J. Fabre  : Procès de condamnation (1884)

III. Jugement et monitions

Troisième partie
Jugement et monitions

Il est dans l’erreur celui qui pense que, lorsqu’on est de quelque utilité à ses semblables, on doive calculer les chances de la vie et de la mort et ne pas considérer seulement si ce qu’on fait est juste ou injuste. La mort et tout autre malheur n’est rien en comparaison du déshonneur de trahir sa mission. Tant que je respirerai je continuerai à faire ce que j’ai fait. Au surplus, mes juges, si vous me faites mourir, vous vous ferez plus de tort qu’à moi-même.

Socrate.

I. Inauguration du procès ordinaire164

(Le lundi 26 mars, en la demeure de Cauchon, à Rouen. — Sont présents, outre l’évêque, le vice-inquisiteur et les six universitaires : Jean de La Fontaine, Nicolas Loiseleur, Raoul Roussel, André Marguerie, Nicolas de Venderès.)

L’évêque de Beauvais. — Nous évêque, et nous frère Jean Lemaître, vicaire du seigneur inquisiteur, en présence des vénérables seigneurs et maîtres ici réunis, nous ordonnons qu’il soit donné lecture des articles renfermant ce que le promoteur a l’intention de produire contre Jeanne.

Cette lecture est faite et une délibération a lieu165.

L’évêque. — Vénérables seigneurs et maîtres, conformément à votre délibération, nous déclarons clos le procès préparatoire et allons commencer le procès ordinaire décrété et conclu par nous, évêque, et par nous, vicaire du seigneur inquisiteur. Nous constatons que les articles qui viennent d’être lus ont été bien composés, et nous décidons que Jeanne devra être entendue et interrogée sur chacun d’eux. Ces articles seront soumis à Jeanne, au nom du promoteur, par quelque solennel avocat, ou par le promoteur lui-même. Si la dite Jeanne refuse de répondre, après monition canonique à elle faite préalablement, que les articles soient tenus pour confessés par elle !

II. Remise de l’acte d’accusation et discussion sur la procédure

(Le mardi après les Rameaux, 27 mars. — Dans une chambre voisine de la grande salle du château de Rouen. — Trente-neuf assesseurs assistent les deux juges.)

L’évêque de Beauvais*. — Révérends pères, seigneurs et maîtres, nous, évêque de Beauvais, et nous, frère Jean Lemaître, vicaire du seigneur inquisiteur, nous invitons Jean d’Estivet, chanoine de Beauvais, délégué par nous comme promoteur dans cette cause et comparaissant en justice devant nous, en présence de Jeanne amenée en ce même lieu devant nous, à lire la supplique et requête qu’il a à nous présenter.

Le promoteur166. — Messeigneurs, révérend père en Christ, et vous vicaire, qui avez ici commission particulière de monseigneur l’inquisiteur délégué et établi pour surveiller par tout le royaume de France les égarés dans la foi catholique, moi, promoteur commis et ordonné par vous en cette cause, après enquêtes et interrogatoires faits par vous et par votre ordre, je dis, affirme et propose, contre Jeanne ici présente et citée pour répondre sur ce que je voudrai lui demander ou dire et avancer contre elle, touchant et concernant la foi catholique ; j’entends, prouver, si besoin est, par protestations et sous-protestations, selon les fins et conclusions plus pleinement déterminées dans le cahier que je mets en ce moment sous vos yeux et en vos mains, j’entends, dis-je, prouver contre ladite Jeanne les faits, droits et raisons énoncés et contenus dans les articles écrits et spécifiés audit cahier167. Je vous supplie et requiers de faire affirmer et jurer par ladite Jeanne qu’elle répondra sur le contenu de tous et chacun des dits articles par l’expression sincère de ce qu’elle croit et ne croit pas. Dans le cas où elle refuserait l’affirmation et le serment demandé, ou les différerait plus qu’il ne convient, après commandement et sommation faite par vous, je supplie et requiers qu’elle soit réputée défaillante et contumace malgré sa présence, et que, selon les exigences de ce cas de contumace, elle soit déclarée excommuniée pour offense manifeste. Enfin je supplie et requiers qu’il lui soit assigné par vous jour fixe et bref pour répondre, comme il a été dit, auxdits articles, en lui intimant que, si elle ne répond à tous ou à quelques-uns avant le terme fixé, vous tiendrez les articles ou l’article laissés ou laissé sans réponse pour confessés ou confessé, ainsi que les droits, style, usage et commune observance le veulent et requièrent.

L’évêque. — Promoteur, remettez-nous le libellé de le l’accusation contre Jeanne ici présente. Et vous, docteurs et maîtres qui nous assistez, donnez chacun votre avis sur la manière dont il convient de procéder168.

Maître Nicolas de Venderès. — Premièrement, Jeanne doit être obligée à faire serment.

Deuxièmement, le promoteur a bien requis : Jeanne doit être réputée contumace si elle refuse de jurer.

Troisièmement, elle devra être excommuniée, et, une fois excommuniée, il y aura lieu de procéder contre elle selon le droit.

Maître Jean de La Fontaine. — Je pense de même.

Maître Jean Pichon. — Que les articles lui soient lus d’abord, avant toute décision.

Maître Garin. — Même avis.

Maître Basset. — Que les articles lui soient lus avant de prononcer la sentence d’excommunication.

Maître de Crotay. — Je pense qu’on doit lui donner au moins trois jours avant de l’excommunier. Il y aura à la tenir pour convaincue si elle refuse de jurer.

Maître Ledoux. — Même avis.

Maître Gilles Deschamps. — Qu’on lui lise les articles et qu’on lui assigne jour pour répondre.

Maître Barbier. — Comme le préopinant.

Le seigneur abbé de Fécamp. — À ce qu’il me semble, Jeanne est tenue de jurer de dire la vérité sur ce qui touche le procès. Si elle n’a pas été encore assignée à cet effet, qu’elle le soit, avec les délais de droit. Et, le jour fixé, qu’elle ait à s’exécuter.

Maître Emengart.Maître Lebouchier.Maître du Quesney. — Même avis que le seigneur abbé de Fécamp.

Maître de Chatillon. — Elle est tenue de répondre la vérité, du moment surtout où il s’agit de son propre fait.

Le seigneur prieur de Longueville. — Pour les choses auxquelles elle ne saurait répondre, il me semble qu’on ne doit pas la forcer à répondre par : Je crois ou je ne crois pas.

Maître Beaupère. — Dans les choses dont elle est incontestablement certaine et qui sont de fait, elle est tenue de répondre la vérité. Dans celles sur lesquelles elle peut être ignorante et qui sont de droit, on doit lui accorder un délai, si elle le demande.

Maître Jacques de Touraine. — Comme le préopinant.

Maître Nicolas Midi. — De même. J’ajoute que je m’en rapporte aux juristes pour savoir si elle doit être maintenant contrainte de jurer.

Maître de Nibat. — Quant aux articles, je m’en rapporte aux juristes. Quant au serment, je juge qu’elle doit jurer pour tout ce qui touche le procès et la foi. Si sur quelques points elle fait difficulté et demande délai, qu’on le lui accorde.

Maître Lefèvre. — Je m’en rapporte aux juristes.

Maître Morice. — Qu’elle réponde sur ce qu’elle sait.

Maître Gérard.Maître Guesdon. — Elle est tenue de répondre avec serment.

Maître Marguerie. — Mon opinion est qu’elle doit jurer sur ce qui touche le procès. Quant aux choses douteuses, il convient de ne pas lui refuser un délai.

Maître Thomas de Courcelles. — Jeanne est tenue de répondre. Qu’on lui lise chaque article et qu’elle réponde à mesure. Quant à un délai, si elle en fait la demande, il devra lui être accordé.

Maître Gastinel. — Jeanne doit jurer. La requête du promoteur est juste en ce qui touche le serment. Quant au mode de procéder à adopter ultérieurement si elle refuse de jurer, j’ai besoin de consulter mes livres.

Maître Morel.Maître Duchemin. — Elle est tenue de jurer, etc.169

L’évêque — Nous, juges, vu l’instance et la requête du promoteur, et ouï les avis de chacun des maîtres ici présents, nous arrêtons que lesdits articles, produits par le promoteur, seront lus et exposés à Jeanne en langue française170, et que ladite Jeanne devra répondre sur chaque article ce qui sera à sa connaissance. Que s’il y a quelques points sur lesquels elle demande un délai pour répondre, il lui sera accordé délai convenable171.

III. Déclarations du promoteur et de Jeanne

(Même séance.)

[Le promoteur — Je m’offre d’abord à jurer que je requiers sans calomnie.

L’évêque. — Jurez.

Le promoteur — Je jure, devant vous, juges, que ni faveur, ni rancune, ni crainte, ni haine, n’inspirent ma poursuite, et qu’en proposant contre ladite Jeanne les présents articles j’obéis seulement à mon zèle pour la foi172.]

L’évêque. — Jeanne, toutes les personnes ici présentes sont des hommes d’Église, de science consommée, experts en droit divin et humain, qui veulent et entendent procéder envers vous, en toute piété et mansuétude, comme ils y ont toujours été disposés, ne cherchant ni vengeance ni châtiment corporel ; mais votre instruction et votre retour dans la voie de la vérité et du salut. Comme vous n’êtes ni assez docte, ni assez instruite soit dans les lettres, soit dans les matières ardues dont il s’agit, pour prendre conseil de vous-même sur ce que vous devrez faire ou répondre, nous vous offrons de choisir pour conseil un ou plusieurs des assistants à votre volonté. Si vous ne savez choisir, nous vous donnerons nous-même quelques hommes pour vous conseiller sur ce que vous devrez faire ou répondre, à cette condition cependant que, sur les questions de fait, vous ferez vos réponses de vous-même en toute vérité. En même temps, nous vous requérons de prêter serment de dire la vérité sur les choses qui toucheront votre fait.

Jeanne. — Premièrement, de ce que vous m’admonestez touchant mon bien et notre foi, je vous remercie et toute la compagnie aussi. Quant au conseil que vous m’offrez, je vous en remercie également ; mais je n’ai pas l’intention de me départir du conseil de Notre-Seigneur. Quant au serment que vous voulez que je fasse, je suis prête à jurer de dire la vérité sur tout ce qui touche votre procès.

L’évêque. — Jurez, les mains sur les saints Évangiles.

Jeanne. — Je jure.

L’évêque. — Nous, juges, nous chargeons maître Thomas de Courcelles173 de faire à Jeanne, en langue française, la lecture des articles contenus dans le libellé que le promoteur a déposé.

IV. Lecture de l’acte d’accusation et réponses de Jeanne

(Même séance.)

Thomas de Courcelles(lisant l’acte d’accusation rédigé par le promoteur) :

Devant vous, vénérable père en Christ, monseigneur Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et devant vous, religieuse personne maître Jean Lemaître, de l’ordre des Frères prêcheurs, ayant commission spéciale de religieuse et circonspecte personne maître Jean Graverent, inquisiteur du mal hérétique en France de par l’autorité du Saint-Siège apostolique, tous deux juges compétents, aux fins qu’une certaine femme, vulgairement dite la Pucelle, véhémentement suspecte, objet de scandale, et décriée aussi notoirement que possible auprès de tous les gens graves et honnêtes, soit déclarée par vous, juges susdits, à raison des faits dont suit l’énumération, sorcière, devineresse, fausse prophétesse, invocatrice et conjuratrice des malins esprits, superstitieuse, adonnée à la pratique des arts magiques, mal sage en tout ce qui touche la foi catholique, schismatique, doutant et s’écartant de l’article l’Église une, sainte, et de plusieurs autres articles de notre foi, sacrilège, idolâtre, apostate, maldisante et malfaisante, blasphématrice envers Dieu et ses saints, scandaleuse, séditieuse, perturbatrice de la paix, excitatrice de la guerre, cruellement altérée de sang humain et provocatrice de son effusion, absolument et impudemment oublieuse de la décence et des convenances de son sexe, prenant sans vergogne l’habit et l’état de l’homme de guerre ; pour ces causes et autres, abominable à Dieu et aux hommes, prévaricatrice des lois divines et humaines et de la discipline ecclésiastique, séductrice des princes et des peuples, usurpatrice de l’honneur et du culte divin, pour avoir permis et consenti sacrilègement et au mépris de Dieu qu’on la révérât et adorât, donnant ses mains et vêtements à baiser ; hérétique ou du moins véhémentement suspecte d’hérésie : à cette fin, dis-je, que, pour toutes ces choses, Jeanne, conformément aux lois divines et humaines, soit canoniquement et légitimement punie et corrigée ; — voici ce que dit, propose, entend prouver et légitimement vous persuader Jean d’Estivet, chanoine des églises de Bayeux et de Beauvais, promoteur pour ce spécialement commis, avec cette réserve, toutefois, qu’il n’entend pas s’astreindre à démontrer certains points superflus, mais, qu’il s’en tiendra à l’essentiel, c’est-à-dire à ce qui pourra et devra suffire, en tout ou en partie, pour atteindre le but visé par lui ; enfin avec toutes autres réserves habituelles dans les actes de cette sorte, si bien qu’il ait le droit d’ajouter, corriger, changer, interpréter et user de toute autre licence usitée touchant le fait et le droit.

Article 1er. Et d’abord, tant d’après le droit divin que d’après le droit canonique et civil, c’est à vous, évêque, comme juge ordinaire, et à vous, vicaire, comme inquisiteur de la foi, que revient et appartient le droit de chasser, détruire, extirper radicalement de votre diocèse et par tout le royaume de France les hérésies, sacrilèges, superstitions et autres crimes de cette sorte ; de punir, corriger et amender les hérétiques, et tous ceux qui proposent, disent, professent, ou, de manière quelconque, accomplissent quelque chose d’attentatoire à notre foi catholique, les sorciers, les devins, les invocateurs de démons, les mécréants174, tous les malfaiteurs et criminels de cette sorte ou leurs fauteurs saisis dans votre diocèse et dans votre juridiction, alors même qu’ils auraient commis ailleurs tout ou partie desdits méfaits, non moins que le peuvent et le doivent les autres juges compétents, dans leurs diocèses, limites et juridictions. Et, quant à ce, contre toute personne laïque, de quelque état, sexe, qualité ou rang qu’elle soit, vous devez être estimés, tenus et réputés juges compétents.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je crois bien que notre saint-père le pape de Rome et les évêques et autres gens d’Église sont pour garder la foi catholique et punir ceux qui défaillent. Mais, quant à moi, touchant mes faits, je ne me soumettrai qu’à l’Église du ciel, savoir à Dieu, à la Vierge Marie et aux saints et saintes du paradis. Je crois fermement n’avoir point failli en notre foi et n’y voudrais faillir.

Maître Thomas de Courcelles (continuant la lecture du réquisitoire). — Article 2. Ladite accusée, non seulement dans la présente année, mais dès son enfance, a imaginé et combiné une foule de sortilèges et de superstitions ; a été devineresse ; s’est laissé vénérer et adorer ; a invoqué les démons et les malins esprits, les a consultés, a été en fréquentation avec eux, s’est unie à eux par des pactes, traités et conventions, et a usé d’eux ; a donné à d’autres, faisant mêmes choses, conseil, secours et faveur, et les a induits à des pratiques identiques ou pareilles aux siennes, disant, croyant, affirmant, soutenant qu’agir ainsi, avoir foi en ces sortilèges, divinations, superstitions, et en user, n’était ni péché, ni chose interdite, mais chose licite, louable et digne d’approbation ; engageant dans ses erreurs et maléfices une foule de personnes de divers états et des deux sexes, dans le cœur desquelles elle semait les mauvaises impressions de cette nature. C’est en plein accomplissement et en pleine perpétration des délits susdits que Jeanne a été prise et arrêtée dans les limites de votre diocèse de Beauvais.

L’évêque* (à Jeanne). — Qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Pour les sortilèges, œuvres superstitieuses et divinations, je nie. Quant au fait de m’être laissé adorer, si aucuns ont baisé mes mains ou mes vêtements, ce n’est pas par moi ou de ma volonté, je m’en suis fait garder et y ai obvié selon mon pouvoir. Le reste de l’article, je le nie175.

Courcelles. — Article 3. L’accusée a proféré des propositions contraires à notre foi catholique et offensantes pour les oreilles pieuses, elle a en même temps donné secours et conseil à des gens qui promulguaient des propositions de cette sorte.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je dis qu’il n’en est rien et que, selon mon pouvoir, j’ai soutenu l’Église.

Courcelles. — Article 4. L’accusée, née à Greux, a eu Jacques d’Arc pour père et Isabelle, femme de Jacques d’Arc, pour mère, et a vécu, jusqu’à sa dix-septième année, ou environ, au village de Domrémy. Là, dès son enfance, au lieu d’être instruite dans la foi, elle a été endoctrinée par quelques vieilles femmes qui l’ont initiée aux œuvres de la superstition, de la divination et de la magie. Ce pays est d’ailleurs connu pour le grand nombre de ses habitants qui usent de maléfices. Jeanne elle-même a avoué qu’elle avait appris de sa marraine beaucoup de choses sur les apparitions des fées ; et telles sont les pernicieuses erreurs dont on l’a imbue, que, devant vous, ses juges, elle a confessé ne pas savoir si les fées étaient ou non de mauvais esprits.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Dans ce qui vient d’être dit, ce qui concerne mon père, ma mère et le lieu de ma naissance est vrai. Le reste est faux. Les fées, je ne sais ce que c’est. Quant à mon instruction, sachez que j’ai pris ma créance à bonne école et que j’ai été enseignée bien et dûment comme un bon enfant doit faire.

L’évêque*. — Et votre marraine ?

Jeanne. — Pour ma marraine, je m’en rapporte à ce que j’ai dit précédemment.

L’évêque. — Dites votre Je crois en Dieu.

Jeanne. — Demandez à mon confesseur, à qui je l’ai dit.

Courcelles. — Article 5. Près de Domrémy, il y a un arbre, grand, gros et ancien, vulgairement appelé l’arbre charmine de la fée de Bourlemont176, et près de l’arbre est une fontaine. Autour de l’arbre et de la fontaine circulent, paraît-il, les malins esprits qu’on nomme les fées, avec qui ont coutume de danser la nuit les personnes exercées à la pratique des sortilèges.

L’évêque*. — Qu’avez-vous à dire, Jeanne ?

Jeanne. — Sur l’arbre et sur la fontaine je n’ai à répondre que ce que j’ai déjà répondu. Tout ce qui est autre, je le nie.

Courcelles. — Article 6. Jeanne avait l’habitude de hanter cette fontaine et cet arbre, surtout la nuit. Elle y allait aussi quelquefois le jour, particulièrement aux heures où dans l’église on célèbre l’office divin, pour s’y trouver seule. Elle dansait des rondes autour de l’arbre et de la fontaine. En outre, elle suspendait aux rameaux de l’arbre des guirlandes d’herbes et de fleurs variées qu’elle tressait de ses propres mains, et, soit avant, soit après, elle prononçait certaines formules et chantait certains refrains, avec invocations, sortilèges et autres maléfices177. Le lendemain matin, il était impossible de retrouver les guirlandes laissées la veille.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Sur la fréquentation de l’arbre et de la fontaine, je m’en rapporte aux réponses par moi déjà faites. Tout le reste, je le nie.

Courcelles. — Article 7. Jeanne avait coutume de porter dans son sein une mandragore, espérant par là s’assurer la prospérité en matière de richesses et autres choses temporelles ; car telle est la vertu qu’elle attribue à la mandragore.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je nie tout ce que dit cet article.

Courcelles. — Article 8. Vers sa vingtième année, de sa propre volonté et sans le congé de ses père et mère, Jeanne est allée à Neufchâteau, en Lorraine, et là, pendant quelque temps, elle a été en service chez une hôtelière nommée La Rousse, dont l’auberge est hantée par maintes femmes de mauvaise vie et aussi le plus souvent par des gens de guerre. Jeanne tantôt se tenait avec lesdites femmes, tantôt menait les brebis aux champs et les chevaux à l’abreuvoir ou à la prairie. C’est pendant son séjour chez La Rousse qu’elle a appris à monter à cheval et à manier les armes.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je nie tout ce qui vient d’être dit, sauf ce que j’ai répondu antérieurement sur mon séjour à Neufchâteau.

Courcelles. — Article 9. Pendant qu’elle était au service de cette aubergiste, Jeanne cita un jeune homme devant l’official de Toul, pour cause de mariage. À cette occasion, elle fit plusieurs fois le voyage de Toul et dépensa ainsi à peu près tout ce qu’elle avait. Le jeune homme, sachant qu’elle vivait en compagnie de mauvaises femmes, refusait de l’épouser. La cause était pendante, lorsqu’il mourut. Cela dépita Jeanne, et elle quitta le service de l’hôtelière.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Sur cette affaire de mariage, je m’en rapporte à ce que j’ai dit. Tout ce qui y contredit est faux.

Courcelles. — Article 10. Après avoir quitté le service de La Rousse, Jeanne a prétendu avoir eu et avoir continuellement des visions et apparitions de saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite. Ils lui auraient notamment révélé de la part de Dieu qu’elle ferait lever le siège d’Orléans et couronner à Reims celui qu’elle appelle son roi ; et aussi qu’elle chasserait tous ses ennemis du royaume de France178. Malgré son père et sa mère qui y étaient absolument opposés, elle partit et, de son propre mouvement, alla trouver Robert de Baudricourt, à qui elle communiqua, conformément aux ordres de saint Michel, sainte Marguerite et sainte Catherine, les visions et révélations qui lui étaient venues de la part de Dieu. Elle requit ledit Robert de trouver un moyen d’assurer l’accomplissement de ce qui lui avait été révélé. Par deux fois Robert la repoussa ; et elle s’en revint au logis179. Obéissant à une révélation, Jeanne fit une nouvelle tentative. Cette troisième fois, elle fut admise et reçue par ledit Robert.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en rapporte à ce que j’ai précédemment répondu.

Courcelles. — Article 11. Jeanne, étant entrée dans la familiarité de Robert, lui dit, entre autres vanteries, qu’une fois faites et accomplies toutes les choses qui lui étaient prescrites par révélation de la part de Dieu, elle devait avoir trois fils, dont le premier serait pape, le second empereur et le troisième roi. L’entendant ainsi parler, le capitaine lui dit : Je voudrais donc t’en faire un, puisque ce seront personnages de si grande autorité. J’en vaudrais beaucoup mieux180. À quoi Jeanne répondit : Gentil Robert, nenni, nenni, il n’est pas temps ; le Saint-Esprit y ouvrera181. Ainsi l’a raconté et affirmé ledit Robert en maints lieux, en présence de prélats, de grands seigneurs et de notables personnages.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en rapporte à ce que j’ai précédemment répondu182. Je n’ai pas dit que je dusse avoir trois enfants. Jamais je ne me suis vantée de telle chose.

Courcelles. — Article 12. Pour mieux et plus ouvertement atteindre son but, Jeanne fit requête au capitaine de Vaucouleurs qu’on lui confectionnât des habits d’homme, avec des armes à l’avenant. Le capitaine, quoique à contre-cœur et avec grande répulsion, finit par accéder au vœu de Jeanne. On lui confectionna des vêtements et des armes. La voilà qui abandonne et rejette tout vêtement de femme ; se fait tailler les cheveux en rond à la façon des jeunes muguets ; prend chemise, braies, justaucorps, chausses longues liées au justaucorps par vingt aiguillettes, guêtres hautes lacées du dehors, lévite courte allant au genou ou à peu près, chaperon ne couvrant que le bout de la tête, jambières collantes, longs éperons, épée, dague, haubert, lance et autres armes à la manière d’un homme de guerre183. Ainsi vêtue et armée, Jeanne affirme qu’en cela elle accomplit la volonté de Dieu et fait ce qu’il lui a commandé par révélations.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en rapporte à ce que j’ai répondu précédemment.

L’évêque. — Est-ce par le commandement de Dieu que vous avez pris cet habillement et ces armes ?

Jeanne. — Je maintiens ce que j’ai autrefois répondu.

Courcelles. — Article 13. Jeanne attribue à Dieu, à ses anges et à ses saints des ordres qui sont contre l’honnêteté du sexe féminin, prohibés par la loi divine, également abominables à Dieu et aux hommes, et interdits par les censures ecclésiastiques sous peine d’ana thème, comme de se revêtir d’habits d’hommes, courts, étroits et dissolus, tant ceux du dessous que les autres. C’est soi-disant pour suivre ces ordres qu’elle s’est maintes fois revêtue d’habillements somptueux et pompeux en drap d’or de grand prix et aussi de fourrures. Et non seulement elle a fait usage de tuniques courtes, mais encore elle a porté des paletots longs et flottants et des vêtements fendus sur les deux côtés. C’est là chose notoire ; car, quand elle a été prise, elle avait un manteau d’or ouvert en tout sens184 ; sur sa tête un chaperon et les cheveux taillés en rond à la mode des hommes185. En un mot, Jeanne a mis de côté toute pudeur de femme, et même cette pudeur qui sied aux hommes de bonnes meurs, en usant de costumes et parures qui sont le fait des hommes les plus dissolus, et en allant jusqu’à porter des armes offensives. Attribuer tout cela à l’ordre de Dieu, des saints anges et des saintes vierges, c’est blasphémer Dieu et les saints ; renverser la loi divine ; violer les règles du droit canonique ; scandaliser le sexe féminin et porter atteinte à son honnêteté, détruire toute décence ; justifier dans le genre humain tous les exemples de dissolution et y induire ses semblables.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je n’ai blasphémé ni Dieu ni ses saints.

L’évêque. — Mais, Jeanne, les saints canons et les saintes écritures portent que les femmes qui prennent habit d’homme ou les hommes qui prennent habit de femme font chose abominable à Dieu. Comment donc pouvez-vous dire que vous avez pris ces habits du commandement de Dieu ?

Jeanne. — Vous en êtes assez répondus. Si vous voulez que je vous réponde plus avant, donnez-moi délai et je vous répondrai.

L’évêque. — Ne voulez-vous pas prendre l’habit de femme pour pouvoir recevoir votre Sauveur le jour de Pâques ?

Jeanne. — Ni pour cela ni pour rien je ne laisserai encore mon habit. Je ne fais pas de différence entre l’habit d’homme et l’habit de femme pour recevoir mon Sauveur. On ne doit point me refuser pour cette question d’habit186.

Courcelles. — Article 14. Jeanne affirme qu’elle fait bien de se vêtir d’habits qui sont le propre des hommes dissolus ; elle veut en demeurer couverte et déclare qu’elle n’y renoncera point, à moins qu’elle n’en reçoive expressément la permission de Dieu par une révélation. En quoi elle outrage Dieu, les anges et les saints.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je ne fais point mal de servir Dieu. Sur ce que vous me dites, je vous répondrai demain.

Un des assesseurs. — Enfin, Jeanne, est-ce d’après une révélation, d’après un commandement, que vous portez cet habit ?

Jeanne. — Vous avez mes réponses. Je m’y tiens. Au surplus, je vous en enverrai réponse demain.

L’interrogateur. — Qui vous a fait prendre l’habit ?

Jeanne. — Je sais bien qui me l’a fait prendre ; mais je ne sais comment je dois le révéler.

Courcelles. — Article 15. Jeanne ayant plusieurs fois demandé qu’il lui fût permis d’entendre la messe, ses juges lui ont fait espérer qu’elle pourrait entendre la messe et communier si elle voulait renoncer entièrement à l’habit d’homme et prendre un habit de femme. Elle a préféré se passer de la messe et des sacrements que d’abandonner son habit d’homme. En quoi apparaît son entêtement, son endurcissement, son défaut de charité, sa désobéissance envers l’Église et son mépris des divins sacrements.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — J’aime plus cher mourir que de révoquer ce que j’ai fait du commandement de Notre-Seigneur.

L’évêque*. — Voulez-vous abandonner l’habit d’homme pour entendre la messe ?

Jeanne. — Je ne laisserai pas encore l’habit que je porte, et il n’est pas en moi de dire dans combien de temps je pourrai le laisser.

L’évêque*. — Alors, vous voulez vous priver de la messe ?

Jeanne. — Si vous, mes juges, vous refusez de me faire ouïr la messe, il est bien au pouvoir de Notre-Seigneur de me la faire ouïr, quand il lui plaira, sans vous.

L’évêque*. — Sur le reste de l’article qui vous a été lu, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Qu’on m’ait bien admonestée de prendre un habit de femme, je le confesse. Quant à l’irrévérence et autres séquelles, je les nie.

Courcelles. — Article 16. Antérieurement, depuis l’époque où elle a été prise, soit à Beaurevoir, soit à Arras, Jeanne a été charitablement et plusieurs fois avertie par de nobles personnes des deux sexes de reprendre les vêtements convenables à son sexe. Elle a refusé et refuse encore obstinément. Tout ce qui est œuvre de femme lui répugne. En tout, elle se conduit comme un homme plutôt que comme une femme.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Il est vrai qu’à Arras et au château de Beaurevoir on m’avait bien admonestée de prendre un habit de femme. J’ai refusé et je refuse encore. Quant aux autres œuvres de femme, il y a assez d’autres femmes pour les faire.

Courcelles. — Article 17. Lorsque Jeanne, ainsi vêtue et armée, vint trouver Charles, elle lui fit, entre autres, ces trois promesses : qu’elle lèverait le siège d’Orléans ; qu’elle le ferait couronner à Reims, et qu’elle le vengerait de ses ennemis qui, tous, par son moyen, seraient ou tués ou chassés du royaume, tant Anglais que Bourguignons187. Plusieurs fois et en plusieurs lieux, Jeanne a répété publiquement les mêmes vanteries. Même, pour accréditer mieux ses dits et ses faits, elle a, alors et dans la suite, usé de divination, en découvrant les mœurs, la vie et les actions secrètes de certaines personnes venues en sa présence, qu’elle n’avait précédemment ni vues, ni connues : toutes choses qu’elle se vantait de savoir par révélation.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Il est vrai que j’ai porté des nouvelles de par Dieu à mon roi et l’ai avisé que Notre Sire lui rendrait son royaume de France, le ferait couronner à Reims et chasserait ses adversaires. De cela je fus messagère de la part de Dieu, et je lui dis : Mettez moi hardiment en œuvre ; je lèverai le siège d’Orléans.

L’évêque*. — Quand vous dites que Dieu rendra à Charles le royaume de France, de quelle partie du pays parlez-vous ?

Jeanne. — Je parle de tout le royaume. Si le duc de Bourgogne et les autres sujets du roi ne viennent en obéissance, le roi les y fera venir par force.

L’évêque*. — Que dites-vous des faits mentionnés à la fin de l’article ? N’avez-vous pas notamment reconnu Robert et votre roi ?

Jeanne. — Là-dessus, je vous ai répondu jadis. Ce que je vous dis alors, je m’y tiens.

Courcelles. — Article 18. Tant que Jeanne est restée avec Charles, elle l’a dissuadé de toutes ses forces, lui et les siens, de se prêter à aucun traité de paix, à aucun accommodement avec ses adversaires ; l’excitant, lui et les siens, au meurtre et à l’effusion du sang humain, et affirmant qu’on ne pouvait acquérir la paix qu’avec le bout de la lance et de l’épée. Dieu l’avait ordonné ainsi, disait-elle, parce que les adversaires du roi ne quitteraient pas autrement ce qu’ils occupent dans le royaume. Les réduire par les armes était un des plus grands biens qui pussent advenir à toute la chrétienté.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Il y a la paix avec les Bourguignons et la paix avec les Anglais. Pour ce qui est du duc de Bourgogne, je l’ai requis, par lettres et par ambassadeurs, qu’il y eût paix entre le roi et lui. Quant aux Anglais, la paix qu’il y faut c’est qu’ils aillent en leur pays, en Angleterre.

L’évêque*. — Que répondez-vous pour le reste de l’article.

Jeanne. — J’y ai répondu jadis. Je m’en réfère à ma réponse.

Courcelles. — Article 19. Consultant les démons et usant de divination, Jeanne a envoyé chercher une épée qui était cachée dans l’église Sainte-Catherine de Fierbois. Peut-être même c’est elle qui, malicieusement, frauduleusement et dolosivement, avait caché ou fait cacher cette épée dans ladite église, afin de séduire les princes, les grands, le clergé et le peuple, induits à croire qu’une révélation lui avait dévoilé l’existence de cette épée, et afin d’obtenir, par ce stratagème et par d’autres pareils, qu’on attachât une foi inébranlable à toutes ses paroles.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en rapporte à ce que j’ai antérieurement répondu, et je nie le reste.

Courcelles. — Article 20. Elle a mis un sort dans son anneau, dans son étendard, et dans certaines pièces de toile ou panonceaux qu’elle portait et faisait porter par ses gens, et aussi dans l’épée trouvée par révélation, d’après son dire, à Sainte-Catherine de Fierbois. Sur tous ces objets, elle a fait force exécrations et conjurations en lieux nombreux et divers, assurant publiquement que, par leur moyen, elle obtenait victoire, et qu’à ceux de ses gens qui avaient des panonceaux de cette sorte il ne pourrait arriver malheur. Voilà ce qu’elle a déclaré en public, soit à Compiègne, avant de faire cette sortie où elle fut prise et beaucoup des siens blessés, tués ou pris, soit à Saint Denis, quand elle excitait l’armée à un assaut contre Paris.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en réfère à ce que j’ai dit précédemment. Sachez qu’en aucune chose que j’ai faite il n’y a sorcellerie ni autre mauvais art.

L’évêque. — D’où venait alors le bonheur de votre étendard ?

Jeanne. — Le bonheur de mon étendard, je le rapporte à l’heur que Notre-Seigneur lui a envoyé.

Courcelles. — Article 21 et 22. Jeanne a témérairement et présomptueusement fait écrire des lettres portant le nom de Jésus et de Marie, avec le signe de la croix intercalé, et les a envoyées de sa part à notre seigneur le roi, au duc de Bedfort, régent de France, et aux seigneurs et capitaines assiégeant alors Orléans, lettres remplies de choses mauvaises, pernicieuses et contraires à la foi catholique. En voici la teneur.

(On lit la lettre, dont le texte, déjà publié ci-dessus, — séance du 1er mars, — forme le 22e article de l’acte d’accusation).

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — La lettre dont on parle, je ne l’ai point faite par orgueil ou par présomption, mais par le commandement de Notre-Seigneur.

L’évêque*. — La reconnaissez-vous exacte ?

Jeanne. — J’en confesse le contenu exact, excepté trois mots, comme je vous l’ai dit précédemment.

L’évêque*. — Croyez-vous que les Anglais dussent prendre au sérieux votre lettre ?

Jeanne. — Si les Anglais eussent cru ma lettre, ils n’eussent fait que se montrer sages. Avant qu’il soit sept ans, ils s’apercevront bien de la vérité de ce que je leur écrivais.

Courcelles. — Article 23. De la teneur de cette lettre il appert visiblement que Jeanne sert de jouet aux mauvais esprits et les consulte souvent pour ce qu’elle a à faire, ou bien, qu’elle invente pernicieusement et mensongèrement de telles fables pour séduire le peuple.

L’évêque. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Il est faux que j’aie rien fait par le conseil des mauvais esprits.

Courcelles. — Article 24. Elle a abusé des noms de Jésus et de Marie et du signe de la croix qu’elle y mettait pour avertir les siens de croire et de faire tout le contraire de ce qu’elle leur mandait sous ce signe et avec ces noms.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en rapporte à ce que j’ai déjà répondu.

Courcelles. — Article 25. Usurpant l’office des anges, elle s’est dite envoyée de Dieu, même pour des choses tendant absolument à la violence et à l’effusion du sang humain : ce qui répugne tout à fait à la sainteté et est horrible et abominable à toute âme pieuse.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je commençais par requérir qu’on fit la paix, et, au cas où on ne voudrait pas faire la paix, j’étais toute prête à combattre.

Courcelles. — Article 26, 27, 28, 29 et 30. Jeanne, étant à Compiègne au mois d’août 1429, a reçu du comte d’Armagnac une lettre dont voici la teneur. (La lettre du comte, citée ci-dessus, séance du 1er mars, forme l’article 27.) À cette lettre Jeanne a fait la réponse que voici, signée de sa main. (Cette annonce de la lettre de Jeanne forme l’article 28. Suit la réponse de Jeanne, citée ci-dessus, même séance. Elle forme l’article 29. — Ce qui va suivre forme l’article 30). Requise ainsi par le comte d’Armagnac de dire lequel des trois était le vrai pape, Jeanne non seulement a douté, alors qu’il n’y avait pas de doute possible ; mais encore, présumant trop d’elle-même, faisant mince cas de l’autorité de l’Église universelle, et attachant plus de prix à son propre dire qu’à l’autorité de toute l’Église, elle s’est engagée à répondre, dans un délai déterminé, auquel des trois il faudrait croire, et cela, selon ce qu’elle trouverait d’elle-même par le conseil de Dieu, comme il appert pleinement de la lettre lue tout à l’heure.

L’évêque. — Jeanne, qu’avez-vous à dire au sujet des articles 26, 27, 28, 29 et 30, dont la lecture littérale vient de vous être faite ?

Jeanne. — Je m’en réfère à ce que j’ai précédemment répondu.

(La séance est levée ; et la suite de la lecture de l’acte d’accusation produit par le promoteur est renvoyée au lendemain mercredi 28 mars).

V. Suite de la lecture des soixante-dix articles de l’acte d’accusation et des réponses de Jeanne

(Le mercredi après les Rameaux, 28 mars. — Dans une chambre voisine de la grande salle du château de Rouen. — À côté des deux juges siègent trente cinq assesseurs.)

[L’évêque*. — Jeanne, prêtez serment de dire la vérité.

Jeanne. — Sur tout ce qui touche le procès, volontiers je dirai la vérité.

L’évêque. — Jurez.

Jeanne. — Ainsi, je le jure188.]

[L’évêque*. — Jeanne, avant qu’on reprenne la lecture de l’acte d’accusation, vous allez donner la réponse que vous nous avez promise hier pour aujourd’hui, au sujet de votre habit d’homme189.

Jeanne. — L’habit et les armes que j’ai portés, je les ai portés par le congé de Dieu.

L’évêque*. — Laissez maintenant votre habit d’homme.

Jeanne. — Je ne le laisserai pas sans le congé de Notre-Seigneur, dût-on me trancher la tête. Mais, si ainsi plaît à Notre-Seigneur, je le laisserai.

L’évêque*. — Nous vous répétons de prendre un habit de femme.

Jeanne. — Je ne prendrai point un habit de femme, si je n’en ai congé de Notre-Seigneur190.

L’évêque*. — Maître Thomas de Courcelles, continuez la lecture des articles du libellé produit par notre promoteur Jean d’Estivet.]

Courcelles. — Article 31191. Dès le temps de son enfance et depuis, Jeanne s’est vantée et se vante journellement d’avoir eu et d’avoir plusieurs révélations et visions. Quelles sont-elles ? Malgré les admonitions charitables et les réquisitions juridiques qui lui ont été adressées sous la foi du serment, Jeanne refuse toujours d’en donner ample témoignage. Ni elle ne dit un mot, ni elle ne fait un signe qui les fasse suffisamment connaître. Délais, contradictions et refus : telle a été et telle est sa tactique192. Plusieurs fois il lui est arrivé d’affirmer d’une manière formelle, et en jugement et au dehors, qu’elle ne ferait pas connaître ses révélations et ses visions, même à vous ses juges, dût-on lui couper la tête ou lui arracher les membres. Jamais, dit-elle, on ne m’arrachera de la bouche le signe que Dieu m’a révélé et par lequel il a été connu que je venais de Dieu.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Pour ce qui est de révéler le signe ou autres choses contenues dans l’article, j’ai bien pu dire que non. Dans ma confession autrefois faite, il doit y avoir que, sans le congé de Notre-Seigneur, je ne révélerai point le signe.

Courcelles. — Article 32. Les refus de Jeanne vous autorisent fortement à présumer que ses révélations et ses visions, si toutefois elle en a eu, lui sont venues des esprits menteurs et malins, plutôt que des bons. Tout le monde doit le tenir pour certain, attendu sa dureté, son orgueil, son vêtement, ses actions, ses mensonges et les contradictions ici signalées. Ce sont là des présomptions juridiques tout à fait légitimes.

L’évêque. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je nie tout cela. Ce que j’ai fait, je l’ai fait par révélations de sainte Catherine et de sainte Marguerite, et je le soutiendrai jusqu’à la mort.

L’évêque*. — Est-ce que ce sont ces saintes qui vous ont fait user pour vos lettres des noms de Jésus et de Marie ?

Jeanne. — Si j’ai mis sur mes lettres Jesus Maria, c’est parce que j’ai été conseillée de le faire par des gens de mon parti. Dans quelques-unes je mettais Jesus Maria ; dans d’autres, non.

L’évêque*. — Comment donc pouvez-vous dire que vous avez tout fait par le conseil de Notre-Seigneur ?

Jeanne. — Dans la réponse où je dis : Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait par le commandement de Notre-Seigneur, il doit y avoir : Tout ce que j’ai fait de bien.

L’évêque*. — Fîtes-vous bien ou mal d’aller devant La Charité ?

Jeanne. — Si j’ai mal fait, on s’en confessera.

L’évêque. — Fîtes-vous bien d’aller devant Paris ?

Jeanne. — Les gentilshommes de France voulurent aller devant Paris. De ce faire, il me semble qu’ils firent leur devoir, en allant contre leurs adversaires.

Courcelles. — Article 33. Jeanne présomptueusement et témérairement s’est vantée et se vante de prévoir l’avenir ; d’avoir prévu le passé ; de connaître parmi les choses présentes celles qui sont obscures ou cachées pour tous. En cela, elle s’attribue une prérogative de la divinité, elle, créature humaine, simple et ignorante.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Il est au pouvoir de Notre-Seigneur de révéler [ce qu’il lui plaît] à qui il lui plaît. Ce que j’ai dit de l’épée de Fierbois et autres choses à venir, c’est par révélation.

Courcelles. — Article 34. Obstinée dans sa témérité et dans sa présomption, Jeanne prétend connaître les voix des archanges, des anges, des saints et des saintes de Dieu, et affirme qu’elle sait discerner leurs voix des voix humaines.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Sur ce point, je m’en tiens à mes dires précédents. Pour ce qui est de ma témérité et de ce que l’article conclut, je m’en rapporte à Notre-Seigneur, mon juge.

Courcelles. — Article 35. Jeanne s’est vantée de savoir discerner ceux que Dieu aime et ceux que Dieu hait.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en tiens à ce que j’ai dit autrefois du roi et du duc d’Orléans. Des autres, je ne sais.

L’évêque*. — Pouvez-vous savoir si Dieu aime votre roi et le duc d’Orléans ?

Jeanne. — Je sais bien que Dieu aime mon roi et le duc d’Orléans mieux que moi, pour l’aise de leurs corps193.

L’évêque*. — Comment le savez-vous ?

Jeanne. — Je le sais par révélation.

Courcelles. — Article 36. Jeanne prétend qu’elle connaît et que d’autres, sur ses instances, ont connu, comme certainement existante, une voix qu’elle appelait sa voix et qui venait à elle. Cependant, c’est la nature d’une voix du genre de celle que Jeanne désigne d’être invisible à toute créature humaine.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je m’en tiens à ce qu’autrefois j’ai répondu.

Courcelles. — Article 37. Jeanne confesse avoir souvent fait le contraire de ce qui lui était prescrit par ces révélations qu’elle se vante d’avoir ; par exemple, quand elle quitta Saint-Denis après l’assaut de Paris, quand elle sauta du haut de la tour de Beaurevoir, et dans quelques autres cas. En quoi il est manifeste ou que Jeanne n’a pas eu des révélations de Dieu, ou que, si elle en a eu, elle les a méprisées, elle qui prétend en toutes choses être régie et gouvernée expressément par elles. Jeanne a dit aussi que, lorsqu’elle eut ordre de ne pas sauter du haut de la tour, elle fut si tentée de faire le contraire qu’il lui était impossible de faire autrement. C’est là mal penser du libre arbitre et tomber dans l’erreur de ceux qui croient que notre liberté peut être contrainte par des inclinations fatales ou autres causes semblables.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à répondre ?

Jeanne. — Je m’en tiens à ce que j’ai autrefois répondu. J’ajouterai que, quand je suis partie de Saint Denis, j’eus congé de m’en aller.

L’évêque. — Ne croyez-vous point qu’agir contre le commandement de vos voix, c’était pécher mortellement ?

Jeanne. — Vous avez eu jadis ma réponse là-dessus. Je m’en réfère à elle. Quant à ce que conclut votre article, je m’en attends à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 38. Quoique depuis sa jeunesse elle ait commis un très grand nombre de méfaits honteux, cruels, scandaleux, flétrissants et indignes de son sexe, Jeanne affirme que, tout ce qu’elle a fait, elle l’a fait de la part de Dieu et d’après sa volonté, grâce aux révélations des anges, de sainte Catherine et de sainte Marguerite.

L’évêque. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en rapporte à ce que j’ai dit précédemment.

Courcelles. — Article 39. Quoique le juste tombe sept fois en un jour, Jeanne a dit et publié qu’elle n’avait jamais fait ou du moins qu’elle croyait n’avoir jamais fait œuvre de péché mortel. Cependant elle a accompli tous les actes dont sont coutumiers tous les gens de guerre, et pis encore, comme le marquent nombre d’articles qui précédent ou qui vont suivre.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à répondre ?

Jeanne. — J’ai répondu. Je m’en réfère à ce que j’ai dit autrefois.

Courcelles. — Article 40. Oublieuse de son salut et docile à l’instigation du diable, Jeanne n’a pas rougi de recevoir, à diverses reprises et en divers lieux, le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en ayant sur elle un vêtement d’homme, vêtement contraire aux bonnes mœurs et interdit à la fois par Dieu et par l’Église.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je vous en ai autrefois répondu ; et je m’en réfère à ce que j’ai dit. Pour ce que conclut l’article, je m’en attends à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 41. Jeanne, comme une désespérée, par haine et par mépris des Anglais et par crainte de la destruction de Compiègne qu’elle avait entendu annoncer, s’est précipitée du haut d’une tour. C’est à l’instigation du diable qu’elle avait mis dans sa tête de commettre ce méfait. Elle s’est appliquée à le commettre ; elle l’a commis autant qu’il était en elle. En se précipitant, elle était si bien poussée et conduite par un instinct diabolique qu’elle avait plutôt en vue de sauver les corps des habitants de Compiègne que de sauver son âme, et d’autres âmes ; même, maintes fois, elle s’est vantée qu’elle se tuerait plutôt que de permettre qu’on la livrât aux mains des Anglais.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je m’en attends à ce qu’autrefois j’en ai dit.

Courcelles. — Article 42. Jeanne a dit et publié que sainte Catherine, sainte Marguerite et saint Michel avaient un corps, c’est-à-dire une tête, des yeux, un visage, des cheveux et le reste194. Elle a ajouté qu’elle avait de ses mains touché les deux saintes, et qu’elle les avait baisées et embrassées.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — J’ai précédemment répondu là-dessus ; et je m’en réfère à ce que j’ai dit.

Courcelles. — Article 43. Jeanne a dit et publié que les saints et les saintes, les anges et les archanges parlent français, et non anglais, parce que saints et saintes, anges et archanges, ils ne sont pas du parti des Anglais, mais du parti des Français. C’est faire outrage aux saints et aux saintes qui sont dans la gloire que de leur prêter ainsi une haine capitale pour un royaume catholique et pour une nation dévouée, selon les règlements de l’Église, à la vénération de tous les saints.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article qui vient de vous être exposé mot pour mot195 ?

Jeanne. — Je m’en attends à Notre-Seigneur et à ce que j’ai précédemment répondu.

Courcelles. — Article 44. Elle s’est vantée et se vante, a publié et publie que sainte Catherine et sainte Marguerite lui ont promis de la conduire en paradis et lui ont certifié que, pourvu qu’elle gardât sa virginité, elle obtiendrait la béatitude. Et elle s’en croit sûre.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m en attends à Notre-Seigneur et à ce que j’ai précédemment répondu.

Courcelles. — Article 45. Quoique les jugements de Dieu soient pour nous souverainement insondables, Jeanne a dit et répété qu’elle avait connu et connaissait qui sont les saints, les saintes, les anges, les archanges, enfin les élus de Dieu ; et qu’elle en faisait le discernement.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en réfère à ce que j’ai déjà répondu.

Courcelles. — Article 46. Jeanne déclare qu’elle avait requis affectueusement sainte Catherine et sainte Marguerite pour ceux de Compiègne avant de faire le saut de Beaurevoir, et qu’entre autres choses elle disait à ces saints en manière de reproche : Et comment ! laissera Dieu ainsi mourir mauvaisement ceux de Compiègne qui sont si loyaux196 ! En quoi apparaît son impatience et son irrévérence envers Dieu et les saints.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en réfère à ce. que j’ai précédemment répondu.

Courcelles. — Article 47. Mécontente de sa blessure, et voyant qu’elle avait sauté de la tour de Beaurevoir sans parvenir à son but, Jeanne blasphéma Dieu, les saints et les saintes, les renia injurieusement et les insulta horriblement, au point que tous ceux qui étaient là en furent révoltés. Depuis qu’elle est dans le château de Rouen, plusieurs fois et à différents jours, Jeanne a encore blasphémé et renie Dieu, la bienheureuse Vierge, les saints et les saintes, supportant impatiemment et détestant d’avoir à comparaître devant les hommes d’église et à être jugée.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je m’en rapporte à Notre-Seigneur et à ce que j’ai précédemment répondu.

Courcelles. — Article 48. Jeanne a dit qu’elle avait cru et croyait que les esprits lui apparaissant étaient des anges, des archanges et des saints de Dieu, aussi fermement qu’elle croit à la religion chrétienne et aux articles de foi. Cependant elle ne rapporte aucun signe qui puisse suffire à expliquer cette croyance. Elle n’a consulté ni évêque, ni curé, ni prélat, ni personne ecclésiastique quelconque pour savoir si elle devait donner sa créance à de tels esprits. Bien plus, elle a dit que ses voix lui interdisaient de révéler à quiconque les communications qu’elles lui faisaient, si ce n’est d’abord à un capitaine des gens de guerre, puis à Charles et à d’autres personnes purement laïques. N’est-ce pas là confesser que sa croyance est téméraire, sa foi ignorante et mal fondée, et ses révélations suspectes, puis que ces révélations, elle a voulu les tenir cachées aux prélats et aux gens d’Église, pour s’en ouvrir de préférence à des séculiers !

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je m’en réfère à mes réponses que vous avez couchées par écrit. Ces signes dont vous parlez, si ceux qui les demandent n’en sont pas dignes, je n’en peux mais. Ce n’est pas faute d’avoir été plusieurs fois en prière pour qu’il plût à Dieu que révélation en fût faite à aucuns de ce parti.

L’évêque*. — Mais pourquoi n’avoir pas consulté des hommes d’Église avant de donner votre foi ?

Jeanne. — De croire à mes révélations, je n’en demande pas conseil à évêque, curé ou autre.

L’évêque*. — Qu’est-ce qui vous a fait croire que c’était saint Michel qui vous parlait ?

Jeanne. — J’ai cru que c’était saint Michel pour la bonne doctrine qu’il me montrait.

L’évêque. — Est-ce que saint Michel vous dit : Je suis saint Michel ?

Jeanne. — J’ai autrefois répondu.

L’évêque*. — N’avez-vous plus rien à dire ?

Jeanne. — Pour ce que conclut l’article, je m’en attends à Notre-Seigneur. Autant je crois que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert la mort pour nous racheter des peines de l’enfer, aussi fermement je crois que c’est saint Michel, saint Gabriel, sainte Catherine et sainte Marguerite que Notre-Seigneur m’envoie pour me conforter et conseiller.

Courcelles. — Article 49. Sans autre fondement que sa seule fantaisie, Jeanne a vénéré ces sortes d’esprits, baisant la terre par où elle dit qu’ils ont passé, fléchissant le genoux devant eux, les embrassant, les baisant, leur faisant mille révérences, leur rendant grâce à mains jointes, contractant familiarité avec eux. Et ce pendant elle ne sait si ce sont de bons esprits ; même, sur les circonstances déjà signalées, ces esprits doivent être jugés par elle et sont visiblement de mauvais esprits plutôt que de bons esprits. Ainsi, il y a là un culte, une vénération qui paraissent tenir de l’idolâtrie et d’un pacte avec les démons.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Du commencement, j’en ai répondu. De la conclusion, je m’en attends à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 50. Chaque jour et plusieurs fois par jour, Jeanne invoque ces mauvais esprits et les consulte sur ses actions particulières, entre autres sur les réponses qu’elle doit faire en justice. Il semble y avoir là et il y a invocation de démons.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Vous avez mes réponses. J’appellerai mes voix à mon aide tant que je vivrai.

L’évêque. — Comment les requérez-vous ?

Jeanne. — Je réclame Notre-Seigneur et Notre-Dame qu’ils m’envoient conseil et confort ; et puis ils me l’envoient.

Un docteur. — Par quelles paroles les requérez-vous ?

Jeanne. — J’adresse une requête en cette manière197 : Très doux Dieu, en l’honneur de votre sainte Passion, je vous requiers, si vous m’aimez, que vous me révéliez ce que je dois répondre à ces gens d’Église. Je sais bien, quant à l’habit, le commandement comment je l’ai pris, mais je ne sais point par quelle manière je le dois laisser. Pour ce, plaise vous à moi l’enseigner. Et tout aussitôt les voix viennent.

L’évêque*. — Vos voix vous parlent-elles jamais de vos juges ?

Jeanne. — J’ai souvent, par mes voix, nouvelles de vous, monseigneur de Beauvais.

L’évêque. — Que vous disent-elles de moi ?

Jeanne. — Je vous le dirai à vous, à part.

L’évêque*. — Avez-vous entendu vos voix aujourd’hui ?

Jeanne. — Aujourd’hui, elles sont venues trois fois.

L’évêque. — Étaient-elles dans votre chambre ?

Jeanne. — Je vous en ai répondu. Toutefois, je les entendais bien.

L’évêque*. — Qu’est-ce qu’elles vous ont dit ?

Jeanne. — Sainte Catherine, et sainte Marguerite m’ont dit la manière dont je devais répondre touchant l’habit.

Courcelles. — Article 51. Jeanne ne craint pas de se vanter d’avoir été visitée à Chinon, dans la maison de certaines femmes, par saint Michel, l’archange de Dieu, qui serait venu à elle avec une grande multitude d’anges. À l’en croire, il s’est promené avec elle en la tenant par la main ; ils ont monté ensemble les degrés du château, et se sont rendus à l’appartement du roi. Là l’archange a fait la révérence au roi en s’inclinant devant lui ; et il était entouré, comme cela vient d’être dit, d’une multitude d’anges dont les uns avaient une couronne, les autres des ailes. Dire de telles choses des archanges et des saints anges doit être réputé présomption, témérité et mensonge, d’autant plus qu’on ne lit point que jamais les anges et les archanges se soient ainsi inclinés et aient fait pareille révérence devant aucun saint, pas même devant la Bienheureuse Vierge, mère de Dieu. Jeanne a encore souvent dit que l’archange saint Gabriel était venu à elle, avec saint Michel, en compagnie de mille millions d’anges. Elle se vante de plus que le même ange, à sa prière, avait apporté, dans cette société d’anges, pour son roi, une couronne fort précieuse, destinée à être mise sur sa tête et maintenant déposée dans le trésor dudit roi. Au dire de Jeanne, son roi eût été couronné à Reims avec cette couronne s’il eût attendu quelques jours ; mais par suite de la hâte apportée à son couronnement, il en reçut une autre. En tout cela, au lieu de révélations divines, il ne peut y avoir que fictions imaginées par Jeanne à l’instigation du diable, ou visions dans lesquelles le démon, par des apparitions trompeuses, s’est joué de la curiosité d’une fille qui cherche ce qui la passe et est au-dessus de sa condition.

Jeanne. — Je vous ai autrefois répondu sur l’ange qui apporta le signe. Quant à ce que dit le promoteur des mille millions d’anges, je ne suis pas souvenante de l’avoir dit, du moins quant au nombre. Ce que je puis dire c’est que je n’ai jamais été blessée que je n’aie eu, de par Notre-Seigneur, grand confort et grande aide de sainte Catherine et de sainte Marguerite.

L’évêque*. — Parlez-nous de la couronne.

Jeanne. — Je vous en ai précédemment répondu. Pour la conclusion de l’article que le promoteur met contre mes faits, je m’en attends à Dieu Notre-Seigneur.

L’évêque*. — Où la couronne fut-elle faite et forgée ?

Jeanne. — Où la couronne fut faite et forgée, je m’en rapporte à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 52. Jeanne, par toutes ses inventions, a tellement séduit le peuple catholique que beaucoup, en sa présence, l’ont adorée comme sainte, et, en son absence, l’adorent encore. Ils ordonnent, par vénération pour elle, messes et collectes dans les églises ; ils vont jusqu’à dire qu’elle est la plus grande de toutes les saintes de Dieu, après la Bienheureuse Vierge Marie ; dans les chapelles des saints, ils lui élèvent des statues et des images ; ils en viennent à porter sur eux des médailles de plomb ou d’autre métal qui la représentent, selon l’usage établi pour honorer le souvenir et la mémoire des saints canonisés par l’Église ; enfin ils proclament publiquement qu’elle est envoyée de Dieu, et ange plutôt que femme. De telles choses sont pernicieuses pour la religion chrétienne et constituent des scandales beaucoup trop dommageables pour le salut des âmes.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à répondre sur cet article ?

Jeanne. — Sur les faits énumérés au commencement, je vous ai autrefois répondu. Sur les conclusions, je m’en rapporte à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 53. Contrairement aux prescriptions de Dieu et des saints, Jeanne s’est présomptueusement et superbement érigée en chef de guerre, ayant domination sur des hommes, et elle a commandé jusqu’à seize mille hommes, parmi lesquels des princes, des barons, une foule de gentilshommes, les faisant guerroyer sous ses ordres, comme principal capitaine.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je vous ai précédemment répondu. Si j’étais chef de guerre, c’était pour battre les Anglais. De ce que conclut votre article, je m’en rapporte à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 54. Jeanne, contre toute bienséance, a vécu avec des hommes, refusant la compagnie et les soins des femmes, ne voulant être servie que par des hommes, même dans son particulier et dans les détails les plus secrets : ce qui ne s’est jamais vu ni ouï d’une femme chaste et pieuse.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire là-dessus ?

Jeanne. — Mon gouvernement était d’hommes. Quant au logis et au gîte, le plus souvent j’avais une femme avec moi. En guerre, je couchais vêtue et armée, là où je ne pouvais trouver de femme. Sur ce que conclut l’article, je m’en rapporte à Dieu.

Courcelles. — Article 55. Jeanne a abusé des révélations et prophéties qu’elle dit lui venir de Dieu, pour en tirer lucre et profit. Elle s’est ainsi acquis grandes richesses, grand luxe et grand train de maison en officiers, chevaux et ornements ; elle a procuré de grands revenus à ses frères et à ses parents ; enfin elle a imité les faux prophètes qui, pour gains ou faveurs temporelles, accommodent leurs feintes révélations aux goûts des princes, abusent des oracles divins et mettent dans la bouche de Dieu leurs mensonges.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — J’ai déjà répondu.

L’évêque*. — N’avez-vous rien à dire des dons faits à vos frères ?

Jeanne. — Ce que le roi leur a donné, c’est de sa grâce, sans que je l’en aie requis. Quant à la charge que me donne le promoteur et à la conclusion de l’article, je m’en rapporte à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 56. Jeanne s’est vantée plusieurs fois d’avoir deux conseillers qu’elle appelle conseillers de la fontaine, lesquels sont venus à elle depuis qu’elle a été prise, ainsi que cela a été révélé par une déclaration de Catherine de La Rochelle faite devant l’official de Paris : Jeanne, a dit Catherine, sortira de prison par le secours du diable, à moins qu’elle ne soit bien gardée.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je m’en tiens à ce que j’ai déjà dit. Les conseillers de la fontaine, je ne sais ce que c’est. Mais je crois bien qu’une fois j’entendis à la fontaine sainte Catherine et sainte Marguerite. Pour ce que conclut l’article, je le nie. En nom Dié198, je ne voudrais pas que le diable m’eût tirée hors de prison.

Courcelles. — Article 57. Jeanne, le jour de la Nativité de la sainte Vierge, a fait réunir l’armée de Charles pour attaquer Paris. Elle allait en tête, promettant qu’on entrerait à Paris ce jour-là. — Je le sais, disait-elle, par révélation. C’est grâce à ses instances qu’on prit toutes les dispositions possibles pour arriver à prendre la ville. Néanmoins, Jeanne n’a pas craint de nier tout cela en justice, devant nous. De même, en d’autres lieux, à la Charité-sur-Loire, à Pont-l’Évêque, à Compiègne, lorsqu’elle a attaqué l’armée du duc de Bourgogne, Jeanne a promis et prédit force choses à elle soi-disant révélées. Or, de ces choses rien n’est arrivé ; et c’est précisément le contraire qui s’est produit. Devant nous, Jeanne a nié ces prédictions, parce qu’elles ne se sont pas réalisées comme elle l’avait dit. Et cependant beaucoup de gens de foi attestent la publicité qu’elle leur a donnée. Ce n’est pas tout. Lors de l’assaut de Paris, Jeanne se dit assistée par mille milliers d’anges, prêts à la porter en paradis si elle fût morte. Et comme on lui posa cette question : Comment, malgré les promesses, a-t-il pu arriver que non seulement vous ne soyez point entrée à Paris, mais encore que plusieurs de vos gens et vous-même ayez été blessés cruellement, quelques-uns même tués, il paraît qu’elle répondit : C’est Jésus qui m’a failli à sa promesse199.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — J’ai déjà répondu autrefois sur le commencement ; et, si j’en suis avisée plus avant, volontiers j’en répondrai plus avant. Quant à la fin, que Jésus m’ait failli, je le nie.

Courcelles. — Article 58. Jeanne a fait peindre sur son étendard Dieu tenant le monde en sa main et ayant deux anges à ses côtés, avec ces mots Jésus Marie, et avec d’autres dessins. Elle dit qu’elle en a agi ainsi d’après un commandement de Dieu qui le lui aurait révélé par l’entremise des anges et des saints. Cet étendard, elle l’a porté à Reims, près de l’autel, pendant le sacre de Charles, voulant, par orgueil et par vaine gloire, qu’il fût entre tous particulièrement honoré. Elle a fait aussi peindre ses armes, dans les quelles elle a placé deux lis d’or sur croix d’azur, et au milieu des lis une épée d’argent avec poignée et croix dorées, la pointe dressée en haut et une couronne d’or au sommet. Tout cela visiblement n’est que faste et vanité ; ce n’est ni religion ni piété. Attribuer à Dieu et aux anges l’initiative de frivolités pareilles, c’est manquer de respect à Dieu et à ses saints.

L’évêque. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — J’y ai déjà répondu. Du contredit mis par le promoteur, je m’en attends à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 59. À Saint-Denis en France, Jeanne a fait déposer en offrande, dans l’église, à un endroit apparent, les armes sous lesquelles elle fut blessée lors de l’attaque contre Paris, afin qu’elles fussent honorées par le peuple comme des reliques. Dans la même ville de Saint-Denis, elle a fait allumer des cierges dont elle versait la cire fondue sur la tête de petits enfants, prédisant leur fortune à venir, et se livrant à beaucoup de divinations au moyen de ce genre de sortilège.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Quant à mes armes, j’ai déjà répondu. Quant à ce qu’on conte de chandelles allumées et distillées, je le nie.

Courcelles. — Article 60. Jeanne, méprisant les prescriptions et sanctions de l’Église, s’est plusieurs fois refusée à jurer de dire la vérité en justice, se rendant par là suspecte d’avoir dit ou fait, en matière de foi ou de révélation, certaines choses qu’elle n’ose révéler aux juges ecclésiastiques par crainte d’un digne châtiment. De quoi elle semble avoir elle-même fait l’aveu, quand, à ce propos, elle a devant ce tribunal allégué le proverbe : Pour dire la vérité on est souvent pendu, ou dit encore : Vous ne saurez pas tout, et aussi : J’aimerais mieux avoir la tête coupée que de tout vous dire.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je n’ai point pris délai, excepté pour plus sûrement répondre à ce qu’on me demandait ; ou encore, doutant si je répondrais, je demandais délai pour savoir si je le devais faire.

L’évêque*. — Vous avouez donc n’avoir pas tout fait connaître ?

Jeanne. — Quant au conseil du roi, tout ce qui ne touche point le procès, je ne l’ai pas voulu révéler. Et si j’ai parlé du signe donné au roi, c’est que les gens d’Église m’ont condamnée à le dire.

Courcelles. — Article 61. Jeanne, avertie d’avoir à soumettre tous ses dits et ses faits à l’Église militante et instruite de la distinction à faire entre l’Église militante et l’Église triomphante, a déclaré se soumettre à l’Église triomphante, refusant de se soumettre à l’Église militante, et se confessant ainsi mal pensante sur l’article : Je crois en l’Église une, sainte, etc., et être là-dessus dans l’erreur200. Elle a dit ne relever directement que de Dieu, ne s’en rapportant de tous ses faits qu’à lui et à ses saints et non au jugement de l’Église201.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — À l’Église militante je voudrais porter honneur et révérence de tout mon pouvoir.

L’évêque. — Vous en rapportez-vous à elle de vos faits ?

Jeanne. — Il faut que je m’en rapporte à Notre-Seigneur Dieu qui me l’a fait faire.

L’évêque. — Vous ne voulez donc pas vous en rapporter à l’Église militante quant à ce que vous avez fait ?

Jeanne. — Envoyez-moi le clerc samedi prochain et je vous en répondrai.

Courcelles. — Article 62. Jeanne s’efforce de scandaliser le peuple et de l’attirer à croire fermement en ses dits et ses faits, revendiquant pour soi l’autorité de Dieu et des anges et s’élevant au-dessus de tout pouvoir ecclésiastique pour induire les hommes en erreur. Ainsi ont coutume de faire les faux prophètes qui introduisent des sectes d’erreur et de perdition et se séparent de l’unité du corps de l’Église. Rien de plus pernicieux dans la religion chrétienne. Si les prélats de l’Église n’y pourvoient, il pourra s’ensuivre le renversement de toute autorité ecclésiastique. Il s’élèvera de toute part des hommes et des femmes qui se feindront gratifiés de révélations de Dieu et des saints en semant mensonges et erreurs. Déjà, pour beaucoup, l’expérience en a été faite depuis que cette femme s’est élevée et a commencé à scandaliser le peuple chrétien par la propagation de ses impostures.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Samedi je vous en répondrai.

Courcelles. — Article 63. Jeanne ne craint pas de mentir en justice et de violer son propre serment en affirmant, au sujet de ses révélations, beaucoup de choses contradictoires et incompatibles ; de jeter des malédictions sur de notables personnes, sur des seigneurs, sur tout un peuple ; de proférer irrévérencieusement des paroles de dérision et de moquerie qui n’ont rien de commun avec l’état de sainteté et manifestent qu’au lieu d’être régie et gouvernée par le conseil de Dieu et des anges, comme elle s’en vante, elle est régie et gouvernée dans ses actions par les esprits mauvais, selon la parole de Jésus-Christ disant des faux prophètes : Vous les reconnaîtrez à leurs fruits.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je m’en rapporte à ce que j’en ait dit. De la charge et conclusion, je m’en attends à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 64. Jeanne se vante de savoir qu’elle a obtenu le pardon du péché qu’elle commit, quand elle se précipita, par désespoir et l’esprit malin l’y poussant, du haut de la tour de Beaurevoir. Cependant l’Écriture dit que nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine, ni par conséquent s’il est purgé de son péché et justifié.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je vous en ai donné réponse suffisante et je m’y réfère. De la charge et conclusion je m’en rapporte à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 65. Jeanne dit fréquemment qu’elle demande à Dieu de lui envoyer révélation expresse par les anges, par sainte Catherine et sainte Marguerite, sur ce qu’elle doit faire, par exemple si elle doit répondre la vérité en justice touchant certains points et des faits qui lui sont personnels. C’est là tenter Dieu et lui demander ce qui ne doit pas lui être demandé, n’y ayant point nécessité, et l’humanité pouvant suffire à de telles recherches. Ainsi, particulièrement dans le saut de Beaurevoir déjà mentionné, il paraît manifeste que Jeanne a tenté Dieu.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — J’y ai déjà répondu. Je ne veux point révéler ce qui m’a été révélé sans le congé de Notre-Seigneur. Je ne requiers point Notre-Seigneur sans nécessité. Je voudrais qu’il m’envoyât encore plus de révélations afin qu’on s’aperçut mieux que je suis venue de par Dieu et que c’est lui qui m’a envoyée.

Courcelles. — Article 66. Dans ce qui a été dit au cours du présent réquisitoire, il y a des points contraires au droit divin, au droit évangélique, au droit canonique, au droit civil et aux règles consacrées dans les conciles généraux ; il y a des sortilèges, des divinations, des superstitions, des choses sentant l’hérésie ou formellement ou implicitement, des erreurs sur la foi menant à tous les égarements ; il y a des choses séditieuses, propres à empêcher ou à troubler la paix et poussant à l’effusion du sang humain ; il y a des malédictions et des blasphèmes contre Dieu, les saints et les saintes, dont sont blessées les oreilles pieuses. En tout cela, l’accusée, dans sa téméraire audace et sous l’impulsion du diable, a offensé Dieu et sa sainte Église, vis-à-vis de qui elle s’est montrée rebelle et pécheresse ; elle a été une cause de scandale et notoirement diffamée. C’est pourquoi elle a dû comparaître afin qu’il fût procédé par vous à son amendement et à sa correction.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Je suis une bonne chrétienne. De toutes les charges mises dans cet article je m’en rapporte à Notre-Seigneur.

Courcelles. — Article 67. Ces méfaits, tous et chacun, ont été commis, perpétrés, dits, proférés, récités, promulgués, mis en œuvre, tant dans notre juridiction (dans le diocèse de Beauvais) qu’ailleurs, en plusieurs et divers lieux de ce royaume, et non une fois mais plusieurs fois, en différents temps, jours et heures. Il y a eu récidives dans les méfaits de Jeanne, et elle a donné conseil, aide, faveur à ceux qui les ont perpétrés avec elle.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je nie.

Courcelles. — Article 68. C’est par la clameur publique, frappant vos oreilles non une mais plusieurs fois, c’est par le bruit public et par une information faite sur les griefs susdits, que vous avez reconnu l’accusée comme véhémentement suspecte et diffamée ; que vous avez conclu à une instruction à laquelle il serait procédé par vous ou l’un de vous, et que vous avez fait citer cette femme pour qu’elle eût à répondre sur les points énoncés, ainsi qu’il a été fait.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Cela regarde les juges.

Courcelles. — Article 69. Pour tout ce qui précède, ladite accusée a été et est véhémentement suspectée, convaincue de scandale, et très notoirement diffamée auprès des personnes graves et honnêtes, et pourtant elle ne s’est en rien ni amendée, ni corrigée. Elle a différé et diffère ; elle a refusé et refuse. Nous la voyons persévérer et s’obstiner dans ses erreurs, malgré toutes les admonitions, requêtes et sommations qui lui ont été bien et dûment adressées, avec grande charité, et par vous et par un grand nombre de gens d’Église no tables, et par d’autres très honnêtes personnes.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire sur cet article ?

Jeanne. — Ce qui est délit et que le promoteur met en avant contre moi, je ne l’ai pas fait. Du surplus, je m’en remets à Notre-Seigneur.

L’évêque. — Dans les délits dont vous êtes chargée, ne reconnaissez-vous pas combien il y a de manquements à la foi chrétienne ?

Jeanne. — Je ne crois point avoir rien fait contre la foi chrétienne.

L’évêque. — Dans le cas où vous auriez fait quelque chose contre la foi chrétienne, voudriez-vous vous sou mettre à l’Église et à ceux à qui en appartient la correction ?

Jeanne. — Samedi, après dîner, je vous répondrai.

Courcelles. — Article 70. Les propositions susdites, toutes et chacune, sont vraies, notoires, manifestes. La voix publique et la renommée en a été et en est encore saisie. L’accusée les a plusieurs fois et suffisamment reconnues et confessées pour vraies devant des hommes probes et dignes de foi, et tant en jugement que hors jugement202.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à dire ?

Jeanne. — Je nie tout, hors ce que j’ai confessé.

Maître Thomas de Courcelles. — Sur ces points et sur d’autres que vous pourrez suppléer, corriger et rectifier, le promoteur vous demande et supplie de questionner l’accusée et, votre conviction une fois faite sur tout ou partie des griefs articulés, autant qu’il sera nécessaire pour le but proposé, qui est de porter et prononcer une sentence en connaissance de cause, le promoteur conclut qu’il soit ultérieurement décidé et jugé par vous sur le tout, ainsi que de droit et de raison. En toutes ces choses, il implore humblement votre office, ainsi qu’il convient.

VI. Interrogatoire supplémentaire sur la soumission de Jeanne à l’Église

(Le 31 mars, veille de Pâques. — Dans la prison. — Les deux juges sont assistés par les six universitaires et par Guillaume Haiton. — Sont en outre présents messire Guillaume Mouton et John Gris.)

L’évêque*. — Jeanne, avec l’assistance des seigneurs et maîtres ici présents et sous notre présidence, vous allez être interrogée sur quelques points au sujet desquels, pour répondre, vous avez demandé délai jusqu’à ce jour, samedi, veille de Pâques203.

L’interrogateur. — Jeanne, voulez-vous vous rapporter au jugement de l’Église qui est sur terre, de tout ce que vous avez dit ou fait, soit bien soit mal, spécialement des cas, crimes, délits, qu’on vous impute et de tout ce qui touche votre procès ?

Jeanne. — De tout ce qu’on me demande, je m’en rapporterai à l’Église militante, pourvu qu’elle ne me commande chose impossible à faire.

L’interrogateur*. — Que réputez-vous impossible ?

Jeanne. — Je répute impossible que mes faits et dits, déclarés au procès, touchant mes visions et révélations, ne soient pas faits et dits venant de par Dieu. Je ne les révoquerai pour chose au monde. Ce que Notre-Seigneur m’a fait faire et commandé et commandera, je ne le laisserai à faire pour homme qui vive. Il me serait impossible de le révoquer. Et, au cas où l’Église voudrait me faire faire autre chose à l’encontre du commandement qui m’a été fait par Dieu, je ne le ferais pour rien.

L’interrogateur. — Si l’Église militante vous dit que vos révélations sont illusions ou choses diaboliques, vous en rapporterez-vous à l’Église ?

Jeanne. — Je m’en rapporterai à Notre-Seigneur, duquel je ferai toujours le commandement. Je sais bien que ce qui est contenu au procès est venu par le commandement de Dieu.

L’interrogateur*. — N’y a-t-il pas beaucoup de choses que vous auriez pu vous déterminer à faire autrement ?

Jeanne. — Ce que j’ai affirmé au procès avoir fait du commandement de Dieu, il me serait impossible de faire le contraire.

L’interrogateur*. — Et si l’Église militante vous commandait de faire le contraire ?

Jeanne. — Au cas où l’Église militante me commanderait de faire le contraire, je ne m’en rapporterais point à homme du monde, mais à Notre-Seigneur, et je ferais toujours son bon commandement.

L’interrogateur. — Ne croyez-vous point être sujette à l’Église de Dieu qui est sur terre, c’est-à-dire à notre saint père le pape, aux cardinaux, archevêques, évêques et autres prélats de l’Église ?

Jeanne. — Oui, Notre Sire Dieu premier servi.

L’interrogateur. — Avez-vous commandement de vos voix de ne pas vous soumettre à l’Église militante qui est sur la terre, ni à ses jugements ?

Jeanne. — Je ne réponds chose que je prenne en ma tête. Ce que je réponds, c’est du commandement de mes voix. Elles ne commandent point que je n’obéisse pas à l’Église, Notre Sire Dieu premier servi.

L’interrogateur. — Au château de Beaurevoir, ou à Arras, ou ailleurs, aviez-vous des limes ?

Jeanne. — Si on en a trouvé sur moi, je ne vous en ai autre chose à répondre.

L’évêque. — Seigneurs et maîtres, nous pouvons nous retirer. À un autre jour les suites du présent procès de foi204.

(La séance est levée.)

VII. Le sommaire en douze articles

Examen fait des soixante-dix articles, des interrogatoires et des réponses de Jeanne, nous, juges, nous avons décidé qu’il y avait lieu d’en extraire certaines propositions qui comprendraient sommairement, en douze articles, la plupart des dires de l’accusée. Ces douze articles, dressés le 2, le 3 et le 4 avril, vont être transmis aujourd’hui 5 avril aux docteurs et autres gens experts en droit divin et humain, afin d’avoir d’eux conseil, pour le bien de la foi205, sur les assertions que nous leur aurons ainsi soumises.

En voici la teneur, avec la lettre d’envoi :

Nous, Pierre, évêque de Beauvais, et frère Jean Le maître, vicaire de l’inquisiteur, nous vous prions et requérons, pour le bien de la foi, de nous donner, par écrit et sous votre sceau, conseil salutaire au sujet des assertions ci-dessous articulées. Lesdites assertions examinées, étudiées et comparées, vous aurez à dire si toutes ou quelques-unes sont ou paraissent contraires à la foi orthodoxe, à la sainte Écriture, à la détermination de la sacro-sainte Église romaine, aux décisions des docteurs approuvées par l’Église et aux sanctions canoniques ; scandaleuses, téméraires, perturbatrices de la chose publique, injurieuses, entachées de crimes, contraires aux bonnes meurs, enfin coupables en quelque manière que ce soit.

Article premier206. — Certaine femme dit et affirme qu’à l’âge de treize ans ou environ, elle a vu des yeux de son corps saint Michel lui apportant des consolations, et de temps en temps aussi saint Gabriel, l’un et l’autre lui apparaissant sous forme corporelle. Quelquefois aussi elle a vu une grande multitude d’anges ; et de puis, sainte Catherine et sainte Marguerite se sont montrées à elle corporellement. Chaque jour elle voit ces deux saintes ; elle entend leurs voix ; il lui est même arrivé de les baiser et de les embrasser en les touchant de manière sensible et corporelle. Elle a vu les têtes des anges susdits et des saintes susdites. Du reste de leurs personnes ou de leurs vêtements elle n’a rien voulu dire.

Lesdites saintes Catherine et Marguerite lui ont quelquefois parlé près d’une fontaine avoisinant un grand arbre qu’on appelle communément l’arbre des fées. Cette fontaine et cet arbre, d’après le bruit public, seraient hantés par les fées, et les fiévreux y viendraient en grand nombre pour recouvrer la santé, bien que le lieu soit un lieu profane. Là et ailleurs, elle a souvent vénéré les deux saintes et leur a fait révérence.

Cette femme dit en outre que sainte Catherine et sainte Marguerite lui apparaissent et se montrent à elle la tête ceinte de couronnes précieuses et très belles. Dès l’époque ci-dessus mentionnée et plusieurs fois depuis, elles lui ont dit, de la part de Dieu, qu’il fallait qu’elle allât trouver certain prince séculier ; elles lui ont promis que, par l’entremise de son secours et de ses labeurs207, il recouvrerait, les armes à la main, un grand domaine temporel et l’honneur de ce monde et triompherait de ses adversaires ; elles ont ajouté que ledit prince la recevrait, puis lui fournirait armes et soldats pour l’exécution de ses promesses.

En outre, sainte Catherine et sainte Marguerite ont commandé à cette même femme, sur l’ordre de Dieu, de prendre un habit d’homme. Elle l’a porté et le porte toujours, avec une obéissance obstinée, au point de déclarer qu’elle aimerait mieux mourir que de quitter cet habit : ce qu’elle a dit tantôt de façon absolue, tantôt en ajoutant qu’elle ne le quitterait que sur commandement exprès de Dieu208. Elle a même préféré se priver de la messe et de la communion eucharistique, au temps où l’Église fait une obligation de recevoir ce sacrement, que de reprendre un habit de femme et de quitter l’habit d’homme.

De plus209, les prétendues saintes ont poussé Jeanne à partir de la maison paternelle, vers l’âge de dix-sept ans, à l’insu et contre le gré de ses parents, et à entrer dans la société d’une troupe d’hommes d’armes, avec qui elle conversait jour et nuit210, n’ayant jamais ou que rarement une autre femme avec elle.

Elles lui ont encore dit et commandé bien d’autres choses, pour lesquelles elle se déclare envoyée par le Dieu du ciel et par l’Église victorieuse des saints jouissant déjà de la béatitude céleste. C’est à eux qu’elle soumet tout ce qu’elle a fait de bien. Quant à l’Église militante, elle a différé et refusé de lui soumettre sa personne, ses faits et ses dits, quoique plusieurs fois on l’en ait avisée et requise. La raison qu’elle donne, c’est qu’il lui est impossible de faire le contraire des choses que, dans son procès, elle a affirmé avoir faites sur l’ordre de Dieu. De ces choses elle ne s’en rapportera à la décision ou au jugement d’homme qui vive, mais au seul jugement de Dieu211.

Elle prétend enfin que lesdites saintes l’ont assurée du salut de son âme dans la gloire des bienheureux, si elle garde la virginité qu’elle leur a vouée la première fois qu’elle les a vues et entendues ; et, à l’occasion de cette révélation, elle s’affirme aussi sûre de son salut que si elle était présentement et de fait dans le royaume des cieux212.

Article deuxième. — La même femme dit que le signe qui détermina le prince auquel elle était envoyée à croire en ses révélations et à la recevoir pour faire la guerre fut que saint Michel vint à lui, accompagné d’une multitude d’anges, dont les uns avaient des couronnes et les autres des ailes. Avec eux étaient sainte Catherine et sainte Marguerite.

L’ange et la femme s’avancèrent ensemble, leurs pieds touchant la terre, par le chemin, l’escalier et la chambre, en une longue marche213, accompagnés des autres anges et des saintes susdites214. L’ange remit au prince une couronne très précieuse de l’or le plus pur, en s’inclinant devant lui et en lui faisant la révérence.

Elle a dit une fois que, quand son prince eut le signe, elle pense qu’il était seul215, quoique plusieurs autres personnes fussent assez proches ; une autre fois, que, d’après ce qu’elle croit, un archevêque reçut la couronne et la donna audit prince, en présence et sous les yeux de plusieurs seigneurs laïques.

Article troisième216. — La même femme a reconnu et est certaine que celui qui la visite est saint Michel. Elle le sait par le bon conseil, le confort et la bonne doctrine qu’il lui donne et assure ; puis, parce qu’il s’est nommé en disant : Je suis Michel. Elle connaît également et distingue l’une de l’autre sainte Catherine et sainte Marguerite, parce qu’elles se nomment à elle et la saluent.

Au sujet du saint Michel qui lui apparaît, elle croit qu’il est réellement saint Michel, et que ses dits et ses faits sont vrais et bons, aussi fermement qu’elle croit que Notre-Seigneur Jésus a souffert et est mort pour notre rédemption.

Article quatrième. — La même femme dit et affirme, au sujet de certaines choses purement contingentes, qu’elle a la certitude que ces choses arriveront, comme elle est sûre de celles qu’elle voit se passer sous ses yeux. Elle se vante d’avoir eu et d’avoir connaissance de certaines choses cachées, par des révélations orales de sainte Catherine et de sainte Marguerite.

C’est ainsi qu’elle sait qu’elle sera délivrée de prison, et que les Français feront, en sa compagnie217, le plus bel exploit qui ait jamais été fait en la chrétienté. C’est ainsi que, personne ne la renseignant, et par révélation, comme elle dit, elle a reconnu certains hommes qu’elle n’avait jamais vus, et a fait découvrir, en indiquant sa place, une épée dans la terre.

Article cinquième. — La même femme dit et affirme que, par le commandement et le bon plaisir de Dieu, elle a pris et porté et continue encore de porter l’habit d’homme. De plus, elle a dit que, vu l’ordre de Dieu lui prescrivant d’être revêtue d’un habit d’homme218, il fallait qu’elle eût tunique courte, chaperon, pourpoint, braies, chausses avec beaucoup d’aiguillettes ; qu’elle portât les cheveux taillés en rond au-dessus des oreilles ; enfin qu’elle ne gardât rien sur son corps qui caractérisât et dénotât son sexe, hors ce que la nature lui a donné comme marque distinctive du sexe féminin219.

Elle a reçu plusieurs fois l’eucharistie sous cet habit. Elle n’a voulu ni ne veut reprendre l’habit de femme, quoique maintes fois avertie et requise de le faire, disant qu’elle aimerait mieux mourir que de quitter l’habit d’homme, ou bien encore quelquefois qu’elle ne le quitterait que sur l’ordre de Dieu220.

Elle déclare en outre que, si elle se trouvait de nouveau en cet habit d’homme avec ceux pour le parti desquels elle s’est autrefois armée, elle ferait encore comme elle faisait avant sa prise et sa captivité : Et, dit-elle, ce serait un des plus grands biens qui pût sur venir à tout le royaume de France. Elle ajoute que, pour aucune chose au monde, elle ne ferait serment de ne pas porter l’habit d’homme et de ne pas s’armer.

En tout cela, elle dit qu’elle a bien fait et qu’elle fait bien en obéissant à Dieu et à ses commandements.

Article sixième. — La même femme avoue et déclare avoir fait écrire beaucoup de lettres, sur lesquelles étaient apposés ces mots Jésus Marie, avec le signe de la croix. Quelquefois elle apposait une croix221 pour marquer qu’elle ne voulait pas que l’on fît ce que, dans sa lettre même, elle ordonnait de faire. D’autres fois elle a fait écrire qu’elle ferait tuer ceux qui n’obéiraient pas à ses lettres ou à ses avertissements et que aux horions on verrait qui aurait meilleur droit du Dieu du ciel222, et souvent elle dit qu’elle n’a rien fait que par révélation et ordre de Dieu.

Article septième. — La même femme dit et confesse qu’à l’âge de dix-sept ans environ, spontanément et par révélation, comme elle dit, elle alla trouver un écuyer223 qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Ainsi abandonna-t-elle la maison paternelle, contre le gré de ses parents, qui, dès qu’ils surent son départ, furent comme fous de douleur224.

Cette femme requit ledit écuyer de la conduire ou faire conduire au prince déjà mentionné. L’écuyer, qui était capitaine, lui donna sur sa demande un habit d’homme avec une épée ; en même temps il délégua et commanda, pour la conduire, un chevalier, un écuyer et quatre serviteurs. Ceux-ci et la femme étant arrivés près du prince susdit, elle déclara à ce prince qu’elle voulait faire la guerre contre ses adversaires, promettant de l’établir en grande souveraineté et de surmonter ses ennemis, vu qu’elle était envoyée pour cela par le Dieu du ciel.

Elle dit qu’en tout cela elle a bien fait, agissant par révélation et sur l’ordre de Dieu.

Article huitième. — La même femme dit et confesse que, d’elle même, sans y être contrainte ni poussée par personne, elle s’est précipitée du haut d’une tour très élevée, aimant mieux mourir que d’être livrée aux mains de ses adversaires et de survivre à la destruction de Compiègne. Elle dit aussi qu’elle n’a pu éviter de se précipiter ainsi, quoique sainte Catherine et sainte Marguerite lui en eussent fait la défense. Elle reconnaît que les offenser ainsi c’est grand péché. Mais elle sait bien que ce péché lui a été remis, après qu’elle s’en fut confessée. Elle déclare en avoir eu révélation.

Article neuvième. — La même femme dit que sainte Catherine et sainte Marguerite lui ont promis de la conduire en paradis, si elle gardait bien la virginité qu’elle leur a vouée, tant en son corps qu’en son âme. De cela elle se déclare aussi assurée que si elle était déjà dans la gloire des bienheureux. Et elle ne pense pas avoir fait œuvre de péché mortel ; car, si elle était en péché mortel, sainte Catherine et sainte Marguerite, ce lui semble, ne la visiteraient pas comme elles font tous les jours.

Article dixième. — La même femme dit et affirme que Dieu aime certaines personnes encore vivantes, désignées et nommées par elle, et qu’il les aime plus qu’il ne l’aime elle-même. Elle sait cela par révélation de sainte Catherine et de sainte Marguerite, qui lui parlent fréquemment et en français, non en anglais, vu qu’elles ne sont pas du parti des Anglais. Quant à elle, depuis qu’elle a su par révélation que ses voix étaient pour le prince déjà mentionné225, elle n’a pas aimé les Bourguignons226.

Article onzième. — La même femme dit et confesse avoir souvent fait la révérence aux voix et esprits susdits, qu’elle nomme Michel, Gabriel, Catherine et Marguerite. Elle découvre sa tête ; elle fléchit les genoux ; elle baise le sol sur lequel ils marchent. Elle se représente leur vouant sa virginité, et baisant et embrassant sainte Catherine et sainte Marguerite. Elle a touché ces deux saintes de manière sensible et corporelle ; elle leur a demandé conseil et secours, maintes fois les appelant, bien qu’elles la visitent souvent sans être appelées. Elle acquiesce et obéit à leurs conseils et à leurs commandements. Elle s’y est soumise dès l’origine sans demander avis de personne au monde, ni de son père, ni de sa mère, ni d’un curé, ni d’un prélat, ni d’homme d’Église quelconque.

Ce néanmoins, c’est sa ferme croyance que les voix et révélations qu’elle a eues par les saints et les saintes de cette sorte viennent de Dieu et de par son ordre. Elle le croit aussi fermement qu’elle croit en la foi chrétienne et que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert la mort pour nous. Elle ajoute que, si un malin esprit lui apparaissait en se faisant passer pour saint Michel, elle saurait bien discerner s’il est ou non saint Michel.

Elle dit encore que, sur sa propre initiative, sans que personne l’y ait poussée ou l’en ait requise, elle a juré aux saintes Catherine et Marguerite lui apparaissant, qu’elle ne révélerait point le signe de la couronne qui devait être donné au prince auquel elle était envoyée. Toutefois, à la fin, elle fait cette réserve : À moins que je n’aie congé de le révéler227.

Article douzième. — La même femme dit et confesse que, si l’Église voulait qu’elle fit quelque chose de contraire au commandement qu’elle déclare lui avoir été intimé par Dieu, elle ne le ferait pas pour chose quelconque. Elle affirme qu’elle sait bien que tout ce qui est contenu en son procès est chose venant de par Dieu, et qu’il lui serait impossible de faire le contraire. De cela, elle ne veut s’en rapporter à la détermination de l’Église militante ni à personne au monde, mais à Dieu seul Notre-Seigneur, dont elle accomplira toujours les commandements, surtout pour toute la matière de ses révélations et pour ce qu’elle déclare avoir fait en conséquence228.

Or, cette réponse et les autres, elle dit les avoir faites, non en les prenant dans sa propre tête, mais en suivant le commandement de sa voix et en se conformant aux révélations à elle faites.

C’est en vain que les juges et autres personnes présentes ont à plusieurs reprises rappelé à ladite femme l’article ainsi conçu : Je crois en l’Église une, sainte, catholique, et lui ont signifie que tout fidèle, en cette vie, est tenu à l’obéissance et doit soumettre ses faits, ainsi que ses dires, à l’Église militante, surtout en une matière de foi et qui touche la doctrine sacrée et les sanctions ecclésiastiques229.

VIII. Les consultations

Ici, au lieu de continuer à tout traduire intégralement, je vais raconter et résumer. Je n’omettrai rien d’essentiel et je ne supprimerai que des longueurs inutiles.

Le 12 avril, dans la chapelle du manoir archiépiscopal de Rouen, se réunissent seize docteurs et six licenciés ou bacheliers en théologie qui délibèrent sur les douze articles, admettent le bien fondé de toutes les charges accumulées contre Jeanne et concluent à sa condamnation.

Ces docteurs et maîtres sont : Érard Émengart, qui préside ; Jean Beaupère, Nicolas Midi, Jacques de Touraine, Pierre Morice, Gérard Feuillet, Lebouchier, le prieur de Longueville, le seigneur abbé de Mortemer, Maurice du Quesney, Jean de Nibat, Pierre Houdenc, Jean Lefèvre, Richard Dupré, Charpentier, Haiton, Sauvage, Coppequesne, Isambard de la Pierre, Thomas de Courcelles, Nicolas Loiseleur230.

Voici le sommaire de la consultation des docteurs et maîtres susdits :

Attendu que tout professeur de la doctrine sacrée doit donner de sains et salutaires avis sur les matières de foi, nous nous prononçons, après grande et mûre délibération, n’ayant devant les yeux que Dieu et la vérité.

En notre âme et conscience, tout bien pesé et examiné, notre avis est qu’il faut penser que les apparitions et révélations dont cette femme se vante sont ou des impostures dues à la malice humaine, ou des illusions procédant de l’esprit malin ; nous trouvons dans son fait des divinations superstitieuses, des scandales impies, des propos présomptueux, des blasphèmes contre Dieu et les saints, des impiétés envers père et mère, la violation du précepte de l’amour du prochain, de l’idolâtrie, enfin des choses sentant le schisme ou l’hérésie et allant contre l’unité, l’autorité et le pouvoir de l’Église.

La délibération de ces vingt-deux docteurs et maîtres devait servir de base aux délibérations des autres hommes d’Église.

À partir du lendemain 13 avril, les adhésions s’accumulent.

Le chanoine Gastinel dit : La personne dont on parle doit être considérée comme suspecte dans la foi et engagée dans l’erreur, le schisme et l’hérésie. Si elle ne se décide à rentrer dans l’unité catholique et à se laver publiquement de ses taches en se soumettant à telle réparation que le juge estimera convenable, qu’elle soit abandonnée à la discrétion du juge séculier et subisse la punition due à son forfait. Si elle veut bien abjurer, qu’on lui accorde le bénéfice de l’absolution ; mais qu’on l’enferme en une prison, sans autre aliment que le pain de douleur et l’eau d’angoisse231, afin qu’elle pleure ses fautes et n’en commette point à l’avenir qui soient à pleurer.

Le chanoine Basset, official de Rouen, se prononce contre Jeanne, en faisant cette réserve : pourvu que ces révélations prétendues ne viennent pas de Dieu, ce que, d’ailleurs, je ne crois pas, et il signe : Votre Jean Basset, licencié indigne.

Le chanoine Jean Alépée déplore son insuffisance ; déclare qu’il se rallie aux assertions de tous ces révérends pères et maîtres qui ont digéré la matière mieux que lui ; et se représente comme le fils obéissant de l’évêque de Beauvais, son redouté seigneur.

Le chanoine Barbier fait également savoir à sa révérendissime paternité l’évêque de Beauvais, et au vicaire-inquisiteur qu’il s’arrête à l’opinion des susdits théologiens.

Maître Guesdon, du couvent des frères mineurs, dit qu’ayant assisté à la réunion que messires les théologiens ont tenue dans la chapelle archiépiscopale de Rouen232, il se joint à tous ces maîtres qui se sont accordés en une seule et même opinion.

Le chanoine Maugier proclame que cette opinion est bonne, juste et sainte. Il faut l’embrasser. Et il l’embrasse. Toujours prêt à votre bon plaisir, ajoute-t-il.

Le chanoine Brullot dit que, vu ce qu’enseignent ses livres et considérant tous les motifs qui doivent le pousser à partager le sentiment de ses seigneurs et maîtres, il émet un même avis.

Le chanoine Nicolas de Venderès, répondant selon les facultés que Dieu lui a données et le moins mal qu’il lui est possible, dit et soutient que ses maîtres ont opiné bien, et pieusement, et doucement. Il opine comme eux.

Les chanoines Garin, Caval, Duchemin, Morel et l’archidiacre Jean de Châtillon donnent aussi, chacun par un acte à part, leur adhésion à l’opinion unanime de tant de notables maîtres.

À la date du 21 avril, le seigneur abbé de Fécamp, maître Gilles, écrit : Très révérend père, très insigne précepteur, après tant et de si savants hommes tels qu’on n’en saurait peut-être trouver de pareils dans tout l’univers, que pourrait concevoir mon ignorance, que pourrait enfanter mon grossier langage233 ? Rien assurément. Je me tiens donc à la suite d’eux tous et en tout. Très révérend père, très insigne précepteur, si quelque chose est de votre bon plaisir, prescrivez le-moi. Dans l’exécution de vos ordres, mon pouvoir pourra faire défaut, non ma volonté. Daigne le Très Haut conserver à souhait votre paternité révérendissime en perpétuant sa prospérité et sa félicité !

Jean de Bonesgue, aumônier de l’abbaye de Fécamp, se prononce dans le même sens que le seigneur abbé. Je suis, dit-il, docteur en théologie de l’université de Paris depuis vingt-cinq ans et aumônier au vénérable monastère de Fécamp. Après avoir ainsi rappelé qu’il n’est pas le premier venu, Bonesgue flétrit Jeanne comme hérétique et schismatique. Ainsi donc, conclut-il, qu’elle soit punie et qu’il soit fait d’elle justice, pour l’honneur de Dieu et l’exaltation de la foi.

Quelques bacheliers sont moins affirmatifs que les docteurs.

Pierre Minier, Jean Pigache, Richard du Grouchet, tous trois bacheliers en théologie, déclarent, dans une délibération rédigée et signée en commun, que, quant à eux, ils n’ont pas d’opinion faite sur l’origine des révélations de Jeanne ; et que, dans le cas où ces prétendues révélations procéderaient de Dieu, ce qui au surplus ne leur paraît pas établi, ils ne sauraient les interpréter en mauvaise part.

Le bachelier Raoul Sauvage passe longuement en revue les douze articles. Il dit, à propos du dixième : Affirmer que Dieu aime certaines personnes, c’est bien. Mais dire que sainte Catherine et sainte Marguerite ne parlent pas anglais, c’est là une assertion qui semble téméraire et blasphématoire. Dieu est le seigneur tout puissant et la suprême providence tant des Anglais que des autres. Qui parle ainsi parle contre le précepte de l’amour du prochain. Après s’être associé à la réprobation des dits et faits signalés dans les douze articles, le docte dominicain conclut : Cependant, révérend père et messeigneurs, eu égard à la fragilité du sexe féminin, il conviendrait de relire en français à cette femme les propositions et assertions susdites et de l’avertir charitablement d’avoir à se corriger.

Les abbés de Jumièges et de Cormeilles s’expliquent plus brièvement dans le même sens. En outre, ils pensent qu’étant donnée une affaire si ardue, il faudrait communiquer tout le procès à l’université de Paris.

À la date du 29 avril, onze avocats ecclésiastiques de la cour archiépiscopale de Rouen, tous plus ou moins licenciés en droit canon ou en droit civil, se réunissent dans la chapelle où s’étaient réunis, le 12 avril, les vingt-deux premiers consulteurs. Ces vénérables et circonspects personnages s’avouent d’abord incapables de se prononcer dans une matière si ardue. Ensuite, ils se prononcent en un sens favorable à la condamnation. Mais ils ont soin d’ajouter : Tout cela nous l’entendons de cette manière : à moins que les révélations affirmées par cette femme ne lui soient venues de Dieu, ce qui n’est pas à croire, d’après les vraisemblances234.

À la date du 31 avril, Raoul Roussel, chanoine trésorier de l’église de Rouen, dit aux juges, en faisant allusion à un témoignage antérieur qui nous manque : Daignent savoir vos souverainetés, qu’après ce que je vous ai déjà déclaré par écrit, je ne saurais rien dire de plus, si ce n’est que je crois les assertions de cette femme fausses, mensongères et artificieusement inventées par elle et par ses complices, pour venir à leurs fins.

Le 3 mai, le chanoine Deschamps signe une délibération où il condamne Jeanne au nom des bonnes mœurs et des règles canoniques.

Le 4 mai à lieu une délibération collective du vénérable chapitre de l’église de Rouen, qui proclame condamnables les dits et les faits de Jeanne, et, invoquant l’autorité de tant de docteurs célèbres, déclare adhérer à leurs délibérations justes, modérées, raisonnables.

À la date du 5 mai, l’évêque de Coutances, Philibert de Montjeu, écrit : On ne saurait imaginer que votre paternité révérée et tant de maîtres si doctes, si experts, vous eussiez pu en quelque façon dévier de la vérité. Après que vous avez si souverainement et si exactement déduit cette affaire, que pourrais-je dire d’un peu fort et bien pensé ? Rien. Néanmoins, puisque votre paternité l’exige et me l’ordonne, j’obéirai à la nécessité. Loin de moi toutefois la hardiesse de juger aucun article ; je paraîtrais vouloir en remontrer à Minerve. Oui, père vénéré, à mon avis, cette femme a un esprit subtil, porté au mal, agité d’un instinct diabolique. Il y a deux signes qui, selon le bienheureux Grégoire, attestent une personne remplie de la grâce du Saint-Esprit. C’est la vertu et l’humilité. Eh bien ! il est manifeste que ces deux signes ne sont pas en cette femme. Le prélat ajoute qu’il ne faut pas différer le jugement ; et que, même si l’accusée venait à résipiscence, il faudrait néanmoins la conserver sous-bonne garde jusqu’à ce qu’on eût acquis des preuves suffisantes de son entier amendement. Il finit en se déclarant prêt à faire tout ce qui paraîtra agréable à sa paternité l’évêque de Beauvais.

Le 13 mai, l’évêque de Lisieux, Zanon de Castiglione, rédige sa délibération. Il cite saint Paul, saint Augustin, les décrétales, et il décide que, vu la vile condition de la personne235, vu ses présomptueuses assertions, vu les circonstances, il y a lieu de présumer que ses prétendues visions et révélations sont des inventions mensongères conçues pour duper les simples, ou des tromperies de démons se travestissant en anges de lumière. Il continue en parlant de nouveautés scandaleuses, d’assertions offensantes pour les oreilles pieuses ; et il conclut que, faute par elle de se soumettre, ladite femme devra être considérée comme schismatique et véhémentement suspecte en la foi.

IX. Délibérations de l’Université de Paris

Ici, comme dans le chapitre précédent, je vais raconter et résumer ce qui est d’intérêt secondaire. Mais je traduirai intégralement tout ce qui a quelque portée, notamment la délibération de la Faculté de théologie et la délibération de la Faculté des décrets.

Enfin, le quatorze mai, fut rédigée la consultation capitale à laquelle s’étaient référés par avance plusieurs docteurs et maîtres, la consultation de l’université de Paris.

Le 19 avril, Jean Beaupère, Jacques de Touraine et Nicolas Midi avaient quitté Rouen pour aller soumettre les douze articles à leurs collègues.

Le 29 avril, l’université était solennellement convoquée à Saint-Bernard pour entendre la lecture des douze articles et des lettres qui y étaient jointes. Il s’agit d’une matière grave et ardue, avait dit le recteur, Pierre de Gonda. À mon avis, l’appréciation de cette matière regarde particulièrement la vénérable Faculté de théologie et la vénérable Faculté des décrets. Après délibération particulière de chacune des Facultés, il fut conclu, en assemblée générale, que l’étude de la décision à prendre serait confiée à la Faculté de théologie et à la Faculté des décrets, lesquelles, leur travail une fois terminé, le soumettraient au corps entier de l’université.

Le 14 mai, la délibération de la Faculté de théologie et celle de la Faculté des décrets furent soumises à toutes les Facultés solennellement réunies.

Voici ces délibérations :

Délibération et conclusions de la sacrée Faculté de théologie en l’Université de Paris, touchant la qualification des douze articles relatifs aux dits et aux faits de Jeanne vulgairement dite la Pucelle, délibération et conclusions que ladite faculté soumet en toute manière à la détermination de notre saint-père le pape et du sacro-saint concile général :

I. Sur le premier article (article concernant les apparitions et les révélations236) ladite Faculté déclare doctrinalement, — après avoir pesé la fin, le mode et la matière des révélations, la qualité de la personne, le lieu et les autres circonstances, — qu’il n’y a là que mensonges imaginés à plaisir, également séducteurs et pernicieux ; ou que lesdites apparitions et révélations sont superstitieuses, procédant des esprits malins et diaboliques, Belial, Satan et Béhémoth237.

II. Sur le deuxième article (concernant le signe donné au roi), la Faculté déclare que ce qui y est énoncé, bien loin de paraître vrai, n’est que mensonge présomptueux, séducteur, pernicieux, attentatoire à la dignité des anges.

III. Sur le troisième article (concernant la foi de Jeanne en ses visions), la Faculté déclare qu’il n’y est pas indiqué des signes suffisants ; que cette femme croit légèrement et affirme témérairement, et que la comparaison qu’elle fait (de la croyance qu’elle donne à ses visions avec la croyance qu’elle donne aux dogmes de la religion), constitue une erreur de foi.

IV. Sur le quatrième article (concernant les prédictions faites par Jeanne), la Faculté déclare que ce qui s’y trouve contenu est pure superstition, divination, assertion présomptueuse, vaine jactance.

V. Sur le cinquième article (concernant l’habit d’homme porté par Jeanne), la Faculté déclare que cette femme se montre blasphématrice envers Dieu, contemptrice de Dieu dans ses sacrements, prévaricatrice de la loi divine, de la doctrine sacrée et des sanctions ecclésiastiques, mal pensante et égarée dans la foi, faisant preuve de vaine jactance, imitatrice d’usages païens, suspecte d’idolâtrie, ainsi que d’exécration de soi (de son sexe) et de ses vêtements238.

VI. Sur le sixième article (concernant les lettres Jeanne), la Faculté déclare que cette femme se montre traîtresse, perfide, cruelle, altérée de sang humain, séditieuse, poussant à la tyrannie, blasphématrice de Dieu dans les ordres et les révélations qu’elle lui attribue.

VII. Sur le septième article (concernant le départ de Domrémy, le séjour à Vaucouleurs et à Chinon), la Faculté déclare cette femme impie envers ses parents, violatrice du commandement qui prescrit d’honorer père et mère, scandaleuse, blasphématrice envers Dieu, errante en la foi, téméraire et présomptueuse en ses promesses.

VIII. — Sur le huitième article (concernant le saut de Beaurevoir), la Faculté déclare qu’il révèle une pusillanimité tournant au désespoir et implicitement au suicide ; qu’il contient une assertion présomptueuse et téméraire touchant la prétendue remise d’une faute ; et aussi une erreur sur le libre arbitre (quand Jeanne dit qu’elle n’a pu s’empêcher de sauter).

IX. Sur le neuvième article (concernant l’assurance qu’a Jeanne de son salut), la Faculté déclare qu’il contient une assertion présomptueuse et téméraire et un mensonge pernicieux. Cette femme contredit un aveu consigné dans l’article précédent (en déclarant qu’elle ne croit pas avoir jamais fait ouvre de péché mortel, quand elle a tout à l’heure reconnu qu’elle avait péché à Beaurevoir) et s’égare en matière de foi.

X. Sur le dixième article (concernant l’amour de Dieu pour le roi de France et le langage des deux saintes qui ne parlent pas anglais), la Faculté déclare qu’il contient assertion présomptueuse et téméraire, divination superstitieuse, blasphème envers sainte Catherine et sainte Marguerite, et violation du précepte de l’amour du prochain.

XI. Sur le onzième article (concernant le culte de Jeanne pour ses saintes et la foi qu’elle à en elles), la Faculté déclare que ladite femme, — supposé que les révélations et apparitions dont elle se vante, elle les ait eues dans les conditions déterminées au premier article, — est idolâtre, invocatrice de démons, errante en la foi, téméraire en ses assertions, et coupable d’un serment illicite (le serment qu’elle a fait spontanément à ses saintes de ne pas révéler le signe du roi).

XII. Sur l’article douzième (concernant le refus de se soumettre à l’Église) la Faculté déclare que ladite femme est schismatique, mal pensante sur l’unité et l’autorité de l’Église, apostate, et, jusqu’à ce jour, obstinée dans l’erreur en une matière de foi.

Délibération et décision doctrinale de la vénérable Faculté des décrets de l’Université de Paris sur les douze articles concernant les dires et les faits de Jeanne la Pucelle, qui y sont notés et précisés ; délibération et décision qu’elle soumet à l’examen aux arrêts du souverain pontife, du saint-siège apostolique, du sacro-saint concile général :

Si ladite femme, étant dans son bon sens, s’est obstinée à soutenir les propositions énoncées dans les douze articles, et à accompli les actes qui y sont mentionnés, après examen attentif des propositions sus dites, il semble à la Faculté des décrets, par manière de conseil ou de doctrine et pour parler charitablement :

I. Que cette femme est schismatique, puisque le schisme consiste à se séparer illicitement, par désobéissance, de l’unité de l’Église, et que cette femme se sépare de l’obéissance due à l’Église militante, comme l’attestent ses paroles ;

II. Que cette femme est errante en la foi et contredit l’article de foi du symbole : l’Église catholique une, sainte ; or, comme le dit saint Jérôme, contredire cet article, c’est se révéler non seulement ignorant, malveillant, non catholique, mais encore hérétique ;

III. Que cette femme est apostate, soit parce que, dans un mauvais dessein, elle s’est fait couper la chevelure que Dieu lui avait donnée pour voiler sa tête, soit parce que, dans un non moins mauvais dessein, elle à abandonné l’habit de femme et s’est habillée à la façon des hommes ;

IV. Que cette femme est menteuse et devineresse quand elle se dit envoyée de Dieu et conversant avec les anges et les saints, sans le montrer par l’opération de quelque miracle ou par un témoignage spécial de l’Écriture ; car, quand le Seigneur voulut envoyer Moïse en Égypte, près des fils d’Israël, il leur donna un signe pour qu’ils le crussent envoyé par lui, et on le vit changer une verge en serpent et un serpent en verge ; à son tour, Jean-Baptiste, pour entreprendre son œuvre de réforme, mit en avant un témoignage spécial de sa mission tiré de l’Écriture, et dit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la route du Seigneur, selon la parole du prophète Isaïe ;

V. Que cette femme, par toutes présomptions de droit, erre dans la foi, soit, premièrement, en encourant l’anathème prononcé par les canons et en demeurant un si long temps sous le coup de cet anathème ; soit, secondement, en déclarant aimer mieux ne pas se confesser et ne pas communier au temps fixé par l’Église que de laisser l’habit d’homme et reprendre l’habit de femme : outre qu’elle est très véhémentement suspecte d’hérésie et qu’il y a lieu de l’examiner avec soin sur les articles de foi ;

VI. Que cette femme est engagée dans l’erreur quand elle se dit aussi sûre d’être conduite en paradis que si elle était déjà dans la gloire des bienheureux : vu qu’en ce voyage terrestre nul ne sait s’il est digne de louange ou de peine, et que seul le juge suprême peut en connaître ;

En conséquence, si ladite femme, charitablement exhortée et dûment avertie par les juges compétents, ne veut pas revenir de bon gré à l’unité de la foi catholique, abjurer publiquement son erreur selon la décision qui plaira audit juge et donner satisfaction convenable, elle doit être abandonnée à la discrétion du juge séculier pour en recevoir le châtiment dû à l’importance de son forfait239.

Lecture faite des deux délibérations ci-dessus, le recteur demanda :

Les deux consultations, telles qu’elles viennent d’être lues, ont-elles en effet été délibérées et arrêtées par la Faculté de théologie et par la Faculté des décrets ?

Vénérables et circonspectes personnes maître Jean de Troyes, doyen de la Faculté de théologie, et maître Jean Guéroult Boissel, doyen de la Faculté des décrets, répondirent séparément, chacun au nom du corps dont il était l’organe, que lesdites délibérations et conclusions étaient bien les délibérations et conclusions des deux Facultés.

Alors le recteur, après avoir résumé toute l’affaire, déclara que les docteurs présents allaient tous et chacun avoir à en délibérer ; et chacune des Facultés se retira au lieu de ses séances.

La délibération de chaque Faculté une fois terminée, on se réunit de nouveau pour reprendre en commun, selon l’usage, les délibérations intervenues.

L’accord unanime des Facultés, concluant toutes contre Jeanne, fut constaté en ces termes :

L’Université, par l’organe du seigneur recteur, d’après la délibération conforme de toutes les Facultés et Nations240, a conclu qu’elle avait pour agréables, ratifiait et faisait siennes les décisions et qualifications précédemment énoncées par la Faculté de théologie et par la Faculté des décrets.

Le même jour, 14 mai, l’Université fit deux lettres d’envoi : l’une adressée au roi d’Angleterre, Henri VI, encore enfant ; l’autre adressée à l’évêque de Beauvais.

Dans la lettre au roi, écrite en français, l’Université disait :

Nostre très redouté et souverain seigneur, après grandes et mûres délibérations, nous envoyons par devers Vostre Excellence nos advis, conclusions et délibérations ; et sommes toujours prêts à nous employer entièrement en telles matières touchant directement nostre foy, comme aussi nostre profession le veult expressément.

Elle concluait ainsi :

Finablement nous supplions humblement à vostre Excellente Haultesse que très diligemment ceste matière soit par justice menée à fin briefvement ; car, en vérité, la longueur et dilacion est très périlleuse, et si est très nécessaire, sur ce, notable et grande réparacion, à ce que le peuple qui, par icelle femme, a esté moult scandalizé, soit réduit à bonne et sainte doctrine et crédulité. Tout à l’exaltacion et intégrité de nostre dicte foy, et à la loange d’icelle éternelle Divinité, qui Vostre Excellence vueille maintenir par sa grâce en prospérité jusques en gloire perdurable. — Vostre très humble fille, l’Université de Paris.

Dans la lettre adressée à Cauchon, l’Université louait le zèle, la vigilance, la sollicitude, l’énergie, la sagesse, la charité de ce prélat. Après l’avoir félicité longuement d’exercer les œuvres d’un vrai pasteur241, elle disait :

Nous vous sommes absolument et à jamais acquis pour l’entreprise si éclatante que vous poursuivez avec une paternelle habileté et une activité infatigable. Nous souhaitons que, comme l’exige la raison, il y ait une réparation digne de l’offense. Ainsi sera apaisée la majesté divine ; ainsi sera maintenue sans souillure la vérité de la foi orthodoxe ; ainsi cessera l’inique scandale qui s’étalait aux yeux des peuples. En récompense, daigne le prince des pasteurs, au jour de sa manifestation, accorder à votre révérée sollicitude pastorale une couronne de gloire inflétrissable242.

X. Exhortation charitable et réponses de Jeanne

(Le 18 avril. — Dans la prison. — Maître Jacques de Touraine243, Guillaume Bouchier, Maurice du Quesney, Nicolas Midi, Guillaume Adelie, Gérard Feuillet et Guillaume Haiton assistent l’évêque et le vice inquisiteur.)

Peu de jours après les premières consultations, à la date du 18 avril, une exhortation charitable244 fut adressée à Jeanne, en ce moment malade dans sa prison :

L’évêque. — Jeanne, nous, juges, et les docteurs et maîtres qui nous accompagnent, nous venons amicalement et charitablement vous visiter dans votre maladie, et vous apporter consolation et confort. Jeanne, rappelez-vous comme vous avez été interrogée, pendant plusieurs jours et à diverses reprises, en présence de nombreux personnages de grande sagesse, sur des points importants et ardus concernant la foi ; rappelez vous aussi les réponses variées et diverses que vous avez faites245. Eh bien, des hommes lettrés et savants ont examiné et attentivement pesé ces réponses ; et ils ont noté comme mettant la foi en péril maintes choses dites et avouées par vous. Considérant que vous êtes une femme illettrée et ignorant les écritures, nous offrons de vous fournir des hommes doctes, savants, probes et bienveillants, qui vous endoctrineront bien et dûment.

Quant à vous, docteurs et maîtres ici présents, nous vous exhortons à vouloir bien, en vous conformant aux obligations qui vous lient à la vraie doctrine de la foi, donner à Jeanne de profitables conseils pour le salut de son corps et de son âme.

Jeanne, si, en dehors de ceux-ci, vous en connaissez d’autres aptes à cette œuvre, nous vous offrons de vous les envoyer pour qu’ils vous avisent et instruisent sur ce que vous devez faire, soutenir et croire. Nous sommes des hommes d’Église, disposés par notre volonté et notre inclination, non moins que par notre vocation, à ménager, par tous moyens, le salut de votre âme et de votre corps, comme nous le ferions pour nos proches et pour nous-mêmes. Nous serons contents de vous munir chaque jour de conseillers pour votre juste instruction. En un mot, nous ferons tous ce qu’a coutume de faire, en pareilles circonstances, l’Église, qui ne ferme pas son sein à qui lui revient.

Jeanne, tenez bien compte de la présente admonition qui vous est adressée pour votre salut, et donnez-y une suite efficace. Si vous allez contre, pour vous en tenir à votre sens propre et faire à votre tête malgré votre inexpérience, il faudra que nous vous abandonnions. Or, considérez quel péril vous encourrez en ce cas. C’est ce péril que nous cherchons à vous éviter, de toutes nos forces et de toute notre affection246.

Jeanne. — Je vous rends grâce pour ce que vous me dites touchant mon salut. Il me semble, vu la maladie que j’ai, que je suis en grand danger de mort. S’il en est ainsi, que Dieu veuille faire son plaisir de moi. Je vous requiers seulement que j’aie confession et mon Sauveur aussi, et que je sois mise en terre sainte.

L’évêque. — Si vous voulez les sacrements de l’Église, il faut que vous vous confessiez comme une bonne catholique et aussi que vous vous soumettiez à l’Église [ou, il faudrait que vous fissiez comme les bons catholiques doivent faire et vous soumissiez à la sainte Église247]. Si vous persévérez dans ce dessein de ne pas vous soumettre à l’Église, on ne peut vous admi nistrer les sacrements que vous demandez, hormis le sacrement de pénitence que nous sommes toujours prêts à vous donner.

Jeanne. — Je ne saurais [maintenant248] vous en dire autre chose.

L’évêque. — Plus vous craignez pour votre vie à cause de la maladie que vous avez, plus vous devriez amender votre vie. Vous n’aurez pas près de l’Église les droits d’une catholique si vous ne vous soumettez à l’Église.

Jeanne. — Si mon corps meurt en prison, je m’attends que vous le fassiez mettre en terre sainte. Si vous ne l’y faites pas mettre, je m’en attends à Notre-Seigneur.

L’évêque. — Autrefois vous avez dit, en votre procès, que si vous aviez fait ou dit quelque chose qui fût contre notre foi chrétienne, ordonnée de Notre-Seigneur, vous ne le voudriez point soutenir.

Jeanne. — Je m’en attends à la réponse que j’ai faite et à Notre-Seigneur.

L’évêque. — Vous dites avoir eu plusieurs révélations de la part de Dieu, par saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite ; eh bien, s’il venait quelque bonne créature qui affirmât avoir eu révélation de par Dieu touchant votre fait, y donneriez-vous créance ?

Jeanne. — Il n’y a chrétien au monde qui vînt à moi et dît avoir eu révélation, que je ne susse bien s’il dirait vrai ou non. Je le saurais par sainte Catherine et sainte Marguerite.

L’évêque. — Mais, Jeanne, n’imaginez-vous point que Dieu puisse révéler à quelque bonne créature une chose qui vous soit inconnue ?

Jeanne. — C’est bon à savoir qu’il le peut. Mais je n’en croirais homme ni femme si je n’avais aucun signe.

L’évêque. — Croyez-vous que la sainte Écriture soit révélée de Dieu ?

Jeanne. — Vous le savez bien. Il est bon à savoir que oui.

L’évêque. — Encore une fois, Jeanne, nous vous sommons, nous vous exhortons, nous vous requérons de prendre le bon conseil des clercs et notables docteurs ici présents. Croyez-en leur avis pour le salut de votre âme. De nouveau je vous adresse la question : Voulez-vous soumettre vos dits et vos faits à l’Église militante [ou, votre personne et vos faits à notre sainte mère l’Église249] ?

Jeanne. — Quelque chose qui m’en doive advenir, je ne ferai ni dirai rien autre que ce que j’ai dit devant, au procès.

Les vénérables docteurs qui assistent les juges adressent à Jeanne leurs exhortations. Ils la pressent particulièrement de vouloir se soumettre, elle et ses faits, à l’Église militante [ou à notre mère l’Église]. Ils allèguent et expliquent beaucoup d’autorités prises de la sainte Écriture et maints exemples. Ainsi l’un des docteurs (maître Nicolas Midi) a amené dans son exhortation ce passage de Mathieu, chap. XVIII250 : Si votre frère a péché contre vous, allez lui représenter sa faute en particulier, entre vous et lui ; et ce qui suit : S’il n’écoute pas l’Église qu’il soit pour vous comme un païen et un publicain. Je vous le dis en vérité : tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. Maître Nicolas Midi a exposé tout cela à Jeanne en français et a fini par ces mots :

Maître Nicolas Midi. — Jeanne, si vous ne voulez pas vous soumettre à l’Église et lui obéir, il faudra que l’Église vous abandonne comme une sarrasine.

Jeanne. — Je suis bonne chrétienne, bien baptisée, et je mourrai bonne chrétienne.

L’évêque. — Puisque vous requérez que l’Église vous administre le sacrement de l’Eucharistie [ou, vous donne votre Créateur], soumettez-vous à l’Église et on promettra de vous le donner.

Jeanne. — De cette soumission je n’en répondrai autre chose que ce que j’ai dit. J’aime Dieu, je le sers, et suis bonne chrétienne ; et je voudrais aider et soutenir l’Église [ou, la sainte Église] de tout mon pouvoir.

L’évêque. — Ne voudriez-vous pas que l’on ordonnât une belle et notable procession pour vous remettre en bon état, si vous n’y êtes ?

Jeanne. — Je veux très bien que l’Église et les catholiques prient pour moi.

(L’évêque, le vice-inquisiteur et les assesseurs se retirent.)

XI. Admonition publique et réponses de Jeanne

(Le mercredi 2 mai. — Dans la salle ordinaire du château de Rouen, près la grande salle, avec l’assistance de révérends pères et maîtres, au nombre de soixante-trois.)

L’évêque. — Révérends pères, seigneurs et maîtres, Jeanne a été interrogée à fond et a eu à répondre aux articles judiciairement dressés contre elle, de par le promoteur. Ensuite ses aveux ont été résumés en une série d’assertions sous la forme de douze articles, que nous avons transmis aux docteurs et aux maîtres experts tant en théologie sacrée qu’en droit canon et en droit civil, pour avoir leurs consultations sur la matière.

Déjà, par les avis et les réponses de plusieurs, nous avons pu amplement reconnaître que cette femme est jugée en faute sur beaucoup de points. Toutefois, notre décision est encore en suspens. Avant d’en venir à une décision définitive, il a paru à plusieurs maîtres probes, consciencieux et savants, qu’il serait expédient de travailler par tous moyens à instruire cette femme sur les points où elle parait en faute, nous employant de tout notre pouvoir à la remettre sur la voie de la vérité. Réussir à cela a été et est encore l’objet de tous nos désirs. N’est-ce pas là ce que tous nous devons chercher, nous surtout qui vivons dans l’Église et dans l’administration des choses divines ? Notre devoir est de montrer charitablement à cette femme ce qui, dans ses dits et faits, sort de la foi, de la vérité et de la religion, et de l’avertir charitablement d’avoir à se souvenir de son salut.

C’est pourquoi nous avons essayé de la ramener, par l’entremise de plusieurs notables docteurs en théologie, que nous lui avons envoyés à diverses reprises et à divers jours, tantôt les uns, tantôt les autres. Ces docteurs, dans la mesure de leurs forces, se sont mis à l’œuvre avec toute mansuétude et sans aucune espèce de coaction. Mais l’astuce du diable a prévalu et ils n’ont encore pu aboutir251.

Dès que nous avons vu qu’il n’y avait aucun fruit à attendre de ces admonitions secrètement faites, il nous a paru opportun de vous réunir en assemblée solennelle pour qu’il fût publiquement adressé à cette femme une douce et charitable admonition en vue de la ramener. Peut-être votre présence et les exhortations d’un si grand nombre de maîtres l’induiront plus facilement à l’obéissance et à l’humilité ; de telle sorte que, renonçant à s’opiniâtrer dans sa propre pensée, elle donne sa créance au conseil d’hommes probes et sages, également entendus en droit divin et en droit humain. Ce sera pour elle le moyen de ne pas s’exposer à de graves périls qui pourraient mettre à mal et son corps et son âme252.

Pour faire cette admonition publique nous avons désigné un ancien professeur de théologie, homme très docte et singulièrement entendu en pareilles matières, maître Jean de Châtillon, archidiacre d’Évreux. Si c’est son plaisir, il va présentement accepter la charge d’éclaircir à cette femme quelques points sur lesquels elle est visiblement en faute, comme il ressort des délibérations et consultations d’habiles maîtres, déjà recueillies par nous. Il l’invitera à quitter le sentier de ses crimes et à rentrer dans la voie de la vérité.

À ces causes, ladite femme va comparaître devant vous et recevoir la susdite admonition. Si quelqu’un d’entre vous peut dire ou faire quelque chose de bon pour faciliter son retour, l’instruire salutairement et préserver de mal son corps et son âme253, nous le prions de ne pas hésiter à s’en ouvrir à nous ou à en saisir l’assemblée.

Qu’on fasse entrer cette femme.

Jeanne est introduite.

L’évêque. — Jeanne, nous, évêque, en notre nom et au nom du vicaire inquisiteur jugeant avec nous254, nous vous conseillons d’acquiescer aux avis et monitions que va vous adresser le seigneur archidiacre, maître Jean de Châtillon, professeur de théologie sacrée. Il vous dira beaucoup de bonnes choses, dans l’intérêt du salut de votre corps et de votre âme. Il vous y faut acquiescer. Sinon, vous vous mettrez en péril pour l’âme et pour le corps. Quant à vous, maître Jean de Châtillon, procédez auxdites monitions avec toute la charité requise.

Maître Jean de Châtillon. — Jeanne, il y a un enseignement général que je dois d’abord vous donner : c’est que tous les fidèles du Christ sont tenus et obligés de demeurer attachés à la foi chrétienne et de croire aux articles de cette foi. Ainsi, en principe, je vous avise et vous requiers de vouloir bien corriger et amender votre personne, vos faits et vos dits, conformément à la délibération des vénérables docteurs et maîtres, experts tant en droit divin qu’en droit canon et en droit civil255.

Jeanne. — Lisez votre livre (Jeanne désignait la cédule que tenait le seigneur archidiacre), et puis je vous répondrai. De tout je m’attends à Dieu, mon créateur ; je l’aime de tout mon cœur256.

Maître Châtillon. — N’avez-vous pas d’autre réponse à faire à cet avertissement général que je viens de vous adresser ?

Jeanne. — Je m’attends [ou je m’en attends] à mon juge. C’est le roi du ciel et de la terre257.

L’évêque*. — Maître Jean, procédez aux monitions particulières que vous avez à adresser à Jeanne.

Maître Châtillon (lisant l’écrit qu’il a entre ses mains258) :

I. — Jeanne, vous avez dit jadis que, s’il était trouvé dans vos dits ou dans vos faits quelque chose de mauvais et que cela vous fût montré tel par les clercs, vous voudriez y apporter amendement. En quoi vous teniez un bon et louable langage ; car tout chrétien doit avoir cette humilité de se tenir toujours prêt à l’obéissance envers plus sage que soi et d’ajouter plus de foi au jugement des personnes bonnes et prudentes qu’à son propre avis. Depuis ce temps, vos dits et vos faits ont été soigneusement examinés, durant de nombreuses journées, par des docteurs et des clercs. Or ils y trouvent plusieurs manquements, et des manquements graves. Si cependant vous voulez y porter remède en toute humilité, comme il sied à une bonne et dévote chrétienne, nous, hommes d’Église, nous sommes prêts à procéder avec vous en toute miséricorde et toute charité pour votre salut. Mais si, par superbe et arrogance, vous voulez vous obstiner dans votre opinion propre, croyant mieux vous entendre dans les matières de foi que les docteurs nourris dans les lettres, vous vous exposerez à de grands périls.

II. — Pour ce qui est des révélations et des apparitions que vous déclarez avoir, vous ne voulez point vous soumettre à l’Église militante ni à homme qui vive ; vous entendez ne rapporter vos dits et vos faits qu’à Dieu seul. Et bien, je dois ici vous marquer ce qu’est l’Église militante, quelle autorité elle tient de Dieu et en qui cette autorité réside, et comment tout chrétien est tenu de croire qu’il y a une sainte Église catholique, toujours régie par le Saint-Esprit et jamais errante, jamais défaillante, à laquelle chaque catholique est tenu d’obéir comme un fils à sa mère, soumettant tous ses dits et faits à ses décisions. Nul, quelques apparitions ou révélations qu’il ait, ne doit pour cela se soustraire au jugement de l’Église. Les apôtres eux-mêmes ont soumis leurs écrits à l’Église. C’est par l’Église notre mère que toute l’Écriture, qui est révélée de Dieu, est imposée à notre croyance. C’est elle la règle infaillible à laquelle il faut que nous nous conformions en toutes choses, sans schisme ni divisions quelconques, comme l’enseigne en maints endroits l’apôtre Paul. J’ajoute que toute révélation faite par Dieu induit toujours à se montrer régulièrement humble et obéissante envers ses supérieurs et envers l’Église. Jamais il n’en est autrement. Dieu ne veut point que personne ait la présomption de se dire soumis à Dieu seul et de ne rapporter qu’à lui ses dits et ses faits. Aussi a-t-il donné mission aux ecclésiastiques — leur octroyant pour cela autorité et puissance de connaître les actions des fidèles et d’en être juges. Qui les méprise, méprise Dieu ; qui les écoute, écoute Dieu. Enfin, Jeanne, croyez-le bien, l’Église catholique ne peut errer, ni porter un jugement injuste. Ne pas croire cela, c’est violer l’article de foi : L’Église une, sainte, catholique, apostolique. S’obstiner à le méconnaître, c’est se faire juger hérétique. En conséquence, je vous y exhorte : soumettez tous vos dits et faits, quels qu’ils soient, purement et simplement, au jugement de notre sainte mère l’Église et à sa décision. Quiconque ne le fait pas est schismatique ; il montre qu’il pense mal de la sainteté de l’Église et de son infaillible direction par le Saint-Esprit ; il encourt enfin les grands châtiments que les règles canoniques décident devoir être infligés à de tels égarés259.

— Jeanne, qu’avez-vous à dire sur les deux articles que je viens de vous lire260 ?

Jeanne. — Autant j’en réponds maintenant que je vous en ai répondu autrefois.

[Maître Châtillon. — Autrefois vous avez dit que vos faits fussent vus, visités et contrôlés, comme je l’ai constaté dans mon premier article.

Jeanne. — Autant j’en réponds maintenant261.]

Maître Châtillon. — Je vous ai déclaré ce que c’est que l’Église militante et admonestée de croire et tenir l’article l’Église une, sainte, catholique, et de vous soumettre à l’Église militante. Le voulez-vous faire ?

Jeanne. — Je crois bien l’Église d’ici-bas ; mais, de mes faits et dits, ainsi qu’autrefois je l’ai déclaré, je m’attends et rapporte à Dieu.

Maître Châtillon. — N’avez-vous pas compris ce que je vous ai dit de l’infaillibilité de l’Église ?

Jeanne. — Je crois bien que l’Église militante ne peut errer ou faillir ; mais, quant à mes dits et à mes faits, je m’en remets et rapporte totalement à Dieu, qui m’a fait faire ce que j’ai fait.

Maître Châtillon*. — Ne voyez-vous pas que c’est vous montrer insoumise ?

Jeanne. — Je me soumets à Dieu, mon créateur, qui m’a fait faire ce que j’ai fait. Je m’en rapporte à lui, à sa personne propre.

Maître Châtillon. — Voulez-vous dire par là que vous n’avez pas de juges sur terre ? Notre saint-père le pape n’est-il point votre juge ?

Jeanne. — Je ne vous en dirai autre chose. J’ai bon maître, savoir Notre-Seigneur, à qui je m’attends de tout, et non à autre.

Maître Châtillon. — Si vous ne voulez pas croire l’Église et l’article l’Église une, sainte, catholique, vous serez hérétique de le soutenir et, en punition, vous serez brûlée, par la sentence d’autres juges.

Jeanne. — Je ne vous en dirai autre chose. Si je voyais le feu, encore dirais-je ce que je vous dis, et n’en ferais autre chose.

Maître Châtillon. — Si le saint concile général, comme notre saint-père le pape, les cardinaux et les autres de l’Église étaient là, ne voudriez-vous pas vous en rapporter et vous soumettre à ce saint concile ?

Jeanne. — Vous n’en tirerez [de moi] autre chose262.

Maître Châtillon. — Ne voudriez-vous pas vous sou mettre à notre saint-père le pape ?

Jeanne. — Menez-m’y, et je lui répondrai.

Maître Châtillon (continuant sa lecture) :

III. — Maintenant, Jeanne, comment se fait-il que, depuis si longtemps, en dépit des devoirs de votre sexe, vous persévériez à porter l’habit d’homme et à avoir la tenue des gens de guerre, et cela constamment, sans aucune nécessité ? C’est scandaleux ; c’est contraire à l’honnêteté et aux bonnes mœurs. Vous avez même des cheveux taillés en rond. Toutes ces façons, Jeanne, sont une violation du précepte divin, contenu au chapitre XXIIe du Deutéronome et disant : Une femme ne prendra point un habit d’homme ; ni un homme ne prendra point un habit de femme ; car celui qui le fait est abominable devant Dieu ; elles sont une violation du précepte de l’apôtre disant que la femme doit voiler sa tête ; elles sont une violation des défenses de l’Église portées dans les sacrés conciles généraux ; elles sont enfin une violation de la doctrine des saints et des docteurs soit en théologie, soit en droit canon. Il y a là un mauvais exemple donné aux autres femmes263… Où vous manquez surtout gravement, Jeanne, c’est par les excès où vous pousse l’envie de porter cet habit inconvenant. Ainsi, vous préférez ne pas prendre le sacrement de l’Eucharistie dans le temps ordonné par l’Église que d’abandonner les vêtements d’homme pour les vêtements de femme, sous lesquels vous pourriez recevoir le sacrement sans manquer au respect et à la décence. Vous voilà donc méprisant les préceptes de l’Église pour satisfaire une inclination dépravée. Et pourtant on vous a là-dessus souvent avertie, surtout aux alentours de Pâques, quand vous disiez que vous voudriez bien entendre la messe et communier. Pour cela, vous disait-on, prenez l’habit de femme. Et une fois de plus, vous répondîtes par un refus. Ne voyez-vous pas combien c’est pécher gravement ? Donc, je vous en prie, rompez avec vos habitudes ; décidez-vous à abandonner l’habit d’homme.

IV. — Non contente de porter cet habit, avec les circonstances aggravantes susdites, vous en êtes venue à vouloir soutenir que vous faisiez bien et ne péchiez point. Or, dire qu’on fait bien en allant à l’encontre des doctrines des saints et des préceptes de Dieu et des apôtres, en méprisant le commandement de l’Église, et cela par goût pour un vêtement indécent et déshonnête, c’est une erreur dans la foi. Vouloir obstinément défendre cette erreur, c’est tomber dans l’hérésie. Mais ce n’est pas tout. Vous voulez faire remonter à Dieu et aux saintes la responsabilité de tels péchés. Par-là, vous blasphémez Dieu et les saintes ; car vous leur attribuez ce qui ne leur convient pas. Dieu et les saintes veulent que toute honnêteté soit sauve ; que tous péchés et tous goûts dépravés soient évités. Ils ne veulent pas que, pour des futilités, on méprise les commandements de l’Église. Donc, je vous y exhorte, cessez de proférer de tels blasphèmes ; n’ayez plus la présomption d’attribuer à Dieu et à ses saintes et de sou tenir comme étant permis ce qui est défendu.

Jeanne, vous déciderez-vous à prendre l’habit de femme ?

Jeanne264. — Je veux bien prendre longue robe et chaperon de femme pour aller à l’église et recevoir mon Sauveur, ainsi que je l’ai dit autrefois, pourvu qu’aussitôt après je quitte cet habit et reprenne celui que je porte.

Maître Châtillon. — Mais, Jeanne, comme je vous l’ai exposé, vous gardez l’habit d’homme sans nécessité, spécialement depuis que vous êtes en prison.

Jeanne. — Quand j’aurai fait ce pour quoi je suis envoyée de par Dieu, je prendrai l’habit de femme.

Maître Châtillon. — Croyez-vous bien faire de prendre un habit d’homme ?

Jeanne. — Je m’en attends à Notre-Seigneur.

Maître Châtillon265. — Jeanne, ne voyez-vous pas que, quand vous prétendez bien faire et ne point pécher en portant cet habit, et que vous dites que Dieu et les saints vous le font faire, vous blasphémez Dieu et les saints, vous errez, vous faites mal, comme je vous l’ai exposé plus à plein dans mon quatrième article ?

Jeanne. — Je ne blasphème point Dieu ni ses saints.

Maître Châtillon. — Encore une fois, Jeanne, tenez compte de mon admonestation. Ne croyez plus que ce soit bien d’avoir l’habit d’homme ; renoncez à le porter ; reprenez l’habit de femme.

Jeanne. — Je n’en ferai autre chose.

Maître Châtillon (reprenant sa lecture) :

V. — Pour ce qui est de vos révélations et apparitions, Jeanne, plusieurs clercs insignes et notables ont examiné avec attention ce que vous en avez dit. Or, attendu les mensonges évidents que vous avez imaginés sur la couronne portée à Charles et sur la venue des anges se rendant vers lui, en quoi ceux de votre parti comme les autres ont dû ne reconnaître que fictions et impostures ; attendu ce que vous avez raconté des baisers et embrassements de sainte Catherine et de sainte Marguerite, qui, à vous en croire, viendraient, tous les jours, et même plusieurs fois par jour, vous visiter, sans effet spécial, sans manifestation apparente justifiant de si fréquentes venues266 : ce dont il n’y a pas d’exemples dans les apparitions miraculeuses de saints ou de saintes ; attendu votre dire que vous ne savez rien ni de leurs membres ni des autres détails de leurs personnes, la tête exceptée, dire qui ne concorde aucunement avec des visions si répétées ; attendu aussi beaucoup de commandements que vous prétendez vous être intimés, comme de porter l’habit d’homme et de faire des réponses telles que celles que vous avez faites en justice, commandements en contradiction avec les commandements mêmes de Dieu et des saints et qu’on ne saurait croire émanés d’eux ; attendu enfin les autres points en grand nombre que les docteurs et maîtres experts ont bien considérés en la matière, ils voient et reconnaissent que de telles révélations et apparitions ne vous sont pas venues de Dieu, comme vous vous en vantez.

Envisagez quel grand péril vous courez en présumant de vous-même au point de vous croire propre à de telles apparitions et révélations ; en mentant au sujet des choses qui sont du domaine de Dieu ; en faisant la devineresse, la fausse prophétesse, avec des fictions où Dieu n’est pour rien et que forge votre imagination, d’où peut suivre la séduction des peuples, l’avènement de sectes nouvelles, et maint autre méfait tendant au renversement de l’Église et du catholicisme. Songez combien il est dangereux de scruter avec une curiosité téméraire ce qui est au-dessus de vous, de vouloir croire aux nouveautés, et d’inventer même des choses nouvelles et insolites, sans tenir compte de l’avis de l’Église et des prélats. Ce sont là témérités auxquelles les démons ont l’habitude de se mêler, soit par des inspirations occultes, soit par des apparitions manifestes où ils se transfigurent en anges de lumière. Sous les apparences de la piété ou d’un bien quelconque, ils vous entraînent à des pactes pernicieux ; ils vous plongent dans l’erreur. Et Dieu le permet pour châtier la présomption des personnes qui ont la témérité de se laisser prendre au filet de telles tentations267. En conséquence, Jeanne, je vous en prie, renoncez à toutes ces vaines imaginations, à tous ces mensonges ; rentrez dans la voie de la vérité.

Jeanne. — De mes révélations, je m’en rapporte à mon juge, à savoir Dieu.

Maître Châtillon*. — Mais pouvez-vous croire qu’elles viennent de Dieu ?

Jeanne. — Mes révélations sont de Dieu, sans autre intermédiaire.

Maître Châtillon. — Quand sainte Catherine et sainte Marguerite viennent vers vous, faites-vous le signe de la croix ?

Jeanne. — Quelquefois je fais le signe de la croix ; d’autres fois, non268.

Maître Châtillon. — Au sujet du prétendu signe donné à votre roi, voulez-vous vous en rapporter à l’archevêque de Reims, au sire de Boussac, à Charles de La Trémouille et à Étienne, dit La Hire, auxquels ou à quelques-uns desquels vous avez dit autrefois avoir montré cette couronne, et qui, selon vous, étaient présents quand l’ange l’apporta [à votre roi269] et la donna audit archevêque ? Ou bien voulez-vous vous en rapporter à d’autres de votre parti qui écriraient sous leur sceaux ce qui en est ?

Jeanne. — Donnez-moi un messager, et je leur écrirai de tout ce procès.

Maître Châtillon*. — Vous pouvez sans cela vous en rapporter à eux et les en croire.

Jeanne. — Je ne veux pas270.

Maître Châtillon. (reprenant sa lecture) :

VI. — Jeanne, ces révélations ainsi inventées vous ont jetée en bien d’autres crimes, dont elles ont été comme la racine. Ainsi, vous attribuant ce qui est le propre de Dieu, vous avez eu la présomption de vous prononcer d’un ton affirmatif sur des choses futures purement contingentes ; et aussi sur l’existence de certaines choses cachées, comme cette épée qui était enfouie en terre ; de plus, vous vous êtes vantée de savoir avec certitude, au sujet de certaines personnes, que Dieu avait une prédilection pour elles ; enfin, en ce qui vous touche, vous avez prétendu savoir que vous aviez obtenu la remise du péché par vous commis lorsque vous vous précipitâtes du haut de la tour de Beaurevoir. Tout cela n’est que divination, présomption et témérité.

En outre, Jeanne, vous avouez avoir adoré des visions insolites qui se manifestaient à vous ; et pourtant, d’une part, comme cela ressort de vos aveux, vous n’aviez pas des raisons suffisantes de croire que ces visions étaient de bons esprits ; d’autre part, vous n’aviez pas pris là-dessus conseil de votre curé ni d’aucun autre ecclésiastique. Pourquoi cette facilité à vous vanter de telles choses et en une matière où est si grand le danger d’idolâtrie ? Pourquoi cette témérité à croire ce qu’on ne doit jamais croire si légèrement, alors même qu’il y aurait quelque réalité dans ces apparitions, qui pourtant semblent n’être que pure feinte ?

Ce n’est pas tout. Vous osez dire que, dans votre créance, ces apparitions ne sont rien moins que sainte Catherine, sainte Marguerite et les anges ; et vous le croyez aussi fermement que la foi chrétienne ! Quelle témérité qu’une telle croyance ! Ne semble-t-elle pas témoigner que, dans votre sentiment, il n’y a pas de meilleure ni plus forte raison de croire la foi chrétienne et les articles du Credo transmis par l’Église que de croire à je ne sais quelles choses apparaissant d’une manière nouvelle et insolite ? Sur cela, avez-vous quelque décision, quelque consultation de l’Église ? Non, rien. Bien plus, il est constant que le Christ, les saints et l’Église commandent qu’on n’ajoute pas foi légèrement à de telles apparitions.

Je vous en supplie, Jeanne, avisez-vous bien271.

Jeanne. — De tout ce que vous m’avez dit sur la, témérité de ma croyance et sur l’annonce de choses futures272, je m’en rapporte à mon juge, c’est-à-dire à Dieu. Je m’en rapporte aussi à ce qu’autrefois j’ai répondu et qui est écrit dans le livre.

Maître Châtillon. — Si on vous envoie trois ou quatre des clercs de votre parti [ou bien deux, ou trois, ou quatre des chevaliers de votre parti273], qui viennent ici sous sauf-conduit, voudrez-vous vous en rapporter à eux de vos apparitions et des diverses choses contenues en votre procès ?

Jeanne. — Qu’on les fasse venir, et puis je répondrai.

Maître Châtillon*. — Pourquoi cette condition ? Pourquoi ne pas vous en rapporter à eux et vous soumettre au sujet de ce procès ?

Jeanne*. — Non, sans cette condition274.

Maître Châtillon. — Voulez-vous vous en rapporter et vous soumettre à l’église de Poitiers, où vous avez été examinée ?

Jeanne. — Me croyez-vous prendre de cette manière et par là m’attirer à vous ?

Maître Châtillon. — Il faut conclure, Jeanne. De nouveau, et pour compléter ce que j’ai lu, je vous admoneste d’une manière générale d’avoir à vous soumettre à l’Église, sous peine d’être laissée par l’Église. Si l’Église vous laissait, vous seriez en grand péril de corps et d’âme, et vous pourriez bien vous mettre en danger d’encourir, outre les peines du feu éternel quant à l’âme, les peines du feu corporel quant au corps, et par la sentence d’autres juges.

Jeanne. — Vous ne ferez jà ce que vous dites contre moi qu’il ne vous en prenne mal au corps et à l’âme.

Maître Châtillon. — Mais, enfin, dites-nous une cause pourquoi vous ne vous en rapportez pas à l’Église ?

Jeanne*. — Je n’ai pas d’autre réponse à vous faire275.

Alors plusieurs docteurs et maîtres habiles276 de divers états et de diverses facultés ont tour à tour adressé à Jeanne des admonitions et des conseils charitables. Ils l’ont exhortée à se soumettre à l’Église militante universelle, à notre saint-père le pape et au saint concile général. Ils lui ont aussi fait voir à quels périls elle s’exposait, quant à son âme et quant à son corps, si elle ne se soumettait à l’Église militante. Jeanne a répondu comme précédemment277.

L’évêque. — Jeanne, je vous invite à faire bien attention et à bien vous aviser sur les admonitions, conseils et exhortations qu’on vient de vous adresser. Tâchez de penser autrement278.

Jeanne. — Quel temps me donnez-vous pour m’a viser ?

L’évêque. — C’est à présent même qu’il faut vous aviser. Répondez ce que vous voudrez.

Jeanne. — Je n’ai rien de plus à répondre.

(La séance est levée, et Jeanne est reconduite dans sa prison279.)

XII. Jeanne en face de la torture

(Le mercredi 9 mai. — Dans la grosse tour du château de Rouen. — Sont présents, outre l’évêque et le vice-inquisiteur : l’abbé de Saint-Corneille de Compiègne, Jean de Châtillon, Guillaume Érard, André Marguerie, Nicolas de Venderès, Guillaume Haiton, Aubert Morel, Nicolas Loiseleur et Jean Massieu.)

L’évêque. — Jeanne, je vous avise et requiers d’avoir à me dire la vérité. Il y a dans votre procès des points nombreux et divers sur lesquels vous avez refusé de répondre ou répondu mensongèrement. Nous avons là dessus des informations sûres, des preuves et des présomptions convaincantes. On va vous lire et vous exposer plusieurs de ces points.

La lecture et l’exposé de ces points a lieu280.

L’évêque (reprenant). — Jeanne, si sur ces questions vous n’avouez point la vérité, vous allez être soumise à la torture. Voyez-en les instruments qui sont là tout préparés281. En face de vous voici les exécuteurs qui n’attendent que notre ordre et sont tout prêts à remplir leur office. On vous torturera pour vous ramener dans la voie de la vérité que vous méconnaissez et pour vous assurer ainsi le double salut de votre âme et de votre corps, que vous exposez l’un et l’autre à de si graves périls par vos inventions mensongères282.

Jeanne283. — Vraiment, si vous me deviez faire arracher les membres et faire partir l’âme hors du corps, encore ne vous dirais-je autre chose ; et, si je vous disais autre chose, après je vous dirais toujours que vous me l’auriez fait dire par force.

L’évêque. — Depuis le jour où maître Châtillon vous a admonestée avez-vous eu quelque révélation particulière ?

Jeanne. — Le [lendemain 3 mai] jour de l’Invention de la Sainte-Croix, j’eus le confort de saint Gabriel. Et croyez que ce fut saint Gabriel. J’ai su par mes voix que c’était lui.

L’évêque*. — N’avez-vous pas demandé conseil à vos voix ?

Jeanne. — J’ai demandé conseil à mes voix si je me soumettrais à l’Église, parce que les gens d’Église me pressaient fort de me soumettre à l’Église.

L’évêque*. — Et que vous ont-elles dit ?

Jeanne. — Elles m’ont dit : Si tu veux que Notre-Seigneur t’aide, attends-toi à lui de tous tes faits. Je sais bien que Notre-Seigneur a été toujours maître de mes faits et que le diable n’a eu oncques puissance sur mes faits.

L’évêque. — Les voix vous ont-elles dit le sort qui vous attend ?

Jeanne. — J’ai demandé à mes voix si je serais brûlée. Les voix m’ont répondu : Attends-toi à Notre-Seigneur, et il t’aidera.

L’évêque. — Jeanne, au sujet de la couronne que vous dites avoir donnée à l’archevêque de Reims, voulez-vous vous en rapporter à lui ?

Jeanne. — Faites-le venir et que je l’entende parler, et puis je vous répondrai. Aussi bien, il n’oserait dire le contraire de ce que je vous ai dit.

(Ici doit se placer une délibération non mentionnée au procès-verbal, pour savoir si on va ou non procéder immédiatement à la torture.)

L’évêque. — Vu l’endurcissement de l’âme de cette femme et sa façon de répondre, craignant que les supplices de la torture ne lui profitent peu, nous décidons de surseoir à leur application, et nous attendrons d’avoir là-dessus avis plus complet.

(La séance est levée.)

XIII. Délibération sur la torture

(Le samedi [soir284] 12 mai. — Dans la demeure de l’évêque. — Treize conseillers sont présents, à coté de l’évêque et du vice-inquisiteur.)

L’évêque. — Vénérables docteurs et maîtres qui m’assistez, vous savez ce qui s’est passé mercredi der nier. Nous vous demandons conseil sur ce qui reste à faire. Voyez notamment s’il est expédient de mettre Jeanne à la torture285.

Maître Raoul Roussel. — Il me semble que non ; car il faut éviter qu’un procès aussi bien fait que l’a été celui-ci puisse être calomnié286.

Maître Nicolas de Venderès. — Je ne trouve pas qu’il soit expédient de mettre cette femme à la torture, du moins quant à présent.

Maître André Marguerie. — Je pense aussi qu’il n’y a pas lieu quant à présent.

Maître Guillaume Érard. — La torture est inutile ; on a assez ample matière pour juger sans recourir aux tourments.

Maître Robert Barbier. — Mon avis est le même. J’ajoute qu’il faudrait de nouveau avertir cette femme charitablement et, une fois pour toutes, d’avoir à se soumettre à l’Église. Si elle ne le fait, qu’au nom de Notre-Seigneur on procède contre elle ainsi que droit.

Maître Gastinel. — Il n’y a pas lieu de la torturer.

Maître Aubert Morel. — Moi, il me semble qu’il y a lieu de la mettre à la torture, pour savoir la vérité sur ses mensonges.

Maître Thomas de Courcelles. — Je trouve bon de la mettre à la torture287. Il y aura à l’interroger sur ce point : Veut-elle se soumettre au jugement de l’Église ?

Maître Nicolas Coppequesne. — Il n’y a pas lieu de la mettre à la torture. Il y a lieu de l’avertir charitablement, encore une fois, de se soumettre à la décision de l’Église.

Maître Jean Ledoux. — Je pense de même.

Frère Isambard de la Pierre. — Moi aussi. Mais qu’on ne manque pas de l’avertir une dernière fois d’avoir à se soumettre à l’Église militante.

Maître Nicolas Loiseleur. — Il me semble que pour la médecine de son âme il serait bon qu’elle fût mise à la torture288. Toutefois je m’en rapporte aux opinions des préopinants.

Maître Haiton. — À mon avis, il ne faut pas la mettre à la torture.

Maître Jean Lemaître. — Il faut de nouveau l’interroger sur ce point : croit-elle devoir se soumettre à l’Église militante ?

L’évêque. — Nous juges, ouïes les opinions de chacun, considérant les réponses faites par Jeanne mercredi, vu sa disposition d’esprit, sa volonté et les circonstances du procès, nous concluons qu’il n’est ni utile ni expédient de soumettre cette femme aux tourments de la torture. Pour ce qui reste à faire, nous y procéderons ultérieurement.

(La séance est levée.)

XIV. Délibération des docteurs et maîtres présents à Rouen et adhésion aux conclusions de l’Université de Paris

(Le samedi, 19 mai. — Dans la chapelle archiépiscopale de Rouen. — Les deux juges siègent sur leur tribunal, assistés de cinquante docteurs et maîtres.)

L’évêque. — Depuis longtemps, nous avons reçu, en quantité considérable289, les délibérations et opinions de notables docteurs et maîtres, au sujet des déclarations et aveux de Jeanne. Munis de ces délibérations, nous aurions pu procéder à la conclusion de la cause, vu qu’elles semblaient amplement suffire. Mais, pour témoigner honneur et révérence à notre mère l’Université de Paris et pour être plus largement et plus clairement édifiés sur la matière, pour rassurer nos consciences et donner sécurité à tous, nous avons estimé bon de transmettre les assertions susdites à notre mère l’Université de Paris et principalement à la Faculté de théologie et à la Faculté des décrets, requérant les docteurs et maîtres de l’Université et surtout des deux Facultés susdites d’avoir à en délibérer. L’Université et spécialement les deux Facultés, non médiocrement enflammées du zèle de la foi, ont mûrement et solennellement donné leur avis sur chaque point. Elles nous ont transmis le texte authentique de leurs délibérations. Le voici. La lecture va vous en être faite d’un bout à l’autre.

(Lecture est faite des lettres d’envoi et des consultations de l’Université précédemment traduites. — Voir le chapitre IX ci-dessus.)

L’évêque. — Révérends docteurs et maîtres, maintenant que vous avez tous bien entendu la lecture qui vient d’avoir lieu, je vous invite à exprimer et à expliquer chacun votre avis tant sur les qualifications que comportent les assertions de Jeanne que sur le mode de procéder qui devra être ultérieurement suivi.

Maître Raoul Roussel. — La cause a été notablement et solennellement discutée. Il reste à conclure et à statuer en présence des parties. Si Jeanne ne rentre pas dans la voie de la vérité et du salut, elle doit être jugée hérétique. J’adhère à la délibération de l’Université de Paris.

Maître Nicolas de Venderès. — Je pense comme maître Roussel. J’ajoute qu’on peut, le même jour, clore les débats et prononcer la sentence, puis abandonner Jeanne à la justice séculière.

Révérend père en Christ, le seigneur abbé de Fécamp. — Il faut fixer un jour où demande sera faite au promoteur s’il veut dire autre chose. Ce jour-là une nouvelle admonition pourra être adressée à Jeanne. Cela fait, si elle ne veut point se rétracter et rentrer dans la voie de la vérité, on devra considérer Jeanne comme hérétique, prononcer la sentence et abandonner l’accusée à la justice séculière290.

Maître Jean de Châtillon. — Ceux qui n’ont pas encore délibéré sur le fond, ne peuvent que délibérer selon la délibération de l’Université de Paris. Pour ce qui me concerne, j’adhère à cette délibération. Quant à la procédure à suivre, je partage l’avis du seigneur abbé de Fécamp.

Révérend père en Christ, le seigneur abbé de Cormeilles. — Je suis d’accord avec l’Université de Paris.

Maître Andrée Marguerie. — Attendu les monitions adressées à Jeanne, j’adhère à la délibération de l’Université de Paris. Quant à la procédure, je crois qu’on peut le même jour clôturer la cause et porter la sentence.

Maître Érard Émengard. — Il faut adresser à Jeanne une nouvelle admonition. Cela fait, si elle ne rentre pas dans la voie de la vérité, je m’associe à l’avis de la Faculté de théologie de l’Université de Paris.

Maître Lebouchier. — Je m’en tiens à la décision que j’ai prise avec d’autres docteurs et maîtres à la date du 12 avril291. J’ajouterai qu’il y a lieu d’adresser encore à Jeanne une admonition charitable et de lui faire connaître la délibération de l’Université de Paris. Cela fait, si elle ne veut point obéir, qu’on procède comme de droit. J’adhère à la délibération de l’Université de Paris.

Le seigneur prieur de Longueville. — Je partage l’avis du préopinant.

Maître Pinchon. — Moi aussi.

Maître Pasquier de Vaux. — Je m’associe à la délibération de l’Université de Paris.

Maître Jean Beaupère. — Je m’associe également à l’Université de Paris. Quand au mode de procéder, je m’en rapporte à vous, mes seigneurs et juges.

Maître Gastinel. — Encore une nouvelle admonition. Si Jeanne n’obéit pas, je m’associe à l’Université de Paris.

Maître Nicolas Midi. — Il peut en un même jour être conclu et jugé. Sur le fond je m’en rapporte à ce qui a été délibéré par moi, avec d’autres docteurs et bacheliers, à la date du 12 avril dernier.

Maître Maurice du Quesney. — Il faut adresser encore à Jeanne une admonition charitable. Si elle n’obéit point je m’associe à l’avis de la Faculté de théologie de l’Université de Paris.

Maître Houdenc. — Pour le salut de son âme et de son corps, il faut encore avertir Jeanne charitablement avant que les seigneurs juges en viennent à la conclusion. Lesdites monitions faites, si cette femme ne revient pas à l’Église, elle sera convaincue d’obstination et d’hérésie. Quant à la manière de conclure, je m’en rapporte à vous, seigneurs juges.

Maître Lefèvre. — Je m’en tiens à la consultation donnée par moi avec d’autres docteurs et maîtres à la date du 12 avril, et j’adhère à la délibération de la Faculté de théologie de l’Université de Paris. J’ajoute que ladite Jeanne doit être encore charitablement admonestée, et qu’il faut lui assigner jour pour cela.

Religieuse personne frère Martin Ladvenu292. — Je partage l’avis de maître Lefèvre.

Vénérables et discrètes personnes les avocats de la cour archiépiscopale de Rouen, au nombre de treize. — À notre avis, il faut d’abord avertir Jeanne de rentrer dans la voie de la vérité et du salut et de se soumettre à l’Église. Si elle ne veut point obéir, qu’on procède comme de droit et conformément à la délibération de la Faculté des décrets de l’Université de Paris, délibération à laquelle nous adhérons tous les treize.

Révérend père en Christ, le seigneur abbé de Mortemer. — Qu’on adresse encore à Jeanne une admonition charitable ; et, si elle ne veut point obéir, qu’il soit procédé contre elle comme de droit. J’adhère à la délibération de la Faculté de théologie de l’Université de Paris.

Religieuse personne maître Guesdon. — Je pense comme le préopinant.

Religieuse personne maître Guesdon. — Moi de même.

Maître Maugier. — Encore une admonition. Si Jeanne ne veut point obéir, qu’on procède comme de raison.

Maître Nicolas Coppequesne. — Je m’associe à la délibération de l’Université de Paris.

Maître Raoul Sauvage. — Je m’en tiens à la consultation que j’ai naguère donnée, signée de ma main. Jeanne doit être encore avertie à part et publiquement devant le peuple. Si elle ne veut point rentrer dans la voie de la vérité et du salut, il y aura à passer outre. Sur la manière de procéder, je m’en rapporte à vous, seigneurs juges.

Maître Minier. — Je partage l’avis du préopinant.

Maître Pigache. — Je m’associe à la délibération de l’Université de Paris.

Maître Richard de Grouchet. — Qu’on adresse encore à Jeanne une admonition charitable. Ainsi avertie, si elle n’obéit point à l’Église, qu’elle soit réputée hérétique.

Religieuse personne frère Isambard de la Pierre. — Je m’en tiens à la consultation que j’ai donnée avec d’autres, le 12 avril. Il faut encore avertir Jeanne charitablement. Si, cette monition faite, elle refuse de se soumettre à l’Église, vous verrez, seigneurs juges, quelle est la meilleure manière de procéder. Je m’en rapporte à vous.

Maître Pierre Morice. — Je m’en tiens à la consultation donnée par moi avec d’autres docteurs, à la date du 12 avril. J’ajoute qu’il faudra dans le même jour adresser à Jeanne une nouvelle admonition charitable et lui déclarer la peine dont elle sera passible, si elle ne veut point obéir et se soumettre à l’Église. Que si elle persiste dans sa désobéissance, on procédera comme de droit.

Maître Thomas de Courcelles. — Je m’en tiens aussi à notre délibération du 12 avril. Pour tout le reste, je partage l’avis du préopinant. Si, après l’admonition, Jeanne ne veut pas obéir à l’Église, elle doit être réputée hérétique.

Maître Nicolas Loiseleur. — Je partage l’avis du préopinant.

Maître Jean Alépée. — En un même jour, que Jeanne soit avertie charitablement, et, si elle reste désobéissante, qu’avec la clôture de la cause on prononce la sentence.

Religieuse personne maître Bertrand Duchêne. — Je m’associe à la délibération de la Faculté des décrets de l’Université de Paris.

Maître Guillaume Érard. — Je m’associe aux délibérations du vénérable chapitre de l’église de Rouen et de l’Université de Paris.

L’évêque. — Révérends pères, seigneurs et maîtres, nous vous rendons grâce pour toute votre peine. Conformément à l’avis du plus grand nombre, nous décidons qu’une nouvelle admonition charitable sera adressée à Jeanne pour qu’elle se décide à rentrer dans la voie de la vérité et du salut de son âme et de son corps293. Après quoi, conformément à l’excellente délibération qui vient d’avoir lieu et à vos conseils pleins de sens, nous procéderons à ce qui reste à faire, clôturant la cause et prenant jour pour prononcer la sentence.

(La séance est levée.)

XV. Nouvelle admonition et réponses de Jeanne

(Le mercredi 23 mai. — Dans une chambre du château de Rouen, voisine de la prison de Jeanne. — L’évêque Cauchon et le vicaire inquisiteur siègent en leur tribunal. Outre les maîtres Jean de Châtillon, Beaupère, Nicolas Midi, Érard, Morice, Marguerie, Venderès et le promoteur Jean d’Estivet, les révérends pères seigneurs évêques de Thérouanne et de Noyon sont présents.)

L’évêque de Beauvais. — Jeanne, nous vous avons fait conduire devant nous pour que vous soient exposés certains points, dans lesquels, selon la délibération de la Faculté de théologie et de la Faculté des décrets de Paris, vous avez erré et failli. On va vous faire connaître les fautes, les crimes et les erreurs où vous êtes tombée en chacun de ces points, de l’avis des deux Facultés. Vous allez être avertie, par nous ou par ceux qui nous représentent, d’avoir à en finir avec ces fautes et ces erreurs, vous amender, vous corriger et vous soumettre de bon gré à la censure et à la décision de notre sainte mère l’Église. Voici maître Pierre Morice, chanoine de l’église de Rouen, docteur très distingué en théologie sacrée, qui va s’acquitter de cette tâche.

Maître Pierre Morice294, lisant une cédule, fait à Jeanne un exposé de ses manquements295. Il reproduit, en douze articles, la substance des douze articles déjà connus, avec un résumé de la délibération correspondante de l’Université de Paris. Puis, il continue ainsi :

Maintenant, Jeanne, que j’ai passé en revue vos assertions et les qualifications dont les a accompagnées l’Université de Paris, je vais vous démontrer combien vous avez lieu de faire grande attention à la portée de vos dires et de vos faits, et en particulier au point qui concerne la soumission à l’Église296.

Jeanne, ma très chère amie, il est temps, maintenant que votre procès touche à sa fin, de bien peser ce qui a été dit. Voici la quatrième fois que monseigneur l’évêque de Beauvais, monseigneur le vicaire inquisiteur et d’autres docteurs, par eux délégués, vous ont admonestée, soit à part, soit publiquement, et avec le plus grand zèle, pour l’honneur et révérence de Dieu, pour le triomphe de la foi et de la loi de Jésus-Christ, pour la tranquillité de leurs consciences, pour l’apaisement du scandale soulevé, pour le salut de votre âme et de votre corps. On ne vous a pas laissé ignorer à quels maux spirituels et corporels vous vous exposerez si vous ne vous corrigez et amendez, vous et vos dires, en vous soumettant à l’Église, vous et vos faits, et en acceptant son jugement. Or, jusqu’à ce jour, vous n’avez tenu aucun compte de nos exhortations.

Bien d’autres auraient pu se trouver assez éclairés pour conclure contre vous. Mais vos juges, dans leur zèle pour votre salut, tant spirituel que corporel, ont soumis vos dires à l’examen de l’Université de Paris, cette lumière de toutes sciences, cette extirpatrice de toutes erreurs. Les délibérations de l’Université leur sont parvenues ; et, toujours préoccupés de vous sauver, vos juges ont ordonné qu’il vous fût adressé une nouvelle admonition, où vous seriez avisée de vos erreurs, de vos scandales et de toutes les fautes par vous commises ; où vous seriez avertie, exhortée, suppliée, au nom des entrailles de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a voulu souffrir une si cruelle mort pour la rédemption du genre humain, de corriger vos dires et de les soumettre au jugement de l’Église, comme tout fidèle y est tenu et obligé. Ne vous laissez point séparer de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vous a créée pour être participante de sa gloire ; ne choisissez point la route qui mène à l’éternelle damnation avec les ennemis de Dieu. Ceux-ci, chaque jour, ourdissent de nouvelles trames contre le repos des hommes ; prennent maintes fois la figure du Christ, des anges et des saints, et disent expressément qu’ils sont ce qu’ils ne sont pas, ainsi que le témoignent de reste les vies des Pères et les Écritures.

C’est pourquoi, si des apparitions de ce genre se sont manifestées à vous, n’y ajoutez pas foi ; mais bien plutôt rejetez toute croyance, toute illusion relative à de semblables choses. Acquiescez aux dires et aux opinions de l’Université de Paris et de tant d’autres docteurs qui, connaissant la loi de Dieu et la sainte Écriture, trouvent qu’il ne faut pas donner créance à de pareilles apparitions, pas plus qu’à aucune apparition extraordinaire, ni à aucune nouveauté, sans l’autorité de la sainte Écriture ou d’un signe suffisant et d’un miracle : ce qui pour vous n’est pas le cas. C’est légèrement que vous avez cru à vos visions ; vous ne vous êtes pas tournée vers Dieu par une oraison ardente, pour qu’il vous donnât là-dessus une certitude ; vous n’avez eu recours ni à quelque prélat ni à un autre homme d’Église instruit qui pût vous éclairer, chose que vous auriez dû faire, vu votre condition et la simplicité de votre savoir297.

Prenez un exemple : Si votre roi, de son autorité, vous avait commis la garde de quelque fort, en vous défendant d’y recevoir personne, n’est-il pas vrai que, si quelqu’un se présentait de sa part, à moins qu’il ne vous apportât des lettres ou un autre signe certain, vous ne devriez point le croire ni le recevoir ? De même, lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ, montant au ciel, a commis au bienheureux apôtre Pierre et à ses successeurs le gouvernement de son Église, il leur a défendu de faire accueil à ceux qui viendraient en son nom si cela n’était suffisamment établi autrement que par leurs dires. À coup sûr, ni vous, vous n’auriez dû ajouter foi à ceux que vous dites être venus à vous en cette manière ; ni nous, nous ne devons ajouter foi à vos assertions, puisque Notre-Seigneur nous prescrit le contraire.

Jeanne, réfléchissez bien à ceci. Lorsque vous étiez dans le domaine de votre roi, si un chevalier, ou tout autre, né en son royaume et placé sous son obéissance, s’était levé, disant : Je n’obéirai pas au roi ; je ne me soumettrai ni à lui ni à ses officiers, n’auriez-vous pas dit : Voilà un homme qui doit être condamné ? Que direz-vous donc de vous qui, engendrée dans la foi du Christ, devenue par le sacrement du baptême la fille de l’Église et l’épouse du Christ, n’obéissez point aux officiers du Christ, c’est-à-dire aux prélats de l’Église ? Quel jugement porterez-vous de vous-même ? Donc, je vous en supplie, cessez de parler comme vous le faites, si vous aimez Dieu votre créateur, votre précieux époux et votre salut ; et obéissez à l’Église en subissant ses jugements. Sachez-le, si vous n’agissez de la sorte, si vous persévérez dans l’erreur où vous êtes, votre âme sera condamnée au supplice éternel pour être tourmentée à jamais ; et, quant à votre corps, je doute fort qu’il ne vienne en perdition298.

Que le respect humain ne vous retienne pas, ni cette vaine crainte qui peut-être vous domine parce que vous avez été dans de grands honneurs que vous pensez perdre en agissant comme je vous y invite. Il faut préférer à tout l’honneur de Dieu et votre salut, tant du corps que de l’âme. Or, tout cela ira en perdition si vous ne faites ce que je vous dis. En effet, ne pas le faire, c’est vous séparer de l’Église et de la foi que vous avez jurée dans le sacré baptême ; c’est mutiler l’autorité de Dieu en la détachant de celle de l’Église, qui, pourtant est conduite, régie et gouvernée par son autorité et par son esprit. N’a-t-il pas dit aux prélats de l’Église : Qui vous écoute, m’écoute ; qui vous méprise, me méprise ? Donc, lorsque vous ne voulez pas être soumise à l’Église, vous vous en séparez de fait ; en refusant de vous soumettre à elle, vous refusez de vous soumettre à Dieu ; enfin, vous errez contre l’article l’Église une, sainte, catholique et apostolique. Quelle est la nature de cette Église et son autorité, on vous l’a suffisamment expliqué dans les précédentes monitions.

En conséquence, eu égard à tout ce que je viens d’exposer de la part de messeigneurs l’évêque de Beauvais et du seigneur vicaire inquisiteur, je vous avertis, je vous exhorte, je vous supplie, par cette piété que vous avez pour la passion de votre Créateur, et par cette affection que vous devez porter au salut de votre corps et de votre âme, de corriger et amender toutes les choses susdites. Rentrez dans la voie de la vérité ; obéissez à l’Église et acceptez en tout son jugement et sa décision. En agissant ainsi, vous sauverez votre âme et rachèterez, — comme je le pense, — votre corps de la mort. Mais, si vous ne le faites, si vous persévérez, sachez que votre âme sera engloutie dans le gouffre de la damnation ; quant à votre corps, il sera détruit, je le crains. Desquelles choses daigne vous préserver Jésus Christ299.

L’évêque*. — Jeanne, qu’avez-vous à répondre sur les articles qui vous ont été lus, sur les qualifications relatives à vos actes que maître Pierre Morice vous a solennellement exposées, et sur les exhortations, sur les requêtes charitables qui vous ont été adressées300 ?

Jeanne. — Quant à mes faits et à mes dires, je m’y rapporte et les veux soutenir301.

L’évêque. — Croyez-vous que vous ne soyez point tenue de soumettre vos dits et vos faits à l’Église militante, ou à autre qu’à Dieu ?

Jeanne. — Quant à ce, la manière que j’ai toujours dite et tenue au procès, je la veux maintenir.

L’évêque. — Songez à quel péril vous vous exposez.

Jeanne. — Si j’étais en jugement, que je visse le feu allumé et les bourrées préparées et le bourreau prêt à bouter le feu, et que je fusse dans le feu, encore je n’en dirais autre chose et je soutiendrais ce que j’ai dit au procès jusqu’à la mort.

L’évêque. — Vénérable personne Jean d’Estivet, avez-vous rien à dire de plus ?

Le promoteur, Jean d’Estivet. — Je n’ai plus rien à dire.

L’évêque*. — Jeanne, voulez-vous dire rien de plus ?

Jeanne. — Rien302.

L’évêque. — Nous n’avons donc qu’à procéder à la clôture des débats.

(Lisant la formule contenue en une cédule qu’il tient à la main.)

Nous, juges compétents en cette cause et nous déclarant tels à nouveau en tant que besoin est, étant constaté officiellement que vous n’avez plus rien à dire, nous concluons en la cause303 ; et, cette conclusion prononcée, nous vous assignons au jour de demain pour nous ouïr rendre justice et porter sentence et pour qu’il soit fait et procédé ensuite ainsi que de droit et de raison.

(La séance est levée.)

Notes

  1. [164]

    Juridiquement et pour se conformer aux indications des manuscrits officiels, il y a à distinguer, dans l’affaire de Jeanne, deux procès distincts : 1° la cause de lapse (causa lapsus, cause de chute), qui dure du 9 janvier au 24 mai ; la cause de relapse (causa relapsus, cause de rechute), qui dure du 28 au 30 mai. Et, dans le premier procès, dit cause de lapse, il y a à distinguer deux parties, savoir : 1° le procès d’office (processus factus ex officio), qui s’étend du 9 janvier au 26 mars ; 2° le procès ordinaire (processus ordinarius), qui s’étend du 26 mars au 24 mai.

  2. [165]

    Le procès-verbal ne fait que mentionner la lecture et la délibération :

    Legi fecimus. Deliberatum est…

  3. [166]

    La requête présentée par le promoteur était écrite et fut lue en français. Mais, comme tous les documents composant le Procès de condamnation, elle fut mise en latin ; et il ne nous reste que le texte latin dont la teneur répond d’ailleurs mot pour mot au texte français, s’il faut en croire les indications du procès-verbal :

    Johannes de Estiveto, promotor in hac causa deputatus, comparens in judicio coram nobis, in præsentia dictæ Johannæ in eodem loco coram nobis adductæ, quandam supplicationem et requestam proposuit verbis gallicis, cujus tenor translatus in latinum de verbo ad verbum sequitur.

  4. [167]

    Domini mei, reverende pater in Christo, et vos, vicarie, quantum ad istud singulariter commisse a domino Inquisitore deviantium in fide catholica, stabilito et deputato per totum regnum Franciæ : ego, promotor ex parte vestri commissus et ordinatus in hac causa, post certas informationes et interrogationes, per vos et ex parte vestri factas, dico, affirmo et propono Johannam hic præsentem et delatam, pro respondendo illud quod ab ea voluero petere, dicere et proponere contra ipsam, tangens et concernens prædictam fidem ; et intendo probare, si opus sit, per protestationes et sub protestationibus, et ad fines et conclusiones plenius declaratas in codice quem coram vobis, judicibus in hac parte, exhibeo et trado, contra dictam Johannam, facta, jura et rationes declaratas et contentas in articulis scriptis et specificatis in ipso codice.

    On voit que les traditions de prolixité qui se perpétuent nos tribunaux datent de loin et ne sont pas particulières à la justice laïque.

  5. [168]

    La délibération qui remplit ce chapitre n’a pas été consignée sans le texte officiel du procès. Elle ne se trouve que dans la minute. Dans ma traduction, j’ai rapproché les uns des autres les docteurs qui ont émis la même opinion, pour éviter les répétitions du texte latin.

  6. [169]

    Le texte porte cet et cætera. Tenetur jurare, etc.

  7. [170]

    Nous n’avons que le texte latin.

  8. [171]

    On voit que l’avis adopté est l’avis donné par Thomas de Courcelles.

  9. [172]

    La minute porte :

    Promotor se obtulit jurare de calumnia et juravit videlicet, quod non favore, rancore, timore aut odio, sed zelo fidei, proponit ea quæ dat in libello, seu articulis, contra dictam Johannam.

    Le procès-verbal officiel porte seulement :

    Deinceps promotor antedictus juravit coram nobis de calumnia.

    La formule du serment n’y est pas donnée.

  10. [173]

    Texte officiel :

    Postea de præcepto et ordinatione nostra, fuerunt lecti prædicti articuli.

    Dans ce texte, Thomas de Courcelles n’est pas nommé. Minute :

    Postea magister Thomas de Courcellis, de præcepto dominorum judicum, incepit exponere contenta in libello, seu articulis.

  11. [174]

    Male de fide sapientes.

  12. [175]

    À la suite de chaque article et des réponses qu’y fait Jeanne, le procès-verbal reproduit, toujours dans leur texte latin, les divers passages des interrogatoires précédents se rapportant à cet article, et auxquels se réfère Jeanne. Je me suis dispensé de ces reproductions qui seraient ici des répétitions.

  13. [176]

    Est quædam magna, grossa et antiqua arbor, vulgariter dicta l’arbre charmine faée de Bourlemont.

  14. [177]

    Dicendo et cantando, ante et post, certas cantationes et carmina cum certis invocationibus, sortilegiis et aliis maleficiis.

  15. [178]

    Et expelleret omnes adversarios suos a regno Franciæ.

  16. [179]

    A quo quidem Roberto bina vice repulsa et reversa ad domum.

  17. [180]

    Ergo ego vellem tibi facere unum, ex quo erunt viri tantæ auctoritatis, ut exinde melius valerem.

  18. [181]

    Cette réponse est donnée en français dans le texte.

  19. [182]

    Pas de trace dans les interrogatoires d’une réponse antérieure de Jeanne sur ce point, ni de questions s’y rapportant. L’extrait des interrogatoires qui, dans le procès-verbal, est ici consigné à côté de l’article 11, est le passage de l’interrogatoire du 12 mars où Jeanne déclare que les voix l’ont appelée fille de Dieu, filiam Dei.

  20. [183]

    Rejecto et relicto omni habitu muliebri, tonsis capillis in rotundum ad modum mangonum, camisia, braccis, gippone, caligis simul junctis, longis et ligatis dicto gipponi cum visinti aguilletis, sotularibus altis deforis laqueatis, curta roba usque ad genu, vel circiter, capucio deciso, ocreis seu housellis strictis, calcaribus longis, ense, dagua, lorica, lancea et cæteris armaturis, more hominum armorum.

  21. [184]

    Sequendo præceptum eorum, induta est aliquando sumptuosis et pomposis vestibus, de pannis pretiosis et aureis, ac etiam foderaturis ; et non solum usa est tunicis brevibus, sed etiam tabardis et togis scissis ab utroque latere ; et hoc notorium est, cum capta fuerit in una heuqua aurea, undique aperta.

  22. [185]

    Ici le verbe manque, dans le texte latin.

  23. [186]

    Cette réponse de Jeanne et la réponse précédente ne se trouvent consignées que dans la minute.

  24. [187]

    Et tertium quod vindicaret eum de suis adversariis eosque omnes sua arte aut interficeret, aut expelleret de hoc regno, tam Anglicos quam Burgundos.

  25. [188]

    Minute :

    Primo requisita de prestando juramentum : respondet quod libenter de his quæ tangebant processum diceret veritatem. Et sic juravit.

    Le procès-verbal officiel ne relate pas ce préambule.

  26. [189]

    Voir l’échange après l’article 14.

  27. [190]

    L’incident ci-dessus n’est consigné que dans la minute.

  28. [191]

    C’est par l’exposé de cet article que débute, sans autre préambule, le procès-verbal officiel de la séance du 28 mars.

  29. [192]

    Hoc facere distulit, contradixit et recusavit ; differt, contradicit et recusat.

  30. [193]

    Pro ediis corporum suorum.

  31. [194]

    Habere membra corporea, ut scilicet, caput, oculos, vultus, capillos et similia.

  32. [195]

    Ad hunc articulum sibi de verbo ad verbum expositum.

  33. [196]

    Ces paroles sont en français dans le texte.

  34. [197]

    Ipsa requirit per hunc modum, verbis gallicis : …

    La requête qui suit est en français dans le procès verbal.

  35. [198]

    Le texte porte qu’elle jura par son serment :

    Et per suum juramentum affirmut quod non vellet quod diabolus traxisset eam extra carreres.

    Son serment était : En nom Dié (Dieu), ou encore : Par mon martin (bâton).

  36. [199]

    Fertur respondisse quod Jhesus ei de promisso defecerat.

  37. [200]

    Declarans se male sentire in illo articulo, unam sanctam, etc., et circa ipsum errare.

  38. [201]

    Dicens se esse subditam immediate Deo, se referendo ad ipsum et sanctos de factis, et non ad judicium Ecclesiæ.

  39. [202]

    Item, quod omnia et singula præmissa sunt vera, notoria, manifesta, et super his laboravit et adhuc laborat publica vox et fama ; eaque recognovit atque confessa est dicta rea pluries et sufficienter fore vera, coram probis et fide dignis, et tam in judicio quam extra.

  40. [203]

    Fuit interrogata prædicta Johanna super aliquibus de quibus ceperat dilationem ad respondendum, usque in istam diem.

  41. [204]

    Quibus sic peractis, ab eodem loco discessimus, ulterius processuri ad ea quæ restabant agenda in præsenti causa fidei.

  42. [205]

    In favorem fidei.

  43. [206]

    Les douze articles, acte capital qui servit de base aux consultations et à la condamnation, ne furent pas soumis à Jeanne. De plus, ils furent communiqués aux théologiens sans qu’on y eût introduit tous les amendements qui, à un certain moment, avaient été estimés convenables. C’est ce qui ressort d’une pièce produite par le greffier Manchon lors du procès de réhabilitation. Dans cette pièce, Manchon avait consigné les corrections et additions proposées. Je signalerai dans mes notes celles de ces corrections dont il a été tenu compte et celles dont il n’a pas été tenu compte. On verra que plusieurs étaient insignifiantes ; que quelques-unes tendaient à aggraver l’accusation et que d’autres aboutissaient à l’atténuer. On reconnaîtra en même temps qu’il n’y a pas lieu de s’associer aux vives récriminations des juges du procès de réhabilitation et de certains historiens, qui ont présenté les douze articles comme une œuvre de fraude en plein désaccord avec le texte arrêté par les assesseurs.

  44. [207]

    Ici, au texte auxilio et laboribus mediantibus, les assesseurs proposaient d’ajouter ces mots : cum Dei auxilio, avec l’aide de Dieu.

  45. [208]

    Addition signalée dans la feuille des corrections, et dont il a été tenu compte.

  46. [209]

    La feuille des corrections porte que ce paragraphe ne parait pas bien placé :

    Non videtur bene positum.

  47. [210]

    La feuille des corrections porte :

    Non videtur bene positum, Noctu, etc.

    Ceci ne paraît pas bien placé, Nuit, etc.

  48. [211]

    Neque de his se referet determinationi aut judicio cujuscumque viventis, sed tantummodo judicio Dei.

  49. [212]

    La feuille des corrections porte comme dernière modification à l’article 1er :

    Non videtur bene positum quod sanctæ Katharina et Margareta in contentionibus (ou peut-être contemptionibus), etc.

    L’article 1er, tel qu’il fut définitivement arrêté, ne porte pas de trace de ce texte, pas plus qu’on n’y trouve reproduite, au moins exactement, la correction indiquée :

    Debet poni : se scire per revelationem sanctorum Katharinæ et Margaretæ quod adversarii dicti principis expellentur, et quod Deus dabit victoriam dicto principi et suis et contra adversarios suos.

    Il faut mettre qu’elle sait par révélation de sainte Catherine et de sainte Marguerite que les adversaires dudit prince seront chassés et que Dieu donnera la victoire audit prince et aux siens et contre ses adversaires.

  50. [213]

    La feuille des corrections porte en marge cette remarque sur l’article deuxième :

    Debent multa addi de longo itinere, de gradibus, ostiis, etc.

    Il doit être beaucoup ajouté sur la longue marche, l’escalier, les portes, etc.

  51. [214]

    Aliis angelis et prædictis sanctis comitantibus.

    Ce texte est suggéré dans la feuille des corrections. Tout d’abord il était dit que les anges, eux aussi, s’avançaient en longue marche, largo itinere gradiebantur. La note porte qu’il suffit de dire qu’ils accompagnaient :

    Sufficit dicere quod angeli comitabantur, etc.

  52. [215]

    Et una vice dixit quod, quando princeps suus habuit signum, ipsa cogitat quod tunc solus erat.

  53. [216]

    D’abord l’article 3 ne faisait qu’un avec l’article 2. La feuille des corrections porte qu’il faut diviser le second article en deux articles :

    Secundus articulus dividatur in duos articulos.

  54. [217]

    Ici la feuille de corrections porte :

    Notetur illud in quo habebur in sua societate et propterea videantur litteræ scriptæ regi.

    Noter le passage où se trouvent ces mots : en sa compagnie et voir pour cela la lettre écrite au roi.

  55. [218]

    Ce membre de phrase a été ajouté, et l’addition est indiquée dans la feuille des corrections :

    Debet poni : Et cum hoc dixit quod, postquam de mandato Dei habebat portare habitum viri, oportebat ipsam portare tunicam brevem, etc.

  56. [219]

    Nihil super corpus suum relinquendo quod sexum fœmineum approbet aut demonstret, præter ea quæ natura eidem fœminæ contulit ad fœminei sexus distinctionem.

  57. [220]

    Ce dernier membre de phrase fut ajouté après coup. La feuille des corrections porte :

    Addatur et alius quam [lire : aliquando] dixit quod hoc non dimitteret nisi esset de mandato Dei.

  58. [221]

    Membre de phrase dont l’addition est indiquée dans la feuille des corrections.

  59. [222]

    Ad ictus percipietur quis habeat potius jus a Deo cœli.

    Ce texte est la traduction latine d’un passage de la lettre de Jeanne aux Anglais.

  60. [223]

    Quemdam scutiferum.

  61. [224]

    Fuerunt pœne dementes facti.

    La feuille des corrections porte qu’il faudrait corriger ce texte et mettre à la place : furent mécontents de son départ.

    Corrigatur et ponatur quod de recessu ejus male contenti fuerunt.

    On voit que la correction ne fut pas faite.

  62. [225]

    Tout d’abord il n’y avait pas là ce premier membre de phrase. La feuille des corrections indique qu’il faut l’y mettre :

    Ubi habetur : Non dilexit, debet poni : Et postquam per reve lationem sciverit quod voces erant, etc.

  63. [226]

    L’article tout d’abord était plus long. La feuille des corrections porte qu’il faut rayer la fin :

    Et radietur ultima pars articuli, videlicet : Et hæc omnia, etc.

    Il faut rayer la fin de l’article, savoir : Et toutes ces choses, etc.

  64. [227]

    Et in fine dicit quod nisi haberet licentiam de revelando.

    La dernière partie de la phrase : nisi haberet… fut ajoutée après coup. La feuille des corrections porte :

    In fine debet addi : Et in fine dixit nisi ubi esset ei ex parte Dei revelatum.

    À la fin de l’article on doit ajouter : Et à la fin, elle a dit : sinon dès que cela lui serait révélé de la part de Dieu.

    On tint compte de la note, tout en modifiant le texte indiqué.

  65. [228]

    La feuille des corrections indique, au sujet du douzième article (qui était d’abord le onzième, quand le second et le troisième n’en faisaient qu’un), une addition, dont c’était probablement ici la place et qui atténuait visiblement l’accusation :

    Super undecimo articulo, ubi ponitur denotando, etc.

    (Ce mot denotando ne se trouve pas dans le texte adopté).

    Debet poni : Denotando quod ipsa est subjecta Ecclesiæ militanti, Domino nostro primitus servito, et proviso quod Ecclesia militans non præcipiat sibi aliquid in contrarium suarum revelationum factarum et fiendarum.

    Là où se trouve le mot notifiant, il faut mettre : Notifiant qu’elle est soumise à l’Église militante, Notre-Seigneur premier servi, et pourvu que l’Église militante ne lui commande rien qui aille à l’encontre de ses révélations passées ou futures.

    Cette addition n’a pas été faite.

  66. [229]

    Eidem exprimendo quod quilibet fidelis viator tenetur obedire et facta ac dicta sua submittere Ecclesiæ militanti, præcipue in materia fidei et quæ tangit doctrinam sacram et ecclesiasticas sanctiones.

  67. [230]

    Les six derniers sont bacheliers ou licenciés en théologie. Les autres sont docteurs.

    Il manque le nom d’un docteur dans l’énumération du procès verbal, lequel porte qu’il y avait seize docteurs et n’en nomme que quinze.

    XVI doctores et VI tam licenciati quam bachelarii in sacra theologia deliberaverunt.

    Seize docteurs et six licenciés ou bacheliers en théologie sacrée ont délibéré.

    Il est probable que le seizième docteur était le docteur en théologie Jacques Guesdon, qui, comme on le verra plus loin, a déclaré avoir assisté à la séance du 12 avril.

  68. [231]

    Pane doloris et aqua angustiæ sustentanda.

  69. [232]

    Affirmans se cum dominis theologis in cappella archiepiscopali Rothomagensi congregatis interfuisse.

    Il s’agit évidemment de la séance du 12 avril.

  70. [233]

    Quid ignorantia mea concipere posset aut inerudita locutio parturire ?

  71. [234]

    Quod non est verisimiliter credendum.

    Voici les noms de ces onze avocats d’église : Guillaume de Livet ; Pierre Carré ; Guéroult Postel ; Richard de Saulx ; Bureau de Cormeilles ; Geoffroy de Crotay ; Jean Le Doux ; Laurent Du Bust ; Jean Colombel ; Raoul Auguy ; Jean Tavernier.

  72. [235]

    Attenta vili conditione personæ.

  73. [236]

    Je mets entre parenthèses des éclaircissements supplémentaires qui me paraissent convenables et qui ne sont pas consignés dans le texte latin.

  74. [237]

    A malignis spiritibus et diabolicis, Belial, Satan et Bebemmoth, procedentes.

  75. [238]

    Suspecta de idolatria et exsecratione sui ac vestium suorum.

  76. [239]

    Sæcularis judicis arbitrio est relinquenda, debitam receptura pro qualitate facinoris ultionem.

  77. [240]

    Ex concordi singularum Facultatum et Nationum deliberatione.

  78. [241]

    Veri pastoris operas exercere.

  79. [242]

    Reverendæ vestræ pastorali sollicitudini immarcescibilem gloriæ coronam retribuere dignetur.

  80. [243]

    C’est après cette séance du 18 avril que Jacques de Touraine et Nicolas Midi partirent pour Paris, avec Jean Beaupère, pour renseigner l’Université sur les détails du procès, lui soumettre le sommaire du procès en douze articles, et provoquer les délibérations dont il a été question au chapitre précédent.

  81. [244]

    Exhortatio caritativa.

  82. [245]

    L’allocution de l’évêque est résumée très brièvement dans la minute. Ainsi tout le commencement y est réduit à ces quelques mots :

    Primo dominus episcopus exposuit qualiter ipsa Johanna, per plures dies, fuerat in magna et ardua materia interrogata.

  83. [246]

    Totis viribus, totaque affectione.

  84. [247]

    Variante de la minute qui borne là les paroles de l’évêque et ne donne pas la phrase suivante. Le texte officiel du procès porte :

    Oportebat quod confiteretur tanquam bona catholica et etiam se submitteret Ecclesiæ ; et quod, si perseveraret in illo proposito de non submittendo se Ecclesiæ, non poterant sibi ministrari sacramenta quæ petebat, excepto sacramento pænitentiæ quod semper eramus parati exbibere.

  85. [248]

    La minute ajoute ce mot que ne porte pas le texte officiel.

  86. [249]

    La minute porte :

    Ultima responsio fuit quia, interrogata an se et facta sua submitteret sanctæ matri Ecclesiæ videlicet.

    Le texte officiel du procès porte :

    Iterum interrogata an dicta sua et facta vellet submittere Ecclesiæ militanti, respondit finaliter.

  87. [250]

    Le texte officiel du procès porte :

    Et istis sic per nos actis, venerabiles doctores jam prænominati, ibidem assistentes, exhortati fuerunt eam ad hoc potissime ut se et facta sua militanti Ecclesiæ submittere vellet, allegantes eidem multas auctoritates sacræ Scripturæ et exempla, et easdem exponentes. Et signanter unus ipsorum doctorum, suam exhortationem faciendo, adduxit illud Matthæi…

    La minute porte :

    Et his sic actis, per venerabiles doctores ibi adstantes, exhortata fuit potissime ut se et facta sua submittere vellet nostræ matri Ecclesiæ, et hoc, multis auctoritatibus sacræ Scripturæ et exemplis, per dictos dominos doctores dictis et expositis. Et inter alias exhortationes, magister Nicolaus Midi, suam exhortationem faciendo, adducit illud Matthæi…

  88. [251]

    Sed prævalente astutia diaboli, nondum in hoc aliquid proficere potuerunt.

  89. [252]

    Ne gravibus se periculis exponat quibus et anima et corpus ejus periclitari possent.

  90. [253]

    Pro ejus faciliori reductione et salutifera instructione, ad salutem amimæ et corporis ejus.

  91. [254]

    La minute dit seulement :

    dominus episcopus monuit…

    C’est le texte officiel du procès qui fait mention de l’autre juge :

    Vice nostra et alterius conjudicis, monuimus.

  92. [255]

    La minute est ici beaucoup plus sommaire que le texte officiel. Elle porte :

    Et requisita si velit corrigere et se emendare juxta deliberationem peritorum.

  93. [256]

    Le texte officiel du procès donne cette réponse de Jeanne en français :

    Lisez votre livre, et puis je vous respondray. Je me actens à Dieu, mon créateur, de tout ; je l’ayme de tout mon cuer.

  94. [257]

    Cette réponse est en français dans le texte officiel du procès comme dans la minute. Le texte officiel porte :

    Je me actens à mon juge.

    La minute porte :

    Je m’en attends à mon juge.

  95. [258]

    Comme on le devine et comme l’indique d’ailleurs le procès-verbal, la cédule fut lue en français : Verbis gallicis. Mais, selon l’usage, on n’en a consigné que le texte latin.

  96. [259]

    Adjungendo graves pænas quas jura canonica taliter deviantibus decernunt infligendas.

  97. [260]

    Dans le procès-verbal les six articles de la monition se suivent sans interruption, et les réponses de Jeanne sont groupées à la suite. Il m’a paru bien plus intéressant de remettre les diverses réponses de Jeanne à leur vraie place, de telle sorte qu’elles se trouvent rapprochées des articles auxquels elles se réfèrent.

  98. [261]

    La minute seule donne cette demande et cette réponse qui y tiennent la place de la demande et de la réponse précédentes, mentionnées seulement dans le texte officiel du procès, en ces termes :

    Et primo, ad ea quæ sibi dicta fuerant in primo et secundo articulis ipsius memorialis, respondit : Ego tantum nunc de his respondeo quantum ad alias respondi.

  99. [262]

    La minute n’ajoute pas : de moi. Texte officiel : Vos de hoc non extrahetis aliud a me.

  100. [263]

    Quodque sunt resmali exempli apud cæteras mulieres, etc.

    Châtillon dût donner ici un développement non reproduit dans le procès-verbal et simplement indiqué par l’etc.

  101. [264]

    Le procès-verbal porte :

    Circa ea que sibi dicebantur de habitu, etc., juxta tertium et quartum articulos memorialis ante dicti respondit.

    Au sujet de ce qui lui était dit sur l’habit, etc., au troisième et quatrième article du susdit écrit, elle répondit.

  102. [265]

    Pour ces paroles de Châtillon, j’ai suivi la minute. Le texte officiel du procès porte seulement ces mots :

    Dum admoneretur et sibi exponerentur ea quæ continentur in quarto articulo prædicti memorialis, respondit Johanna.

  103. [266]

    Sine speciali effectu, sine apparentia propter quam tam frequenter ipsas advenire deceret.

  104. [267]

    Qui talibus curiositatibus seipsos implicare audent.

  105. [268]

    Dans le procès-verbal cette réponse et la question qui la provoque sont placées à la suite des interrogations concernant l’habit, avant les interrogations concernant les révélations et apparitions. J’ai cru pouvoir déplacer cette réponse pour la remettre dans son vrai cadre, qui est l’interrogatoire relatif à l’article V.

  106. [269]

    Ces mots manquent dans la minute.

  107. [270]

    Le procès-verbal porte :

    Et aliter non voluit credere aut se referre ipsis.

  108. [271]

    Et fuit sibi dictum quod bene se advisaret.

  109. [272]

    La minute porte :

    De temeritate credentiæ et de futuris contingentibus.

    Le texte officiel du procès porte :

    Circa ea quæ sibi dicebantur de præsumptione divinandi futura contin gentia, etc., juxta sextum articulum prædicti memorialis, respondit.

  110. [273]

    Texte de la minute.

  111. [274]

    Le procès-verbal porte :

    Et aliter non voluit se referre ad eos vel submittere de isto processu.

  112. [275]

    Ad hoc noluit facere aliam responsionem.

  113. [276]

    Texte officiel du procès :

    Post hæc, plures doctores et viri periti diversorum statuum et diversarum facultatum.

    Minute :

    Et postea plures doctores diversorum statuum.

  114. [277]

    Respondit ut prius.

  115. [278]

    Aliter cogitaret.

  116. [279]

    Cumque nihil ulterius responderet, ab illo loco discessimus, et eadem Johanna ad locum sui carceris reducta est.

  117. [280]

    Le procès-verbal se borne à cette indication :

    Fuerunt sibi lecta et exposita plurima de punctis prædictis.

  118. [281]

    Poneretur in tormentis quæ sibi tunc parata ostendebantur.

  119. [282]

    Ubi etiam præsentes aderant officiarii qui, jussu nostro, parati erant ipsam in hujus modi tormentis ponere, pro reductione ipsius ad viam et agnitionem veritatis, ut per hæc salus animæ et corporis ejus procurari possent, quæ ipsa per adinventiones mendosas gravibus exponebat periculis.

  120. [283]

    La minute porte :

    Post requisitiones et monitiones eidem factas per judices et adstantes, respondit.

    Après requêtes et monitions à elle adressées par les juges et les assistants, Jeanne répondit.

    Ainsi, ce que ne précise pas le texte officiel du procès, les assesseurs se seraient joints aux deux juges pour adresser à Jeanne requêtes et monitions.

  121. [284]

    La minute seule donne cette indication : Hora vesperum.

  122. [285]

    La délibération qui remplit ce chapitre n’a pas été consignée dans le procès-verbal officiel et se trouve seulement dans la minute.

  123. [286]

    Minute :

    Ne processus, ita bene factus prout fuerit, valeat calumniari.

  124. [287]

    Minute :

    Dixit quod sibi videtur bonum esse eam ponere [in torturis].

  125. [288]

    Minute :

    Dixit quod sibi videtur quod, pro medicina animæ suæ, bonum esset eam poni in torturis.

  126. [289]

    In multitudine copiosa.

  127. [290]

    Censenda erit hæretica, et sententia ferri, et relinqui justitiæ sæculari.

  128. [291]

    Il s’agit ici évidemment de la délibération collective des 22 docteurs et maîtres qui eut lieu le jeudi 12 avril (voir au chapitre VIII), d’après les indications précises du procès verbal, Mensis aprilis die jovis duodecima, sept jours après l’envoi des douze articles, fait le jeudi 5 avril. De même que Lebouchier, plusieurs autres docteurs et maîtres vont se référer à cette délibération. Or, il se trouve qu’ici, dans le texte du procès-verbal officiel, au lieu de la date du 12 avril, c’est la date du 9 avril qui est chaque fois donnée. J’ai cru pouvoir substituer la date du 12 avril. Mais peut-être la date du 9 avril marque-t-elle la date de délibérations préalables qui servirent de base à la délibération collective du 12 avril.

  129. [292]

    La minute nomme ici, outre Martin Ladvenu, un frère Thomas Amouret, dont il n’est question nulle part dans le texte officiel du procès : Et frater Thomas Amouret.

  130. [293]

    Reverti vellet ad viam veritatis et salutis animæ et corporis.

  131. [294]

    Les manuscrits le nomment tantôt Moricius, tantôt Mauricius. Nous avons des actes où il est appelé maistre Pierre Morisse.

  132. [295]

    En marge du manuscrit :

    Exponuntur Johannæ defectus sui per M. Petrum Mauricii.

  133. [296]

    Et præsertim circa ultimum articulum.

  134. [297]

    Attento statu vestro et simplicitate vestræ scientiæ.

  135. [298]

    Anima vestra æterno damnabitur supplicio, perpetuo crucianda, et de corpore plurimum dubito ne in perditionem veniat.

  136. [299]

    Sciatis animam vestram obrui damnatione, et de destructione corporis dubito. A quibus vos præservari dignetur Jhesus Christus.

  137. [300]

    Ce que je mets ici dans la bouche de l’évêque est la traduction du passage qui, dans la minute, lie l’admonition de Morice aux réponses de Jeanne :

    Ad primum et alios articulos, qualificationes per magistrum Petrum Mauricii eidem Johanna solenniter expositas, et monitiones et requisitiones caritativas eidem Johannæ factas.

    Le texte officiel du procès porte :

    Postquam vero ipsa Johanna in hunc modum, admonita exstitit et hujusmodi exhortationes audivit, consequenter ad ista respondit sub hac forma.

  138. [301]

    Le manuscrit porte ici ces mots en marge, écrits de la main du greffier :

    Responsio Johannæ superba.

    Réponse de Jeanne superbe [c’est-à-dire ici orgueilleuse, arrogante].

  139. [302]

    Petivimus a promotore in hac causa, et ab eadem Johanna, an vellent amplius aliquid dicere. Qui dixerunt quod amplius nihil dicturi erant.

    La minute, plus concise, porte :

    Quia promotor et ipsa noluerunt aliquid dicere, conclusum fuit.

  140. [303]

    In ipsa causa concludimus.

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164. Juridiquement et pour se conformer aux indications des manuscrits...

165. Le procès-verbal ne fait que mentionner la lecture et la...

166. La requête présentée par le promoteur était écrite et fut lue en...

167. Domini mei, reverende pater in Christo, et vos, vicarie, quantum ad...

168. La délibération qui remplit ce chapitre n’a pas été consignée sans le...

169. Le texte porte cet et cætera. Tenetur jurare, etc.

170. Nous n’avons que le texte latin.

171. On voit que l’avis adopté est l’avis donné par Thomas de Courcelles.

172. La minute porte : Promotor se obtulit jurare de calumnia et...

173. Texte officiel : Postea de præcepto et ordinatione nostra,...

174. Male de fide sapientes.

175. À la suite de chaque article et des réponses qu’y fait Jeanne, le...

176. Est quædam magna, grossa et antiqua arbor, vulgariter dicta l’arbre...

177. Dicendo et cantando, ante et post, certas cantationes et carmina cum...

178. Et expelleret omnes adversarios suos a regno Franciæ.

179. A quo quidem Roberto bina vice repulsa et reversa ad domum.

180. Ergo ego vellem tibi facere unum, ex quo erunt viri tantæ...

181. Cette réponse est donnée en français dans le texte.

182. Pas de trace dans les interrogatoires d’une réponse antérieure de...

183. Rejecto et relicto omni habitu muliebri, tonsis capillis in rotundum...

184. Sequendo præceptum eorum, induta est aliquando sumptuosis et pomposis...

185. Ici le verbe manque, dans le texte latin.

186. Cette réponse de Jeanne et la réponse précédente ne se trouvent...

187. Et tertium quod vindicaret eum de suis adversariis eosque omnes sua...

188. Minute : Primo requisita de prestando juramentum : respondet...

189. Voir l’échange après l’article 14

190. L’incident ci-dessus n’est consigné que dans la minute.

191. C’est par l’exposé de cet article que débute, sans autre préambule, le...

192. Hoc facere distulit, contradixit et recusavit ; differt,...

193. Pro ediis corporum suorum.

194. Habere membra corporea, ut scilicet, caput, oculos, vultus, capillos...

195. Ad hunc articulum sibi de verbo ad verbum expositum.

196. Ces paroles sont en français dans le texte.

197. Ipsa requirit per hunc modum, verbis gallicis : … La requête qui...

198. Le texte porte qu’elle jura par son serment : Et per suum...

199. Fertur respondisse quod Jhesus ei de promisso defecerat.

200. Declarans se male sentire in illo articulo, unam sanctam, etc.,...

201. Dicens se esse subditam immediate Deo, se referendo ad ipsum et...

202. Item, quod omnia et singula præmissa sunt vera, notoria, manifesta, et...

203. Fuit interrogata prædicta Johanna super aliquibus de quibus ceperat...

204. Quibus sic peractis, ab eodem loco discessimus, ulterius processuri ad...

205. In favorem fidei.

206. Les douze articles, acte capital qui servit de base aux consultations...

207. Ici, au texte auxilio et laboribus mediantibus, les assesseurs...

208. Addition signalée dans la feuille des corrections, et dont il a été...

209. La feuille des corrections porte que ce paragraphe ne parait pas bien...

210. La feuille des corrections porte : Non videtur bene positum,...

211. Neque de his se referet determinationi aut judicio cujuscumque...

212. La feuille des corrections porte comme dernière modification à...

213. La feuille des corrections porte en marge cette remarque sur l’article...

214. Aliis angelis et prædictis sanctis comitantibus. Ce texte est suggéré...

215. Et una vice dixit quod, quando princeps suus habuit signum, ipsa...

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217. Ici la feuille de corrections porte : Notetur illud in quo...

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225. Tout d’abord il n’y avait pas là ce premier membre de phrase. La...

226. L’article tout d’abord était plus long. La feuille des corrections...

227. Et in fine dicit quod nisi haberet licentiam de revelando. La dernière...

228. La feuille des corrections indique, au sujet du douzième article (qui...

229. Eidem exprimendo quod quilibet fidelis viator tenetur obedire et facta...

230. Les six derniers sont bacheliers ou licenciés en théologie. Les autres...

231. Pane doloris et aqua angustiæ sustentanda.

232. Affirmans se cum dominis theologis in cappella archiepiscopali...

233. Quid ignorantia mea concipere posset aut inerudita locutio...

234. Quod non est verisimiliter credendum. Voici les noms de ces onze...

235. Attenta vili conditione personæ.

236. Je mets entre parenthèses des éclaircissements supplémentaires qui me...

237. A malignis spiritibus et diabolicis, Belial, Satan et Bebemmoth,...

238. Suspecta de idolatria et exsecratione sui ac vestium suorum.

239. Sæcularis judicis arbitrio est relinquenda, debitam receptura pro...

240. Ex concordi singularum Facultatum et Nationum deliberatione.

241. Veri pastoris operas exercere.

242. Reverendæ vestræ pastorali sollicitudini immarcescibilem gloriæ...

243. C’est après cette séance du 18 avril que Jacques de Touraine et...

244. Exhortatio caritativa.

245. L’allocution de l’évêque est résumée très brièvement dans la minute....

246. Totis viribus, totaque affectione.

247. Variante de la minute qui borne là les paroles de l’évêque et ne donne...

248. La minute ajoute ce mot que ne porte pas le texte officiel.

249. La minute porte : Ultima responsio fuit quia, interrogata an se...

250. Le texte officiel du procès porte : Et istis sic per nos actis,...

251. Sed prævalente astutia diaboli, nondum in hoc aliquid proficere...

252. Ne gravibus se periculis exponat quibus et anima et corpus ejus...

253. Pro ejus faciliori reductione et salutifera instructione, ad salutem...

254. La minute dit seulement : dominus episcopus monuit… C’est le...

255. La minute est ici beaucoup plus sommaire que le texte officiel. Elle...

256. Le texte officiel du procès donne cette réponse de Jeanne en...

257. Cette réponse est en français dans le texte officiel du procès comme...

258. Comme on le devine et comme l’indique d’ailleurs le procès-verbal, la...

259. Adjungendo graves pænas quas jura canonica taliter deviantibus...

260. Dans le procès-verbal les six articles de la monition se suivent sans...

261. La minute seule donne cette demande et cette réponse qui y tiennent la...

262. La minute n’ajoute pas : de moi. Texte officiel : Vos de hoc...

263. Quodque sunt resmali exempli apud cæteras mulieres, etc. Châtillon dût...

264. Le procès-verbal porte : Circa ea que sibi dicebantur de habitu,...

265. Pour ces paroles de Châtillon, j’ai suivi la minute. Le texte officiel...

266. Sine speciali effectu, sine apparentia propter quam tam frequenter...

267. Qui talibus curiositatibus seipsos implicare audent.

268. Dans le procès-verbal cette réponse et la question qui la provoque...

269. Ces mots manquent dans la minute.

270. Le procès-verbal porte : Et aliter non voluit credere aut se...

271. Et fuit sibi dictum quod bene se advisaret.

272. La minute porte : De temeritate credentiæ et de futuris...

273. Texte de la minute.

274. Le procès-verbal porte : Et aliter non voluit se referre ad eos...

275. Ad hoc noluit facere aliam responsionem.

276. Texte officiel du procès : Post hæc, plures doctores et viri...

277. Respondit ut prius.

278. Aliter cogitaret.

279. Cumque nihil ulterius responderet, ab illo loco discessimus, et eadem...

280. Le procès-verbal se borne à cette indication : Fuerunt sibi lecta...

281. Poneretur in tormentis quæ sibi tunc parata ostendebantur.

282. Ubi etiam præsentes aderant officiarii qui, jussu nostro, parati erant...

283. La minute porte : Post requisitiones et monitiones eidem factas...

284. La minute seule donne cette indication : Hora vesperum.

285. La délibération qui remplit ce chapitre n’a pas été consignée dans le...

286. Minute : Ne processus, ita bene factus prout fuerit, valeat...

287. Minute : Dixit quod sibi videtur bonum esse eam ponere [in...

288. Minute : Dixit quod sibi videtur quod, pro medicina animæ suæ,...

289. In multitudine copiosa.

290. Censenda erit hæretica, et sententia ferri, et relinqui justitiæ...

291. Il s’agit ici évidemment de la délibération collective des 22 docteurs...

292. La minute nomme ici, outre Martin Ladvenu, un frère Thomas Amouret,...

293. Reverti vellet ad viam veritatis et salutis animæ et corporis.

294. Les manuscrits le nomment tantôt Moricius, tantôt...

295. En marge du manuscrit : Exponuntur Johannæ defectus sui per M....

296. Et præsertim circa ultimum articulum.

297. Attento statu vestro et simplicitate vestræ scientiæ.

298. Anima vestra æterno damnabitur supplicio, perpetuo crucianda, et de...

299. Sciatis animam vestram obrui damnatione, et de destructione corporis...

300. Ce que je mets ici dans la bouche de l’évêque est la traduction du...

301. Le manuscrit porte ici ces mots en marge, écrits de la main du...

302. Petivimus a promotore in hac causa, et ab eadem Johanna, an vellent...

303. In ipsa causa concludimus.