Tome 2 : III. Cause de relapse
289La cause de relapse581.
Lundi 28 mai.
Item582, le lundi suivant, 28 mai, le lendemain de la Sainte-Trinité, nous, juges susdits, nous rendîmes dans la prison de Jeanne, pour voir son état et disposition. Là furent présents seigneurs et maîtres Nicolas de Venderès, Guillaume Haiton, Thomas de Courcelles, frère Ysambard de La Pierre, Jacques Le Camus583, Nicole Bertin584, Julien Flosquet585 et John Grey.
Or, comme ladite Jeanne était vêtue d’un habit d’homme, savoir robe courte, chaperon, pourpoint, et autres vêtements à l’usage des hommes (cet habit, elle l’avait cependant naguère rejeté, sur notre ordre, et avait pris habit de femme), nous l’avons interrogée pour savoir quand et pourquoi elle avait repris cet habit d’homme. Cette Jeanne répondit qu’elle avait naguère repris ledit habit d’homme et laissé l’habit de femme.
Interrogée pourquoi elle avait pris cet habit, et qui le lui avait fait prendre, répondit qu’elle l’avait pris de sa volonté, sans nulle contrainte, et qu’elle aimait mieux l’habit d’homme que celui de femme.
Item lui fut dit qu’elle avait promis et juré de ne pas reprendre ledit habit d’homme. Répondit qu’onques n’entendit qu’elle eût fait serment de ne pas le prendre.
Interrogée pour quelle cause elle l’avait repris, répondit [qu’elle l’avait fait] parce qu’il lui était plus licite de le reprendre et [plus convenable] d’avoir habit d’homme, étant entre les hommes, que d’avoir l’habit de femme. Item dit qu’elle l’avait repris parce qu’on ne lui avait pas tenu ce qu’on lui avait promis, c’est assavoir qu’elle irait à la messe et recevrait son Sauveur, et qu’on la mettrait hors des fers.
Interrogée si elle n’avait auparavant abjuré, et spécialement juré de ne pas reprendre cet habit d’homme, répondit qu’elle aimait mieux 290mourir que d’être aux fers ; mais si on veut la laisser aller à la messe et ôter hors des fers, et la mettre en prison gracieuse [et qu’elle ait une femme586], elle sera bonne et fera ce que l’Église voudra.
Item, comme certains nous avaient rapporté, à nous les juges, qu’elle n’était point encore détachée des illusions de ses prétendues révélations, auxquelles elle avait précédemment renoncé587, nous l’interrogeâmes si, depuis jeudi, elle n’avait pas ouï les voix des saintes Catherine et Marguerite : répondit que oui.
Interrogée sur ce qu’elles lui ont dit, répondit qu’elles lui ont dit que Dieu lui a mandé par saintes Catherine et Marguerite la grande pitié de la (grande)588 trahison qu’elle a consentie en faisant abjuration et révocation pour sauver sa vie ; et qu’elle se damnait pour sauver sa vie.
Item dit qu’avant jeudi, ses voix lui avaient dit ce qu’elle ferait, et ce qu’elle fit ce jour-là. Dit en outre que ses voix lui dirent, tandis qu’elle était sur l’échafaud (ou ambon, devant le peuple)589, qu’elle répondît hardiment à ce prêcheur (qui lors la prêchait)590. Et disait cette Jeanne qu’il était faux prêcheur591, et qu’il avait dit plusieurs choses qu’elle n’avait point faites.
Item, dit que si elle disait que Dieu ne l’avait pas envoyée, elle se damnerait, et qu’en vérité Dieu l’a envoyée.
Item, dit que ses voix lui ont dit depuis (jeudi)592 qu’elle avait fait grande mauvaiseté de confesser qu’elle n’avait pas bien fait ce qu’elle a fait.
Item, dit que tout ce qu’elle a dit (et révoqué ce jeudi, elle le fit et dit seulement)593 par peur du feu.
Interrogée si elle croit que ses voix (qui lui apparaissaient)594 soient (saintes Catherine et Marguerite, répondit que oui, et qu’elles viennent)595 de Dieu.
Interrogée (de dire la vérité)596 sur la couronne (dont il a été question plus haut)597 répondit :
— Du tout, je vous en ai dit la vérité au procès, le mieux que j’ai su.
Et quand on lui eut dit que sur l’échafaud (ou ambon, devant nous, les juges, et tous autres, et devant le peuple, quand elle fit 291son abjuration)598 elle avait dit qu’elle s’était vantée mensongèrement que (ses voix)599 étaient saintes Catherine et Marguerite, répondit qu’elle ne l’entendait point ainsi faire ou dire.
Item, dit qu’elle n’a point dit ou entendu révoquer ses apparitions, c’est assavoir que ce fussent saintes Catherine et Marguerite ; et tout ce qu’elle a fait, c’est par peur du feu, et n’a rien révoqué que ce ne soit contre la vérité.
Item, dit qu’elle aime mieux faire sa pénitence en une fois, c’est à savoir mourir, que d’endurer plus longuement peine en chartre600.
Item, dit qu’onques ne fit rien contre Dieu ou la foi, quelque chose qu’on lui ait fait révoquer ; et que ce qui était (contenu)601 en la cédule de l’abjuration, elle ne l’entendait point.
Item, dit [qu’elle dit alors]602 qu’elle n’entendait point révoquer quelque chose, si ce n’était pourvu que cela plût à notre Sire.
Item, dit que si les juges le veulent, elle reprendra l’habit de femme ; pour le reste, elle n’en fera autre chose.
Après avoir ouï ces déclarations, nous la quittâmes pour procéder plus avant, ainsi que de droit et de raison.
Mardi 29 mai.
Item, le lendemain, savoir le mardi après la Trinité, 29e jour du mois de mai, nous, juges susdits, fîmes assembler dans la chapelle de l’archevêché de Rouen les docteurs et les personnes érudites tant en théologie qu’en droit canon et civil, savoir : révérends pères en Christ, les seigneurs abbés de la Sainte-Trinité de Fécamp, de Saint-Ouen de Rouen et de Mortemer ; — seigneurs et maîtres Pierre, prieur de Longueville-Giffard, Jean de Châtillon, Érard Emengart, Guillaume Érart, Guillaume Le Boucher, Jean de Nibat, Jean Le Fèvre, Jacques Guesdon, Pierre Maurice, docteurs en théologie sacrée, Jean Garin et Pasquier de Vaulx, docteurs en droit canon ; — André Marguerie, Nicolas de Venderès, archidiacres en l’église de Rouen ; — Guillaume Haiton, Nicolas Couppequesne, Guillaume de Baudribosc, Richard de Grouchet, Thomas de Courcelles, bacheliers en théologie sacrée ; — Jean Pinchon, Jean 292Alespée, Denis Gastinel, Jean Maugier, Nicolas Caval, Nicolas Loiseleur, Guillaume Desjardins, chanoines de la cathédrale de Rouen ; les uns maîtres, les autres licenciés en droit canon ou en droit civil et en médecine ; — Jean Tiphaine, Guillaume de La Chambre, Guillaume de Livet, Geoffroy du Crotay, Jean Le Doulx, Jean Colombel, Aubert Morel, Pierre Carré, les uns licenciés en droit canon ou civil, les autres maîtres ou licenciés en médecine ; — Martin Lavenu, frère Ysambard de La Pierre ; — et maître Guillaume du Désert603, chanoines de l’église de Rouen.
En leur présence, nous, évêque susdit, avons exposé604 que depuis la dernière séance publique tenue au même lieu, la veille de la Pentecôte, nous avions fait admonester ladite Jeanne, suivant leur conseil ; et certains points où elle était jugée en défaut et errante, suivant la délibération de l’Université de Paris, lui furent exposés ; et nous l’exhortâmes à vouloir bien les rejeter et revenir au chemin de la vérité. Comme elle n’y acquiesça en rien, et ne voulut dire rien de plus, et qu’aussi le promoteur affirmait qu’il n’avait plus rien à dire ou proposer contre elle, nous avions prononcé la clôture de la cause et assigné les parties à comparaître, le jeudi suivant, pour entendre la sentence, ainsi qu’il est rapporté plus haut605. En outre, nous avons rappelé ce qui fut fait ce jeudi-là, et comment ladite Jeanne, après la solennelle prédication et les admonitions qui lui furent faites, avait révoqué et abjuré ses erreurs, signé de sa main révocation et abjuration, comme il est rapporté plus à plein précédemment606. Et ce jour de jeudi, après dîner, elle avait été admonestée charitablement par nous, et le vicaire du seigneur inquisiteur et nos assesseurs, de persister en bon propos et de se garder du cas de relaps. Alors aussi, en obéissant aux préceptes de l’Église, Jeanne quitta l’habit d’homme et prit l’habit de femme, comme il est dit plus longuement ci-dessus. Mais, à la suggestion du Diable, de nouveau, devant plusieurs témoins, elle raconta que les voix et esprits qui avaient accoutumé de lui apparaître étaient venus à elle, et lui avaient dit maintes choses. De plus cette Jeanne, laissant l’habit de femme, avait pris de nouveau l’habit d’homme. Or, quand ceci nous fut rapporté, nous, juges, 293nous rendîmes vers elle et l’interrogeâmes, comme on l’a dit déjà.
Alors, en présence des dits seigneurs et maîtres ci-dessus nommés, réunis dans cette chapelle de l’archevêché, nous fîmes lire les dernières confessions et assertions de cette Jeanne, savoir celles qui furent dites en notre présence, hier, et qui sont transcrites ci-dessus ; et nous demandâmes aux assistants leurs conseils et délibérations. Ils opinèrent ainsi607 :
Maître Nicolas de Venderès, licencié en droit canon, archidiacre d’Eu et chanoine de la cathédrale de Rouen, estime que Jeanne est et doit être réputée hérétique ; la sentence étant portée par nous, ses juges, Jeanne doit être abandonnée à la justice séculière, en la priant de vouloir bien agir envers elle doucement608.
Révérend père en Christ, monseigneur Gilles, abbé du monastère de la Sainte-Trinité de Fécamp, docteur en théologie sacrée, déclare que Jeanne est relapse. Cependant il est bon de lui relire la cédule dont on lui donna naguère lecture ; qu’on la lui explique en lui prêchant la parole de Dieu. Ceci fait, nous juges, n’aurons plus qu’à la déclarer hérétique et à l’abandonner à la justice séculière, en la priant d’agir avec douceur envers cette Jeanne.
Maître Jean Pinchon, licencié en droit canon, archidiacre de Jouy, chanoine des églises de Paris et de Rouen, opine que cette Jeanne est relapse609 ; quant à ce qui regarde la procédure ultérieure il s’en rapporte aux maîtres en théologie.
Maître Guillaume Érart, docteur en théologie sacrée, sacriste et chanoine des églises de Langres et de Laon, délibère que cette femme est relapse ; et puisqu’elle est relapse, on doit l’abandonner à la justice séculière. Pour le reste, il opine comme monseigneur de Fécamp.
Maître Robert Ghillebert610, docteur en théologie sacrée, doyen de la chapelle du roi notre sire, donne une opinion conforme à celle de Guillaume Érart.
Révérend père en Christ monseigneur l’abbé du monastère de Saint-Ouen de Rouen délibère comme monseigneur l’abbé de Fécamp.
294Maître Jean de Châtillon, docteur en théologie et chanoine de l’église d’Évreux, opine conformément à la délibération de monseigneur l’abbé de Fécamp.
Maître Érard Emengart, docteur en théologie sacrée, adhère à la délibération de monseigneur l’abbé de Fécamp611.
Maître Guillaume Le Boucher, docteur en théologie sacrée, déclare que ladite femme est relapse et qu’il faut la condamner comme hérétique. Pour le reste il adhère à la délibération de monseigneur l’abbé de Fécamp.
Révérend père messire Pierre, prieur du prieuré de Longueville-Giffard, docteur en théologie sacrée, déclare que si, l’époque de la Passion écoulée, cette femme confesse les points contenus en la cédule, il adhère à la délibération dudit seigneur abbé de la Sainte-Trinité de Fécamp.
Maître Guillaume Haiton, bachelier en théologie sacrée, opine que, vu les articles lus, cette femme est relapse et doit être condamnée comme hérétique. Et il adhère à la délibération de monseigneur de Fécamp.
Maître André Marguerie, licencié en droit civil et bachelier en droit canon, archidiacre de Petit-Caux et chanoine de Rouen ; maître Jean Alespée, licencié en droit civil, chanoine de Rouen ; maître Jean Garin, docteur en décret, chanoine de l’église de Rouen délibèrent en conformité avec monseigneur de Fécamp, susnommé.
Maître Denis Gastinel, licencié en l’un et l’autre droit, chanoine de Rouen, déclare que cette femme est relapse et hérétique, qu’il faut l’abandonner au bras séculier, et sans supplique.
Maître Pasquier de Vaulx, docteur en décret, chanoine des églises de Paris et de Rouen, opine conformément à la délibération de monseigneur de Fécamp, et sans supplique.
Maître Pierre de Houdenc, docteur en théologie sacrée, délibère qu’à son sentiment, attendu les dérisions et les manières de cette femme, il lui semble que toujours cette femme fut hérétique, que de fait elle est relapse ; en conséquence elle doit être estimée hérétique et abandonnée aux mains de la justice séculière suivant la délibération de monseigneur de Fécamp.
Maître Jean de Nibat, docteur en théologie sacrée, opine que 295cette femme est relapse et impénitente, et doit être censée hérétique. Et c’est dans la délibération de l’abbé de Fécamp, souvent nommé.
Maître Jean Le Fèvre, docteur en théologie sacrée, déclare que cette femme est obstinée, contumace, désobéissante ; et pour le reste il adhère à la délibération de monseigneur l’abbé du Fécamp susnommé.
Révérend père en Christ, monseigneur Guillaume, abbé de Mortemer, docteur en théologie sacrée, s’en tient à la délibération dudit monseigneur abbé de Fécamp.
Maître Jacques Guesdon, docteur en théologie sacrée, opine conformément à la délibération dudit abbé de Fécamp.
Maître Nicolas Couppequesne, bachelier en théologie sacrée, chanoine de la cathédrale de Rouen, adhère à la délibération de mon seigneur l’abbé de Fécamp.
Maître Guillaume du Désert, chanoine de l’église de Rouen, opine comme monseigneur l’abbé de Fécamp susnommé.
Maître Pierre Maurice, docteur en théologie sacrée, chanoine de Rouen, délibère que cette femme doit être censée et jugée relapse ; et il adhère à la délibération dudit seigneur abbé de Fécamp.
Maître Guillaume de Baudribosc, bachelier en théologie sacrée ; maître Nicolas Caval, licencié en droit civil ; maître Nicolas Loiseleur, maître ès arts ; maître Guillaume Desjardins, docteur en médecine, chanoine de l’église de Rouen, opinent comme le dit seigneur abbé de Fécamp.
Maître Jean Tiphaine, docteur en médecine ; maître Guillaume de Livet, licencié en droit civil ; maître Geoffroy du Crotay, licencié en droit civil ; maître Pierre Carré, licencié en droit civil, opinent conformément à la délibération dudit seigneur abbé de Fécamp.
Maître Jean Le Doulx, licencié en l’un et l’autre droit ; maître Jean Colombel, licencié en droit canon ; maître Aubert Morel, licencié en droit canon ; frère Martin Lavenu, de l’ordre des frères Prêcheurs ; maître Richard de Grouchet, bachelier en théologie ; maître Jean Pigache, bachelier en théologie ; maître Guillaume de 296La Chambre, licencié en médecine, délibèrent conformément audit seigneur abbé de Fécamp.
Maître Thomas de Courcelles, bachelier en théologie, chanoine des églises de Thérouanne et de Laon ; frère Ysambard de La Pierre, de l’ordre des frères Prêcheurs, opinent conformément à la délibération du si souvent nommé seigneur abbé de Fécamp. Ils ajoutent que cette femme devait être encore charitablement admonestée pour le salut de son âme, et qu’on lui dise qu’elle n’avait plus rien à espérer quant à la vie temporelle.
Maître Jean Maugier, licencié en droit canon, chanoine de l’église de Rouen, opina comme le susdit seigneur abbé de Fécamp.
Enfin, ouï les opinions de chacun, nous, juges susdits, les remerciâmes et conclûmes qu’il devra être procédé maintenant contre cette Jeanne en tant que relapse, comme de droit et raison.
Ce mercredi dernier jour de mai (30) et dernier jour de ce procès.
Item, le lendemain, savoir le mercredi dernier jour de mai, Jeanne fut citée par nous au dit jour de mercredi pour entendre la sentence de droit, par le ministère de l’huissier délégué dans la cause, ainsi qu’il résulte plus à plein de la teneur de nos lettres et de la relation de l’huissier. Voici le texte de ces lettres.
Teneur de la citation.
Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et Jean Le Maistre, vicaire de l’insigne docteur, maître Jean Graverent, député par le Saint-Siège apostolique, inquisiteur de la foi et de la perversité hérétique au royaume de France, à tous les prêtres publics, recteurs d’églises établis en cette ville de Rouen ou ailleurs dans ce diocèse, à tous et à chacun d’eux, en tant que requis, salut en Notre Seigneur.
Pour certaines causes et raisons, ailleurs plus amplement déclarées, une femme, nommée vulgairement Jeanne la Pucelle, relapse en maintes erreurs contre la foi orthodoxe, après avoir à la face de l’Église publiquement abjuré ces dites erreurs, y est retombée, comme il fut constaté et comme on le constate dûment et suffisamment, tant de ses confessions et assertions qu’autrement.
297C’est pourquoi nous mandons et enjoignons expressément à tous et à chacun de vous, selon qu’il en sera requis, l’un n’attendant point l’autre, ni ne s’excusant l’un sur l’autre, de citer ladite Jeanne à comparaître personnellement devant nous, demain, à 8 heures du matin, au Vieux-Marché612 de Rouen, pour se voir par nous déclarer relapse, excommuniée et hérétique, avec intimation à elle faite accoutumée en tels cas. Donné dans la chapelle du manoir archiépiscopal de Rouen, le mardi 29 mai, l’an du Seigneur 1431, après la fête de la Trinité de Notre Seigneur, Ainsi signé : G. Manchon. G. Boisguillaume.
Item s’ensuit la teneur de la relation de l’exécution relative à la précédente citation.
À révérend père et seigneur en Christ, monseigneur Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et à frère Jean Le Maistre, vicaire de l’insigne docteur, maître Jean Graverent, député par le Saint-Siège apostolique au royaume de France comme inquisiteur de la foi et de la perversité hérétique, votre humble Jean Massieu, prêtre, doyen de la Chrétienté de Rouen, révérence due, avec toute obéissance et honneur.
Sachent vos révérendes paternités que je, en vertu de votre mandement à moi adressé, et auquel mes présentes [lettres] sont annexées, j’ai cité personnellement certaine femme, vulgairement nommée la Pucelle, à comparaître en personne devant vous, ce jour de mercredi, après la fête de la Sainte-Trinité de Notre Seigneur, à 8 heures du matin, au Vieux-Marché de Rouen, selon la forme et teneur de votre mandement, suivant ce que vous m’aviez mandé de faire. Lesquelles choses par moi ainsi faites, je les signifie à vos révérendes paternités par ces présentes, signées de mon sceau. Donné l’an du Seigneur 1431, cedit mercredi, 7 heures du matin.
Ensuite, ce même jour, vers la neuvième heure du matin, nous juges susdits, nous trouvant au Vieux-Marché de Rouen, près l’église Saint-Sauveur613, présents et assistant à ce, révérends pères en Christ messeigneurs les évêques de Thérouanne614 et de Noyon615, maîtres Jean de Châtillon, André Marguerie, Nicolas de Venderès, Raoul Roussel, Denis Gastinel, Guillaume Le Boucher, Jean Alespée, Pierre de Houdenc, Guillaume Haiton, le prieur de Longueville, Pierre Maurice, et plusieurs autres seigneurs et maîtres et gens d’Église616 ; fut amenée ladite Jeanne par devant nous, sous les yeux du peuple 298qui se trouvait réuni audit lieu en grande multitude : on la plaça sur un échafaud ou ambon.
Et pour l’admonester salutairement et édifier le peuple, solennelle prédication fut faite par l’insigne docteur en théologie, maître Nicolas Midi. Il prit pour thème la parole de l’Apôtre, chapitre 12 de la première épître aux Corinthiens617 : Si quid patitur unum membrum, compatiuntur alia membra… Si un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui.
Cette prédication finie, de nouveau nous admonestâmes cette Jeanne de pourvoir au salut de son âme, de songer à ses méfaits, de faire pénitence et de montrer vraie contrition. Et nous l’exhortâmes à croire le conseil des clercs et notables personnes qui l’instruisaient et l’enseignaient touchant son salut ; et spécialement à suivre le conseil de deux vénérables frères Prêcheurs618, qui se tenaient alors près d’elle, et que nous lui avions commis pour l’instruire sans relâche et lui prodiguer, dans leur zèle, salutaires admonitions et salutaires conseils.
Cela fait, nous, évêque et vicaire susdits, eu égard à ce qui précède, et par quoi il appert que cette femme, par témérité obstinée, ne s’est jamais vraiment départie de ses erreurs et de ses abominables crimes ; bien plus, considérant qu’elle s’est montrée mille fois plus damnable par la malice diabolique de son obstination, en feignant fausse contrition, en simulant perfidement pénitence et repentir, avec parjure du saint nom de Dieu et blasphème de son ineffable Majesté ; qu’ainsi elle s’est déclarée obstinée, incorrigible et hérétique, relapse en hérésie, absolument indigne de toute rémission et de la communion que nous lui avions miséricordieusement offerte auparavant ; attendu toutes et chacune des choses à considérer en cette affaire, après mûre délibération et conseil de nombreuses et savantes personnes, nous avons procédé à la sentence définitive en ces termes :
299[Sentence définitive.]
Au nom du Seigneur, amen. Toutes les fois que le venin pestilentiel de l’hérésie s’attache obstinément à un des membres de l’Église, et le transfigure en un membre de Satan, il faut veiller avec un soin diligent afin que la contagion néfaste de cette pernicieuse souillure ne s’insinue à travers les autres parties du corps mystique du Christ. Aussi les décrets des saints pères ont-ils prescrit qu’il fallait que les hérétiques endurcis fussent séparés du milieu des justes, plutôt que de laisser réchauffer dans le sein de notre pieuse mère Église ces vipères pernicieuses, pour le grand péril des autres fidèles.
C’est pourquoi nous, Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et frère Jean Le Maistre, vicaire de l’insigne docteur Jean Graverent, inquisiteur de la perversité hérétique, et spécialement député par lui en cette cause, juges compétents en cette partie, nous avons déclaré par juste jugement que toi, Jeanne, vulgairement dite la Pucelle, tu es tombée en des erreurs variées et crimes divers de schisme, d’idolâtrie, d’invocation de démons, et plusieurs autres nombreux méfaits. Cependant, comme l’Église ne ferme pas son giron à qui revient à elle, estimant qu’avec une pensée pure et une foi non feinte tu t’étais détachée de ces erreurs et crimes, puisque, certain jour, tu as renoncé à eux, tu as fait serment en public, tu as fait vœu et promesse de ne retourner jamais aux dites erreurs ou à quelque hérésie, sous aucune influence ou d’une manière quelconque ; mais plutôt, de demeurer indissolublement dans l’unité de l’Église catholique et la communion du pontife romain, ainsi qu’il est plus amplement contenu dans la 300cédule souscrite de ta propre main ; attendu que par la suite, après cette abjuration de tes erreurs, l’auteur du schisme et de l’hérésie a fait irruption dans ton cœur qu’il a séduit, et que tu es retombée, ô douleur ! dans ces erreurs et dans ces crimes, tel le chien qui retourne à son vomissement, ainsi qu’il résulte suffisamment et manifestement de tes aveux spontanés et de tes assertions, nous avons reconnu, par des jugements très fameux que, d’un cœur feint plutôt que d’un esprit sincère et fidèle, tu as renié de bouche seulement tes précédentes inventions et erreurs :
Par ces motifs, nous te déclarons retombée dans tes anciennes erreurs, et, sous le coup de la sentence d’excommunication que tu as primitivement encourue, nous jugeons que tu es relapse et hérétique ; et par cette sentence que, siégeant en ce tribunal, nous portons en cet écrit et prononçons, nous estimons que, tel un membre pourri, pour que tu n’infectes pas les autres membres du Christ, tu es à rejeter de l’unité de ladite Église, à retrancher de son corps, et que tu dois être livrée à la puissance séculière ; et nous te rejetons, te retranchons, t’abandonnons, priant que cette même puissance séculière modère envers toi sa sentence, en deçà de la mort et mutilation des membres619 ; et, si de vrais signes de repentir apparaissent en toi, que le sacrement de pénitence te soit administré.
Sentence prononcée en partie avant l’abjuration.
Au nom du Seigneur, amen. Tous les pasteurs de l’Église, qui désirent et ont cure de conduire fidèlement le troupeau du Seigneur, doivent réunir toutes leurs forces quand le perfide semeur d’erreurs travaille laborieusement à infecter 301par tant de ruses et de poisons virulents le troupeau du Christ, afin de s’opposer avec d’autant plus de vigilance et d’instante sollicitude aux assauts du Malin. C’est une nécessité, surtout en ces temps périlleux où la sentence de l’apôtre annonça que plusieurs pseudo-prophètes viendraient au monde et y introduiraient sectes de perdition et d’erreur620 ; lesquelles pourraient séduire par leurs doctrines, variées et étranges, les fidèles du Christ, si notre mère sainte Église, avec les secours de saine doctrine et des sanctions canoniques, ne s’efforçait de repousser avec diligence leurs inventions erronées.
C’est pourquoi par devant nous, Pierre, par la miséricorde divine évoque de Beauvais, et par devant frère Jean Le Maistre, vicaire en ce diocèse et en cette cité de l’insigne docteur, maître Jean Graverent, inquisiteur de la perversité hérétique au royaume de France, et spécialement député par lui en cette cause, tous deux juges compétents en cette partie, toi, Jeanne, dite vulgairement la Pucelle, tu as été déférée, en raison de plusieurs crimes pernicieux, et tu fus citée en matière de foi. Et, vu et diligemment examiné la suite de ton procès, et tout ce qui y fut fait, principalement les réponses, confessions et assertions que tu y donnas ; considéré aussi la très insigne délibération des maîtres de la Faculté de Théologie et de Décret en l’Université de Paris, bien plus encore, celle de l’assemblée générale de l’Université ; celle enfin des prélats, des docteurs et des savants, tant en théologie qu’en droit civil et canon, qui se rassemblèrent en cette ville de Rouen et ailleurs, en grande multitude, pour qualifier et apprécier tes assertions, tes dits et tes faits ; après avoir pris conseil et mûre délibération des zélateurs pratiques de la foi chrétienne ; ayant considéré et retenu tout ce qui devait être par nous considéré et retenu en cette matière ; tout ce que nous, et chaque homme de jugement droit, pouvions et devions remarquer :
302Nous, ayant devant les yeux le Christ et l’honneur de la foi orthodoxe, afin que notre jugement semble émaner de la face du Seigneur, nous avons dit et décrété que tu as été menteuse en simulant tes révélations et apparitions, pernicieuse, séductrice, présomptueuse, trop crédule, téméraire, superstitieuse, devineresse, blasphématrice envers Dieu, les saints et les saintes, contemptrice de Dieu en ses sacrements, prévaricatrice de la doctrine sacrée et des sanctions ecclésiastiques, séditieuse, cruelle, apostate, schismatique, errant beaucoup en notre foi, et que tu as témérairement délinqué envers Dieu et sainte Église, par les manières susdites. Cependant, bien que dûment et suffisamment, tant par nous que de notre part, tu aies été, souvent et plus, admonestée par certains maîtres et docteurs scientifiques et experts, zélés pour le salut de ton âme, de vouloir bien t’amender, de te corriger, de te soumettre à la disposition, détermination et émendation de sainte mère Église, tu ne le voulus pas et n’en pris cure. Bien plus, d’un cœur endurci, obstinément et opiniâtrement, tu as dit que tu ne le ferais pas, et expressément et à diverses fois, tu as refusé de te soumettre à notre Saint-Père le pape et au saint concile général.
C’est pourquoi nous te déclarons de droit excommuniée et hérétique, en tant qu’obstinée et opiniâtre dans ces délits621, excès et erreurs ; et nous prononçons qu’il convient de t’abandonner à la justice séculière, comme membre de Satan, retranché de l’Église, infecté de la lèpre d’hérésie, et nous t’y laissons : priant toutefois cette puissance qu’elle veuille bien modérer envers toi son jugement, en deçà de la mort et de la mutilation des membres ; et si de vrais signes de repentir apparaissent en toi, que le sacrement de pénitence te soit administré.
303Et je, Guillaume Colles, autrement dit Boisguillaume, prêtre du diocèse de Rouen, notaire public par autorité apostolique et notaire de la cour archiépiscopale de Rouen et notaire juré dans ce procès avec plusieurs autres, j’affirme que la collation de ce présent procès a été dûment faite sur le registre original contenant III feuillets622 ; et c’est pourquoi j’ai signé de mon seing manuel cette présente copie du procès au bas de chaque feuillet. Et ici j’ai soussigné de ma main, en témoignage de vérité. Boisguillaume.
Et je, Guillaume Manchon, prêtre du diocèse de Rouen, notaire apostolique par autorité pontificale et impériale, notaire juré de la cour archiépiscopale de Rouen, notaire avec d’autres en cette cause, j’affirme avoir été présent avec les autres notaires souscrits à la collation dudit procès, que cette collation a été faite dûment sur le registre original du procès. C’est pourquoi, avec les autres notaires, j’ai souscrit de nui main ce présent procès et, ainsi que j’ai été requis, j’ai mis ici mon seing manuel. G. Manchon.
Et je, Nicolas Taquel, prêtre du diocèse de Rouen, notaire public par autorité impériale, notaire juré de la cour archiépiscopale de Rouen, et appelé à quelque moment dudit procès, j’affirme avoir vu et ouï faire, avec les autres notaires, la collation dudit procès sur le registre original du procès, que cette collation a été dûment faite. C’est pourquoi, avec les autres notaires, j’ai souscrit de ma propre main ce procès, et requis, j’ai apposé ici mon seing manuel. N. Taquel.
[Sceau de l’évêque Pierre Cauchon. Sceau de l’Inquisiteur623.]
Notes
- [581]
On trouvera toutes explications sur cette procédure dans Nicolas Eymerich, Directorium inquisitorum, p. 548 et suiv.
- [582]
Variante de rédaction dans la minute.
- [583]
Jacques Le Camus, ou Camus, ne paraît pas avoir été docteur en théologie, mais il a dû cependant étudier à Paris (Denifle et Chatelain, Le Procès de Jeanne d’Arc, p. 30). Chanoine de Reims depuis 1425, titulaire d’un second canonicat à la collégiale de Saint-Symphorien en 1428, il avait perdu tous ses bénéfices, ayant suivi le parti de Henri VI qui, parce qu’il avait été destitué de ses biens par le roi de France, à cause de sa fidélité au roi d’Angleterre et à titre de compensation, lui donna la cure de la Trinité de Falaise, délaissée par le titulaire Adam Mesgret, réfugié à Reims. Le 11 avril 1431, il recevait du roi anglais 48 l. t. (Bibl. nat., fr. 26054, n° 1555).
Et il soit ainsy que depuis aucun temps en ça nous avons mandé et fait venir de nostre ville de Paris en ceste nostre ville de Rouen plusieurs docteurs et maistres en théologie pour assister et estre au procès de celle qui se fait appeller Jehanne la Pucelle, pour la venue desquels il a esté convenu faire certaine despence. Et pour ce que le changeur de nostre trésor à Paris n’avait pas pour lors assez argent, il ait prins et reçu de Guillaume Beutepays, chanoine de la Saincte Chappelle de notre palais à Paris, la somme de quarante huit livres parisis, laquelle somme avoit en garde pour ledit Mesgret, et icelle somme baillée à Pierre Boucher, chanoine de Laon, pour faire partie de lad. despense.
Jacques Le Camus était mort au mois d’octobre 1438 (Denifle et Chatelain, Chart. Univ. Paris., IV, p. 525 ; H. Menu, Jacques Le Camus, 1889).
- [584]
Nicole Bertin, chanoine de Lisieux, que l’on rencontre, le 25 mai 1454, faisant une fondation en faveur du collège du Saint-Esprit, comme exécuteur testamentaire de feu Jean Bidault, archidiacre d’Auge en l’église de Lisieux, chanoine de Rouen, de Reims, de Lisieux et du Mans (Arch. de la Seine-Inférieure, G. 4841) ; exécuteur testamentaire de Pierre Cauchon, il approuve son legs en faveur de Saint-Cande-le-Vieux en 1450 (A. Sarrazin, Pierre Cauchon Juge de Jeanne d’Arc, p. 265.). On voit que ce Bidault, beau-frère de Jean de Rinel, avait désiré
aucune fondation estre faicte pour l’ame de lui et de feu révérend père en Dieu messire Pierre Cauchon, en son vivant evesque de Lisieux et par avant de Beauvais
. - [585]
Julien Flosquet, cité dans une supplique de 1419 sans grade universitaire. En 1434, devenu chanoine de Thérouanne, il n’a aucun autre titre (Denifle et Chatelain, Chart. Univ. Paris., IV, p. 523).
- [586]
Ceci a été omis par la rédaction définitive.
- [587]
Tout ceci ajouté par la rédaction définitive.
- [586]
Ce mot ajouté dans la rédaction définitive.
- [587]
Ceci ajouté dans la rédaction définitive.
- [588]
Ceci ajouté dans la rédaction définitive.
- [589]
lequel prescheur elle appelloit faulx prescheur
, dit la minute. - [590]
Ce mot ajouté dans la rédaction définitive.
- [593]
Ajouté dans la rédaction définitive.
- [594]
Ajouté dans la rédaction définitive.
- [595]
Variante de rédaction.
- [596]
Ajouté dans la rédaction définitive.
- [597]
Ajouté dans la rédaction définitive.
- [598]
Ajouté dans la rédaction définitive.
- [599]
Ajouté dans la rédaction définitive.
- [600]
C’est-à-dire dans sa prison.
- [601]
Ce mot ajouté dans la rédaction définitive.
- [602]
Ceci dans la minute.
- [603]
Guillaume du Désert, né vers 1400 à Paris, fut nommé par Henri V, en 1421, à un canonicat en l’église de Rouen. Le 12 février 1432, il prit à Paris le grade de bachelier en décret. Il fut tour à tour maître des testaments, de 1446 à 1448, maître de l’œuvre de la cathédrale, que sa famille avait dotée (Arch. de la Seine-Inférieure, G. 4417) Guillaume Du Désert remplit diverses missions qui donnent lieu de croire qu’il était homme de valeur : ainsi il passa en Angleterre pour réclamer la délivrance des legs faits par Henri V et Bedford à la cathédrale. Absent de Rouen lorsque Charles VII y entra, il obtint sans peine de nouvelles lettres de provision, et il s’entremit pour obtenir la confirmation par le roi de la Charte aux Normands, en 1452. L’année suivante il remplit une mission à Rome. Curé de Saint-Nicolas-le-Painteur, Guillaume Du Désert mourut le 25 janvier 1471, et il fut enterré dans la cathédrale, bien que curé de Saint-Hilaire (Ch. de Beaurepaire, Notes, p. 69-71 ; Denifle et Chatelain, Le Procès de Jeanne d’Arc, p. 36).
C’était certainement un homme instruit, car il posséda de beaux livres qu’il légua à la librairie du chapitre. Sa détermination sur Jeanne est étayée sur celle de l’abbé de Fécamp. Guillaume du Désert fut consulté parmi les premiers témoins du procès de réhabilitation : il avait assisté, entre autres, à l’abjuration et au supplice de la Pucelle. Dans sa déposition il déclara se rappeler très peu de chose, disant par exemple que
si Jeanne avait tenu le parti des Anglais, comme elle avait fait celui des Français, elle n’aurait pas été traitée de la sorte
. - [604]
La minute présente une rédaction plus complète de ces événements. On trouvera plus loin la traduction de la variante la plus importante.
- [605]
Voir p. 300-302.
- [606]
À tout hasard, au cas où elle révoquerait ses erreurs, certaine sentence avait été rédigée et préparée. Le jeudi, un sermon solennel lui fut adressé dans le cimetière de Saint-Ouen ; or, ce sermon fini, elle fut admonestée d’avoir à obéira l’Église. Comme elle refusait d’obéir, on commença à lire sa sentence de condamnation. Mais avant la fin de cette lecture, elle demanda à parler, se soumit à l’Église et aux juges, suivant la forme de certaine cédule qu’on lui lut ; et, de sa bouche, elle révoqua ses erreurs, elle les abjura, comme il appert par cette cédule, signée de la main de la dite Jeanne. Et alors elle fut absoute, à cette condition qu’elle agissait de cœur contrit et de foi non feinte, et sous pénitence à elle enjointe.
(Minute.) - [607]
Variantes de rédaction dans la minute.
- [608]
On sait que c’est là une formule pour désigner que le condamné sera brûlé. La recommandation
d’agir doucement
vise lasupplique
dont il sera question plus loin. — L’Église ne doit pas verser le sang. C’est donc par cette fiction de l’abandon à la justice séculière qu’elle pouvait obtenir une condamnation à mort. En fait, pendant tout le quinzième siècle, pour privilège de cléricature, on vit les ordinaires réclamer de vrais bandits, les arracher à la potence, les disputer aux tribunaux civils. Mais attaquée dans un de ses principes, l’Église abandonnait facilement le rebelle au bourreau civil. - [609]
On donne ce nom en général à quiconque est tombé deux fois dans le même crime, dans l’erreur d’où il était sorti. La procédure du cas de relaps a été exposé par Nicolas Eymerich (Directorium inquisitorum, p. 700). L’hérétique impénitent ne pouvait être qu’abandonné au bras séculier.
- [610]
Robert Ghillebert, Gilebert, Anglais, docteur en théologie, était alors doyen de la chapelle du roi d’Angleterre. Devenu en 1433 doyen de l’église d’York, il rapporte dans une supplique à Eugène IV (17 novembre 1435) qu’au temps où il avait suivi le roi à travers toutes les batailles livrées en France, il avait vu quantité de meurtres, d’incendies, etc., qu’il se réjouissait du fond du cœur quand ses compatriotes étaient victorieux, de même qu’il les plaignait profondément quand ils étaient vaincus. Il était encore doyen d’York lorsqu’il fut confirmé évêque de Londres par Eugène IV, le 21 mai 1436 (Denifle et Chatelain, Le Procès de Jeanne d’Arc, p. 50).
- [611] Pierre Champion a oublié dans sa traduction l’avis de maître Émengart, présent dans le texte latin [NdÉ].
- [612]
Le Vieux marché de Rouen, dont on peut restituer l’aspect par le Livre des Fontaines, éd. Sanson, planches 75-74.
Jadis une croix s’y élevait. Elle fut remplacée, en 1530, par une fontaine décorée de statues, fontaine renouvelée au temps de Louis XV. Sur ces différents aspects du Vieux-Marché, voir. A. Marty, L’Histoire de Jeanne d’Arc d’après les documents originaux, 1907.
- [613]
L’église Saint-Sauveur, qui s’élevait sur un des cotés de la place, non loin de la fontaine et de l’échafaud, presque en face de la boucherie.
- [614]
Louis de Luxembourg, cf. note 551.
- [615]
Jean de Mailly, cf. note 552.
- [616]
Vallet de Viriville a déjà fait remarquer que le cardinal d’Angleterre H. Beaufort n’est point mentionné parmi les témoins ; suivant frère Ysambard de La Pierre, il aurait pleuré au supplice de Jeanne. Voilà qui est peu vraisemblable. — La minute ajoute les noms de Robert Gilebert et de Thomas de Courcelles.
- [617]
XII, 26.
- [618]
Ysambard de La Pierre et Martin Lavenu.
- [619]
Cette formule de style, empruntée au droit canon, demeurait lettre morte. Le relaps n’a plus droit à la protection de l’Église. Il est abandonné au bras séculier qui retombe ipso facto sur lui. L’inquisiteur, juge d’Église, ne peut frapper que de peines d’Église. Il ne peut verser le sang ; mais il s’en remet au bras séculier pour le faire, avec cette fiction juridique. Et saint Thomas l’a dit (Somme II, q. XI, art. 3) :
Non seulement les hérétiques peuvent être exclus de l’Église par l’excommunication, mais encore de ce monde, par la mort. Non seulement ils peuvent être excommuniés, mais encore et justement être mis à mort.
Or la remise du coupable condamné au bras séculier a pour conséquence son exécution immédiate. Le juge séculier n’a pas à connaître du délit ; il n’est ici qu’un simple exécuteur.Ce que l’un commence, l’autre l’achève
, a dit un juge de ce temps (Jean Marx, op. cit., p. 129). On sait que depuis les ordonnances de 1226, cette peine était celle du feu. Mais on rencontre, dans ce temps, plusieurs exemples d’hérétiques pendus. - [620]
Il faut lire dans les pages si vivantes du Journal d’un bourgeois de Paris, à l’année 1429, le récit des prédications des religieux illuminés qui attiraient des foules attentives et crédules. Ainsi frère Richard prêcha aux Innocents, de j heures du matin jusqu’à 10 heures, pendant une semaine, devant des auditoires de 5 à 6.000 personnes. Les hommes brûlaient leurs jeux de cartes, la passion du jour, et les femmes leurs chaperons baleinés. Il annonçait la naissance de l’Antéchrist et la fin prochaine du monde. Saint Bernardin de Sienne soulevait le même enthousiasme que saint Vincent Ferrier qui venait de mourir. Vallet de Viriville a parfaitement mis ces faits en lumière (Procès de condamnation de Jeanne d’Arc, Introduction).
- [621]
Car ce n’est pas l’erreur en elle-même qui caractérise l’hérésie ; il faut qu’elle soit jointe à l’opiniâtreté. Celui qui reviendrait de bonne foi à la vérité ne serait censé avoir été hérétique. (Cf. Canon 29, c. 24, q. 5.) L’hérétique véritablement opiniâtre est celui qui, malgré la défense de ses supérieurs, affirme et défend ses erreurs avec connaissance de cause ou par orgueil.
- [622]
Cette formule varie suivant les copies du procès.
- [623]
Au fol. 112 v° du ms. de la Chambre des députés, ou voit quelques restes du sceau de P. Cauchon.