A. Vallet de Viriville  : Charles du Lys, opuscules historiques relatifs à Jeanne d’Arc (1856)

Livre : I. Traité de 1610

1De l’extraction et parenté
de la Pucelle d’Orléans

3De l’extraction et parenté

de la Pucelle d’Orléans

avec la généalogie de ceux qui se trouvent aujourdhuy descendus de ses frères, l’an 1610

Jacques ou Jacob Darc, père de ladite Pucelle, fut natif du village de Sermaize, près de Vitry-le-François, en Champagne40, ainsi surnommé plus communément par les historiens, et néantmoins appellé Day41 par la chartre de son ennoblissement 4de ladite Pucelle et de ses frères : comme aussi par quelques autres tiltres et historiens qui luy attribuoient ce nom de Day plustost que Darc : et principalement en Normandie, où se trouve grand nombre des descendans du père et des frères de ladite Pucelle, l’un desquels est encore aujourd’huy gardien et dépositaire de l’original de ladite charte d’ennoblissement, sain et entier.

Eut pour femme et espouse Isabel Romée, appelée vulgairement par le langage grossier du pays Zabillet, qui avoit vne sœur nommée Aveline, mariée à vn nommé Roger, desquels est descendu Jean Roger, qui s’est faict ennoblir depuis, en conséquence de ceste alliance et parenté.

Et ont esté mariez demeurans et enterrez tous deux au village de Domp-Remy, duquel estoit 5natifve et habitante ladite Isabel Romée, qui est vn secours ou hameau dépendant de la parroisse de Greux : comme il est escrit au livre des obits dudit lieu, en ces mots : Jacob Darc et Zabillet sa femme ont donné au curé de Dompremy chacun deux gros barrois par an pour leurs obits, l’an 148242. Et sont lesdits deux villages, de France, souz vne parroisse et secours de parroisse, en partie du bailliage de Chaumont-en-Bassigny, et en partie du bailliage de Bar-en-Barrois, estans lesdits deux villages de Greux et Dompremy situez entre lesdits deux bailliages, sur vn ruisseau qui les sépare et divise, et lesdits deux bailliages entièrement souz la souveraineté et hommage de la couronne de France, et au ressort de la jurisdiction du Parlement de Paris, en la prévosté de 6Vaucouleurs pour ce qui est de Chaumont, et de Gondrecourt pour ce qui est au ressort du bailliage de Bar, le tout au diocèse de Toul.

Ont eu plusieurs enfans, dont ils n’en ont laissé que quatre à la mémoire et cognoissance des historiens43, sçavoir est trois fils et une fille44, nommez et engendrez par cet ordre, que Jacques fut le premier nay, Jean le second, Jeanne ou Jeannette la troisième, et Pierre le dernier.

Ceste fille fut inspirée de Dieu, et par luy suscitée et envoyée en l’aage de dix-huict ans seulement, sur la fin de l’année 142845, vers le roy Charles septiesme pour le secourir et la France contre les Anglois, comme en appert amplement par le tesmoignage de tous les historiens qui ont escrit de son temps. Et pour cela fut appellée pour lors et premièrement, la Pucelle de France, comme il se voit par la pluspart des tiltres, chartes et contracts du temps, faisant mention d’elle ou de ses frères qui furent favorisez et recommandez à cause d’elle, souz ceste qualité de Jeanne leur sœur, appellée la Pucelle de France. Ne fut appellée 7Vierge, combien qu’elle le fust de faict et de vœu, peur d’approcher trop ambitieusement du nom incomparable de la très-précieuse Vierge Marie.

Et néantmoins depuis par les historiens elle a esté et est aujourd’huy plus communément appellée la Pucelle d’Orléans, à cause de la gloire qui luy est plus particulièrement attribuée, et à elle seulle quasi, de la levée du siége de ladite ville, qui avoit esté par sept mois assiégée dès le 12 octobre 1428, et fort pressée par les Anglois, sans espérance d’autre secours que d’elle, qui y entra le 29 avril 1429, après Pasques, et fit lever le siége le septiesme may ensuivant, en huict jours seulement, comme il se recognoist plus particulièrement par les historiens qui en ont escrit.

Elle fut premièrement annoblie par le Roy, en faveur de la levée du siége de ladite ville d’Orléans ; ensemble sesdits père et mère, avec ses trois frères, tous dénommez par les lettres patentes en forme de chartres, données à Meun-sur-Yèvre, au mois de décembre 1429, registrées en la Chambre des Comptes de Paris, lors transférée à Bourges, le 16 janvier ensuivant audit an 142946, comme aussi fut annoblie par lesdites lettres toute sa postérité, non d’elle qui avoit voüé virginité, mais desdits père et mère, et de ses trois frères, tant en ligne 8masculine que féminine ; comme il se practique et est confirmé en tous leurs descendans, tant du costé et ligne des masles, que des femmes seulement ; principalement en Normandie, par plusieurs lettres de déclaration et confirmation des rois successeurs dudit roy Charles septiesme, et par plusieurs arrests de la Cour des Aydes audit pays de Normandie.

Et depuis, en faveur aussi du sacre du roy faict à Rheims, par le conseil de ladite Pucelle, et soubs sa principale conduite, déclarant et persévérant tousjours avoir esté envoyée de Dieu pour cet effet, le Roy voyant la faveur céleste et générosité qui assistoit ladite Pucelle, luy donna pouvoir et à ses frères de porter le lys, tant en leurs noms qu’en leurs armes, ce qu’ils acceptèrent, et ont continué iusque aujourd’huy.

Jacques, donc son frère aisné, fut appellé Jacquemin, du vivant de son père, pour les distinguer ensemble, pour ce que le père portoit le mesme nom, comme qui diroit Jacques le ieune ou le petit Jacques. Et de ce premier frère aisné de la Pucelle, ne s’en trouve beaucoup de mémoire, pour ce qu’il demeura sur les lieux, quand sa sœur vint en France, accompagnée de ses deux autres frères, et y est mort sans enfans auparavant ses deux autres frères.

Jean, second frère, se fist nommer du Lis, suivant 9la permission du Roy, fut pourveu de l’office de prévost à Vaucouleurs, par la libéralité du mesme roy Charles septiesme. C’estoit alors le plus grand et bel office de la plus proche ville du lieu où il estoit natif, qui est le village de Dompremy, en la prévosté de Vaucouleurs. Il mourut audit Vaucouleurs, y ayant longtemps exercé ledit office, iusques en l’an 1460.

Laissa trois enfans audit Vaucouleurs, Estienne, Claude et Nicolle ; dudit Claude est descendu Thévenin : dudit Thévenin est descendu Didier du Lis, qui fut gendarme de la compagnie de ce grand duc de Guise, lequel fut tué deuant Orléans, l’an 1562. Dudit Didier du Lis sont descendus cinq enfans, l’aisné nommé Claude, qui fut bénéficier et curé de Dompremy, et s’est tousjours nommé par ses escrits et tiltres en latin Claudius à Lilio ; le second, Anthoine, lieutenant d’artillerie de Monsieur le duc de Lorraine : Nicolas et François, décédez sans enfans, et une fille nommée Didon du Lis, vivante à Dompremy.

De cet Antoine sont descendus deux frères, braves gentilshommes, l’un demeurant audit Vaucouleurs, et l’autre marié en Lorraine à la fille du lieutenant des gardes de Monsieur le duc de Lorraine.

De ladite Didon du Lis est descendu M. Claude Noblesse, à présent curé dudict Dompremy, et y demeurant avec sa mère. Vray est qu’ils escrivent 10et prononcent aucuns d’eux à la modedu langage grossier du pays, Dalis pour du Lis, comme ils escrivent de mesme façon, une fleur dalis pour une fleur de lis.

Pierre, troisiesme et dernier frère de ladite Jeanne la Pucelle, fut appelé premièrement Pierrello, comme qui diroit Pierrot ou petit Pierre, selon le langage du pays, pour ce qu’il estoit le plus jeune et le dernier de tous ses frères, et se trouve ainsi nommé encore par les lettres d’ennoblissement : mais depuis ayant suivy la profession des armes, print et porta le nom du Lis, suivant la susdite permission du Roy : fut faict chevalier, et courut de grandes fortunes de guerre, comme il se void amplement exprimé par des lettres patentes du duc d’Orléans, le 28 juillet 1443, vérifiées par M. Jean le Fuzelier, général conseiller ordonné par ledit sieur duc d’Orléans sur le faict et gouvernement de toutes ses finances, le lendemain 29 dudit juillet, par lesquelles ledict sieur duc donne en ces mots : A messire Pierre du Lis, Chevalier, frère germain de la Pucelle de France, Jeanne, en faveur des services qui y sont mentionnez, une isle size sur la rivière de Loire, en la parroisse de Chécy, près d’Orléans, appellée l’Isle-aux-Bœufs, pour en jouyr la vie durant de luy et de Jean du Lis, son aisné fils, ainsi que le tout est fidèlement rapporté au compte du 11domaine d’Orléans, rendu pour l’année finie à la sainct Jean 1444, clos le 15 février 1446, au feuillet 32, et continuellement attesté par les autres comptes subséquens de près de cent années, qui sont tous en la Chambre des Comptes de Paris.

Le procès de révision et justification de ladite Pucelle Jeanne, fut faict et jugé l’an 1456, à la poursuitte dudit Pierre, son frère principalement, quasi tousjours présent ; et y assistant leur mère ; en ladite qualité de chevalier, avec procuration dudit Jean, prévost de Vaucouleurs, son frère, comme il se void audit procés.

Ce Pierre du Lis, chevalier, laissa trois enfans, deux fils et une fille. Jean du Lis, l’aisné, dict la Pucelle, comme il est ainsi appellé et qualifié par la pluspart de ses tiltres et contracts, espousa damoiselle Jeanne de Prouville, et fut premièrement demeurant en la parroisse de Sandillon, au lieu de Bagneaux, puis fut seigneur de Villiers en la parroisse d’Ardon en Sollogne, où il mourut sans enfans, ayant vendu sa terre, à la charge d’en jouyr sa vie durant. Il se trouve par les historiens et journaux du temps, qu’il alloit tous les ans à Orléans, le jour qu’on y célèbre la feste de la délivrance de ladite ville, qui est le huictiesme jour de may, et avoit l’honneur de marcher le premier à la procession solennelle qui s’y faict 12auditjour, comme estant nepveu de ladite Pucelle, et l’on portoit devant luy un grand cierge allumé, auquel estoit attaché le portraict et effigie d’icelle Pucelle.

Autre Jean du Lis le jeune et puisné, qui suivit la profession des armes, fut envoyé et nommé par le roy Loys unziesme pour estre l’un des eschevins en la ville d’Arras, lorsqu’il la voulut repeupler, et restablir les grandes ruines qu’elle avoit souffert pendant les guerres, ainsi qu’il appert et est dénommé par les lettres patentes dudit roy Loys unziesme, contenant les grands priviléges octroyez pour le rétablissement de ladite ville, données à Chartres, au mois de juillet 1481, registrées et vérifiées en la Cour des Aydes de Paris, le 10 septembre ensuivant. Là fut eschevin en ladite année 1481 et l’an suivant 1482, et l’an 1483 eut lettres et don de bourgeoisie de laditte ville. Mais comme, depuis, ladite ville d’Arras fut soubstraite de l’obéyssance des Roys de France, il s’en retira et s’habitua en la ville de Lihons en Santerre, où il eut plusieurs enfans, et entre autres Jean du Lis, advocat au parlement de Paris, eut pareillement plusieurs enfans, entre lesquels Michel du Lis, valet de chambre et chirurgien ordinaire du roy Henry second, après la mort dudit Roy, son maistre, s’habitua à Paris, où il a laissé Charles du Lis, Conseiller et Advocat 13général du roy en la Cour des Aydes à Paris47, Luc du Lis, son frère, aussi Conseiller et secrétaire du Roy.

La fille fut nommée Marie du Lis, qui espousa François de Villebresme, Receveur du domaine d’Orléans par l’espace de plus de 25 ans, et jusques en l’an 1500, qu’il mourut ; François estoit fils d’un nommé Jean de Villebresme, et laissa une fille nommée Marie de Villebresme, qui fut mariée à Jacques Fournier, lequel la mena demeurer en la ville de Caen, en Normandie, d’où il estoit.

Dudit Jacques Fournier et Marie de Villebresme, sont descendus plusieurs enfans demeurans en Normandie, et trois entre autres, Robert, Charles et Jeanne.

Ce Robert fut premièrement receveur des tailles à Caen, puis Baron de Tornebus48, et obtint lettres de confirmation et déclaration de sa noblesse, à cause de son ayeulle maternelle, niepce de ladite Pucelle d’Orléans, données à Rouen, au mois d’octobre 1550, registrées en la Chambre des Comptes à Paris, le dernier avril 1554. Et depuis obtint autres patentes plus expresses pour estre maintenu en ladite noblesse, bien qu’il ne fust descendu du 14frère de ladite Pucelle que par ligne féminine seulement, qui sont en grand’connoissance de cause, données à Fontainebleau, le deuxiesme juillet 1556, vérifiées en la Cour des Aydes de Normandie, le 13 décembre 1608. Et en conséquence desquelles, il fut déclaré exempt des francs-fiefs et nouveaux acquests, par arrest contradictoire et fort solennel, donné le 27 décembre 1565, par les commissaires députez pour juger en dernier ressort les francs-fiefs et nouveaux acquests.

Charles Fournier, son frère, fut lieutenant général en la viconté de Caen, qui eut un fils, Jacques Fournier, successeur audit office, et dudit Jacques est yssu Josias Fournier, sieur d’Allemagne, riche gentilhomme demeurant à Caen.

Jeanne Fournier, leur sœur, espousa Lucas du Chemin, sieur du Feron, duquel elle eut un fils portant le mesme nom, qui a laissé deux fils vivants sans enfans et trois filles, l’une Denise du Chemin, mariée à Nicolas Le Verrier, duquel elle a eu Guillaume Le Verrier, sieur de Touille, demeurant près Barneville en Contantin, qui, par arrest de l’an 1599, s’est faict descharger de trois cent cinquante escus à quoy il estoit taxé pour les francs-fiefs et nouveaux acquests : les deux autres filles, richement pourveuës, ont laissé grandes familles, tous ennoblis et jouyssans des privileges de noblesse à cause d’elles.

15Et en secondes nopces ladite Jeanne Fournier espousa monsieur Estienne Patrix, Conseiller au Parlement de Rouen, duquel entre autres enfans, elle eut damoiselle Magdelaine Patrix, mariée à Jean Ribault, sieur du Mesnil, dont est yssue damoiselle Charlotte Ribault, aujourd’huy femme de M. Thomas de Troismonts, Conseiller au présidial de Caen, qui a obtenu lettres confirmatives de sa noblesse à cause de ladite Pucelle d’Orléans, où la susdite généalogie est amplement exprimée, vérifiée en la Cour des Aydes de Rouen, avec grande cognoissance de cause, par arrest du 13 décembre 1608.

Et se peut dire que les deux damoiselles susdites, Marie de Villebresme, arrière-niepce de ladite Pucelle d’Orléans, et Jeanne Fournier, fille de ladite Villebresme ont peuplé la Normandie, ès pays de Contentin et de Caen, de beaucoup de familles ennoblies à cause d’elles, et de leur estoc féminin, en conséquence des lettres d’ennoblissement de ladite Pucelle d’Orléans, et de ses frères, et de leur postérité, tant masculine que féminine ; ce qui a tousjours esté très rare en France, et l’est encores aujourd’huy plus que jamais.

Notes

  1. [40]

    Dans le discours et dans le traité sommaire du nom etc., Charles du Lis abandonne ou corrige la notion ici énoncée. Ce n’est plus à Sermaise, mais à Ceffonds, qu’il place le lieu de naissance de Jacques Darc, père de la Pucelle. — V.

  2. [41]

    Du temps de Charles du Lis, l’original des lettres d’anoblissement de sa famille était en Normandie, entre les mains d’une branche alliée par les femmes. Mais il en existait une copie récente et authentique insérée au Trésor des chartes, à Paris, copie qui subsiste encore à la direction générale des Archives. Or, cette copie, pleine de fautes, avait altéré le nom de la famille qui s’y trouve écrit : Day. Cette même copie avait déjà été imprimée par les historiens et avait propagé cette leçon vicieuse. On trouvera, relativement à cette particularité, des éclaircissements développés dans mes Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne Darc, etc. Paris, Dumoulin, 1854, in-8°, page 16, Nos 2 et 3, et page 30. — V.

  3. [42]

    Ce passage a été également supprimé par Du Lis dans ses deux dernières éditions. Il contient, en effet, la trace de renseignements inexacts : Jacques Darc était mort vers 1431 et Isabelle Romée en 1458. Je croirais volontiers que cette erreur-ci provient non pas d’une notion essentiellement fausse, mais de quelque faute de lecture ou de rédaction. Sur l’obituaire de Donremy, consulté ou allégué par Du Lis, il y avait sans doute en regard du jour et du mois :

    Jacob Darc et Zabillet, sa femme.

    Puis, au dessous :

    [N. N.] (Claude du Lis, fils de Jean du Lis et Nicole Thiesselin, sa femme ?) ont donné chacun deux gros barrois pour leurs obits, l’an 1482.

    V.

  4. [43]

    Cette réserve est parfaitement judicieuse. Ainsi le procès de condamnation nous apprend que la Pucelle avait eu une sœur nommée Catherine. Mais elle mourut avant l’anoblissement et n’a pas été connue des historiens. — V.

  5. [44]

    Cf. note précédente.

  6. [45]

    Du Lis suit ici l’ancien style ou comput des historiens du quinzième siècle. La venue de Jeanne est de 1429, N. S. — V.

  7. [46]

    Ancien style. — V.

  8. [47]

    Auteur de ce mémoire. — V.

  9. [48]

    Tournebut (Manche). — V.

page served in 0.027s (0,9) /