent le combat, mettant toute la cavalerie anglaise en déroute ; les fantassins voyant leurs cavaliers fuir, se dispersent dans le bois et le hameau voisin, chacun se protégeant comme il peut grâce aux arbres. Interim Alenconii Dux acie instructa advenit. C’est alors qu’entre en scène le duc d’Alençon avec ses troupes en ordre de bataille.

Anglorum cædes. Le massacre des Anglais

Tria Anglorum circiter millia hostium in ea pugna cecidere. Environ trois mille Anglais tombent dans la bataille.

Tallebotus capitur. Talbot est fait prisonnier

Captis ex Anglorum nobilitate cum Talleboto quamplurimis. Avec Talbot, de nombreux nobles anglais sont faits prisonniers. Tum in Caroli potestatem venit Jenvilla es alia quædam per Belsiam loca. Puis Janville et d’autres places de Beauce passent sous le pouvoir de Charles.

Initium consecrationis Caroli VII. Départ pour le sacre de Charles VII

Mense Junio insequentis anni qui fuit Christiana gratia quadringentesimus vigesimus nonus supramille : Joanna Puella Carolum conveniens : jam inquit Serenissime Rex hoste superior esse incipis. Au mois de juin suivant, de l’an de grâce 1429, Jeanne la Pucelle se présenta devant Charles et lui dit : Sérénissime Roi, tu es en passe de surpasser l’ennemi. Multas urbes atque arces ex Anglis ereptas tibi audientes videmus : nunc tuæ consecrationis tempus advenit : divinæ dignationi placet ad Rhemos proficiscaris, ubi more majorum sacra unctione delibutus dyadema suscipias. Nous voyons de nombreuses villes et forteresses, arrachées aux Anglais et rendues à ton obéissance ; voici venu le temps de ton sacre ; il plaît à la divine Providence que tu te rendes à Reims, où, suivant la coutume de tes ancêtres, tu seras oint de l’huile sainte avant de recevoir la couronne. Qua una re venerabilius Franco populo tuum nomen erit, et hosti formidabile. Par ce seul acte, ton nom sera plus vénérable pour le peuple français et plus redoutable pour l’ennemi. Nihil te perterreat quod Campania et reliquæ fere Belgæ omnes ab hoste tenentur : viam tibi propitiatore Deo parabimus, tantum copias contrahe, 77et Dei decretum exequamur. Ne t’effraie pas que la Champagne et presque toute la Belgique soient tenues par l’ennemi : avec l’aide de Dieu, nous te frayerons un chemin ; rassemble toutes tes forces, et accomplissons la volonté de Dieu. Hæc Joannæ verba spem omnibus magnam faciebant : propterea quod vitæ puritate puella præ se ferebat sanctitatem : et nihil muliebriter agebat aut loquebatur. Ces paroles de Jeanne inspiraient à tous une grande espérance, car la pucelle, par la pureté de sa vie, manifestait une sainteté évidente, et rien, dans ses actions ou ses paroles, ne semblait féminin. Enimvero sacerdotali confessione quaque fere hebdomade conscientiam purgabat : et divinam Eucharistiam desumebat. En vérité, chaque semaine ou presque, elle purifiait sa conscience par la confession sacramentelle et recevait la sainte Eucharistie. Igitur collecto apud Gyen non mediocri exercitu, Carolus Remos per Campaniam petere constituit : præmissa cum aliquot præfectis Joanna puella : qui obstantem forte hostem impedirent. Ainsi, après avoir rassemblé une armée considérable à Gien, Charles se résolut à marcher sur Reims à travers la Champagne, envoyant devant Jeanne la Pucelle et quelques capitaines, afin de contrer toute résistance ennemie. Proxime Antissiodorum Carolus cum venisset, prodiere illi obviam aliquot cives : sed in civitatem non admiserunt. Lorsque Charles arriva devant Auxerre, quelques citoyens vinrent à sa rencontre mais ne le laissèrent pas entrer dans la cité. Erat illis Trimolus qui multa apud Regem authoritate habebatur. Ils avaient pour eux La Trémoille, qui jouissait d’une autorité considérable auprès du Roi. Hunc ab Antissiodorensibus pecuniam accepisse constans fama fuit : ut illis liceret induciarum beneficio frui. Une rumeur tenace affirmait qu’il avait reçu de l’argent des Auxerrois, pour leur permettre de bénéficier d’une trêve. Itaque civitati nihil incomodatum est : cibos exercitui ministrantibus incolis : dum pretium solveretur. Ainsi, la ville ne subit aucun dommage : les habitants fournirent des vivres à l’armée, dont le prix fut payé. Præterita Antissiodoro : Carolus sanctum Florentinum recepit : oppidanis se libere dedentibus. Après avoir passé Auxerre, Charles obtint la reddition de Saint-Florentin, que les habitants livrèrent d’eux-même. Trecas 78inde profectus : post sextum diem quam illic desperata deditione sedisset. De là, il partit pour Troyes, où, après six jours de siège, on désespérait d’obtenir une reddition. Laboratum est in exercitu fame : ita ut plerique fabis triticeis spicis tantum milites vescerentur. La faim accablait l’armée au point que la plupart des soldats en étaient réduits à se nourrir de fèves et d’épis de blé. Rerum penuria cognita Carolus Primores exercitus ad concionem vocans petit quid ipsi faciendum esse censerent. Face à cette pénurie, Charles réunit ses principaux capitaines en conseil pour les consulter sur ce qu’il fallait faire. Nemo omnium fuit qui reducendum exercitum esse non diceret cum neque commeatus neque stipendium militi sufficeret. Pas un seul ne manqua de déclarer qu’il fallait battre en retraite, faute de ravitaillement et de solde pour les soldats. Unus tamen Robertus Massonus quanquam ab hac sententia non abhorreret, Vellem inquit Joannam de hac re audire : quæ enim præsentis expeditionis auctor fuit : ipsa suis consiliis paratum forte auxilium feret. Un seul cependant, Robert Le Maçon, sans pour autant rejeter cet avis, déclara : Je souhaiterais entendre Jeanne à ce sujet ; elle qui, par ses conseils, est à l’origine de l’expédition, pourrait bien nous apporter la solution. Igitur vocata Joanna rogataque sententiam, ad Carolum conversa : Si ego inquit, quod verum teneo eloquar : an mihi Rex credideris ? id cum secundo quæreret. Tibi inquit Rex si quod profuturum sit dicas credam. Jeanne fut donc appelée et invitée à donner son avis ; se tournant vers Charles, elle demanda : Si je dis ce que je tiens pour vrai, me croiras-tu, ô Roi ? Et comme elle posait la question une seconde fois, le roi répondit : Je te croirai si ce que tu dis est utile. Trecenses, inquit Puella, tui sunt, et intra proximum biduum se civitatemque tibi dedent. Les Troyens, dit la Pucelle, sont à toi ; et avant deux jours ils se rendront à toi avec leur ville. Credulus fœmina Rex stare loco copias jubet. Le roi choisit de croire cette femme et ordonna à ses troupes de se maintenir en place. At Joanna confestim equum 79inscendens quemque militem cogit, ea quæ ad oppugnationem necessaria erat ad muros importare. Mais Jeanne, sautant à cheval, ordonne à chaque soldat d’apporter aux pieds des murs ce qui était nécessaire pour une attaque. Quod animadvertentes Trecenses loci antistitem cum civibus aliquot : et militum quibusdam Præfectis ad Carolum legant : civitatem dedituros si miles Anglus inde abire cum iis quos captivos habebat libere permittatur. Voyant cela, les Troyens dépêchèrent vers Charles leur évêque, avec quelques citoyens et plusieurs chefs de guerre, leur offrant de livrer la ville à condition que les soldats anglais puissent partir librement avec leurs prisonniers. Conditione accepta : Rex postridie Trecas ingreditur. La condition acceptée, le roi fit son entrée à Troyes le lendemain. Egredientes urbe hostes Joanna captivos abducere vetat. Mais alors que les ennemis quittaient la ville, Jeanne leurs défend d’emmener les prisonniers. Quorum redemptionis pretium, ne fidei et posita cum hoste legi detraheret Rex exsolvit. Le roi, pour ne pas manquer à sa parole et à l’accord conclu avec l’ennemi, s’acquitte du prix de leur rançon. Ordinatis apud Trecas magistratibus, Cathalaunos petit, qui eum communi omnium lætitia excipientes ministros reipublica quos Carolus instituit admiserunt. Après avoir installé ses magistrats à Troyes, Charles se dirige vers Châlons dont les habitants, l’accueillant dans l’allégresse générale, acceptèrent les officiers publics qu’il avait nommés. Inde Remos qui Anglo parebant adoritur quos nulla vi recepit, lætis procul dubio civibus suum Regem excipere. De là, il marcha sur Reims, alors sous obéissance anglaise, qui se rendit sans résistance ; les citoyens étant certainement heureux de recevoir leur roi. Eo venere Dux Barrensis et Lotharingiæ : Commerciensis quoque Dominus non parvas copias ducentes, ut Regi inservirent. On vit alors arriver le duc de Bar et de Lorraine, ainsi que le seigneur de Commercy, tous deux à la tête de troupes considérables et venus se mettre au service du roi. Itaque Carolus et unctus et coronatus est a Reginaldo Chartrensi Remorum 80Antistite, assistente Puella quæ militare vexillum manu gerebat : nimirum exultans quod se una hortante Carolus regni dyadema et sacram unctionem loco celebri atque hujusmodi sacris multos per annos ad id muneris designato recepisset. Charles fut ainsi sacré et couronné par Regnault de Chartres, archevêque de Reims, en présence de la Pucelle, qui tenait à la main son étendard militaire ; elle devait exulter de voir que, par ses seuls encouragements, Charles avait enfin reçu la couronne du royaume et l’onction sacrée en ce lieu célèbre, consacré depuis tant d’années à cette cérémonie. Sacratione absoluta : relictis Remis Vellium iter agens oppido libere potitus est. Après le sacre, il quitta Reims et prit la route de Vailly, dont il s’empara sans résistance. Nec Suessiones signum ullum rebellionis ostenderunt. Les Soissonnais, non plus, ne montrèrent aucun signe de rébellion. Simili quoque modo per Briam nonnulla fortia loca fecere deditionem. Et de la même manière, plusieurs places fortes de la Brie firent leur soumission. Privino oppido cum Carolus ageret : Bethfortus cum duodecim armatorum millibus ex Parisiis ducens Corbollium accessit animo (ut ipse jactabat) pugna cum Carolo conferendi : id ubi Regi cognitum est, Privino discedes ad castellum cui Mota nomen est exercitum duxit, non ob aliam causam quam ut Anglo pugnandi faceret potestatem. Alors que Charles se trouvait à Provins, Bedford sortit de Paris à la tête de douze mille hommes d’armes et marcha sur Corbeil, avec l’intention (comme il s’en vantait lui-même) d’en découdre avec lui ; dès que le roi l’apprit, il quitta Provins pour un château appelé La Motte, sans autre raison que de donner à l’Anglais la possibilité de se battre. At Bethforto mens fuit Parisios repetendi. Mais Bedford préféra retourner à Paris. Constituerat Carolus Sequana amne trajecto Brayum proficisci promittentibus oppidanis transitum se concessuros. Charles, qui avait décidé de traverser la Seine, se mit en route pour Bray, où les habitants avaient promis de lui livrer passage. Sed Francis Anglisque concurrentibus eodem tempore ad 81ripam ut trajicerent : levi commisso prælio Carolus suos transire prohibuit. Mais Français et Anglais arrivèrent en même temps à la rive où l’on comptait traverser ; un léger combat s’engagea, et Charles empêcha les siens de de passer. Exactis post non multis diebus Castrumthiericum profectus : mox per Vallesium Crespeiumque præteriens : castra in campo juxta Dammartinum ponit ; spe animoque erectus Parisium recuperandi. Quelques jours plus tard, il part pour Château-Thierry, passe rapidement devant Crépy-en-Valois, et établit son camp dans une plaine près de Dammartin, plein d’espoir et de détermination de reprendre Paris. Cognito quod ad se Carolus adventaret Bethfortus ad vicum Mitriacum copias educit : sex a Danmarto millibus passuum distantem. En apprenant que Charles approchait, Bedford fait sortir ses troupes jusqu’au village de Mitry, situé à six milles de Dammartin. Ubi loco natura munitissimo militem continet. Là, il installe ses soldats dans un lieu naturellement très bien fortifié. Præmissis aliquot equitibus duce Stephano Hyro qui Anglos adequitarent : ubi rescivit hostem loci munitionibus considere : Carolus suos ultra progredi vetat. Après avoir envoyé quelques cavaliers sous les ordres d’Étienne La Hire pour reconnaître les positions anglaises, et découvert que l’ennemi s’était retranché derrière de solides défenses naturelles, Charles interdit aux siens d’avancer davantage. Bethfortus autem Parisium citissime reversus est : miserat per hos dies Carolus ad Compendium Belvacensesque nonnullos ex suis fidissimos exploratum quo in se animo incole essent : cognoveratque illos cupere maxime ab Anglorum servitute liberari : eique obtemperare qui verus Rex esset. Tandis que Bedford regagnait Paris en toute hâte, Charles avait dépêché quelques-uns de ses plus fidèles partisans à Compiègne et à Beauvais, sonder les dispositions des habitants ; ainsi avait-il appris que ceux-ci désiraient ardemment se libérer du joug anglais et obéir à celui qui était leur roi légitime. Proinde Baron Silvanectensis agri vicum ut Compendium peteret profectus : cognoscit Bethfortum 82majoribus copiis auctum in se ducere. En conséquence, il part en direction de Baron, un village dans la campagne de Senlis, en vue de gagner Compiègne, quand il apprend que Bedford marche contre lui avec de nombreux renforts. Patruelis siquidem Henrici Anglorum Regis per superiores dies Romanus Cardinalis a Pontifice Romano legationem ad Anglos receperat pecuniam militemque cogendi adversus Bohemos : qui de Christi doctrina et fide non recte crederent. En effet, quelques jours auparavant, un cardinal romain, parent de Henri, roi d’Angleterre, avait été nommé légat du pape auprès des Anglais pour lever de l’argent et des troupes contre les Bohémiens, qui ne croyaient pas correctement à la doctrine et à la foi du Christ. Qui millibus quatuor armatorum in Galliam traductis se cum Bethforto conjunxerat in Francos arma convertens quæ in Christiana religionis hostes simularat accepisse. Celui-ci, après avoir fait passer quatre mille hommes en France, s’était joint à Bedford, détournant contre les Français les troupes qu’il prétendait avoir levées contre les ennemis de la religion chrétienne. Igitur ut de Bethforti accessu certior Carolus redderetur : Ambrosium Delorum cum viginti tantum equitibus exploratum quid apud hostem geratur mittit, qui iter ingressus videt procul densissimum pulverem in ærem ferri : nec dubius fuit id progredientis agminis indicium esse : moxque paulo ultra pergens Anglos manifeste conspicatur : idque per caduceatorem Carolo festinanter renunciat [renuntiat]. Pour être mieux informé de l’avancée de Bedford, Charles envoie Ambroise de Loré, accompagné d’une vingtaine de cavaliers, afin de reconnaître les mouvements de l’ennemi. S’étant mis en route, celui-ci aperçoit au loin un nuage de poussière s’élevant dans les airs, signe indubitable d’une armée en marche. Poussant davantage, il distingue bientôt clairement les Anglais et en avertit aussitôt Charles par un messager. Ea recognita Carolus acie ordinata Silvanectum iter facere constituens apud montem Piliolum qui mons contemplationis aliquando dictus est cum venisset : redeunte 83Ambrosio Deloro : accepit Anglos Barronem ducere per rivum qui ex Silvanecto perfluit : sed eos magnopere impediri vadi angustia per quod vix bini possent evadere. La situation connue, Charles ordonne son armée et fait route vers Senlis ; parvenu au mont Pilloy, aussi appelé mont de la contemplation, il apprend par Ambroise de Loré, de retour, que les Anglais progressent vers Baron, par une rivière qui traverse Senlis, mais qu’ils sont sérieusement ralentis par l’étroitesse du gué, où deux hommes à peine peuvent passer de front. In ea trajiciendi difficultate ratus Carolus hostem intercipi posse ; primam aciem incedere jubet. Jugeant qu’on pouvait surprendre l’ennemi pendant sa difficile traversée, Charles ordonne à l’avant-garde d’avancer. Sed jam magnam sui exercitus partem Anglus transmiserat : quamobrem Carolus suas acies in conspectu habuit : moxque levibus commissis digladiationibus ; cum Sol se condere inciperet : Angli ad ripam fluenti castra posuere : aggere, vallo, sudibusque sese munientes. Habentes præterea a tergo lacum. Mais l’Anglais avait déjà fait passer une grande partie de son armée, aussi Charles garda ses troupes à vue ; après quelques légères escarmouches, lorsque le soleil commença à décliner, les Anglais établirent leur camp sur la rive, se retranchant avec un remblai, une palissade et des pieux. Un lac, en outre, couvrait leurs arrières. Rex autem in monte Piliolo suos continuit. Le roi, quant à lui, maintint ses troupes sur le mont Pilloy. Postridie cum illuxisset : Carolus quaterna acie instructus in Anglos ducit. Le lendemain, à l’aube, Charles organise son armée en quatre corps et fait face aux Anglais. Primam Alenconii Dux et Vindocinensis comes administrabant. Secundæ præerat Dux Barri. Tertiam ducebat Rayus et Boussacus Franciæ Marescalli. Le premier était commandé par le duc d’Alençon et le comte de Vendôme. Le deuxième était sous les ordres du duc de Bar. Le troisième était mené par Rais et Boussac, maréchaux de France. Quartam quæ ad excursiones instituta erat et cui frequenter locum mutare necesse esset moderabantur Albretus Joannes Aurelianensis nothus, Joanna 84Puella et Hyrus. Le quatrième, constitué pour les actions rapides et que l’on déplaçait là où c’était nécessaire, avait pour chef Albret, Jean le bâtard d’Orléans, Jeanne la Pucelle et La Hire. Sagittariorum Balistariorumque curam gerebant Gravilla et Johannes Foucaudus Lemonicensis. Regis custodiam Borboniorum dux Trimolusque receperant. Le commandement des archers et des arbalétriers étaient confié à Graville et Jean Foucault, de Limoges. Regis custodiam Borboniorum dux Trimolusque receperant. Le duc de Bourbon et La Trémoille avaient reçu la garde du roi. Aciebus ad hunc modum instructis, decretum erat Anglos adoriri. L’armée ainsi disposée, on avait résolu d’attaquer les Anglais. Sed cognito quantum illis locus adjumento esset, levibus aliquot præliis ante castra utrinque commissis, cum neque convitiis neque provocationibus e castris excitari hostis posset : Francus tandem ad hostium castra proxime profectus : manu tamdiu conseruit, donec advesperascente et multo pulvere cœlo caligante fuerit prælio desistere coactus. Cependant, ayant constaté combien le terrain leur était favorable, après quelques escarmouches devant chacun des deux camps, et comme ni les injures ni les provocations ne parvenaient à faire sortir l’ennemi de ses retranchements, les Français finirent par avancer tout près du camp adverse ; une longue bataille s’engagea, qui dura jusqu’à ce que, le soir tombant et le ciel s’assombrissant de poussière, il fallût interrompre le combat. Mane facto Rex Crespeyum : Bethfortus Parisium petiit. Au petit matin, le roi partit vers Crépy et Bedford vers Paris. Biduo post recepit Carolus Compendium : ubi præfectum posuit Guillermum Flavium loci indigenam. Deux jours plus tard, Charles prit Compiègne et y nomma Guillaume de Flavy, natif du lieu, gouverneur. Eo quoque Belvacenses convenere Regis potestati se permittentes. Les habitants de Beauvais les suivirent en se soumettant à l’autorité du roi. Idem fecere Silvanectenses qui misso ad Carolum suo cum aliquot civibus Antistite civitatem dedere quo rex paulo post se ipse contulit. Les habitants de Senlis en firent autant : après avoir envoyé vers Charles leur évêque accompagné de quelques citoyens, ils livrèrent la ville, où le roi se rendit peu après. Bethfortus prævidens animo quod benignior fortuna Caroli 85rebus arrideret : Parisio abire constituens Ludovicum Luxemburgum Morinorum Episcopum quem Francia Cancellarium Anglorum factio appellabat, et Joannem Rachetum equitem Anglum una cum Symone Morbiero Parisianum prætorem civitati administratorem præposuit cum duobus armatorum millibus ad præsidium relictis. Bedford, se rendant compte que la fortune favorisait désormais les affaires de Charles, décida de quitter Paris, dont il confia le gouvernement à Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, que le parti anglais appelait le Chancelier de France, au chevalier anglais John Rachet et au prévôt de Paris Simon Morbier, leur laissant deux mille hommes en garnison. Reliquum vero exercitum ad Normanos profectus compluribus suæ factionis locis dispartivit. Quant au reste de l’armée, il l’emmena en Normandie, et le répartit entre plusieurs places tenues par son parti. Igitur cognito Bethforti discessu : Carolus ad sanctu Dionysium ex Silvanecto moves oppidum (excipientibus eum civibus) ingressus est. Dès qu’il apprit le départ de Bedford, Charles quitta Senlis pour Saint-Denis où il fit son entrée dans la ville (accueilli par les habitants). Tertio post die Franci Caroli jussu ad vicum cui capellæ appellatio est castris constitutis : cum ibi pernoctassent, eruptione in eos a Parisiacis facta crebris præliis concertarunt : non secus ac si præludia quædam armorum agitarent. Trois jours plus tard, sur l’ordre de Charles, les Français vinrent établir leur camp près d’un village appelé La Chapelle ; après y avoir passé la nuit, des escarmouches répétées les opposèrent aux Parisiens qui tentaient une sortie contre eux ; comme un prélude à l’affrontement. Repetentibus tandem civitatem Parisianis, Franci Duce Aleconio ad sancti Honorati portam copias promovere : expugnantes confestim propugnaculum quod pro porta extructum erat. Alors que les Parisiens cherchaient à regagner la ville, les Français, sous les ordres du duc d’Alençon, poussèrent leurs troupes jusqu’à la porte Saint-Honoré et s’emparèrent dans la foulée du bastion construit devant la porte. Qua spe adducta 86Joanna, civitatem quoque oppugnare præter omnium opinionem constituit. “Encouragée par cet espoir, Jeanne, contre toute attente, décida elle aussi d’attaquer la ville. Est ab ea parte duplex fossa et inter utramque agger. Il y avait à cet endroit, un double fossé avec un talus entre les deux. In priorem neque aqua neque luto impeditam cum facile Franci descendissent : alteram fossam superare labor fuit, propterea quod latior et aquæ affatim plena esset. Les Français étaient facilement descendus dans le premier fossé, qui n’était encombré ni d’eau ni de boue ; franchir le second fossé fut beaucoup plus difficile, car il était plus large et rempli d’eau. Importatam undique materiam cum Joanna in fossam opplendam jacit : e muro sagitta in crure percutitur, nec eo tardius in opere perseverat : commilitones perseverare cohortans. Alors que Jeanne jetait dans le fossé des matériaux apportés de toute part pour le combler, elle est atteinte à la jambe d’une flèche tirée des remparts ; sans même ralentir elle persévère dans l’effort, exhortant ses compagnons à persévérer. Nec potuit inde revocari donec Alenconius negociosam mulierem per se reduxit. Nul ne pouvait l’arracher de là ; il fallut que le duc d’Alençon allât chercher lui-même cette femme infatigable. Signo receptui dato Franci ad sanctum Dyonisium iter converterunt. Le signal de la retraite ayant été donné, les Français retournèrent à Saint-Denis.

Et paulo post idem Gaguinus ait. Et peu après, le même Gaguin ajoute :

His diebus Puella cum Latiniacum accessisset, cognito quod quadringenti ex Anglorum copiis non procul a Latiniaco in Franciam contenderent : assumpto Foucaudo Joanne de sancto Albino et aliis ex Latiniaci præsidio hostem adoritur, omnes ad unum necans. À l’époque où la Pucelle venait d’arriver à Lagny, on lui apprit que quatre cents soldats anglais marchaient vers la France depuis les environs de Lagny ; accompagnée de Jean Foucault, Saint-Aubin et d’autres de la garnison de Lagny, elle attaque l’ennemi, les tuant jusqu’au dernier. Sed non multis post diebus dissimilis apud Compendium fortuna illi fuit. Quelques jours plus tard cependant, la fortune lui fut bien différente devant Compiègne.

Puellæ Joannæ fortuna mala apud Compendium. Revers de fortune de Jeanne la Pucelle devant Compiègne

87Nam Anglis Burgundionibusque in Compendii obsidione sedentibus : Joanna subsidium dium obsessis ferens : cum oppidum ingressa esset : et paulo post eruptione in hostem facta res non prospere sibi succederet : dum oppidum repetit et militum pressura aditum præcluderet, capitur a Joanne Luxemburgo qui eam Anglis venundedit : a quibus hostiliter habita Rothomagi cremata est odio videlicet nominis Franci : et quod virili veste fœmina usa esset. En effet, alors qu’Anglais et Bourguignons maintenaient le siège de Compiègne, Jeanne était entrée dans la ville pour porter secours aux assiégés, et fit peu après une sortie contre l’ennemi qui ne réussit pas comme elle l’espérait. Alors qu’elle tentait de regagner la ville, la pression des soldats lui en barra l’accès : elle fut capturée par Jean de Luxembourg, qui la vendit aux Anglais. Ceux-ci la traitèrent avec animosité et la brûlèrent à Rouen, par haine du nom français, et parce que, femme, elle avait porté des vêtements d’homme. Prius tamen quam sententiam diceret hostis : frequenti foro et crebris consultationibus Puellam tentat : de fide atque religione Christi multa scrutatus. Avant de prononcer sa sentence, l’ennemi soumit la Pucelle à de nombreux interrogatoires, devant un tribunal fréquenté, qui examina longuement sa foi et son orthodoxie chrétienne. Arbitrabatur enim mulierem magia aliqua edoctam a Carolo Rege assumptam esse : et propterea a Catholica veritate aberrasse : indignumque esse cui regnum deberetur. On prétendait en effet que cette femme, enrôlée par le roi Charles, avait été instruite dans quelque art magique, et s’était donc écartée de la vérité catholique : aussi était-il indigne que le royaume pût lui être redevable. Sed supra fœminæ vires fuit : pluribus cum hoste (ut est nonnullorum mos) per assentationem sentientibus prævalere : quanquam se et quæque gessisset Apostolicæ sedis examini permitteret. Mais c’était au-delà des forces d’une femme : ceux qui, par flatterie, se rangeaient du côté de l’ennemi (comme il en existe toujours) l’emportèrent, et ce, bien qu’elle se fût soumise, elle et ses actions, au jugement du Siège apostolique.

Hactenus Gaguinus. Tel est le récit de Gaguin.

XII.
88Joannes Laziardus Jean Laziard

Cui ac superioribus non absimilis Joannes Laziardus Cælestinus in cap. 274 epitomatum historiæ universalis. Frère Jean Le Jars, célestin, ne s’éloigne pas de ses prédécesseurs, dans le chapitre 274 de son Abrégé d’histoire universelle.

Carolus (inquit) hujus nominis septimus post Carolum sextum regno Francorum successit : quo in tempore tantis calamitatibus Franci vexabantur, ut his attritus populus et obstupescens quorum partes sequi deberet, ignoraret. Charles, septième du nom, — écrit-il, — succéda à Charles VI sur le trône de France, en des temps où la France était accablée par tant de malheurs que le peuple, brisé et frappé de stupeur, ne savait plus quel parti suivre. Itaque Regi Carolo Bituriges tantum parebant cæteris Francis modo ad Anglos, modo ad Burgundiones spectantibus. Ainsi, seuls les habitants de Bourges semblaient encore obéir au roi Charles, tandis que le reste des Français se rangeait tantôt du côté des Anglais, tantôt du côté des Bourguignons. Eo enim tempore Henricus Henrici filius regnum Francia occupabat : quod diceret ex pacto illud sibi deberi. À cette époque en effet, Henri, fils d’Henri, occupait le royaume de France, prétendant qu’il lui revenait en vertu d’un traité. Carolus vero compassus suum armis defendere semper animo agitabat. Charles, compatissant, était quant à lui déterminé à défendre son bien par les armes. Unde et Franci milites in armis parati adversus Anglos repentina prælia committebat. Aussi les soldats français, armés et prêts, lançaient de soudaines attaques contre les Anglais. Variis igitur præliis commissis, modo Angli, modo Franci superantur. Et au gré des combats, tantôt les Anglais l’emportaient, tantôt les Français. Verum fœliciter gestis adversus Anglos multis bellis etiam et Francis auxiliatores Scetorum quinque millia advenerunt, quos perbenigne et benevolo affectu Rex suscepit. Fort heureusement, après bien des affrontements contre les Anglais, cinq mille Écossais vinrent en renfort aux Français ; le roi les accueillit avec bienveillance et affection. Eisdem temporibus 89Angli multas urbes receperunt atque non sine multo Francorum damno, adeo ut uno prælio apud Vernolium commisso Bethfortus Anglorum dux quinque millia Francorum occiderit, captusque est Alenconius Dux cum aliis pluribus Franciæ nobilitatis Proceribus. À la même époque, les Anglais s’emparèrent de nombreuses villes, non sans infliger de lourdes pertes aux Français ; à tel point qu’au cours d’une seule bataille près de Verneuil, Bedford, le régent anglais, tua cinq mille Français et fit prisonnier le duc d’Alençon avec plusieurs autres grands seigneurs français. Hac victoria læti Angli multa alia oppida receperunt. Enhardis par cette victoire, les Anglais s’emparèrent de nombreuses autres places. Tum Aurelianos obsidens Tallebotus cum Salseberiensi comite quatuor per gyrum munitiones extruxit, quibus in urbem quicquam inferri vetabat. Alors Talbot, assiégeant Orléans avec le comte de Salisbury, fit construire quatre fortifications tout autour, par lesquelles ils interdisaient tout ravitaillement de la ville. Aurelianenses vero semper erectiore animo se suaque acerrime tuebantur. Les Orléanais, cependant, défendaient avec acharnement leurs personnes et leurs biens, avec un courage toujours plus grand. Aderat etiam et illis subsidio quam maxime poterat Carolus Rex. Le roi Charles leur apportait également toute l’aide qu’il pouvait. Multa tamen diuturnaque obsidione pressi consilium capiunt de deditione facienda, eo pacto ut urbs Burgundo Duci permitteretur. Cependant, épuisés par ce long siège, ils prennent la décision de se rendre, à cette condition que la ville soit confiée au duc de Bourgogne. Legatos itaque ad Burgundum mittentes eum de eare certiorem reddunt, quibus respondit Burgundus se perquam libenter urbem recepturum, si Bethfortus assentiat. Ayant envoyé des émissaires auprès du duc de Bourgogne pour l’informer de leur décision, celui-ci leur répondit qu’il accepterait volontiers la ville, si Bedford donnait son accord. Itaque Bethfortum legati adeunt quibus respondit Aurelianenses in gratiam non recepturum, 90quoad omnem belli impensam persoluissent, suæque voluntati eos subdidisset. Les émissaires se rendirent donc auprès de Bedford, qui leur répondit qu’il n’accorderait sa clémence aux Orléanais qu’après le remboursement de toutes les dépenses de guerre et leur soumission à sa volonté. Eodem tempore Joanna, cui Puellæ ob integritatem corporis cognomento fuit, annos viginti nata ad Carolum Regem veniens illum brevi in regnum se restituturam pollicita est. À la même époque, Jeanne, surnommée la Pucelle en raison de l’intégrité de son corps, âgée de vingt ans, vint trouver le roi Charles et lui promit de le rétablir bientôt dans son royaume. Erat enim hæc Virgo excelsi animi, nihil muliebriter agens, sacerdotali confessione, quaque fere hebdomada conscientiam purgans, divinamque Eucharistiam devote sumens. Cette Vierge était en effet d’un esprit élevé, n’agissant en rien à la manière d’une femme, purifiant sa conscience par la confession sacerdotale presque chaque semaine, et recevant dévotement la sainte Eucharistie. Huic itaque postquam a Rege hostes expugnandi negotium datum est, tanta vi Anglos expugnavit ut non modo Aurelianos ab obsidione removerit, sed et omnes a regno Franciæ deturbavit, multis occisis, multisque vivis in prædam captis. Ainsi donc, après que la mission de vaincre les ennemis lui eut été confiée par le Roi, elle infligea aux Anglais une telle défaite que non seulement elle leur fit lever le siège d’Orléans, mais les délogea de tout le royaume de France, faisant un grand nombre de morts et de prisonniers.

Joannæ facta præclara. Les hauts faits de Jeanne

Hujus præclara gesta satis ab Historicis Francis descripta sunt. Ses hauts faits ont été amplement rapportés par les historiens français.

Joanna dolose capitur. Jeanne prise par trahison

Hæc autem post multas Anglorum cædes tandem apud Compendium dum suis opem ferre studeret, a Joanne Luxemburgo capitur, qui eam Anglis vænundedit [venundedit]. Cependant, après avoir causé de nombreuses pertes aux Anglais, elle est finalement capturée à Compiègne par Jean de Luxembourg, alors qu’elle s’efforçait de porter secours aux siens, lequel la vendit aux Anglais. A quibus hostiliter habita apud Rothomagum cremata est, quod dicerent eam virili habitu indutam, ac pro Francis decertasse, 91nullam mortis causam in ea invenientes. Traitée en ennemie par ceux-ci, elle fut brûlée à Rouen, sous le prétexte qu’elle portait des habits d’homme et qu’elle avait combattu pour les Français, n’ayant trouvé en elle motif légitime de condamnation à mort. Erubescant igitur Angli se a fœmina et quidem Catholica regno pulsos, nec deinceps apud exteras gentes suum robur jactent, sed per abrupta fugientes posteris enarrent, Puellam nomine Joannam non quidem vi armorum sed proditione deceptam morte mulctasse. Que les Anglais rougissent donc d’avoir été chassés du royaume par une femme, et qui plus est, catholique ; que jamais plus ils ne se vantent de leur vaillance auprès des nations étrangères, mais qu’ils racontent à leurs descendants comment, dans la débâcle, ils ont mis à mort Jeanne la Pucelle après l’avoir prise non par la force des armes, mais par la trahison. Ab hoc igitur tempore Angli animo tabescentes mala fortuna semper usi sunt. Dès lors, les Anglais perdirent confiance et ne connurent plus que mauvaise fortune. Nam dum Compendium obsiderent, dum se a Francis mactari conspiciunt castra deferentes in sua ut quisque poterat fugiebat. De fait, lors du siège de Compiègne, lorsqu’ils se virent taillés en pièces par les Français, ils abandonnèrent leur camp et chacun s’enfuit comme il put. Atque eo pacto arces et oppida a Francis recepta sunt : multaque millia Burgundionum et Anglorum occisa. C’est ainsi que places fortes et villes furent reprises par les Français, et que plusieurs milliers de Bourguignons et d’Anglais furent tués.

XIII.
Gilbertus Genebrardus Gilbert Génébrard

Jam nostra ætate clarissimum Theologiæ atque historiæ lumen Gilbertus Genebrardus Parisiensis Theologus divinarum et Hebraicarum literarum Professor Regius et postmodum Aquensis Archiepiscopus lib. 4. Chronographiæ Puellam hanc nostram his verbis posteritati commendat. Récemment, l’une des plus éminentes lumières de notre époque en théologie et en histoire, Gilbert Génébrard, théologien parisien, professeur d’Écritures saintes et de langue hébraïque au Collège royal, plus tard archevêque d’Aix, recommande ainsi notre Pucelle à la postérité, dans le livre 4 de sa Chronographie.

Joanna Darcia Puella sive Virgo 92in Lotharingorum Dampremo pago orta, anno ætatis circiter 20. Aureliam urbem obsidione Anglorum qui Lutetiam magnamque Gallia partem possidebant, liberat anno 1429. ejus auspiciis multa prælia fœliciter a Francis gesta sunt. Jeanne d’Arc, la Pucelle ou la Vierge, originaire du village de Domrémy en Lorraine, à l’âge d’environ 20 ans, libère en 1429 la ville d’Orléans assiégée par les Anglais, lesquels occupaient déjà Paris et une grande partie de la France ; sous ses auspices, de nombreuses batailles tournèrent à l’avantage des Français. Trecas, Lutetiamque cepit, inter primos milites muros ascendens, ab Anglis tandem capta Rothomagi ut maga combusta est. Elle prit Troyes et Paris, toujours parmi les premiers soldats à escalader les remparts, mais fut finalement capturée par les Anglais et brûlée comme sorcière à Rouen. Aurelianenses accepti beneficii et tantæ fortitudinis memores, edito in loco ad pontem quem Ligeris subterlabitur, statuam Puellæ locavere, quam anniversariis laudibus, singulari pietate concelebrant. En reconnaissance de l’immense service rendu et de son si grand courage, les Orléanais érigèrent une statue de la Pucelle, en un lieu élevé près du pont sous lequel coule la Loire, qu’ils honorent chaque année avec une dévotion particulière. Pius 2. Pontifex Max. et Antoninus Florentinus Antistes, Puellæ supra sexum virtutem admirantur. Le pape Pie II et l’archevêque Antonin de Florence admirent la bravoure de la Pucelle, exceptionnelle pour son sexe. Sedatis tandem Francicis rebus, judicio quo damnata fuerat nullius patrocinio defensa et hoste judice retractato, omnium sententia famæ restituitur Joanna Darcia anno 1456. die 7. Julii. Une fois la situation française apaisée, le jugement qui l’avait condamnée, rendu sans personne pour la défendre et par un tribunal ennemi, ayant été réexaminé, Jeanne d’Arc fut rétablie dans sa réputation, par décision unanime, le 7 juillet 1456.

XIV.
Hubertus Morus Hubert Meurier

Genebrardo scientia, fide, et authoritate conjunctissimus Hubertus Morus, Parisiensis Theologus, Rhemensis Ecclesiastes 93ac S. Deodati in Lotharingia canonicus et Decanus, libro de sacris unctionibus tertio sub finem. Hubert Meurier, théologien parisien très proche de Génébrard par la science, la foi et l’autorité, prédicateur à Reims ainsi que chanoine et doyen de Saint-Dié en Lorraine, dans son livre sur les saintes onctions, à la fin du troisième volume :

Nec certe hic lubens omiserim, inquit, quod bellicosa illa Virago, quam Joannam Puellam nostri nominant, ad regnum non tam conservandum, quam restituendum legitimo hæredi Carolo septimo divinitus excitata, vel, ut verbis Meyeri Flandri scriptoris utar, non ascita, non creata, non electa, sed a Deo data, ut vita sanctitas, animi generositas, et in bello fœlicitas vel invidos fateri cogunt, nunquam eum, nisi post consecrationem, Regem, sed tantum Delphinum, sicut ab aliquot seculis solemus Regum nostrorum primogenitos, vocare audita est ; quodque nunquam cessarit, donec illum quamprimum Rhemos ungendum etiam contra multorum opinionem deduceret, se ut id faceret, cœlitus admonitam asserens. Et certes, écrit-il, je ne manquerai pas de mentionner que cette vaillante héroïne, que nous appelons Jeanne d’Arc, fut suscitée par Dieu, non pas tant pour sauver le royaume que pour le restituer à son légitime héritier, Charles VII ; ou, pour reprendre les mots du chroniqueur flamand Meyer, qu’elle ne fut ni appelée, ni créée, ni recrutée, mais donnée par Dieu ; ce que la sainteté de sa vie, la noblesse de son âme et ses succès militaires forcent même ses ennemis à reconnaître ; qu’on ne l’a jamais entendue l’appeler Roi avant son sacre, mais seulement Dauphin, comme nous avons coutume d’appeler les aînés de nos rois depuis plusieurs siècles ; et qu’elle ne cessa d’œuvrer pour le conduire à Reims au plus vite pour être sacré, malgré l’avis de nombreux conseillers, affirmant agir sur ordre céleste. Haud dubie omnipotens Deus mirabilia operatur, ubi, quando, et quomodo vult : et qui quondam in manu castissima viduæ superbum hostem populi sui stravit Holophernem, 94non est absurdum, nec majestate, nec misericordia illius indignum, si manu quoque Puellæ innocentis Regi Francorum fidelissimo cultori suo regnum ut legitime debitum vindicare dignatus est. Il ne fait aucun doute que Dieu tout-puissant accomplit des merveilles où, quand et comme il le veut : aussi n’est-il pas absurde, ni indigne de sa majesté ou de sa miséricorde, que celui qui jadis, par la main d’une chaste veuve, terrassa l’orgueilleux Holopherne, ennemi de son peuple, daignât de même, par la main d’une innocente Pucelle, rendre au roi de France, son fidèle serviteur, le royaume qui lui revenait de droit. Et omnes annales Anglis fere semper adversa, Francis vero prospera ab eo tempore quo Rex sacrosanctam suscepit unctionem contigisse testantur : adeo ut illi intra paucos annos, sicut illa initio prædixerat, toto Galliæ regno, cedere coacti sint. Et toutes les annales témoignent que dès l’instant où le roi reçut l’onction sacrée, les événements tournèrent constamment au désavantage des Anglais et à l’avantage des Français : si bien qu’en quelques années les Anglais furent contraints de se retirer de tout le royaume de France, comme elle l’avait prédit dès le début.

XV.
Joannes Mariana Juan de Mariana

Denique Joannes Mariana Hispanus extremo libro vigesimo : de rebus Hispaniæ de re nostra hæc habet. Pour finir, l’Espagnol Juan de Mariana, à la fin du vingtième livre de son histoire de l’Espagne, écrit ceci sur notre sujet :

Septimum mensem Aurelia obsidebatur ad Ligerim nobilissima civitas, obsessi rerum omnium inopia laborabant, ac vix mœnibus hostilem vim propulsabant : Joanna puella annorum octodecim aut circiter, rebus saluti fuit. Orléans, illustre cité sur les bords de la Loire, était assiégée depuis sept mois ; ses habitants manquaient de tout et peinaient, derrière leurs remparts, à repousser l’assaut ennemi : Jeanne, jeune fille d’environ dix-huit ans, fut leur salut. Remigii nata qui pagus in agro Tullensi apud Leucos est, patre Jacobo Darcio, matre Isabella, atque a prima ætate paternas oves pascere solita veniens in castra Gallica divino se monitu missam ait ad 95Aureliam periculo, Galliam liberandam Anglico imperio. Née à Domrémy, village du diocèse de Toul en Lorraine, de père Jacques d’Arc et de mère Isabelle, habituée dès l’enfance à faire paître les brebis de son père, elle se présenta au camp français et déclara avoir été envoyée, par ordre divin, pour libérer Orléans du danger et la France de la domination anglaise. Variis et multis interrogationibus versata, ubi fides abs Rege et Proceribus est habita, per hostium munitiones impetu facto, auxilia et commeatum in urbem infert, civibus cum spe defensionis crevit animus, crebrisque ex urbe irruptionibus obsidio dissipata est ad sextum Kalend. Junias, circumjecta oppida recepta : levia tantummodo prælia facta, neque universi certaminis fortuna tentata, dum vincendi consuetudine Gallorum vires et animi confirmarentur. Après avoir été soumise à de nombreux et divers interrogatoires, et lorsque le Roi et les Grands lui eurent accordé leur confiance, un assaut contre les bastions ennemis lui permet d’introduire renforts et vivres dans la ville ; le courage des habitants se ranima avec l’espoir de se défendre, et grâce à de fréquentes sorties depuis la ville, le siège fut levé le 27 mai, et les places alentour reprises ; on se contenta d’escarmouches sans jamais risquer la fortune d’une bataille générale, et au fil des victoires les forces et le courage des Français se fortifiaient. Rex Gallus per medios hostes, Remos (quod factum non erat) ad sacrum chrisma regnique insigne suscipiendum abiit. Le roi de France prit la route à travers les lignes ennemies pour se rendre à Reims (ce qui n’avait pas été fait) afin de recevoir le saint chrême et les insignes royaux. Author consilii Puella. La Pucelle était l’instigatrice de l’entreprise. Sic augustior suis, hosti formidolosior est factus. Ainsi il parut plus majestueux pour les siens et plus redoutable pour l’ennemi. Multis receptis urbibus, Lutetia tentata capi non potuit ; quin ad D. Honorati portam puellæ vulnus inflictum est. Après avoir repris de nombreuses villes, on tenta l’assaut de Paris, sans y parvenir ; la Pucelle fut même blessée à la porte Saint-Honoré. Belli impetus versus alio. L’effort de guerre fut porté ailleurs. Compendium obsidebatur ab Anglis, Puella successu fidetior animo, suorum cuneo facto in urbem irrumpit, sed fortuna tandem in medio cursu deserente, 96eruptione facta in potestatem hostium redacta Rhotomagi magicæ superstitionis rea causa dicta igne combusta est. Compiègne était assiégée par les Anglais ; la Pucelle, enhardie par ses succès, s’y précipita à la tête d’une colonne de ses hommes ; mais la fortune l’abandonnant en plein élan alors qu’elle faisait une sortie, elle tomba aux mains des ennemis, fut accusée de sorcellerie à Rouen, condamnée et brûlée vive. Petrus Cauchonnius Bellovacorum Pontifex præcipuus concitator, nemine pro captiva contra hiscere auso, tametsi plerisque persuasum erat, Virginem eam injuria fuisse damnatam. Le principal meneur fut l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, nul n’ayant osé s’élever en faveur de la prisonnière ; pourtant, la plupart étaient persuadés que la Vierge avait été injustement condamnée. Æternum Galliæ decus, omnibus sæculis nobile, uti dati in causa judices a Calixto Romano Pontifice pronunciarunt, quæ acta in scrinio summi Templi Lutetiæ cum fide servantur. Gloire éternelle de la France, noble pour tous les siècles, comme la déclarèrent les juges désignés par le pape Calixte, dont les actes sont conservés fidèlement dans le trésor de Notre-Dame de Paris. Ærea virginis statua, armati militis habitu in medio Aurelia ponte cernitur, accepti beneficii monimentum. On peut voir une statue en bronze de la vierge en armure au milieu du pont d’Orléans, en reconnaissance du bienfait reçu.

Jurisconsulti. Jurisconsultes

Theologiæ consultissimos viros, excipient magni nominis et authoritatis Jurisconsulti. À ces hommes les plus versés en théologie, succéderont des juristes de grand renom et de grande autorité.

I.
Guido Papæus Guy Pape

Guido Papæus oculatus testis et Præses Senatus Gratianopolitani in 84. quæst. suarum decisionum asserit, Guy Pape, témoin oculaire et président du Parlement de Grenoble, affirme dans la question 84 de ses décisions :

Eo anno quo Doctoratus gradum consecutus est, se vidisse Puellam Joannam nuncupatam quæ inspiratione divina, arma assumens bellica 97anno Domini 1429. restauravit regnum Franciæ, Anglicos a regno expellendo, vi armata et præfatum Carolum ad regnum suum Franciæ restituendo : quæ puella regnavit tribus vel quatuor annis. L’année même où il obtint le grade de Docteur, il affirme avoir vu la Pucelle nommée Jeanne, qui, par inspiration divine, prit les armes et restaura le royaume de France en l’an de grâce 1429, en chassant les Anglais du royaume par la force des armes et en rétablissant ledit Charles dans son royaume de France ; laquelle Pucelle régna trois ou quatre ans.

II.
Nicolaus Boërius Nicolas Bohier

Boërius Senatus Burdegalensis Præses in §. 7. sui tractatus de seditiosis num. 59. et in §. 7. de consuetudine feudi ait, Nicolas Bohier, président du Parlement de Bordeaux, dit au §7 de son traité sur les séditieux, n°59, et au §7 de celui sur la coutume des fiefs, que :

Prædictam Puellam tempore Caroli septimi Regis Francorum purgasse Franciam Anglis. Ladite Pucelle, au temps où Charles VII était roi de France, a nettoyé la France des Anglais.

III.
Guillelmus Benedicti Guillaume Benoît

Guillelmus Bened. [Benedicti] Senatus Tolosani Consiliarius in repetitione capit. Raynut. [Raynutius] in verbo duas habens filias, et in verbo, mortuo itaque testatore, 1. de Testam. [Testamentis] refert et probat ea quæ a Gaguino de jam laudata sæpius Puella describuntur, suntque a nobis ante in medium producta. Guillaume Benoît, conseiller au Parlement de Toulouse, dans ses commentaires sur la décrétale Raynutius, au mot ayant deux filles, et aux mots le testateur étant décédé, dans la partie 1 sur les successions, rapporte et confirme les faits décrits par Gaguin à propos de cette Pucelle déjà si souvent célébrée, et que nous avons déjà présentés plus haut.

IV.
Andreas Tiraquellus André Tiraqueau

Andreas Tiraquellus Senator Regius Parisiensis et bis quindecim librorum et liberum parens (ut de eo quidam Poëta ait) Joannam omnibus seculis admirandam scribit in lege 3. libri legum connubialium num. 64. André Tiraqueau, conseiller au Parlement de Paris, père de trente livres et de trente enfants (comme dit de lui un certain Poète [Scévole de Sainte-Marthe]), écrit dans la loi 3 de son livre sur les lois du mariage, n°64, que Jeanne est admirable pour tous les siècles.

V.
Vincentius Sigault Vincent Sigault

Vincentius Sigault in suo tractatu de 98factis Principum, inquit : Vincent Sigault, dans son traité sur les faits des Princes, dit :

Quid de Virgine vocata La Pucelle Jeanne divinitus transmissa dicemus ? Divina fuerunt ejus exercitia, et voluit ipse Deus vincere Anglicos per fœmellam cum de fœmella ageretur : Que pouvons-nous dire de cette vierge envoyée de Dieu appelée la Pucelle Jeanne ? Que ses actions furent divines, et que Dieu lui-même voulut vaincre les Anglais par une femme, puisque c’est d’une femme qu’il s’agissait ;

quo pertinet quod legitur in primo rotulo Laudayani anonymi Clerici de Sibylla Francica, ce à quoi se rapporte ce que l’on lit dans le premier rouleau du clerc anonyme de Lauda sur la Sibylle française :

Nobile regnum Franciæ ruinam passum est ex superfluitate vitæ et abundantia panis propter unius mulieris speciem. Le noble royaume de France connut sa perte par la superfluité de la vie et l’abondance de pain, et à cause de la beauté d’une seule femme. Ut autem ordo reparationis ex merito respondeat prævaricationi ex delicto, per personam sexu fragilem, vita autem humilem et Deo devotam, expedit reparari per Virginem quod desertum fuerat per mulierem. Or, afin que le bien de la réparation soit du même ordre que le mal de la prévarication, il convient que ce qui fut perdu par une femme soit réparé par une vierge, à savoir par une personne du sexe faible, mais humble et dévouée à Dieu.

VI.
Stephanus Forcatulus Étienne Forcadel

Taceo Bartholomæum Chassaneum in secunda parte Catalogi gloriæ mundi considerat. [consideratio] 8. Carolum de Grassalio lib. 1. regalium Galliæ cap. 17. Nevizanum Astiensem Jureconsultum lib. 4. Sylvæ nupt. [nuptialis] Franciscum Polletum Duacensem Jureconsultum lib. 2. historiæ fori, et Petrum Gregorium cap. 24. lib. 34. Syntagmatis 99juris universi, et in cap. undecimo lib. 7. de Repub. [Republica] prædictam puellam non mediocriter commendantes : ut ad Stephanum Forcatulum in alma Universitate Tolosana I. U. [juris utriusque] Professorem ordinarium liberius accedam ; quem nemo erit, opinor, tam aversus a re Gallica, aut ab ejus reparatrice Joanna, dum aliquanto sit eruditiore aure, atque ingenio, quin suavissime loquentem libentissime ac jucundissime audiat. Je passerai sous silence Barthélemy de Chasseneuz dans la seconde partie du Catalogue de la gloire du monde, considération 8, Charles de Grassaille, au livre I de la Royauté française, chapitre 17, [Jean de] Nevizan, jurisconsulte d’Aste, au livre IV de la Forêt nuptiale, François Pollet, jurisconsulte de Douai, au livre II de l’Histoire du forum [romain], et Pierre Grégoire, au chapitre 24, livre 34 de son Recueil de droit universel, ainsi qu’au chapitre 11, livre 7 de la République, lesquels font grand cas de la Pucelle, pour en venir plus librement Étienne Forcadel, professeur ordinaire de droit à l’Université de Toulouse, car je ne pense pas qu’il existe un esprit, fût-il hostile à la cause française ou à Jeanne sa libératrice, qui, pour peu qu’il ait suffisamment d’oreille et d’intelligence, n’écouterait pas avec plaisir et délice ses paroles si agréables. Is vero in lib. 7. de Gallorum imperio et philosophia Lotharenam virginem tot jam scriptorum ac gentium nobilitatam literis atque linguis hoc encomio exornat. En effet, dans le livre 7 de son Empire et philosophie des Gaulois, il orne la vierge lorraine, déjà célébrée par tant d’auteurs et de peuples, tant à l’écrit qu’à l’oral, de l’éloge suivant :

Superest fœminei decoris propugnatrix Jana Gallica, vel Anglorum annalibus mirum in modum, sed non pro meritis laudata, et quam Martem muliebrem dicere jure possimus, atque rebus magnifice gestis præferre Telesillæ, quæ Argivorum a Cleomene Laconum Rege afflictorum muros tutata est, sui sexus freta præsidio, præsenti animo, hostium impressionem sustinens, nec bellicis exterrita clamoribus. Reste la championne de l’honneur féminin, Jeanne la Française, louée de manière étonnante jusque dans les annales anglaises, certes pas à la hauteur de ses mérites, et que nous pouvons à bon droit l’appeler une Mars au féminin, voire, pour ses exploits magnifiques, la préférer à Télésille, qui après que les Argiens eurent été décimés par Cléomène, roi de Sparte, défendit les murs grâce aux autres femmes, soutenant l’assaut ennemi avec sang-froid et nullement effrayée par les clameurs du combat. 100Pausanias in Corinthiacis. Atqui Jana non modo murorum secura, ambitu Anglos profligavit, quoad vixit : sed patenti planitie crebrius : tunc maxime subveniens, cum deplorata viderentur res Francorum, interim Anglicæ fortunæ plane cedentes, postquam ad ipsius curam Caroli septimi Regis boni magis quam felicis spectare tuitio inceperat. D’après Pausanias dans sa description de Corinthe. Or Jeanne ne se contenta pas de protéger les murs et de mettre en déroute les Anglais du siège ; non, elle les défit plus fréquemment encore en rase campagne, aussi longtemps qu’elle vécut ; elle intervint précisément lorsque tout semblait perdu pour les Français, époque où la fortune des Anglais se mit clairement à décliner, après que la défense eut été reprise en main par Charles VII, roi plus vertueux que chanceux. Namque Henricus V. Anglus, Gallicos agros, viros, et oppida late possidebat : eoque angustiarum Carolum perduxerat, ut inter jocos Biturigum Regem ipsum appellitare non erubesceret : quia Gallus tantisper fortunæ impetum defervescere sperans, Bituriges tanquam arcem tutissimam elegerat : ob unam causam bello petitus, quod Northmaniam et Aquitaniam cum Andibus concedere recusasset Anglo, qui legatos Clarigatum [clarigatum] miserat, olim inclyto Carolo VI. patriæ et Septimi hujus parenti amabili ; Et de fait, Henri V d’Angleterre s’était rendu maître de vastes territoires, populations et villes de France ; il avait réduit Charles à une telle extrémité qu’on ne rougissait pas de le surnommer par dérision le roi de Bourges, car le Français, espérant qu’un revers de fortune briserait son élan, s’était retranché dans Bourges comme son dernier bastion ; il était attaqué pour une seule raison, avoir refusé de céder la Normandie, l’Aquitaine et l’Anjou à l’Anglais, qui avait envoyé ses ambassadeurs en faire la demande du temps de l’illustre Charles VI, père et bien-aimé parent de Charles VII ;

Et paulo post idem Forcatulus ait : Un peu plus loin, Forcadel ajoute :

Nihil vero, si singula percurras, tam firmavit vacillantem Galliam, quam adventus Janæ Puellæ fatidicæ, anno 101salutis 1428. ex Lotharingia Galliæ suburbana oriundæ, vel ex Vaucolore Barrensis ditionis, nisi cœlestem civem malis conjicere : quippe cum supra humanam virtutem, nedum supra sexum, sese bellicis factis dictisque sapientissimis extulerit. Rien assurément, toute chose considérée, n’a autant raffermi la France vacillante que l’arrivée de Jeanne la Pucelle providentielle, en l’an de grâce 1428 ; originaire de Lorraine, dans les marches de la France, ou de Vaucouleurs dans le Barrois, à moins que tu ne préfères la croire citoyenne du ciel ; car elle dépassa les limites des possibilités humaines, sans parler de celles de son sexe, par ses exploits guerriers et ses paroles pleines de sagesse. Putasses Spartanam nurum disciplina virili imbutam, aut Camillam alteram Metabi Regis pulsi regno Privernate filiam in dumis et ferarum lustris nutritam, quia pater in fuga, Diana ipsam vovisset. Tu aurais pu voir là une jeune spartiate rompue à la discipline virile, ou une seconde Camille, fille du roi Métabe, chassé de son royaume de Priverne, laquelle avait grandi au milieu des buissons et des bêtes sauvages parce que son père, dans sa fuite, l’avait vouée à Diane.

Utque pedum primis infans vestigia plantis À peine l’enfant eut-elle fait ses premiers pas,

Institerat, jaculo palmas oneravit acuto, Qu’il chargea sa main d’un javelot pointu,

Spiculaque ex humero parvæ suspendit, et arcum : Et suspendit à sa jeune épaule un arc et des flèches.

Pro palla et crinali auro cincta Tigridis exuviis incessit, ut ait Virgilius lib. 11. Æneid. et ibi quo modo ab Arunte vate sit occisa : frustra petita nuptiis juvenum eximiorum, et virginitatis non minus anxia custos, quam fertur Diana extitisse, aut Jana hæc Gallica, non secus ac Camilla exitum tetrum habitura post assertam jam Galliæ libertatem. Virgile, au livre XI de l’Énéide, décrit Camille marchant vêtue d’une peau de tigre plutôt que d’une robe et d’un diadème d’or, et comment Arruns, l’homme du destin, la fit mourir : or cette Jeanne française, qui refusa les avances des plus nobles jeunes gens, et préserva sa virginité avec autant de soin que Diane est réputée l’avoir fait, devait, tout comme Camille, connaître une fin tragique après avoir défendu la liberté de la France. Nam et Nigidius perquam 102doctus author Dianam ipsam Janam prius fuisse appellatam prodidit, D litera mox causa decoris addita, ut in verbis redeo, redhibeo. Macrob. lib. 1. Saturnal. cap. 9. D’ailleurs Nigidius, auteur des plus savants, a rapporté que Diane elle-même s’était d’abord appelée Jeanne [Iane], et que la lettre D fut ajoutée ensuite par soucis d’euphonie, comme dans les mots redeo et redhibeo. (D’après Macrobe, Saturnales, livre I, chapitre 9.) Proinde Jana bono Francorum a Deo edita nihil prius habuit, quam Carolum Regem adire, mirantem Parisienses, aliosque nobiles cives Anglorum imperium ferre didicisse, qui antea ne mores quidem ferre poterant. Aussi Jeanne, envoyée par Dieu pour le bien des Français, n’eut-elle rien de plus pressé que d’aller trouver le roi Charles, lequel s’étonnait que les habitants et les notables parisiens se soient accommodés de la domination anglaise, eux qui auparavant ne pouvaient même pas en supporter les mœurs. Cumque impune parvo comitatu, etiam per hostiles terras, ad Regem, pervenisset, annos nata circiter viginti, facie non invenusta, vigore oculorum animique pari, ipsum inter aulicos amictu pretiosiore fulgentes, et dissimulata majestate, ac fere cum regni statu mœsto, cognovit, salutavit venerabunda, et colloquium salutare petiit : aliter atque Sysigambis Darii Persarum Regis mater et captiva, quæ primo congressu Hephæstionem Alexandri Magni amicum intimum pro Rege supplex adivit, excusante Alexandro comiter imprudentis factum, ideo quod Hephæstion alter Alexander esset. Diod. Sic. lib. de gest. Alex. Lorsqu’elle fut parvenue sans encombre auprès du Roi, avec sa petite escorte au travers des terres ennemies, âgée d’environ vingt ans, un visage non sans charme et le regard aussi vif que l’esprit, elle le reconnut au milieu des courtisans resplendissants dans leurs vêtements somptueux, bien que lui-même eût dissimulé sa majesté et parût presque aussi pitoyable que son royaume, le salua avec respect, et demanda une audience salutaire ; bien autrement que Sisygambis, mère de Darius, roi des Perses, qui, prisonnière, alla lors de sa première rencontre implorer Héphestion, l’ami intime d’Alexandre le Grand, le prenant pour le Roi, lequel Alexandre excusa volontiers l’ignorante au motif qu’Héphestion était un autre Alexandre. (D’après Diodore de Sicile, dans son livre sur les exploits d’Alexandre.) 103At quia Jana deligens in cœtu Procerum Regem minime errasset, id in religionem versum est præsentibus, factumque lubentius ut Puella remotis arbitris in Regis colloquium veniret, admoneretque futurorum, ac prædiceret se adjutrice fore ut Angli e Francia abigerentur, quæ victoribus passim arma magis quam animos cesserat. Le fait d’avoir reconnu le roi au milieu des seigneurs sans la moindre hésitation, fut interprété comme un signe divin par les témoins, qui acceptèrent plus volontiers que la Pucelle s’entretienne avec le roi à l’écart des conseillers, lui révèle certains événements à venir, et lui prédise qu’avec son aide les Anglais seraient chassés de France, qui partout avait baissé les armes devant les vainqueurs, bien plus que le cœur. Plane bello conficiendo non cristis ornatam galeam efflagitavit, nec aureum gladium qualem sibi porrigi ab Jeremia Propheta in somnis vidit Judas ille Isrælis restitutor, 2. Mach. 15. cap. sed neglectum et jam rubigine obductum, latentemque inter scuta quædam et tela vilissima in fano Divæ Catharina agri Turonici, nullaque in re amabilem nisi quod flosculis lilii insculptis perplacebat. Pour mener la guerre à bien, elle ne réclama ni casque orné de crêtes, ni épée d’or, comme celle que Judas, le restaurateur d’Israël, se vit offrir en songe par le prophète Jérémie (II Maccabées 15), mais une épée abandonnée, rongée par la rouille, cachée sous un tas de boucliers et d’autres armes sans valeur dans l’église Sainte-Catherine près de Tours, sans autre attrait que des fleurs de lys gravées. Quæ res facit ne putem fuisse illum Julii Cæsaris gladium, quem sibi ab hoste ablatum in Arvernorum templo suspensum cum aspexisset victor, non est tamen passus amoveri. Ce détail m’interdit de voir en elle cette épée que Jules César s’était fait ravir par l’ennemi et qu’il retrouva, après la victoire, suspendue dans le temple des Arvernes, tout en refusant qu’on la décrochât. Solebant namque victoria potiti eorum quos domuerant, adempta arma templis dedicare. Les vainqueurs avaient en effet coutume de consacrer aux temples les armes prises aux vaincus. Inde 104Camilla Aruntem [Chloreum] sacerdotem apud Virgilium in pugnam provocat, quia auro armatus splendesceret : D’après Virgile, Camille cherchait à combattre le prêtre Arruns [Chlorée] parce qu’il brillait sous son armure d’or :

sive ut templis præfigeret arma Soit qu’elle comptât accrocher dans un temple, les armes du Troyen,

Troia, captivo sive ut se ferret in auro : Soit se parer elle-même, de tout cet or conquis.

Longe secus tamen accidit Arunte acrius bellante, Les choses cependant, prirent un tour bien différent ; Arruns combattait avec rage,

Hasta sub exertam donec perlata papillam Quand sa lance, parvenant sous son sein découvert

Hæsit virgineumque alte bibit acta cruorem. S’y planta et but, à longs traits, de son sang de vierge.

Et ensis Goliath a Davide superati templo affixus postmodum usui fuit ipsi victori inermi, ut pote a Sacerdote Achimelech indicatus 1. Reg. cap. 21. De même, l’épée de Goliath, vaincu par David puis accrochée dans un temple, servit plus tard à ce même vainqueur, alors qu’il était sans arme et qu’elle lui fut signalée par le prêtre Achimélech (I Samuel 21). Prætereo gladium Julii Cæsaris in delubro Martis asservatum donec Galba detractum sibi sumpserit. Sueton. in Galba cap. 8. Je passe sur l’épée de Jules César, conservée dans le temple de Mars jusqu’à ce qu’on l’en retire et que Galba se l’approprie. (Suétone, Vie de Galba, chapitre 8.) Nec verisimile est defuisse armis consecratis titulum superbum, rem gestam explicantem cum quandoque eorum qui vicerant, tela templis addicerentur ut hasta Meleagri qua aprum Calidonium confecerat, templo Apollinis ut in Corinthiacis scripsit Pausanias. Il n’est pas non plus vraisemblable que des armes consacrées n’aient pas été accompagnées d’une inscription glorieuse expliquant l’exploit, puisque les armes sont offertes aux temples par ceux-là même qui ont vaincu, telle la lance avec laquelle Méléagre tua le sanglier de Calydon, offerte au temple d’Apollon, ainsi que l’a écrit Pausanias dans sa description de Corinthe. Specimen vero suarum virium et virtutis præbuit Jana cum ausa est Aurelianum oppidum 105longæ obsidionis tædio pressum commeatu importato juvare, Anglis prospectantibus et muliebri terrore percitis, ac demirantibus in muliere virilem audaciam fœlicitati conjunctam maxime trajecto flumine cum lectissimis auxiliarium, quibus nota vada vel utribus tenui tabulato subjectis, vel patrio nandi usu, se, arma, equosque regentium, valde interim obstupefactis hostibus et nihil invictum fore duce fœmina suspicantibus si ad manus veniretur : Jeanne fit véritablement démonstration de sa force et de sa vertu lorsqu’elle osa secourir la ville d’Orléans, épuisée par un long siège, en y introduisant des vivres ; cela sous les yeux des Anglais, saisis d’une crainte féminine mêlée d’admiration devant l’audace virile et la réussite de cette femme-là ; la stupéfaction des ennemis atteignant son comble lorsqu’elle fit traverser le fleuve à l’élite du renfort, eux, leurs armes et leurs chevaux, par des gués connus, des radeaux soutenus par des outres, ou à la nage selon l’usage local, redoutant qu’au moment du combat, rien ne résisterait au commandement de cette femme. Jana vero exiguæ lintri credita, nisi armis nitentibus emicuisset, nantibus præcurrens alacriter videri poterat ; On aurait pu s’attendre à voir Jeanne dans une barque, si ses armes éclatantes ne l’avaient signalée pleine de fougue à la tête des nageurs. Nec ignota est equestris statua, qua Romani Clæliam virginem donaverunt : quia a Porsena Rege Romam obsidente in pacis conditionibus inter obsides accepta, cum castra illius forte haud procul a ripa Tyberis locata essent, dux agminis virginum inter tela hostium flumen tranavit sospitesque omnes propinquis restituit : atque ita ex publica perfidia laudem comparavit, Porsenæ merito reddita, et in honore habita, ac redire 106domum impune jussa cum quibus vellet comitibus. Nul n’ignore que les Romains dédièrent une statue équestre à la vierge Clélie, parce qu’ayant accepté de se joindre aux otages prévus dans l’accord de paix lors du siège de Rome par le roi Porsenna, elle profita de ce que son camp se trouvât au bord du Tibre pour faire traverser le fleuve à la nage à un groupe de vierge, sous les traits ennemis, et les ramener à leurs familles saines et sauves. Cette perfidie notoire ne la priva pas pour autant de gloire ; rendue à Porsenna, celui-ci l’honora et lui permit de rentrer librement chez elle avec les compagnes de son choix. Cæterum Jana fallere nescia, pugnare gnara, inter primos gladium sacrum in Anglos vibrabat, et gladio quovis præstantiorem animum : tantisper duce Talboto suos inflammante Galliæ fruendæ emolumento, hortante etiam ne mirarentur uni mulierculæ spiritum adesse virilem, cum Galli viri, uti dicebat, se fœminis inferiores præbuissent. Par ailleurs, Jeanne ignorait la tromperie mais savait se battre, elle brandissait son épée sacrée en première ligne contre les Anglais, et pas une épée ne l’égalait en courage ; leur chef Talbot en profitait pour exciter les siens à la conquête de la France, les exhortant même à ne pas s’étonner qu’une simple femme ait un esprit viril, puisque les hommes français, à ce qu’il disait, s’étaient montrés inférieurs aux femmes. Nihil tamen profecit, quominus Angli dimisso Aureliano castra aliorsum transferrent, civibus Pæana Deo canentibus, et Janam uno ore laudantibus : quam sagitta in crure dextro sauciam vehementer lugebant. Rien n’y fit car les Anglais durent malgré tout lever le siège d’Orléans et évacuer leur camp, tandis que les habitants entonnaient un chant d’action de grâce à Dieu et louaient Jeanne d’une seule voix, tout en déplorant amèrement de la voir blessée par une flèche à la jambe droite. Leve autem fuisse vulnusculum conjicio, aut repente sanatum, siquidem paulo post Jana præliis interfuerit, dum urbes Anglis extorquerentur. Je suppose que la blessure était légère, ou qu’elle a rapidement guéri, puisque peu après Jeanne prit part aux combats pour arracher d’autres villes aux Anglais. Nam ad Patayum conflixit cum Potone, Loreo et Bemontio contra sex Anglorum millia Talboto Duce superbo : ubi pugna maxima ac multiplex legionariis militibus sagittariis, equitibus, ancipiti eventu diu dimicantibus, tam avide, ut 107pereundo recreari viderentur : nec prius desitum est, quam Talbotum capi accidit, quem facta cum Potone permutatione Angli recuperarunt. À Patay, en effet, aux côtés de Poton, Loré et Beaumanoir, elle affronta six mille Anglais sous les ordres du fier Talbot : la bataille fut terrible et totale ; soldats, archers et cavaliers se livrèrent une lutte longue et incertaine, avec une rage telle que les mourants semblaient régénérés, et qui ne prit fin que lorsque Talbot fut fait prisonnier ; les Anglais récupérèrent par la suite en l’échangeant contre Poton. Deferuescebat Talboti jam multis annis inveterata fiducia : præsertim quod ipse jactabundus aliquando dixerat Henrico Regi, tunc Franciam ab imperio Anglorum ereptum iri, cum Carolus Rex coruum album vidisset. La confiance de Talbot, enracinée depuis tant d’années, commençait à faiblir ; d’autant que lui-même s’était vanté devant le roi Henri que la France serait arrachée à la domination anglaise quand le roi Charles aurait vu un corbeau blanc. Contigerat autem pueros quosdam lusitantes in vestibulo regia coruum creta illitum tractare, prospero sane augurio et spectantibus jucundissimo, præterquam Talboto capto, nec dum in sua præsidia reverso, et Anglorum fortunam senescere indolente. Or, on vit un jour les enfants jouant dans l’entrée du palais, s’amuser avec un corbeau blanchi à la craie, présage assurément favorable et fort plaisant pour les témoins de la scène sauf pour Talbot, toujours prisonnier et qui n’ayant pas été rendu aux siens, assistait impuissant au déclin de la fortune des Anglais. At e diverso Franci solito lætiores genio sine lascivia indulgebant, sese accingentes solemnibus Regis Caroli Rhemos cogitantis, ut cœlesti oleo more majorum atque gaudio perfunderetur : idque Jana sollicitante et numinis consensionem allegante, non paucis aulicis refragantibus, quibus periculosum putabatur Rhemis Regem credere, adeo circumjecta oppida Anglorum fidei obnoxia 108armis perstrepebant. À l’inverse les Français, plus joyeux que d’habitude, s’adonnaient à leur bonne humeur mais sans excès, se préparant pour les solennités du roi Charles, qui envisageait d’aller à Reims recevoir l’onction sacrée dans l’allégresse, selon la coutume de ses ancêtres : Jeanne l’y incitait, invoquant la volonté divine, et malgré l’opposition de bon nombre de courtisans qui jugeaient périlleux pour le roi de s’aventurer à Reims tant les villes alentours, sous obéissance anglaise, retentissaient du bruit des armes. Porrexere tandem manus sententiæ puellæ Alenconius, Borbonius et Vandomensis Duces : nec pænituit quippe cum ex animi sententia Rex corona festivum caput cinxerit : milites donativo, populum congiario honoraverit. Finalement, les ducs d’Alençon, de Bourbon et de Vendôme se rallièrent à l’avis de la Pucelle : ils n’eurent pas à le regretter puisqu’en suivant cet avis, le Roi put solennellement ceindre sa tête de la couronne, et accorder largesse aux soldats et argent au peuple. Quasi triumphans in arcem a templo perductus. Acclamatum est illi. Comme en triomphe, il fut mené de la cathédrale au château. La foule l’acclama. Carolo Regi Francorum æterna salus. À Charles, roi de France, salut éternel. Christus servet fortem, justum, bonum Principem, auspicatissimum regni sui restitutorem, hostium expulsorem invictum, stipatum fidelissimorum clientum numero, majore virtutum. Que le Christ garde ce Prince fort, juste et bon, très heureux dans la restauration de son royaume, invaincu dans l’expulsion des ennemis, entouré par le nombre de ses partisans très fidèles et plus encore par celui de ses vertus. Verum quia magnanimitas in otio ringitur plus quam in negotio, illico consecrato Rege redintegratum est belligerandi desiderium a Jana subtristi, quod ensem, quem tantopere amabat, fregisset quando paulo violentius, terrendi tantum gratia, quasdam impudicas fœminas quateret, quas procul a castris esse antea edixerat : per experimenta cognoscens, parum armis profici cum Deus victoriarum dispensator spurcissime offendatur. Comme la grandeur d’âme se morfond davantage dans l’inaction que dans l’action, à peine le roi fut-il sacré que Jeanne fut reprise du désir de guerroyer ; elle était un peu triste parce qu’elle avait brisé l’épée qu’elle aimait tant, en frappant un peu trop rudement, pour les effrayer seulement, des femmes de mauvaise vie qu’elle avait déjà bannies du camp : ainsi apprenait-elle par l’expérience que les armes servent peu quand Dieu, dispensateur des victoires, est si affreusement offensé. 109Cum autem Jana pristinum retinens animum Compendium ivisset adjutum cives longa obsidione molestatos, et pene extrema patientes, dum non potest in arcto contineri, dum audet erumpere, dum cæteris lætius equo puncto alam suorum prægreditur, in potestatem cohortis Burgundæ venit, traducta in Anglorum manus, et magna vi auri pensata. Cependant, Jeanne, n’ayant rien perdu de son courage, s’était rendue à Compiègne pour secourir les habitants accablés par un long siège et presque à bout de résistance ; or, comme elle était incapable de tenir à l’étroit, qu’elle osa faire une sortie, et que plus fougueuse que les autres elle éperonna son cheval pour leur passer devant, elle tomba aux mains d’une troupe de Bourguignons, fut menée aux Anglais et vendue à grand prix d’or. Diu deliberatum est Rhotomagi a Primoribus utrum servaretur incolumis. Les chefs délibérèrent longuement à Rouen pour décider si elle devait être épargnée ou pas. Talboto dicente, siquidem fœminam violassent, invidiosam fore vindictam, non minus quam fugam olim eorum quibus terrori fuisset. Talbot eut beau dire que s’ils faisaient violence à cette femme, la vengeance ne serait pas moins infâme que la fuite de ceux qu’elle avait jadis terrorisés. Reclamatum est illi a militibus, veneficam et præstigiis magicis imbutam Janam afferentibus : quorum importuno convicio paritum est, puella flammis exusta ut tanquam aurum excoctum splendidiorem animam redderet Deo. Mais les soldats s’élevèrent contre lui, affirmant que Jeanne était une sorcière initiée aux artifices magiques ; on céda à leur vocifération importune et la jeune fille fut brûlée par les flammes, de sorte qu’elle rendît son âme à Dieu, plus resplendissante encore que l’or épuré par le feu. Causabantur quidam Janam, cum sciret Anglos eo vini avidiores, quo magis deficiuntur, captivos quosdam qui noverant vini copiam Aurelianum, adventare in liberiore custodia habuisse de 110industria, ut fugerent, et suos certiores vini instantis facerent : mox nocte concubia curasse ut carris vinum importaretur misto [mixto] papavere : quod aurigis fugientibus per Anglos interceptum, somnum profundum illis conciliabat, et somni cognatam mortem, Francis ex improviso contra sopitos per tentoria irruentibus, et pecudum instar jugulantibus. L’une des accusations contre Jeanne était la suivante : comme elle savait que les Anglais étaient d’autant plus avides de vin qu’ils en manquaient, elle aurait volontairement fait relâcher la surveillance de prisonniers tenus au courant de l’arrivée d’un convoi de vin à Orléans, afin qu’ils s’échappassent et informassent les leurs de l’arrivée imminente de ce vin ; plus tard dans la nuit, elle se serait arrangée pour qu’on transportât des charriots de vin mélangé à du pavot ; ce vin, intercepté par les Anglais après la fuite des conducteurs, les aurait plongé dans un sommeil profond, proche de la mort, si bien que lorsque les Français fondirent sur les assoupis à travers leurs tentes sans crier gare, ils les égorgèrent comme du bétail. Id num Janæ bono dolo evenerit, an magis hostium malignitate exprobratum, nolim affirmare. Jeanne a-t-elle véritablement joué ce bon tour, ou s’agit-il plutôt d’une calomnie malveillante de ses ennemis, je ne saurais le dire. Tantum habeo admonere morientem illam tanquam ex testamento Francis reliquisse mœrorem, et prosperitatem eandem, quam vivens iisdem ubique attulerat. Je tiens seulement à rappeler que la mort de Jeanne laissa aux Français, comme un testament, et de la tristesse, et cette même prospérité qu’elle leur avait partout apportée de son vivant. Nunquam enim desiere pessum ire Anglorum conatus, et sponte sua festinabat ad Francos victoria, rotæ exemplo ex clivo in præceps labentis. De fait, les entreprises des Anglais furent invariablement vouées à l’échec tandis que la victoire se jetait d’elle-même sur les Français, telle une roue dévalant une pente. Et fuit gaudium breve ac volucre Henrico Anglo Caroli Franci ex sorore nepoti, qui Lutetiæ diademate insignitus, nondum pubes, simulato civium studio et clara celebritate, sexto post anno sensit mœnia Parisiorum occupasse, non pectora devota Carolo, quem seria 111hilaritate receptum tanto ardentius coluerunt, quanto diutius optaverant. Et la joie fut brève et fugace pour Henri d’Angleterre, neveu du roi Charles de France par sa sœur, qui, couronné à Paris alors qu’il n’était encore qu’un enfant, avec un simulacre d’engouement populaire et des festivités flamboyantes, comprit six ans plus tard qu’il avait conquis les murs de Paris mais non les cœurs, dévoués à Charles, lequel, accueilli avec une allégresse solennelle, fut d’autant plus ardemment honoré qu’on l’avait longtemps désiré. Varie postmodum luctatum est inter Francos Anglosque. Par la suite, la lutte entre Français et Anglais prit des formes diverses. Sed hi adacti ad petendas inducias sesquiannales impetraverunt magis quam observarunt : Et quamvis Græci inducias ἐκεχειρίαν vocaverint, id est, manuum temperationem, quia eo tempore, licet pax non fit, a pugna tamen abstineatur : certe Angli ex oppidis Galliæ quibus potiebantur, clandestinis incursionibus erumpebant, et prædas agebant opimas plerunque [plerumque] noctu aut interdiu larvati et terrifici. Ces derniers en furent réduits à demander une trêve d’un an et demi, qu’ils obtinrent cependant plus qu’ils ne respectèrent. Si les Grecs nommaient ces trêves ἐκεχειρίαν, c’est-à-dire une retenue des mains, période où l’on s’abstient de combattre sans pour autant faire la paix, les Anglais, eux, lançaient des incursions clandestines depuis les places françaises qu’ils détenaient, faisant main basse sur de riches butins, généralement de nuit, ou alors de jour, masqués et terrifiants.

Нæс Forcatulus. Voici pour Forcadel.

Medici. Médecins

I.
Symphorianus Champerius Symphorien Champier

De Medicorum autem familia Symphorianus Champerius in Francorum Regum genealogia, et in tractatu tertio trophæi Gallorum, et in parallelia Heroum Galliæ ita scribit : Passons à la corporation des médecins ; Symphorien Champier, dans sa généalogie des Rois de France, dans son troisième traité du Trophée des Gaulois et dans les Parallèles des Héros de Gaule, écrit ce qui suit :

Afflictis Caroli septimi rebus, ex oppido Valcolore puella circiter annorum viginti cœlesti voce monita, Regem adiit, armisque virilibus instructa, militis obivit munus. Alors que les affaires de Charles VII étaient au plus mal, une jeune fille d’environ vingt ans, originaire de Vaucouleurs, envoyée par une voix du ciel, se rendit auprès du Roi et, armée comme un homme, assuma le rôle de soldat. Ejus auspiciis et ductu, Aurelianensis urbs ab Anglorum obsidione 112eximitur, et aliquibus in locis prospere pugnatum est. Sous ses auspices et son commandement, la ville d’Orléans est délivrée du siège des Anglais, et l’on combattit avec succès en plusieurs endroits. In Gallia quoque Belgica receptæ pleræque civitates, et in iis præcipua Rhemensis, ubi Carolus more majorum tinctus oleo sacro, regium capitis decus accepit. En Gaule Belgique également, la plupart des cités furent reprises, et plus particulièrement Reims, où Charles, suivant la coutume de ses ancêtres, fut oint du saint-chrême et couronné. Interim Puella dum Gallis obsessis apud Compendium subsidio venisset, eruptioneque facta in oppidum se reciperet, insidiis excepta venit in hostium potestatem, quam Joannes Luxemburgus, Anglis ut ancillam vendidit. Cependant, alors que la Pucelle s’était portée au secours des Français assiégés à Compiègne et qu’après une sortie elle tentait de regagner la ville, elle fut prise en embuscade et tomba au pouvoir de l’ennemi ; Jean de Luxembourg la vendit comme simple servante aux Anglais. Illi Rothomagum deductam ultimo supplicio afficiunt : adjecta causa quod mulier oblita sui sexus, habitu viri sumpsisset. Ceux-ci, l’ayant conduite à Rouen, la condamnèrent au supplice ultime, au motif que cette femme, oubliant son sexe, avait mis un habit d’homme.

II.
Nicolaus Vignerius Nicolas Vignier

Nicolaus Vignerius Medicus et Historicus regius in tertio tomo bibliothecæ historialis, multis nominibus nostratem puellam, nempe ob virginitate, strenuitatem, in bello felicitatem, et vitæ probitatem commendat, suspicit, et admiratur. Nicolas Vignier, médecin et historiographe du roi, dans le troisième tome de sa Bibliothèque historiale, loue, révère et admire notre pucelle à plusieurs titres, à savoir sa virginité, sa vaillance, ses succès militaires, et l’intégrité de sa vie.

Historici. Historiens

I.
Paulus Æmilius Paolo Emilio / Paul Émile

Jam ex Historicorum ordine Paulus Æmilius Veronensis, vir sapientiæ et eloquentiæ laude præstans, lib. 10. de rebus gestis Francorum in vita Caroli VII. rem 113nostram sic literis comprehendit. Venons-en aux historiens : Paolo Emilio de Vérone, homme remarquable par sa réputation de sagesse et d’éloquence, a consigné de la manière suivante les faits qui nous intéressent, dans sa vie de Charles VII, au livre X des Hauts faits des Français.

Joanna Lotharinga Puella duodeviginti circiter annos nata, sub patre oves pascere solita, ad Regem ducitur, prædicans se mente divinitus admonitam venire, profiterique [profitensque ?] se Anglos Francia exacturam. Jeanne, la Pucelle de Lorraine, âgée d’environ dix-huit ans et habituellement occupée à garder les moutons pour son père, est conduite devant le Roi, affirmant avoir été spirituellement sommée par Dieu de se présenter et d’annoncer qu’elle chassera les Anglais de France. Mirabundo Rege, multiplici percontatione procerum versata, semper sibi constitit, nullumque ei verbum nisi pudicum sanctumque excidit. Devant le roi émerveillé, ou soumise à de multiples interrogatoires par les plus hautes autorités, elle demeura inébranlable dans ses convictions, et aucune parole qui ne fût chaste et sainte ne lui échappa. Consilio Ducum sanctorumque non aspernanda res visa ; militari ergo habitu, accepto ab Rege exercitu, ducibusque trajecto flumine, obsessis per intermissas hostium munitiones septimum jam mensem clausis auxilia commeatusque intulit, crebrisque eruptionibus obsidionem solvit ; circunferendoque [circumferendoque] bello, variis Ducum conatibus circumjecta oppida quæ hostis occuparat, recepit, levibus præliis, quæ tamen in summam universæ rei spem proficerent, Anglo fatigato. Après délibération des chefs et des gens d’Églises il fut décidé qu’on ne dédaignerait pas l’entreprise ; elle fut donc équipée militairement, reçut du roi une armée, passa le fleuve avec les autres chefs et fit parvenir au travers des lignes ennemis, des secours et des vivres aux assiégés, enfermés depuis déjà sept mois ; puis par de fréquentes sorties, elle fit lever le siège ; ensuite, poursuivant la guerre alentour et après divers efforts des chefs, elle reprit les places voisines que l’ennemi occupait ; ces escarmouches, bien que légères, contribuaient à l’espoir d’un succès total, l’Anglais étant épuisé. Ad tria hostium millia in Belsia cæsa anno ejus seculi undetricesimo : Nec fortunæ se offerenti defuit Francus Rex ; utque augustior suis, hosti formidolosior foret, 114authore ac duce Puella Rhemos ad sacrum chrisma, regnique insignia suscipienda profectus, etc. Près de trois mille ennemis furent tués en Beauce en l’an vingt-neuf de ce siècle. Le roi de France ne manqua pas l’occasion que lui offrait la fortune : et pour paraître plus majestueux aux siens, plus redoutable à l’ennemi, il se rendit à Reims à l’initiative et sous la conduite de la Pucelle pour y recevoir le saint-chrême et les insignes royaux, etc.

Et paulo post. Et un peu plus loin :

Longe aliam fortunam nacta est Joanna quam qua Aurelianum servarat. Jeanne connut une fortune bien différente qu’en sauvant Orléans. In oppidum quidem irrupit, sed eruptione facta postea, in potestatem hostium venit. Elle réussit certes à entrer dans la ville, mais lors d’une sortie qui eut lieu par la suite, elle tomba au pouvoir de l’ennemi. Rothomagum ducta, ab Anglis superstitionis falsaque religionis insimulata, igne cremata est, hoste judice, nemine eo loco pro captiva contra hiscere auso. Conduite à Rouen, elle fut accusée par les Anglais de superstition et de fausse religion, puis brûlée vive, condamnée par un tribunal ennemi sans que personne n’osât y protester en faveur de la prisonnière. Aurelianenses Puellæ statuam posuere. Les Orléanais élevèrent une statue en l’honneur de la Pucelle. Eam summis laudibus efferunt et admirantur Pius Pontifex maximus, et Antoninus Florentinus Pontifex. Le pape Pie et l’évêque de Florence Antonin l’admirent et la célèbrent avec les plus vifs éloges.

II.
Baptista Fulgosius Battista Fregoso / Baptiste Frégose

Baptista Fulgosius Dux Genuensis lib. 3. dictorum factorumque memorabilium cap. 11. de fortitudine. nostræ Deboræ meritam hanc laudem aspergit. Battista Fregoso, doge de Gênes, dans le livre III de ses Dits et faits mémorables, au chapitre 11 sur le courage, adresse à notre Déborah cet éloge bien mérité.

Joanna non tutata est solum Galliam, verum etiam ex Britannorum manibus recepit, diu ante a Britannis oppressam. Jeanne ne s’est pas contentée de défendre la France, elle l’a véritablement reprise aux Anglais, après une longue oppression anglaise. Regnante enim Carolo VII. cum Parisiorum urbem magnamque Gallici regni partem Britanni possiderent : Joanna Jacobo Darco patre orta, 115in Lotharingorum pago, qui Dampremum dicitur, cum nondum 15 annum superasset, propter admirandas visiones fatidica putabatur. Sous le règne de Charles VII, tandis que les Anglais occupaient la ville de Paris et une grande partie du royaume de France, Jeanne, fille de Jacques d’Arc, originaire d’un village appelé Domrémy en Lorraine, était considérée comme une prophétesse en raison de ses visions admirables, bien qu’elle n’eût pas encore quinze ans. A Carolo igitur Lotharingorum Principe, ad Robertum Baudricurtum in Vallicolore militarem Gallorum Ducem, et ab ipso ad Carolum septimum Regem in Gallia designatum missa fuit. Charles, duc de Lorraine l’envoya vers Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, lequel l’envoya à Charles VII, légitime roi de France. Huic cum large victoriam polliceretur, non ante fides habita fuit, quam experiendo in multis que futura prædicabat, verax inventa est. Bien qu’elle l’assurât de la victoire, on ne lui accorda pas foi avant d’avoir constaté, en plusieurs circonstances, que ce qu’elle prédisait s’avérait vrai. Ita fidem indepta, delatam tandem Gallici exercitus summam atque imperium suscepit. La confiance ainsi obtenue, elle reçut le commandement suprême de l’armée française qu’on lui proposait enfin. Armata igitur atque ingenti equo insidens cum voce gestuque a vero militari duce non abesset, ingenti animo Aurelianorum urbem arcta obsidione ab eis oppressam liberavit, ubi pugnando vulnus in humero accepit, nec vero armorum fragor, effususque in prælio sanguis, et sæva mortis genera, quibus cædere in prælio pugnantes intuebatur, virginis animum terruerunt, sed ceu efferata anima, et Ducis militis munia implevit ; inde exercitu 116ad Trecas perducto, urbem eam contra omnium sententiam adorta cepit. Ainsi armée et montée sur un grand cheval, alors que rien dans la voix ou dans le geste de la distinguait d’un véritable chef de guerre, elle libéra avec un immense courage la ville d’Orléans épuisée par siège rigoureux ; elle y fut blessée à l’épaule durant les combats, mais ni le fracas des armes, ni l’effusion de sang, ni les morts cruelles dont elle voyait frapper les combattants dans la mêlée ne parvinrent à effrayer son cœur de vierge ; au contraire, elle montra un courage farouche et une âme de chef. Par la suite, ayant conduit l’armée devant Troyes, elle attaqua la ville contre l’avis général, et s’en empara. Carolumque Septimum qui designatus Rex erat, diademate ut moris erat Rhemis insigniri ut regem jussit, salutisque anno quadringentesimo vigesimo nono supra mille, cum Parisiorum urbem oppugnaret inter primos milites in muros ascendit, neque quanquam crure sagitta trajecto ab incepto destitit, tantumque formidinis de se Britannorum animis injecit, ut quemadmodum ante Britannorum Galli conspectum non sustinebant, ita postea Pulicellam Britanni ferre non possent. Puis elle persuada Charles VII, qui était le roi légitime, de se faire couronner et sacrer roi à Reims, selon la coutume, en l’an de grâce 1429 ; lors de l’attaque de Paris, elle escalada les murs en première ligne et ne s’arrêta pas même après qu’une flèche lui eut transpercé la jambe ; elle inspira une telle terreur aux Anglais, que les Anglais ne pouvaient plus soutenir la vue de la Pucelle, comme auparavant les Français ne pouvaient soutenir celle des Anglais.

III.
Laonicus Chalcondylas Laonicos Chalcondyle

Laonicus Chalcondylas Atheniensis lib. 2. de rebus Turcicis in Joannæ tempora laudemque delapsus, L’athénien Laonicos Chalcondyle, dans le livre II de son Histoire des Turcs, en est venu à parler de l’époque et de la gloire de Jeanne :

Erat (inquit) forma haud illiberali, quæ dicebat sibi cum Deo esse colloquium : hæc regebat Gallos, qui ipsam sequebantur, mulier autem cum foret militia Dux, indicabat numinis auspicio, se scire, Britannos cum exercitu accedere. Elle avait (dit-il) les traits nobles et affirmait s’entretenir avec Dieu ; elle commandait aux Français, qui lui obéissaient, car femme elle n’en était pas moins chef de guerre ; elle disait savoir, par révélation divine, que les Anglais approchaient avec leur armée. Commissa tandem pugna, cum victoriam Angli non essent adepti, in castra se receperunt, postero die freti virtute 117mulieris, qua exercitum ductabat, prælii potestatem faciunt. Le combat fut engagé, mais les Anglais, incapables de l’emporter, se replièrent dans leur camp ; le lendemain, confiants dans la valeur de cette femme à la tête de l’armée, on leur proposa à nouveau la bataille. Eo in prælio hostes fugarunt fugientesque persecuti sunt. Lors de ce combat, ils mirent les ennemis en fuite et poursuivirent les fuyards. Et Galli cum recepissent animos, jamque fortitudinis collegissent famam, fortiter contra Britannos dimicantes, urbes suas recuperarunt, regnumque tutati sunt : quamvis plurimi et maximi exercitus e Britannia in Galliam transirent, tamen Galli semper victoriam pugnantes invenere, hostes fugere coegerunt Caledam, tandemque penitus eos e Gallia pepulerunt. Et les Français, ayant repris courage et acquis une réputation de bravoure, combattirent vaillamment les Anglais, récupérant ainsi leurs villes et protégeant le royaume ; malgré les nombreux et puissants renforts amenés d’Angleterre en France, les Français combattirent toujours victorieusement, forçant les ennemis à se replier vers Calais, avant de les expulser définitivement de France.

IV.
Marcus Antonius Coccius Sabellicus Marc-Antoine Cocce Sabelic

Marcus Antonius Coccius Sabellicus in tertio libro X. Enneadis ait. Marc-Antoine Cocce Sabelic, dans le troisième livre de la dixième Ennéade, dit ce qui suit :

In hæc tempora incidisse crediderim Joannæ Gallicæ virginis facinus illud omni ævo mеmorabile, quum Gallorum opes Anglicis bellis fractæ jacerent. Je crois que c’est à cette époque qu’eut lieu l’inoubliable épopée de Jeanne, la vierge française, quand la puissance des Français avait été anéantie par les guerres anglaises. Puella cœlesti voce monita (ut creditur) virili habitu armisque instructa ductare cœpit exercitum, dein cum hostibus sæpius congressa inter primos dimicans, multo maximam Francorum regni partem ex Anglis recepit. La Pucelle, inspirée par une voix céleste (comme on le croit), habillée en homme et armée, prit le commandement de l’armée ; puis, après avoir souvent affronté l’ennemi, combattant en première ligne, elle reprit aux Anglais la plus grande partie du royaume de France.

V.
Antonius Bonfinius Antonio Bonfini / Antoine Bonfini

Bonfinius lib. 8. decadis 3. Bonfini dans le huitième livre de la troisième Décade :

Joanna Gallica 118Puella dum oves pascit, tempestate coacta in proximum sacellum confugit : ibi obdormiens liberandæ Galliæ mandatum divinitus accepit. Jeanne, la Pucelle française, faisait paître ses moutons lorsqu’un orage la poussa à s’abriter dans une chapelle toute proche ; s’y étant endormie, elle reçut la mission divine de libérer la France.

VI.
Paulus Constantinus Phrigio Paul Phrygio

Paulus Constantinus Phrigio in chronico regum regnorumque omnium. Paul-Constantin Phrygio, dans sa chronique de tous les rois et royaumes :

Temporibus istis ex oppido Valcolore, puella annorum circiter viginti, Joanna nomine armis instructa, militis subibat munus, cujus auspiciis multis in locis prospere pugnatum est, Remisque recepta, Aurelia obsidione liberata, Carolus Remis unctus est et coronatus, Joanna capta et Rothomagi cremata. En ces temps-là, une jeune fille d’environ vingt ans, nommée Jeanne, quitta Vaucouleurs et s’arma pour se faire soldat ; sous ses auspices, on combattit avec succès en plusieurs endroits : Reims fut reprise, Orléans délivrée ; Charles fut sacré et couronné à Reims, Jeanne capturée et brûlée à Rouen.

VII.
Henricus Pantaleon Heinrich Pantaleon / Henri Pantaléon

Henricus Pantaleon Physicus Basiliensis, S. Lateranensis Palatii atque Cæsarei consistorii Comes, libro 5. diarii Historici scribit, Heinrich Pantaleon, médecin à Bâle, comte du Sacré Palais de Latran et du Consistoire impérial, dans le livre V de son Journal historique, écrit que :

Joannam puellam Lotharingam Aurelianenses sexto mense obsessos liberavisse, et hostes profligasse. Jeanne, la jeune Lorraine, a délivré les Orléanais, assiégés depuis six mois, et terrassé l’ennemi.

VIII.
Pontus Heuterus Pontus de Huyter

Pontus Heuterus Delfius Præpositus Arnhemensis, libro 4. rerum Burgundicarum in vita Philippi Boni historiam puellæ sic bellissime describit. Pontus de Huyter, de Delft, prévôt d’Arnhem, dans sa vie de Philippe le Bon, au livre IV des Affaires de Bourgogne, raconte l’histoire de la Pucelle de la belle manière qui suit :

Huc usque 119Anglis fortuna, contra Francos favere, hic insignium victoriarum triumphorumque finem facere, ac quas immenso sanguine urbes acquisierant, veteribus tradere possessoribus, Francorumque populum externo pressum jugo respirare, resumptoque jam tandem animo, Anglicum excutere imperium voluit, non ductu nec auspiciis alterius Cæsaris, Alexandri, Pompeii, aut Caroli, non prudentia tot Principum prima nobilitatis, non fortium Præfectorum bellandi peritia clarorum opera, sed quod omnium veterum memorabilia superat exempla ac facinora, ductu ignotæ, ignobilis ac rusticæ puellæ octodecim annorum, quæ ad hoc usque tempus in patria sua Lotharingia, vaccas, boves, ac oves pascere erat solita, nullo quam Joannæ nota nomine, quæ a Deo se Regi in auxilium missam dicens, in ejus consiliique sui conspectum admissa, tam præsenti animo, ac prudenter causam adventus sui exposuit, ut statim sexcentis præficeretur equitibus ; Jusqu’ici, la fortune avait favorisé les Anglais contre les Français ; là, elle décida de mettre un terme à leurs éclatantes victoires et triomphes, de rendre à leurs anciens possesseurs les villes conquises dans un bain de sang, de permettre au peuple français, opprimé par le joug étranger, de respirer, et ayant repris courage, de se débarrasser de la domination anglaise ; et cela non pas sous la conduite ni les auspices d’un nouveau César, Alexandre, Pompée ou Charlemagne, non par la sagesse de quelques princes de haute noblesse, non grâce à quelques vaillants capitaines réputés pour leur science militaire ; mais, ce qui surpasse tous les exemples et exploits mémorables de l’Histoire, sous la conduite d’une jeune paysanne de dix-huit ans, inconnue, de naissance obscure, qui jusque-là gardait vaches, bœufs et moutons dans sa patrie Lorraine, connue sous le seul nom de Jeanne ; laquelle, se disant envoyée par Dieu au secours du Roi, avait été admise auprès de lui et de son conseil, et exposa la raison de sa venue avec tant de présence d’esprit et de prudence, qu’elle fut immédiatement mise à la tête de six cents cavaliers ; quodque nullus Regiorum Præfectorum hactenus potuerat, invitis Anglis, dictis 120cum equitibus Aureliam intrat, commeatuque cives ad extremam inopiam redactos juvat, erumpensque cum præsidiariis, ac instar viri armata equo insidens, inter primos pugnam ciet, tria castella opportunis locis ab Anglis erecta expugnat, omnibusque qui intus erant jugulatis, tandem relinquere obsidionem cogit, qua victoria fidem penes Regem nacta, eundem in Rhemos ducit, sacro ibi oleo veterum Francorum more hoc anno inungi facit, multaque alia oppida munitaque loca, ejus ductu Rex Carolus recuperat, cogiturque puellæ hujus timore Bethfordius legatos in Flandriam ad Philippum Bonum mittere, quo communi consilio ac viribus, viri Principes belloque docti, rusticæ puellæ resisterent. et, ce qu’aucun chef de guerre du roi n’avait pu accomplir jusque-là, elle entra dans Orléans avec ses cavaliers malgré les Anglais, et ravitailla les habitants réduits à la dernière extrémité ; faisant une sortie avec la garnison, armée comme un homme et montée sur un cheval, elle se jeta en première ligne dans la bataille, prit d’assaut trois bastilles que les Anglais avaient construites en des lieux stratégiques, passa au fil de l’épée tous ceux qui s’y trouvaient, et enfin les contraignit à lever le siège ; ayant par cette victoire gagné la confiance du roi, elle le mena la même année à Reims où elle le fit oindre avec le saint-chrême selon la coutume des anciens Francs ; sous sa conduite, le roi Charles reprit beaucoup d’autres villes et places fortes, si bien que Bedford, effrayé par cette fille, se vit contraint d’envoyer des ambassadeurs en Flandre auprès de Philippe le Bon, afin qu’en unissant leur idées et leur forces, ces princes, hommes puissants et versés dans la guerre, puissent résister à cette jeune paysanne. Venit octingentis stipatus equitibus, veteresque fœderis conditiones cum Anglis renovat, jurantes se Carolum Valesium Biturigum Regem (sic enim per contumeliam Angli Carolum VII. vocitabant) junctis viribus persecaturos, nec pacem alterum sine alterius consensu facturos. Celui-ci vint accompagné de huit cents cavaliers et renouvela avec les Anglais les termes de leur ancienne alliance, jurant de conjuguer leurs forces pour traquer Charles de Valois, le roi de Bourges (ainsi que les Anglais appelaient par mépris Charles VII), et de ne pas conclure de paix l’un sans l’autre.

Et paulo post idem author 121scribit. Un peu plus loin, le même auteur ajoute :

Joannæ vestis militaris. Vêtement militaire de Jeanne

Cumque Puella Joanna quingentis comitata equitibus obsessis Compengis auxilio venisset, secundo die præsidiariis civibusque eductis, castellum cui Bando Noiellus præerat expugnasset, nisi ex omnibus castris in auxilium advolassent. Et lorsque Jeanne la Pucelle arriva avec cinq cents cavaliers porter secours aux assiégés de Compiègne, conduisant une sortie le lendemain, à la tête de la garnison et des citoyens, elle aurait emporté le quartier commandé par Baudouin de Noyelles si tous les autres camps n’avaient volé à son secours. Puella multis utrinque interfectis ac vulneratis urbem repetere cogitur : Après de nombreux morts et blessés de part et d’autre, la Pucelle fut contrainte de se replier vers la ville : cumque inter postremos pugnans cæteris evadendi locum faceret, e signo militari ac veste quam supra arma ferebat agnita (erat autem ea purpurea byssina auro argentoque intertexto flavescens) a robusto equite qui vestem apprehenderat equo detrahitur ; et quamvis Franci extrema vi pro ea liberanda decertarent, pulsi, dedere sese Joanna cum Pontone œconomi sui fratre filio Notho Vandommæ domini cogitur, ductaque Marignium magno Francorum cum dolore Anglorumque gaudio, arcta custodia traditur. et tandis qu’en combattant parmi les derniers elle ménageait aux autres un espace pour s’échapper, elle fut reconnue à son étendard et au vêtement qu’elle portait par-dessus l’armure (lequel était d’une étoffe de lin pourpre, flamboyant d’or et d’argent entremêlés), et jetée à bas de son cheval par un robuste cavalier qui l’avait saisie par le vêtement ; les Français eurent beau déployer toute leur énergie pour la dégager, ils furent repoussés, et Jeanne contrainte de se rendre avec Poton, son intendant, et son frère, au bâtard, fils du seigneur de Wandonne ; conduite à Marigny, elle fut placée sous étroite surveillance, au grand désespoir des Français et à la grande joie des Anglais. Neminem enim e Regis Caroli Præfectis Angli magis verebantur. Car aucun des chefs de guerre du roi Charles n’inspirait plus de crainte aux Anglais. Bonus quum eam esset allocutus, Joanni Lutzenburgio commendat, qui Baulium, indeque Baurevorium eam perducit, 122ubi ferme biennium detenta tandem Anglorum Regi (cum eam importunis indesinenter verbis diu petiisset) traditur, ejusque jussu instantibus Junii Cal. anno 1431. Rothomagensi in foro exuritur, magis odio iraque (quod ab ignobili puella tot clades viri bello illustres accepissent) quam quod aliquid eis de tam indignæ sævæque mortis merito constaret. Après lui avoir parlé, [Philippe] le Bon la confie à Jean de Luxembourg, qui la conduit à Beaulieu, puis à Beaurevoir, où elle est détenue environ deux ans avant d’être finalement livrée au roi d’Angleterre (qui l’avait longuement réclamée par des demandes incessantes) ; sur son ordre, elle fut brûlée sur une place de Rouen le 30 mai 1431, plus par haine et colère (cette jeune fille sans naissance ayant infligé des défaites à tant d’illustres capitaines) que parce qu’ils lui trouvèrent quelques motifs méritant une mort aussi indigne et cruelle. Accusabant eam veneficii, quodque malignorum spirituum opera tractasset bella, ac proinde a religionis Christianæ decretis et veritate defecisset, quemadmodum Rex Henricus, qui hoc tempore in Franciam appulerat, sua manu Bono perscripsit. Ils l’accusaient de sorcellerie, de s’être aidée d’esprits malins pour mener la guerre, et partant, de s’être détournée des décrets et de la vérité de la religion chrétienne, ainsi que le roi Henri, qui était arrivé en France, l’avait personnellement écrit à [Philippe] le Bon. Sunt qui fabulam, quæ de Puella Joanna scribimus, putent. Il s’en trouve pour croire que ce que nous écrivons sur Jeanne la Pucelle relève de la fable. Sed præterquam quod recentioris sit memoriæ, omniumque scriptorum libri, qui tum vixerunt, mentionem de ea præclaram faciant, vidi ego meis oculis in ponte Aureliano trans Ligerim ædificato erectam hujus Puellæ æneam imaginem, coma decore per dorsum fluente, utroque genu coram æneo crucifixi Christi simulachro nixam, cum inscriptione 123positam fuisse hoc tempore, opera sumptuque Virginum ac Matronarum Aurelianensium, in memoriam liberata ab ea urbis Anglorum obsidione. Mais, outre que le souvenir en est encore récent et que les livres de tous les écrivains qui vivaient alors en font une mention éclatante, j’ai vu de mes propres yeux, sur le pont d’Orléans au-dessus de la Loire, une statue en bronze de la Pucelle, les cheveux tombant avec grâce sur son dos, les deux genoux pliés devant une représentation en bronze du Christ en croix, avec une inscription indiquant qu’elle avait été placée là à cette époque, par les soins et aux frais des Filles et Mères d’Orléans, en mémoire de sa délivrance de la ville du siège des Anglais.

Joannæ comitatus a Rege concessus. Maison militaire de Jeanne octroyée par le Roi

Ad hæc habebam, dum hæc scriberem, historiam lingua Gallica manu scriptam Georgii Castellani, qui eleganter, exacteque vitam Philippi Boni exaravit, testaturque aliquot locis sese hoc tempore vixisse, ac puellam Joannam vidisse, quæ ex ignota, rusticaque puella bellicis facinoribus eo pervenisset, ut ei Rex Carolus sumptus, quibus Comitis familiam æquaret, suppeteret, ne apud viros militares per causam inopiæ vilesceret. À cela, j’ajoute qu’en écrivant, j’avais sous les yeux une histoire en langue française de la main de Georges Chastellain, auteur d’une vie de Philippe le Bon rédigée avec élégance et exactitude, et qui atteste en plusieurs endroits avoir vécu à cette époque et avoir vu la pucelle Jeanne ; laquelle pucelle, sans naissance et d’origine paysanne, s’était élevée par ses exploits guerriers au point que le roi Charles lui octroya de quoi entretenir une maison digne d’un comte, afin qu’elle ne soit pas dépréciée des soldats par manque de ressources. Conspiciebantur enim ejus in comitatu præter nobiles puellas, Procurator domus, Stabuli Præfectus, nobiles adolescentes pueri a manibus, a pedibus, a cubiculis, colebaturque a Rege, Proceribus ac imprimis a populo instar Divæ habebatur. Ainsi sa maison comprenait, outre des demoiselles de bonne famille, un maître d’hôtel, un écuyer, de jeunes nobles qui la servaient comme valets de main, de pied ou de chambres ; le roi, les grands et plus encore le peuple lui rendaient hommage comme si elle était une sainte.

IX.
Georgius Lilius George Lily

Georgius Lilius Britannus in Anglorum Regum chronico anno 1428. L’Anglais George Lily, dans sa chronique des Rois d’Angleterre, à l’année 1428 :

Joanna Puella armata Aurelianenses obsessos commeatu juvat, coactisque hostibus obsidionem 124relinquere ad VIII. Idus Maii Anglos viriliter expulit. Jeanne la Pucelle vient, en armes, ravitailler les Orléanais assiégés ; et, après avoir contraint l’ennemi à lever le siège le 8 mai, elle expulse énergiquement les Anglais.

Et paulo post. Et plus loin :

Puella Carolum Regem Remis consecrandum ducit. La Pucelle conduit le roi Charles à Reims pour y être sacré. Deinde, Puella Compendium obsessum vi et astu ingressa, cum in hostes eruptionem faceret, a Jo. Lucemburgensi capitur, Rothomagumque ad Ducem Somersertensem mittitur, dein magiæ damnata exuritur. Par la suite, après être entrée par la force et la ruse dans Compiègne assiégée, la Pucelle fait une sortie contre l’ennemi et est capturée par Jean de Luxembourg, envoyée au duc de Somerset à Rouen, puis condamnée pour magie et brûlée.

X.
Polydorus Vergilius Polydore Virgile

Polydorus Vergilius lib. 23. Anglicæ historiæ in vita Henrici sexti. Polydore Virgile dans sa vie d’Henri VI, au livre XXIII de son Histoire d’Angleterre :

Dum pacificatoriis legationibus Aurelianenses cum hoste agunt, Carolus copias undique arcessendas, Principes Francos ab Anglorum amicitia omnibus pollicitationibus alienandos curabat : Tandis que les Orléanais négociaient avec l’ennemi par des ambassades de paix, Charles s’employait à rassembler des troupes de toutes parts, et à détacher les princes français de l’alliance anglaise par toutes sortes de promesses. Item commeatum quem ad obsessos Aurelianenses mittere, studio parabat, cum ad eum puella quædam nomine Joanna, viginti circiter annos nata ducitur. Il s’appliquait également à organiser un ravitaillement pour les assiégés d’Orléans, lorsqu’une jeune fille nommée Jeanne, âgée d’environ vingt ans, lui fut présentée. Hæc ob servatam virginitatem, Puella dicta, et singulari prædita animo ac fatidica, cum ad Carolum adivisset, eum primo vestitu regalem personam dissimulantem internovisse, deinde ita salutasse fertur : On raconte que celle-ci, que l’on appelait la Pucelle parce qu’elle préservait sa virginité, qui était dotée d’un courage singulier et du don de prophétie, serait arrivée devant Charles et l’aurait reconnu du premier abord alors qu’il dissimulait sa personne royale sous un habit, puis l’aurait salué en ces termes : 125Bono Rex animo es, atque mitte timorem, vinces enim, et me duce, patriamque tandem in libertatem pristinam vindicabis, si non majestate indignum arbitrabere fœminæ opera uti. C’est bien toi le roi, sois courageux et chasse la crainte, car tu vaincras, et sous ma conduite, tu rendras enfin sa liberté à la patrie, si tu ne juges pas indigne de ta majesté d’avoir recours à une femme. Carolus qui rebus suis jam affectis valde timebat, facile dictis credidit, in spem bonam omnino ingressus, ut qui jam tum aliquid divinitatis in mente Puella sibi persuadebat inesse, ex eo, quod vestitu non regio indutus ab ea fuisset Rex salutatus. Charles, qui était alors angoissé par l’état critique de ses affaires, crut facilement à ses paroles et retrouva bon espoir, persuadé qu’il y avait quelque chose de divin chez la Pucelle, parce qu’elle l’avait salué comme Roi alors qu’il était vêtu d’habits non royaux. Sed aliud fuit, quamobrem in eam spem venerit : Puella enim petiit gladium, quem divinitus, uti aiebat, erat facta certior in templo divæ Catharinæ in Turonibus, inter antiqua donaria pendere. Une autre raison le poussa à placer son espoir en elle : la Pucelle demanda en effet une épée qu’elle affirmait, par révélation divine, savoir suspendue parmi les anciennes offrandes dans l’église Sainte-Catherine, près de Tours. Miratus Carolus, gladium inquiri, ac inventum protinus Puella afferri jussit, et periculi potius ejus virtutis faciundi causa, quam quod magnopere confideret facinus aliquod egregium a fœmina edi posse, armatorum manum cum parte commeatus attribuit, ut obsessos sublevatum iret. Charles, surpris, ordonna qu’on recherche l’épée et qu’elle soit remise à la Pucelle une fois trouvée, puis, davantage pour éprouver sa valeur que parce qu’il croyait une femme capable d’accomplir quelque exploit, il lui confia une troupe d’hommes avec une partie du ravitaillement afin de secourir les assiégés. Puella ita armata, dux agminis Aurelianum proficiscitur, ac sive frustrata 126custodes, sive numine divino tecta, noctis silentio inter tela hostium in urbem intravit, cibariaque intulit, sine ullo suorum incommodo. Ainsi armée, la Pucelle marcha vers Orléans à la tête de ses hommes, et, soit qu’elle eût trompé la garde, soit qu’elle fût protégée par une puissance divine, elle entra dans la ville en pleine nuit, à travers les lignes ennemies, et y introduisit les vivres, sans qu’aucun des siens n’ait subi de préjudice. Angli interea qui certum habebant cives ob rei frumentaria inopiam, non posse diutius obsidionem ferre, remissius solito urgebant, negligentiusque excubias ducebant : sed ubi cognoverunt Joannam puellam commeatum supportasse, etsi contemptui habebant fœminam, quæ militaria munera obiret, tamen ob missum subsidium ira accensi, acrius multo hostem premendum statuunt : De leur côté, les Anglais, persuadés que les habitants ne pourraient plus tenir le siège très longtemps en raison du manque de vivres, avaient relâché l’étreinte et baissé la garde. Mais lorsqu’ils apprirent que Jeanne la Pucelle avait fait entrer du ravitaillement, et malgré le mépris qu’ils éprouvaient pour une femme se chargeant d’affaires militaires, ils se résolurent, enflammés de colère après l’arrivée du renfort, à redoubler d’ardeur contre l’ennemi. Itaque Duces suos cohortati ut aliquando pro tantis laboribus, fructum victoriæ caperent, iis qui primi in murum ascendissent, præmia proponunt. Ainsi, les chefs, exhortant leurs hommes en leur disant que l’heure était venue, après tant de peine, de cueillir les fruits de la victoire, promirent des récompenses à ceux qui escaladeraient les remparts en premier. Qua re pronuntiata, subito ex omnibus partibus evolant, murumque complent simul tormentis cujusque generis, simul telis hostes a defensione murorum arcentes, idque sine intermissione faciunt. Aussitôt l’annonce faite, ils se ruèrent de tous côtés, à la fois couvrant les remparts d’engin en tout genre et repoussant les défenseurs à coups de projectiles, et cela sans la moindre relâche. Hostes quamvis re nova perterriti, sese tamen non deferebant, nec animo dimittebant, cum Joannes Nothus per nuntios celeriter Carolo significavit, 127civitatem inopia rei frumentaria premi, ac usque eo hostem urgere ut non possent, vires cujusquam satis esse, atque rem denique in tali periculo versari, ut brevi male casura esset, et ne id accideret, positum in ejus diligentia atque virtute. Bien que terrifiés par cette action sans précédent, les défenseurs ne se rendaient pas, ni ne perdaient courage, cependant que Jean le Bâtard dépêchait en urgence des messagers à Charles pour l’alerter que la ville souffrait du manque de vivres, qu’eux-mêmes ne pourraient bientôt plus résister à la pression ennemie, leurs forces respectives étant insuffisantes, que la situation était si critique qu’elle tournerait bientôt au désastre, et que seule une intervention rapide et courageuse de sa part pourrait l’empêcher. Quibus rebus cognitis, Carolus quam celerrime potuit et subsidium et commeatus copiam misit. Sitôt averti, le roi s’empressa d’envoyer des renforts et une grande quantité de vivres. Exercitus Aurelianum ductus, ac castra prope ad millia passuum duo posita. L’armée arriva près d’Orléans et établit son camp à environ deux milles. Tum Franci de suo adventu Puellam quæ Aureliani erat admonent, rogantque, ut postero die cum electa suorum manu obviam veniat, seque tuto intromittendos curet. Les Français informent la Pucelle, alors à Orléans, de leur arrivée, et lui demandent de venir à leur rencontre le lendemain avec un détachement d’hommes choisis pour les escorter à l’intérieur. Quod ubi per Anglum fieri licuit, qui ex usu suo fore ducebat, si quam plurimi in urbe essent, in qua jam fames dominaretur, postridie illius diei omnes uno momento, contendentes de urbe erumpunt, proximumque propugnaculum continenti impetu petunt, quod post multam factam utrinque stragem capiunt, atque incendunt, deinde majoribus animis aliud longe majus oppugnant. Les Anglais les laissent faire, jugeant dans leur intérêt de les voir encore plus nombreux dans une ville déjà affamée ; le lendemain, ceux-ci font une sortie générale, assaillent la bastille la plus proche, et, après de lourdes pertes de part et d’autre, s’en emparent et y mettent le feu ; puis, avec une ardeur redoublée, ils se jettent sur une seconde bastille autrement considérable. Hic quia bene magna defensorum manus aderat, 128vehementius depugnatur. Comme une garnison bien plus importante s’y trouvait, le combat s’engage avec une fureur accrue. Francus qui numero præstabat, facta corona, undique urgebat. Supérieurs en nombre, les Français l’encerclent pour attaquer de tous côtés. Anglus vitio munitionis, quæ jam frangi cœperat, omnibus rebus premebatur, ægreque sustinebat, cui ita laboranti ne Talbotus quidem qui in propinquo erat et tertium tenebat propugnaculum, subsidio ire poterat, veritus ne se absente, ea quoque munitio amitteretur. Les Anglais, fragilisés par des fortifications qui commençaient à céder, étaient accablés de toutes parts et résistaient avec peine ; malgré leur difficultés, Talbot lui-même, qui tenait une troisième bastille non loin de là, n’osa pas leur porter secours de peur qu’en son absence, sa propre position ne soit également perdue. His igitur difficultatibus Angli aliquandiu pressi, ad ultimum loco summoventur, qui facto repente cuneo ad Talbotum in tertium propugnaculum se receperunt. Après avoir résisté un certain temps à l’assaut, les Anglais furent finalement délogés de leur position, et, se repliant en formation, rejoignirent Talbot dans la troisième bastille. Talbotus nulla facta mora, cum expedito exercitu adversus multitudinem contendit, qui non mediocri terrore illato, et suos firmavit, ut se ex magno timore colligerent, et hostes compressit adeo ut protinus se intra mœnia conjecerint. Sans perdre un instant, Talbot s’élança avec son armée qu’il tenait prête contre cette multitude, les jetant dans le désarroi et raffermissant les siens pour qu’ils se ressaisissent de leur première frayeur, puis il bouscula si bien l’ennemi que celui-ci dût bientôt se retrancher derrière ses remparts. Cædes ab Anglo minor facta, quod munitio minus firma fuerat, in qua primum erumpentium impetum excepit. Les pertes anglaises furent moindres, car les fortifications où ils avaient reçu le premier choc étaient moins solides. Haud ita multo post Talbotus convocato concilio, causas quam multas docet, quamobrem obsidionem civitatis diu 129oppressæ, et perinde quasi ope divina defensæ, aut modis omnibus relinquendam, aut in aliud tempus rejiciendam existimet, cum meliore omine id opus tentari licuerit, ut ne tempus teratur, quo hyeme [hieme] jam confecta, ad bellum magis necessarium eatur. Peu après, Talbot convoqua un conseil et exposa les nombreuses raisons pour lesquelles il estimait que le siège de la ville, opprimée depuis si longtemps et comme défendue par une aide divine, devait être soit complètement abandonné, soit reporté à un autre moment, lorsque l’entreprise pourra être tentée sous de meilleurs auspices, afin de ne pas gâcher ici, l’hiver étant terminé, un temps qui pourrait être consacré à une guerre plus nécessaire. Probata non tam libenter quam necessario generatim a cunctis sententia, et dato profectionis signo, Magdunum pergunt. Son avis fut approuvé par tous, non de gaîté de cœur, mais par résignation ; le signal du départ fut donné, et l’on partit pour Meung. Discessu Anglorum omnia repente apud Aurelianenses lætitia et congratulatione plena sunt, quod tantum periculum vitassent : quare id beneficii Deo acceptum referentes, in plures dies supplicationibus decretis, orarunt ad cuncta Divorum templa, communem victoriam exposcentes. Après le départ des Anglais, les habitants d’Orléans laissèrent éclater leur joie et leur allégresse d’avoir échappé à un si grand danger ; attribuant ce bienfait à Dieu, ils décrétèrent plusieurs jours d’actions de grâce, puis prièrent dans toutes les églises dédiées aux saints, pour une victoire complète. Hinc profecto videamus licet, illum aliquoties minus consequi, qui plus nimio poscit : equidem Angli vincere potuerunt, sed existimantes sua dignitatis non esse, admittere Aurelianensium deditionem, aliter atque petebant factam, neglexere victoriam, perinde quasi in manu esset : verum tantum post abfuit, ut Aureliani potiti sint, ut eos necessitas 130ab incœpto averterit. Nous voyons là une confirmation que celui qui demande trop, obtient moins : car les Anglais auraient pu l’emporter, mais en dédaignant une reddition des Orléanais autre que celle qu’ils exigeaient, ils rejetèrent une victoire qu’ils pensaient acquise ; or par la suite, ils furent non seulement loin de prendre Orléans, mais même contraint d’y renoncer. Franci autem ob pulsum hostem gloriantes, reliqui negotii gerendi facultatem nequaquam dimittendam statuunt, qui continuo per omnem agrum Aurelianensem percurrunt, oppida quæ hostis præsidiis tenebat, recuperandi causa, et primum Gergeum petunt, paucisque post diebus capiunt, amplius ducentis Anglis interfectis, et quadraginta captis : ex suis vero militibus trecentos desiderarunt. Les Français, quant à eux, fiers d’avoir repoussé l’ennemi, décidèrent de ne pas laisser échapper l’occasion de poursuivre les opérations ; ils parcoururent les environs d’Orléans pour reprendre les places fortes tenues par l’ennemi, en commençant par Jargeau, qu’ils prirent en quelques jours, tuant plus de deux cents Anglais et en capturant quarante, tout en perdant trois cents des leurs.

Alia utriusque exercitus egregia facinora persequitur idem Polydorus, qui quamvis Anglorum fuerit stipendiarius, tamen non ausus fuit Joannam damnare, sed ejus virtuti et innocentiæ suffragatur, tandem ait, Le même Polydore rapporte d’autres faits d’armes notables pour les deux armées, et bien qu’il ait été à la solde des Anglais, il n’ose cependant pas condamner Jeanne ; au contraire, il défend sa vertu et son innocence, et conclut en disant :

sententiam latam in Joannam visam profecto fuisse post homines natos durissimam, quæ neque molliri, neque mitigari tempore potuit. La sentence prononcée contre Jeanne fut certainement la plus dure jamais rendue de mémoire d’homme, sans que le temps n’ait pu ni en adoucir, ni en atténuer la rigueur. Sane fœmina pro patria ad virilia decora excitata, digna favore videbatur, cum præsertim permulta extarent parcendi exempla, et illud potissimum a Porsena Hetruscorum Rege editum : is enim composita cum Romanis 131pace, cum obsides accepisset, et in iis Clæliam Virginem, et illa dux agminis aliarum virginum, frustrata custodes inter tela hostium Tyberim tranasset, ad suosque confugisset, ac inde ex fœdere restituta fuisset, no affecit Virginem pœna sed collaudatam et parte obsidum donavit, et domum remisit. Car une femme, poussée par l’amour de sa patrie à de tels actes de courage, méritait assurément quelque faveur, surtout au regard des nombreux exemples de clémence, en premier lieu celui de Porsenna, roi des Étrusques : après avoir conclu la paix avec les Romains, il avait en effet reçu des otages, dont la jeune Clélie ; celle-ci, à la tête d’autres jeunes filles, après avoir réussi à déjouer la surveillance des gardes, traverser le Tibre à la nage sous les traits ennemis et rejoint les siens, lui fut rendue conformément au traité ; mais non seulement il ne la punit pas, mais en plus, la comblant d’éloges, il la laissa rentrer chez elle avec une partie des otages.

Hæc Polydorus. Ainsi parle Polydore.

XI.
Hector Boëthius Hector Boece

Accommode cum proximis hisce duobus rerum Anglicarum scriptoribus, conspirant Scotorum Historici duo, Hector Boëthius Deidonanus Scotus vir ornatissimus, et singulari doctrina præditus, qui in libro XVI. historiæ Scotorum num. 10. 20.et 30. de eadem Joanna sic scribit. Ces deux auteurs traitant des affaires d’Angleterre s’accordent parfaitement avec deux historiens traitant de celles d’Écosse. Hector Boece, écossais originaire de Dundee, homme très distingué et d’une science exceptionnelle, parle ainsi de Jeanne, dans le livre XVI de son Histoire des Écossais, aux numéros 10, 20 et 30 :

Clades longe maxima Francis fuit undique post victoriam, et Anglis et Burgundionibus Franciam invadentibus, ac simul Aureliam obsidentibus. Après cette victoire, les Français essuyèrent partout leur pire débâcle, Anglais et Bourguignons lançant simultanément l’invasion de la France et le siège d’Orléans. Actumque prorsus de Franco tum nomine fuisset nisi virgo quædam Joanna nomine virili vestitu induta, armisque egregie exercitata Carolum prope desperantem erexisset, atque ad meliora excitasset. C’en eût été fait du nom français, si une vierge nommée Jeanne, habillée en homme et parfaitement exercée aux armes, n’avait relevé Charles au bord du désespoir et lui avait rendu confiance. Quod numine divino 132factum non absurdum est credere. Y voir une intervention divine n’a rien d’absurde. Itaque omni ope destitutum humana Carolum cum Joanna per Campaniam Rhemos contendentem, omnes eum Campani excepere volentes, rejecto Anglorum jugo, omniaque oppida, arces, castellaque illi tradiderunt. Car, sans aucun appui humain, Charles accompagné de Jeanne put traverser la Champagne jusqu’à Reims, tous les Champenois rejetant spontanément le joug anglais pour l’accueillir et lui remettre toutes les villes, citadelles et places fortes. Rhemos quoque accedentem quæ tum Anglorum partibus favebat, læta excepit civitas, Regemque solemni ritu salutarunt. De même, lorsqu’il s’approcha de Reims, la ville, jusque-là favorable aux Anglais, l’accueillit avec joie, et ses habitants célébrèrent leur roi selon le rituel solennel. Inde Joanna Duce varias Franciæ partes adiens, magnam regni partem ab hostibus occupatam recepit. De là, sous la conduite de Jeanne, il parcourut diverses régions de France, et reprit une grande partie du royaume que les ennemis avaient occupée. Fœlix undique ac prosper successus fuit, donec eruptione, Joanna cum hostium copiis pugnans, dum victa cum suis a premente multitudine portam Compendii oppidi ingredi prohiberetur, a Joanne Luxemburgensi a Burgundionibus stante capta est : qui illam continuo Anglis vendidit. Partout le succès s’avéra heureux et prospère, jusqu’au jour où Jeanne, lors d’une sortie contre les forces ennemies et alors qu’elle battait en retraite avec les siens, fut empêchée par une multitude assaillante d’atteindre la porte pour rentrer dans la ville de Compiègne ; faite prisonnière par Jean de Luxembourg, partisan des Bourguignons, celui-ci la vendit aussitôt aux Anglais. Angli vero extemplo Rothomagum eam ducentes accusarunt, quod violatis humani generis legibus, armis ac veste virili fœmina uteretur, ac præterea magicis artibus ab humano usu prohibitis operam daret : ac dum in foro se excusare conaretur 133subjecto igne concremata est. Les Anglais la conduisirent immédiatement à Rouen où ils l’accusèrent, en violation des lois du genre humain, de porter des armes et un habit d’homme en tant que femme, et de pratiquer les arts magiques interdits à l’usage humain ; et, tandis que sur la place publique elle tentait de se justifier, on alluma le bûcher et elle fut entièrement consumée.

XII.
Joannes Ferrerius Giovanni Ferrerio / Jean Ferrier

Joannes Ferrerius Pedemontanus libro 18. historiæ Scotorum num. 70. Giovanni Ferrerio, Piémontais, dans le livre XVIII de son Histoire des Écossais, au numéro 70 :

Puello Henrico sexto et Franciæ Angliæ Rege salutato, orta discordia inter Burgundos Anglosque, tum Franciam armis occupatam opprimentes, Comite Sarisburiensi incerto machinæ bellicæ quam bombardam vocant, ictu occiso, adversa uti fortuna cœpere. Le jeune Henri VI avait été salué roi de France et d’Angleterre quand des tensions éclatèrent entre Bourguignons et Anglais, qui écrasaient militairement la France occupée ; après la mort du comte de Salisbury, tué par un tir perdu d’une machine de guerre qu’on appelle bombarde, leur fortune commença à décliner. Franci ex occasione animum recipientes duce fœmina (Galli vocant Puellam Joannam nomine) ut non sine divino fieri numine appareret, fortissime non modo Anglos sustinuerunt sed etiam omnibus ferme præliis cœperunt esse superiores. Les Français, saisissant l’occasion et reprenant courage sous la conduite d’une femme (que les Français appellent Jeanne la Pucelle), afin qu’il soit clair que rien de tout cela ne se fait sans la volonté divine, non seulement résistèrent vaillamment aux Anglais, mais commencèrent aussi à l’emporter dans presque tous les combats.

XIII.
Ravisius Textor Jean Tixier de Ravisi

Author opusculi doctrina refertissimi de illustribus fœminis. L’auteur d’un opuscule fort savant sur les femmes illustres.

Regnante apud Gallos Carolo septimo, quum Angli omnia populabundi passim irrumperent, et jam prospero fortunæ zephiro adjuti, nihil sibi non pollicerentur, desperatis Gallorum rebus adfuit Joanna magni spiritus virguncula, quæ attritos Gallos animans ad ultionem et libertatis gloriam, prima belli campum 134ingressa, non prius suos hortari et ipsa certare desinit, quam hostem in fugam verterit reportata victoria. Sous le règne de Charles VII en France, alors que des Anglais ravageurs se déversaient de partout et que, portés par le vent favorable de la fortune, ils semblaient ne rien s’interdire, tandis que la situation des Français était désespérée, survint Jeanne, une jeune fille d’un grand courage qui, ranimant le moral des Français abattus en vue de la vengeance et de la gloire de la liberté, toujours la première sur le champ de bataille, ne cessa d’encourager les siens et de combattre elle-même qu’après avoir mis l’ennemi en déroute et remporté la victoire.

XIV.
Joannes Tillius, Meldensis Episcopus Jean du Tillet, évêque de Meaux

Joannes Tillius Meldensis Episcopus, in Chronico de Regibus Francorum a Pharamundo usque ad Henricum secundum. Jean du Tillet, évêque de Meaux, dans sa Chronique des Rois de France depuis Pharamond jusqu’à Henri II.

In rebus anni 1429. (inquit) ; À l’année 1429 (écrit-il) ; Aurelianenses omni auxilio misere destituti Burgundioni dedere se statuerant, sed contentione Anglorum Ducum res infecta fuit. Les Orléanais, misérablement privés de tout secours, s’étaient résolus à se rendre au Bourguignon [duc de Bourgogne], mais une querelle entre les chefs anglais fit échouer ce projet. Quod ægerrime Burgundio tulit. Ce que le Bourguignon prit très mal. Joanna Puella armata obsessos juvat coactis hostibus obsidionem relinquere, ad octavum Id. [Idus] Maii, eosque virtute minime puellari expellit. Jeanne la Pucelle se porte en armes au secours des assiégés, et contraint les ennemis à lever le siège le 8 mai, les chassant avec une vaillance peu commune pour une jeune fille. Francis deinde res melius ac fœlicius procedere cœperunt. Dès lors, la situation des Français commença à prendre une tournure meilleure et plus favorable. Joannes Nothus Aurelianensis. Pataiense in Belsia prælium. Cæsis Anglis Joannes Talbotus capitur. Jean, le Bâtard d’Orléans. La bataille de Patay en Beauce. Les Anglais sont taillés en pièces et Jean Talbot est capturé. Puella armis per loca ab hostibus occupata Regem Carolum Rhemis consecrandum ducit, multasque in itinere urbes recipit. En armes, la Pucelle conduit le roi Charles à travers des territoires tenus par l’ennemi jusqu’à Reims pour y être sacré, reprenant de nombreuses villes sur son passage. Bedfordiensis Anglus prælio dimicare velle simulans, Regem Parisios recta contendentem remoratur. L’Anglais Bedford, faisant mine de vouloir livrer bataille, retarde le roi qui marchait droit sur Paris. In oppugnatione Lutetiæ ad 135portam D. Honorati Puella vulnerata, exercitus se recepit, quæ illum in alias partes Galliæ ducens adversus Anglos, ob successus et victorias semper celebratur. Lors de l’assaut de Paris à la porte Saint-Honoré, la Pucelle fut blessée et l’armée battit en retraite ; mais celle qui poursuivit la lutte contre les Anglais ailleurs en France, est toujours célébrée pour ses succès et ses victoires. Compendium obsessum vi et astu ingressa, cum aliquando in hostes eruptionem faceret, a Joanne Lucemburgensi capitur, Rothomagumque ad Ducem Sommersetensem mittitur, deinde invidia et injuria artis magiæ damnata exuritur. Après être entrée par la force et la ruse dans Compiègne assiégée, elle est prise par Jean de Luxembourg lors d’une sortie contre l’ennemi ; envoyée au duc de Somerset à Rouen, elle est condamnée par haine et injustement pour magie et brûlée.

XV.
Joannes Tillius, actuarius in suprema Curia Parisiensi Jean du Tillet, greffier au Parlement de Paris

Joannes Tillius superioris frater et actuarius in suprema Curia Parisiensi libro primo Commentariorum et disquisitionum de rebus Gallicis ad nostram historiam hæc scribit. Jean du Tillet, frère du précédent et greffier au Parlement de Paris, écrit dans le premier livre des Commentaires et recherches sur les affaires françaises, ce qui suit au sujet de notre histoire :

Carolus septimus fuit Rex parentis obitu : sed quia Angli et Burgundiones hostes agrum Campaniensem, Veromandum, finitimosque obtinebant, non potuit Remis coronari nisi decimo septimo Julii, anno 1428. quo viam armis sibi aperuit, et consilio Joannæ Arææ (quæ dicitur Virgo) filia Jacobi Aræi et Isabella Valteuriæ natæ Dumprinii ad Mosam in Tullensi diœcesi. Charles VII devint roi à la mort de son père : mais parce que ses ennemis, Anglais et Bourguignons, tenaient la Champagne, le Vermandois et les régions avoisinantes, il ne put être sacré à Reims que le 17 juillet 1428 [1429], après s’être frayé un chemin par les armes et grâce aux conseils de Jeanne d’Arc (dite la Pucelle), fille de Jacques d’Arc et d’Isabelle Vouthon, née à Domrémy sur la Meuse, dans le diocèse de Toul. Hæc enim Regem deduxit, 136et armata coronationi astitit, vexillum album manu gerens, cui inerat figura Christi lirinum florem gestantis manu, monita (ut aiebat) cœlesti viso. Car c’est elle qui conduisit le Roi ; et elle assista à son couronnement, en armes, tenant à la main son étendard blanc où figurait le Christ tenant à la main une fleur de lys ; ayant été inspirée (disait-elle) par une vision céleste. Venerat autem sub tempus Ascensionis anno 1428. cum patruo quodam suo ad Vallemcoloriam, ubi Baudricortensem Præfectum Vallicoloria (qui postea fuit Mareschallus Francia) oravit ut se ad Regem mitteret, cui visiones certas retegeret et officium exhiberet : deinde vero ineunte quadragesima ad Vallemcoloriam eadem de causa reversa est, cui Baudricortensis impulsus ex sententia consilii adjunxit Bertrandum Poladium armigerum, Joannem Metensem, Colletum Vienensem, et Richardum Arcuarium, duces itineris. Vers l’Ascension 1428, elle se rendit à Vaucouleurs avec l’un de ses oncles pour supplier Baudricourt, alors capitaine de Vaucouleurs (il devint par la suite Maréchal de France), de l’envoyer auprès du Roi à qui elle voulait faire part de certaines visions et proposer ses services ; ce n’est qu’au début du Carême suivant, après être revenue à Vaucouleurs dans la même intention, que Baudricourt, suivant l’avis de son conseil, lui donna pour compagnons de route Bertrand de Poulengy, écuyer, Jean de Metz, Colet de Vienne et Richard l’Archer. Hæc itaque mutatis vestibus suis puellaribus et rubris, ut commodius iter conficeret, virilia induit vestimenta : ita de nocte solum cum suo comitatu pergens per regiones ab hostibus occupatas, exponebat quæ viæ tenendæ essent, quamvis a suo pago nunquam discessisset procul. Aussi, pour voyager plus commodément, elle échangea sa robe rouge de jeune fille contre des habits d’homme ; ne se déplaçant que de nuit avec son escorte au travers de régions contrôlées par l’ennemi, elle leur signalait quels chemins emprunter bien qu’elle n’eût jamais quitté les environs de son village. Ita ad Regem perducta est Chinonium, 137ubi quæstione habita fuit armata, et ad suppetias Aurelianis ferendas ablegata : qua obsidione soluta et Rege coronato Remis, illa in officio pergens eruptionem e Compendiensibus fecit, in qua per satellitem quendam Comitis Ligny capta anno 1430. in castellum Bellorovorii abducta, et ibi tres menses detenta est, posteaque demum tradita Regi Angliæ numeratis mille libris Turonensibus et tercentenis libris in proventum annuum attributis. Elle fut ainsi menée jusqu’au Roi à Chinon, où, après enquête, elle fut armée et envoyée porter secours aux Orléanais ; une fois le siège levé et le Roi couronné à Reims, poursuivant sa tâche, elle fit une sortie devant Compiègne au cours de laquelle elle fut prise par un homme du Comte de Ligny, en l’an 1430 ; conduite au château de Beaurevoir, elle y fut détenue trois mois, avant d’être finalement livrée au Roi d’Angleterre contre le versement de mille livres tournois et trois cents livres de rente annuelle. Sed quia fuerat in diœcesi Bellovacensi rapta, Petrus Caucho Bellovacensis Episcopus Anglicarum Burgundarumque partium, quæstionem de ea in arce Rotomagensi habuit : cumque inspectione facta Virgo deprehensa esset, tanquam si fuisset maga, et propterea quod viriles vestes tulerat, sententia lata in abjurationem et perpetuum carcerem damnata est, adjecto interdicto ne viriles vestes porro sibi indueret : cum tamen alias neque darent ei, neque dari paterentur quam eas ipsas viriles quibus usa fuerat. Comme elle avait été capturée dans le diocèse de Beauvais, c’est Pierre Cauchon, évêque de Beauvais et partisan des Anglais et des Bourguignons, qui fut chargé de son procès dans le château de Rouen ; après examen, la Pucelle fut reconnue coupable de sorcellerie et d’avoir porté des habits d’homme, la sentence la condamnant à l’abjuration et à la prison à vie, avec interdiction de remettre ses habits d’homme ; cependant, on ne lui donna ni ne permit qu’on lui donnât d’autres habits que ceux d’homme qu’elle avait portés. Ita post octiduum, altera sententia ab Episcopo Belovacensi 138lata in crimen judicata est recidisse, et commissa brachio (ut vocant) seculari, a magistratu in ignem damnata, et in foro vetere Rotomagensi usta est. Huit jours plus tard, l’évêque de Beauvais prononça donc une seconde sentence, la déclarant retombée dans son crime ; elle fut remise au bras séculier (comme ils l’appellent), condamnée au bûcher par un magistrat, et brûlée sur la place du Vieux-Marché de Rouen. Atque hac quidem occasione visum est infamiam Regi Carolo inurere, ac si ad rem militarem viros adhibuisset male sentientes de fide ; quod alienum erat a Rege Christianissimo. Et certes, on vit là une occasion de jeter l’infamie sur le roi Charles comme s’étant attaché des gens à la foi suspecte pour mener la guerre, ce qui était indigne d’un Roi Très-Chrétien. Hanc vero maculam ut elueret Rex, die vigesimo septimo Novembris, anno 1455. in æde Lutetiana stiterunt se mater Joannæ, et fratres ipsius Joannes ac Petrus Aræus, coram Joanne Rhemensi Archiepiscopo, Guilhelmo Parisiorum et Richardo Constantiæ Episcopo, quos Papa Calixtus tertius judices dederat, ut de inanitate et vanitate quæstionis habitæ, et sententiæ in defunctam latæ cognoscerent atque statuerent. C’est pour laver le roi de cette tache que, le 27 novembre 1455, en la cathédrale de Paris, la mère de Jeanne ainsi que ses frères, Jean et Pierre d’Arc, comparurent devant Jean, archevêque de Reims, Guillaume, évêque de Paris, et Richard, évêque de Coutances ; le pape Calixte III les avait délégués comme juges pour enquêter et statuer sur la nullité et l’invalidité du procès mené et de la sentence prononcée contre la défunte. Quod efficientes die octavo Julii 1456. sententia lata irritam quæstionem totam et sententiam condemnationis pronuntiarunt : præterea ut Joannam defunctam absolverent, statuerunt crucem in foro vetere erigi ad injustæ executionis 139monimentum. Ce qu’ils achevèrent le 8 juillet 1456, en prononçant une sentence déclarant nuls l’ensemble du procès et la sentence de condamnation ; de plus, pour réhabiliter la défunte Jeanne, ils décrétèrent qu’une croix serait érigée sur le Vieux-Marché, en mémoire de cette exécution injuste. Atque hoc quidem auxilium damnant leviores quidam, alii ducum certorum astutiæ acceptum ferunt, exempla Deboræ, Jælis, et Judithæ minime recordantes : sed non est decurtata manus domini, cui placuit Puellæ opera restituere victoriam Regi. Quant à ce secours, certains esprits légers le condamnent, tandis que d’autres l’attribuent à l’habileté de quelques capitaines, oubliant les exemples de Débora, de Jaël et de Judith. Non, le bras du seigneur n’a point rétréci puisqu’il lui a plu, par l’entremise d’une Pucelle, de rendre la victoire au Roi. Omnibus enim notum est, quam brevi exercita et armis assueta fuerit, hostes vero ex quo se ad arma contulit hæc virgo, magis ac magis inclinasse. Car chacun sait combien elle s’était peu entraînée et familiarisée avec les armes, et pourtant combien les ennemis ne firent plus que décliner chaque jour un peu plus, dès que cette vierge eut pris les armes.

XVI.
Franciscus de Rosiers François de Rosières

Franciscus de Rosiers Archidiaconus Tullensis tomo quinto stemmatum Lotharingiæ Ducum. François de Rosières, archidiacre de Toul, dans le cinquième tome des Généalogies des ducs de Lorraine.

Jana puella Lotharinga. Jeanne la jeune Lorraine

Dum Francia jamjam peritura crederetur, Jana puella Lotharinga pascendis pecoribus sub ferula paterna assueta ad Regem perducitur, quæ se a numine monitam dicens, brevi Anglos exacturam e Francia profitebatur. Alors que la France semblait sur le point de périr, Jeanne, une jeune Lorraine qui avait l’habitude de garder les troupeaux sous l’autorité de son père, fut conduite au Roi et déclara, affirmant avoir été inspirée par Dieu, qu’elle chasserait bientôt les Anglais hors de France. Ea licet multiplici percontatione obversata esset, non destitit tamen a se ipsa, sancte, pudiceque loquuta. Bien que soumise à de multiples interrogatoires, elle ne varia pas, s’exprimant toujours saintement et avec pudeur. Rex mirabundus, proceresque rem divinitus patefactam non aspernandam arbitrati, chlamide, militarique habitu puellam induunt, copiasque ac duces illi committunt. Le Roi, émerveillé, et les nobles, jugeant que ce qui avait été divinement révélé ne devait pas être méprisé, revêtent la jeune fille d’une chlamyde et d’un habit militaire, et lui confient des troupes et des chefs. 140Brevi crebris velitationibus initis, commeatus, nempe septimo, postquam obsidebatur, mense, Aureliam invexit, liberavit, Anglumque fatigavit. Bientôt, par de fréquentes escarmouches, elle fit entrer des vivres dans Orléans, qui en était à son septième mois de siège, la libéra, et se mit à harceler les Anglais.

Carolus VII. ablata recuperat. Charles VII récupère ce qu’il avait perdu

Rex demum ad sacrum Rhemense cum Jana proficiscitur, fanum Florentini munitionibus, firmavitque præsidio, Trecenses recepit, Catalaunumque subinde nullam dedendi moram fecit. Enfin, le Roi se met en route pour le sacre à Reims avec Jeanne ; après avoir renforcé la défense et la garnison de Saint-Florentin, il reçut la soumission de Troyes, tandis que Châlons ne tarda pas à se rendre. Rhemi continuo fidem dedere, Suessionesque in regiam manum rediere. Les habitants de Reims se soumirent aussitôt, et ceux de Soissons retournèrent sous l’autorité royale. Dux Bethfortis cum exercitu occurrens Regi incassum tempus trivit, Lutetiamque eodem progressu regius miles frustra perductus. Le duc de Bedford perdit son temps en marchant contre le Roi avec son armée, tandis que l’armée royale poursuivait sa route jusqu’à Paris, où elle se présenta en vain. Nam Bethfordiensi reverso ad urbem defendendam omnis navata est opera, quin Jana vulnere affecta Petri monasterium eripuit hosti. En effet, Bedford était revenu défendre la ville où il concentra ses efforts ; bien plus, Jeanne était blessée lorsqu’elle reprit Saint-Pierre-le-Moûtier à l’ennemi. Is Compendium eodem tempore circumducit, quo cum Jana se contulisset, irruptione facta, hostis potestati submittitur. Le siège de Compiègne avait commencé lorsque Jeanne s’y rendit ; lors d’une sortie, elle tombe au pouvoir de l’ennemi. Tum capta Rhotomagumque ducta, religionis adulterinæ insimulatur vivaque comburitur. Faite prisonnière et conduite à Rouen, elle est accusée de déviance religieuse et brûlée vive. Aureliani statuam divæ memoriæ consecrarunt. Les Orléanais élevèrent une statue en sa sainte mémoire.

XVII.
Petrus Opmeerus Pieter van Opmeer / Pierre Opmeer

Tam multis hisce cum sit etiam quod 141addat nobilis vir Petrus Opmeerus Amstelrodamus Batavus in opere chronographico orbis universi jure a nobis suum hic sibi locum vendicat. À ces si nombreux témoignages s’ajoute celui du noble hollandais Pierre Opmeer, d’Amsterdam, dont l’Œuvre chronographique du monde entier mérite pleinement sa place dans notre récit. Is posteaquam annotavit Joannam Lotharingam Aurelianenses obsessos liberasse et hostes profligasse ; Carolum septimum patri succedentem et Biturigibus se continentem, ab adversariis suis Regem Biturigum fuisse appellatum, ita loquitur. Après avoir rappelé que Jeanne la Lorraine avait libéré les Orléanais assiégés et mis en déroute les ennemis, et que Charles VII, ayant succédé à son père sans quitter Bourges, était surnommé le Roi de Bourges par ses adversaires, voici ce qu’il rapporte :

Attamen ipse titulum Regis Franciæ et sigillum usurpabat, quamvis non esset Rhemis consecratus. Et pourtant, il revendiquait le titre de Roi de France et le sceau, mais sans avoir été sacré à Reims. Porro cum undique Rex ab Anglis vexaretur ; venit ad eum Puella octodecim annorum nomine Joanna, patre Jacobo Darco, et matre Isabella Damprema Lotharingiæ pago orta, atque oves pascere solita, dicens se missam divinitus ad Regem ut ei indicet gladium esse in æde Dominæ Catharinæ Fourbonsi apud Turones, quo accincta esset Aureliam obsidione solutura. Or, comme le roi était harcelé de toutes parts par les Anglais, une jeune fille de dix-huit ans se présenta à lui, nommée Jeanne, fille de Jacques d’Arc et d’Isabelle, originaire du village de Domrémy en Lorraine, et qui avait coutume de garder les moutons ; elle disait avoir été envoyée par Dieu auprès du roi pour lui révéler qu’une épée se trouvait dans l’église Sainte-Catherine de Fierbois près de Tours, et que lorsqu’elle l’aurait ceinte, elle lèverait le siège d’Orléans. Itaque virilibus induta indumentis et armis Gallicas ducebat acies, et ex Anglorum manibus magna ex parte, prima inter primos 142pugnans victoriam eripuit, atque urbem obsidione semestri liberavit. Ainsi vêtue et armée comme un homme, elle prit la tête des armées françaises, arracha en grande partie la victoire des mains des Anglais en combattant première parmi les premiers, et délivra la ville d’un siège de six mois. Gratitudinis ergo posuere Regi Joannaque æreas statuas in ponte Ligeris S.P.Q. Aurelianus. Par reconnaissance, les autorités et les habitants d’Orléans érigèrent sur le pont de la Loire des statues de bronze en l’honneur du Roi et de Jeanne. Deduxit vero et Carolum Rhemos, ubi decimo sexto Kalendas Augusti unxit eum Reginaldus Episcopus in Franciæ Regem. De plus, elle conduisit Charles à Reims, où, le 17 juillet, l’archevêque Regnault le sacra Roi de France. Cum vero Burgundos Compendium obsidentes vellet abigere ; capta fuit nono Kalendas Junii et vendita Anglis. Or, comme elle cherchait à chasser les Bourguignons qui assiégeaient Compiègne, elle fut prise le 24 mai et vendue aux Anglais. Qui eam dicentes magam combusserunt Rothomagi in foro. Ceux-ci, la déclarant sorcière, la brûlèrent sur la place du marché à Rouen. Scripsitque pro ea apologiam Joanes Gerson Theologus Cancellarius Parisiensis : similiter et Henricus Gorcomius Batavus. Le théologien Jean Gerson, chancelier de [l’Université de] Paris, écrivit un traité en sa faveur, tout comme le hollandais Henri de Gorkum.

XVIII.
Nicolaus Vignierius Nicolas Vignier

Nicolaus Vignierius in rerum Burgundicarum chronico, ad annum 1429. Nicolas Vignier, dans sa chronique des affaires de Bourgogne, à l’année 1429.

Aurelianum ab Anglis et Burgundis diu obsessum auspiciis et ductu unius puellæ nomine Joanna liberatur, et ab eo tempore Francis res melius ac felicius procedere cœperunt. Orléans, assiégée depuis longtemps par les Anglais et les Bourguignons, est libérée sous les auspices et la conduite exclusive d’une jeune fille nommée Jeanne ; dès lors, la situation commença à tourner de manière plus favorable et plus heureuse pour les Français.

XIX.
Sebastianus Veronius Sebastian Werro / Sébastien Werro

Sebastianus Veronius lib. 8. Christianæ ætatis sæculo 15. Sebastian Werro, dans son livre VIII sur le XVe siècle de l’ère chrétienne.

Gallia ab Anglis et Burgundis maxima clade afficitur, Carolo septimo 143qui anno 1422. Carolo VI. successerat propemodum regno exuto, ac apud Bituriges tantisper delitescere coacto, quoad a Joanna Virgine Aurelianensi militari manu ereptus ac Rhemos ut coronaretur deductus est ; Parisiis interea proclamato in summo templo Rege Henrico sexto Anglo. La France était ravagée par les Anglais et les Bourguignons ; Charles VII, qui avait succédé à Charles VI en 1422, avait été quasiment dépouillé de son royaume et contraint de se réfugier à Bourges, jusqu’à ce Jeanne, la Pucelle d’Orléans, l’en dégage par la force et le conduise à Reims pour être couronné ; tandis qu’à Paris l’Anglais Henri VI se faisait proclamer roi dans la cathédrale.

XX.
Aubertus Miræus Aubert Le Mire

Aubertus Miræus Bruxellesis in chronico rerum toto orbe gestarum anno 1428. scripsit, quæ Pap. Massonus in vita Caroli 7. et Joan. [Joannes] Mariana lib. 20. de rebus Hisp. [Hispaniæ] referunt. Aubert le Mire, de Bruxelles, dans sa Chronique du monde, à l’année 1428, écrit ce que rapportent Papire Masson dans sa Vie de Charles VII, et Juan de Mariana dans le livre XX de son Histoire d’Espagne.

XXI.
Joannes Funccius Johann Funck

Joannes Funccius Norimbergensis in chronologia annotat, Johann Funck, de Nuremberg, note dans sa Chronologie que :

Joannam puellam annorum 20. arma cepisse, Regemque Carolum contra Anglos et Burgundiones magnifice defendisse, et captam tandem ab Anglis Rothomagi crematam esse. Jeanne, une jeune fille de 20 ans, prit les armes, défendit magnifiquement le roi Charles contre les Anglais et les Bourguignons, avant d’être finalement prise par les Anglais et brûlée à Rouen.

XXII.
Conradus Lycosthenes Conrad Lycosthenes

Eadem Conradus Lycosthenes in chronico prodigiorum ac ostentorum ad annum. 1428. De même chez Conrad Lycosthenes, dans sa Chronique des prodiges et des présages, à l’année 1428.

XXIII.
Gulielmus Rovillius Guillaume Rouillé

In secunda parte promptuarii Iconum insigniorum a sæculo hominum in vita 144Caroli VII. habentur hæc verba. Dans la seconde partie du Promptuaire des médailles des personnes les plus renommées depuis le commencement du monde, à la vie de Charles VII, voici ce que l’on peut lire :

Joanna Puella armis instructa militis subit munus, obsessos Aurelianenses juvat, hostes cogit obsidionem soluere, per loca ab hostibus occupata Regem Carolum Remis consecrandum ducit, multasque in itinere urbes recipit, tandem ab hostibus capta Rothomagi exuritur. Lutetia Francorum armis Angli pelluntur. Jeanne la Pucelle, une fois armée, agit en véritable soldat : elle porte secours aux Orléanais assiégés, force les ennemis à lever le siège, conduit le roi Charles à travers les territoires occupés par l’ennemi jusqu’à Reims pour son sacre, et reprend de nombreuses villes en chemin, avant d’être finalement prise par les ennemis et brûlée à Rouen. Les Français chassent les Anglais de Paris par la force.

XXIV.
Georgius Braun et Franciscus Hogenburgius Georg Braun et Frans Hogenberg

Georgius Braun et Franciscus Hogenburgius in indice libri secundi et tertii de præcipuis totius universi urbibus. Georg Braun et Franz Hogenberg, dans leur catalogue des principales villes du monde, aux livres deuxième et troisième.

Aurelia, florentissima Galliæ urbs, loco admodum opportuno sita, dives, civibus armis exercitatis potens, munitissima, non in Gallia modo, sed tota etiam Europa clarissima. Orléans, ville française des plus florissantes, idéalement située, riche, forte de ses citoyens aguerris, remarquablement fortifiée, célèbre non seulement en France mais dans toute l’Europe. De memorabili, post omnium hominum memoriam, obsidione ejus, qua Carolo VII. ejus nominis Rege, anno 1428. ab Anglis cincta fuit, et miraculose ab Joanna Lotharinga virgine belli duce liberata ; Vide benigne lector, integrum libellum, Joannis Ludovici Micquelli Ludimagistri Aurelianensis ad Carolum Lotharingum 145Cardinalem. Pour ce qui est de son siège mémorable, mémorable entre tous, lorsqu’elle fut encerclée par les Anglais en 1428, sous le règne de Charles VII, et miraculeusement libérée par Jeanne la Lorraine, vierge et chef de guerre ; vois, cher lecteur, l’ouvrage complet de Jean-Louis Micqueau, maître d’école à Orléans, dédié au Cardinal Charles de Lorraine. Res enim paucis, ut hic locus postulat referri non potest. Car le sujet ne peut être traité en peu de mots, comme il est requis ici. In ejus liberationis perpetuam memoriam, octavo die Maii, quotannis totus urbis magistratus, universa plebs et omnes Ecclesiasticorum ordines, generali processione gratulabundi obire civitatem consuevere. En souvenir perpétuel de cette libération, chaque année le 8 mai, l’ensemble des magistrats de la ville, le peuple et tous les ordres ecclésiastiques réunis ont pris l’habitude de manifester leur reconnaissance par une procession générale à travers la cité.

XXV.
Joannes Aventinus Johann Turmair

Joannes Aventinus in fine lib. 7. annalium Boyorum. Johann Turmair à la fin du livre VII de ses Annales de Bavière.

Carolus septimus Galliis expulit Anglos, victricibus ubique armis Virgineis auspiciis, Puella Duce cœlitus demissa, paternum principatum recuperavit. Charles VII expulsa les Anglais de France et récupéra le royaume de son père, ses armées triomphant partout sous les auspices virginaux et le commandement de cette Pucelle envoyée du Ciel.

XXV.
Joannes Besnardus Jean Besnard

Similia Joannes Besnardus Reginæ Angliæ Secretarius in summario annalium et chronicorum Angliæ in originali manuscripto in Bibliotheca regia Parisiensi asservato, prout me ibidem legisse sancte assero, testorque. Jean Besnard, secrétaire de la Reine d’Angleterre, rapporte des choses similaires dans le Sommaire des annales et chroniques d’Angleterre, dont le manuscrit original est conservé à la Bibliothèque royale à Paris, que j’affirme et atteste solennellement avoir moi-même consulté en ce lieu.

Poëtæ. Poètes

Ac ne longior pedestris oratio, quanquam est a nobis insigniter variata, tædium cuiquam, et satietatem afferat, placet Poëtas, sed qui arma Ducesque canere 146noverint, inducere huc tantisper numeris modisque personantes. Et pour que ce récit en prose, que nous nous sommes pourtant efforcé de diversifier, ne provoque par sa longueur ni l’ennui ni le dégoût, il nous plaît d’intercaler quelques Poètes, mais de ceux qui savent chanter les armes et les héros, pour que retentissent un temps leurs chants rythmés.

I.
Hubertus Momoretana Humbert de Montmoret

Hubertus Momoretana, is qui Joannæ Puellæ vitam septem libris bellorum Britannicorum bellissime descripsit, pulchre libro sexto tum eam ostendit ab Angelo aditam animatamque ut Galliæ rebus deploratis opem ferret, tum honorificentissimis titulis cohonestat. Humbert de Montmoret, celui qui a dépeint la vie de Jeanne la Pucelle de la plus belle manière dans les sept livres de ses Guerres des anglais, illustre avec éclat, dans le sixième livre, comment elle fut approchée et encouragée par un Ange pour secourir la France dans sa situation désespérée, tout en l’honorant des titres les plus glorieux. Locum alacrius ut legas lector tibi ejus principium delibo, quod obiter supra retulimus.

Virgo pudicitiæ specimen ; gratissima mundo, Ô Vierge, modèle de pudeur, chère au monde,

Grata polo : quam blanda Venus mollisque Cupido Chère au Ciel ! Toi que ni la douce Vénus ni le tendre Cupidon

Flectere non potuit, tincta in Phlegetonte sagitta Ne purent séduire, même d’une flèche trempée dans le Phlégéthon,

Me tibi ab astriferi mittit regionibus orbis, Depuis les régions étoilées du monde, elle m’envoie vers toi,

Quæ genuit natura Deum : jubet arma capessas Celle qui enfanta Dieu, pour t’ordonner de prendre les armes

Rebus in angustis, subitam allatura salutem. Et d’apporter un prompt salut à la détresse ici-bas.

Illa animum, viresque dabit : sume horrida sume Elle te donnera courage et forces ; alors saisis,

Pro pensis forti arma manu ; clypeumque micantem Empoigne ces rudes armes, lâche ton fuseau ; et de ce brillant bouclier

Nervosis obnube humeris : Carloque potenti Couvre tes robustes épaules, et au puissant Charles

147(Sic superis Mariæque placet) succurre : ferosque Cours porter secours (ainsi plaît-il au Ciel et à Marie),

Jam non fœmineo mucrone repelle Britannos. Et d’une épée qui n’est plus féminine, repousse ces féroces Anglais.

etc. etc.

II.
Valerandus Varanius Valerand de la Varanne

Valerandus Varanius Doctor Theologus Parisiensis, præclara Joannæ facinora carmine heroico libris quatuor complexus, quos et inscripsit de Gestis Joannæ Virginis egregiæ Bellatricis, et Anglorum expultricis ; in iis bellicosæ hujus puellæ ortum, studia, mores, vitam, mortem eleganter recenset, ac principio statim operis Angelum sic loquentem inducit. Valerand de la Varanne, Docteur en Théologie de Paris, a narré les glorieux exploits de Jeanne dans un poème héroïque en quatre livres, qu’il a intitulé : Les hauts faits de Jeanne, illustre vierge, guerrière et expultrice des Anglais, et dans lequel il dépeint avec élégance la naissance, les occupations, les mœurs, la vie et la mort de cette pucelle combattante ; au tout début de l’œuvre, voici ce que dit l’Ange en apparaissant :

Salue Barriceæ lux et nova gloria terræ : Je te salue, lumière et nouvelle gloire de la terre de Bar !

Omnipotens rector (qui res alternat : et esse Le tout-puissant régulateur (qui alterne les choses, et

Diversos jubet influxus, ut tristia lætis, Inverse les cours, afin qu’aux joies succèdent les peines,

Lætaque succedant lugubribus) æthere summo Et aux peines les joies) du plus haut des Cieux

Me labi voluit : qui talia voce referrem. A voulu que je descende pour t’annoncer ceci :

Gallia jamdudum luctu intabescit amaro : Depuis longtemps, la France se consume en une sourde plainte ;

Astra onerat votis, et thure fatigat acerras : Elle accable les astres de ses vœux, fatigue les autels d’encens,

Possit ut hoc tandem bellorum fasce levari. Implorant d’être enfin soulagée du fardeau de ces guerres.

Audiit orantem summi clementia patris : Or, la clémence du Père suprême a entendu sa prière :

Direpti miseret regni, Carlique jacentis. Elle a eu pitié du royaume ravagé et de Charles affligé.

Declaratur Caroli VII. adversa fortuna. Tableau de l’infortune de Charles VII

Persequitur : puerum (quamquam natura reclamat) L’enfant est poursuivi (malgré les réclamations de la nature)

148Anglorum exitiale odium : profugoque supersunt De la haine mortelle des Anglais. Au fugitif il ne reste

Vix laceræ sedes angustaque portio regni. Que des lambeaux de terres et quelques miettes du royaume.

Militat adversis dudum Normania signis : Déjà la Normandie combat sous bannière ennemie :

Nobilis et priscos quæ nominat insula Francos. Comme la noble île, nommée d’après les premiers Francs [Île-de-France].

Adde et Aquitanam, gentem Phœboque cadenti Ajoute encor l’Aquitaine, et la province du soleil [Phébus] couchant,

Expositas urbes : vicinaque nereos arva : Ses villes exposées et ses champs sur la côte [Nérée].

Apud Bituriges Carolus educatur. Charles est élevé à Bourges

Cætera pene in idem genus inclinata ruinæ Ce qui reste est promis à une même ruine,

In prædam veniunt hosti, et proscribitur hæres [heres] : Nouvelle proie de l’ennemi, l’héritier y est proscrit,

Quem Losci Arvernique fovent, ægreque tuentur. Et seuls la Lorraine [les Leuques] et l’Auvergne [les Arvernes] le soutiennent et le protègent à grand-peine.

O fœlix Virgo et fœlicibus edita fatis : Ô Vierge bienheureuse, née sous une heureuse étoile,

Quæ post tot clades et belli fulmina, pacеm Toi, qui après tant de désastres et de ravages de la guerre,

Restitues : tibi perpetuos sacrabit honores Rétabliras la paix ; c’est à toi que vouera ses honneurs éternels

Posteritas : diræ succede tyrannidis ultrix La postérité. Venge et remplace cette odieuse tyrannie,

Armipotens succede operi, te acclamat olympus. Arme toi et prend ta place, le Ciel t’appelle.

Joannæ parentes nobiles facti sunt ante ignobiles. Anoblissement de la famille de Jeanne, auparavant non noble

Quin genus omne tuum numero censebitur olim Bien plus, toute ta lignée sera un jour comptée

Nobilium, tu prima feres insignia clari Au nombre des nobles ; et toi, la première, tu porteras les armoiries

Stemmatis, et delebis onus servile parentum. D’une illustre généalogie, et effaceras la condition servile de tes ancêtres.

etc.

III.
Joannis Salmonii Macrini Jean Salmon Macrin

Sed et Joannis Salmonii Macrini in Valerandi Varanii puellam pervenustum est hoc hendecasyllabum. À ce propos, voici un hendécasyllabe fort charmant de Jean Salmon Macrin sur la Pucelle de Valerand de la Varanne.

I fausto omine dexteroque cœlo, Va, sous un présage heureux et un ciel favorable,

I Francos sacra Virgo per Penates Va, Vierge sainte, par les foyers français,

Urbatim simul et domesticatim. De ville en ville, de maison en maison.

149Nemo non cupiet tuam videre Il n’est personne qui ne veuille voir,

Firmatam Latio ore sanctitatem. Ta sainteté affermie par la langue latine.

Nemo non cupiet tuas videre, Personne qui ne veuille voir,

Mamillas tenere sororientes Ta jeune et tendre poitrine

Loricæ assiduo labore fessas. Meurtrie par ta lourde cuirasse.

Nemo non cupiet tuum videre Personne qui ne veuille voir

Crinem incompositum comatulumque Ta longue et éparse chevelure,

Errabundum humeris decenter ipsis, Flottant avec grâce sur tes épaules,

Pressum casside, Martiisque cristis. Tombant de ton casque aux panaches guerriers.

Nemo non cupiet tuos videre Personne qui ne veuille voir

Urgentes celerem pedes caballum : Tes pieds éperonnant ton rapide coursier

Munitos ocreis laboriosis, Protégés de rudes guêtres,

Thibialibus insitos malignis, Enfoncés dans d’âpres jambières

Ægre vel Phrygio Hectori ferendis. Que le troyen Hector, lui-même, eut à peine supporté.

Seu tu fulmineum rotabis ensem : Que tu brandisses ton épée foudroyante,

Seu telum validis ages lacertis : Que tu lances un trait de ton bras vigoureux,

Vel sternacis equi ferocitatem Ou, qu’ayant dompté la fouge de ton cheval

Coges in medium potenter hostem Tu le jettes avec force au milieu des ennemis

Thermodontiacæ propagis instar : Telle une nouvelle Amazone :

Applaudet strepitu tibi sonoro Ils t’applaudiront par des acclamations sonores,

Presso et pollice gesta prosequetur Ils célébreront tes exploits en pressant le pouce

Galli concio copiosa circi : Ces Français si nombreux autour de toi :

Et quicunque odio caret sinistro. Et quiconque n’est point rongé d’une funeste haine.

I fausto omine dexteroque cœlo, Va, sous un présage heureux et un ciel favorable,

150I Francos sacra Virgo per Penates Va, Vierge sainte, par les foyers français,

Urbatim simul et domesticatim. De ville en ville, de maison en maison.

Te Varanius ille litteratus C’est toi, que ce lettré de la Varanne,

Romanæ jubar et decus Camenæ : Splendeur et gloire de la Camène romaine,

Actææ decus et jubar Minervæ Gloire et splendeur de la Minerve athénienne,

Abstrusam latebris tenebricosis Toi, enfouie dans des cachettes ténébreuses

Sepultam tenebris latebricosis Toi, ensevelie dans des ténèbres cachées

In lucem retulit sereniorem. Qu’il a ramenée en pleine lumière.

Et peplis Latialibus venustans, Et, te parant des atours latins,

Vestivit tunica Maroniana : Il t’a vêtue de la tunique de Virgile :

Ut quocunque feras pedem videri Afin que partout où tu poseras le pied,

Possis splendidior decoriorque : Tu puisses paraître plus splendide et plus belle

Osores metuens nihil procaces Ne craignant rien des fielleux impudents

Dentatos nihil atque virulentos Ni des crocs venimeux

Arcendos scutica triumvirali. Repoussés par ce fouet triumviral.

I fausto omine dexteroque cœlo, Va, sous un présage heureux et un ciel favorable,

I Francos sacra Virgo per Penates Va, Vierge sainte, par les foyers français,

Urbatim simul et domesticatim. De ville en ville, de maison en maison.

IV.
Stephanus Paschasius Étienne Pasquier

Præclarum autem illud, et justa in obtrectatores nostræ Virginis indignatione ardens, tetrastichon illud viri ornatissimi, studiosique meritorum ejus defensoris, Stephani Paschasii Jurisconsulti Parisiensis ac in supremo Galliarum Senatu Patroni 151in libro sexto Epigrammatum ; epigrammate de Jana quam vulgo virginem Aureliam vocant. Tout aussi remarquable, et brûlant d’une juste indignation contre les détracteurs de notre Vierge, ce quatrain du très distingué et ardent défenseur de ses mérites, Étienne Pasquier, jurisconsulte parisien et avocat au Parlement de Paris, dans le livre VI de ses Épigrammes, comme épigramme sur Jeanne, communément appelée la Vierge d’Orléans.

Jana vocor, Genabo numen, Medea Britannis, Je m’appelle Jeanne, patronne tutélaire d’Orléans, la Médée des Anglais,

His meretrix, aliis fabula cauta Numæ : Pour eux, je suis une ribaude ; pour d’autres, une fable habile à la Numa.

Viva ego quæ laceri stabilivi mœnia regni, Vivante, c’est moi qui ai relevé les murs du royaume déchiré,

Hei mihi, pro meritis mortua nunc laceror. Morte, c’est moi, hélas, que l’on déchire maintenant pour mes exploits.

V.
Franciscus Philelphus Francesco Filelfo / François Philelphe

Claudam hanc testium, sive astricta, sive soluta oratione, numerositatem, parte Epistolæ clarissimi illorum temporum scriptoris, in qua tametsi Joannæ nomen non commemorat, res tamen ab ea gestas divino numini adscribit. Je conclurai cette série de témoignages, en vers comme en prose, par un extrait d’une lettre d’un des plus illustres écrivains de cette époque, dans laquelle sans nommer Jeanne, celui-ci attribue néanmoins ses actions à une intervention divine. Is est Philelphus Eques auratus et Poëta laureatus qui tempore Joannæ vivebat, Caroloque ipsi VII. in epistola ultima libri octavi epistolarum divini numinis salutarem manum gratulans, monensque de divino beneficio religiose agnoscendo, sic eum soluta oratione compellat. Il s’agit de Philelphe, chevalier de l’Éperon d’Or et poète lauréat, qui vécut à l’époque de Jeanne, et qui dans la dernière lettre du livre VIII de ses Épîtres, adressée à Charles VII, le félicite pour l’intervention salutaire de la providence, et l’invite à reconnaître cette faveur divine avec piété, en l’interpellant ainsi en prose :

Dolendum profecto erat bonis omnibus (Rex Carole) quod Christianissimum genus hominum te Rege pientissimo tamdiu, tam graviter, tanta malorum mole premeretur. Il y avait certes lieu de s’affliger, pour tous les hommes de bien (ô Roi Charles), que cette nation très chrétienne sous ton règne très pieux, fût si longtemps et si durement écrasée sous un tel poids de malheurs. At ego cum 152meipsum colligo : et mente diligentius rem voluto : facile videor intelligere id omne divino quodam consilio factum esse. Mais lorsque je me recueille et que je réfléchis plus attentivement à l’affaire, il me semble facile de comprendre que tout s’est déroulé selon quelque plan divin. Ostendere Deus voluit (ut opinor) nullam esse humanam potentiam, qua propriis consiliis atque adminiculis, aut perpetua esse possit aut diuturna, si divino præsidio careat. Dieu a voulu montrer (me semble-t-il) qu’aucune puissance humaine, par ses seules organisation et ressources, ne peut être éternelle ni même durable, sans protection divine. Quamobrem idcirco paululum veluti a Francis secedere visus est, quo et per fidelissimi populi flagella, infidelibus cunctis minitaretur interitum : et cum te Francis venerabiliorem, tum universis tuis suis hostibus formidabiliorem efficeret. Et s’il a paru s’éloigner momentanément des Français, c’était d’une part, pour que les malheurs du peuple le plus fidèle servent d’avertissement funeste à tous les infidèles ; et d’autre part, pour te rendre à la fois plus vénérable aux yeux des Français et plus redoutable pour tous tes ennemis comme pour les siens. Tua certe pietate et divina quadam ope et auxilio factum est : ut eos omnes qui perinde atque stulti et amentes a te defecerant, ad sanitatem tua cum gloria videas rediisse Deo ipso Duce, Imperatore vexillifero, non modo patritum atque avitum regnum cum immortalitatis nomine recuperasti : sed longe id admodum amplificasti, stabilisti, ornasti. C’est assurément par ta piété et par une intervention divine, que tu vois, pour ta gloire, tous ces fous et ces insensés qui s’étaient détournés de toi revenir à la raison, avec Dieu en personne comme chef, général et porte-étendard ; non seulement tu as recouvré le royaume de ton père et de tes ancêtres, avec un renom immortel, mais tu l’as encore considérablement agrandi, affermi et embelli. Nam si magna res est ferocissimos Anglorum impetus sustinere, quanto major censeri debet Anglos superare, prosternere, 153interimere ; Has autem tales tantasque victorias in rebus præsertim desperatis et perditis existimare debes neque tuis, neque ullis humanis opibus te adeptum ; sed divina potius quadam mente ; quæ Christianæ suæque Reip. [Reipublicae] diuturna ægrotatione morboque confectæ ; tuo fælicissimo ductu, tuis secundissimis auspiciis jam tandem succurrere mederique constituit. Car, s’il est déjà remarquable de soutenir les assauts sauvages des Anglais, combien plus remarquable encore doit-on considérer l’exploit de les vaincre, de les terrasser et de les anéantir ! Or, ces victoires, d’une telle nature et d’une telle ampleur, remportées surtout dans des circonstances désespérées sinon perdues, tu ne dois te les attribuer ni à toi, ni à une quelconque aide humaine, mais bien à une volonté divine ; laquelle, voyant sa propre République Chrétienne épuisée par mal prolongé, s’est enfin résolue à la secourir et à la guérir, sous ton commandement le plus heureux et tes auspices les plus favorables.

Et circa finem ejusdem epistolæ sic eidem Carolo scribit idem Philelphus. Vers la fin de la même lettre, Philelphe écrit encore ceci à Charles :

Ut reliquis Christianis Principibus ac Regibus dignitate præstas, ita tibi omni ope atque opera studendum est, ut absolutissima virtute his omnibus, vera gloria sis superior. Puisque tu l’emportes en dignité sur les autres Princes et Rois chrétiens, il t’incombe, de toutes tes forces et avec tout ton zèle, de les dépasser aussi en gloire véritable, et ceci par une vertu parfaite. Vicisti Anglos, recuperasti patriam etc. Tu as vaincu les Anglais, recouvré la patrie, etc. Et pulchrum id certe fuit et laudabile. Et certes cela fut beau et louable. Justitiæ enim munus in teipsum tuosque contulisti. etc. Car tu as ainsi accompli un devoir de justice envers toi-même et envers les tiens, etc.

A quamplurimis sit honorifica Joannæ mentio. Mention honorable de Jeanne dans de nombreux ouvrages

Plura hujus historiæ firmamenta ac testimonia, si quis requirat, consulat, censeo. Si quelqu’un cherche davantage de preuves et de témoignages sur cette histoire, je l’invite à consulter :

  1. Librum Joanna Puellæ historiam continentem in cœnobio S. [Sancti] Victoris Paris. [Parisiensis]. Livre contenant l’histoire de Jeanne la Pucelle, à l’abbaye Saint-Victor de Paris ;
  2. Alanum aurigam in historia Caroli VII. Alain Chartier, dans son Histoire de Charles VII ;
  3. Nicolaum Ægidium ibidem. Nicolas Gilles, ibidem ;
  4. 154Papirium Massonum ibidem. Papire Masson, ibidem ;
  5. Belleforestium ibidem et in Cosmograph. [François de] Belleforest, ibidem, et dans sa Cosmographie ;
  6. Du Haillan ibidem. et lib. 2. status negotiorum Galliæ. Du Haillan, ibidem, et dans le livre II de l’État des affaires de France ;
  7. De Serres ibidem. [Jean] De Serres, ibidem ;
  8. Wasbourg in annalibus Galliæ Belgicæ. [Richard de] Wassebourg, dans ses Antiquités de la Gaule Belgique ;
  9. Bouchet in annalibus Aquitaniæ. [Jean] Bouchet, dans ses Annales d’Aquitaine ;
  10. Historiam novem Carolorum. [François de Belleforest], Histoire des neuf Charles ;
  11. Benedictum Curium in historia Mediolanensi. Benoît Lecourt, dans son Histoire de Milan ;
  12. Joannem de Espinosa lib. de laudibus mulierum. Juan de Espinosa [Jean d’Espinose], dans son livre sur les Louanges des femmes [Diálogo en laude de las mujeres] ;
  13. Hartmannum Schedel Doctorem in registro libri Chronicorum. Hartmann Schedel, docteur, dans sa Chronique de Nuremberg ;
  14. Tomum primum theatri vitæ humanæ in tit. de fortitudine mulierum. [Theodor Zwinger], au premier tome de son Théâtre de la vie humaine, à l’entrée sur le courage des femmes ;
  15. Georgium Castellanum in vita Philippi Boni Burgundiæ Ducis. Georges Chastellain, dans sa vie de Philippe le Bon, duc de Bourgogne ;
  16. Registrum annorum præteritorum. Registre des années passées ;
  17. Enguerranum de Monstrel. in 2. volumine chronicorum. Enguerrand de Monstrelet, dans le second volume de ses Chroniques ;
  18. Mare historiarum. La Mer des histoires ;
  19. Mirabiles victorias fœminarum orbis novi. [Guillaume Postel] : Les très merveilleuses victoires des femmes du nouveau monde ;
  20. 155Thomam Boss. [Bozium] lib. 8. de notis Eccles. [Ecclesiæ] et in cap.8. libri de robore bellico adversus Macchiavellum. Tommaso Bosio, dans le livre 8 de ses Marques de l’Église, et au chapitre 8 de son livre sur la Force militaire, contre Machiavel ;
  21. Micquellum in obsidione civitatis Aurelianensis. [Jean-Louis] Micqueau dans le Siège de la ville d’Orléans ;
  22. Legend. [Legenda] Flandrorum. Légende des Flamands ;
  23. Andream Eborensem Lusitanum in 2. tomo dictorum et factorum memorabilium tit. de fortitud. [fortudine] André [de Resende], d’Évora, Portugal, dans le tome II de ses Dits et faits mémorables, à l’entrée sur le courage ;
  24. Guillelmum du Bellay in cap. 9. libri 2. disciplinæ militaris. Guillaume du Bellay, au chapitre 9 du livre II de sa Discipline militaire ;
  25. Glossam prægmaticæ sanct. [sanctionis] in principio proæmii in verb. [verbo] gratia. Glossaire de la Pragmatique Sanction, au début de la préface, au mot grâce ;
  26. Paponium in principio 3. tomi notarior. [Jean] Papon, au début du troisième tome des Notaires ;
  27. Renatum Chopinum lib. 1. de Jurisd. Andeg. cap. 76. René Choppin, livre I sur la Coutume d’Anjou, chap. 76 ;
  28. Librum factorum memorabilium. Livre des faits mémorables ;
  29. Ægidium Corrozetium lib. dictorum memorab. Gilles Corrozet, dans son livre des Divers propos mémorables ;
  30. Ravisium Textorem in primo tomo officinæ dum de mulieribus bellicosis et masculæ virtutis disserit. [Jean] Tixier de Ravisi, dans le premier tome de son Officine, lorsqu’il traite des femmes guerrières et de la vertu masculine ;
  31. Historiarum electionem. Sélection d’histoires ;
  32. Richardum Dynothum lib. de rebus et factis memorabilibus. Richard Dinoth, dans son livre sur les Choses et faits mémorables ;
  33. 156F. [Fratrem] Petrum Crespet Cælestinum in secundo tomo horti recreationis spiritualis in tractatu excellentiæ virginitatis. Frère Pierre Crespet, célestin, dans le second tome du Jardin de plaisir et récréation spirituelle, au traité sur l’excellence de la virginité ;
  34. Gaillard. in summario temporum, et in methodo leg. hist. [legendæ historiæ] [Pierre Droit de] Gaillard dans son Sommaire des temps, et dans sa Méthode qu’on doit tenir en la lecture de l’histoire ;
  35. Lib. puellæ Aurelianensis restitutæ per Beroaldum Veruillanum. La Pucelle d’Orléans restituée par [François] Béroalde de Verville ;
  36. Historiam tragicam ejusdem puellæ. [Fronton du Duc :] L’Histoire tragique de la Pucelle ;
  37. Historiam obsidionis Aurelianensis. [Léon Trippault :] Histoire du Siège d’Orléans ;
  38. Joannæ Darciæ obsidionis Aurelianae liberatricis res gestas, imaginem et judicium. [Léon Trippault :] Les faits, portrait et jugement de Jeanne d’Arc, libératrice du siège d’Orléans ;
  39. Stephanum Paschas. in epistolis. et cap. 8. lib, V. disquis, Gall. Étienne Pasquier, dans ses Lettres, et au chapitre 8 du livre V de ses Recherches de la France ;
  40. P. [Petrum] Matthæum in additionibus ad 84. decis. [decisionem] Guidonis Pap. [Papæ]. Pierre Matthieu, dans ses additions à la 84e décision de Guy Pape ;
  41. Thevetum de viris illustribus nempe in cap. 25. lib. quarti. [André] Thevet, Vies des hommes illustres, notamment au chapitre 25 du livre IV ;
  42. L. Triputium Cons. Reg. Aurel. in sylvula antiquitatum Aurelianarum. [Léon] Trippault, conseiller du Roi à Orléans, dans son Extrait de l’antiquité de la ville d’Orléans ;
  43. Guillelmum Paradinum in annalib Burgund. Guillaume Paradin, dans ses Annales de Bourgogne ;
  44. Ludovicum Gollut ibidem. Louis Gollut, ibidem ;
  45. 157Philippum Camerarium I. C. Norimbergensem Consiliarium in cap. XI. libri secundi meditationum historicarum. Philipp Camerarius, jurisconsulte, Conseiller à Nuremberg, au chapitre XI du livre II de ses Méditations historiques ;
  46. Joannem de Marconville lib. de bonitate et malitia fœminarum. Jean de Marconville, dans son livre : De la bonté et mauvaiseté des femmes ;
  47. Librum Hispanicum inscriptum La Donzella Francesa. Le livre espagnol intitulé : La Doncella Francesa ;
  48. Antonium du Verdier in tomo 3. et libre 8. prosopographiæ. Antoine du Verdier, au tome III et livre VIII de sa Prosopographie ;
  49. Triumphum nobilium fœminarum. etc. Le Triomphe des nobles femmes, etc. ;
  50. Jacobum Corbinum libro inscripto Calcar militum. Jacques Corbin dans le livre intitulé : L’Éperon des soldats ;
  51. Joannem Savaronium Consiliarium regium in tractatu ensis Gallici. Jean Savaron, conseiller du Roi, dans son Traité de l’épée française ;
  52. Joannem Philippum Varinum lib. sacr. thron. regal. Reg. Franc. [sacrum thronum regale Regum Franciæ] in vita Caroli VII. Jean-Philippe Varin, dans son livre : Le sacré trône royal des rois de France, à la vie de Charles VII.

Plures alios quos argumenti istius nobilitas non est passa rem silentio obruere : ego non ingrato silentio sed necessaria brevitate hic prætereo. Bien d’autres encore, que la noblesse du sujet devait nous interdire de passer sous silence, seront néanmoins ici laissés de côté : non par ingratitude de ma part, mais par souci de concision.

Apologia pro Joanna puella. Défense de Jeanne la Pucelle

Constituta historiæ fide, venio nunc ad alteram laboris mei partem, ut damnatæ iniquo judicio fortissimæ Virginis præclara innocentia, re et testibus, perspicue demonstretur. La fiabilité historique ayant été établie, j’en arrive à la seconde partie de mon travail : démontrer de manière évidente, par les faits et les témoignages, l’éclatante innocence de la très courageuse Vierge, condamnée par un jugement inique.

158Crimina in eam intenta. Accusations portées contre elle

Quatuor in eam intenta sunt crimina, virilis habitus, magia, hæresis, simulata virginitas ; vanæ omnes et frigidæ criminationes ; sed facis illius quæ funerali ejus rogo veros ignes subjecit, id est, invidiæ ac malevolentiæ, speciosa apud homines integumenta. Quatre chefs d’accusation furent retenus contre elle : l’habit d’homme, la sorcellerie, l’hérésie, et une virginité feinte ; accusations toutes vaines et futiles, qui n’étaient en réalité qu’une couverture présentable aux yeux des hommes, pour cette torche qui alluma les véritables flammes de son bûcher, à savoir l’envie et la malveillance. Et vero ut vetere et imperatorio verbo utar, Ecquis innocens esse poterit, si accusare sufficiet ? En vérité, et pour reprendre l’antique réponse d’un empereur : Qui pourra bien être innocent, s’il suffit d’accuser ? Quanquam mendaciorum vanitas sic aperta est interdum, ut neque iis probabilia sint qui ea valere velint maxime. Et l’inanité des mensonges est parfois si évidente, qu’ils ne paraissent même pas plausibles aux yeux de ceux qui souhaitent le plus les faire valoir. Itaque neque Joannæ inimici, calumniam de magia, hæresi, pudore prodito, probare unquam ; credo, neque ex animi sui sententia, sed ad odii sui duntaxat defensionem aliquam, in judicio urgere potuerunt. Ainsi les ennemis de Jeanne ne purent jamais prouver l’allégation de sorcellerie, d’hérésie ou d’atteinte à la pudeur ; et je pense que s’ils y ont insisté lors du procès, ce n’est pas par conviction, mais uniquement pour donner un semblant de justification à leur haine. De veste virili, quam ad bellum proficiscens sibi induere solita est, deponere autem recepto muliebri habitu (sic enim accepimus) cum belli usus non erat, institere quidem amplius, et religionem movere studuerunt. Il s’acharnèrent encore davantage sur l’habit d’homme, qu’elle avait coutume de mettre à la guerre, mais qu’elle déposait après avoir repris son habit de femme (à ce que nous savons) dès qu’il n’y avait plus de besoin militaire, et s’efforcèrent d’en faire une question religieuse.

Summarium rei Meyeri Exposé de Jacques de Meyer

Sed causas Joanna eas dixit ab religione et castimonia, quibus resistere ipsi merito non possent. Or Jeanne se justifia par des motifs de piété et de chasteté, contre lesquels ses accusateurs ne pouvaient à juste titre opposer aucune résistance. 159Defensa est etiam iis Theologorum ac præsulum literis et decretis, iis prodigiis eventisque cœlestibus, quæ omnem animi dubitationem facile eximunt. Elle fut également défendue par les écrits et décrets de théologiens et de prélats, ainsi que par des prodiges et des événements célestes qui dissipent aisément tout doute de l’esprit. Purgabo singula crimina certis temporum illorum monumentis judiciisque, cum rem summatim omnem Meyeri Belgæ historici verbis repræsentavero, eo justius quod acerbiore alioquin in Gallos animo, veritatis quam adulandi Anglis amantior, innocentem eam morti ab iis addictam confitetur. Je vais maintenant réfuter chaque chef d’accusation à l’aide de documents et jugements incontestables de l’époque, après avoir brièvement exposé toute l’affaire d’après l’historien belge Meyer, et ce d’autant plus légitimement que celui-ci, généralement hostile aux Français, mais avant tout attaché à la vérité plutôt qu’à plaire aux Anglais, reconnaît qu’elle a été condamnée à mort par eux, alors qu’elle était innocente. Sunt autem ejus hæc verba. Voici ce qu’il dit :

Joanna Puella immerito ab Anglis conburitur. Jeanne la Pucelle, brûlée injustement par les Anglais

Anno Domini 1431, tertio Cal. Junias pridie feriarum Sanctissimi Corporis Christi Rothomagi in veteri foro rerum venalium cremata igni est Joanna puella, ob nullam quidem justam causam, sed per odium solum Anglorum. En l’an de grâce 1431, le 30 mai, veille de la Fête-Dieu, à Rouen, sur la place du Vieux-Marché, Jeanne la Pucelle fut brûlée vive, sans aucun motif valable, mais par la seule haine des Anglais.

Petrus Cochon episcopus iniqui judicii Præses. L’évêque Pierre Cauchon, juge principal de ce procès inique

Ausus est Petrus Cochon Anglus genere, Bellovacorum Episcopus in gratiam Bethfordii Rectoris Galliæ innocentem virginem morti adjudicare. Pierre Cauchon, Anglais de naissance, évêque de Beauvais, osa, pour plaire à Bedford, régent de France, condamner à mort une vierge innocente. Quid enim non designant tales Episcopi, seu umbra potius Episcoporum ? Car de quoi ne sont pas capables de tels évêques, ou plutôt de telles ombres d’évêques ? Ecclesia Rothomagensis Episcopo tunc carebat. L’Église de Rouen était alors dépourvue d’évêque.

Summaria Joannæ defensio. Défense sommaire de Jeanne

Puellæ 160nec advocatum nec Patronum sua in causa habere licebat. On ne permit pas à la Pucelle d’avoir ni avocat, ni défenseur lors de son procès.

Joannæ simplex prudentia. Simple prudence de Jeanne

Simplicem ac illiteratam Virginem multis Episcopus ejusque collegæ interrogationibus de fide Catholica fatigabant, uti illaquearent ac circumvenirent illam aliquo in lapsu, sed frustra hæc omnia. L’évêque et ses assesseurs fatiguaient cette Vierge, simple et illettrée, par quantité de questions sur la foi catholique, dans le but de la piéger et de la pousser à quelque faute ; mais tout cela fut vain. Respondet enim sapienter valde, et Catholice. Car elle répondait avec beaucoup de sagesse et en bonne catholique. Et quanquam famam spargerent magam esse et maleficam, nihil tamen tale poterant in illa deprehendere. Et quoiqu’ils aient répandu le bruit qu’elle était sorcière et enchanteresse, ils ne purent cependant rien trouver de tel en elle. Sed illud in crimen vocabant quod virili uteretur veste : quod tamen facile purgavit, nec usa est eo amictu nisi solum in rebus bellicis quemadmodum divinitus dicebat sibi præceptum. Alors ils qualifièrent de crime le fait de porter un habit d’homme ; ce dont elle se défendit cependant facilement, affirmant ne l’avoir porté que dans les affaires militaires, et, à ce qu’elle disait, sur ordre de Dieu. Habebat sibi assessores ille Episcopus Ægidium Abbam Ficicampi Theologum, Nicolaum Abbam Gemeticensem Jureconsultum, Petrum Priorem Longavillæ alios complures : quorum nemo ne hiscere quidem ausus est contra Anglorum voluntatem. L’évêque avait pour assesseurs Gilles, abbé de Fécamp, théologien ; Nicolas, abbé de Jumièges, jurisconsulte ; Pierre, prieur de Longueville, et plusieurs autres, dont pas un n’osa élever la voix contre la volonté des Anglais. At inquisitor fidei per Franciam frater Joannes cognomento magistri, scrupulo conscientiæ prohibitus, sapienter ab horum consessu abstinuit. Toutefois, l’inquisiteur de la foi en France, frère Jean Le Maître, retenu par un cas de conscience, s’abstint sagement de siéger à leurs côtés. Bethfordius autem 161ut Philippum Burgundiæ Ducem placaret, hæc ad eum scripsit mendacia : Quant à Bedford, pour apaiser le duc Philippe de Bourgogne, il lui écrivit ces mensonges : Joannam neminem super terram voluisse agnoscere præter solum Deum et Sanctos paradisi. que Jeanne n’avait voulu reconnaître personne sur terre, mais seulement Dieu et les Saints du paradis ; Rejecisse statuta Papæ, et judicia conciliaque Ecclesiæ, cumque videret se morituram, confessam esse spiritus illos qui sæpe illi apparuerant, mendaces et falsos esse. qu’elle avait rejeté les statuts du pape ainsi que les jugements et conciles de l’Église, et que, se voyant près de mourir, elle avait confessé que les esprits qui lui étaient souvent apparus étaient mensongers et faux ; Per eos spiritus se esse deceptam qui polliciti erant eam liberare. qu’elle avait été trompée par ces esprits qui avaient promis de la libérer.

Causa proditionis Joannæ. Question de la trahison de Jeanne

Est qui refert proditam ab ipsis Gallis propterea quod quicquid illi gloriose gererent, fœminæ adscriberetur. Il y en a qui rapportent qu’elle fut même trahie par des Français, car ils voyaient tous leurs glorieux faits d’armes attribués à une femme. Sic periit vindex Galliarum. Ainsi périt la libératrice de la France. Nobiliter olim Porsena Rex qui Chlœliam virginem Romanam obsidum liberatricem non interfecit, sed muneribus donatam domum remisit, laudata virtute ejus ac pietate in patriam. De son temps, le roi Porsenna se montra plus noble, lui qui ne tua pas Clélie, la vierge romaine libératrice des otages, mais, après avoir loué sa vertu et son dévouement envers la patrie, la renvoya chez elle comblée de présents. Cineres crematæ virginis sparserunt in flumen : nec unquam ea ex die victoriam aliquam insignem retulerunt ex Gallis. On jeta au fleuve les cendres de la vierge brûlée ; et à compter de ce jour, ils n’obtinrent plus la moindre victoire notable sur les Français.

Hæc Meyerus. Ainsi parle Meyer.

Refutatæ singulæ criminationes. Réfutation de chacun des chefs d’accusation

Re sic commode informata, pedem jam pressius cum adversariis conferamus, sigillatim ab iis objecta crimina diluam. Maintenant que l’affaire est convenablement exposée, confrontons-nous de plus près à nos adversaires, et je réfuterai une à une les accusations portées.

162Magiæ atque hæresis. Sorcellerie et hérésie

Magam atque hæreticam appellarunt, sane ut ultricibus flammis digna ipsorum judicio videretur. S’ils la traitèrent de sorcière et d’hérétique, c’était assurément pour qu’elle parût, à leurs yeux, digne des flammes vengeresses. At quæ in ejus vita horum suspicio ? quod subsidio Galliæ missam se divinitus dicebat, quod supra puellæ vires, supraque muliebres animos imo supra viros multa gerebat : quod arma tractare, bellare virili habitu, jussam se a Deo confirmabat ? Mais qu’est-ce qui, dans sa vie, aurait pu l’en rendre suspecte ? Le fait qu’elle se disait envoyée par Dieu pour secourir la France ; qu’elle accomplissait tant de choses au-dessus des forces d’une jeune fille, au-dessus du courage des femmes, voire au-dessus de celui des hommes ; qu’elle affirmait avoir reçu de Dieu l’ordre de porter des armes et de combattre en habit d’homme ? Quodnam hic hæresis aut magiæ vestigium ? Quelle trace d’hérésie ou de sorcellerie trouve-t-on donc là ? Nempe, inquiunt, mandata ista, aut a se conficta, aut a dæmone profecta, Deo adscribebat : Deum cujus est ea lex Deuteronomii 22. Mulier non induetur veste virili, mentiebatur virilem vestem sibi mulieri virgini imperasse. Ces ordres qu’elle attribuait à Dieu, disaient-ils, ne pouvaient assurément être qu’une invention de sa part, ou une suggestion du démon ; elle mentait en affirmant que Dieu, dont la loi au Deutéronome 22 dit qu’une femme ne s’habillera pas en homme, lui avait ordonné à elle, femme et vierge, de porter un habit d’homme. Deus bone ! hæccine ingentia illa crimina propter quæ illi pereundum fuit ? Bon Dieu ! Sont-ce là des accusations si énormes qu’elle devait en mourir ? Certe hæc ipsa sunt quæ historia testis antiquitatis renunciat ab ejus inimicis dissipata in vulgus fuisse, quo in hæresis, magiæ, aut sortilegii suspicionem eam vocarent. Ce sont pourtant celles que ses ennemis ont répandues parmi le peuple, nous rapporte l’histoire, témoin des siècles, dans le but de la rendre suspecte d’hérésie, de sorcellerie ou de maléfice. Ac de veste quidem virili seorsim paulo post a nobis dicetur : libet antea de ejus missione (quoniam id rei caput est) rebusque 163supra humanum morem ab ea gestis respondere. Quant à la question de l’habit d’homme, nous la traiterons à part un peu plus loin ; auparavant, il nous plaît de répondre à la question de sa mission (puisque c’est le cœur du sujet) et de ses exploits qui dépassent l’ordinaire humain.

Prædicabat Joanna se Carolo septimo, cujus in Gallia per externum hostem, iniquissimo loco res erant, divinitus subsidio missam : Negarunt ii, qui tum aut Carolo inimici noluerunt de ea istud credere, ne de se credere cogerentur, divinitus se regno Galliæ exturbari : aut de Joannæ ipsius gloria non potuerunt, ignoratione aut malevolentia impediti, tam magnifice cogitare. Jeanne affirmait avoir été envoyée par Dieu pour secourir Charles VII, dont la situation en France était des plus critiques en raison d’un ennemi extérieur ; ce que contestèrent : soit ceux qui, alors hostiles à Charles, refusèrent de la croire, craignant d’avoir à se croire eux-mêmes chassés du royaume de France par Dieu ; soit ceux qui, entravés par leur ignorance ou leur malveillance, ne purent se résoudre à reconnaître la grandeur de la gloire de Jeanne. Utra verior oratio est ? Illiusne quæ ejus qui secum loquebatur sensum habere et scientiam potuit, an eorum qui animi sui conjecturis et perturbationibus obsecuti, seipsos alieni facti judices statuerunt ? Qui des deux disait vrai ? Celle qui pouvait comprendre et connaître son interlocuteur, ou bien ceux qui, cédant aux conjectures et aux troubles de leur esprit, se sont institués juges d’autrui ? Quanto incorruptius ii qui rem vestigiis indagantes, ex integerrimis puellæ moribus, ex ejus studiis, ex castimonia, quam et servabat ipsa, et aliis suo aspectu aspirabat ; ex consiliorum ejus felicitate ac prudentia, ex præsensione rerum futurarum, ex alienarum cogitationum perspicientia, ex miraculis, ex judiciis prudentum, 164ex publico Galliæ sensu, ex divino hostium terrore, ex rerum eventu, aliisque id genus indiciis divinum hic quidpiam agnoverunt ? Combien plus justes furent ceux qui, après avoir examiné en détail la pureté des mœurs de la Pucelle, son dévouement, la chasteté qu’elle préservait elle-même et qu’elle inspirait aux autres par sa seule présence, la sagesse et le succès de ses décisions, sa prescience des événements à venir, sa clairvoyance des pensées d’autrui, ses miracles, les jugements des sages, le sentiment général de la France, la crainte divine qui frappait ses ennemis, les faits eux-mêmes et autres signes de ce genre, reconnurent en tout cela quelque chose de divin ?

Gerson Jean Gerson

Gerson quidem, sapientissimus illa ætate gravissimusque almæ Universitatis Parisiensis Doctor et Cancellarius, Christianæ hujus Amazonis coætaneus, quique Confessario Caroli VII. Francorum Regis tractatum inscripsit de considerationibus quas debet habere Princeps, in defensione hujus virginis, tractatu cui titulus est, De mirabili victoria cujusdam puellæ, de post fœtantes receptæ in Ducem belli exercitus Regis Francorum contra Anglicos, multa in rem præfatus, ita statuit. Gerson, qui fut en son temps le plus sage et le plus respecté Docteur et Chancelier de l’Université de Paris, contemporain de cette Amazone chrétienne, a dédié au confesseur de Charles VII, roi de France, un traité sur les considérations qu’un prince doit avoir, en défense de cette vierge, et qu’il a intitulé : De l’admirable victoire d’une certaine pucelle, tirée de son humble condition de bergère pour être faite Chef de guerre de l’armée du Roi de France contre les Anglais ; après un long préambule, il établit :

Concludendum est tandem ex præmissis, quod pie et salubriter potest de pietate fidei et devotionis sustineri factum illius puellæ. De ce qui précède il faut donc conclure que l’action de la pucelle peut être pieusement et sainement soutenue, en accord avec la foi et la dévotion.

Bene habet, quod judicium tenemus tanti viri. Il est bien que nous ayons le jugement d’un si grand homme. At cedo quæ sic judicandi causæ illi fuerint. Mais voyons quelles furent les raisons qui l’ont amené à juger ainsi. Principio, rei totius justissimus finis, ejusdemque fœlicissimus eventus. D’abord, le but très légitime de toute l’entreprise et son dénouement très heureux.

165Sustineri, inquit, factum id potest circunstantiis [circumstantiis] attentis cum effectu patenti præsertim ex causa finali quæ justissima est, scilicet restitutio Regis ad regnum suum, et pertinacissimorum inimicorum suorum justissima repulsio seu debellatio. Cette entreprise peut être défendue, dit-il, si l’on tient compte des circonstances et du résultat manifeste, et plus particulièrement de sa cause finale qui est éminemment juste, puisqu’il s’agit du rétablissement du Roi dans son royaume, et de l’expulsion ou de l’écrasement, tout à fait légitime, de ses ennemis les plus acharnés.

Deinde, in suscipiendis gerendisque rebus integritas. Ensuite, l’intégrité dans la mise en œuvre et la conduite de l’affaire.

Addito, inquit, quod in observationibus suis hæc puella non reperitur uti sortilegiis, ab Ecclesia prohibitis, neque superstitionibus palam reprobatis, neque cautelis hominum fraudulentis, neque ad quæstum proprium vel aliquid tale subdolum, cum in attestationem suæ fidei exponat extremo periculo suum corpus. Ajoutez à cela, poursuit-il, que dans ses pratiques, on ne trouve pas cette pucelle user de sortilèges interdits par l’Église, ni de superstitions publiquement réprouvées, ni de basses manœuvres d’hommes, ni d’intérêt personnel ou obscur, puisqu’en témoignage de sa foi elle expose son corps au plus grand péril.

Hæccine igitur aut maga aut hæretica ? Est-ce donc là une sorcière ou une hérétique ? Nec ignarus quam multi multa de hac integerrima virgine pejorem in partem spargerent, Et sachant combien nombreux étaient ceux qui répandaient toutes sortes de propos malveillants sur cette vierge irréprochable,

Si multi, inquit, multa loquantur et referant pro garrulitate sua et levitate aut dolositate, aut alio sinistro favore vel odio, subvenit illud Catonis, Lorsque tant de gens, dit-il, débattent et colportent toutes sortes de propos, par commérage, légèreté, tromperie, ou quelque autre inclination ou haine malveillante, nous vient à l’esprit cette parole de Caton :

Arbitrii non est nostri quid quisque loquatur. Ce que chacun dit n’est pas de notre ressort.

166Re sic ex causis eventisque belle constituta, iterum eam ex circunstantiis [circumstantiis] disceptat magnis certe divinæ missionis argumentis. Après avoir bien défini ainsi l’affaire par ses causes et ses résultats, il en discute à nouveau les circonstances avec des arguments assurément solides en faveur de la mission divine. Earum prima est, quod Regi Galliæ, Ducibusque ejus ac Principibus persuadere potuit, ut se belli Ducem, viri fœminam, principes pastoritiam puellam sequerentur, præsertim formidolosissimo Galliæ tempore cui nisi diligentissime provideretur de re Gallica actum videri potuit. La première, c’est qu’elle sut persuader le Roi de France, ses Ducs et ses Princes, de la suivre comme leur général : eux, des hommes, elle, une femme ; eux, des princes, elle, une jeune bergère ; et ce, au moment le plus terrible pour la France, où, si l’on n’y pourvoyait pas avec le plus grand soin, la cause de France pouvait sembler perdue.

Jungantur, inquit, ad causam nostram istæ circunstantiæ [circumstantiæ] ; Una quod consilium Regis et gentes armorum potuerunt induci ad vocem illius puellæ taliter credere et obsequi quod sub ea vel cum ea exposuerint se conspirato animo ad bellica pericula, dedecore omni procul pulso, quod evenire poterat si sub una muliercula militantes victi fuissent per hostes procacissimos et irrisi apud omnes qui audissent. Qu’on joigne à notre démonstration, dit-il, les circonstances suivantes. L’une, c’est que le conseil du Roi et les gens d’armes purent être portés jusqu’à croire à la voix de cette jeune fille et à lui obéir, s’exposant sous ses ordres ou à ses côtés, et d’un même élan, aux dangers de la guerre, sans se soucier du déshonneur qui aurait pu survenir si, sous la conduite d’une mignonne, ils avaient été vaincus par des ennemis si arrogants, devenant alors la risée de tous ceux qui l’auraient appris.

Altera est popularis exultatio quocunque puella adventasset. La seconde est l’enthousiasme populaire partout où la Pucelle se montrait.

Altera, inquit, quod exultatio popularis, cum pia credulitate, tanta subsequi cernitur ad laudem 167Dei et hostium confusionem. La seconde, dit-il, c’est ce puissant élan populaire, mêlé de pieuse crédulité, que l’on voit naître aussitôt, à la louange de Dieu et à la confusion des ennemis.

Tertia, terror ejus adventu, hostium animis sese insinuans, Deo nimirum, qui animis præsidet, intus terrefaciente. La troisième est la terreur qui s’insinue dans le cœur des ennemis quand elle arrive, Dieu qui gouverne les âmes, les frappant sans doute d’effroi de l’intérieur.

Tertio, inquit, quod latentes inimici etiam magni, referuntur in timores varios imo et in languores quasi parturientis cecidisse, juxta imprecationem cantici illius a Maria sorore Moysis tympanizati in choro ludentium ; Cantemus Domino gloriose, etc. irruat super eos formido et pavor. La troisième, dit-il, c’est que les ennemis, certains de haut rang et restés cachés, sont rapportés saisis de multiples peurs, et même de défaillances semblables à celles d’une femme en travail, comme dans l’imprécation de ce cantique chanté au tambourin par Marie, sœur de Moïse, au milieu du chœur des danseuses : Chantons le Seigneur en sa gloire… que fondent sur eux la frayeur et l’effroi. [Exode 15]

Quarta circunstantia, prudentia temeritatis expers, La quatrième circonstance, une prudence exempte de témérité.

Ponderandum est, inquit, quod hæc Puella et adhærentes sibi militares non dimittunt vias humanæ prudentiæ, faciendo quod in se est, quod appareat (nempe cum id non fit) tentari Deus ultra quam necesse est. Notons, dit-il, que la Pucelle et les soldats qui la suivent, ne délaissent pas les voies de la prudence humaine, en faisant ce qui dépend d’eux, car ils apparaîtraient (sans cela) tenter Dieu plus que nécessaire.

Quinta, Puellæ modesta sapientia, non superba, et pertinax ; La cinquième, la sagesse modeste de la Pucelle, sans orgueil, et ferme.

Constat, inquit, hanc Puellam non esse pertinacem in adhesione proprii capitis, ultra quam a Deo habere se monitiones seu instinctus. Il est avéré, dit-il, que la Pucelle ne s’entête pas à suivre son propre jugement, excepté pour les commandements ou inspirations qu’elle dit tenir de Dieu.

Sexta, certa explorataque ejus a teneris 168probitas. La sixième, sa probité, établie et reconnue depuis ses tendres années.

Possent, ait, superaddi multæ circumstantiæ de vita ejus a puero, quæ interrogatæ sunt et cognitæ diu et multum et permultos, de quibus hic nihil inferitur. On pourrait, dit-il, ajouter bien des circonstances sur sa vie depuis l’enfance, qui ont fait l’objet d’enquêtes et sont connues depuis longtemps, en détail, et par un très grand nombre de personnes, mais dont il ne sera pas fait mention ici.

Septima, exempla antiquitatis. La septième, les exemples tirés de l’Antiquité.

Exempla, inquit, possunt induci de sancta Barbara et de Diva Catharina in conversione non minus miraculosa Rhetorum, et aliis multis, ut de Judith et de Juda (Macchabæo) in quibus, ut communiter, miscetur semper aliquid naturale. On peut, dit-il citer les exemples de sainte Barbe, de sainte Catherine avec la conversion non moins miraculeuse des orateurs, et de bien d’autres encore, comme Judith et Judas (Maccabée), dans lesquels, comme c’est généralement le cas, se mêle toujours quelque chose de naturel.

At enim, si missa erat divinitus, cur non prospere semper cum ea est actum, qui factum est ut in potestatem veniret hostium a quibus capta, damnata, tandem exusta est ? Mais alors, si elle avait été envoyée par Dieu, pourquoi les choses n’ont-elles pas toujours tourné à son avantage ? Comment se fait-il qu’elle soit tombée au pouvoir de ses ennemis, qui l’ont capturée, condamnée, et enfin brûlée ? Scribebat Gerson antequam re ipsa hæc evenissent ; vidit tamen vir in rebus humanis earumque a Deo conversione exercitatus, posse re ipsa ejusmodi aliquid evenire, quod ne hominum animos, cum evenisset, de istius Puellæ divina electione, missioneque male dubios faceret, hac oratione antevertit. Gerson écrivait avant que tout ceci ne fût effectivement advenu ; pourtant, en homme versé dans les affaires humaines et leur renversement par Dieu, il entrevit qu’une telle chose puisse effectivement advenir ; et pour éviter que lorsqu’elle adviendrait, cela ne jette un doute malencontreux dans l’esprit des hommes quant au choix divin de la Pucelle et à sa mission, il la devança par ce discours.

Neque sequitur, inquit, semper post primum miraculum quidquid ab 169hominibus expectatur vel expectabitur. Il ne découle pas toujours d’un premier miracle, dit-il, tout ce que les hommes en attendent ou en attendront. Præterea si frustraretur ab omni expectatione sua et nostra (quod absit) prædicta Puella, non oportebit concludere, ea quæ facta sunt, a maligno spiritu vel non a Deo facta esse ; sed vel propter nostram ingratitudinem vel blasphemias, aut aliunde justo Dei judicio licet occulto, posset contingere frustratio expectationis nostræ in ira Dei, quam avertat a nobis et bene omnia vertat. En outre, si ladite Pucelle devait voir toutes ses espérances et les nôtres déçues (à Dieu ne plaise), il ne faudrait pas en conclure que ce qui a été accompli l’a été par un esprit malin et non par Dieu ; cette déception de nos attentes pourrait bien venir de notre ingratitude, ou de nos blasphèmes, ou d’autre chose encore, suite à un juste quoique impénétrable jugement de Dieu dans sa colère, puisse-t-il la détourner de nous et tout tourner au mieux.

Et quidem, an ideo Judas Machabæus, divinitus ad suæ gentis salutem excitatus non est, quia hostium manu dolisque in acie occubuit ? aut quia Samsonem eadem quæ Philistæos ruina obruit, minus ideo Christi morientis figura minus ipse Deo carus fuerit ? De fait, dira-t-on que Judas Maccabée n’a pas été suscité par Dieu pour le salut de son peuple, parce qu’il est tombé au combat sous les coups et les ruses de l’ennemi ? ou, parce que Samson fut enseveli en même temps que les Philistins sous les ruines, qu’il serait une moindre figure du Christ mourant, ou lui-même moins cher aux yeux de Dieu ? Sæpe magnis viris violenta inter hostes gloriosior mors fuit, quam domi dulcis fuisset, inter, hinc parentes, hinc liberos. Souvent, pour les grands hommes, une mort violente au milieu des ennemis s’est révélée plus glorieuse que ne l’aurait été une fin paisible à la maison, au milieu des parents et des enfants. Sed et magni parvique multa humanitus omnes peccamus, quæ honeste suscepta mors illa expiat. Car nous tous en tant qu’hommes, grands ou humbles, commettons bien des péchés, qu’une telle mort acceptée avec honneur vient expier. Certe, genus id mortis, vita martyrum est. Assurément, ce genre de mort constitue la vie des martyrs. Recte denique Gerson, Aussi Gerson conclut-il avec justesse :

A Domino factum est 170istud, et est mirabile in oculis nostris. Psal. CXVII. C’est là l’œuvre du Seigneur, et c’est une chose merveilleuse à nos yeux. (Psaume 117[ :23].)

Henricus de Gorckeim Henri de Gorkum

Conjungam Gersoni scriptori illius seculi, scriptorem ejusdem ætatis alterum. À Gerson, écrivain de ce siècle-là, je joindrai un autre écrivain de la même époque. Is est Magister Henricus de Gorckeim, ex quo rerum istarum perhonorifica narratio ante posita est, in qua præfatus puellam istam asseruisse se a Deo missam, subjungit. Il s’agit de Maître Henri de Gorkum, dont nous avons cité plus haut le récit très honorable des événements, et qui, après avoir rapporté que ladite pucelle se disait envoyée de Dieu, ajoute :

Ne autem ipsius assertio putetur temeraria, etiam signis supernaturalibus utitur, sicuti revelare occulta cordium, et futura contingentia prævidere. Et pour que son affirmation ne passe pas pour téméraire, elle recourt aussi à des signes surnaturels, tels que révéler les pensées cachées et prévoir les futurs contingents.

Etiam illa addit, Et encore :

Cum in equo esset, militare vexillum præferens, (Nos autem ex historia didicimus vexillum illud Christi effigie impressum, Jesu et Mariæ nominibus inscriptum fuisse) tunc ipsam quidem mirifica armorum scientia viguisse, ejus vero copias militari alacritate compleri solitas, hostes timore dissolvi : vixisse autem a teneris caste ac pie. Que lorsqu’elle chevauchait, son étendard militaire à la main (l’histoire nous apprend d’ailleurs que cet étendard représentait le Christ et portait les noms de Jésus et Marie), elle démontrait une étonnante science des armes ; qu’alors ses troupes se montraient généralement pleines d’ardeur au combat, tandis que les ennemis étaient paralysés par la peur ; qu’elle avait vécu depuis l’enfance dans la chasteté et la piété.

Hæccine vero sunt magiæ indicia ? Sont-ce vraiment là des signes de sorcellerie ?

At enim, cur militari tempore atque habitu majore erat vi ac scientia ? Respondebo ejus verbis in collativo opere de 171hac puella militari, quod Gersoni ab aliquibus ascriptum Gersoniano superiori tractatui proxime anteit. Mais alors, d’où tirait-elle sa force extraordinaire et sa science, à la guerre et en armes ? Je répondrai en citant son traité, que certains attribuent à Gerson et qui figure dans le recueil collectif consacré à la vierge guerrière, juste avant le traité de Gerson ci-dessus. In eo, propositione sexta, À sa sixième proposition :

Nec mirum, inquit, si in statu equestri sit alterius luminis, quam in solito statu muliebri, quia etiam David volens Dominum consulere, induebat Ephod, sumpsit psalterium, et Moyses dum virgam gestabat, mirabilia faciebat, quia (sicut dicit Gregorius) Spiritus sanctus frequenter se interius conformat exterioribus concurrentibus. Il n’y a rien d’étonnant, dit-il, qu’elle soit d’un éclat différent à l’état de cavalière, qu’à son état ordinaire de femme ; David aussi, lorsqu’il voulait consulter le Seigneur, revêtait l’éphod et prenait le psaltérion ; et Moïse, tant qu’il tenait son bâton, accomplissait des merveilles ; car (comme le dit [saint] Grégoire) l’Esprit Saint adapte souvent son action intérieure aux circonstances extérieures qui s’y prêtent.

Idem ipse propositione quinta ejusdem operis. De même dans sa cinquième proposition du même ouvrage :

Ad nutum, inquit, habet hæc puella usum donorum supernaturalium in manifestando occulta, et prænunciando futura, suo ministerio deservientia, prohibendo insuper fieri occisiones et cætera vitia, exhortando ad virtutes et cætera probitatis opera, in quibus Deus glorificatur. Cette Pucelle, dit-il, a la faculté d’user à sa guise de dons surnaturels au service de sa mission, comme dévoiler ce qui est caché ou prédire ce qui va arriver ; elle s’emploie par ailleurs à empêcher les massacres et autres vices, ainsi qu’à encourager les vertus et autres œuvres honnêtes, par lesquelles Dieu est glorifié. Sicut ergo in spiritu Dei præmissus est Joseph ante patrem, et fratres in Ægyptum, et Moyses ad populi Isræl liberationem, Gedeon, etc. Pari modo hanc juvenculam non est incongruum connumerari bonis 172specialiter a Deo missis, præsertim cum nec munera quærat et ad bonum pacis tota devotione laboret : hoc enim non est opus mali spiritus qui potius est author dissensionis quam pacis. Ainsi donc, tout comme Joseph fut envoyé par l’Esprit de Dieu en Égypte avant son père et ses frères, ou Moïse pour la libération du peuple d’Israël, ou encore Gédéon, etc., il n’est pas incongru de compter aussi cette jeune fille parmi les gens de bien spécialement envoyés par Dieu ; d’autant qu’elle ne recherche aucune récompense et se dévoue entièrement au bien de la paix : une telle œuvre ne saurait être celle d’un esprit mauvais qui sème bien plus la discorde que la paix.

Et propositione quarta ; Et dans sa quatrième proposition :

Sacris consonat literis per fragilem sexum, et innocentem ætatem exhibitam a Deo fuisse populis et regnis latam salutem. Il est conforme aux Saintes Écritures que Dieu ait manifesté et apporté son salut aux peuples et aux royaumes, par le biais du sexe faible et de l’âge innocent. Hæc propositio patet, quia teste Apostolo Deus eligit infirma mundi ut fortia quæque confundat. Une telle proposition est évidente, puisque l’Apôtre dit que Dieu choisit les faibles du monde pour confondre les forts. [1 Corinthiens 1 :27.] Hinc exemplariter procedendo legitur de Delbora, Hester, et Judith, impetratam fuisse populo Dei salutem, et Danielem in pueritia suscitatum ad liberationem Susannæ. En poursuivant par des exemples, nous lisons que le salut fut accordé au peuple de Dieu par l’intermédiaire de Débora, d’Esther et de Judith ; et que Daniel, encore enfant, fut suscité pour délivrer Suzanne. Sic David in juventute Goliam prostravit. De même, David abattit Goliath alors qu’il était jeune. Nec immerito quia hoc modo fit evidentior divinæ pietatis affluentia, ne homo suis viribus adscribat sed Deo potius gratiarum actiones referat. Et ce n’est pas sans raison, car de cette manière les largesses de la bonté divine apparaissent plus évidentes, afin que l’homme n’attribue pas son salut à ses propres forces, mais en rende plutôt grâce à Dieu. Sic enim per humilem virginem totius generis humani redemptio orta est. Igitur etc. Et bien sûr, c’est ainsi que d’une humble vierge est née la rédemption de tout le genre humain. Donc, etc.

Anonymus de Joanna virgine. Auteur anonyme sur Jeanne la vierge

At enim liberabo etiam eam criminibus magiæ et hereseos, verbis iisdem quibus apud Meyerum contemporaneus virgini 173Anonymus latinus scriptor eam liberat. Mais certes, je la disculperai encore des accusations de magie et d’hérésie, en reprenant les termes mêmes par lesquels un auteur latin anonyme, contemporain de la pucelle, la disculpe, et que l’on trouve chez Meyer. Est vero illius hæc oratio. Voici son argumentation :

Compendium ab Anglis obsidetur, Puella eruptionem facit, et capitur, ducta Rothomagum ubi tunc erat Rex Henricus adolescens. Compiègne est assiégée par les Anglais ; la Pucelle fait une sortie et est capturée ; elle est conduite à Rouen où se trouvait alors le jeune Roi Henri. Petrus Cauchon Bellovacorum tunc erat Episcopus Consiliarius præcipuus Regis Anglia. Pierre Cauchon était alors évêque de Beauvais et le principal conseiller du roi d’Angleterre. In ejus diœcesi quoniam capta puella erat, convenit ut ipse inquisitionem faceret de Puella quam maleficam esse per invidiam insimulabant et hæreticam. Puisque la Pucelle avait été prise dans son diocèse, il fut décidé qu’il conduirait lui-même l’enquête sur la Pucelle, qu’on accusait par haine d’être une sorcière et une hérétique. Quæstio habita a multis Theologis et Jureconsultis Lutetia evocatis : per multos dies interrogationes et responsa ab tabellionibus diligenter conscripta. L’instruction fut menée par de nombreux théologiens et juristes appelés de Paris ; pendant de nombreux jours, les interrogatoires et les réponses furent soigneusement consignés par des notaires. Admirationi omnibus erat, quod puella rusticana de fidei rebus tam sapienter, tamque Catholice loquebatur, et respondebat. C’était un sujet d’admiration pour tous, qu’une jeune paysanne pût parler et répondre sur des matières de foi, d’une manière aussi sage et catholique. Hoc autem inquisitores (qui Anglicæ erant omnes factionis) curabant, ut callidis, versutis, et fucatis verbis, et inquisitionibus et interrogationibus captiosis, sanctam Christi virginem caperent, et de hæresi accusarent : sed non potuerunt. En réaction cependant, les interrogateurs (qui étaient tous partisans des Anglais) s’évertuaient, par des paroles habiles, retorses et trompeuses, par des enquêtes et des interrogatoires captieux, à piéger cette sainte vierge du Christ et à l’accuser d’hérésie : ils n’y parvinrent pas. Data sunt illi a Domino verba quæ loqueretur, 174nec spiritui ejus qui loquebatur potuerunt resistere. Le Seigneur lui inspira les paroles qu’elle devait dire, et nul ne put résister à l’esprit de celle qui parlait.

Proditi pudoris calumnia diluta. Réfutation de l’accusation de fausse pudeur
Anonymus Auteur anonyme

Commode autem idem proditi pudoris calumniam diluit his verbis. Le même dissipe également, avec pertinence, la calomnie de fausse pudeur en ces termes :

Insuper Angli per obstetrices sua etiam factionis inspici curabant virginem. De plus, les Anglais firent en sorte que la vierge soit examinée par des sages-femmes, elles aussi de leur parti. Nec mulieres illa quamvis maxime cuperent, ac virgini gravissimæ hostes essent, aliud potuere affirmare quam quod intemerata claustra virginalia servata in illa reperirent. Et ces femmes, même si elles en avaient le plus vif désir et étaient les plus implacables ennemies de la vierge, ne purent affirmer autre chose sinon qu’elles trouvèrent chez elle la virginité conservée intacte. Dicitur enim suam integritatem Deo vovisse, cum adhuc patris sui gregem in agris pasceret, quibus in agris adeo religioni erat addicta ut quoties sonitum audiret campanæ de consecratione Corporis Domini religiosissime prosterneret se in terram, diu multumque orans, laudans, ac benedicens Deum. On rapporte en effet qu’elle avait voué sa virginité à Dieu, à une époque où elle faisait encore paître aux champs le troupeau de son père, et que dans ces mêmes champs, elle était si fervente dans sa foi, que toutes les fois qu’elle entendait le son de la cloche annonçant la consécration du Corps du Seigneur, elle se prosternait à terre avec la plus grande piété, priant longuement, louant et bénissant Dieu.

Hæc ille. Ainsi parle-t-il.

Papirius Massonus Papire Masson

Meyero pudicitiam Joannæ defendenti astipulantur quamplurimi integræ fidei viri superius adducti, e quorum numero minime omittendus est Papirius Massonus qui lib. 4. annal. in Car. [Carolo] VII. refert De très nombreux hommes d’une foi irréprochable, cités plus haut, se joignent à Meyer pour défendre la chasteté de Jeanne ; parmi eux, on ne saurait passer sous silence Papire Masson qui, dans le livre IV de ses Annales, pour le règne de Charles VII, rapporte :

Joannem Comitem Dunensem (qui 175sub Joanna militaverat, ut testatur Thevetus in ejus vita) super ejus pudicitia jubente Calixto Pontifice interrogatum respondisse, nullum a quoquam nisi castæ et pudicæ modestæque virginis signum in ea deprehensum : idemque affirmasse alios magno numero productos testes idoneos et omni exceptione majores. que Jean, comte de Dunois (qui avait combattu sous les ordres Jeanne, comme en témoigne Thevet dans sa Vie), interrogé sur la chasteté de Jeanne, par ordre du pape Calixte, avait répondu que personne n’avait jamais rien observé en elle qui ne fut le signe d’une vierge chaste, pudique et modeste ; et qu’il avait affirmé que de nombreux autres témoins produits étaient fiables et au-dessus de tout soupçon.

Joannes Candela Jean-Dominique Candela

Novissime autem P. Joannes Candela Soc. [Societatis] Jesu, in cap. [capite] 2. discurs. [discursu] 13. de felicitate et bono status virg. [virginitatis] asserit, Plus récemment, le père Jean Candela, de la Compagnie de Jésus, au chapitre 2 de son 13e discours sur le Bonheur et le bien de l’état de virginité, affirme que :

præfatam Joannam virginem quam Amazonem Gallicam nominat, et magnopere commendat, ideo a Deo ad restituendum Gallicum regnum fuisse electam quod Virgo castissima esset. ladite vierge Jeanne, qu’il appelle l’Amazone de France et qu’il loue vivement, a été choisie par Dieu pour rétablir le royaume de France, précisément parce qu’elle était une vierge d’une très grande chasteté.

Mirabilis Joannæ castitas ejusque corporis integritas. Admirable chasteté de Jeanne et intégrité de son corps

An vero illa libidine arderet, de qua Belleforestio teste in Carolo VII. audiebantur commemorare Duces ac milites, eos qui cum illa versarentur, quive oculos in eam intendissent, non solum nullo tangi libidinis sensu, sed veneratione quadam compleri solitos, quasi in ea quiddam homine augustius cernerent. Quant à savoir si elle brûlait du désir charnel, Belleforest rapporte dans son Charles VII, qu’on entendait les capitaines et les soldats raconter que ceux qui la fréquentaient, ou qui simplement posaient les yeux sur elle, ne ressentaient non seulement aucun désir, mais étaient habituellement saisis d’une profonde vénération, comme s’ils devinaient en elle quelque chose de plus saint que d’humain.

Hoc et de eadem ad ipsius corporis integritatem 176probandam ab eodem Belleforestio asseritur, eam communi mulierum morbo obnoxiam minime fuisse, sed prorsus ab eo liberam. Pour démontrer l’intégrité de son corps, le même Belleforest affirme encore ceci, qu’elle n’était nullement sujette à la maladie commune des femmes, mais qu’elle en était absolument exempte.

Virilis habitus excusatio. Justification de l’habit d’homme
Anonymus Auteur anonyme

De virili habitu mox dicam. Nunc anonymi illius apud Meyerum brevi oratione respondebo. J’aborderai bientôt la question de l’habit masculin. Mais d’abord, je répondrai en quelques mots à l’anonyme cité par Meyer.

Virilem, inquit, habitum excusavit, ne scilicet militum incontinentia provocari in illa posset, si fœmineo usa fuisset habitu. Elle justifia son port de l’habit masculin, dit-il, pour ne pas provoquer la concupiscence des soldats contre elle, si elle s’était vêtue en femme.

Vera mortis puellæ causa, hostilis invidia. Véritable cause de la mort de la Pucelle : la haine de l’ennemi

Unde igitur mors innocenti ? ab odio atque invidia. D’où vient donc la mort de cette innocente ? de la haine et de l’envie. Synchronus quanquam anonymus. D’après l’auteur anonyme, contemporain :

Una nihilominus omnium Anglorum sententia erat, et vox vulgaris, nunquam se posse fœliciter cum Gallis dimicare aut victoriam reportare, quamdiu Puella illa, quam veneficam et sortilegam vocabant, viveret. Il y avait néanmoins cette idée chez tous les Anglais, et c’était l’opinion commune, qu’ils ne pourraient jamais combattre avec succès les Français ni remporter la victoire, tant que vivrait la Pucelle, qu’ils appelaient sorcière et magicienne. Tollendam esse de terra. Elle devait être éliminée de ce monde. Hostes ejus judices erant. Ses ennemis étaient ses juges. Pars ejus adversa qui eam accusarat, tulit sententiam. La partie adverse, qui l’avait accusée, prononça la sentence. Squalore carceris et inedia eam macerabant. Ils l’épuisaient par l’insalubrité de sa prison et par la faim.

Revelationes Joannæ factæ. Révélations faites à Jeanne

Ferunt eam tandem ab judicibus adductam ut si vellet abjurare revelationes quas asserebat sibi factas, eam absolverent, et abire permitterent ; quod fecisse 177eam tradunt : sed cum tamen non dimitteretur, valde increpitam fuisse se dixisse, quod revelationes abnegasset ; Iterum sibi in carcere apparvisse scilicet Divas Agnetem, Margaritam et Catharinam, ab illisque quod hoc fecisset objurgatam. On rapporte qu’elle fut finalement conduite devant ses juges qui lui déclarèrent que, si elle voulait abjurer les révélations qu’elle prétendait avoir reçues, ils l’absoudraient et la laisseraient partir ; on raconte qu’elle le fit, mais que cependant, n’étant pas relâchée, elle se serait vivement reproché d’avoir renié ses révélations ; disant que les saintes, à savoir Agnès, Marguerite et Catherine, lui étaient de nouveau apparues en prison, et l’avaient réprimandée pour ce qu’elle avait fait. Hæc fuit causa mortis. Telle fut la cause de sa mort. Dicebant hostes ejus qui judices erant, relapsam esse in abjuratam hæresim, adduxerant enim eam ut juraret se ultra non dicturam sibi revelationes factas esse. Ses ennemis, qui étaient ses juges, disaient qu’elle était retombée dans l’hérésie qu’elle avait abjurée, puisqu’ils l’avaient amenée à jurer qu’elle ne dirait plus avoir reçu des révélations. Data brachio seculari Rothomagi combusta. Livrée au bras séculier, elle fut brûlée à Rouen. Collecti cineres universi et de ponte in Sequanam demersi, ne quid forte reliquiarum servari aut coli possit. On rassembla ses cendres, puis on les jeta d’un pont dans la Seine, afin que rien de ses restes ne pût d’aventure être ni conservé ni vénéré.

Joanna virili veste non virum mentita sed Deo obsequuta. En portant un vêtement d’homme, Jeanne n’a pas cherché à se faire passer pour un homme, mais a obéi à Dieu

At dicet aliquis, Virum veste mentita est, virili veste mulier in castris versata est, virilem vestem Deo mulieri prohibente. D’aucuns diront : En portant ce vêtement elle s’est fait passer pour un homme ; une femme vêtue en homme a fréquenté les camps militaires ; Dieu interdit à une femme de porter un vêtement d’homme. Hoc igitur illud crimen est quod morte est in eam vindicatum ? Est-ce donc ce crime-là qui lui a valu la peine de mort ? Atqui nemo in historia scribenda tam fuit impudens, qui sexum eam mentitam esse diceret : semper virginem puellam, semper fœminam præ se tulit : viro similis cum ad fortia virorum facta in aciem pugnamve descenderet, 178reversa ad muliebrem cultum, ubi militari opera opus non fuit. Pourtant, personne ne fut assez impudent, en écrivant son histoire, pour dire qu’elle avait menti sur son sexe : toujours, elle se présenta comme une jeune vierge, toujours comme une femme ; semblable à un homme quand elle descendait dans la mêlée y accomplir des exploits d’homme, elle revenait à ses mœurs féminines dès que l’action militaire n’était plus nécessaire.

At in bello saltem violata fuerit ab ea divina lex. Du moins, objectera-t-on, en faisant la guerre elle aura violé la loi divine. Enimvero unde id potest esse consequens ? Mais d’où peut-on tirer une telle conséquence ? Capessit arma solo Dei jussu, cui ad arma, virorum instar, vocare eam placuit, ab eodem summo imperatore Deo, ad viri interim speciem vestemque vocata est. Elle ne prend les armes que sur l’ordre de Dieu, qui a jugé bon de l’appeler aux armes comme les hommes ; et c’est ce même Dieu, commandant suprême, qui pour ce temps-là l’a appelée à prendre l’apparence et à s’habiller en homme. Sic enim a Deo sibi præscriptum sancte testata est ; sic Historici nobis ab ea acceptum tradiderunt. Car c’est ainsi que Dieu le lui avait prescrit, déclara-t-elle sous serment ; et c’est ainsi que les historiens nous l’ont rapporté d’après sa déclaration.

Novo more gestum id ab ea imperatumque est a Deo fateor ; at repugnante Dei lege factum inficior. Je conviens du caractère inédit de ce qu’elle a fait et de ce que Dieu lui a commandé ; mais je nie que cela ait violé la loi de Dieu. Nam de vetere ac Mosaica lege quod adducitur, id non efficit, ut si quando Deus, si qua temporis periculive vitandi necessitas, si qua aliquid gerendi necessaria atque honesta lex, hujusmodi mutationem vestis imperet, mutari honeste non possit. Car ce que l’on allègue de l’ancienne loi mosaïque n’exclut pas qu’un changement de vêtement puisse se faire honorablement, lorsque c’est Dieu qui commande ce changement, ou une nécessité dictée par les circonstances ou un danger à éviter, ou encore quelque autre loi nécessaire et honnête pour agir. Turpitudini lex illa atque impietati resistit, non religioni et honestati. Cette loi combat la débauche et l’impiété, non la religion et l’honnêteté.

Joannes Gerson Jean Gerson

Itaque gravis in Theologia Doctor Joannes Gerso, Joannæ hoc factum triplici, 179ut vocat, veritate defendit. C’est pourquoi Jean Gerson, éminent docteur en théologie, défend cet acte de Jeanne par ce qu’il nomme une triple vérité.

Prima est, La première :

Lex vetus, prohibens mulierem uti veste virili, et virum veste muliebri, pro quanto est pure judicialis, non obligat in nova lege, quia secundum veritatem tenendam de necessitate salutis judicialia antiqua legis ablata sunt, nec obligant in nova, ut talia sunt, nisi noviter per superiores ea institui seu confirmari contingat. L’ancienne loi, qui interdit à la femme de porter un habit d’homme et à l’homme un habit de femme, en ceci qu’elle est purement judiciaire, ne s’applique plus sous la nouvelle loi ; car, selon cette vérité de foi nécessaire au salut, les préceptes judiciaires de l’ancienne loi ont été abrogés et ne s’appliquent plus dans la nouvelle en tant que tels, à moins qu’ils ne soient de nouveau institués ou confirmés par les autorités.

Secunda veritas, Seconde vérité :

Lex hujusmodi continebat aliquod morale, quod stabile est in omni lege, et illud possumus exprimere prohibitionem indecentis habitus, tam in viro quam in muliere contra medium virtutis, quod observare debet circustantias [circumstantias] omnes, ut quando oportet, cur oportet, qualiter oportet, et ita de reliquis ut sapiens judicabit. Une telle loi renfermait un aspect moral, immuable en toute loi, et que nous pouvons formuler ici comme l’interdiction d’une tenue indécente, aussi bien chez l’homme que chez la femme, contraire à une juste proportion de la vertu qui doit tenir compte de toutes les circonstances : quand, pourquoi, comment, et ainsi de suite selon ce qu’en jugera le sage.

Tertia veritas, Troisième vérité :

Lex hujusmodi nec ut judicialis nec ut moralis damnat usum vestis virilis et militaris in puella nostra virili et militari, quam ex certis signis elegit Rex cœlestis omnium, tanquam vexilliferam ad conterendos hostes justitia, et amicos 180sublevandos, ut in manu fœmina puellaris et virginis confundat fortia iniquitatis arma auxiliantibus Angelis, quibus virginitas amica est et cognata secundum Hieronymum, et in sacris historiis frequenter apparuit, sicut in Cæcilia visibiliter cum coronis ex rosis et liliis. Une telle loi, ni dans son aspect judiciaire ni dans son aspect moral, ne condamne l’usage d’un habit viril et militaire chez notre Pucelle faisant œuvre virile et militaire, que d’après des signes incontestables le Roi du ciel a choisie entre tous comme porte-étendard pour écraser les ennemis de la justice et soulager ses amis, afin que par la main d’une femme, jeune et vierge, il confonde les puissantes armes de l’iniquité, avec l’aide des Anges, pour qui, d’après saint Jérôme, la virginité est une amie et une intime, et que l’on retrouve fréquemment dans les histoires de saintes, comme chez sainte Cécile, représentée par des couronnes de rose et de lis. Rursus per hoc salvatur attonsio crinium, quam Apostolus prohibere videtur in fœmina. Ceci justifie également ses cheveux cours, que l’Apôtre semble interdire à la femme.

Obstruatur ergo et cesset os loquentium iniqua, quia ubi divina virtus operatur, media secundum finis exigentiam disponuntur, ita ut jam non sit securum detrahere, vel culpare ausu temerario ; ea quæ a Deo sunt, secundum Apostolum ordinata sunt. Que se ferme donc et que se taise la bouche de ceux qui profèrent l’iniquité ; car là où agit la puissance divine, les moyens sont disposés selon la finalité visée, de sorte qu’il devient périlleux de dénigrer ou de blâmer avec une audace téméraire ; d’après l’Apôtre, ce qui vient de Dieu est ordonné. Denique possent particularitates addi multæ, et exempla de historiis sacris et gentilium sicut de Camilla et Amazonibus. Enfin, on pourrait multiplier les particularités et les exemples puisés dans les histoires sacrées et païennes, comme celle de Camille et celle des Amazones. Sicut præterea in casibus vel necessitatis vel evidentis utilitatis, vel approbatæ consuetudinis, vel ex authoritate seu dispensatione superiorum. Ainsi, d’ailleurs, que les cas de nécessité, d’utilité évidente, de coutume approuvée, ou encore ceux émanant d’une autorité ou d’une dispense des supérieurs. Sed ista pro brevitate sufficiant et veritate. Mais bornons-nous à cela par souci de brièveté, et parce que cela suffit à la vérité. Tantummodo caveat pars habens justam causam, ne per incredulitatem, 181et ingratitudinem, vel alias injustitias faciat irritum divinum tam patenter et mirabiliter auxilium inchoatum, prout in Moyse et filiis Isræl post collata divinitus tot promissa legimus contigisse. Seulement, que la partie qui est dans son bon droit prenne garde, par son incrédulité, son ingratitude ou d’autres injustices, à ne pas rendre vain ce secours divin si manifestement et admirablement initié ; comme nous le lisons pour Moïse et les enfants d’Israël, après tant de promesses reçues de Dieu. Deus enim etsi non consilium, sententiam tamen mutat pro mutatione meritorum. Car Dieu, sans modifier son dessein, ajuste néanmoins sa sentence en fonction de l’évolution des mérites.

Hæc Gerso. Ainsi parle Gerson.

Lyranus Nicolas de Lyre

Pererudite autem Lyranus ad illud capitis 22. Deuteron. [Deuteronomium] Mulier non induetur veste virili, etc. Quant à Nicolas de Lyre, voici ce qu’il dit très savamment de ce verset du chapitre 22 du Deutéronome : Une femme ne s’habillera pas en homme, etc.

Hoc, inquit, exponunt Doctores aliqui, et bene, ut credo, quod hoc intelligitur de armis quibus viri utuntur ; (id vero ille ex Hebraica lectione comprobat) Ceci, dit-il, certains docteurs l’expliquent, et correctement à mon avis, comme se rapportant aux armes dont les hommes font usage (ce qu’il établit d’ailleurs à partir du texte en hébreu). Prohibetur autem in dicto cap. quod mulier non portet arma viri, tum quia indecens mulieri et præsumptuosum : tum quod pro tunc erat superstitiosum, quia gentiles mulieres in sacris Martis, portabant arma viri : et in sacris Veneris, viri portabant ornamenta mulierum et instrumenta earum, utpote colum, fusum, et similia : ideo subditur abominabilis est apud Deum qui hoc fecit. Or, dans ledit chapitre, s’il est interdit qu’une femme porte des armes d’homme, c’est autant parce que c’est indécent pour une femme et présomptueux, que parce que c’était alors superstitieux : en effet, lors des cultes rendus à Mars, les femmes païennes portaient des armes d’homme, et dans ceux rendus à Vénus, les hommes portaient des ornements et des instruments de femme, comme la quenouille, le fuseau, et autres objets semblables ; c’est pourquoi il est ajouté que celui qui le fait est en abomination devant Dieu. Abominatio 182enim in sacra scriptura communiter capitur pro idolatria, seu pro aliquo ad idolatriam pertinente. Car dans les Saintes Écritures, le mot abomination désigne généralement l’idolâtrie, ou ce qui touche à l’idolâtrie. Si autem prædicta litera [littera] intelligatur de veste communi, prohibetur, hic talis usus, vel potius abusus, quia est occasio libidinis, quia mulier in veste virili posset licentius cum hominibus luxuriam exercere : et similiter vir in veste mulieris, quia liberius posset secreta mulierum ingredi. Mais si l’on interprète le verset ci-dessus comme parlant du vêtement ordinaire, c’est cet usage, ou plutôt cet abus, qui est interdit ici ; car il constitue une occasion de débauche, puisqu’une femme en habit masculin pourrait se livrer plus librement à la luxure avec des hommes, comme un homme en habit féminin, puisqu’il pourrait pénétrer plus librement dans les lieux réservés aux femmes.

Hæc hactenus ipsissimis verbis Nicolaus de Lyra. Telles sont les paroles exactes de Nicolas de Lyre.

Cusanus Nicolas de Cues

Paria Cardinalis Cusanus libro secundo exercitationum in sermone, Ibant Magi. Des idées similaires se retrouvent chez le cardinal de Cues, au second livre de ses Exercices, dans le sermon : Les [Rois] Mages s’en allèrent.

Navarrus Navarrus (Martin d’Azpilcueta)

Navarrus item enchiridii cap. 23. num. 12. De même chez Navarrus, au chapitre 23, numéro 12, de son Manuel.

Nullatenus etiam peccare ait, fœminam quæ veste virili se vestit, nec virum qui fœminea, justa de causa veluti ne ab inimicis agnoscatur, aut quia alia veste caret, vel ob honestam sui aut alterius oblectationem secundum S. Thomam, neque plusquam venialiter si ob levitatem hoc faciat absque fine et circunstantia [circumstantia] mortali, juxta Caietanum in 2. 2. q. 169. artic. 2. ad 3. Ne pèchent en aucune manière, dit-il, ni la femme qui s’habille en homme, ni l’homme qui s’habille en femme pour une raison légitime, comme pour ne pas être reconnu par ses ennemis, ou faute d’un autre vêtement, ou dans le cadre d’un divertissement honnête pour soi-même ou pour un autre, d’après saint Thomas ; et ils ne pèchent tout au plus que véniellement, si c’est par légèreté et sans intention ni circonstance de péché mortel, d’après le commentaire de Cajetan, de la II-II, q. 169, a. 2, ad 3.

Philippus Camerarius Philipp Camerarius

183Quibus rationibus et authoritatibus permotus Philippus Camerarius Jurisconsultus, et Reip. [Reipublicæ] Noricæ a consiliis, Sensible à ces raisons et à ces autorités, Philipp Camerarius, jurisconsulte et conseiller de la République de Nuremberg estime que

Joannam ob susceptum habitum virilem jure excusandam censet, Jeanne doit être excusée de plein droit d’avoir porté l’habit d’homme,

cap. 17. libri quarti, tertii voluminis meditationum historicarum. au chapitre 17 du livre IV, volume III de ses Méditations historiques. Nec obest canon si qua mulier 6, 30. dist. Et le canon Si qua mulier (livre 6, distinction 30) n’y fait pas obstacle non plus.

Si qua mulier suo proposito, inquit, utile judicans ut virili veste utatur, propter hoc virilem habitum imitetur, anathema sit. Perspicuum enim est propositum illud mulieris non pietatis esse propositum sed luxuriæ. Si une femme, est-il dit, trouve un intérêt personnel à porter un vêtement masculin, et adopte ainsi une apparence masculine, qu’elle soit anathème. Car il est clair que l’intérêt de cette femme ne relève pas de la piété, mais de la débauche.

Glossa in illo canone propositum suum scilicet mulieris explicat, La glose de ce canon interprète ainsi cet intérêt personnel, c’est-à-dire celui de la femme,

quia magis est habilis et magis parata in scissa veste quam in clausa ad meretricandum ; par le fait qu’un vêtement fendu la rend plus accessible et plus préparée à se prostituer qu’un vêtement fermé.

Cum malus ergo est animus, vestis mutatio mala est, non ipsa sola mutatio, maxime si consuetudo sit, ut mulier certo habitu virili uti possit. Ainsi, c’est lorsque l’intention est mauvaise que le changement de vêtement est mauvais, et non pas le changement en soi, particulièrement si une coutume permet à une femme d’adopter un certain habit d’homme.

Decretales Gregorii IX Décrétales de Grégoire IX

Quemadmodum in cap. 2. de testam. [testamentis] refertur de Abbatissis quæ habentur pro monialibus quæ tamen non induerant habitum monachalem, sed in vestibus quibus utebantur loci illius presbyteri permanserant. De la même manière, il est rapporté au chapitre 2 des Testaments [Décrétales de Grégoire IX, livre III, titre 26] le cas d’abbesses qui étaient considérées comme des moniales, bien qu’elles n’eussent pas pris l’habit monastique, mais avaient conservé les vêtements qu’utilisaient les prêtres du lieu.

Ulpianus Ulpien

184Quid, quod Ulpianus Jurisconsultus in l. vestis 23. §. vestimenta omnia ff. de aur. et arg. leg. constituit alia esse vestimenta virilia, muliebria, puerilia, alia his communia quibus promiscue utitur mulier cum viro ; veluti si ejusmodi penula palliumque est et reliqua hujusmodi quibus sine reprehensione vel vir vel uxor, seu mulier utatur. Que dire encore du jurisconsulte Ulpien (Digeste, Des legs d’or et d’argent, loi Vêtement, 23, § Tous les vêtements), qui distingue d’un côté les vêtements propres aux hommes, aux femmes ou aux enfants, et de l’autre ceux communs à tous, et qu’utilise indifféremment la femme ou l’homme ; tels que le manteau à capuche, le manteau drapé et d’autres du même type, qu’un homme, une épouse ou une femme peuvent porter sans encourir de blâme. Reprehensionem ibi definit ex usu non recepto, quare usus ipse, vel honesta vel inhonesta facit vestimenta. D’après sa définition, le blâme découle d’un usage non admis ; ainsi, c’est uniquement l’usage qui détermine si les vêtements sont décents ou indécents.

Beatus Thomas Saint Thomas d’Aquin

Quod vero mulier sine peccato virilem habitum deferre possit, necessitate aut rationabili causa inducta tenet etiam Beatus Thomas in summa 2. 2 q. 169. art. 2. Quant au fait qu’une femme puisse porter un habit d’homme sans pécher, si elle y est amenée par la nécessité ou une raison valable, le bienheureux Thomas le soutient également dans sa Somme (II-II, q. 169, a. 2).

Plures virgines quamvis virili vestitu indutæ tamen laude dignissimæ. Nombreuses vierges, quoique s’étant habillées en homme, n’en sont pas moins tout à fait dignes de louange

Neque vero Ecclesia ideo minus inter sanctas et Deo acceptas, laudeque ac veneratione dignas habuit Theodoram Alexandrinam, quæ diu in monasterio sub monachi nomine et vestitu latuit pænitentiam agens, et Deo serviens, ut ait Marcus Marullus lib. V. de religiose vivendi institutione. Ainsi l’Église n’en a pas moins compté Théodora d’Alexandrie au nombre des saintes, agréables à Dieu et dignes de louange et de vénération, elle qui vécut longtemps cachée dans un monastère sous le nom et l’habit d’un moine, faisant pénitence et servant Dieu, comme le rapporte Marko Marulic au livre V de son Institution de la vie religieuse. Marinam virginem natione Græcam 185scribit Volateranus sexum dissimulasse honesta de causa, ut admitteretur in cœnobium, quo soli viri recipiebantur, ubi ad mortem usque sanctissime vixit nomine Marini. Raffaele Maffei (de Volterra) rapporte que Marine, une vierge grecque, dissimula son sexe dans le but honorable d’être admise dans un monastère où seuls les hommes étaient acceptés ; elle y vécut très saintement jusqu’à sa mort sous le nom de Marin. Fecere eadem Euphrosyna virgo Alexandrina, Pelagia Antiochena aliæque sanctimoniæ laude commendatæ. Agirent de même Euphrosyne, vierge d’Alexandrie, Pélagie d’Antioche et d’autres encore, recommandées pour leur sainteté.

Joanna miracula inque ejus hostes divina humanaque ultio. Miracles de Jeanne et châtiment divin et humain contre ses ennemis

Denique ut istius puellæ acta institutaque a Deo illi præscripta, Deo accepta fuisse credam, duo me præterea magnopere inducunt. miracula divina, et divina humanaque in ejus hostes atque iniquos judices ultio. Enfin, quant à croire que les actions et les entreprises de cette jeune fille furent prescrites par Dieu et agréées de Dieu, deux choses surtout m’y poussent fortement : les miracles divins, et le châtiment divin et humain exercé contre ses ennemis et ses juges iniques.

Miracula Miracles

Nam ut taceam quod ipsa per se magnum et insigne miraculum fuit, duo præcipue memorantur. En effet, sans même parler du fait qu’elle-même fut, en soi, un grand et éclatant miracle, on en retient surtout deux.

Puer suscitatus precibus Joannæ. Enfant ressuscité grâce aux prières de Jeanne

Primum est, suscitatus ipsius precibus puer mortuus. Le premier est cet enfant mort qu’elle ressuscita par ses prières. Valerandus Varanius sub finem lib. quarti de gestis Joannæ virginis egregiæ bellatricis, et Anglorum expultricis meminit, his versibus. Valerand de la Varanne l’évoque à la fin du livre IV des Hauts faits de Jeanne, illustre vierge, guerrière et expultrice des Anglais, par les vers suivants :

Cumque Latiniaci prodisset matris ab alvo Et, comme à Lagny était sorti du ventre de sa mère

Exanimis fœtus, multis comitata puellis Un enfant sans vie, avec de nombreuses jeunes filles

Virgo subit templum, et coram provolvitur aris, La vierge entre dans l’église et se prosterne devant les autels

186Ut redeant gelidos vitæ spiracula in artus : Pour que reviennent, dans ses membres glacés, les souffles de la vie.

Vagit et ora movet, baptismaque suscipit infans. L’enfant vagit, remue la bouche, et reçoit le baptême.

Cor Joannæ inventum est in mediis cineribus integrum et plenum sanguine. Le cœur de Jeanne fut retrouvé intact et plein de sang au milieu des cendres

Alterum est cum jam cadaver puellæ depastus esset rogus, inventum illius cor integrum atque illibatum. Cecinit hoc idem. Le second, c’est qu’après que le bûcher eût entièrement dévoré le cadavre de la jeune fille, on retrouva son cœur entier et intact. Le même l’a aussi chanté.

Postremo enituit pietas in morte puellæ : Enfin, la piété de la Pucelle resplendit dans sa mort.

In cinerem cunctos dum flamma resolverat artus Tandis que la flamme réduisait tous ses membres en cendres,

Illæsas cor habet venas (mirabile dictu) Son cœur gardait les veines indemnes (chose admirable à dire)

Nec synceri animi temerant incendia sedem. Car le feu ne profane pas le siège de l’âme pure.

Albaque tum visa est orbi [igni] prodire columba, Et l’on vit une blanche colombe sortir du brasier,

Et petere æthereos multis spectantibus orbes. Et gagner, sous le regard de la foule, les voûtes éthérées.

Divina humanaque in hostes ultio. Châtiment divin et humain contre ses ennemis

Primum, res Anglicæ ante puellæ mortem turbari cœptæ, post tam iniquam et crudelem necem, conspicue in deterius labi sunt visæ : Burgundionem, qui maxime Anglis aderat, pænituit rerum anteactarum, illoque Anglos deferente Lutetia Carolum Regem admisit : reliquæ civitates Parisiorum exemplum sunt secutæ, paucorumque annorum spatio Carolus represso, victo, expulsoque Anglo, res suas 187e calamitosis prosperas, e desperatis certas, ex abjectis florentissimas vidit, ut refert Papirius Massonus lib. 4. annal. in Car. VII. Premièrement, on vit les affaires anglaises, qui avaient commencé à se troubler avant la mort de la Pucelle, décliner toujours plus après ce crime aussi injuste et cruel ; le Bourguignon, qui était le principal soutien des Anglais, regretta son attitude passée, et, s’étant détaché des Anglais, Paris accueillit le roi Charles ; les autres villes suivirent l’exemple de Paris, et, en l’espace de quelques années, après avoir repoussé, vaincu et expulsé les Anglais, Charles vit sa situation passer de désastreuse à prospère, de désespérée à sûre, et d’abattue à extrêmement florissante, ainsi que le rapportent Papire Masson dans le livre IV de ses Annales, sous Charles VII.

Meyerus Jacques de Meyer

Meyerus autem lib. 16. Quant à Meyer, il écrit dans son livre XVI :

Causa infelicitatis Anglorum. Cause du malheur des Anglais

Tandem Galli, inquit, Rothomago potiti sunt, victis extrusisque ubique Anglis, quibus omnia cessere infeliciter, postquam virginem illam Joannam, divinitus missam tam fœdo supplicio necassent : nam et in Scotia bis eodem tempore fuere victi, etc. Enfin, dit-il, les Français s’emparèrent de Rouen, les Anglais ayant été partout vaincus et repoussés ; pour eux, tout vira au désastre après qu’ils eurent fait périr par un supplice aussi infâme cette vierge Jeanne, envoyée par Dieu : car en Écosse aussi, à la même époque, ils subirent deux défaites, etc.

Deinde rescissa est doctissimorum hominum responsis supremaque Ecclesiæ authoritate, iniqui in eam judicii sententia. Par la suite, la sentence du procès inique mené contre elle fut annulée, sur la base des conclusions des hommes les plus savants et par l’autorité suprême de l’Église.

Martinus Delrio Martin Delrio

Martinus Delrio secundo tomo magicarum disquisitionum lib. quarto, cap. primo, quæstione tertia, sectione sexta, proposita regula septima qua veræ revelationes a falsis dignosci queunt, nempe si ex omni parte, etiam usque ad minimam propositionem sint veræ, eveniantque omnia ita ut prædicuntur. Martin Delrio, dans le second tome de ses Recherches sur la magie, livre IV, chapitre Ier, question III, section VI, propose comme septième règle permettant de distinguer les vraies révélations des fausses, le fait qu’elles soient vraies en tout point, jusqu’à la moindre affirmation, et que tous les événements se produisent tels qu’ils ont été prédits.

Divinæ revelationes Joannæ factæ. Révélations divines faites à Jeanne

Hinc probantur, inquit, divinæ fuisse revelationes Joannæ illius virginis Lotharingicæ quæ dicta 188Gallis La pucelle Jeanne quæ Carolum VII. Francorum Regem in regnum unde Anglorum fuerat armis dejectus restituit circiter annum millesimum quadringetesimum vigesimum octavum, quam pari invidia, crudelitate, calumnia, et injustitia, sæpe ab illa victi profligatique Angli cum in pugna vivam cœpissent, flammis feralibus quasi maleficam combusserunt. C’est par là, dit-il, que l’on prouve l’origine divine des révélations de Jeanne, cette vierge de Lorraine que les Français appellent la Pucelle Jeanne ; elle qui, vers l’an 1428, rétablit Charles VII, roi de France, sur son trône d’où les Anglais l’avaient chassé de force ; elle que les Anglais, souvent vaincus et mis en déroute par elle, comme ils l’avaient prise vivante au combat, brûlèrent comme une sorcière dans de funestes flammes, avec autant de haine que de cruauté, de calomnie et d’injustice.

Innocentia Joannæ et injustitia sententiæ contra eam latæ declaratur a judicibus S. A. [Sedes Apostolica] Les juges du Siège apostolique proclament l’innocence de Jeanne et l’injustice de la sentence rendue contre elle

Sed postmodum anno 1456. Calixtus Romanus Pontifex, aut juxta alios Pius secundus causa cognitionem Archiepiscopo Rhemensi Joanni, et Guillelmo Parisiensi delegavit, his vero innumeris testibus omni exceptione majoribus de innocentia, modestia, castitate et religione Joanna auditis, ejus innocentiam et sententia illius injustitiam declararunt. Mais plus tard, en l’an 1456, le pape Calixte — d’autres disent Pie II — délégua l’examen de la cause à Jean, archevêque de Reims, et à Guillaume, évêque de Paris ; ceux-ci, après avoir entendu d’innombrables témoins au-dessus de tout soupçon, sur l’innocence, la modestie, la chasteté et la religion de Jeanne, déclarèrent son innocence et l’injustice de la sentence rendue contre elle. Judicii acta Parisiis asservari ea in urbe natus Papyrius Masson testatur ; idque apud Victorinos Canonicos regulares juxta Belleforestum in vita Caroli VII. favent ejusdem innocentiæ non Franci modo scriptores, quos ut suspectos Britanni rejiciunt, sed et alienigena Itali, 189Græcique sed et Belga Meyerus lib. 16. annal. Fland. parum alias in Francos benignus. Papire Masson atteste que les actes de ce procès sont conservés à Paris, sa ville natale, auprès des chanoines réguliers de Saint-Victor, d’après Belleforest dans sa Vie de Charles VII ; son innocence n’est pas seulement défendue par des auteurs français, que les Anglais récusent comme suspects, mais aussi par des étrangers, Italiens, Grecs, et même par le Flamand Meyer, dans le livre XVI de ses Annales de Flandre, lui qui, ailleurs, n’est guère tendre avec les Français. Et Hispanus Mariana de rebus Hisp. lib. XX. Également par l’Espagnol Mariana, dans le livre XX de son Histoire de l’Espagne.

Valerandus Varanius Valerand de la Varanne

Denique qui eam inique traduxerant, damnaverantque, alii divinitus turpi aut repentina morte affecti, alii etiam hominum sententia probrose et effossi et exusti sunt. Pour finir, parmi ceux qui l’avaient si injustement jugée et condamnée, certains furent frappés d’une mort divine, honteuse ou soudaine, et d’autres d’une sentence humaine, à être ignominieusement exhumés et brûlés. Valerandus Varanius Theologus Parisiensis. Citons Valerand de la Varanne, théologien parisien :

Medeius punitur. Châtiment de Nicolas Midi

Nec superi voluere ignes impune relictos. Les dieux ne voulurent point que ces flammes restassent impunies.

Medeius siquidem longo sermone profatus Ainsi Midi, dans son long sermon,

Astruit esse scelus flammis es morte piandum, Avait soutenu qu’elle devait expier son crime par la mort et le feu,

Multaque adulandi studio confinxit ut Anglos Échafaudant avec zèle de quoi flatter les Anglais

Sic sibi conciliet : sed paucis inde diebus Et se les concilier. Quelques jours plus tard cependant,

Corpus tabifico respergitur ulcere lepræ. Son corps était couvert d’une lèpre aux ulcères pestilentiels.

Guilelmus Estivetus promotor contra Joannam postea punitur. Châtiment de Guillaume d’Estivet, promoteur contre Jeanne

Alter in immundo revolutus stercore vitam Un autre acheva sa vie plongé dans un fumier immonde.

Finiit : arguerat plerunque in carcere ficti À maintes reprises durant le procès, il avait accusé

Criminis insontem, pendenti lite puellam. La jeune fille innocente et emprisonnée, d’un crime mensonger.

Petrus Calceonus punitur. Châtiment de Pierre Cauchon

Sic et Calceonus, qui censuit esse cremandam, Cauchon lui-même, qui l’avait livrée au bûcher,

Pendula dum tonsor secat excrementa capilli, Tandis qu’un barbier lui taillait les cheveux superflus,

Expirans cadit et gelida tellure cadaver S’effondra, expirant, son corps gisant sur la terre froide,

Decubat, ultrices sic pendunt crimina pœnas. Ses forfaits recevant ainsi leur dû châtiment.

Tandem collatis patres ultroque citroque Enfin, les pères, après avoir recueilli des avis de tous côtés,

190Articulis, flammas sub iniquo judice passam Proclamèrent d’une seule voix

Darcida concordi decernunt ore : modumque Que la d’Arc avait subi le feu au cours d’un procès injuste,

Angligenas violasse fori jurisque tenorem. Et que les Anglais avaient bafoué le droit et la justice.

Martinus Delrio Martin Delrio

Delrius loco proxime indicato. Reprenons Delrio, dans le passage indiqué juste avant :

Philippus Bergomensis, (nos autem hujus Philippi testimonium fuse ante produximus) ait tum duos adhuc ex iniquis Joannæ judicibus fuisse superstites citatos, et legitime convictos, damnatosque et combustos, duorum vero aliorum judicum mortuorum ossa effossa, et similiter concremata fuisse, et jussum Rothomagi, ubi virgo fuerat combusta, templum construi, et ex reliquis prædictorum bonis, quæ per sententiam confiscata fuerant, ibidem ad Dei honorem et defuncta propitiationem sacrificium quotidianum institui, sic honor immeritæ detractus tandem vix vicesimo postmortem anno judicio Pontificio restitutus. Philippe de Bergame (ce même Philippe dont nous avons longuement cité le témoignage plus haut) rapporte qu’à cette époque, deux des juges iniques de Jeanne qui étaient encore en vie furent cités, légalement convaincus, condamnés et brûlés ; quant aux deux autres juges qui étaient morts, leurs os furent exhumés et pareillement réduits en cendres ; il fut également décidé qu’on construirait à Rouen une église, là où la vierge avait été brûlée, et qu’on y instituerait une messe quotidienne en l’honneur de Dieu et pour le repos de la défunte, grâce aux biens restants des juges susdits confisqués par la sentence ; ainsi, à peine vingt ans après sa mort, son honneur si injustement bafoué lui fut enfin rendu par un jugement pontifical.

Judicium de innocentia Joannæ et rescissione damnationis. Procès pour l’innocence de Jeanne et l’annulation de sa condamnation

Cujus judicii summa est habenda ratio propter authoritatem Sedis Apostolicæ, quæ omnes judicat, et a nemine judicatur, can. cuncta per mundum 9. q. 3. Il convient d’accorder la plus grande importance à ce procès en raison de l’autorité du Siège apostolique, qui juge toutes choses et n’est jugé par personne (canon Cuncta per mundum, 9, q. 3). Quod si res judicata a secularibus judicibus pro 191veritate accipitur ut ait Ulpianus in l. [lege] ingenuum ff. de stat. hom. [De statu hominum] et in l. res judicata, ff. de reg. jur. [De regulis juris] multo magis judicium a summo Pontifice prolatum qui Christi vicarius est cap. [capite] quanto de translat. ep. [De translatione episcopi] longe æquissimum est censendum, quod idem de Delegatis a summo Pontifice dicendum est, præsertim cum illius vices gerant cap. sane. 2. de off. jud. deleg. [De officio judicis delegati] et tum Pontifex tum ipsi legitima authoritate utentes non hominis sed Dei judicium exerceant, cap. 19. libri secundi paralipom. [Paralipomenon] Or, si la chose jugée par des juges séculiers est tenue pour vraie, comme le dit Ulpien dans la loi Ingenuum du Digeste au titre De statu hominum, et dans la loi Res judicata au titre De regulis juris, à plus forte raison doit-on considérer le jugement prononcé par le Souverain pontife, qui est le vicaire du Christ (chapitre Quanto, du titre De translatione episcopi), comme étant de loin le plus équitable ; il en est de même pour les délégués du Souverain pontife, surtout lorsqu’ils agissent en son nom (chapitre Sane, II, titre De officio judicis delegati) car lorsque le Pontife ou eux-même usent de leur autorité légitime, ils ne jugent pas selon les hommes, mais selon Dieu (II Paralipomènes [Chroniques], chapitre 19).

Iniquæ in Joannam sententiæ diligens recognitio. Examen rigoureux de l’inique sentence de condamnation de Jeanne

Sed quam attente et graviter, quantaque disquisitione et diligentia, adlaborante Carolo VII. spectati prudentia et religione viri, incubuerint ad causam Joannæ cognoscendam ; quam religioso ac celebri judicio, conperta ejus innocentia, damnationis ejus acta resciderint, testes nobis sunt hujus historiæ scriptores, præsertim illius temporis ; testis sententia ipsa, quæ pro innocente solemni ritu ac cæremonia pronunciata est. Mais voyez avec quelle attention et quelle gravité, avec quelle investigation et quelle diligence, des hommes reconnus pour leur prudence et leur religion se sont-ils consacrés, avec le concours de Charles VII, à l’examen de la cause de Jeanne ; avec quel jugement pieux et solennel, après avoir établi son innocence, ont-ils annulé les actes de sa condamnation ; nous en sont témoins les historiens, notamment ceux de cette époque ; en est encore témoin la sentence elle-même, qui fut prononcée en faveur de l’innocente au cours d’une cérémonie et selon un rite solennel.

Anonymus Auteur anonyme

De Scriptoribus autem illius temporis placet illo potissimum uti, 192latino anonymo, ex quo rem describit Meyerus : et placet ideo, quod unus fuit ex iis quos Carolus VII. de Joannæ causa consuluit, quique lectis pronunciati in ea judicii actis, cognitisque criminationum causis omnibus, libellos de re tota suæ sententiæ indices ad eum dederunt, verba illius hæc sunt. De tous les écrivains de cette époque, celui que je préfère citer est l’auteur anonyme dont Meyer se sert pour relater les faits : je le préfère parce qu’il fut l’un de ceux que Charles VII consulta sur la cause de Jeanne, lesquels après avoir lu les actes du jugement prononcé contre elle et pris connaissance de tous les chefs d’accusation, lui remirent des mémoires exposant leurs opinions sur l’ensemble de l’affaire, donc voici les termes :

Processus seu causa Puellæ a Gallis retracta. Révision du procès de la Pucelle par les Français

Postquam Normannia pulsis Anglis in fidem rediisset, vidimus ejus processum et examinavimus : ex quo quidem processu, non sufficienter constabat, ipsam de alicujus erronei dogmatis contra veritatem doctrinæ Catholicæ assertione convictam, vel in jure confessam : et per hoc hæresis, atque relapsus satis manifeste defuisse fundamentum : Une fois la Normandie revenue à l’obéissance après l’expulsion des Anglais, nous pûmes voir son procès et l’examiner : or, de ce procès, il ne ressortait pas de manière suffisante qu’elle ait été convaincue ou ait avoué en justice soutenir une quelconque doctrine erronée contraire à la vérité de la doctrine catholique, ce qui rendait l’hérésie et la rechute manifestement infondées.

Libellus anonymi de puellæ innocentia. Traité anonyme sur l’innocence de la Pucelle

quanquam enim præter hoc poterat processus hujusmodi ex multis capitibus argui vitiosus, coram capitalibus inimicis, sæpe per eam recusatis, denegato etiam ei omni consilio, quæ simplex puella erat, factus, et habitus : quemadmodum ex libello quem desuper ab eodem Carolo, expetito a nobis consilio edidimus, si cui ad cujus venerit manus legere vacaverit : latius poterit 193patere. Au demeurant, ce procès pouvait être attaqué comme vicié sur de nombreux points : il fut mené et instruit devant ses ennemis jurés, qu’elle avait maintes fois récusés, et alors même que tout conseil lui avait été refusé, à elle, simple jeune fille ; comme il pourra apparaître plus amplement dans le traité que nous avons publié à la demande de ce même Charles après qu’il nous eut consulté, pour peu que celui qui le tiendra en main ait le loisir de le lire. Pulsis enim de Normannia Anglis, idem Carolus Rex per plures regni sui prælatos, et divini atque humani juris Doctos homines diligenter processum prædictum examinari et discuti fecit, et de ea materia plures ad eum libellos conscripserunt, quibus coram certis, a Sede Apostolica ad cognoscendum et judicandum de hujusmodi materia, judicibus delegatis, exhibitis mature perlectis per eosdem judices in sententiam quam prædiximus extitit condescensum. En effet, après l’expulsion des Anglais de Normandie, ce même roi Charles fit examiner et discuter avec soin ledit procès par plusieurs prélats de son royaume et par des hommes versés dans le droit divin et humain ; plusieurs lui adressèrent des traités sur la matière, lesquels furent présentés aux juges délégués par le Siège apostolique pour connaître et juger cette matière ; après les avoir mûrement lus, ces mêmes juges s’accordèrent sur la sentence que nous avons précédemment mentionnée.

Sententi Anglorum legitime revocata. Révocation légitime de la sentence des Anglais

Et sententia contra eam data sub Anglorum imperio cassata et revocata. Et la sentence qui avait été rendue contre elle sous la domination anglaise fut cassée et révoquée.

Postea subjicitur ab eodem. Le même auteur ajoute ensuite :

Missa erat a Deo Puella ne quis ponat carnem brachium suum. La Pucelle avait été envoyée par Dieu, afin que nul ne s’appuie sur un bras de chair [nul ne compte sur une aide humaine]. Ne Anglorum superbia suis nimium fideret viribus. Et que l’orgueil des Anglais ne se fie pas trop à ses propres forces. Gloriabantur in suis viribus. Ils se glorifiaient de leurs propres forces. Deo non attribuebant suas victorias. Ils n’attribuaient pas leurs victoires à Dieu. Ostendere illis Deus voluit, quod stulte et impie fecerunt suis duntaxat fidentes viribus, et victoriam ostendit in sexu fragili, sicuti in Delbora, Judith, Hester. Dieu voulut leur montrer combien ils avaient agi de manière folle et impie en ne se fiant qu’à leurs propres forces ; et il leur montra une victoire remportée par le sexe faible, à l’instar de Débora, Judith et Esther. Hæc et plura de virgine ille anonymus Synchronus Puellæ. Ces choses, et bien d’autres encore au sujet de cette jeune fille ont été rapportées par cet auteur anonyme, contemporain de la Pucelle.

194Denique, sanctissimo jure atque ordine dicta pro innocente ab Apostolicis judicibus sententia, quæ asservata in thesauro sacrosanctæ Capellæ Palatii Regii Parisiensis ut a me diligenter ibidem inspecta, sic fideliter a me hic reddetur. Enfin, la sentence prononcée en faveur de l’innocente par les juges apostoliques, dans le respect du droit et de l’ordre les plus sacrés, et qui est conservée dans le trésor de la Sainte-Chapelle du Palais Royal à Paris où je l’ai moi-même scrupuleusement examinée, sera tout aussi fidèlement reproduite ici par moi-même.

Delegatorum ad Apostolica sede de Joannæ innocentia sententia atque authoritas. Sentence et décret des délégués du Siège apostolique concernant l’innocence de Jeanne

In nomine sanctæ et individiæ Trinitatis, Patris et filii et Spiritus sancti. Amen. Au nom de la sainte et indivisible Trinité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

Æterna majestatis providentia Salvator Christus Dominus Deus et homo beatum Petrum, et Apostolicos successores, ad suæ militantis Ecclesiæ regimen instituit speculatores præcipuos, qui luce veritatis aperta, justitiæ semitas incedere docerent, universos bonos amplexantes, relevantes oppressos, et declinantes ad devia, per judicium rationis, reducentes ad vias rectas. Par l’éternelle providence de sa majesté, le Christ Sauveur, Seigneur Dieu et homme, a institué comme principaux gardiens pour diriger son Église militante, le bienheureux Pierre et ses successeurs apostoliques, afin qu’à la lumière de la vérité qu’il leur a révélée, ils enseignent à marcher dans les sentiers de la justice, y maintenant les bons, relevant les opprimés, et ramenant dans le droit chemin, par un jugement de la raison, ceux qui s’en écartent. Hac autem authoritate fungentes, in hac parte nos Joannes Remensis, Guilielmus Parisiensis, Richardus Constantiensis Dei gratia Archiepiscopus, et Episcopi : ac Joannes Brehal de ordine fratrum Prædicatorum, sacra Theologia Professor, 195hæretica prævitatis in regno Franciæ alter inquisitor, judices a sanctissimo Domino nostro Papa moderno specialiter delegati. Or, agissant dans cette cause en vertu de cette autorité, nous, Jean, par la grâce de Dieu archevêque de Reims, Guillaume, évêque de Paris, Richard, évêque de Coutances, ainsi que Jean Bréhal, de l’ordre des Frères Prêcheurs, professeur de théologie sacrée, autre inquisiteur de la perversité hérétique dans le royaume de France, juges spécialement délégués par notre Très-Saint Père le pape, actuellement régnant ; Viso processu coram nobis solemniter agitato in vim suscepti per nos reverenter mandati Apostolici nobis directi pro parte honestæ viduæ Isabellis Darc olim matris, ac Petri et Joannis dictorum Darc fratrum Germanorum, naturalium et legitimorum bonæ memoriæ Joannæ Darc vulgariter dictæ la Pucelle defunctæ, suorumque parentum nominibus actorum. Vu le procès solennellement mené devant nous, en vertu du mandat apostolique respectueusement accepté par nous, et adressé à nous de la part de l’honnête veuve Isabelle d’Arc, autrefois mère, et de Pierre et Jean dits d’Arc, frères germains, naturels et légitimes de la défunte Jeanne d’Arc, de bonne mémoire, communément appelée la Pucelle, agissant également au nom de leurs parents ; Contra et adversus inquisitorem hæreticæ prævitatis in Diocesi Belvacensi constitutum ; contra promotorem negotiorum criminalium Episcopalis curiæ Belvacensis, necnon contra Reveredum in Christo patrem dominum Guillelmum de Hellenda, Episcopum Belvacensem, cæterosque universos et singulos sua hac in parte interesse credentes respective, tam conjunctim quam divisim reos. Contre et à l’encontre de l’inquisiteur de la perversité hérétique institué dans le diocèse de Beauvais ; contre le promoteur des affaires criminelles de la cour épiscopale de Beauvais ; ainsi que contre le Révérend Père en Christ, Monseigneur Guillaume de Hellande, évêque de Beauvais, et tous et chacun se croyant respectivement intéressés en cette cause comme défendeurs, tant collectivement qu’individuellement ; Visa imprimis peremptoria evocatione, et executione ejusdem ad ipsorum actorum, simulque nostri promotoris ex officio nostro in 196hac causa per nos instituti, jurati, et creati instantiam, per nos decreta adversus dictos reos visuros rescriptum ipsum executioni mandari, dicturos in adversus, responsurosque et processuros prout ratio suaderet. Vue, en premier lieu, la citation péremptoire et son exécution, tant à la requête desdits demandeurs qu’à celle de notre promoteur, institué, juré et désigné par nous d’office pour cette cause, et décrétées par nous à l’encontre desdits défendeurs, pour qu’ils puissent voir ce même rescrit mis à exécution, parler contre, y répondre et procéder comme la raison le suggérera. Visa petitione ipsorum actorum, factaque rationibus conclusionibus eorum in scriptis redactis per formam articulorum concludentium, tendentium ad nullitatis, falsitatis, iniquitatis et doli declarationem, cujusdam prætensi processus in fidei materia olim contra dictam defunctam in hac civitate per defunctos Dominum Petrum Cauchon tunc Belvacensem Episcopum, Joannem Magistri, Subinquisitorem prætensum in eadem diocesi, et Joannem de Estiveto promotorem, aut pro promotore ibidem se gerentem, facti et executioni demandati, saltem ad ejusdem cassationem et adnullationem adjurationum sententiarumque ac omnium inde secutorum, et ad ejusque defunctæ expurgationem, et fines alios ibidem expressos. Vu la requête desdits demandeurs, et leurs motifs et conclusions établis et rédigés par écrit sous forme d’articles, concluant et visant : à la déclaration de nullité, de fausseté, d’iniquité et de dol d’un certain prétendu procès en matière de foi, autrefois mené et exécuté contre ladite défunte dans cette cité par les défunts seigneur Pierre Cauchon, alors évêque de Beauvais, Jean Lemaître, prétendu sous-inquisiteur dans ledit diocèse, et Jean d’Estivet, promoteur ou agissant dans ce même lieu comme promoteur, ou tout au moins à la cassation et à l’annulation de ce même procès, des abjurations et des sentences, et de tout ce qui s’en est suivi ; et à la justification de ladite défunte et aux autres fins qui y sont exprimées. Visis quoque sæpius, perlectis, et examinatis libris originalibus, 197instrumentis, munimentis et actis, notulis, et protocolis processus antedicti nobis in vim nostrarum compulsoriarum literarum a notariis, et aliis traditis et ostensis, signisque et scripturis eorum in præsentia nostra recognitis, longaque super eis cum dictis notariis et officiariis in dicto processu constitutis, et consiliariis ad dictum processum evocatis, quorum præsentiam habere potuimus, communicatione, ipsorumque librorum, et notarum abbreviatarum collatione, et comparatione præhabitis. Vus également, lus et examinés fréquemment les livres originaux, les instruments, les titres et les actes, les notes et les protocoles dudit procès, qui nous ont été remis et montrés par les notaires et par d’autres, en vertu de nos lettres compulsoires, et dont les signatures et les écritures ont été reconnues en notre présence ; après avoir longuement communiqué à leur sujet avec lesdits notaires et officiers établis dans ledit procès, avec les conseillers convoqués audit procès et dont nous avons obtenu la présence, et après avoir préalablement collationné et comparé ces mêmes livres et les notes abrégées ; Visis etiam informationibus præparatoriis tam per reverendissimum in Christo patrem Dominum Guilielmum tituli sancti Martini in montibus presbiterum Cardinalem sancta sedis Apostolica in regno Francia tunc legatum, vocato secum nobis inquisitore post visitationem eorundem librorum, et instrumentorum eisdem præsentatorum, quam etiam per nos, et commissarios nostros in hujusmodi processus exordio confectis. Vues également les informations préparatoires : tant celles effectuées par le très-révérend père en Christ, le seigneur Guillaume, cardinal-prêtre du titre de Saint-Martin-aux-Monts, alors légat du Siège apostolique dans le royaume de France, lequel nous appela, nous inquisiteur, à ses côtés après l’examen de ces mêmes livres et instruments qui leur avaient été présentés ; que celles aussi effectuées par nous et nos commissaires au commencement du présent procès ; Inspectis etiam et consideratis variis tractatibus Prælatorum, Doctorum et practicorum 198solemnium, et probatissimorum, qui libris, et instrumentis antedicti processus ad longum visitatis, dubia elucidanda duxerunt, et ex ejusdem Reverendissimi patris ordinatione et nostra editis, et compositis. Examinés également et considérés divers traités, composés et publiés sur ordre de ce même très révérend père et du nôtre, par des prélats, des docteurs et des praticiens éminents et hautement estimés, lesquels, après avoir longuement examiné les livres et instruments dudit procès, se sont attachés à éclaircir les points obscurs ; Visisque articulis et interrogatoriis præfatis pro parte actorum, et promotoris nobis præsentatis, et post plures evocationes ad probandum admissis, attentisque testium depositionibus, et attestationibus tam super conversatione, et egressu ejusdem defunctæ a loco originis, quam super examinatione ipsius in præsentia plurimorum Prælatorum, Doctorum, et peritorum, et præsertim Reverendissimi Patris Reginaldi olim Archiepiscopi Remensis dicti tunc Episcopi Belvacensis metropolitani, Pictavis et alibi facta diebus iteratis, quam super admiranda liberatione civitatis Aurelianensis, progressuque ad civitatem Remensem, et coronationem regiam, quam circa circunstantias ipsius processus, qualitates Judicum, et procedendi medium. Vus également les articles et interrogatoires susmentionnés, présentés à nous de la part des demandeurs et du promoteur, et admis comme preuve après plusieurs convocations, et considérées avec attention les dépositions et attestations des témoins : tant sur la conduite et le départ de ladite défunte de son lieu d’origine ; que sur son interrogatoire mené à Poitiers et ailleurs pendant plusieurs jours, en présence de nombreux prélats, docteurs et experts, notamment le très révérend père Regnault, autrefois archevêque de Reims et métropolitain dudit évêque de Beauvais ; que sur l’admirable libération de la ville d’Orléans, la marche vers la ville de Reims et le couronnement du roi ; que sur les circonstances du procès lui-même, la qualité des juges et la manière de procéder ; Visisque etiam aliis literis, instrumentis, et 199munimentis ultra dictas literas, depositiones, et attestationes in termino ad procedendum traditis et productis, præclusioneque dicendi contra hujusmodi producta, nostroque deinde audito promotore, qui visis eisdem productis dictisque, actoribus plenarie se adjunxit, ac pro, et nomine officii nostri, præfata omnia jam producta pro sua parte reproduxit, ad fines in scripturis dictorum actorum jam expressis sub certis protestationibus, aliisque requestis, et reservationibus, pro parte sua, et dictorum actorum factis, et per nos admissis una cum quibusdam motivis juris sub brevibus scripturis valentibus animum nostrum advertere, per nos receptis ; Vus également, d’autres lettres, instruments et titres, en plus desdites lettres, dépositions et attestations versées et produites dans le terme de la procédure, et après la forclusion de s’exprimer contre ces productions ; entendu ensuite notre promoteur qui, après avoir vu ces mêmes productions et déclarations, s’est pleinement joint aux demandeurs, et au nom de notre office, a reproduit pour sa part toutes les pièces déjà produites, aux fins déjà exprimées dans les écritures desdits demandeurs, sous certaines protestations et autres requêtes et réserves, faites de sa part et de celle desdits demandeurs, et admises par nous, ainsi que certains motifs de droit sous forme d’écrits brefs propres à attirer notre attention et que nous avons reçus ; Postque in Christi nomine in causa concluso, et die hodierno ad audiendum nostram sententiam assignato. Et après avoir conclu l’affaire au nom du Christ, et le jour d’aujourd’hui ayant été assigné pour entendre notre sentence ; Visis matureque revolutis, et attentis omnibus, et singulis superius expressis, una cum certis articulis incipientibus, quædam fœmina, quos post dictum primum processum judicantes prætenderunt extractos fore ex confessionibus dictæ Puellæ 200defunctæ, et ad quamplurimas solemnes personas ad opinandum transmiserunt, quos ante dicti promotor, et actores impugnarunt tanquam iniquos, falsos, et a dictis confessionibus alienos, et mendose confictos multipliciter. Vus, mûrement examinés et considérés avec attention tous et chacun des éléments susmentionnés, ainsi que certains articles commençant par Une certaine femme, dont les juges du premier procès ont prétendu qu’ils avaient été extraits des confessions de ladite défunte Pucelle après ce premier procès, et qu’ils envoyèrent à un très grand nombre d’éminentes personnes pour obtenir leur avis, articles que lesdits promoteur et demandeurs ont attaqués comme iniques, faux, étrangers auxdites confessions et forgés mensongèrement de multiples façons. De Dei vultu nostrum præsens prodeat judicium, qui spirituum ponderator est, et solus revelationum suarum perfectus est cognitor, et judicator verissimus, qui ubi vult, spirat, et quandoque infirma eligit, ut fortia quæque confundat non deferens sperantes in se, sed adjutor eorum in opportunitatibus et tribulatione. Que notre présent jugement émane de la face de Dieu, lui qui pèse les esprits, et qui seul est le parfait connaisseur et le juge très véritable de ses révélations, lui qui souffle où il veut, et qui choisit parfois les faibles pour confondre les forts, ne délaissant pas ceux qui espèrent en lui, mais leur venant en aide dans la prospérité comme dans la tribulation. Habita matura deliberatione tam circa præparatoria, quam circa decisionem causæ, cum peritis pariter, et probatis, ac timoratis viris. Après mûre délibération, tant sur les actes préparatoires que sur la décision de la cause, en compagnie d’hommes tout à la fois experts, estimés et craignant Dieu ; Visisque solemnibus eorum determinationibus tam in tractatibus magna cum revolutione librorum editis, et compositionibus multorum ; Visisque opinionibus verbo pariter atque scripto tam super forma, quam super materia præfati processus traditis, atque dictis, quibus facta dictæ defunctæ magis admiratione, 201quam condemnatione digna existimant ; reprobatorium et determinatorium contra eam datum judicium, et formæ et naturæ ratione plurimum admirantes, et difficillimum dicentes de talibus determinatum præbere judicium, beato Paulo de suis revelationibus propriis dicente, an eas in corpore, vel in spiritu habuerit se nescire, et Deo super hoc se referre. Vues aussi leurs appréciations solennelles, tant dans les traités publiés après une profonde inspection des livres que dans les compositions de nombreux auteurs ; Vues aussi les opinions transmises et exprimées aussi bien de vive voix que par écrit, tant sur la forme que sur la matière dudit procès, par lesquelles ils estiment que les actes de ladite défunte sont plus dignes d’admiration que de condamnation ; s’étonnant grandement qu’un tel jugement ait pu être porté contre elle, tant en raison de sa forme que de sa nature, alléguant qu’il est difficile de porter un jugement définitif sur de telles choses, puisque le bienheureux Paul, parlant au sujet de ses propres révélations, disait ignorer lui-même s’il les avait eues par le corps ou par l’esprit, et s’en remettre à Dieu sur ce point. Imprimis dicimus, atque justitia mediante decernimus articulos ipsos incipientes, quædam fœmina in processu prætenso, et instrumento prætensarum sententiarum contra dictam defunctam latarum, descriptos fore, fuisse, et esse corrupte, dolose, calumniose, fraudulenter, et malitiose ex ipsis prætensis processu, et confessione dictæ defunctæ extractos ; tacita veritate, et expressa falsitate in pluribus punctis substantialibus, et ex quibus deliberantium et judicantium animus poterat in aliam deliberationem pertrahi, plurimasque circustantias aggravantes in processu, et confessione præfatis, non contentas, indebite adjicientes, et nonnullas circunstantias 202relevantes et justificantes in pluribus subticentes, formamque verborum qua sententiam immutat, alterando. En premier lieu, nous disons, et par le moyen de la justice, décidons, que lesdits articles commençant par Une certaine femme, tels qu’ils sont décrits dans le prétendu procès et dans l’instrument des prétendues sentences portées contre ladite défunte, auront été, ont été, et sont extraits de manière corrompue, dolosive, calomnieuse, frauduleuse et malicieuse des prétendus procès et confession de ladite défunte, taisant la vérité et exprimant la fausseté en plusieurs points substantiels à partir desquels l’esprit des délibérants et des juges pouvait être entraîné vers une autre délibération, ajoutant à tort de nombreuses circonstances aggravantes non contenues dans lesdits procès et confession, passant sous silence certaines circonstances atténuantes et justifiantes en plusieurs points, et altérant la forme des mots de manière à changer le sens de la phrase. Quapropter ipsos articulos, tanquam falsos, calumniose, dolose extractos, et a confessione eadem difformes cassamus, irritamus, et adnullamus, ipsosque quos in adjecto processu extrahi fecimus hic judicialiter decernimus lacerandos. En conséquence de quoi, nous cassons, invalidons et annulons ces articles, en tant que faux, extraits de manière calomnieuse et dolosive, et non conformes à ladite confession ; et décrétons que ces articles, que nous avons fait extraire et joindre au procès, seront ici lacérés judiciairement. Insuper aliis ejusdem processus partibus diligenter inspectis, et præsertim duabus prætensis in eodem processu contentis sententiis, quas lapsus et relapsus judicantes appellant : pensata etiam diutius qualitate judicantium prædictorum, et eorum sub quibus, et in quorum custodia dicta Joanna detinebatur ; En outre, après avoir soigneusement examiné d’autres parties de ce même procès, et particulièrement les deux prétendues sentences contenues dans ce même procès, que les juges appellent de chute et de rechute ; après avoir plus longuement encore considéré la qualité desdits juges, ainsi que de ceux sous l’autorité et la garde desquels ladite Jeanne était détenue ; Visisque recusationibus, submissionibus, appellationibus, ac requisitione multiplici, per quam dicta Joanna ad sanctam sedem Apostolicam Sanctissimum Dominum nostrum summum Pontificem, se, omniaque dicta pariter et facta ipsius, ac processum transmitti sæpius instantissime requisivit, se, et prædicta omnia eidem submittendo ; Vus également, les récusations, soumissions, appels, ainsi que la requête répétée par laquelle ladite Jeanne a très souvent et très instamment requis qu’elle-même, et que l’ensemble de ses paroles et de ses actes, et le procès, soient transmis au Siège apostolique et à notre Très-Saint Père le pape, s’y soumettant elle-même ainsi que tout ce qui précède ; Attentisque circa 203dicti processus materiam quadam abjuratione prætensa, falsa, subdola, et per vim et metum præsentia tortoris et comminatam ignis crematione extorta, et per dictam defunctam minime prævisa et intellecta : Attendus également, concernant la matière dudit procès, une prétendue abjuration, fausse, trompeuse, et extorquée par la force et la crainte en présence du bourreau et par la menace de la crémation par le feu, et qui n’avait été ni préalablement vue ni comprise par ladite défunte ; Nec non præfatis tractatibus, et opinionibus Prælatorum ac solemnium Doctorum in jure divino pariter et humano peritorum, crimina dictæ Joannæ imposita in præfatis prætensis sententiis expressa ex serie processus non dependere, aut colligi posse dicentium, et multa elegantissime de nullitate et injustitia in hoc, et aliis determinantium, cæterisque omnibus, et singulis diligenter attentis quæ in hac parte attendenda et videnda erant pro tribunali sedentes, Deum solum præ oculis habentes, per hanc nostram definitivam sententiam quam pro tribunali sedentes ferimus in his scriptis. Ainsi que lesdits traités et opinions des prélats et éminents docteurs, versés tant en droit divin qu’humain, disant que les crimes imputés à ladite Jeanne tels qu’énoncés dans lesdites prétendues sentences, ne découlent pas du déroulé du procès, ni ne peuvent en être déduits, et concluant avec beaucoup d’élégance à la nullité et l’injustice sur ce point comme sur d’autres ; Attendus également toutes et chacune des autres choses qui devaient être attendues et vues dans cette affaire, siégeant en tribunal, n’ayant que Dieu devant les yeux, par notre présente sentence définitive, que nous rendons par écrit en siégeant en tribunal : Dicimus, et pronunciamus, decernimus, et declaramus dictos processus et sententias, dolum, calumniam, iniquitatem, repugnantiam, jurisque et facti errorem continentes manifestum cum abjuratione 204præfata executionibus et omnibus inde sequutis, fuisse, fore, et esse nullos, et nullas, invalidos et invalidas, irritas, et inanes. Nous disons et prononçons, décrétons et déclarons, que lesdits procès et sentences, pleins de dol, calomnie, iniquité, contradiction et erreur manifeste de droit et de fait, tout comme ladite abjuration, les exécutions et tout ce qui s’en est suivi, ont été, sont et seront nuls et nulles, invalides, sans effet et vains. Et nihilominus quantum opus est, ratione jubente, ipsos, et ipsas cassamus, irritamus, et adnullamus, ac viribus omnino vacuamus, dictamque Joannam, ac ipsos actores, et parentes ejusdem nullam notam infamia seu maculam occasione præmissorum contraxisse, seu incurrisse, immunemque a præmissis, et expurgatam fore et esse declarantes, et in quantum opus est, penitus expurgantes. Et néanmoins, autant que de besoin et comme la raison l’exige, nous les cassons, invalidons, annulons et rendons totalement sans effet ; Déclarant : que ladite Jeanne, les demandeurs, et ses parents, n’ont contracté ni encouru aucune note d’infamie ou tache à raison des faits susmentionnés ; qu’elle est et doit être exempte et disculpée des accusations susmentionnées, et autant que de besoin, nous l’en disculpant complètement ; Ordinantes nostræ hujusmodi sententiæ executionem seu solemnem intimationem in hac civitate protinus fieri in locis duobus. Ordonnant que l’exécution ou l’intimation solennelle de notre présente sentence soit faite immédiatement dans cette cité, en deux endroits : Altero videlicet in promptu in platea sancti Andreni [Audoeni], generali Processione præcedente, et in sermone generali : et alio die crastina in veteri foro : in loco scilicet in quo dicta Joanna crudeli, et horrenda crematione suffocata est, cum solemni ibidem prædicatione, et affixione Crucis honestæ ad memoriam perpetuam, ac ejusdem et aliorum defunctorum exorandas 205salutes, ulteriorem dicta nostra sententia executionem, intimationem, et pro futura memoria notabilem significationem, in civitatibus, et hujus regni locis insignibus, prout viderimus expedire, et si quæ alia supersunt peragenda, nostræ dispositioni, et ex causa reservando. À savoir pour le premier, aujourd’hui sur la place Saint-André [Saint-Ouen], précédée d’une procession générale et au cours d’un sermon général ; pour l’autre, demain sur le vieux marché, à l’endroit même où ladite Jeanne a été étouffée par une cruelle et horrible crémation, accompagnée sur place d’une prédication solennelle et de l’installation d’une Croix honorable pour sa mémoire perpétuelle, et pour implorer son salut et celui des autres défunts ; Réservant à notre disposition et si nécessaire, l’exécution ultérieure de notre dite sentence, son intimation et sa proclamation notable pour la mémoire future dans les cités et lieux insignes de ce royaume, selon ce que nous jugerons convenable, et s’il reste d’autres choses à accomplir.

Lata, lecta, et promulgata fuit hæc præsens sententia per dominos Judices, præsentibus Reverendo Patre Domino Episcopo Hectore de Quoquerel, Nicolao du bois, Alano Olivier, Joanne du Bec, Joanne du Gouys, Gulielmo Roussel, Laurentio Sueray Canonicis, Martino Ladvenu, Joanne Roussel, Thoma de Fanoullieres : de quibus omnibus Magister Simon Chapitault promotor, Joannes Darc, et Prevosteau, pro aliis petierunt instrumentum. Cette présente sentence a été rendue, lue et promulguée par les seigneurs juges, en présence du révérend père monseigneur l’évêque Hector de Quoquerel, des chanoines Nicolas du Bois, Alain Olivier, Jean du Bec, Jean du Gouys, Guillaume Roussel, Laurent Sueray, et de Martin Ladvenu, Jean Roussel, Thomas de Fanoullières ; de tout cela, maître Simon Chapitault, promoteur, ainsi que Jean d’Arc et Prévosteau pour les autres, ont requis qu’en soit dressé un acte.

Acta fuerunt hac in palatio Archiepiscopali Rothomagensi, Anno Domini 1456. die septima mensis Julii. Fait au palais archiépiscopal de Rouen, l’an de grâce 1456, le septième jour du mois de juillet.

Varia scripta in honorem Puellæ. Divers écrits en l’honneur de la Pucelle

Porro in eodem sacrosanctæ Capellæ palatii regii Parisiensis thesauro, eodemque in volumine in quo præfatam delegatorum 206a sede Apostolica judicum sententiam vidi et legi, extant varia in honorem puellæ scripta, atque in primis opus Domini Heliæ Episcopi Petragoricensis. Ailleurs dans le même volume, où j’ai vu et lu ladite sentence des juges délégués par le Siège apostolique, et conservé dans ce même trésor de la Sainte-Chapelle du palais royal de Paris, se trouvent divers écrits en l’honneur de la Pucelle ; et premièrement, une œuvre de monseigneur Hélie, évêque de Périgueux. Secundo, tractatus magistri Roberti Cyboli Academiæ Parisiensis Cancellarii. Deuxièmement, un traité de maître Robert Ciboule, Chancelier de l’Université de Paris. Tertio opusculum F. Joannis Brehalli ordinis fratrum Prædicatorum, quibus animi magnitudo, et constantia Joannæ puellæ mirifice prædicatur, ipsiusque probitas ac integritas ab hostium, et maledicorum calumniis insigniter vindicatur. Troisièmement, un opuscule de frère Jean Bréhal de l’ordre des Frères prêcheurs ; la grandeur d’âme et la constance de Jeanne la Pucelle y sont merveilleusement vantées, et sa probité et son intégrité sont remarquablement défendues contre les calomnies des ennemis et des médisants.

In Lipsium pro Joanna velitatio. Querelle contre Lipse en faveur de Jeanne

Atque hactenus, cujus fortissimæ virginis defensionem laudemque mihi proposui, eam justis laudibus ornatam, contra obtrectatorum convitia generatim atque absolute defendi. M’étant proposé de défendre et de louer cette très courageuse vierge, je l’ai jusqu’à présent défendue d’une manière générale et absolue contre les railleries de ses détracteurs, en l’entourant d’éloges légitimes. Verum quia inter scriptores nostra ætate modestia et doctrina claros, inventus est non nemo, qui de puellæ istius virtute et constantia parum commode sentiens, possit fortasse incautiores nonnullos sua authoritate in errorem inducere. Toutefois, comme parmi les écrivains de notre temps, reconnus pour leur modestie et leur érudition, on en trouve un qui, ayant une opinion peu favorable de la vertu et de la constance de cette Pucelle, pourrait peut-être, par son autorité, induire certaines personnes moins prudentes en erreur : Respondebo ei modeste atque amice, quod quem hominem suspicio pro sua 207virtute et doctrina, in eum acerbo animo neque debeo esse, neque possum. Je lui répondrai avec retenue et amitié, car envers un homme que j’estime pour sa vertu et son érudition, je ne dois ni ne peux avoir une attitude hostile.

Justus Lipsius Juste Lipse

Is est ad mores accomodatioris literaturæ cultor eximius Justus Lipsius : qui ut in censendis veterum libris accuratus et industrius, ita in colligendis politicis præceptis politus et solers, vellem eadem cura qua cætera tractavit, rebus etiam Caroli septimi accisis missum e cœlo remedium suspexisset. C’est un remarquable connaisseur de la littérature la plus conforme aux bonnes mœurs que ce Juste Lipse ; lui qui se montre si précis et appliqué dans la critique des auteurs anciens, si raffiné et habile dans la collecte des préceptes politiques, j’aurais aimé qu’il accordât le même soin qu’en tout le reste, au remède envoyé par le Ciel à la situation désastreuse de Charles VII. Non inter superstitionis exempla, Joannæ in Franciam adventum recensuisset, non ad extremum vacillasse vaticinii fidem scriptum reliquisset. Alors il n’aurait pas rangé la venue de Jeanne en France parmi les exemples de superstition, ni laissé par écrit que la fiabilité de ses prédictions avait fini par vaciller. Lipsius igitur in suis politicis, lib. 1. cap. 3. cum ex Curtio retulisset, quod nullares efficacius regeret multitudinem quam superstitio, addit in suis ad id caput notis, usos vel abusos superstitione sæpe viros principes, ad res magnas scilicet gerendas. Lipsius, donc, dans ses Politiques, livre I, chapitre 3, après avoir rapporté, d’après Quinte-Curce, que rien ne gouvernait plus efficacement la multitude que la superstition, ajoute dans ses notes à ce chapitre, que les princes ont souvent tiré parti, ou plutôt abusé, de la superstition lorsqu’il fallait accomplir de grandes choses. Exempla pauca ex antiquitate refert Scipionis qui Jovem in Capitolio consulebat ; Sertorii qui cervam circumducebat ; Marii qui Syram fatidicam ; Syllæ qui sigillum Apollinis in præliis ostentare solebat. Il rapporte quelques exemples tirés de l’Antiquité : Scipion qui consultait Jupiter au Capitole ; Sertorius, qui se faisait accompagner d’une biche, ou Marius d’une prophétesse syrienne ; Sylla, qui avait coutume de porter une figurine d’Apollon au combat. Exempla 208plura, inquit, sed illud Caroli septimi Galliarum Regis eximium, cujus res accisas valde reparavit hoc commentum, deinde narrationem virgunculæ Joannæ Lotharingæ subtexit, et ad oram paginæ virginis Gallicanæ enthusiasmum sive dolum notat. Il y aurait bien d’autres exemples, selon lui, mais celui du roi de France Charles VII est remarquable, puisque sa fable a puissamment contribué à redresser sa situation critique ; il insère ensuite le récit de la jeune vierge Jeanne la Lorraine, et indique en marge de la page : Enthousiasme ou supercherie de la vierge française. Dubius est Lipsius Deo an dolo Galliæ liberationem a Puella factam tribuat. Lipse hésite s’il faut attribuer à Dieu ou à une supercherie, la libération de la France par la Pucelle. Commentum vocat : ejus opera et ductu tamen, multa fortiter ac fœliciter gesta fatetur. Il parle de fable, tout en concédant la multitude d’exploits héroïquement accomplis par elle et sous son commandement. Tandem vacillasse vaticinii fidem ait, cum ab Anglis capta exusta est ut præstigiatrix. Pour finir, il dit que la fiabilité de ses prédictions vacilla dès lors qu’elle fut prise et brûlée vive par les Anglais comme mystificatrice. Hic judicium syncerum in viro syncero desidero. Je regrette qu’ici, le jugement de cet homme sincère manque de sincérité. Veteres illos duces superstitione usos in rebus bellicis, idque successisse fœliciter non abnuo. Je ne nie pas que ces chefs d’autrefois aient eu recours à la superstition dans leurs entreprises militaires, et que cela leur ait porté chance. Nempe illi puriorem religionem nullam agnoscebant, qua fortitudinem labantium militum excitarent. Car certes, ils ne connaissaient aucune croyance plus pure, par laquelle ils auraient pu raviver le courage de soldats vacillants. Idem Carolum septimum factitasse, nec verum, nec vero simile : Etenim testantur scriptores etiam Burgundicæ factionis Carolum e solutiore vita ad meliorem conversum ubi spem in Deo collocasset, divinum præsens auxilium 209sensisse, ductuque Joannæ non sine divino numine eum adeuntis, adversus Angli dominatum regnum avitum in libertatem asseruisse. Que Charles VII ait fait la même chose n’est ni vrai, ni vraisemblable : car les écrivains, y compris ceux du parti bourguignon, témoignent que Charles, ayant renoncé à sa vie dissolue pour une meilleure après avoir placé son confiance en Dieu, y vit un secours divin ; et qu’il soutint que c’est sous le commandement de Jeanne, venue à lui non sans inspiration divine, que son royaume ancestral avait recouvré sa liberté face à la domination anglaise. Non est superstitioni, sed religioni tribuendum, quod conversis et pœnitentibus prospere evenit. Ce n’est pas à la superstition, mais à la religion qu’il faut attribuer ce qui arrive de bon aux convertis et aux repentants. Vera religio superstitionem sociam non patitur, falsa, mera impietas est, et superstitione tegit impietatem. La vraie religion ne tolère pas la superstition comme compagne ; quant à la fausse, elle n’est que pure impiété et masque cette impiété par la superstition. Superstitione leges suas firmarunt, qui ex colloquio, cum Diis scilicet habito, illas se habere commenti sunt. C’est par la superstition qu’ont affermi leurs lois, ceux qui ont fait croire les avoir reçues lors d’une rencontre… avec des dieux, il va sans dire. Minos quidem cum Jove, Lycurgus cum Delphico Deo, Numa cum Egeria Nympha, at quis adeo temerarius sit qui ab illorum exemplo argumentetur Mosen Hebræorum Legislatorem quadraginta dierum cum Deo colloquium, finxisse, quo leges suas augustiores Isræliticæ genti et veneratione digniores faceret ? Comme Minos avec Jupiter, Lycurgue avec le dieu de Delphes ou Numa avec la nymphe Égérie, certes ; mais qui serait assez téméraire, sur la foi de ces exemples, pour prétendre que Moïse, le législateur des Hébreux, aurait inventé son entretien de quarante jours avec Dieu dans le seul but de rendre ses lois plus augustes et plus dignes de vénération aux yeux du peuple d’Israël ? Toto nempe cœlo distant inter se religio, et quæ sub religionis umbra delitescit superstitio. Car il existe un gouffre entre la religion et la superstition, laquelle se cache sous l’ombre de la religion. Quare religiosi et Christianissimi Principis consilium non magis inter commenta Scipionis, Sertorii, 210Marii, Syllæ annumerandum, quam Numæ, Lycurgo, Minoi, Moses comparandus. Voilà pourquoi la conduite de ce prince aussi pieux et chrétien ne doit pas plus être comptée parmi les supercheries des Scipion, Sertorius, Marius ou Sylla, que Moïse ne doit être comparé à Numa, Lycurgue ou Minos. Venit ad Regem puella, non humana aliqua fraude inducta, sed a Deo instincta, sed vocibus e cœlo auditis sæpe admonita : Quodque se divinitus missam certo sciebat, id ita esse certo et constanter asseruit. La Pucelle se présenta au roi, non pas poussée par quelque manigance humaine, mais suscitée par Dieu, mais guidée par les voix du ciel qu’elle entendait fréquemment ; et comme elle savait avec certitude être envoyée par Dieu, elle l’affirma avec certitude et constance. Quem in finem dicet aliquis ? À quelle fin, dira-t-on ? Ad pellendos e Gallia Anglos : ad Carolum VII. quem legitimo regno exutum ibant, defensum armis, Rhemos ad sacram unctionem perductum, suo in regno stabili et tranquilla sede collocandum. Pour que les Anglais soient chassés hors de France ; pour que Charles VII, qu’ils allaient dépouiller de son royaume légitime, soit défendu par les armes, conduit à Reims pour son sacre, et installé sur un trône stable et paisible dans son propre royaume. Ut hinc etiam intelligamus totam puellæ historiam miraculum atque in rebus humanis altum divinæ providentiæ quasi mysterium fuisse, id quod sentire se et existimare asserit vir de literis deque foro meritissimus Stephanus Paschasius Parisiensis Advocatus, libri quinti conquisitionum Francicarum capite octavo. Par là encore, comprenons bien que toute l’histoire de la Pucelle fut un miracle et comme un profond mystère de la divine providence dans les affaires humaines ; ce que dit penser et croire l’avocat parisien Étienne Pasquier, homme de très grand mérite tant dans les lettres qu’en droit, dans le livre V, chapitre 8 de ses Recherches de la France. Et vero, quod sibi mandatum esse dixit, quod facturam promisit, id egregie præstitit ejusque verba fœlicissimus rerum Gallicarum eventus est consecutus. Car ce qu’elle déclara lui avoir été commandé, ce qu’elle avait promis de faire, elle l’accomplit d’une manière remarquable, et le très heureux dénouement de la situation en France vint confirmer ses paroles. 211Sed ne totam historiam retexere velle videar, redeamus ad judicium et sermone Lipsii. Mais pour ne pas sembler vouloir reprendre toute l’histoire, revenons au jugement et aux propos de Lipse.

Ad extremum, inquit, vacillavit vaticinii fides. À la fin, écrit-il, la fiabilité de ses prédictions finit par vaciller.

Quomodo aut quando vacillavit ô Lipsi ? Quando capta, igne exusta est ut præstigiatrix. Comment ou quand a-t-elle vacillé, ô Lipse ? Quand elle fut prise et brûlée par le feu comme mystificatrice ? An tu vero præstigiatricem cum Anglis asseris ? vide quæso ne qui humanissimus semper es habitus pari crudelitate cum iis labores, qui fama religiosæ virginis verbo tam irreligiose perstringas ; An forte præstigiatricem ex Anglorum judicio non tuo recenses ? minus peccas, peccas tamen cum vacillasse vaticinii fidem accusatoribus credis, et iis quidem, puellæ contra quam dicunt, inimicis. Toi-même, vraiment, affirmes-tu aux côtés des Anglais qu’elle était une mystificatrice ? Je t’en conjure, toi qui as toujours été considéré comme un homme plein d’humanité, prends garde à ne pas te rendre coupable d’une cruauté égale à la leur, en attaquant la renommée de cette pieuse vierge en ces termes si irrévérencieux ; ou peut-être ne la qualifies-tu de mystificatrice qu’en te fondant sur le jugement des Anglais, et non sur le tien ? Tu pèches moins, mais tu pèches quand même, quand tu crois les accusateurs qui disent que la fiabilité de ses prédictions a vacillé, eux qui sont précisément les ennemis de cette Pucelle contre laquelle ils parlent. Meyerum saltem Belgam historicum audisses, qui Bethfordium narrat ut Philippum Burgundiæ Ducem placaret, ea ad illum mendacia scripsisse, de quibus testimonium ipsius ante posuimus, in quibus splendidum illud est, Tu aurais au moins dû écouter Meyer, l’historien belge, qui rapporte que Bedford, pour apaiser le duc Philippe de Bourgogne, lui écrivit ces mensonges, dont nous avons déjà cité son propre témoignage, et parmi lesquels se trouve le splendide :

Cum videret se morituram, confessam esse spiritus illos qui sæpe illi apparuerant mendaces et falsos esse, per eos spiritus se esse deceptam, qui 212polliciti erant eam liberare. Se voyant près de mourir, elle avait confessé que les esprits qui lui étaient souvent apparus étaient mensongers et faux, qu’elle avait été trompée par ces esprits qui avaient promis de la libérer.

Erras quoque si ab exustione vacillationem arguis. Tu te trompes encore si tu conclus à une vacillation parce qu’elle est morte sur le bûcher. Omnino hæc separata sunt, prædictio futurorum, et immerita mors prædictricis. Ces deux choses sont absolument distinctes : la prédiction des événements futurs, et la mort injuste de celle qui les prédit. Prædixerunt adventum Messiæ Prophetæ, eam ob rem multi ipsorum male habiti, conviciis affecti, interfecti, quis ex ipsorum nece prophetiæ fidem convellat ? Les prophètes ont prédit la venue du Messie, et pour cela, beaucoup ont été maltraités, insultés, tués : qui perdrait foi en leur prophétie à cause de leur mort ? Morte crudelissima perempti Martyres, dum Christo obsequuntur, dum Christum imitantur, dum fidem ab ipso acceptam constantissime gentibus prædicant ; quis Christianæ fidei professionem, sanguinis innocentis effusione sancitam, nisi ethnicus et paganus ludibrio est habiturus ? Les martyrs, cruellement mis à mort alors qu’ils suivaient le Christ, imitaient le Christ et prêchaient avec une constance inébranlable aux nations la foi qu’ils avaient reçue de lui : qui donc, à moins d’être un païen ou un infidèle, oserait ridiculiser une profession de la foi chrétienne ainsi scellée par l’effusion du sang innocent ? Et quoniam totius hujus negotii disceptatio ex duobus capitibus pendet, ex iis, si placet, id dijudicemus. Et puisque le débat sur toute la question repose sur deux points essentiels, tranchons-la, s’il te plaît, à partir de ceux-là. Primum est de fide vaticinii, alterum de vaticinantis condemnatione et exustione. Le premier concerne la fiabilité des prédictions, le second la condamnation et le supplice par le feu de celle qui a fait ces prédictions.

Vacillavit vaticinii fides La fiabilité de ses prédictions vacilla

Fides vaticinii usque adeo constitit, ut quæcunque de rebus Caroli futura prædixerat omnino evenerint. La fiabilité de ses prédictions s’est avérée telle, que tout ce qu’elle avait prédit sur l’avenir des affaires de Charles est arrivé sans exception.

Paschasius Étienne Pasquier

Paschasius ante a me laudatus, Selon Pasquier, dont j’ai fait l’éloge plus haut :

Videte, inquit, ut radiis sancti spiritus per voces a 213cœlo auditas illustrata, multa prædixerit, quæ post contigerunt : nam ut lubens prætermittam, quod in primis Baudricurtium, deinde Regem quos ante non viderat, agnoverit : hoc enim ficte ex composito et simulate gestu interpretari possit aliquis e vulgo sapiens. Voyez, dit-il, comment illuminée des rayons du Saint-Esprit par les voix qu’elle entendait du ciel, elle prédit beaucoup de choses qui advinrent ; je passerai volontiers sur le fait qu’elle reconnut d’abord Baudricourt, puis le Roi, qu’elle n’avait jamais vus, car quelque méfiant parmi le peuple pourrait dire qu’il s’agissait là d’une mise en scène concertée et feinte. Mihi certe deliberatum est credere divino ea afflatu futura occultaque cognovisse, qui intelligam nihil vane ab ea prædictum fuisse, nihil indicatum falso ac temere. Quant à moi, je veux croire que ce fut par une inspiration divine qu’elle connut les choses futures et cachées, puisque je ne vois rien de vain dans ce qu’elle a prédit, ni rien de mensonger ou de téméraire dans ce qu’elle a annoncé. Dixit illa Regi Carolo se a Deo missam ut Aureliam obsidione liberaret, deinde ut illum Rhemos duceret, ubi sacro oleo inunctus, coronatusque regio diademate, Christianissimus Rex salutaretur. Elle dit au roi Charles qu’elle était envoyée par Dieu pour délivrer Orléans du siège, puis pour le conduire à Reims où après avoir été oint du saint-chrême et couronné du diadème royal, il serait salué comme Roi très chrétien. Nonne hoc utrumque præstitit ? N’a-t-elle pas accompli l’un et l’autre ? Mox ut ad Carolum pervenit, scripsit Regi Angliæ ut paci intenderet, fore haud multo post ut Rex Carolus recuperatis Gallorum opibus atque animis, Regio honore Parisios ingrederetur idque se divinitus nosse. Dès son arrivée auprès de Charles, elle écrivit au roi d’Angleterre pour l’exhorter à la paix, lui annonçant que sous peu, les Français ayant retrouvé leur force et leur courage, le roi Charles ferait son entrée dans Paris avec les honneurs royaux, et qu’elle le savait par révélation divine. Nonne hæc postea contigerunt ? Ces choses n’advinrent-elles pas ensuite ? Testata est apud Judices Ducem Aurelianum Deo carum esse ac dilectum, unde id rescire potuit nisi Deo inspirante ? Face à ses juges, elle a affirmé que le duc d’Orléans était cher à Dieu et aimé de lui ; comment pouvait-elle le savoir, sinon par inspiration divine ? 214Decimus enim fere quintus annus agebatur, ex quo afflictus ille Princeps gravi custodia detinebatur, minima spe liberationis : paucis tamen post annis liberatus est, senexque filium genuit, cui postea regni Gallia corona obtigit. Car cela faisait presque quinze ans que ce pauvre prince était détenu dans une dure captivité, avec bien peu d’espoir de libération ; or, quelques années plus tard, il fut libéré et, déjà âgé, eut un fils qui hérita plus tard de la couronne de France. Is fuit Ludovicus XII. parens patriæ cognominatus, et e multis Galliæ Regibus deliciæ Francici generis. Ce fut Louis XII, surnommé le père de la patrie, et qui, parmi les nombreux rois de France, fit les délices de la nation française. Dixit et judicibus fore ut ante elapsum septenium, Angli e Francia exterminarentur. Elle dit encore à ses juges qu’avant sept ans, les Anglais seraient chassés de France. Nonne sexto post anno Carolus victor Lutetiam ingressus, factione Anglicana deleta regni prærogativam tulit : interlabenteque illo tempore ex aliis regni Gallicani partibus Anglos ejecit ? Six ans plus tard, Charles n’est-il pas entré victorieux dans Paris, et n’a-t-il pas recouvré ses prérogatives royales après y avoir anéanti le parti anglais ? et durant cette période, n’a-t-il pas aussi chassé les Anglais d’autres parties du royaume de France ? An putamus hanc insanam, quæ judicibus captiose interrogantibus summa constantia respondit eventura quæ postea summo cum Anglorum infortunio acciderunt ? Devons-nous tenir pour folle celle qui, interrogée sournoisement par ses juges, affirma avec une constance admirable ce qui allait advenir, et qui arriva ensuite, au grand dam des Anglais ? Post igitur tot generosos actus, post tot veras prædictiones, post tot fælices in causa tam justa successus, dicemus hæc, diabolicas fraudes ? dicemus hominum commenta fuisse ? Enfin quoi, après tant d’actes généreux, après tant de prédictions véritables, après tant d’heureux succès en une cause si juste, allons-nous dire que tout cela n’était que des illusions du Diable ? que cela n’était que des inventions humaines ?

Certe dicunt faciuntque talia comminiscentes, 215quod ipse (ut cum Persio loquar) Non sani esse hominis non sanus juret Orestes. Assurément, les affabulateurs qui soutiennent de telles choses, disent et font (pour reprendre les vers de Perse [Satire III]), ce que même un homme dément comme Oreste trouverait dément.

Neque pietatem ullam in cordibus ejus habitare credam qui ausu temerario tam pia tam heroica Puellæ gesta, tam certa vaticinia lancinare audeat. Et je ne puis croire qu’il y ait la moindre piété dans le cœur de celui qui oserait, avec une audace aussi téméraire, dénigrer les actes si pieux et si héroïques de la Pucelle, ainsi que ses prédictions si fiables.

Ut non penitus ab re author libri de mirabilibus victoriis fœminarum orbis novi ita statuat, eum qui non agnoscit ministerio puellæ, Galliæ regnum esse recuperatum et conservatum, indignum esse qui in eo partem aliquam sibi vendicet, seu Princeps, seu subditus sit, teste Joan. [Joannes] de Marconville libro de fœminarum bonitate et malitia. De sorte qu’il n’est pas hors de propos que l’auteur du livre des Très merveilleuses victoires des femmes du Nouveau monde [Guillaume Postel], rapporté par Jean de Marconville dans son livre De la bonté et mauvaiseté des femmes, soutienne que celui qui ne reconnaît pas que le royaume de France a été recouvré et conservé par l’action personnelle de la Pucelle est indigne d’y avoir part, qu’il soit prince ou sujet.

Hæc de fide vaticinii adversus Lipsianam vacillationem. Voilà ce qu’il en est de la fiabilité de ses prédictions, face à la vacillation de Lipse.

De exustione puellæ La mort de la Pucelle sur le bûcher

Nunc ad alterum caput veniedum, de damnatione ad ignem et exustione puellæ. Venons-en maintenant au second point : la condamnation au bûcher et la mort par le feu de la Pucelle. Quid censes Lipsi ? truculentam hanc Catastrophen, puellæ præclara facta dehonestasse ? Que veux-tu dire, Lipse ? que ce cruel et funeste dénouement aurait jeté le déshonneur sur les exploits de la Pucelle ? At gloriosissimam fuisse mortem judico, neque honestiore vitam exitu finire potuisse virginem innocentem. Quant à moi, je considère que sa mort fut des plus glorieuses, et qu’une vierge innocente n’aurait pu achever sa vie par une fin plus honorable. Quid si mediis in præliis incautius pugnans cecidisset ? Que dirais-tu si elle était tombée en pleine bataille pour avoir combattu avec trop peu de prudence ? Quid si 216morbo inglorio decessisset ? unde pudicitia, unde innocentia ipsius nobis certa esset ? Et si elle était morte dans l’ombre, d’une maladie ? Comment aurions-nous été certains de sa pudeur, de son innocence ? Probavit series judiciaria pudicitiam, probavit iniqui judicis astutia constantiam, probavit ignis innocentiam. Son procès a prouvé sa pudeur, l’astuce de son juge inique a prouvé sa constance, le feu a prouvé son innocence. Quærebat omnes calumniandi vias Anglus, nunquam impudicitiam exprobravit, tametsi mediis in castris versata fuisset, ubi pudicitia plerumque periclitari solet. L’Anglais, qui cherchait tous les moyens de la calomnier, ne lui reprocha jamais l’impudicité, bien qu’elle eût vécu au milieu des camps, où la pudeur est si souvent mise à l’épreuve. Nunquam ipsius constantiæ vim attulit, quam etiam nunc admiramur ex generoso illo responso, malle se Deo quam hominibus obedire, cum jussa deponere virilem habitum, tradito a judicibus muliebri, virilem eundem resumpsit. Jamais il ne put porter atteinte à sa résolution, que nous admirons encore aujourd’hui dans cette noble réponse, qu’elle préférait obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, quand, après avoir reçu l’ordre de quitter son habit d’homme et que ses juges lui en avaient fourni un de femme, elle reprit ce même habit d’homme. Ex cujus repetitione certissimam sibi mortem impendere sciebat. Elle savait qu’en le reprenant, elle s’exposait à une mort absolument certaine. Quid illi facilius quam judicum manus effugere si judicum minis territa, monitis eorum paruisset ? Quoi de plus facile pour elle que d’échapper aux mains des juges si, effrayée par les menaces de ces juges, elle s’était pliée à leurs injonctions ? Maluit illa mori, quam vel tantillum a divinis vocibus recedere. Elle préféra mourir plutôt que de s’écarter tant soit peu de ses voix divines. Nunquam invidia labefactare eam potuit, tametsi ut hæreticam, ut relapsam, ut præstigiatricem condemnaret. Jamais la haine ne put l’ébranler, quoiqu’on la condamnât comme hérétique, comme relapse, comme mystificatrice. Talem pronunciavit iniquus judex et brachio seculari 217puniendam tradidit. Telle la déclara son juge inique, avant de la livrer au bras séculier pour le châtiment. Sed ab omni ejusmodi crimine innocentem declararunt Judices qui ad abolendam illius judicii iniquitatem a Calixto summo Pontifice sunt delegati, ut superius relatum fuit, Mais, comme cela a été rapporté plus haut, les juges délégués par le Souverain pontife Calixte pour abolir l’injustice de ce jugement la déclarèrent innocente de tous ces crimes. Scilicet ut fulvum spectatur in ignibus aurum, Comme on éprouve l’or fauve par le feu [Ovide, Tristes, I, V], sic medio in rogo funebri, puellæ candor, et simplicitas exploratricibus flammis probata est. ainsi furent éprouvées la candeur et la simplicité de la Pucelle par les flammes scrutatrices, au cœur du funèbre bûcher. Erectum illi honoris theatrum cum media in urbe Rotomagensi cunctis risui exposita, Normannorum et Anglorum insanis et ad mendacium compositis vocibus est appetita. Comme un théâtre d’honneur lui avait été dressé au cœur de la ville de Rouen, elle fut livrée à la risée générale et accablée sous les vociférations furieuses et calomnieuses des Normands et des Anglais. Premitur virtus, non opprimitur. La vertu peut être réprimée, non pas étouffée. Exustum est puellæ corpusculum, cinis in æra jactatus, sed igne purior effectus animus in sedem ætheream commigravit. Le corps frêle de la Pucelle fut entièrement consumé, et ses cendres jetées au vent ; mais son âme, rendue plus pure par le feu, s’éleva vers sa céleste demeure. Ante captam damnatamque puellam nondum Anglus violentæ dominationis licet aliquoties profligatus meritas pænas dederat : verum ubi condemnata innocentia summæ impietatis reum fecit, res suas omnes pessum et cessim ire sensit. Avant que la Pucelle ne fût capturée et condamnée, l’Anglais n’avait pas encore reçu le châtiment qu’il méritait pour sa domination violente, autrement que par quelques défaites ; mais une fois que la condamnation de l’innocence l’eut rendu coupable de la plus grande impiété, il vit toutes ses affaires sombrer et battre en retraite. Nimirum plus mortua quam viva Britannis nocuit : ipsiusque cineribus Albionio sanguine 218est parentatum, ut non tantum ex occupatis per vim et injuriam urbibus, sed iis quoque quas optimo jure possidere credebatur, nomen Anglicum penitus ejiceretur. Assurément, elle nuisit davantage aux Anglais morte que de son vivant ; et ses cendres furent vengées par le sang albion, si bien que le nom anglais fut entièrement chassé non seulement des villes qu’il occupait par la force et l’injustice, mais aussi de celles qu’il croyait posséder de bon droit. Non mortis genus, sed mortis causam infamare, dixerunt Jurisconsulti in l. ictus fustium. ff. de his qui notant. inf. [de his qui notantur infamia] Ce n’est pas le type de mort, mais la cause de cette mort qui entraîne le déshonneur, disent les jurisconsultes dans la loi Ictus fustium [Coups de bâtons] du Digeste au titre De his qui notantur infamia [De ceux qui sont notés d’infamie].

Quocirca nec vitam, nec mores, nec præclare facta, dictaque Joannæ ex atrocitate supplicii dedecorare quemquam oportuit, sed ex hostili judicum rabie, et causæ innocentia ea metiri. Voilà pourquoi personne ne devait déprécier ni la vie, ni les mœurs, ni les exploits et les paroles admirables de Jeanne en raison de l’atrocité de son supplice ; il aurait fallu au contraire les apprécier à l’aune de la rage hostile de ses juges et de l’innocence de sa cause. Facessant ergo nunc procul qui etiamnum hodie odio plusquam anglicano vitam, pudicitiam, fortitudinem puellæ dicteriis et maledictis proscindunt : quod virtuti, quod honori, quod gloriæ vertendum fuit, id venenato morsu inficiunt et malitioso probro contaminant. Qu’ils se retirent donc bien loin à présent, ceux qui, aujourd’hui encore, avec une haine surpassant celle des Anglais, salissent par leurs sarcasmes et leurs calomnies la vie, la chasteté et le courage de la Pucelle ; ce qui aurait dû être porté à sa vertu, à son honneur, à sa gloire, ils l’empoisonnent de leur morsure venimeuse et le souillent de leur opprobre malveillant.

Hæc de fide vaticinii, hæc de igne non expiatore sceleris alicujus, sed illustratore virtutum puellæ, adversus illius obtrectatores dicta sufficiant. Puissent ces observations, tant sur la fiabilité de ses révélations que sur sa mort sur le bûcher, lequel ne fut pas l’expiateur de quelque crime, mais le révélateur des vertus de la Pucelle, suffire contre ses détracteurs. Nos hoc vitæ miraculum cum Paschasio admiremur ; pudicitiam, quam a pueritia adamatam, media 219inter pericula militaria Christi ac cœli miles conservavit ; æquitatem causæ quam fovebat, fortitudinem qua in eadem causa defendenda, est usa ; prudentem simplicitatem qua versutorum judicum in ipsius necem conspirantium captiosas quæstiones egregie dissolvit, refutavitque, prædictiones, quas veras eventus demonstravit ; mortem acerbissimam quam vitare potuit, si vel in speciem, verbo præ se ferret, dæmonum fraude se ad ea quæ gesserat inductam esse. Admirons plutôt, avec Pasquier, le miracle que fut sa vie : la chasteté, à laquelle elle se voua dès l’enfance, et que, soldate du Christ et du Ciel, elle conserva au milieu des dangers de la guerre ; la justesse de la cause qu’elle soutint, et le courage qu’elle mit à défendre cette même cause ; la sage simplicité avec laquelle elle sut admirablement répondre et déjouer les questions captieuses des juges retors qui conspiraient pour sa perte ; ses prédictions, que la suite des événements a démontré vraies ; une mort particulièrement cruelle, qu’elle aurait pu éviter si elle avait admis, même par feinte, avoir été poussée à agir par la tromperie des démons. Addamus et cœlitum objectas species Divi Michælis Archangeli, divarum Catharinæ et Margaritæ, astantisque multitudinis Angelorum ; voces denique e cœlo auditas, quibus ductricibus, ejus ex hac vita ad beatam immortalitatem curriculum est peractum. Ajoutons encore les visions célestes qui lui apparurent, celles de l’archange saint Michel, des saintes Catherine et Marguerite, et de la multitude d’anges qui se tenaient à ses côtés ; et enfin les voix qu’elle entendit du ciel, sous la conduite desquelles elle quitta cette vie pour la bienheureuse immortalité.

Quæ qui omnia colligere volet, intelliget vitam et historiam hujus puellæ, totam miraculorum esse plenissimam. Quiconque voudra bien considérer tous ces éléments ensemble, comprendra à quel point la vie, comme l’histoire de cette Pucelle, est toute entière pleine de miracles.

Documenta huic historiæ insita. Enseignements tirés de cette histoire

Miraculorum inquam ? imo et nobilium Documentorum, quibus communis hominum societas, eorumque res et publicæ 220et privatæ, quasi justissimis legibus salubriter temperentur. Des miracles, disais-je ? Bien plus, ce sont aussi de nobles enseignements, comme autant de très justes lois qui permettent d’ordonner sainement la société des hommes tout entière, dans leurs affaires publiques autant que privées.

Primum documentum. Premier enseignement

In iis primum illud est, quod in historiæ hujus visceribus penitus insidet : Le premier de tous, ancré profondément au cœur même de cette histoire, est celui-ci : Regibus colendam esse justitiam ; quæ contra eam dolo aut armis moventur, ea denique, ultore Deo suis auctoribus infeliciter cedere. Que les rois doivent cultiver la justice ; et que tout ce qui est entrepris contre elle, par ruse ou par force, finit toujours, Dieu le punissant, par se retourner contre ses malheureux instigateurs. Carolum VII. legitimum regni Galliæ hæredem regno pellebat Anglus ; erat armis humanisque auxiliis Gallo superior : Gallus æquitate causæ, et divini numinis propugnatione superabat. L’Anglais était en passe de chasser Charles VII de son royaume, l’héritier légitime du royaume de France ; il était supérieur au Français en armes et en ressources humaines, mais le Français l’emportait par la justesse de sa cause et la protection de la divine Providence. Vicit Justitia injustitiam, Regni invasorem legitimus hæres, legum sanctitas meditatam in eas fraudem, bellicosos exercitus excitata a Deo puella, humanas vires, tenuis divinæ dextræ impulsus vicit. La justice a vaincu l’injustice ; l’héritier légitime, l’usurpateur du trône ; la sainteté des lois, la perfidie ourdie contre elles ; une jeune fille inspirée par Dieu, des armées belliqueuses ; la plus infime intervention de la main divine a vaincu la puissance humaine. Invadendi regni Galliæ jus, per nuptam sibi Heroinam Francicam Anglus contra Salicæ legis columen sibi arrogabat. L’Anglais s’arrogeait le droit d’envahir le royaume de France par son mariage avec une fille de France, en opposition au fondement même de la loi salique. Vanum hoc jus esse et commentitium ; lege Salica stare majestatem Imperii Gallici, declaravit Gallo contra Anglum auxilio missa, divina innuptæ 221virginis fortitudo. Cependant, la bravoure divine d’une jeune vierge, envoyée au secours du Français contre l’Anglais, proclama que ce droit était nul et sans fondement, et que la grandeur de l’État français reposait sur la loi salique. Dicam clarius. Quia Henricus sextus Angliæ Rex, e Catharina Francica nupta Henrico Quinto progenitus erat, adactis per vim a Philippo Burgundiæ Duce ad id matrimonium Carolo sexto Rege Galliæ, Regina, Catharinaque ipsa Francica, quos in potestatem suam redactos Anglo dediderat ; dictatisque ejus matrimonii legibus suo arbitratu ; in iisque illa, ut seu Carolo VI. liberi nascerentur seu minime, qui ex Catharina Francica et Henrico V. filii existerent, ii regni Galliæ hæredes essent : ideo inquam, procreatus ex hoc matrimonio Henricus sextus Angliæ Rex, Lutetiæ id temporis ab Anglis Anglorumque fautoribus regni titulo et diademate ornatur. Je vais m’expliquer plus clairement. Le roi Henri VI d’Angleterre était né de l’union de Catherine de France et d’Henri V, un mariage offert aux Anglais et imposé de force par le duc Philippe de Bourgogne au roi Charles VI de France, à la reine et à Catherine elle-même, après les avoir soumis à son pouvoir ; les clauses de ce mariage avaient été dictées selon sa volonté, et parmi celles-ci figurait la suivante : peu importe que Charles VI ait eu ou non des héritiers, les enfants nés de Catherine de France et d’Henri V seraient les héritiers du royaume de France ; c’est pour ces raisons, dis-je, que le roi Henri VI d’Angleterre, né de ce mariage, fut, à cette époque, couronné à Paris du titre et du diadème royal par les Anglais et leurs partisans. Angli jus sibi ad regnum Galliæ quæsitum esse putant, bello regni possessionem quærunt. Estimant avoir acquis un droit sur le royaume de France, les Anglais cherchent à prendre possession de ce royaume par la guerre. At vetabat hoc jus naturæ ac gentium, quod non patitur ut filius non ingratus exhæres sit : Carolo autem VI. Galliæ Regi, filius erat superstes, regnoque aptus Carolus VII. Mais tant le droit naturel que le droit des gens s’y opposait : car aucun ne souffre qu’un fils non ingrat soit déshérité : or le roi de France, Charles VI, avait un fils survivant et apte à régner, Charles VII. Vetabat lex Salica, Francicæ coronæ columen 222ac fundamentum, quæ dum fœminas a regni hæreditate repellit, repellit et filios qui sola materna origine de genere sunt et sanguine Francico. S’y opposait également la loi salique, véritable pilier et fondement de la couronne de France, qui, en écartant les femmes de la succession au trône, écarte aussi les fils qui ne sont de lignée et de sang français que par leur mère. Certum enim est, exclusa aliqua persona ex ea descendentes excludi, §. hoc autem notandum de his qui feud. dare pos. [de his qui feudum dare possunt] et §. ad filias de succes. frat. in usib. feud. [de successionibus fratrum in usibus feudorum] Il est en effet évident que, dès lors qu’une personne est exclue, ses descendants le sont aussi, comme cela est indiqué au titre De his qui feudum dare possunt [De ceux qui peuvent donner un fief], et, concernant les filles, au titre De successionibus fratrum in usibus feudorum [Des successions entre frères dans le droit féodal].

Lex Salica. Loi salique

Salica autem lex, ut partem ex ea repetam nostro huic instituto congruentem, concepta est his verbis. Or la loi salique, pour n’en citer que la partie pertinente à notre discussion, est conçue en ces termes :

Nulla portio hæreditatis de terra Salica mulieri veniat, sed ad virilem sexum tota hæreditas perveniat. Quant à la terre salique, qu’aucune part de l’héritage n’aille à une femme, mais que la totalité de cet héritage revienne au sexe masculin.

Terra Salica, terra Francico sermone (ut paulo post constabit) regia ac libera, coronæ Francicæ ac domanii propria. La terre salique, c’est-à-dire, en français, la terre royale et libre (comme on le verra plus loin), est la propriété exclusive de la couronne de France et de son domaine.

Sane autem legem Salicam Gallis propriam fecit, legis conditor, nominis ratio, regni majestas, mores et exempla antiquitatis. Or, ce qui a rendu la loi salique si propre aux Français, c’est l’initiateur de cette loi, la raison de son nom, la majesté du royaume, les mœurs et les exemples du passé.

Ejus conditor. Son initiateur

Legis conditor. Pharamundus primus Francorum Rex, ratus humane et sapienter, non plus humanæ societati imperitandum armis esse, quam ratione et legibus 223præsidendum ; rem Gallicam Salicis legibus fundare instituit. L’initiateur de la loi. — C’est Pharamond, premier roi des Francs, qui, estimant avec humanité et sagesse qu’il ne fallait plus gouverner la société humaine par la force des armes, mais désormais par la raison et les lois, s’employa à fonder l’État français sur la loi salique. Nam cum ad sedes quærendas profecti Franci (sic historiæ memorant) ad Rhenum consedissent, nullisque adhuc legibus admodum viverent, Pharamundus quatuor ex Sicambris spectatos viros deligit, Uzugastum, Losogastum, Sologastum et Visogastum, iis mandatum dat ut leges sanciant scribantque : a quibus scriptam legem Salicam communi consensu, regia authoritate promulgat. En effet, comme les Francs, partis en quête de territoires (comme le rapportent les chroniques), s’étaient établis près du Rhin et vivaient encore presque sans lois, Pharamond désigna parmi les Sicambres quatre hommes estimés, Uzugast, Losogast, Sologast et Visogast, et leur confia la tâche d’élaborer et de rédiger des lois ; puis, avec l’assentiment général et par son autorité royale, il promulgua cette loi salique qu’ils avaient rédigée. Sigebertus Gemblac. [Gemblacensis] in chro. [chronographia] Otto Frisingensis, Trithemius, Beat. [Beatus] Rhenanus, Nicolaus Ægidius, Gaguinus, Joannes Ferrault, Carolus de Grassalio. P. [Petrus] Gregorius, Claudius Prat. [Pratensis] et alii complures. D’après Sigebert de Gembloux, Chronographie, Otton de Freising, [Jean] Trithème, Beatus Rhenanus, Nicolas Gilles, [Robert] Gaguin, Jean Ferrault, Charles de Grassaille, Pierre Grégoire, Claude Desprez, et bien d’autres.

Nominis etymon. Étymologie du nom

Nominis ratio. Quid sit quod legis Salicæ nomen fecerit, sæpe a multis curiose quæsitum est. Raison de son nom. — Beaucoup se sont souvent interrogés, avec curiosité, sur l’origine du nom de la loi salique. Quibusdam probabile inventum visum est, a salicibus quasi Salictam Salicam esse appellatam, quia rure inter salices promulgata sit Francis, ante urbes et oppida, ab iis condita occupatave. Certains ont jugé plausible l’idée que son nom salique [salicam], variante de saulaie [salictam], provienne des saules, car elle aurait été promulguée aux Francs à la campagne au milieu de saules, avant qu’ils n’aient fondé ou conquis des villes et des places fortes. Alii Salicam a sale derivatam ; sive quia leges 224Salicæ primæ fuerunt Francorum leges, sal autem ante reliquas dapes primum ad mensam apponitur : sive quod primæ illæ leges ad conglutinandos Francorum animos sunt institutæ, haud secus atque ex liquidis et fluentibus aquis sal in solidum quiddam coalescit. D’autres font dériver salique de sel ; soit parce que les lois saliques furent les premières lois des Francs, et que le sel est servi à table avant les autres mets ; soit parce que ces premières lois furent instituées pour souder les cœurs des Francs, tout comme à partir d’eaux liquides et fluides, le sel se cristallise en quelque chose de solide. Quid si etiam a sale dictæ ideo sunt, quia ipsarum conditores, perpetuas firmasque esse voluerunt ? Elles pourraient encore tirer leur nom du sel, parce que leurs initiateurs les ont voulues perpétuelles et inébranlables ? Nam salis propria incorruptio est, ejusque conditura carnes corporaque id genus, astringi humore exeso, atque a putredine defendi solent. Car l’incorruptibilité est le propre du sel ; et par son pouvoir conservateur, les viandes et autres corps du même genre ont l’habitude d’être contractées par déshydratation et ainsi protégées de la putréfaction. Sal ideo ad leges, ad pacta, ad sacrificia, divino humanoque more est adhibitus, ut puri atque incorrupti animi symbolum, diuturneque firmitatis argumentum. C’est pourquoi le sel a été associé aux lois, aux pactes et aux sacrifices, tant dans un cadre divin qu’humain, comme symbole d’un cœur pur et incorruptible, et comme gage d’une stabilité durable. Levitici cap. 2. Lévitique 2[ :13] :

Quidquid obtuleris sacrificii, sale condies, nec auferes sal fœderis Dei tui de sacrificio tuo. In omni oblatione offeres sal. Tout ce que tu offriras en sacrifice, tu l’assaisonneras du sel ; tu ne priveras pas ton sacrifice du sel de l’alliance avec ton Dieu. Dans toute offrande, tu présenteras du sel.

Et Numer. cap. 18. Nombres 18[ :19] :

Pactum salis est sempiternum coram Domino tibi ac filiis tuis. C’est une alliance de sel, perpétuelle devant le Seigneur, pour toi et ta descendance.

Et 2. Paralip. cap. 13. Et 2 Chroniques 13[ :5] :

Nam ignoratis quod Dominus Deus Isræl dederit regnum David super Isræl in sempiternum, 225ipsi et filiis ejus in pactum salis ? Ne savez-vous donc pas que le Seigneur, Dieu d’Israël, a donné à David la royauté sur Israël, pour toujours, à lui et à sa descendance, par une alliance de sel ?

id est in pactum firmum ac sempiternum. c’est-à-dire, une alliance solide et perpétuelle. Homerus IΛ. I. Πάσσε δ᾽ ἁλὸς θείοιο. inspersit sale divino. Homère, au chant I de l’Iliade [chant IX, vers 214] : Πάσσε δ᾽ ἁλὸς θείοιο, il les aspergea de sel divin. Virgil. 2. Æneid. Virgile, au livre II de l’Énéide [vers 132-133] :

mihi sacra parari, … pour moi on dispose les objets sacrés,

Et salsæ fruges, et circum tempora vittæ. les farines salées, et les bandelettes pour ceindre les tempes.

An forte Salicis legibus nomen a sale est, quia sal prudentiæ sit et sapientiæ symbolum ? quippe qui et sapidus sit ipse per sese, et saporem cibis aliis inducat. Ou bien le nom des lois saliques pourrait venir du sel, parce que le sel serait symbole de prudence et de sagesse ? puisqu’il est par lui-même savoureux et qu’il donne de la saveur aux autres aliments. Apostolus quidem, Coloss. 4. Comme l’Apôtre (Colossiens 4) :

Sermo vester, inquit, semper in gratia, sale sit conditus. Que votre langage, dit-il, soit toujours bienveillant, qu’il ne manque pas de sel.

Nempe qui leges Salicas tulerunt, eas id temporis voluerunt esse prudentiæ politiæque Gallicæ fundamenta. Assurément, ceux qui ont proposé les lois saliques à cette époque, voulurent qu’elles soient les fondements de la prudence et de l’organisation politique des Francs. Venuste ista et eleganter. Voilà qui est dit avec grâce et élégance. At mihi illorum sententia multo et simplicior videtur et verior, qui legi Salicæ nomen ex eo factum putant, quod lex propria esset Francorum ; Francos autem ex omnibus Galliæ populis, Salios esse appellatos refert Ammianus Marcellinus. lib. XVII. in Constantio, Pour ma part, l’hypothèse de ceux qui pensent que la loi salique tire son nom du fait que cette loi était propre aux Francs, me paraît bien plus simple et bien plus vraisemblable ; en effet, Ammien Marcellin rapporte dans son livre XVII, sous le règne de Constance, que parmi tous les peuples de Gaule, les Francs étaient appelés les Saliens.

Cæsar, inquit, petit primos omnium Francos, eos videlicet quos consuetudo Salios appellavit. César, dit-il, marcha d’abord contre les Francs, connus sous le nom de Saliens.

226At unde, quæso, Franci consuetudine sunt appellati ? Mais alors, je vous le demande, d’où vient l’usage d’appeler ainsi les Francs ? Andreas Althamerus in Tacitum, Francos sic nuncupatos putat a Sala fluvio, quo pars Franciæ orientalis irrigatur : credo Sala Turingiæ fluvio, illove etiam Austrasiæ nostræ flumine quod Salia, Salliave vulgo appellatur : de quo Venantius Fortunatus, Metensis urbis situm et flumina describens lib. 3. poem. 12. ad Villicum Episcopum Metensem. Andreas Althamer, dans son commentaire sur Tacite, présume que les Francs furent nommés d’après la rivière Sala, qui arrose la partie orientale de la France ; je pense qu’il doit s’agir de la Saale [Sala], rivière de Thuringe, ou encore du cours d’eau de notre Austrasie qu’on appelle communément la Seille [Salia, ou Sallia], dont parle Venance Fortunat lorsqu’il décrit la ville de Metz et ses rivières, dans son livre III, poème 12, adressé à Villicus, évêque de Metz :

Hinc dextra de parte fluit qua Salia fertur, La Seille y afflue en rive droite

Et lib. vit. ad Gogonem, Et dans sa Vie [de Saint Martin], poème à Gogon :

Seu qui Mettin adit, de sale nomen habens. Ou celle qui coule vers Metz, dont le nom vient du sel.

Verum, quoniam Ammianus consuetudine sermonis Francos Salios appellatos annotat, non a flumine ullo : eapropter haud ægre Paulo Volzio atque aliis assentior, qui vetere Francorum lingua Salicum idem fuisse interpretatur quod immune ac liberum. Mais, puisque Ammien signale que les Francs furent appelés Saliens par coutume de langage et non d’après quelque fleuve, je me range sans difficulté à l’opinion de Paul Volz et d’autres selon lesquels, dans l’ancienne langue des Francs, salique signifiait la même chose que exempt de charges et libre. Quo usu observavit Beatus Rhenanus Salicas terras vocari solere Principum libera prædia atque immunia ; et terram Salicam in vetustissimis diplomatis Jurisconsulti interpretantur fiscalem 227et Regiam. Concernant cet usage, Beatus Rhenanus a observé qu’on avait coutume d’appeler terres saliques les domaines des princes qui étaient libres et exempt de charges ; également, dans les actes les plus anciens, les jurisconsultes définissent la terre salique comme fiscale et royale. Salii igitur Francique, duo quasi synonima [synonima] sunt nomina, cum utrumque libertatis sit nomen ideoque leges ex quibus libertatem remque publicam suam, ac regiam authoritatem Franci primo fundaverunt, jure, consuetudine sermonis leges Salicæ sunt appellatæ. Saliens et Francs sont donc deux noms quasi synonymes, puisque l’un comme l’autre désignent la liberté ; voilà pourquoi les lois sur lesquelles les Francs fondèrent d’abord leur liberté, leur république et l’autorité royale, furent légitimement appelées par coutume de langage, lois saliques. Ex quo efficitur maxime id quod hic agimus, ut lex Salica vel ex ipsa nominis etymologia, Francorum propria sit. De quoi il découle clairement ce que nous affirmons ici : que la loi salique, ne serait-ce que par l’étymologie même de son nom, est propre aux Francs.

Regni Gallici ac legis Salicæ majestas. Majesté du royaume de France et de la loi salique

Regni majestas. Claruere quidem in omni antiquitate sacra et profana, multæ prudentia, fortitudine, ac rerum administrandarum laude illustres fœminæ. Majesté du royaume. — Certes, à travers toute l’Antiquité, tant sacrée que profane, de nombreuses femmes se sont distinguées, remarquables par leur sagesse, leur courage, et leur réputation dans l’administration des affaires. Divinas literas nemo leget, quin Saras in iis, Deboras, Jaheles, Abigæles, Reginas Saba, Judithas, Estheres commendatas legat. Nul ne lira les Saintes Écritures sans y trouver recommandées les Sarah, Déborah, Jaël, Abigaïl, la reine de Saba, Judith et Esther. Quis autem in historia Ecclesiastica non aut Helenam Constantini matrem aut Pulcheriam Theodosii sororem, multis viris anteponat ? Qui, non plus, dans l’histoire de l’Église, ne placerait pas Hélène, mère de Constantin, ou Pulchérie, sœur de Théodose, au-dessus de bien des hommes ? Quis in re Gallica, aut Blancam vetustiore ævo, aut Catharinam superiore nostra memoria, aut hoc tempore ipso Mariam Medicæam, tres Christianissimorum 228maximorumque Regum, Christianissimas spectatissimasque Conjuges et Reginas : tres a virorum obitu, filiorum adhuc impuberum tutelaria columina, tres easdem Religione, prudentia, rerum administrandarum laude præstantissimas ; regni interim et consilii publici, dum filii regno adolescunt, sapientissimas moderatrices, non suspiciat atque admiretur ? Qui, dans l’histoire de France, ne révérerait et n’admirerait pas Blanche, pour les temps plus anciens, Catherine dans un passé proche, ou Marie de Médicis à notre époque présente ? trois reines très chrétiennes et très remarquables, épouses de trois rois très chrétiens et très grands ; trois piliers tutélaires de fils encore enfants à la mort de leurs époux ; toutes trois également remarquables par leur piété, leur prudence, leur réputation dans l’administration des affaires, qui ont conduit avec la plus grande sagesse la régence du royaume et le conseil public, tandis que leurs fils grandissaient vers leur règne. At sic Francorum tamen animi et ingenia fuerunt, ea jam ab initio informata ab illis est regni Francici claritudo, ac majestas, ut Regum suorum obitu, nulli nisi regiæ virili soboli, regni hæreditatem obtingere voluerint. Et pourtant, telles furent la nature et la mentalité des Francs, celles-là mêmes qui, dès l’origine, façonnèrent la gloire et la majesté du royaume de France, qu’à la mort de leurs rois, ils voulurent que l’héritage du trône ne revînt à personne d’autre qu’à un descendant mâle de sang royal. Quid ita ? dicet fortasse aliquis. Primum, libertatis avidi, atque impatientes alieni dominatus, regnum egregie Francum, (ut sic loquar) id est, optimo jure modoque liberum atque immune, sibi statuere cogitarunt. Mais pourquoi cela ? pourrait-on se demander. Avant tout, parce qu’avides de liberté et ne supportant aucune domination étrangère, ils eurent l’intention d’établir pour eux-mêmes un royaume véritablement franc (pour ainsi dire), à savoir libre et exempt de toute charge, de plein droit et de la meilleure des manières. Innatum autem est mulieri ut sub viri sit potestate ; ei obnoxia, ejus consilio et imperio gubernetur. Or, il est dans la nature de la femme d’être sous l’autorité de l’homme ; de dépendre de lui, et de se laisser guider par ses conseils et ses décisions. Nisi 229viros igitur liberrimi regni summos Principes, atque hæredes esse noluerunt. Aussi ne voulurent-ils que des hommes pour princes souverains et pour héritiers d’un royaume si foncièrement libre.

Deinde, cum firmissimum, clarissimumque regnum animo designarent, illud viderunt natura duce, quod scriptis legibus Jurisconsulti tradiderunt, familiarum dignitatem firmitatemque prole mascula conservari l. 1. §. publice. ff. de vent. insp. et l. pronuntiatio. ff. de verbor. signific. Menander Στῦλος γὰρ οἴκου παῖδές εἰσιν ἄρρενες. Columna domus filii mares. Ensuite, comme ils échafaudaient le royaume le plus solide et le plus illustre, la nature aidant, ils prirent conscience de ce que les jurisconsultes ont transmis dans les lois écrites : que la dignité et la solidité des familles se conservent par la descendance mâle, cf. Digeste [D.25.4] au titre De ventre inspiciendo, custodiendoque partu [De la visite des femmes enceintes], loi 1, § Publice ; Digeste [D.50.16] au titre De verborum significatione [De la signification des termes], loi Pronuntiatio ; Ménandre [Sentences] Στῦλος γὰρ οἴκου παῖδές εἰσιν ἄρρενες. Car les soutiens de la maison sont les enfants mâles. Ac sane muliere regnum capessente, quid facilius, quam ut matrimonia juncta externo Principi, regnum in ejus familiam et gentem donatione aut morte transferat ? Car en effet, si une femme s’emparait du royaume, quoi de plus facile ensuite, par quelque alliance matrimoniale avec un prince étranger, que de faire passer le royaume dans la famille et la nation de ce dernier, soit par donation, soit à son propre décès. Quid si amore percita, nubat homini abjecto aut infami ? quæ erit imperii illius celsitudo ac dignitas ? Ou si, par amour, elle épousait un homme vulgaire ou mal famé ? Que deviendraient alors la grandeur et la dignité d’un tel empire ? Qui non in tali populo bellorum motus tam indigna non ferente ? Qui ne prévoirait des ferments de guerres au sein d’un tel peuple, si peu enclin à tolérer l’indignité ?

Tertia apud me ratio est ; quod qui virorum nomen, præ cæteris populis, fortitudinisque laudem ambiebant, ii merito 230viris tantum, summam imperii sui dignitatem mandandam esse putaverunt. La troisième raison est, selon moi, que ceux qui prétendaient plus que tout autre peuple au nom d’homme et au prestige du courage, estimèrent logiquement que la suprême dignité de leur empire ne devait être confiée qu’aux hommes.

Quarto, divinæ ac cœlestes prærogativæ quibus regnum Gallicum, Deus præ cæteris orbis atque Ecclesiæ regnis exornavit, Christianissima pietas, numerosissima sanctorum virorum, ac Præsulum, clarissimaque multitudo, Regum augusta majestas, rerum pro Ecclesia pace ac bello gestarum magnitudo, sacra Ampulla, Lilia, Auriflammula, tria cœlo allata munera ; strumarum regio attactu curatio ; victoriæ inclytæ, ut Clodovæi Clotildis instinctu Christo vota facientis ; ut hæc ipsa, Puellæ Joannæ ope parta ; Theologiæ, Jurisprudentiæ, Medicinæ, atque omnium honestarum artium domicilia et plurima et celeberrima ; Supremæ Curiæ legum ac justitiæ propugnacula ; sacra torquata militia ; ipsa imperii celsissima forma ac species ; documento sunt Regnum ac populum Francicum, jam inde a principio singulariter Deo curæ fuisse, singulariter ab eo, in Christianæ Ecclesiæ rem 231atque opem erectum et constitutum esse. Quatrièmement, il y a les prérogatives divines et célestes dont Dieu a orné le royaume de France plus que tout autre royaume tant séculier qu’ecclésiastique : sa piété très chrétienne ; la foule innombrable et glorieuse de ses saints et de ses prélats ; l’auguste majesté de ses rois ; la grandeur de ses actions en faveur de l’Église en temps de paix comme de guerre ; la Sainte ampoule, les Lys et l’Oriflamme, trois dons venus du Ciel ; la guérison des écrouelles par le toucher royal ; ses glorieuses victoires, comme celles de Clovis après son vœu au Christ à l’instigation de Clotilde, ou celles, plus récentes, remportées grâce à Jeanne la Pucelle ; ses centres à la fois nombreux et réputés de théologie, de jurisprudence, de médecine et de tous les arts nobles ; ses Cours suprêmes, bastions des lois et de la justice ; ses ordres sacrés de chevalerie ; et enfin, la forme et la splendeur incomparables de son autorité souveraine ; tout cela témoigne que dès l’origine, le royaume et le peuple français ont été l’objet d’un soin particulier de la part de Dieu, et qu’ils ont été singulièrement élevés et institués par lui pour le bien et le service de l’Église chrétienne. Quare, ut ad regnum Isræliticum viri duntaxat a Deo electi, viri duntaxat hæreditario jure pervenerunt ; sic ad Christiani illius regni, quod Isrælitico regno, et religioso Dei cultu, et sacra unctione, et duodecim regni Proceribus ac Paribus ; et Dei propria cura, ac providentia, maxime germanum ac simile est, regni inquam Gallici hæreditatem adire fas viris tantum est, fœminis nequaquam. Voilà pourquoi, tout comme seuls des hommes, choisis par Dieu ou par droit héréditaire, se sont assis sur le trône du royaume d’Israël ; de même, la loi divine réserve aux seuls hommes, et non aux femmes, l’héritage de ce royaume chrétien, j’entends la France, en ceci qu’il est si véritablement et si parfaitement comparable au royaume d’Israël, par la piété de son culte divin, par la sainte onction, par les douze grands et pairs du royaume, et par la protection et la providence particulières de Dieu. Quocirca Baldus in cap. 1. de feud. marchiæ Ce qui fait dire à Balde (chapitre 1, au titre De feudo Marchiæ [Des fiefs des Marches]) :

Sanguinem Franciæ ait, esse perpetuum, adeo quod si extaret unus de sanguine antiquo masculus, excluderet fœmellam in infinitum, etiamsi esset in millesimo gradu : Le sang de France, dit-il, est si profondément perpétuel que, tant qu’il subsistera un seul mâle issu du sang originel, il écartera toutes les femmes à l’infini, fût-elle une parente au millième degré ;

quod Baldi dictum plus divinum quam aureum esse asserit Vincentius Sig. in suo tractatu de fact. Princip. [de factis Principum] cap. 3 laquelle formule de Balde est qualifiée de plus divine que de l’or par Vincent Cigauld, dans son Tractatus de factis Principum [Traité sur les faits des princes], chapitre 3.

Considerate lilia agri (inquit Christus Lucæ 12.) quomodo crescunt, non laborant neque nent. Observez comment croissent les lis des champs (dit le Christ en Luc 12) ; ils ne travaillent ni ne filent.

Quibus verbis ferunt, quo tempore Philippus Valesius regnum adeptus est, conclusum esse, contra impugnantes 232legem Salicam Lilia Gallorum non deberi nisi nobilibus qui non laborant ; non nisi maribus qui non nent. C’est par ce verset, au temps où Philippe de Valois monta sur le trône, qu’on répliqua à ceux qui contestaient la loi salique : les lis de France ne doivent revenir qu’aux nobles, ceux qui ne travaillent pas, et aux hommes, ceux qui ne filent pas. Maneat igitur ex regni legisque Salicæ majestate certum ac fixum, Catharinam Francicam Caroli VI. filiam, nihil ad regnum Galliæ hæreditarii juris habuisse : ob eamque rem, etsi ex ea Anglo nubere coacta procreatus sit Henricus VI. Rex Angliæ, nihil tamen ab ea hæreditarii juris in regnum Franciæ ad Henricum sextum, aut omnino ad nomen Anglicum permanasse. Qu’il soit donc tenu pour certain et irrévocable, en vertu de la majesté du royaume et de la loi salique, que Catherine de France, fille de Charles VI, n’avait aucun droit héréditaire au royaume de France ; et que, pour cette même raison, bien qu’elle ait eu pour fils le roi Henri VI d’Angleterre, né de son mariage imposé avec l’Anglais, aucun droit héréditaire sur le royaume de France ne fut transmis d’elle à Henri VI, ni, de manière générale, à la nation anglaise. Quare et immerito Henricum VI. hoc nomine Regem Galliæ esse appellatum : et bella quæ potiundæ idcirco Galliæ ab Anglis Burgundisque contra Carolum VII. sunt gesta inique esse gesta : meritoque Gallis divinum adversus Anglos auxilium per puellam Joannam affulsisse. Il s’ensuit donc que Henri VI fut indûment nommé roi de France ; que les guerres entreprises par les Anglais et les Bourguignons contre Charles VII pour s’emparer de la France furent menées injustement ; et qu’à bon droit, le secours divin se manifesta de manière éclatante pour les Français contre les Anglais à travers la personne de Jeanne la Pucelle.

Legis Salicæ in Gallia exempla et consuetudo. Exemples et coutume de la loi salique en France

Quartum legis Salicæ columen, sunt mores et exempla antiquitatis, id est, uno verbo, consuetudo, tum ipsa per se lex, quando honesta est, tum optima legum interpres l. si de interpretatione. ff. de legib. 233cui tanquam matri reverentia est adhibenda, teste Bald. cons. 185. cum habeat vim decreti veritatis et justitiæ ex eodem Baldo cap. 1. qui feud. dare pos. [qui feudum dare possunt] et Doctorum communi doctrina in rub. de consuet. et in l. de quibus. ff. de legib. Le quatrième pilier de la loi Salique, ce sont les mœurs et les exemples de l’antiquité, c’est-à-dire, en un mot, la coutume, qui est à la fois loi par elle-même, quand elle est honnête, et la meilleure interprète des lois (loi Si de interpretatione… [Lorsqu’on veut interpréter une loi…] du Digeste [D.1.3] au titre De legibus [Des lois]) ; il faut la révérer comme une mère, nous dit Balde (consultation 185) puisqu’elle a force de décret, de vérité, et de justice, toujours d’après Balde (chapitre 1, au titre Qui feudum dare possunt [De ceux qui peuvent concéder un fief]) et d’après la doctrine commune des docteurs (à la rubrique De consuetudine [De la coutume] et dans la loi De quibus… du Digeste [D.1.3] au titre De legibus).

Tenuit autem hoc semper inter Gallos, ut summi imperii molem, viriles humeri, non fœminei sustinerent. Or ce qui a toujours prévalu parmi les Francs, c’est que la charge du pouvoir suprême repose sur des épaules masculines, et non féminines. Quo in genere ponam aliquot antiquitatis judicia et exempla. Ce que j’illustrerai par quelques jugements et exemples des temps anciens [d’autrefois]. Primum ; cum Ludovici Hutini filia, uxor Caroli Comitis Ebroicensis, sola patri superstes, paterna regna Galliæ et Navarræ, sibi ut soli et legitimæ hæredi peteret, sic ex regnorum jure divisa judicii sententia est, ut regni Navarræ, quia jure successionis in hæredes cujusque sexus transferri solet, hæres et esset et diceretur ; Regnum Galliæ non ipsi, quippe soli masculæ proli regiæ, hæreditarium, sed Philippo Longo ejus patruo, fratri Ludovici Hutini deferretur. Le premier : lorsque la fille de Louis le Hutin, épouse de Charles, comte d’Évreux, et seule survivante de son père, réclama pour elle-même les royaumes paternels de France et de Navarre en tant qu’unique et légitime héritière, la décision judiciaire fut rendue de manière distincte, conformément au droit propre à chaque royaume : elle fut reconnue et déclarée héritière du royaume de Navarre, celui-ci se transmettant par droit de succession aux héritiers des deux sexes ; mais pas du royaume de France, qui ne se transmet par héritage qu’à la lignée royale masculine, et qui revint à Philippe le Long, son oncle paternel, frère de Louis Hutin. Alterum ; Philippo Longo e vivis abeunte, nulla post se relicta virili prole, regnat, non ejus filia, sed 234Carolus Pulcher, alter ipsius Philippi Longi frater. Le deuxième : Philippe le Long ayant quitté ce monde sans laisser de descendance mâle, ce n’est pas sa fille qui régna, mais Charles le Bel, l’autre frère de ce même Philippe le Long. Tertium, cum Carolus Pulcher e vita excessisset, uxore uterum ex eo gestante, Philippus Valesius Interrex, regnive administrator dictus et constitutus est. Le troisième : lorsque Charles le Bel mourut, alors que son épouse était enceinte, c’est Philippe de Valois qui fut nommé et institué interroi ou régent du royaume. Post, mortuo posthumo Caroli Pulchri, exclusa Isabella Philippi Pulchri filia, quam Edoardus secundus Angliæ Rex uxorem duxerat ; exclusoque eodem jure Edoardo ex ea tertio, Philippus Valesius, Philippi Divi Ludovici filii nepos, supremo Parium Franciæ judicio, et sententia, Rex Galliæ renunciatus, coronatusque est : esto Isabella esset Carolo Pulchro consanguinitate propinquior, ac soror. Par la suite, à la mort du fils posthume de Charles le Bel, comme Isabelle, fille de Philippe le Bel, que le roi Édouard II d’Angleterre avait épousée, se voyait écartée ainsi que son fils Édouard III, par ce même droit, c’est Philippe de Valois, petit-fils de Philippe, fils de saint Louis, qui fut proclamé et couronné roi de France, par le jugement et la sentence suprêmes des Pairs de France, et ce, bien qu’Isabelle, sa sœur, fût plus proche parente de Charles le Bel par le sang. Froissard. volumine primo cap. 22. Carolus de Grassalio et Joannes Ferrault in suis libellis Regalium et privilegiorum regni Galliæ. Voyez Froissart, premier volume, chapitre 22 ; Charles de Grassaille et Jean Ferrault, dans leurs traités sur les prérogatives et les privilèges du royaume de France.

Tenemus igitur consuetudine regni Gallici, legisque Salicæ authoritate, nihil ex matrimonio Catharinæ Francicæ, et Henrici V. Anglorum Regis, causæ fuisse Anglis, cur aut Carolum VII. Caroli VI. 235legitimum hæredem, regno Galliæ exclusum vellent, aut id suo Henrico VI. vi et armorum motu asserere quærerent. Nous soutenons donc, tant par la coutume du royaume de France que par l’autorité de la loi salique, que le mariage de Catherine de France et du roi Henri V d’Angleterre, ne fournissait aucun motif aux Anglais pour vouloir écarter Charles VII du royaume de France, héritier légitime de Charles VI, ni pour tenter de s’en emparer au profit de leur Henri VI, par la force et le mouvement des armes. Nihil mirum itaque, si quod contra æquitatem bellum movebant, id in eorum perniciem recidit, Deo Gallicæ æquitatis propugnatore, vel per teneram puellam eorum arma ulciscente. Il n’est donc pas surprenant qu’une guerre entreprise contre le bon droit les ait menés à leur perte, Dieu, se faisant le défenseur du bon droit français, allant jusqu’à châtier leurs armées par une frêle Pucelle.

At matrimonii inquies, inter Catharinam et Henricum V. Angliæ Regem ea lex dicta erat, ut qui ex ipsis existeret, is regni Galliæ hæres esset. Pourtant, objecteras-tu, il y avait cette clause du mariage entre Catherine et le roi Henri V d’Angleterre, qui stipulait que leur enfant à naître serait l’héritier du royaume de France. Dicta sane lex ; sed a Philippo Burgundiæ Duce ira et dolore in Gallos inflammato, Regemque ipsum, Reginam, Catharinam eorum filiam, captos deditosque Anglis, in id matrimonium adigente : quod dum historiæ narrant, nimirum legis illius iniquitate narrant, quæ convellere legis Salicæ authoritatem, neque potuit, neque debuit. Certes, cette clause fut spécifiée ; mais par le duc Philippe de Bourgogne qui, enflammé de colère et de douleur contre les Français, imposa ce mariage au roi lui-même, à la reine et à leur fille Catherine, tenus en captivité et livrés aux Anglais, et les historiens qui en font état dénoncent assurément l’iniquité de cette clause, qui ne pouvait, ni ne devait piétiner l’autorité de la loi salique.

Quocirca recte olim Edoardus tertius Angliæ Rex, natus Isabella Francica, Procerum Franciæ judicio et sententiæ subscripsit, qua, præterito ipso, regnum Franciæ 236Philippo Valesio est demandatum ; eidemque se, consentiente Anglia, pro Aquitaniæ Ducatu, sacramento fidelitatis obstrinxit, anno millesimo trecentesimo vigesimo nono. C’est d’ailleurs pour cette raison que jadis, le roi Édouard III d’Angleterre, fils d’Isabelle de France, se rangea judicieusement à la décision et au jugement des pairs de France qui, l’ayant écarté, avaient confié le royaume de France à Philippe de Valois  ; et qu’en l’an 1329, avec l’assentiment de l’Angleterre, il rendit à ce dernier l’hommage de fidélité pour le duché d’Aquitaine.

Fecere etiam Angli consulte et sapienter, cum post multas utrinque clades ancipitesque victorias, tandem anno Domini millesimo quingetesimo decimoquarto, nubente Maria sorore Regis Angliæ, Ludovico XII. Francorum Regi, jus omne illi remiserunt, quod quacunque de causa sibi in regnum Galliæ, aliquando vendicarant ; idque de Procerum Angliæ communi consilio et consensu. Les Anglais firent encore preuve de discernement et de sagesse lorsque, après de nombreuses défaites et victoires indécises de part et d’autre, à l’occasion du mariage de Marie, sœur du roi d’Angleterre, avec Louis XII, roi de France, en l’an de grâce 1514, ils renoncèrent enfin en sa faveur à tout droit qu’ils avaient autrefois revendiqué sur le royaume de France, quelle qu’en fût la raison, ceci sur l’avis et avec l’accord unanime des pairs d’Angleterre. Carolus de Grassalio lib. 1. regalium Franciæ. jure 17. circa medium. Et Petrus Gregorius cap. 4. libri 45. syntagmatis juris universi. Voyez Charles de Grassaille, au livre I de la Royauté française, droit 17, vers le milieu ; et Pierre Grégoire, au chapitre 4 du livre 45 de son Recueil de droit universel.

Secundum documentum. Second enseignement

Jam hoc alterum vitæ documentum, historia ista suppeditat ; Cette histoire-là nous apporte encore cette seconde leçon de vie : Crudelitatem Deo et hominibus invisam esse ; clementiam, etiam in hostes esse laudabilem. Que la cruauté est odieuse à Dieu comme aux hommes ; que la clémence, même envers les ennemis, est digne de louanges. Ad cætera inhumanitatis exempla, quæ belli furor, Anglis in Gallos expromere persuasit, 237illud ad posteros nobilitatum est facinus, quo Joannam Lotharenam puellam, missam divinitus subsidio Galliæ, religione, pudicitia, armis, clementia nobilem, a qua de pace monita consiliaque per literas acceperant, bello captam, nullo damnatam justo crimine, teterrimo mortis genere, contra omne jus belli judiciique peremerunt, cremati corporis cineres, ne qua ejus pars inter homines superesset, in profluentem projecerunt. Parmi tous les exemples d’inhumanité que leur rage guerrière poussa les Anglais à perpétrer contre les Français, ce crime-là est passé à la postérité : ils firent périr Jeanne, la jeune Lorraine, divinement envoyée au secours de la France, célèbre pour sa piété, sa pudeur, ses faits d’armes et sa clémence, dont ils avaient reçu par lettres des avertissements et des offres de paix, l’ayant prise au combat, condamnée sans le moindre chef d’accusation légitime, à la plus atroce des morts, en violation de toutes les lois de la guerre et de la justice ; puis ils dispersèrent les cendres de son corps brûlé dans le fleuve, afin que rien d’elle ne demeurât parmi les hommes. Nam certissimi juris est milites in bello captos postquam a conflictu semel recesserunt non posse interfici, sed tanquam servos custodiri et servari, quippe a servando potius quam a serviendo appellati sunt servi : qui si occidantur, lege Cornelia de sicariis perinde occisores tenentur, ac si liberos occidissent. §. 1. de his qui sunt sui vel ali. jur. [alieni juris] apud Justin. [Justinianum] et l. 1. jam glos. [glossa] in verbo occiderit. ff. eod. tit. [eodem titulo] Guil. Bened. in cap. Raynutius in verb. [verbo] cuidam Petro tradiderunt. num. 32. et Balthazar Ayala in ca. 5. lib. 1. de jure et offic. bellic. [officiis bellicis] et disciplina mil. [disciplina militari] quid ergo mirum, si Anglis ex quo se tam immani facinore constrinxerunt, contigerint infœliciter universa, cœperintque in pejus ruere 238et retro sublata referri ? Car il est de droit très certain que les soldats faits prisonniers à la guerre, une fois qu’ils se sont retirés du combat, ne peuvent être mis à mort, mais doivent être gardés et préservés comme des esclaves, le terme esclaves [servi] venant plutôt de préserver [servando] que de servir [serviendo] ; et que s’ils sont tués, leurs meurtriers tombent sous le coup de la loi Cornélia sur les assassins [lex Cornelia de sicariis] comme s’ils avaient tué des hommes libres. (Justinien, [Institutes, I], §1, De his qui sunt sui vel alieni juris [De ceux qui sont maîtres d’eux-mêmes ou sous le pouvoir d’autrui], et Digeste [D.48.8] au même titre, loi 1 et glose sur le terme occiderit [qui aura tué] ; Guillaume Benoît, sur la décrétale Raynutius, au passage cuidam Petro tradiderunt [ils livrèrent à un certain Pierre], n°32 ; et Balthazar Ayala, De jure et officiis bellicis et disciplina militari [Du droit et des devoirs de la guerre et de la discipline militaire], livre I, chapitre 5) ; dès lors, faut-il s’étonner si les Anglais, à compter du moment où ils se sont souillés d’un crime aussi monstrueux, ont vu tout tourner au désastre, leurs affaires péricliter et leurs succès s’évanouir ? Pulchre Valerius Max. libro quinto tit. de humanitate. Valère Maxime, [Facta et dicta memorabilia, Faits et dits mémorables] livre V, titre De humanitate [De l’humanité], en parle avec justesse :

Humanitatis dulcedo etiam in efferata barbarorum ingenia penetrat, torvosque et truces hostium mollit oculos, ac victoriæ insolentissimos spiritus flectit. La douceur de l’humanité pénètre même les caractères farouches des barbares, adoucit les regards torves et menaçants de l’ennemi, et, dans la victoire, fléchit les orgueils les plus insolents. Nec illi difficile et arduum est, inter arma contraria, inter districtos cominus mucrones, placidum iter reperire. Elle se ménage sans peine ni obstacle, un passage tranquille au milieu d’armées se faisant face, au milieu d’épées déjà tirées dans la bataille. Vincit iram, prosternit odium, hostilemque sanguinem hostilibus lachrymis miscet. Elle triomphe de la colère, terrasse la haine, et mêle au sang du vaincu, les larmes du vainqueur.

Hæc ille. Ainsi parle-t-il. Hannibalem multis vitiis et sceleribus respersum, multa fidei atque ingenii inconstantia, multis fraudibus infamem historiæ loquuntur, tamen etiam Titus Livius plurimis virtutibus præditum dixit. L’infâme Hannibal, que les historiens décrivent comme marqué par de nombreux vices et crimes, par de fréquents changements de loyauté ou d’humeur, et par de multiples trahisons, possédait néanmoins des vertus remarquables, dit Tite Live. Credo, in parte, quod tantum humanitatis in pectore barbaro inveniri potuit, ut militibus ac Ducibus Romanis hostibus suis captivis honorem habuerit ; mortuis, justis parentaverit exequiis. Je pense que c’est en partie parce qu’il s’est trouvé assez d’humanité dans ce cœur barbare à l’égard de ses ennemis, les soldats et généraux romains, qu’il traita les prisonniers avec respect, et rendit aux morts de dignes funérailles. Et quidem Pauli Æmilii apud Cumas trucidati, quæsitum corpus, quantum in eo fuit, jacere inhumatum passus non est. Tiberium quoque Gracchum summo 239cum honore sepulturæ mandavit ; illius ossa in patriam asportanda, militibus Romanis tradidit ; Marci Marcelli in agro Brutio interempti, solemni ritu exequias celebravit. Ainsi, Émilius Paullus ayant été tué près de Cumes, il fit rechercher son corps et, autant qu’il le put, veilla à ce qu’il ne demeurât pas sans sépulture. Il fit également ensevelir Tibérius Gracchus avec les plus grands honneurs, et remit ses ossements à des soldats romains pour qu’ils soient rapportés dans sa patrie ; quant à Marcus Marcellus, tombé dans le Bruttium, il célébra ses funérailles selon le rite solennel. Cui proinde, ut est acute a Valerio dictum, Ce qui inspire à Valère ce propos plein de justesse :

aliquanto plus gloria Paulus et Græcchus et Marcellus sepulti, quam oppressi attulerunt : siquidem eos Punico astu decepit ; Romana mansuetudine honoravit. D’avoir offert des funérailles à Paullus, Gracchus et Marcellus, lui valut bien plus de gloire que de les avoir battus ; car s’il les trompa avec une ruse carthaginoise, il les honora avec une mansuétude romaine.

Hannibale etiam clementia superiores Romani, qui Syphacem opulentissimum Numidiæ Regem victum et captivum in custodia Tiburi mortuum publico funere efferendum censuerunt, ut vitæ dono honorem sepulturæ adjicerent. Les Romains surpassèrent encore Hannibal en clémence, car ils décrétèrent des funérailles publiques pour Syphax, le très opulent roi de Numidie, qu’ils avaient défait et fait prisonnier, et qui était mort en captivité à Tibur, afin d’ajouter l’honneur d’une sépulture après lui avoir laissé la vie sauve. Consimili clementia cum Perses Albæ, in quam custodiæ causa relegatus erat, decessisset, quæstorem miserunt, qui eum publico funere efferret ne reliquias regias jacere inhonoratas pateretur. Et, par une semblable clémence, lorsque Persée mourut à Albe, où il avait été relégué en captivité, ils dépêchèrent un questeur afin de lui offrir des funérailles publiques et que ses restes royaux ne demeurent pas sans honneurs. At illam Achillis immanitatem, quanta, apud Poëtam, cum animi indignatione legimus ? Quant à la cruauté d’Achille, avec quelle indignation du cœur la lisons-nous chez le Poète ?

Ter circum Iliacos raptaverat Hectora muros, Trois fois, Achille avait traîné Hector autour des murs d’Ilion,

240Exanimumque auro corpus vendebat Achilles. Et il vendait son corps sans vie contre de l’or.

Quanto acerbitatis sensu Asiaticos Galatas a barbarie detestamur ? de quibus sic est apud Diodorum Siculum libro quinto bibliothecæ. Et avec quelle amertume détestons-nous les Galates d’Asie pour leur barbarie ? que Diodore de Sicile décrit ainsi dans le livre V de sa Bibliothèque historique :

Cum nonnulli strenue in acie pugnarunt, tum majorum, tum suas laudes ac virtutes decantant, res hostium deprimunt, tanquam vituperatione dignas. Lorsque l’un d’eux a brillé sur le champ de bataille, ils chantent les mérites et les vertus de ses ancêtres ainsi que les siens, tout en rabaissant les ennemis comme s’ils étaient dignes de blâme. Capita hostium in acie cædentium abscissa, equorum alligant collis, in foribus domorum, cum cantu atque hymnis affigenda : quemadmodum feras solent venatu captas, Hostium nobiliorum capita aromatibus uncta in tectis condunt summa diligentia, ostendentes ea hospitibus, nulloque pretio ea, vel petentibus, vel aliis reddunt. Ils attachent les têtes tranchées des ennemis tués au combat à l’encolure de leur chevaux, afin d’en décorer les portes de leur maisons, au son des hymnes et des chants, comme ils ont coutume de faire avec les bêtes prises à la chasse ; quant aux têtes des ennemis les plus célèbres, ils les embaument avec des aromates et les conservent précieusement chez eux, les montrant à leurs invités, et ne les cédant à aucun prix, ni à ceux qui les réclament, ni à personne d’autre. Nonnulli eo jactationis provehuntur, ut pro capite tantundem pensi auri nequaquam velint accipere, barbaram hoc pacto magnitudinem animi ostentantes. Certains vont jusqu’à se vanter de ne pas vouloir échanger une tête contre son pesant d’or, ce que, barbares, ils tiennent pour une preuve de grandeur d’âme. Non enim virtutis bellicæ insignia non vendere nobile est, sed cum mortuis pugnare ferum habetur atque agreste. Évidemment, refuser de vendre ces trophées de bravoure guerrière n’a rien de noble ; en revanche, s’acharner sur les morts est sauvage et primitif.

Hæc ille. Ainsi parle-t-il. At feri isti 241et crudeles animi, sæpe etiam in hac vita, terroribus pœnisque aliis ultorem Deum sentiunt. Cependant, ces esprits sauvages et cruels ressentent fréquemment, dès cette vie, l’action du Dieu vengeur par des frayeurs et autres châtiments. Attalus Pergami Rex matrem anum et Beronicem sponsam cum occidisset, divina Nemesi persequente, nunquam postea lætum vixit diem, squalidam vestem deposito omni regio ornatu sumpsit, barbam capillumque submisit, non in publicum prodire, non populo se ostendere, non domi lætiora convivia inire, aut aliquod signum sani hominis edere visus est, prorsus ut pœnas pendere interfectorum manibus crederetur. Attale, roi de Pergame, sembla poursuivi par une vengeance divine pour avoir assassiné sa vieille mère et sa fiancée Bérénice, et ne vécut plus un seul jour heureux ; après avoir déposé tout ornement royal, il revêtit un habit de misère, se laissa pousser la barbe et les cheveux, et on ne le vit plus ni paraître en public, ni se montrer au peuple, ni donner de joyeux banquets chez lui, ni manifester le moindre signe de santé mentale ; si bien qu’on disait qu’il payait sa dette aux esprits de ses défuntes victimes. Omissa deinde regni administratione ad hortulani opera se contulit, terram fodiens, et gramina serens. Délaissant ensuite les affaires de l’État, il se consacra aux travaux de jardinier, bêchant la terre et semant des herbes. Ab hoc studio ærariæ artis fabricæ se tradidit et ære fundendo procudendoque ocium [otium] fefellit matri deinde sepulchrum facere instituit, cui operi intentus, morbo ex solis ardore contracto e vita excessit. Testis Justinus libro trigesimo sexto. Après cela, il se tourna vers la métallurgie artisanale, et trompa son ennui en fondant et façonnant le bronze ; il entreprit alors de faire un tombeau à sa mère, et tandis qu’il était absorbé par ce travail, succomba à une maladie causée par une insolation. (D’après le témoignage de Justin, au livre XXXVI.) Cambyses falsa suspicione motus, fratrem interficit, sororem in uxorem ducit, fratris neci illachrymantem [illacrimantem] 242et gravidam interemit ast ira numinis tam iniquum Regem diu regnare passa non est, nam cum in equum ascenderet, decidens ex vagina gladius ferit ei femur, quo ex vulnere post paucos dies moritur. Herodotus lib. tertio. Cambyse, mû par un faux soupçon, tue son frère, épouse sa sœur, puis la tue alors qu’enceinte, elle pleurait la mort de son frère ; mais la colère divine ne souffrit pas qu’un roi si injuste régnât longtemps : un jour qu’il montait à cheval, son épée glisse de son fourreau et lui inflige une blessure à la cuisse, dont il succombe quelques jours plus tard. (D’après Hérodote, livre III.) Aristobulus Hircani filius qui primus se Regem post reditum ex Babylone nominavit : cum Antigonum fratrem virum præstantem regnum adpetere suspicaretur, eum una cum matre quam fratris adjutricem existimabat interfici curavit : postea cum stimulante conscientia nullam quietem capere posset, et magnis angoribus, in locum fraternæ cædis se gestari jussit ibi sanguinem vomens prodigioso vitæ exitu extinctus est. Josephus lib. duodecimo antiquit. [Antiquitatum] Aristobule, fils d’Hyrcan, fut le premier à se proclamer roi depuis le retour de Babylone ; comme il soupçonnait son frère Antigone, homme de grande valeur, de convoiter la couronne, il le fit assassiner, ainsi que sa mère qu’il croyait complice de son frère ; par la suite, rongé par le remords, incapable de trouver le repos, et en proie à de grandes angoisses, il ordonna qu’on le transportât sur les lieux même du meurtre de son frère ; là, il mourut d’une manière prodigieuse, en vomissant du sang. (D’après Josèphe, au livre XII de ses Antiquités.)

Haud omnino his dissimili ratione, senserunt Angli in hac causa, Gallorum dolorem et injurias ulciscentem Deum, dati conspicue in timorem, trepidationeque dissoluti, ubi in armis fulgens Puella Joanna eorum copiis propinquaret. D’une façon somme toute assez semblable, les Anglais, en cette affaire, sentirent que Dieu vengeait les douleurs et injustices infligées aux Français, car à l’instant où Jeanne la Pucelle, éclatante en armes, s’approchait de leurs troupes, ils étaient clairement pris de frayeur et figés d’effroi. Cujus nos rei locupletes testes ante adduximus. Faits pour lesquels nous avons déjà fourni des témoins dignes de foi.

243 Tertium documentum. Troisième enseignement

Tertium documentum est. Le troisième enseignement est le suivant : Non bellico apparatu neque humanis viribus, sed propitio Dei favore victorias parari. Que ce n’est ni par les armes de guerre, ni par les moyens humains que s’obtiennent les victoires, mais par la grâce bienveillante de Dieu. Quis enim non crederet, Anglis jam media in Gallia, mediaque Lutetia regnantibus, scissis in factiones Gallorum studiis, consociante arma cum Anglo, potentissimo Burgundiæ Duce, destituto a suis Carolo VII. totam Galliam brevi in Angli ditionem esse venturam ? Qui, en vérité, n’aurait pas cru, alors que les Anglais régnaient déjà au cœur de la France et de Paris, alors que les Français étaient divisés en factions rivales, alors que le très puissant duc de Bourgogne avait allié ses forces à celles de l’Anglais, et que Charles VII était abandonné par les siens : qui n’aurait pas cru que la France toute entière tombât bientôt sous domination anglaise ? Ast aliter visum superis ; uniusque puellæ Deo Duce in Galliam adventu, erepta Anglo Gallia est ; sibi suoque legitimo Regi restituta. adeo humana consilia spectanti, necesse est Thucydideum illud verum videri ; Mais le Ciel en décida autrement, et par la seule venue en France d’une jeune fille guidée par Dieu, la France fut arrachée à l’Anglais et rendue à elle-même et à son roi légitime ; de sorte que, pour qui se plaît à contempler les affaires humaines, cette sentence de Thucydide doit paraître fort vraie :

Perraro bellum eo quo evasurum prædicatur, evadit. Il est bien rare que la guerre se termine comme on l’avait prédit.

Semiramis ingentis animi mulier, cum Nino marito defuncto, regni Assyriorum administrationem filii nomine suscepisset, mariti famam, quiad Indum usque arma promoverat, et totam Asiam excepta India sibi subjecerat, rerum gerendarum gloria antecellere cupiens, 244cum innumerabilibus copiis India adorta, quarum vi et armis ad Oceanum viam sibi patefaceret, variis cladibus affecto exercitu, domum redire coacta est ; adeo non gloriam retulit, ut summum sibi dedecus pepererit ; ex omnibus enim copiis haud supra viginti viros incolumes secum reduxit. Strabo lib. 15. Sémiramis, femme à l’ambition démesurée, avait pris la régence du royaume d’Assyrie au nom de son fils, après la mort de son époux ; désireuse de surpasser par la gloire des exploits, la renommée de son mari qui avait poussé ses armes jusqu’à l’Indus et soumis toute l’Asie hormis l’Inde, elle se lança avec d’innombrables troupes à la conquête de l’Inde, espérant, par leur puissance et leurs armes, s’ouvrir un chemin jusqu’à l’Océan ; mais, après maintes défaites, elle fut contrainte de rentrer chez elle ; et loin de rapporter la gloire, elle s’attira la plus grande honte, car de toutes ses forces, elle ne ramena guère plus d’une vingtaine d’hommes sains et saufs. (D’après Strabon, livre XV.) Cyrus Persarum Rex non satis gloriæ se assequutum [assecutum] ratus, translato ad se Medorum, qui Assyriis successerant imperio nisi illorum etiam conatus superaret, in Indiam cum justo exercitu expeditionem suscepit : verum tam tristi eventu ut vix cum septem militibus ad suos redierit. Cyrus, roi des Perses, estimant que l’annexion de l’empire des Mèdes, successeurs des Assyriens, ne lui rapportait pas assez de gloire tant qu’il n’aurait pas également surpassé leurs exploits, entreprit une expédition en Inde avec une armée en règle : mais l’issue fut si funeste qu’il ne revint parmi les siens qu’avec sept soldats. Haud magis fortunata Persarum, Dario Hystaspis filio regnate, in Atticam expeditio fuit. L’expédition des Perses en Attique, sous le règne de Darius, fils d’Hystaspe, ne fut guère plus heureuse. Cum enim peditum centum millia, equitum decem millia in eorum exercitu essent tamen a decem millibus Atheniensium, et mille Platænsibus nullo prope negotio devicti sunt : etenim prima tantum illorum acies hostibus obvertit ora, neque ipsa quidem satis constanter pugna excepit, media et 245postrema vix hoste conspecto, præcipiti et fœda fuga classem repetierunt, ac præpediente multitudine, cum naves conscendere non possent, miseri Persæ instar pecorum ab Atheniensibus, qui tergis instabant sunt trucidati. Car, malgré une armée forte de cent mille fantassins et dix mille cavaliers, ils furent aisément défaits par dix mille Athéniens et mille Platéens ; en effet, seule leur première ligne affronta l’ennemi, sans opposer une résistance suffisamment ferme ; et dès que les lignes du centre et de l’arrière virent l’adversaire, elles prirent la fuite vers la flotte dans un désordre honteux, mais, entravés par leur nombre et incapables d’embarquer, les infortunés Perses furent massacrés comme du bétail par les Athéniens qui les pourchassaient. Sed et Darii et Xercis duorum apud Persas, Medosque, potentissimorum Regum, notior est bello accepta calamitas (quanquam militum nimbos veherent) quam ut commemoratione nostra egeat. Mais le désastre que subirent à la guerre Darius et Xerxès, ces deux rois si puissants des Perses et des Mèdes (malgré leurs nuées de combattants), est trop connu pour avoir besoin que nous la rappelions. Moabitis et Ammonitis qui Arabes in societatem adsciverant Judæam aggressis cum Josaphat suis rebus diffisus divinam opem imploraret, Propheta Jahaziel bono cum animo esse jussit, et magnis hostium copiis nequaquam terreri, Deum pro Rege populoque suo pugnaturum, Rex Prophetæ verbis recreatus suos in acie stare jubet, Sacerdotes cum tubis ante ordines consistere, Levitas et cantores hymnos et laudes Domino canere, quietosque quid Deus facturus esset expectare. Alors que les Moabites et les Ammonites, ayant rallié les Arabes à leur cause, avaient attaqué la Judée, et que Josaphat, désespérant de ses propres forces, implorait le secours divin, le prophète Yahaziel lui ordonna de reprendre courage et de ne point craindre les nombreuses troupes ennemies, car Dieu combattrait pour le Roi et son peuple ; rassuré par les paroles du prophète, le Roi ordonna à ses hommes de se ranger en ordre de bataille, aux prêtres de se poster avec leurs trompettes devant les lignes, aux Lévites et aux chantres d’entonner des hymnes et des louanges au Seigneur, et à tous d’attendre en silence l’action de Dieu. Cum itaque suspensis animis divinum auxilium præstolarentur, repentino tumultu concitati hostes mutuis cædibus se confecere, tam effera 246rabie congressi, ut ne unus quidem ex tam numerosis copiis superfuerit. secundo Paralip. [Paralipomenon] cap. vigesimo. Comme ils attendaient ainsi l’aide divine, le cœur en suspens, un tumulte s’éleva soudain parmi les ennemis, qui commencèrent à s’entre-tuer, se livrant à un carnage d’une telle fureur qu’il ne resta pas un seul survivant de leurs armées considérables. D’après II Paralipomènes [Chroniques], chapitre 20. Jonathas, Saulis filius, uno duntaxat comite adjutus, Philistæorum castra noctu ingressus, passim cum cæde pervagatus, tantum eis pavoris injecit, ut cum omnia ab hoste teneri crederent in fœdam fugam omnes conversi sint. cap. decimoquarto libri primi Regum. Jonathan, fils de Saül, s’introduisit de nuit avec un seul compagnon dans le camp des Philistins, le parcourant et semant la mort de toutes parts ; persuadés que l’ennemi s’était rendu totalement maître des lieux, ceux-ci furent saisis d’une telle frayeur que tous s’enfuirent dans le plus infâme désordre. D’après I Samuel, chapitre 14. Denique Balduinus Gothofredi Buillonæi frater, et in regno Hierosolymitano successor, cum illud contra Mahumetanos defenderet, ducentis sexaginta equitibus tantum, peditibus nongentis stipatus, Calyphæ exercitum ; in quo equitum novem millia, peditum viginti millia erant, tam egregie vicit ut in uno conflictu equitum quinque millia præter pedites trucidarit. Baptista Egnat. [Egnatius] lib. tertio. Enfin Baudouin, frère de Godefroy de Bouillon et son successeur à la tête du royaume de Jérusalem, alors qu’il défendait celui-ci contre les Mahométans avec seulement deux cent soixante cavaliers et neuf cents fantassins, obtint une victoire si éclatante sur l’armée du Calife, forte pourtant de neuf mille cavaliers et vingt mille fantassins, qu’en une seule bataille, il fit périr cinq mille cavaliers, sans compter les fantassins. (D’après Battista Egnazio [Baptiste Égnace], livre III.)

Quartum documentum. Quatrième enseignement

Quartum documentum est. Le quatrième enseignement est le suivant : Rebus afflictis ac dubiis, certius a Deo sperandum auxilium, spemque in eo collocandam 247esse alacrius. Que dans les situations difficiles et incertaines, c’est de Dieu qu’il faut espérer le secours avec plus d’assurance, et en lui qu’il faut placer son espérance avec plus d’empressement. Non utar ad hoc confirmandum, illo Agathiæ verbo, Pour étayer cela, je ne recourrai pas à cette sentence d’Agathias :

Amat Deus in extrema angustia constitutos, modo ne sint improbi. Dieu aime ceux qui sont réduits à une extrême détresse, pourvu qu’ils ne soient pas méchants.

Utar illo potius Dei ad unumquemque nostrum, illo in tempore, salutari hortatu : Je me servirai plutôt de cette exhortation salutaire que Dieu adresse à chacun de nous en ces moments-là :

Invoca me in die tribulationis, eruam te, et honorificabis me. Psal. 49. Invoque-moi au jour de détresse : je te délivrerai, et tu me rendras gloire. (Psaume 49.)

Dabo vero hujus documenti certissimum testem Carolum septimum qui tum desperatissima in re sua, præsentius Dei auxilium est expertus, tum Deo optimo maximo laudes gratiasque dixit publicas ; et morum in melius conversione, Deo bonorum omnium auctori honorem eum habuit, quem ille a nobis potissimum expetit. Et comme illustration la plus parfaite de cet enseignement, je citerai l’exemple de Charles VII qui, au comble du désespoir, fit d’abord l’expérience la plus palpable du secours de Dieu, puis rendit à Dieu très bon et très grand, des louanges et des actions de grâce publiques, et, en corrigeant ses mœurs, offrit à Dieu, source de tous biens, cet honneur qu’il réclame de nous par-dessus tout. Plenæ sunt horum exemplorum sacræ historiæ, plena Davidis vita, plena Machabæorum prælia, pleni Judicum et Regum libri. Les saintes Écritures sont pleines de ces exemples ; la vie de David en est pleine, les combats des Maccabées en sont pleins, tout comme en sont pleins les livres des Juges et des Rois. Unum illud de historia Ecclesiastica hic repetam. Je n’en rappellerai ici qu’un seul, tiré de l’histoire de l’Église. Attila Hunnorum Rex expugnata Aquileia, ac solo æquatis Concordia, Batavio [Patavio], Tarvisio, Opitergio, Altino vicinis urbibus in Italia metu perculsam 248vastabundus se effundebat, Romam imprimis quam ad exemplum Alarici immaniter deformare, et barbaris prædæ exponere decreverat. Attila, roi des Huns, après avoir pris Aquilée et rasé les villes voisines de Concordia, Padoue, Trévise, Odérzo et Altinum, ravageait l’Italie, semant la terreur, et visait particulièrement Rome, qu’il s’était juré de défigurer sauvagement, à l’instar d’Alaric, et de la livrer au pillage des barbares. Jam urbi appropinquabat, cum Leo Pontifex Romanus cum simplici Antistitum et Patritiorum ordine in tiara, sacerdotalique amictu ad eum supplex accedit. Déjà il approchait de la ville, lorsque le pape Léon, revêtu de la tiare et des ornements sacerdotaux, et accompagné d’un simple cortège d’évêques et de patriciens, vint à sa rencontre en l’implorant. Qui cum pro Romanorum et totius Italiæ salute deprecaretur, videt ipse Attila duos augustiore specie Heroes qui a dextra lævaque supplicantis Leonis, vibratis gladiis sibi necem, nisi piis precibus annueret minitabantur. Et tandis que celui-ci tentait d’intercéder pour le salut des Romains et de toute l’Italie, Attila eut la vision de deux figures d’une majesté surnaturelle encadrant Léon en prière, l’une à la droite, l’autre à la gauche, brandissant leurs glaives et le menaçant de mort s’il n’accédait pas à ses pieuses requêtes. Territus hoc ostento tyrannus, relicto Italiæ solo in Panonias reducit exercitum. Terrifié par cette apparition, le tyran abandonna le sol d’Italie et ramena son armée en Pannonie. Paulus Diaco. [Diaconus] libro decimoquinto rerum Roman. [Romanarum] (D’après Paul Diacre, livre XV de son Histoire romaine.)

Quintum documentum. Cinquième enseignement

Quintum documentum est. Le cinquième enseignement est le suivant : Piis mentibus non id spectandum esse in hac vita, ut equabili semper rerum prosperitate utantur : providendum iis id esse, ut quæcunque fuerit rerum 249conversio, nullam virtutis imminutionem admittant. Que les âmes pieuses ne cherchent point à maintenir une prospérité constante en ce monde ; qu’elles s’attachent plutôt à garder intacte leur vertu, quelles que soient les fluctuations de leur condition. Spectatum id est nostra in Joanna, quam in hostium potestatem belli casus adduxit ; ipsa inter hostes, conspectiora dedit exempla constantiæ et virtutis. C’est ce que nous avons vu chez notre Jeanne, livrée à l’ennemi par les hasards de la guerre, et qui, parmi les ennemis, offrit des témoignages de constance et de vertu plus éclatants encore.

Virescit vulnere virtus. La vertu fleurit par la blessure.

Seneca libro de providentia, Dans son essai sur la Providence, Sénèque dit :

Calamitas, virtutis occasio est. Quid mirum, si dure generosos spiritus Deus tentat ? nunquam virtutis molle documentum est. Quos Deus probat, quos amat, hos indurat, recognoscit, exercet, eos autem quibus indulgere videtur, quibus parcere, molles venturis malis servat. Le malheur est une opportunité pour la vertu. Quoi d’étonnant à ce que Dieu soumette les âmes nobles à de rudes épreuves ? Car la vertu ne se révèle jamais dans la mollesse. Ceux que Dieu aime et met à l’épreuve, il les endurcit, les examine et les aguerrit ; mais ceux qu’il semble épargner ou traiter avec indulgence, il les laisse mous, vulnérables aux maux futurs.

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