P. Doncœur  : Documents et recherches (1952-1961)

T. III : Codicille (Texte latin / français)

65Codicille de Guillaume Bouillé

6667[Tractatus venerabilis et scientifici viri magistri Guillermi Bouylle, sacrae theologiae professoris, decani Noviomensis.]1

Préface

[Préface] Préface

1v Ad honorem et gloriam regis regum, qui causas deffendit innocentum ; nec non ad exaltacionem regii nominis Francorum, seu domus Francie, que nunquam legitur hereticis favorem prebuisse aut quovismodo adhesisse2, A l’honneur et gloire du Roi des rois qui prend en mains la cause des innocents, et pour faire prévaloir le renom du roi de France et de la maison de France que l’on sait n’avoir jamais donné aux hérétiques faveur ou adhésion

hunc codicillum summarie, licet rudi et indigesto sermone3, ego Guillelmus Bouille, decanus Noviomensis, theologorum omnium minimus, Moi, Guillaume Bouillé, doyen de Noyon, le dernier des théologiens, j’ai cru bon de présenter ce petit ouvrage, si médiocrement soit-il écrit et composé.

[regie]4 celsitudini exhibere dignum duxi, continentem brevia quedam et generalia advisamenta, ex originali processu olim facto Rothomagi contra Johannam, vulgariter Puellam nuncupatam, recollecta ; ut ex eis aliqualis prebeatur occasio utriusque juris divini pariter et humani peritissimis doctoribus, lacius ac per amplius inquirendi veritatem super iniquo judicio per defunctum dominum [Petrum] Cauchon5, tunc Belvacensem episcopum, taliter qualiter facto contra prefatam Johannam Puellam, pro tunc ad defensionem regni adversus violenter usurpantes [militantem]6. Il contient quelques remarques, brèves et générales, déduites de l’original du procès fait naguère à Rouen à Jeanne, communément appelée la Pucelle, afin qu’elles soient l’occasion pour les plus savants maîtres en droit divin et humain d’examiner en détail et plus à fond ce qu’il en est du procès inique que feu le seigneur Pierre Cauchon, alors évêque de Beauvais, fit tel quel contre ladite Pucelle Jeanne, qui en ce temps se battit pour défendre le royaume contre ses violents envahisseurs.

Cum autem, sicuti beatus testatur Jheronimus, Gallia monstris, scilicet heretice pravitatis, sola caruerit, videtur ad honorem regis christianissimi Francorum, non sub silencio preterire sentenciam iniquam, scandalosam, decorique corone regie derogantem, fulminatam per ipsum episcopum Belvacensem, adversantem regi, et7, ut prima fronte apparet, sicientem ejusdem domini nostri regis confusionem. Or, puisque au témoignage de saint Jérôme seule la France ne fut pas infestée de monstres, — savoir de fauteurs de perverses hérésies1 — l’honneur du très Chrétien roi de France veut qu’on n’ensevelisse pas dans le silence la sentence inique, scandaleuse, injurieuse à la couronne royale, fulminée par cet évêque de Beauvais, ennemi du roi et notoirement dévoré du désir de le déshonorer.

Quod autem silencium hujus inique condempnacionis regium deprimat 6869honorem, manifestum satis est, ex hoc quia sub rege militans dicta puella, tanquam heretica ac demonum invocatrix, condempnata fuit. Qualis namque macula regali solio videretur inferri si, futuris temporibus, per adversarios in memoriam8 reduceretur hominum, quod rex Francorum in excercitu suo fovit hereticam mulierem et demonum invocatricem. Il est manifeste que laisser dans le silence cette inique condamnation porte atteinte à l’honneur du roi, puisque c’est comme soldat du roi que la Pucelle fut condamnée comme hérétique et invocatrice des démons. Quelle tache pour le trône royal si plus tard nos ennemis rappelaient au monde que le roi de France entretint dans son armée une femme hérétique et invocatrice des démons !

Ad hujus infamie caucionem invitat Sapiens cum dicit : Curam habe de bono nomine. [Eccli, XLI, 75]. Et communis Augustini auctoritas sepius in hominum ore versata : Crudelis est 2r qui famam negligit, precipue cum talis famé denigracio in regni seu tocius gentis infamiam cedat. Le sage nous invite à nous défendre contre ces calomnies, quand il écrit : Aie soin de ton bon renom. Et l’on a bien souvent répété ces paroles d’Augustin : Négliger sa réputation c’est cruel2, surtout quand la calomnie déshonore un royaume ou une nation entière.

Credo equidem pie et salubriter, ex serie processus, innocenciam dicte Puelle posse sustineri, omnibus luculenter actentis, seu bene pensatis, ejus modo videndi ac vite progressu et fine. Laborabat enim ad restitucionem hujus regni9 Francie, quam frequenter predixit. Nonne expulit et terruit hostes procassissimos regni, et per ejus sancta monita excitavit inertes seu pigros ad bellum pro expellendo feroces regni hostes, taliter quod, a tempore illo, adversariorum virtus seu potestas seniens debilitari non cessavit. Je crois que l’on peut, en s’appuyant sur le texte du procès, soutenir avec foi et raison l’innocence de la Pucelle, en considérant et pesant avec soin sa conduite, sa vie et sa mort. Elle se dépensa pour la restauration de ce royaume de France qu’elle avait souvent prédite. N’a-t-elle pas chassé et rempli d’effroi les impudents ennemis du royaume ? N’a-t-elle pas par ses saintes objurgations réveillé les paresseux et les lâches, pour repousser par les armes les féroces ennemis du royaume ? Et depuis lors, le courage et la puissance de nos adversaires épuisés n’ont-ils pas cessé de faiblir ?

Nec preterea per totum processum reperietur quod in observacionibus suis dicta Puella sortilegiis usa fuerit ab Ecclesia prohibitis, nec supersticionibus reprobatis, neque cautelis hominum fraudulentis, neque ad questum proprium, sed tantum ad erepcionem regni ab inimicis, et ad restitucionem dignissimi regii solii. D’ailleurs dans tout le procès, on ne trouvera rien de sa part des sortilèges interdits par l’Église, ni des superstitions condamnées, ni des ruses malhonnêtes des hommes, ni rien qui fût pour son intérêt personnel3, mais uniquement pour arracher le royaume des mains des ennemis et pour le relèvement du très noble trône royal.

Quare merito serenissima majestas magnificare tenetur innocenciam ejusdem Puelle, facereque examinari processum adversus illam, minus juste confectum, per doctissimos viros theologos atque juristas ; quatenus, si dictus processus ab eis inveniatur viciosus seu defectuosus, in forma seu in10 materia, quod omnia procurentur reparari ; et tandem retractetur11 sentencia contra dictam puellam lata, tanquam iniqua ; ut obliquencium claudentur ora in posterum, et regie domus fides perseveret inviolata. Quam Dominus solidare semper dignetur in persona victoriosissimi regis nostri moderni, ad salutem et defensionem plebis sue. C’est pourquoi la Sérénissime Majesté Royale est tenue de faire resplendir l’innocence de cette Pucelle, et de faire examiner par les théologiens et juristes les plus doctes l’injuste procès fait contre elle. S’il est ainsi prouvé que ce procès est vicié dans sa forme et dans son fond, il faudra tout réparer, et enfin rapporter comme inique, la sentence portée contre la Pucelle. Ainsi seront désormais fermées les bouches des calomniateurs, et une fidélité inviolable sera assurée à la maison royale, que Dieu daigne toujours affermir en la personne de notre roi très victorieux régnant, pour le salut et la défense de son peuple.

Plan

Plan

Quoniam vero in paucioribus via magis12, ideo dictum processum contra prefatam Johannam olim factum studendo et13 perfunctorie 7071legendo, cogitavi fore expediens tria solum principalia puncta suarum omnium assercionum, de quibus potissime prenominatus Cauchon et sui complices nitebantur eam convincere criminosam, sub brevi declaracione colligere ; sibique falso imposita crimina, luce clarius, salvo periciorum judicio, monstrare ; nichil tangendo de forma processus ; sed ad dominos juristas remictendo, si ordo omnis judiciarius in dicto processu rite fuerit servatus aut non. Comme la brièveté est plus à propos, aussi ai-je pensé, après avoir étudié et lu attentivement le procès fait naguère contre Jeanne, qu’il serait à propos de retenir et résumer seulement trois principales accusations par lesquelles ledit Cauchon et ses complices prétendaient la convaincre de crimes ; et de montrer plus clair que le jour, — sauf jugement de plus compétents, — que ces crimes lui ont été imputés à tort. Je ne traiterai pas de la forme du procès, laissant à messieurs les juristes de décider si toutes les formes juridiques ont été bien observées dans ce procès4.

Deinde particularius subjungere curavi XII articulorum, qui pro fundando judicium per ipsum Cauchon dominis prelatis et doctoribus fuerunt transmissi, manifestam falsitatem, ex eo quod minus recte14 minusque sincere, ymo corrupte fuerunt recollecti de responsionibus prenominate Puelle, tacendo circunstancias plurimas justificantes, alias vero multas aggravantes addendo, prout clare patebit seriosius dictum processum legendo. Ex quo liquide constabit ipsos dominos qualificantes, exemplum facti sequendo, fuisse deceptos ; et per consequens totum judicium sentenciamque adversus ipsam Puellam per pretensos judices latam, ac omnia inde sequuta, prorsus esse nullius roboris aut vigoris, totumque processum merito debere corruere. Après quoi, j’ai pris soin en particulier d’établir la fausseté évidente des XII articles que Cauchon fit transmettre à messieurs les prélats et docteurs pour fonder son jugement. Car ils ont été extraits inexactement et fallacieusement des réponses de la Pucelle, passant sous silence des circonstances qui les justifient, ajoutant bien des choses qui la chargent, ainsi qu’il paraîtra clairement à qui lira attentivement le procès. Il sera manifeste que les seigneurs qualifiant, qui en ont exprimé leur jugement, ont été trompés par l’exposé des faits. Par suite, on verra que tout le jugement et la sentence portée par ces soi-disant juges contre la Pucelle, avec tout ce qui s’en est suivi, sont totalement dénués de force et de valeur, et que tout le procès en vérité s’écroule.

I. Les révélations

[Primus Articulus]15 Premier grief.
Les Révélations.

Primo et precipue nitebantur adversarii ipsam Johannam, ex pro cessu et actis habitis de confessionibus ejus, convincere mendosam, confictricem apparicionum sanctorum angelorum et sanctarum Kathe rine et Margarete et revelacionum futurorum eventuum, quas dicit se ab eis et per eos habuisse, supersticiosam divinatricem ; ac pocius hujusmodi revelaciones esse a malignibus spiritibus quam a bonis ; retorquendo omnia facta et dicta prelibate Puelle in dedecus regis sub quo militabat. Sed, salvo periciorum judicio, si diligenter visitetur processus, per dictum episcopum factus, probabitur ex confessatis prefate Johanne et16 modo vivendi, quod verissimilius credende sunt hujusmodi revelaciones a bonis spiritibus quam a malis. Le premier et principal effort de ses ennemis fut d’établir par le procès et ses propres aveux, que Jeanne avait menti en inventant de prétendues apparitions des Saints Anges et des saintes Catherine et Marguerite, en prétendant avoir eu par eux la révélation d’événements futurs, alors que, devineresse et superstitieuse, elle les avait eues non des bons mais des mauvais esprits. Ils ont tourné les faits et dits de la Pucelle au déshonneur du roi pour qui elle combattait. Or, sauf jugement de plus doctes, si l’on examine attentivement le procès fait par ledit évêque, on prouvera par les aveux de Jeanne et par toute sa conduite, qu’on est bien plus fondé à croire que ces révélations viennent de bons esprits et non de mauvais.

Ubi primo advertandum videtur, pro intellectu dicendorum, quod non est humanitus regula generalis vel ars dabilis ad discernandum semper et infallibiliter17 que vere sunt et que false aut illusorie revelaciones. Il convient de noter, pour l’intelligence de ce qui sera dit, qu’il n’est pas humainement possible de donner une règle générale ou un moyen infaillible pour discerner toujours les révélations vraies de celles qui sont fausses ou illusoires. Tunc enim non haberetur18 solum fides de nostris propheciis, et consequenter de nostra religione, sed esset evidencie certitudo. Nam, qui sciret evidenter aliquid esse a Deo vel ejus angelo revelatum, sciret profecto aliter quam per solam fidem illud esse verum. Sans quoi ce n’est pas la foi, mais la certitude de l’évidence que nous aurions de nos prophéties et par suite de notre religion. Celui en effet qui aurait l’évidence qu’une chose est révélée par Dieu ou par un ange, c’est par tout autre chose que la foi seule qu’il le saurait. Quemadmodum 7273si quis haberet scienciam claram de dissolucione fallaciarum et argumentacionum contra veritatem fidei peccancium eidemque repugnancium, haberet utique noticiam, non tantum certam ex fide, sed ex demonstracione de fidei articulis evidentem. De même, qui aurait une science parfaite pour réfuter les sophismes et les arguties qui s’opposent aux vérités de la foi, et qui en prennent le contre-pied, la connaissance de cette vérité ne lui viendrait pas tant de la foi que des preuves rationnelles qu’il en aurait. Constat igitur non esse querendum a catholico ut sibi fiat elucidacio perspicua [et]19 evidens de prenunciacione aut revelacione facta alicui, qualiter probabitur aut scietur revelacio esse angelica. Ainsi donc on ne peut demander d’un catholique qu’il ait une évidence lumineuse qui lui prouverait d’une révélation faite à quelqu’un qu’elle vient d’un ange. De hoc enim fides est, non sciencia ; et, sicut non omni20 est fides, secundum Apostolum [Eph. II, 8] sed est donum Dei, sic non omnes veram a falsa revelacione fecerunt21 ; sed, aut veram spernunt et falsam amplectantur, vel sacrilega impietate et incredulitate talia negant, reprobant et contempnunt. Cela est objet de foi et non de science. Or, selon l’Apôtre, la foi n’est pas un fait universel, mais elle est un don de Dieu. C’est pourquoi tous ne savent pas discerner une vraie révélation d’une fausse. Ou bien il arrive qu’ils méprisent la vraie et accueillent la fausse ; ou ils nient, d’une incrédulité impie et sacrilège, toutes ces choses, les rejetant avec mépris.

Nunc autem est questio qualiter, presuppositis eis que fidei sunt, cognoscere nos fideles poterimus et, secundum doctrinam beati Johannis22, probare poterimus spiritus si ex Deo sunt [I Jo. IV, 1]. Et in hanc questionem incidimus, propter revelaciones et appariciones, quas nostro seculo contigisse cognovimus in Johanna, 2v vulgariter dicta Puella. Quid vero dicemus ? Quo pacto nos exhibebimus23 in tali judicio ? La question est donc pour nous, fidèles, admises les données de la foi, de savoir comment nous pourrons connaître et prouver selon l’enseignement de saint Jean si des esprits sont de Dieu. Or, tel est le problème qui se pose à nous à propos des révélations et des apparitions que de nos jours eut Jeanne, communément dite la Pucelle. Qu’en dire ? Que déclarerons-nous en ce cas ? Quia, si credamus de facili, poterimus seduci, quia angelus Sathane, secundum Apostolum, transfigurat se nonnunquam in angelum lucis [II Cor. XI, 14]. Si statim negemus hujusmodi appariciones esse bonorum spirituum, vel irrideamus, vel inculpemus, videbimur infirmare auctoritatem divine revelacionis, que, nunc ut olim, potens est ; neque enim manus Dei abbreviata est, ut revelare non possit. Si nous croyons à la légère, nous pourrons être trompés, car l’ange de Satan, au dire de l’Apôtre, se transfigure parfois en ange de lumière. Si nous nions a priori que ces apparitions soient des bons esprits, ou si nous nous en moquons et les réprouvons, nous paraîtrons porter atteinte à l’autorité de la révélation divine qui a aujourd’hui le même pouvoir que jadis, car le bras de Dieu n’est pas raccourci au point qu’une révélation lui soit impossible. Scandalizabimus preterea simplices ; dicentque quod ita de nostris revelacionibus et propheciis poterunt esse calumpnie et censende erunt fantazie vel illusiones. Tenendum est ergo medium. Quia scriptum est apud Nasonem : Medio tulissimus ibis. Et secundum beati Apostoli Johannis documentum. Non est credendum omni spiritui, sed probandum spiritus si ex Deo sunt. [I Jo. IV, 1]. Et, obediendo Apostolo, quod bonum est tenendum [I Thes. V, 21]. De plus nous scandaliserons les simples qui diront qu’on peut de même nier nos révélations et nos prophéties et les traiter d’imaginations fantaisistes. Il faut donc tenir un juste milieu, qui, pour Nason5, est la voie la plus sûre. L’apôtre saint Jean nous apprend à ne pas croire à tout esprit, mais à examiner s’il vient de Dieu, et saint Paul nous dit de retenir le vrai.

Est autem revelacio seu apparicio facta ipsi Johanne principaliter examinanda in quinque virtutibus, quas legimus Beatissimam Mariam habuisse in angelica revelacione sibi facta. Similiter in Zacharia et Elizabeth concluduntur extitisse, ex serie evangelii Luce primo, dum beati Johannis nomen fuit revelatum. Sunt autem hee virtutes per quas examinanda venit apparicio seu revelacio spirituum. Nous devrons donc examiner principalement si dans les révélations ou apparitions faites à Jeanne, celle-ci nous montre les cinq vertus que nous voyons en la Bienheureuse Vierge Marie, lors de la révélation que lui fit l’Ange. On les voit également en Zacharie et Élisabeth, au témoignage de l’évangile de Luc, ch. 1, quand leur fut révélé le nom de Jean. Quas satis tangere videtur Hugo de Sancto Victore, in quodam tractatu24 [de Instinctibus]25, scilicet : humilitas, discrecio, patiencia, veritas, caritas. Sunt autem hee virtutes ex quibus sumitur argumentum apparicionis bone spiritualis. Telles sont les vertus qu’il y a lieu de rechercher dans les cas d’apparitions ou de révélations provenant d’esprits. Hugues de Saint-Victor, dans son traité de Instinctibus, énumère l’humilité, le bon sens, la patience, la sincérité et la charité, vertus auxquelles on discerne que l’apparition vient du bon esprit.

1. Humilité

7475 [I. Humilité]

Quantum ad primam condicionem, clare patebit legenti processum, ipsam Johannam seu Puellam esse valde humilem, ex assercionibus suis in textu scriptis. Excusabat enim se, ex eo quod erat simplex puella, non apta ad hujusmodi opus, ad quod mictebatur. Sicut legitur de Jeremia clamante : A. A. A. Domine, ecce nescio loqui, quia puer ego sum. [Jér. I, 6]. Quant à la première condition, il apparaît manifestement, à qui lit le procès, que Jeanne la Pucelle était très humble. Témoins ses réponses, insérées dans le procès. Elle alléguait qu’elle était une simple fille, inapte pour une telle tâche, à laquelle on l’envoyait. Ainsi que Jérémie criant : A, A, A, Seigneur ! je ne sais pas parler ! Je ne suis qu’un enfant !

Patet insuper sua humilitas, quia non quesivit honorem mundanum, sed duntaxat petivit a vocibus suis salutem anime sue. Preterea interrogacionibus iteratis et difficilibus vexata, nunquam superbe respondisse videtur. Merito itaque, potuit a bono spiritu revelaciones habere, juxta illud Super quem requiescet spiritus meus, nisi super humilem et trementem verba mea. [Is. LXVI, 2]. Son humilité éclate en ce qu’elle ne chercha pas les honneurs du monde, mais ne demanda à ses voix que le salut de son âme. De plus, harcelée de questions redoublées et difficiles, on ne voit pas qu’elle ait jamais répondu avec hauteur. Elle était donc bien apte à recevoir des révélations du bon esprit, selon cette parole : Sur qui reposera mon esprit, sinon sur celui qui est humble et tremble à mes paroles ?

Sed ad callumpniandum et reffellendum predictam humilitatem, adscribebant adversarii in summam superbiam dicte Puelle, ex eo quod dicebat et divulgabat se a Deo missam ; quod videbatur fecisse ad jactanciam. Ad hoc vero salvandum, respondent sancti doctores, inter quos Crisostomus sub hac sentencia inquit : Aliud est ex quadam necessitate, vel ad utilitatem audientium secretas suas gracias aut virtutes prodere26 seu manifestare. Aliud, sine quavis sua aut aliorum utilitate, talia per inanem gloriam ventilare. Unde Maria Virgo, que conservabat omnia verba hec, conferens in corde suo [Luc II, 19], postmodum apostolis, presertim Luce, sacra misteria sibi soli credita et cognita apperuit, non ad jactanciam. Ses ennemis, pour décrier et dénoncer cette humilité attribuaient à un suprême orgueil le fait que la Pucelle disait et répétait qu’elle était envoyée de Dieu. Ce qui paraissait jactance. Les saints docteurs répondent au contraire avec Chrysostome qui dit : Autre chose est livrer ou manifester ses grâces ou ses vertus secrètes par nécessité ou pour le bien de ceux à qui l’on parle. Autre chose les jeter à tout vent par vaine gloire, sans aucune utilité ni pour soi ni pour autrui. La Vierge Marie gardait toutes ces paroles, les méditant dans son cœur. Plus tard, elle confia aux apôtres et particulièrement à Luc ces mystères sacrés qui lui avaient été commis ; mais ce ne fut pas par jactance. Similiter hec Puella revelaciones habuit in etate XIII annorum, ut confessa est in processu suo, et reseravit seu manifestavit ea tempore suo ad utilitatem regni. Unde dicit idem beatus Crisostomus, quod27 non parum ad rem actinet : si res de qua fertur esse revelacio sit utilis ad mores, ad rempublicam, divini cultus honorem aut augmentum ; aut si sit super vacuis rebus seu narracionibus immixta. De même, la Pucelle, à treize ans, reçut des révélations, comme elle en témoigna dans son procès, et les fit connaître lorsque ce fut utile au royaume. C’est à ce propos que saint Chrysostome enseigne qu’il importe beaucoup que la chose dont est faite révélation intéresse les mœurs ou le bien public, l’honneur et le progrès du culte de Dieu, ou qu’elle traite de choses ou de récits vains.

Addendum est eciam quod vult beatus Gregorius, in Io Dyalogorum, humilitatem veram esse non pertinacem, sed obtemperantem cum timore ; quemadmodum de quodam Libertino reffert, qui rogabatur et [adjurabatur]28, renitens suscitare puerum. Virtutis, inquit, pectus non esset, si hoc caritas non vicisset. Ajoutons que saint Grégoire, au premier livre de ses Dialogues6 veut que l’humilité ne soit pas opiniâtre, mais humblement condescendante. Il raconte qu’un certain Libertinus, prié et conjuré de ressusciter un enfant, s’y refusait. Ce qui n’eût pas été vertu, si la charité n’en avait triomphé7.

Predicta vero muliercula, scilicet Johanna, se missam dicebat ad regni erepcionem ab inimicis, liberacionem civitatis Aurelianensis et coronacionem regis, qui tam longo tempore fuerat dejectus et expulsus a suo regno. Que omnia concernebant utilitatem publicam. Or, Jeanne se disait envoyée pour sauver le royaume, pour délivrer Orléans de ses ennemis, et pour faire couronner le roi, qui depuis si longtemps avait été chassé et banni de son royaume. Tout cela concernait le bien public.

2. Bon sens

7677 [II. Bon sens]

Secundum signum in revelacione spirituali, est discrecio, per quam persona, cui fit revelacio, prompta reperitur ad credendum bono consilio. Le second signe d’une révélation divine est le fait que la personne se montre prompte à obéir au bon conseil (qu’elle reçoit).

Confessa est autem dicta Johanna quod credebat esse bonos spiritus ex bona et salutari exhortacione ipsarum vocum. Nam nichil aliud ipsam Johannam admonebant, nisi quod se bene regeret, ecclesiam frequentaret, esset bona juvenis, sepe confiteretur peccata sua, virginitatem corporis sui29 et anime custodiret. Or, Jeanne dit précisément qu’elle crut que c’étaient de bons esprits, parce que ses voix ne lui donnaient que de bons et salutaires conseils. Elles ne faisaient que lui dire de se bien conduire, de fréquenter l’église, d’être une bonne fille, de souvent confesser ses péchés, de garder sa virginité de corps et d’âme. Itaque ab ipsis tantum erat commonita et exhortata de hiis que ad sanctitatem, devocionem et cultum religionis catholice pertinent30. Hortati sunt enim tantum31 hujusmodi spiritus ad virginitatem, quam, ut fama promulgatur, per totam vitam servavit. Ainsi tous leurs conseils et leurs exhortations n’avaient pour fin que la sainteté, la pitié et le service de la religion catholique. Ces esprits lui conseillèrent aussi la virginité, que l’on sait universellement qu’elle garda toute sa vie.

Non erant ergo spiritus immundi, quia Job [XL, 16], de demone, qui ibi Behemot appellatur, dicitur quod dormit in locis humentibus, id est luxuriosis. Unde, cum Dominus demones ejecisset, petiverunt ut micteret in porcos, id est, luxuriosos, in quibus habitare delectantur. Ce n’étaient donc pas des esprits impurs. Car Job dit du démon, qu’il appelle ici Béhémot, qu’il dort dans les marécages, c’est-à-dire en lieux de luxure. Aussi quand le Seigneur chassa les démons, ils lui demandèrent d’être envoyés dans des porcs, bêtes luxurieuses, en qui ils aiment demeurer.

Constat autem per processum et informaciones super vita et conversacione dicte Puelle factas, quod obedivit prompte sanctis et devotis illorum spirituum consiliis, cujusmodi non essent malorum spirituum hortamenta, que sunt a religione catholica, ut plurimum, extranea. Or, il conste du procès et des informations prises sur la vie et la conduite de la Pucelle qu’elle obéit promptement aux saints et pieux conseils des esprits, lesquels ne peuvent être les conseils des mauvais esprits totalement opposés à la religion catholique.

3. Force

[III. Force]

Tercium signum revelacionis bone est paciencia, que confert durabilitatem et 3r perseveranciam in bonis operibus. Le troisième signe est la force qui fait persévérer durablement dans les belles actions.

Pacienter enim se habuit ipsa Johanna resistendo tentacionibus, specialiter carnis ; quia, licet inter armatos conversaretur, tamen suam integritatem usque in finem servavit. Or, Jeanne a manifesté cette force en résistant aux tentations, notamment celles de la chair ; car, vivant au milieu des soldats, elle garda sa pureté jusqu’à la mort. Unde Ambrosius : Ubicumque Dei virgo est, templum Dei est32. (ca. Tolerabilius, causa XXXII, qu. V). Virginitas autem humilitati conjuncta cum admiracione laudatur. (ca. Hec scripsimus, dist. XXX). Où que se trouve une vierge, elle est temple de Dieu, dit Ambroise. Et la virginité jointe à l’humilité mérite toute admiration. Hec namque Johanna expellebat viriliter, quantum poterat, meretrices ab exercitu militari. Item, reddebat pro malis bona ; quod est signum perfecte paciencie, ut dicit Augustinus (super psalmo [CVIII] ; Deus laudem meam), quia prohibebat procacissimos hostes occidi seu vulnerari, dum a suis commilitonibus captivabantur, summe abhorrens humani sanguinis effusionem ; injuriasque sibi frequenter ab hostibus33 illatas, pacientissime 7879ferebat, [parcendo]34 devictis, et monendo protervos adversantes quatenus ab hostili persecucione regni hujus cessare curarent et ad propria remearent. De tout son pouvoir elle chassait des armées les filles de joie. Elle rendait le bien pour le mal, ce qui est le signe d’une force parfaite au dire d’Augustin8. Elle interdisait de tuer ou de frapper les plus insolents ennemis tombés aux mains de ses soldats. Elle avait une souveraine horreur de l’effusion du sang humain. Les insultes que souvent lui infligeaient les ennemis, elle les endurait impassible, épargnant les vaincus, adjurant les ennemis acharnés de mettre fin aux souffrances du royaume et de rentrer chez eux.

Ista patent ex deposicione plurium testium fide dignorum et per processum in multis passibus. C’est prouvé par les dépositions de nombreux témoins dignes de foi et par maints passages du procès.

4. Sincérité

[IV. Sincérité]

Quartum signum bone revelacionis est veritas. Hoc signum ponitur in lege Deuteronomii [XVIII, 21] : Si tacita cogitacione responderis : Quomodo possum intelligere verbum quod Dominus non est locutus. Sequitur responsio : Hoc habebis signum ; quod in nomine Domini propheta ille predixerit et non evenerit, hoc [Dominus non est locutus]35. Le quatrième signe de révélations authentiques est leur vérité. Il est formulé au Deutéronome : Si tu dis intérieurement : Comment puis-je savoir que la parole n’a pas été dite par le Seigneur ? Voici le signe : Si ce que le prophète a prédit ne se produit pas, ce n’est pas le Seigneur qui a parlé.

Ex quo dicto doctores catholici duas conclusiones eliciunt : Les docteurs catholiques en tirent deux conclusions :

Prima, nullus angelorum vel prophetarum quicquid futurum esse prenunciat quin veraciter futurum sit, in sensu quem ipse vel Spiritus Sanctus intendebant ; sic non est responsum demonum, quia fallunt et falluntur. La première : jamais un ange ou un prophète n’annoncent l’avenir sans que cette prédiction ne se réalise dans le sens qu’eux-mêmes ou le Saint Esprit l’entendaient. Tel n’est pas le cas des démons qui trompent et sont trompés.

Secunda, si idipsum quod propheta predixit non eo modo quo vocaliter pretendebatur eveniat, prius super hoc revelacionem a Spiritu Sancto accipiet de prophecia aut revelacione sic vel sic intelligenda, condicionaliter, aut mistice, vel litteraliter. Sic factum est in Jona de Ninivitis et Ysaya de morte Ezechie. La seconde : si ce que le prophète a prédit n’arrive pas de la façon qu’il a annoncée, il recevra du Saint Esprit révélation qui lui apprendra comment la prophétie ou la révélation doit être comprise : dans un sens conditionnel ou mystique ou littéral. Il en fut ainsi pour Jonas, à propos des Ninivites, et pour Isaïe, à propos de la mort d’Ézéchias.

Illa autem futura que prefata Johanna predixit, eo tempore quo a communi hominum opinione distancia et remota existebant, ymo que nullus existimasset debere humanitus contingere, considerata magna diversitate fortunarum. Que eciam futura erant talia quod ex liberi arbitrii mutabilitate pendebant ; de quibus ipsi demones pocius divinare quam aliquid pronunciare certum potuissent ; ea ventura ita constanter evenire affirmabat, prout et contigisse videmus. Quod est probacio evidens vere prophecie et a Deo, prout vult beatus Augustinus (li. XVII et XVIII, de civitate Dei). Les événements futurs que Jeanne a prédits en un temps où ils étaient bien loin de pouvoir être connus par les hommes, étaient même tels que, considérant les extrêmes hasards de la fortune, personne n’aurait cru humainement qu’ils puissent se réaliser. De plus, ces événements dépendaient de la volonté variable des hommes, et les démons, incapables d’en pouvoir rien affirmer de certain, n’auraient pu en avoir que des conjectures. Or, elle affirma toujours que ces choses arriveraient telles que nous les voyons se produire. Preuve évidente que c’étaient de vraies prophéties venues de Dieu. Telle est la doctrine de Saint Augustin.

Predixit namque levacionem obsidionis Aurelianensis, coronacionem regis, reduccionem ville Parisiensis ab obedienciam regis ante septennium, expulsionem Anglicorum a regno et pacem futuram cum domino duce Burgundie ; que omnia, sicut predixit, evenerunt. Quare, etc. Jeanne, en effet, a prédit la levée du siège d’Orléans, le couronnement du roi, la soumission de Paris à l’autorité du roi avant sept ans, l’expulsion des Anglais du royaume et la paix qui se ferait avec le seigneur duc de Bourgogne. Tout cela est arrivé comme elle l’avait prédit. Donc, etc…

Unde Guillermus Parisiensis, in IIa parte libri de [Universo]36, de parte nobiliori, dicit quod Angeli boni singulariter intendunt et vacant ad defensionem gentis seu communitatis, regionis aut regni, 8081eripiendo37 ab hostibus. Or, Guillaume de Paris, dans la seconde partie. de son livre de Universo (de parte nobiliori), dit que les bons anges s’emploient particulièrement à protéger nations, cités, provinces, royaumes, en les arrachant à leurs ennemis. Et hujus est causa, propter abundanciam seu perfeccionem caritatis, que est in ipsis angelis et animabus sanctis. Unde, etsi frequenter non sequatur bonum pacis quod procuravit hominibus, non ex defectu virtutis ipsorum provenit, verum contingit ex malicia hominum ; sicut de angelis ante destruccionem Jherusalem, quorum voces audite sunt dicentes : Transeamus ab his sedibus. La cause en est la surabondance ou perfection de charité dont sont animés ces anges et les âmes saintes. Si fréquemment le bien de la paix n’en résulte pas pour les hommes, cela ne provient pas de leur impuissance, mais de la malice des hommes. Ainsi avant la destruction de Jérusalem on entendit les anges dire : Sortons de ces lieux9.

Sic ergo verissimile est bonos spiritus esse38 qui apparuerunt ipsi Johanne, prenunciando bonum gentis Francie et erepcionem regni ab hostibus. Il est donc vraisemblable que c’étaient les bons anges qui apparurent à Jeanne pour lui annoncer la victoire de la France et la délivrance des mains de ses ennemis.

5. Charité

[V. Charité]

Quintum signum bonum in eo cui fit revelacio est caritas seu divinus amor. Beatus [Johannes]39 in sua Canonica [f. 161] (IVo capitulo), volens instruere fideles ad dignoscendum et discernendum spiritus si ex Deo sint vel non, sic ait : In hoc, inquit, cognoscitur spiritus Dei : Omnis spiritus qui confitetur Jhesum Christum in carne venisse, ex Deo est [I Jo. IV, 2]. Le cinquième signe d’une révélation divine, c’est la charité ou l’amour divin en celui qui en est favorisé. Saint [Jean] dans son épître canonique, voulant apprendre aux fidèles à discerner si les esprits viennent ou non de Dieu, écrit : Voici à quoi se reconnaît l’esprit de Dieu. Tout esprit qui confesse que Jésus Christ est venu dans la chair est de Dieu. Illi vero spiritus qui Johanne apparebant non solvebant Jhesum Christum ; ymo pocius confitebantur ipsum Jhesum Christum in carne venisse, cum ipsam Johannam specialiter admonerent ecclesiam catholicam frequentare, sacramenta Eucharistie corporis et sanguinis Domini Nostri Jhesu Christi venerabiliter et devote suscipere. Or, les esprits qui se manifestaient à Jeanne, loin de nier Jésus Christ, confessaient qu’il était bien venu dans la chair ; lui recommandant particulièrement de fréquenter l’église catholique, de recevoir avec révérence et dévotion, le sacrement de l’Eucharistie, Corps et Sang de Jésus Christ. Hoc autem non fecissent demones, quibus est maxima fallendi cupiditas et homines trahendi ad ydolatriam, non de sua salute commonendi, ut Augustinus ait. Cela, les démons ne l’auraient pas fait, soucieux par dessus tout de tromper les hommes et de les induire à idolâtrie, bien loin de les exhorter à faire leur salut, ainsi que l’enseigne Augustin.

In ipsa preterea erat caritas ad proximum, quia nolebat mortem cujusquam ; sed impediebat totis viribus effusionem sanguinis ; et exhortabatur ad pacem. Or, en Jeanne, nous voyons la charité pour le prochain : ne voulant la mort de personne, s’opposant de tout son pouvoir à l’effusion du sang et exhortant à la paix. Fuit denique finis ejus devotissimus et catholicus, ac in mediis flammis benedictum nomen Jhesus acclamando, religiosissime dies finivit ; cum tamen illos, quos dyabolus sua inspiracione deceperit, faciat male finire ; et tandem in eternam dampnacionem adducat, ut dicit Augustinus, ponens exemplum de Saüle, qui dyabo lum in forma Samuelis a Pithonissa excitatum adoravit (ca. Nec mirum, causa XXVI, qu. 5), ubi allegatur Beatus Augustinus, libro de Civitate Dei. Enfin sa mort fut très pieuse et catholique ; au milieu des flammes elle acclamait le nom béni de Jésus et mourut très religieusement. Or, le diable fait en sorte que ceux qu’il a trompés par son inspiration finissent mal. Il les jette dans la damnation éternelle, comme l’enseigne Augustin, qui donne en exemple Saül qui adora le diable, évoqué par la pythonisse sous la forme de Samuel.

3v Denique preter signa supradicta, unum aliud signum bone apparicionis convincitur ex responso dicte Johanne in processu ad quoddam interrogatorium. Outre les signes susdits, on peut trouver encore un signe de sainte apparition dans la réponse de Jeanne à une interrogation au procès. Dicit enim quod sue voces seu spiritus ei primo timorem incusserunt, et in recessu seu fine letam ipsam dimiserunt ; quod et consueverunt facere boni spiritus, ut testatur sanctus Doctor (IIIa parte, qu. XXX, art. 3 ad 3m) : Elle dit, en effet, que ses voix ou esprits lui inspiraient d’abord de la crainte, mais finalement en la quittant la laissaient joyeuse. C’est ce qu’ont coutume de faire les bons esprits, comme l’enseigne saint Thomas. In vita, inquit 8283sancti Anthonii legitur, non difficilis est bonorum spirituum malorumque discrecio. Si enim post timorem successerit gaudium, a Domino venisse sciamus auxilium. Quia securitas anime presentis majestatis est indicium. Si autem incussa formido permanserit, hostis est qui videtur. Dans la vie de saint Antoine, dit-il, nous lisons que le discernement des bons ou mauvais esprits n’est pas difficile : si à la crainte succède la joie, sachons que nous est venu le secours de Dieu. La sécurité de l’âme est une marque de la présence de la divine majesté. Si au contraire, la crainte demeure, c’est l’œuvre de l’ennemi10.

Ex quibus patet quod pie et juste ei crediderunt hii cum quibus tam catholice conversabatur, in hiis saltem que spiritu prophetico predicebat. Il est donc manifeste que ceux avec qui elle vivait d’une façon si chrétienne, ont agi pieusement et raisonnablement en croyant en elle, dans les choses du moins qu’elle prédisait par esprit prophétique.

Conversantes enim cum ea instruebantur tam in operibus virtuosis quam in cognicione fidei, et ad regimen agendorum, singulariter eorum que spectabant ad opus sue missionis. Vivant avec elle, ils étaient portés à la vertu, instruits des enseignements de la foi, et dirigés dans leurs entreprises, spécialement en ce qui regardait l’accomplissement de sa mission. Homines eciam multi, viciis dediti, ad virtuosam et religiosam vitam convertebantur ; de guerra et odio ad pacem, de superbia ad humilitatem, atque obedienciam adducuntur, ut constare poterit inspicienti deposiciones testium notabilium super ipsius vita et conversacione examinatorum. Beaucoup d’hommes adonnés aux vices se convertissaient pour vivre une vie vertueuse et religieuse : de la guerre et de la haine se tournant vers la paix, de l’orgueil vers l’humilité et la soumission. On pourra le constater en se reportant aux dépositions des témoins notables interrogés sur sa vie et sa conduite.

Hec de primo breviter dicta sufficiunt. C’en est assez pour le premier point.

II. Port de l’habit d’homme

[Secundus Articulus]40 Second grief.
Port de l’habit d’homme.

Preterea culpabilem arguunt dictam Johannam fuisse, divineque legis et canonice prevaricatricem, propter gestacionem virilis habitus et armorum, ac sue amputacionem come. Et hoc ideo quia lege divina hoc est prohibitum (Deuteronomii, XXII, 5) : Non induatur mulier veste virili, nec vir veste muliebri. On incrimine Jeanne d’avoir violé la loi divine et la loi canonique pour avoir porté vêtements d’homme et armes, et s’être fait couper les cheveux, choses défendues par la loi divine : La femme ne revêtira pas d’habit d’homme et l’homme habit de femme, dit le Deutéronome. Similiter et lege canonica [Dist. XXX, ca. 6. Si qua mulier suo proposito]. Et de amputacione come, eadem distinctione, ca. 2 : Quequmque mulier. Ubi hoc sub anathemate prohibetur. De même dans la loi canonique. Et aussi pour ce qui est de la chevelure. Ce qui est puni d’anathème.

Sed pro certo, si consideremus legacionem ad quam, divinis jussa revelacionibus, ipsa Johanna verissimiliter creditur et ministerium armorum, in quo inter armatos ex divine precepto, eam vacare opportebat, causa racionabilis suberat cur veste virili inter tot armatos et viros militares uteretur. Certes, si nous considérons la mission à laquelle Jeanne fut vrai semblablement appelée par ordre de divines révélations, le service auquel, par ordre de Dieu, elle devait se consacrer parmi les soldats, c’était un motif raisonnable de prendre habit d’homme au milieu de cette foule de gens d’armes et de guerriers. Unde eciam non irracionabiliter existimandum est, verum esse quod dixit : se Dei precepto per revelaciones vocum hujusmodi virilem habitum et arma portasse. On peut donc raisonnablement croire qu’elle pouvait vraiment dire que c’était par ordre de Dieu et par révélation de ses Voix qu’elle avait porté habit d’hommes avec armes. Propter quod contra Dei preceptum, de quo sibi constabat, in hoc homini parere non debebat ; quia, qui privata lege ducuntur, spiritu Dei aguntur ; et non sunt sub lege communi et publica ; quia Ubi spiritus, ibi libertas. [II Cor. III, 17]. Dès lors, elle n’était pas tenue d’obéir à la loi humaine en transgressant l’ordre de Dieu, dont elle était sûre. Ceux qui sont conduits dans l’esprit de Dieu sont soumis à un ordre particulier et non pas à la loi commune et générale. Où est l’esprit, là est la liberté. Suberat tamen de habundanti causa racionabilis, supposito fundamento sue missionis ad bella gerenda. Non enim causa 8485lascivie vel ad ydolatrie supersticionem propter quam gentiles talibus habituum mutacionibus utebantur. Que fuit racio propter quam Dominus hoc in lege prohibuit, ut dicit sanctus Doctor [IIa IIe qu. CLXIX, ar. 2]. Ajoutons ce motif raisonnable, nous fondant sur le fait qu’elle avait mission pour faire la guerre. Ce n’était point par libertinage ni par superstition idolâtrique, comme les païens usaient de tels divertissements. C’est pour cela que Dieu les avait défendus dans la loi, comme le dit saint Thomas. Hujusmodi vero habitum gestabat, ne armatos viros et alios, inter quos eam versari opportebat, ad concupiscenciam sui provocaret. Elle portait cet habit pour ne pas provoquer à des désirs pervers les guerriers et autres hommes parmi lesquels elle devait vivre. Unde idem doctor dicit, in loco allegato, quod propter necessitatem aliquam, puta causa occultandi se ab hostibus et pudiciciam suam tuendi, vel propter deffectum alterius vestimenti, vel aliam similem causam, licite mulier uti veste virili potest, absque prevaricacione prefate legis. Or, saint Thomas dit encore au même endroit, qu’une femme peut licitement et sans violer la loi, porter habit d’homme, lorsqu’il y a nécessité : par exemple pour échapper aux ennemis, pour sauver sa pudeur, ou faute d’autres vêtements et tout autre cause semblable. Talis autem mutacionis habituum, ob racionabilem causam, eciam multarum sanctarum mulierum exempla habemus, quas religionis et tuende pudicicie sue causa, virili veste usque ad supremum vite exitum usas legimus. Nous connaissons nombre de saintes femmes qui changèrent de vêtements pour de justes causes, telles que défendre leur foi ou leur pudeur, en portant jusqu’à la mort l’habit d’homme. Ut de sancta Nathalia, uxore beati Adriani, que in habitu virili visitabat christianos in carceribus mancipatos, prout recitat Vincencius in Speculo, libr. XII, cap. 81. Sainte Nathalie, femme de saint Adrien, visitait en habit d’homme les chrétiens détenus en prison, comme le rapporte Vincent de Beauvais. Item, de sancta Marina, que mansit in habitu monachali virorum omnibus vite sue diebus, habetur in Speculo, [lib. XV, cap. 74-75]. De même sainte Marine qui passa toute sa vie sous l’habit des moines. Idem de sancta Eugenia, Philippi imperatoris primi christiani filia, cujus eunuchi fuerunt Jacinctus et Procinctus. Ipsa enim fuit accusata de adulterio cum quadam muliere, vocata Melenciana, eadem Melenciana cum vehementi assercione hoc testante. Et tandem reperta mulier, dum spoliata est ad tormentum jussu patris [In Speculo, l. X, cap. 115]. De même sainte Eugénie, fille de Philippe, le premier empereur chrétien11, dont les eunuques furent Jacinctus et Procinctus. Elle fut accusée d’adultère par une femme nommée Mélitienne qui affirmait avec véhémence qu’Eugénie avait consommé son crime avec elle. Or, quand on la dépouilla par ordre de son père pour être suppliciée, on vit qu’elle était une femme. Similiter de sancta Euphrosina, Paphnucii filia, que non dimisit habitum viri, sed mansit in cella XXX annis ; et in fine consolata est patrem, qui tamdiu doluerat de sua perdicione ; et repperit eam in cella predicta. (Videatur ubi de sancta Marina). [In speculo, l. XV, 76]. De même sainte Euphrosyne, fille de Paphnuce, qui demeura trente ans12 en cellule sous les habits d’homme. Finalement (elle se fit connaître à son père) pour le consoler de l’avoir perdue et celui-ci la retrouva dans cette cellule. (Voyez au même endroit que sainte Marine)13.

Ex quibus patet responsio ad legem que allegabatur. D’où l’on peut répondre à l’objection tirée de la loi que l’on invoquait. Quia lex hujusmodi nec ut judicialis est, nec ut moralis, dampnat usum vestis virilis et militaris in Johanna dicta Puella, quam ex certis signis et causis elegit Deus, tanquam vexilliferam ad conterendos hostes hujus regni, et sublevandos pauperes regnicolas tam depressos, ut in manu femine puellaris et virginis confundat forcia iniquitatis arma, auxiliantibus angelis, quibus virginitas arnica est et cognata, secundum Jheronimum, et ex sacris historiis frequenter apparuit, sicut in Cecilia, verissimiliter cum coronis ex rosis et liliis. Per hoc eciam salvatur attunsio crinium, quam Apostolus prohibere videtur in femina, quia, ubi divina virtus operatur, media secundum finis exigenciam disponuntur. Car ni comme judiciaire ni comme morale cette loi ne condamne l’usage que Jeanne la Pucelle fit d’habit d’homme et de guerrier. Dieu, en effet, la choisit certainement comme porte-étendard pour écraser les ennemis de ce royaume et soulager les pauvres peuples ruinés. Il voulait par la main d’une femme, jeune et vierge, confondre les puissantes armées de l’injustice, avec le concours des anges, de qui la virginité est amie et parente, comme le dit saint Jérôme, et comme il apparaît souvent dans l’histoire des saints. Tels ceux qui apportèrent à Cécile des couronnes de roses et de lis. Pour les mêmes raison, Jeanne est innocentée (du crime) d’avoir fait couper ses cheveux, quoique l’Apôtre semble l’interdire aux femmes14. En effet, lorsque la puissance divine opère, elle dispose les moyens pour la fin. Illa autem, que per adversantes41 allegabantur, intelliguntur ubi mulier virili veste uteretur aut comam amputaret ad lasciviam aut supersticionem, secundum ritum gentilium ; non autem ubi propter racionabilem causam 4r et honestam, vel lege privata 8687ducta, propter aliquod magnum bonum, tali habitu uteretur, ut in facto ipsius Johanne creditur, que hujusmodi habitum sumpsit ne virginitatem suam perderet, non ex luxu. L’allégation de ses ennemis s’entend du cas où une femme prendrait habit d’homme ou couperait sa chevelure par débauche ou superstition païenne. Mais non, si elle porte cet habit pour un motif raisonnable et honnête, obéissant à un ordre personnel, pour un grand bien. Il en fut ainsi pour Jeanne qui ne prit pas habit d’homme par luxure, mais au contraire pour défendre sa virginité. Absit enim ut ea, que propter bonum facimus, nobis ad culpam imputentur. Ce que nous faisons pour le bien, qu’on ne nous en fasse pas un crime !

Cessent itaque dictus Cauchon et sui complices, cessent detrahere vel inculpare ausu temerario ea que in hujusmodi puella a Deo sunt ordinata. Silence donc audit Cauchon et à ses complices. Qu’ils cessent de calomnier ou d’accuser avec audace téméraire ce qui fut ordonné à cette Pucelle par Dieu15. Unde Glossa super illo passu [V, 7] Judicum : Cessaverunt fortes in Israël et quieverunt donec surgeret Delbora. Dicitque ideo : Nova bella elegit Dominus, per infirma forcia destruens, per feminam superbos hostes prosternens, ut ostendatur miraculum Dei, quod factum est duce femina. Les guerriers d’Israël cessèrent et se reposèrent jusqu’au jour où se leva Débora. La glosse sur le texte des Juges dit que Dieu choisit ce nouveau genre de combat, pour détruire la force par la faiblesse, en renversant par la main d’une femme d’orgueilleux ennemis, en sorte qu’il apparut clairement que Dieu accomplissait un miracle par le moyen d’une femme.

Hec de secundo. Et voici pour le second grief.

III. Soumission à l’Église

[Tercius Articulus]42 Troisième grief.
Soumission a l’Église.

Denique culpabilem dictam Johannam reddere nituntur, quia de revelacionibus, quas se habuisse referebat, de virilis habitus et armorum gestacione, recusavit se submictere determinacioni militantis Ecclesie seu cujuscumque hominis mundi. Sed, licet hoc sibi43 false sit impositum, [cum]44 expresse requisiverit facta sua et dicta transmicti ad Papam, ad quem se referebat et ad Deum primo, tamen excusabilis erat propter multa. On voulut prouver la culpabilité de Jeanne finalement parce qu’elle aurait refusé de se soumettre à la décision de l’Église militante ou de quiconque ici-bas, sur les révélations qu’elle affirmait avoir eues relativement à l’habit d’homme et au port des armes. Or, même si elle n’avait pas demandé expressément que ses actes et ses paroles fussent transmis au Pape, auquel elle se référait ainsi qu’à Dieu d’abord, elle en eût été excusable pour bien des raisons.

Tum primo45 illa paupercula juvenis in prima etate fuit nutrita inter bubulcos, et postea inter armigeros, cum quibus nichil penitus addiscere potuit ; et sic nullo modo potuit esse docta ad respondendum tam difficilibus interrogatoriis, sicut erat de submissione sua Ecclesie, cujus ignorabat racionem, nec habebat intellectum ad intelligendum, actentis sexu et simplicitate muliebri. Premièrement, cette pauvre fille fut élevée dès son enfance parmi les bouviers, puis parmi les soldats, au milieu desquels elle ne pouvait en aucune façon s’instruire. Elle était donc tout à fait incapable de répondre à des questions difficiles, comme celle de sa soumission à l’Église. Elle en ignorait la nature, et sa simplicité et la faiblesse de son sexe la rendaient incapable de comprendre la question.

Tum46 secundo, quia, ut dicit sanctus Doctor (Qu. de Veritate, qu. XIV, ar. 11) : illa que sunt subtilissima non sunt rudibus tradenda. Sed nulla sunt subtiliora et alciora hiis que racionem excedunt, qualia sunt articuli fidei. Secondement, comme le dit saint Thomas, il ne faut pas exposer aux ignorants des choses très subtiles. Or, il n’y a rien de plus subtil et de plus sublime que celles qui dépassent l’intelligence, et tels sont les articles de la Foi.

Quare non debebat interrogari dicta Puella de auctoritate sive de submissione vel judicio Ecclesie, que sunt subtilitates contente sub illo articulo : Unam Sanctam. Sed debuit sufficere generalis interrogacio de credulitate illius articuli : Unam Sanctam Ecclesiam. Il ne fallait donc pas interroger cette fille sur l’autorité ou la sou mission au jugement de l’Église, subtilités dérivant de l’article Unam Sanctam. Il suffisait de lui demander en général, si elle croyait à l’article Unam sanctam ecclesiam. Ad hoc concordat idem sanctus Doctor [IIa IIe, qu. II, art. VI ad 2m], in solucione secundi argumenti, dicens quod : simplices non sunt examinandi 8889de subtilitatibus fidei. C’est d’accord avec saint Thomas, dans sa réponse au second argument, où il dit qu’il ne faut pas examiner les simples sur les subtilités de la Foi. Propterea judices debebant cessare in responsione dicte Johanne, quando dicit : Ducatis me ad Papam. Cum ad ipsum spectet determinare et interpretari illa que sunt fidei principaliter, ymo ad solum summum Pontificem et precipue [in]47 judicio illarum visionum, si essent a bono spiritu vel malo. (Decret. IIa Pars. Causa XXIV, qu. I, c. 9) Nulla perturbacio a tramite apostolice Sedis retrahat que omnes hereses semper destruxit. Lorsque Jeanne répondait : Conduisez-moi au Pape, les juges ne devaient pas aller plus loin. Car c’est au Pape qu’il appartient de décider et interpréter souverainement les choses de la Foi. Et singulièrement, c’était au Souverain Pontife seul, à décider si ces visions étaient du bon ou du mauvais esprit : Qu’aucun doute ne nous écarte du Siège apostolique qui a toujours détruit toutes les hérésies. Unde Innocencius ibidem : [Ibid. c. XII] Quociens fidei racio ventilatur, arbitror omnes fratres et coepiscopos vestros nonnisi ad Petrum, id est sui nominis honorem et auctoritatem refferre debere. Le Pape Innocent ajoute : Lorsqu’il s’agit d’une question de Foi, je pense que vous tous les frères, avec vos coévêques, vous ne devez recourir qu’à Pierre, pour l’honneur et l’autorité de son titre. Ad ipsum eciam spectat implicita et occulta in fide, pro temporum et etatum congruencia, explicare et determinare, ut quod inferiores Ecclesie filii implicite et occulte credebant, postea publice et explicite confiteantur, et hoc aliquando propter ipsorummet fidem in fidei48 augmentacionem. C’est au Pape encore qu’il appartient de définir et d’expliquer selon les circonstances de temps, ce qui est contenu dans les mystères de la Foi, en sorte que les fils de l’Église confessent alors publiquement et explicitement ce qu’auparavant ils croyaient de foi implicite et obscure. Et cela parfois en raison de leur foi en un accroissement de la foi.

Non debebat ergo interrogari talis simplex puella de Ecclesia triumphante aut militante ; sed debuit sufficere fides quam habebat ad Deum. Unde, ex modo respondendi et loquendi, videtur quod ipsa Johanna semper intelligebat Ecclesiam et capiebat pro loco in quo percipiuntur sacramenta ecclesiastica, et ubi divina audiuntur ; sicut simplices accipere solent. Nec amplius veniebat examinanda super hoc. Ymo debuit sufficere quod profiteretur se bonam christianam et credere in sanctam Ecclesiam. Ainsi donc, une fille aussi simple ne devait pas être interrogée sur l’Église triomphante ou militante. Il devait suffire de la Foi qu’elle avait en Dieu. Des réponses et des paroles de Jeanne, on voit que pour elle, l’Église était l’édifice où on reçoit les sacrements de l’Église et où on entend la parole de Dieu. C’est ainsi que la conçoivent les simples. Il n’y avait pas lieu de l’en interroger davantage. Il suffisait qu’elle se proclamât bonne chrétienne, croyant en la sainte Église.

Item, nec valet si dicatur quod de istis dubiis, videlicet utrum hujus modi appariciones sibi facte sint a bonis spiritibus vel malis, debet se submictere determinacioni Ecclesie universalis, cujus judicium est infallibile. C’est en vain que l’on dirait que, pour savoir si les apparitions lui venaient de bons ou de mauvais esprits, elle devait se soumettre à la décision de l’Église universelle, dont le jugement est infaillible. Quia ad salutem illius, cui fiunt hujusmodi appariciones, non requiritur certitudo per Ecclesiam universalem. Alias simpliciter posset dici requiri pro aliis, ad que credenda explicite simplices non tenentur. Car il n’est pas requis, pour leur salut, que ceux qui ont de telles apparitions en aient la certitude par l’Église universelle. Autrement, il faudrait dire que c’est requis aussi pour des points que les simples ne sont point tenus de croire explicitement.

Item, non potest suffragari, quod adducere nituntur adversarii. Dicunt enim quod dicte Johanne facta est Ecclesie distinccio, et declaratum quid significetur per Ecclesiam militantem, ut intelligeret quomodo tenetur se et dicta49 sua militanti Ecclesie submictere ; quia nunquam ei fuit sufficiens declaracio facta, actenta simplicitate et fragilitate sexus. Ce qu’ajoutent ses ennemis n’a point de valeur. Ils disent avoir expliqué à Jeanne la différence qu’il y a entre Église militante et Église triomphante, et ce qu’on veut dire par Église militante, pour qu’elle comprenne bien comment elle devait se soumettre, elle et ses dires, à l’Église militante. Car on ne lui a jamais donné une explication suffisante, vues la simplicité et la faiblesse d’une fille. In simplicibus autem maxime loquendum est et actendendum ad intencionem, non ad verba, precipue in materia fidei. Avec les simples, surtout en matière de Foi, il faut s’en rapporter à ce qu’ils entendent, et non à ce qu’ils disent. Illa vero mulier semper se referebat ad Deum, recusans aliud subire judicium, credens evitare judicia hominum, que sunt dubia. Or, cette femme s’en référait toujours à Dieu, refusant de se soumettre à tout autre jugement. Elle croyait ainsi échapper au jugement des hommes qui sont toujours douteux. Ideo debebat sic ei declarari diffinicio militantis Ecclesie, ut posset concipere infallibilitatem seu certitudinem judicii ipsius verissimiliter. Il eut donc fallu lui expliquer l’Église militante, de telle façon qu’elle conçoive avec certitude qu’elle est infaillible et qu’ainsi son jugement est sûr. Quod tamen non est factum ; quia solum dictum est de Ecclesia militante, 9091quod est congregacio, que Papa est, cardinales, episcopi et fideles christiani. Quia debuisset ei declarari racio indefectibilitatis seu infallibilitatis judicii. Ce n’est pas ce qui eut lieu ; car on lui dit seulement que l’Église militante est la communauté du Pape, des cardinaux, des évêques et du peuple chrétien, mais on aurait dû lui expliquer la raison de son indéfectibilité ou infaillibilité. Declarando quomodo in Ecclesia militante sunt duo capita subordinata [spiritualia]50, unum quidem principale, semper sanum et indefectibile, Christus Deus noster, vere fidei rector, quam sibi unam desponsatam et intactam servat virginem (II Cor. XI, 2) eo [quod] [promisit]51 se nobiscum fore omnibus diebus usque ad consommacionem seculi (Mat. XXVIII, 20). Il aurait fallu lui montrer que dans l’Église militante, il y a deux têtes spirituelles subordonnées, l’une supérieure et toujours saine et infaillible : le Christ, notre Dieu, maître de la vraie Foi, qui protège toujours la virginité de celle dont il a fait son unique épouse. Il a promis d’être avec nous jusqu’à la consommation des siècles. Aliud est caput Ecclesie secundarium, scilicet Papa, qui est vicarius 4v primi capitis, scilicet Christi. Ex quo patet quod iste terminus caput, sicut et hoc nomen Ecclesia, equivoce vel analogice dicitur de Christo [et]52 de Papa, respectu Ecclesie catholice. La seconde tête secondaire de l’Église, c’est le Pape, vicaire de la tête principale qu’est le Christ ; d’où il apparaît que ce mot tête, de même que le mot Église, s’applique équivoquement ou analogiquement au Christ et au Pape en rapport avec l’Église catholique, Nam Christus dicitur caput Ecclesie, in quantum gracia persone singularis exuberans in eo secundum fontalem plenitudinem omnis gracie in eo habitantis, influit sensum et motum spiritus et gracie in ipsam Ecclesiam, id est in omnes qui adherent ei per fidem vel fidei sacramentum ; et in quantum Deus influit talem graciam capitis auctoritative, sed in quantum homo, per modum meriti, et hoc quidem meritum quo non solum ex congruo sed eciam ex condigno meruit membris graciam, habuit ex unione Verbi, racione cujus indefectibilis influxus hujus capitis habet Ecclesia privilegium indeviabilitatis, et quod non extra sed intra eam est salus ; teste Augustino, in epistola sua coepiscoporum suorum de Concilie [Zerten]53 ad Donatistas. car le Christ est dit tête de l’Église, en ce sens que la grâce de sa propre personne surabondante, eu égard à la plénitude de toute grâce, dont la source est en Lui, fait passer la motion de l’Esprit et de la grâce dans l’Église, c’est-à-dire en tous ceux qui lui sont unis par la Foi ou par le sacrement de la Foi, et dans la mesure où Dieu fait passer d’autorité cette grâce de la tête. Mais, en tant que Homme dans l’ordre du mérite (mérite non seulement ex congruo, mais même ex condigno) il a mérité la grâce aux membres, il l’eut par son union au Verbe. En raison de cet influx indéfectible de la tête, l’Église a le privilège d’inerrance. Et le salut est en elle et non hors elle. Témoin Augustin dans l’épître aux Donatistes qu’il écrivit avec ses collègues de l’épiscopat au Concile de Cirta16.

Cum autem ipsa Johanna, multis interrogatoriis vexata, vellet refferre dicta sua et facta ad Deum, non autem ad Ecclesiam militantem, hoc erat propter certitudinem apud Deum. Or, tourmentée par mille interrogatoires, lorsque Jeanne voulut remettre ses dires et ses faits à Dieu, mais non à l’Église militante, c’était parce qu’elle en avait la certitude de par Dieu. Quare non debebat obmicti, in declarando quid est Ecclesia militans, eciam quare judicium [Ecclesie]54 est indefectibile, et de influencia capitis super fideles habentes caritatem. En lui expliquant ce qu’est l’Église militante, il eût fallu aussi lui expliquer pourquoi son jugement est indéfectible et quelle influence la tête exerce sur les fidèles qui ont la Charité. Que, si adducta fuissent in medium, non est dubium, fuisset contenta se submictere Ecclesie, propterea quia Deus fuisset presens in ea. Si on lui avait expliqué tout cela, il est certain qu’elle se serait soumise à l’Église, parce que Dieu était pré sent en elle. Solum equidem offerebatur ei pro Ecclesia multitude, quam reputabat adversari sibi. Or, on lui présentait comme étant l’Église, cette foule qu’elle pensait lui être hostile.

Unde, licet dicte Johanne proponeretur distinccio triumphantis et militantis Ecclesie, non tamen tenebatur explicite scire, cum Ecclesia sit nomen equivocum, indigens subtili declaracione, quam simplicium capacitas utrumque sapere non potest, sed requiritur studium et ingenii subtilitas. Par conséquent, bien qu’on eut expliqué à Jeanne la distinction entre l’Église triomphante et militante, elle n’était pas tenue de la professer explicitement. Le mot Église est, en effet, équivoque et requiert des explications subtiles que l’intelligence des simples ne peut discerner. L’étude et la subtilité de l’esprit y sont requises. Propterea dicit beatus Thomas (de veritate q. XIV, art. XI ad primum articulum, post oppositum) quod non est eadem racio de omnibus que ad fidem pertinent. Quedam enim sunt aliis obscuriora, et quedam aliis [nociora]55 ad hoc quod homo dirigatur in finem. Et ideo quosdam articulos pre aliis opportet explicite credere. Aussi saint Thomas dit qu’il n’en est pas de même de toutes les choses qui touchent à la Foi. Certaines sont plus obscures et d’autres sont plus connues pour nous diriger vers notre fin. Aussi devons-nous croire explicitement certains articles plus que d’autres. Unde 9293simplices non obligantur nisi ad illa de quibus Ecclesia festivitatem facit. Les simples ne sont tenus qu’à ceux dont l’Église célèbre la fête. Ideo dicit idem doctor (loco ut supra, in solutione argumentorum hoc56 racionis, post oppositum), quod aliquis simplex, qui accusatur de heresi, non examinatur de omnibus articulis, [quasi]57 teneatur omnes explicite credere ; sed quia tenetur non assentire pertinaciter contrario alicujus articulorum. Aussi saint Thomas dit-il au même endroit, dans la réponse aux objections que, si un simple est accusé d’hérésie, il ne faut pas l’interroger sur tous les articles, comme s’il était tenu de les croire tous explicitement. Mais il ne doit tenir avec pertinacité le contraire d’aucun d’eux.

Sic autem quod dicta Johanna non reperietur assensisse pertinaciter contrario illius articuli : Unam sanctam. Or, Jeanne n’a pas tenu avec pertinacité le contraire de l’article Unam sanctam. Nullas insuper affirmavit asserciones vel conclusiones quarum teneretur credere oppositum ; quia non tenebatur credere suarum vocum appariciones esse a malis spiritibus. Elle n’a pas non plus proféré des assertions dont elle eût dû tenir le contraire. Rien ne l’obligeait à croire que les apparitions de ses voix venaient des mauvais esprits. Poterant enim esse seu emanare a bonis angelis, quod verissimilius judicatur ex signis prius allegatis. Elles pouvaient fort bien venir des bons anges ; ce qui est vraisemblable, étant donné les signes ci-dessus. Sed quod forcius est ad hec : si fuissent a malis spiritibus et credidisset58 esse a bonis, non erat dicenda propterea heretica, quoniam secundum quod dicit prefatus Doctor Sanctus in quarto [scripto]59 : Si quis errat in hiis ad que explicite credenda non tenetur, non est hereticus ; ut si quis Jacob esse patrem Abrahe dicat, et hujusmodi ; et tamen cognoscit hoc esse contra veritatem fidei et scripture. Similiter, circa ea de quibus inter doctores sunt opiniones, donec per Ecclesiam determinatum fuerit ; ut ait idem doctor [parte Ia, qu. 32, a. 4]. Bien plus, si elles venaient des mauvais esprits, tandis qu’elle les croyait venir des bons, elle ne méritait point d’être dite pour cela hérétique. Car le même saint docteur dit : Si quelqu’un erre sur des points auxquels il n’est pas tenu de croire explicitement, il n’est pas pour cela hérétique. Si par exemple il disait que Jacob est le père d’Abraham, ou chose semblable, quoique cela soit contraire à la Foi et à l’Écriture17. Il en est de même pour les diverses opinions où se partagent les docteurs tant que l’Église ne les a point définies, comme le dit encore saint Thomas. Ymo quod plus est, si dyabolus se transfiguret in angelum60 lucis, et credatur vel veneretur ut sanctus, dum tamen61 nichil mali proponat cui videns adhereat, sic venerans vel credens magis patitur quam agat, nec hereticus est censendus. [Decret., 2a pars, causa XXIX, q. 1 c. Aliter]. Il faut même ajouter que : si le diable se transfigure en ange de lumière et qu’on lui apporte créance et vénération comme à un saint, si cependant il ne propose rien de mauvais à celui qui le vénère et lui donne sa foi, celui-ci est plus dupe que coupable, et on ne peut le dire hérétique.

Eciam hoc probatur. Cum itaque doctores, consiliarii et cojudices, qui suam dederunt opinionem, relinquant sub dubio utrum hujusmodi appariciones sint bonorum spirituum vel malorum, aut sint conficte, non debet ergo pro heretica judicari si asserit vel opinetur esse bonorum62 spirituum ; nec eciam duci aut trahi ad hoc quod alio modo credat, submictendo se judicio63 Ecclesie. On peut encore le prouver ainsi ; étant donné que les docteurs, conseillers ou cojuges, qui donnèrent leur avis, doutaient si ces apparitions étaient des bons ou des mauvais esprits, ou encore si elles étaient imaginaires, Jeanne ne doit pas être déclarée hérétique, lors qu’elle affirme ou opine qu’elles viennent des bons esprits ; et il n’y avait pas lieu de l’induire ou de la forcer à croire le contraire, en se soumettant au jugement de l’Église. Ubi tamen sciendum, pro aliquali resolucione in materia, quod, licet quantum ad diffinicionem et determinacionem articulorum fidei et dubiorum de ipsis et circa ipsos suboriencium, similiter de ordinacione eorum que ad mores et rectam vite institucionem pertinent, quibus viator fidelis debeat in dictis et factis suis se submictere determinacioni Summi Pontificis et Ecclesie universalis, vel judicio [proprii]64 prelati, ubi questio suborta inveniretur jam per Ecclesiam decisa et determinata ; tamen in hiis que facti sunt et particulari homini certa fide cognita, et que ceteros latent, non deberet quis precise cogi ad denegandum vel65 9495diffitendum factum cujus ipse certam noticiam et indubitatam haberet. Il faut cependant savoir, pour apporter quelque lumière en cette matière, que, si le fidèle relativement à la définition des articles de Foi et des questions qui en dépendent ainsi qu’à tout ce qui touche à la discipline des mœurs et à la conduite juste de la vie, doit se soumettre de parole et de fait, à la décision du Souverain Pontife et de l’Église universelle, ou, (si la question a déjà été tranchée et définie par l’Église), au jugement du prélat immédiat ; cependant, dans des questions de fait, qu’un individu connaît avec certitude et que les autres ignorent, on ne devrait pas le forcer à nier ou à mettre en doute un fait dont il a connaissance certaine et indubitable. Alioquin, iniquum, injustum et impossibile esset judicis preceptum, et ipso jure nullas vires haberet. Ce serait de la part du juge un ordre injuste, inique et impossible ; il n’aurait juridiquement aucune force. Nam, si ille qui facti, quod ceteros latet, certam et indubitatam habet noticiam, negaret et diffiteretur factum, mendacium incurreret, quod est divina lege prohibitum ; et agendo contra conscienciam suam, edificaret ad gehennam. Si quelqu’un, en effet, ayant connaissance certaine et indubitable d’un fait ignoré des autres, niait ou mettait en doute ce fait, il commettrait un mensonge défendu par la loi divine et, agissant contre sa conscience, il mériterait la damnation.

Et ita, supposito pro vero fundamento, quod ipsa Johanna habuerit divinas revelaciones, et a lege privata, scilicet a spiritu Dei, certa precepta et mandata implenda, non videtur fuisse racionabile neque discretum preceptum judicum, tunc quod ipsa abjuraret, cum Ecclesia maxime de occultis non judicet ; quare excusabilis merito veniebat. Supposé donc véritable que Jeanne eût des révélations divines et des ordres et commandements certains à elle donnés par dispositions spéciales de par l’esprit de Dieu, ce n’eût pas été une décision raison nable et sage des juges de l’obliger à abjurer, vu surtout que l’Église ne se prononce pas sur ce qui est caché. Elle était donc parfaitement excusable.

Quia que faciebat, ex revelacione a bono spiritu agebat ; et sic sequebatur legem privatam inspiracionis divine, per quam eximebatur ab omni lege communi. Et ita concedit Ecclesia fieri. (cap. Ex parte de conver. qui C. Gaudeamus ; et aliis multis juribus). Car ce qu’elle faisait, elle le faisait par révélation du bon esprit. Elle suivait un ordre privé d’inspiration divine qui l’exemptait de la loi commune. L’Église approuve cela.

Et sic 5r in hoc dicta Johanna sequebatur judicium Ecclesie. Quinymo si contrarium fecisset, contra suam conscienciam bene informatam per hujusmodi bonam inspiracionem peccasset. Item, stante eciam dubio an ista inspiracio sit ex bono vel ex malo, cum hoc sit omnino occultum et soli Deo notum, et consequenter de hiis Ecclesia non judicet, quoniam in hiis posset falli, ymo hec judicio Dei reservat et proprie consciencie relinquit. Ainsi Jeanne suivait en cela le jugement de l’Église. Bien plus, si elle avait fait le contraire, elle eût péché contre sa conscience dûment informée par l’inspiration céleste. Cela demeure vrai, s’il y a doute que cette inspiration soit du bon ou du mauvais esprit ; car cela est tout à fait mystérieux et connu de Dieu seul. De ces choses, l’Église ne juge pas, car elle pourrait se tromper. Elle s’en remet au jugement de Dieu et à la conscience personnelle.

Merito ergo non erravit dicta Puella, si Dei judicio se tantum submisit. La Pucelle n’a donc pas erré, si elle ne s’est soumise qu’au jugement de Dieu.

Nichilominus tamen se, dicta sua et facta submisit66 Ecclesie implicite, explicite et explicitissime, requirendo expresse quod dicta sua et facta micterentur ad Papam, ad quem et ad Deum primo se referebat. Et cependant elle a soumis ses dires et ses faits à l’Église implicitement, explicitement, voire très explicitement, requérant expressément que ses paroles et ses faits soient envoyés au Pape, auquel, et à Dieu d’abord, elle se référait. Quem modum loquendi servat67 Jheromimus in epistola ad Damasum Papam, dicendo Pape : Ego primum Christum sequens Beatitudini tue consorcior. C’est ainsi que parlait Jérôme en écrivant au Pape Damase : Suivant avant tout le Christ, je suis en communion avec votre Béatitude. Ex quo satis constat quod, per appellacionem, legictime, ut poterat, requirens superioris judicis examen, inferiorum judicum, qui sibi hostes erant, judicium declinabat. Il apparaît donc assez que, par cet appel, requérant, comme elle le pouvait, l’examen du juge supérieur, elle déclinait légitimement, celui des juges inférieurs qui étaient ses ennemis.

Igitur inique et injuste dicta Johanna scismatica vel heretica, pro eo quod judicio prefati domini [Petri]68 Cauchon, judicis inferioris, licet ordinarii, et aliorum qui secum erant ecclesiasticorum, submictere recusavit ; quos propter legitimas suspicionum causas recusare debuit, sicut et fecit. C’est donc injustement et iniquement que Jeanne fut déclarée schismatique et hérétique, parce qu’elle refusa de se soumettre au jugement dudit seigneur Pierre Cauchon, juge inférieur, bien que ordinaire, ainsi que des autres ecclésiastiques qui l’entouraient. Elle avait de légitimes raisons pour devoir les récuser, comme elle fit.

Luce namque clarius apparet inordinacio animi dicti Cauchon, Belvacensis episcopi, per licteras requisitorias sive summatorias domino duci Burgundie transmissas, in quibus requirit quod primo prefata Johanna tradatur regi Anglie, sicut eciam fuit primo tradita, Ecclesiam 9697in hoc postponens ; Le manque de droiture dudit Cauchon, évêque de Beauvais, éclate dans les lettres où il requit du seigneur duc de Bourgogne et le somma de livrer Jeanne d’abord au roi d’Angleterre, comme elle le fut, en effet, au mépris des droits de l’Église. et iterum eam sibi dari et expediri ; et hoc primo promictendo detinentibus eam seu capientibus solvere sex millia francorum, deinde decem millia, non curans quantum daret dum tamen illam haberet ; actento eciam quod ipsa fuit in secularibus et prophanis carceribus posita, ut patet in toto processu et quod fuit tradita scutiferis et armigeris custodienda ; Après quoi, il demanda qu’elle lui fut donnée et envoyée ; il promettait à ceux qui la détenaient prisonnière de leur payer six mille, puis dix mille francs sans se soucier de la somme, pourvu qu’elle lui fût livrée ; d’autre part, cela ressort du fait qu’elle fut mise en prisons séculières et laïques, comme il appert de tout le procès, et qu’elle fut livrée à la garde d’écuyers et de gens d’armes. actento eciam quod fuit ferreis compedibus mancipata, diuturno carcere mancipata multisque perplexis questionibus irretita, de quibus constat in processu. De plus elle fut enchaînée avec des chaînes de fer aux pieds, et retenue longuement en prison, soumise à de nombreux et captieux interrogatoires. De tout cela il conste dans le procès. Ex quibus omnibus apparere potest manifeste calumpnia et injusticia judicancium. La passion et l’injustice des juges ressort eut manifestement de tout cela. Patet insuper quod ipsa Johanna non debuit compelli abnegare et abjurare suas revelaciones, dicta et facta sua, etc. De plus, on n’aurait pas dû contraindre Jeanne à renier et abjurer ses révélations, ses paroles et ses actes. Potissime cum in omnibus dictis et factis suis et admonicionibus ac preceptis sibi per revelaciones factis, nichil penitus contrarium aut devium a recta fide et sana doctrina inveniatur, ymo omnia [optima]69 et saluberrima precepta, que nullo modo presumi posset ab immundis et malignis spiritibus processisse. Étant donné surtout que dans ses paroles et ses actes, dans les enseignements et les ordres qu’elle reçut de par ses révélations, on ne trouve absolument rien qui soit contraire ou infidèle à la foi véritable et à la saine doctrine. Au contraire, tous les ordres qu’elle reçut sont très justes et salutaires, et en aucune façon on ne peut les prétendre provenir des esprits immondes et malfaisants.

Si vero aliqua, utpote de mutacione habitus vel de portacione armorum, extra communem regulam extranea videantur, non tamen fuerunt talia quin in divinis historiis et sanctorum legendis aliquando inspiracione divina legamus sepius contigisse ; ut ostensum est ex hiis que supra dicta sunt ; et determinata ex verissimilibus conjecturis et argumentis in materia istarum revelacionum ipsius Johanne. Que si certains de ses actes, par exemple, le changement d’habit et le port des armes paraissent déroger à la loi commune, en réalité, ils n’y dérogeaient pas ; car nous lisons dans les histoires sacrées et dans les vies de saints que cela se produisit souvent par inspiration divine. Nous l’avons montré par les exemples allégués ci-dessus et nous l’avons prouvé par des déductions et arguments probants dans le cas des révélations de ladite Jeanne. Similiter de excusacione sua legictima in materia gestacionis habitus virilis et armorum, ac submissionis dictorum suorum et factorum, singulariter ipsarum revelacionum judicio militantis Ecclesie. Facile est cetera omnia et singula70 crimina dissolvere et reffellere, de quibus dictus Cauchon, suique complices et faventes, ipsa [condempnarunt]71 injuste. Il en est de même des motifs qu’elle invoqua pour légitimer le port d’habit d’homme et d’armes, ainsi que pour la sou mission de ses paroles et de ses actes, et spécialement de ses révélations, au jugement de l’Église militante. Il est facile de réfuter tous les prétendus crimes dont ledit Cauchon et ses complices la condamnèrent injustement.

Hec de tercio. Voilà pour le troisième point.

IV. Réfutation des XII articles

[Quartus Articulus]72 IV.
Réfutation des XII articles.

Quarto et ultimo, considerandus venit dolus perspicuus ex hoc quod XII articuli, consultoribus transmissi, non veridice sed mendaciter, imperfecte et calumpniose formati fuerunt, ut patebit discurrendo per singulos. Enfin la mauvaise foi est manifeste en ceci que les XII articles transmis aux consulteurs ne furent pas composés véridiquement, mais mensongèrement, inexactement et calomnieusement. Nous le montrerons pour chacun.

I

[I] I

Et primo, circa primum articulum dicitur : Quedam femina dicit et affirmat, etc. Et d’abord, dans le premier article, qui dit : Une femme dit et affirme etc…18.

9899Ubi tacetur proprium nomen et etas in qua mulier ipsa erat tempore intentati contra eam judicii ; quia etatis XIX annorum vel eo circa, ut ipsa asseruit in prima sessione, folio processus pergamenei XIII, [M 87]. On tait son nom propre et l’âge de cette femme au moment de son procès ; or, elle avait dix-neuf ans environ, comme elle l’affirma dans la première session19.

Nec fit mencio de qualitate ipsius persone, quia simplex et pauper filia, prout ipsa fatetur (fol LI) [M 93]. Quando admonita per voces venire in Franciam respondit : Ego sum una pauper filia, nec scio equitare, nec ducere guerram. On ne mentionne pas qu’elle était une fille simple et pauvre, comme elle-même le déclare. Quand ses voix lui enjoignirent d’aller en France, elle répondit : Je suis une pauvre fille et je ne sais monter à cheval ni faire la guerre.

Item, nichil dicitur quod esset virgo, sive non corrupta ; et tamen visitata73 fuit et talis reperta, prout apparebit ex testimonio multorum. On tait qu’elle était vierge intacte ; et cependant elle fut examinée et trouvée telle, comme on verra par de nombreux témoignages20.

Item, in eodem articulo cavetur quod fama est divulgata quod fatales domine ibidem, scilicet circa fontem situm juxta magnam arborem, frequentant74. Item, dans le même article, on affirme qu’il était notoire que les fées fréquentaient ce lieu savoir une fontaine, sise près d’un grand arbre. Et tamen non constat in processu aliquid de illa fama aucthenticis documentis. Or, dans le procès, les documents authentiques ne disent rien de cela.

Obmictitur autem circa hunc articulum quod prima vice habuit voces in meridie, in horto patris [sui]75 et habuit magnum timorem (fol L) [M 97]. Quodque eciam non credit in fatis, ymo credit quod sit sortilegium quoddam (fol. XLIII et XLVIII) [M 201, 109]. On omet dans cet article de dire qu’elle eut pour la première fois ses voix dans le jardin de son père, vers midi, et qu’elle en eut grande crainte ; qu’elle ne croyait pas aux fées, mais qu’elle craignit que ce ne fut un sortilège. Et tamen habetur sic in articulo. Quodque predicte sancte Katherina et Margareta aliquando fuerint eam allocute ad fontem quemdam juxta arborem magnam, communiter appellatam l’abre76 des fees. Néanmoins on met dans l’article que les saintes Catherine et Marguerite lui parlèrent parfois auprès d’une fontaine, proche d’un grand arbre, qu’on appelle l’arbre des fées. Quod ideo videbatur poni ut ingereretur suspicio quod visiones et appariciones facte sibi erant a malignis spiritibus. Il semble bien que l’on mit cela pour donner à soupçonner que les visions et apparitions lui venaient d’esprits malins. Verum est autem quod semel tantum, loco quodam, multis importunis interrogacionibus fatigata, videtur dicere sanctarum voces ibidem audivisse, sed tunc non intellexisse quid dicerent ; quod in articulo subticetur. Il est vrai que, harassée par d’insupportables interrogatoires, elle semble dire qu’une fois elle entendit les voix des saintes en ce lieu21, mais qu’elle ne comprit pas alors ce qu’elles disaient. Preterea falsum est quod subditur in articulo : quas ibi et alibi pluries77 venerata fuit. On omet cela dans l’article ; ce qu’on y ajoute est faux : que là et ailleurs elle les vénéra souvent. Quia nusquam in toto processu reperitur quod dictas sanctas venerata fuerit ibidem. Et ita falso fuit adjectum 5v in articulo. On ne trouve nulle part dans le procès qu’en ce lieu elle vénérait ces saintes. C’est à tort qu’on l’a ajouté dans l’article.

Item, addunt in eodem articulo quod voces ille dixerunt eidem femine, de mandato Dei, quod opportebat accedere ad quemdam principem secularem, promictendo quod, ejusdem femine auxilio et laboribus mediantibus, dictus princeps [vi]78 armorum magnum dominium temporale et honorera mundanum recuperaret, ac victoriam de inimicis suis obtineret. Item, on ajoute que les voix dirent à cette femme, que par ordre de Dieu, elle devait aller vers un certain prince laïque, lui promettant que par le secours de cette femme et par son labeur, ledit prince recouvrerait un grand empire temporel, une grande gloire mondaine et la victoire sur ses ennemis. Ex quo notatur dolus condencium articulum, quia tacent quod ipsa Johanna sepe dixerit sibi expositas fuisse mandato Dei miserias et calamitates regni Francie, asserens quod aliquando permiserat79 Gallicos affligi pro peccatis ipsorum, ut dicit, 100101folio 72 processus papirei [M 193]. La fourberie des rédacteurs de l’article est évidente, car ils taisent que Jeanne dit souvent que par ordre de Dieu lui avaient été montrées les misères et calamités du royaume de France, ajoutant que Dieu avait permis que les Français aient à souffrir pour leurs péchés, comme il est dit au procès. Dicit preterea quod missa fuit ad recuperandum regnum oppressum, non ad dominium temporale acquirendum, nec ad honorem mundanum, quod sonat ad fastum. Et tamen hoc additur in articulo ultra dicta ipsius Johanne mendaciter et dolose. Elle dit en outre qu’elle fut envoyée pour délivrer le royaume envahi et non point pour conquérir un empire temporel ou un honneur mondain, qui ne serait que faste ; néanmoins on l’ajoute dans ledit article mensongèrement, perfidement, aux paroles de Jeanne. Unde expresse habetur, folio XXXV processus pergamenei [M 167], quod venerat pro bono patrie, regis et bonarum gencium et ducis Aurelianensis ; et quod placuit Deo per unam simplicem80 puellam hoc agere. Elle dit expressément qu’elle était venue pour le bien du pays, du roi, des bonnes gens et du duc d’Orléans, et qu’il plaisait à Dieu d’accomplir ces choses par une simple Pucelle.

Subicitur preterea in dicto articulo : Insuper, dicte sancte Katherina et Margareta preceperunt eidem femine de mandato Dei quod assumeret et portaret habitum viri. On ajoute, dans le même article :lesdites saintes Catherine et Marguerite ordonnèrent à ladite femme de par Dieu de prendre et porter habit d’homme. Quantum ad id quod dicitur sibi a sanctis illis fuisse preceptum, nullibi in processu constat ; nec unquam fassa est voces sibi expresse precepisse. En effet, de cet ordre donné par les saintes, il n’est nulle part parlé dans le procès, et jamais Jeanne ne déclara que les voix le lui avaient expressément commandé. Quinymo in examinacione facta in carcere die [XIIa]81 marcii, ubi, interrogata de habitu, asserit se sponte suscepisse, et non ad requestam cujuscumque. Bien plus, dans l’interrogatoire du 12 mars, dans la prison, interrogée sur l’habit, elle affirme qu’elle le prit de son propre chef et non point à la requête de quiconque. Et in admonicione facta per archidiaconum, fecisse asseruit non aliqua supersticione aut causa illiciti ornatus ; sed racione cujusdam conveniencie et expediencie temporis, et causa conservande melius pudicicie inter viros [M 161]. Pressée par l’archidiacre, elle affirma avoir agi non par superstition ou par goût de coquetterie illicite, mais parce que cela convenait à la circonstance, et pour mieux conserver sa pudeur au milieu des soldats.

Item, quicquid dicatur in ipso articulo, quod preelegerit non audire missam et non suscipere Eucharistiam tempore statuto per Ecclesiam, quam abicere habitum virilem, semper videtur fuisse intencio sua quod contenta erat recipere habitum muliebrem pro audiendo missam. Item, quoique dise cet article, qu’elle a mieux aimé ne pas entendre la messe et ne pas recevoir l’Eucharistie au temps fixé par l’Église, plutôt que d’abandonner son habit d’homme, son affirmation constante fut qu’elle reprendrait volontiers habit de femme pour entendre la messe. Ymo post omnes confessiones, dum admoneretur ab ipso archidiacono (fol. XCVI) [M 241] declaravit ipsius intencionem, dicendo quod de habitu ipsa bene voluerat assumere unam tunicam longam et capucium muliebre, pro eundo ad ecclesiam et recipiendo sacramentum Eucharistie, sicut alias responderat in multis passibus processus ; proviso quod statim post illum habitum deponeret et reassumeret alium, etc. Elle répondit même à l’archidiacre qui insistait, que volontiers elle prendrait une tunique longue et un capuce de femme pour aller à l’Église et recevoir le sacrement d’Eucharistie, comme elle l’avait souvent dit au cours de son procès, à la condition qu’aussitôt après elle quitterait cet habit et reprendrait l’habit d’homme, etc.

Item, in eodem articulo ponitur quod, dum esset etatis XVII annorum vel eo circa, domum paternam egressa fuit ac multitudini hominum arma sequencium sociata, die nocteque cum eis conversando, nunquam aut raro aliam mulierem secum habens. Item, on dit dans cet article qu’à l’âge de dix-sept ans environ, elle quitta la maison paternelle et vécut nuit et jour au milieu d’une foule de gens d’armes, n’ayant jamais ou rarement une femme avec elle.

In qua parte articuli, aliqua dolo [reticentur]82 ; alia partira maliciose exprimuntur. Or, dans ce passage on tait perfidement certaines choses et d’autres sont dites captieusement. Tacentur enim que ad excusacionem hujus egressus a domo paterna ipsa Johanna dixit. On tait ce que Jeanne dit pour excuser son départ de la maison paternelle. Quia dixit se idcirco non indicasse parentibus, ne eos merore conficeret. De quo recessu83 postea scripsit eis et dederunt ei veniam (fol. XXXI et XXXII) [M 159]. Elle témoigna, en effet, n’en avoir pas parlé à ses parents, crainte de les affliger, mais que plus tard elle leur en écrivit et ils lui pardonnèrent. Asserebat eciam quod, postquam Deus precipiebat, opportebat hoc fieri, eciam si patrem regem habuisset. Elle ajoutait même que, puisque Dieu l’ordonnait, il fallait qu’elle partît, même si son père avait été roi.

102103Reliqua vero particula est manifeste falsa, quoniam ipsa, quando erat in gestis armorum, de nocte jacebat associata cum una muliere ; et quando ejus societatem habere non poterat, dormiebat vestita vel armata (fol. LXIX) [M 225]. L’autre allégation est évidemment fausse car, quand elle était en campagne, elle couchait de nuit avec une femme. Quand elle n’en pouvait avoir, elle dormait vêtue et armée.

Item, sequitur in articulo quod noluit se de contentis in eodem submictere determinacioni cujusquam, nisi solius Dei et Ecclesie triumphantis, militanti vero Ecclesie se, sua facta et dicta, submictere distulit et recusavit, pluries requisita super hoc et monita, etc. Item, l’article ajoute que sur ces faits, elle refusa de se soumettre au jugement de personne, sinon de Dieu seul et de l’Église triomphante, mais, bien qu’elle en fut souvent requise, elle refusa de soumettre ses actes et ses paroles à l’Église militante, etc.

Falsum est quod recusaverit (fol. 141 et 142) [M 191], ut declarabitur in ultimo articulo, in quo multa ostendentur falsa, multa dolo suppressa ex dictis ipsius Johanne. Il est faux qu’elle ait refusé. Comme il sera dit dans le dernier article où on montrera bien des choses fausses, ainsi que nombre d’omissions dans les paroles de Jeanne. Addunt namque quod tantummodo dicta sua et facta vult submictere Ecclesie triumphanti ; et tamen non negat formaliter de militante, quicquid dicat de triumphante. On ajoute, en effet, qu’elle ne voulut sou mettre ses actes et ses paroles qu’à l’Église triomphante. Or, quoi qu’elle dise de l’Église triomphante, elle ne l’a pas formellement refusé à la militante. In eo vero quod dicebat de certitudine sue salutis, salvabitur circa nonum articulum, quia non ita dure nec absone protulit sicut scribitur, sed recte videtur interpretata, ut infra patebit. Quant à ce qu’elle disait de la certitude de son salut, on le justifiera à propos du neuvième article, car elle ne l’affirma pas si brutalement et absolument qu’il est écrit ; mais elle semble l’avoir dit justement, comme il apparaîtra plus bas.

II

[II] II

Circa secundum articulum, qui mencionem facit de signo dato regi, de Angelo qui detulit coronam ipsi et eidem exhibuit reverenciam, etc. À propos du second article22 qui parle du signe donné au roi, de l’ange qui lui apporta la couronne auquel elle manifesta révérence, etc.

Videtur minus sincere compositus, quia obmictitur protestacio expressa facta per eam, in IIa sessione, fol. 21 processus papirei [M 89] ; similiter in IIIa sessione, 24 februarii, fol. 21 [M 99], et aliis multis passibus processus. Il ne paraît pas avoir été composé sincèrement, car il omet la protestation expresse faite par Jeanne en la seconde session, de même en la troisième session du 24 février et en nombre d’autres passages du procès. Ex quibus constat ipsam Johannam sepe fuisse protestatam quod, de hiis que tangunt regem non diceret quicquam, aut non diceret veritatem. Et repulit multas interrogaciones, tanquam non facientes ad processum ; sicut de natura angelica, de facto regis, etc.84 D’où il appert que Jeanne a souvent protesté que, de ce qui touche le roi, elle ne dirait rien ou ne dirait pas la vérité. Ainsi elle écarta de nombreuses interrogations, parce qu’elles n’avaient rien à faire avec son procès, par exemple sur la nature des anges, sur le fait du roi, etc. Nec unquam simpliciter voluit jurare dicere, nisi de tangentibus processum ; addens eciam quod de tangentibus regem non diceret. Que protestaciones, si fuissent addite in articulo, cum importunitate judicum, qui fatigabant eam tam variis et distortis interrogacionibus, consultores eam excussassent forsan, aut saltem supportassent a mendacio pernicioso et parjurio, que omnia sibi infigunt occasione predicta. Aussi bien n’a-t-elle jamais voulu jurer simplement de répondre, sinon des choses qui touchaient son procès ; ajoutant même que, de ce qui touchait le roi, elle ne dirait rien. Si l’on avait ajouté ces protestations dans cet article avec l’importunité des juges qui la fatiguaient par tant d’interrogatoires variés et retors, les consultées l’eussent probablement excusée, ou du moins ne l’eussent pas accusée d’avoir menti perfidement et d’avoir été parjure, comme ils le lui imputent à ce propos.

III

[III] III

Circa tercium articulum, in quo asseritur Johannam se esse certam de apparicionibus bonis, ex bona confortacione et bona doctrina, etc. Quant au troisième article, où l’on affirme que Jeanne était sûre que c’étaient des apparitions de bons esprits, en raison du bon réconfort et des bons conseils qu’ils lui donnaient, etc.23

104105Advertatur quod articulas iste falsus 6r est et subrepticius ; quia, non solum ex illo quod exprimitur in articulo, sed ex multis aliis conjecturis in processu contentis, possunt hujusmodi appariciones verissimiliter cognosci esse a bonis spiritibus. Il faut remarquer que cet article est faux et fallacieux ; car, non seulement par ce qui est contenu dans l’article, mais par beaucoup d’autres indices contenus dans le procès, on peut bien reconnaître que ces apparitions venaient des bons esprits. Tacetur enim in illo articulo quod ipsa Johanna dicebat beatas Katherinam et Margaretam eam exhortasse ad sepe confitendum, fol. 39 processus papirei [M 129] ; quod85 frequentaret ecclesiam (fol. C) [M 93] ; item quod servaret virginitatem suam (fol. XIII) [M 175]. On passe sous silence dans cet article que Jeanne disait que les bienheureuses Catherine et Marguerite l’exhortaient à se confesser souvent, à fréquenter l’église et aussi à garder sa virginité. Item, notetur quod quandoque, quando sancte Katherina et Margareta veniebant ad eam, signabat se signo crucis (fol. LXXXXVI) [M 241] ; quod si demones fuissent, non [tulissent]86 signum crucis. Il faut noter de plus, que chaque fois que les saintes Catherine et Marguerite venaient vers elle, elle se signait du signe de la croix. Si ç’avaient été des démons, ils n’auraient pas supporté ce signe de la croix.

Articulus eciam in hoc quod posuit ipsam esse certam quod sunt sanctus Michael, sancte Katherina et Margareta et que sibi apparent, videtur innuere illam temere credidisse. L’article semble encore insinuer qu’en se disant certaine que ce furent saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite qui lui apparurent, elle l’a cru à la légère. Sed tacetur una bona presumpcio, scilicet ex eo quod dicit se non illico credidisse ; ymo sibi apparuisse ter antequam crederet. On omet un indice favorable, à savoir qu’elle affirme ne l’avoir pas cru d’abord, et même qu’elle ne le crut qu’après leur troisième apparition. Item, alia presumpcio bona, quia dixit, interrogata, quod sepenumero in illis apparicionibus signabat se predicto signo crucis ; per quod signum expulsos demones in suis illusionibus a Patribus sanctis pluries legimus. Un autre indice en sa faveur est qu’elle affirma, dans ses interrogatoires, que souvent, au cours de ces apparitions, elle se signait du signe de la croix. Or, les saints Pères nous enseignent que les démons ont souvent été chassés dans leurs prestiges par ce signe. Item, ex eo quod testatur multociens in processu, habitam super illis apparicionibus inquisicionem diligentem Pictavis per clericos et licteratos viros, qui hujus modi asserciones et facta ipsius minime reprobaverunt. Elle témoigne aussi à plusieurs reprises, dans le procès, qu’à Poitiers fut faite une enquête sérieuse sur ces apparitions, par des clercs et des personnes savantes. Or, ceux-ci ne condamnèrent pas le moins du monde ses assertions et ses faits. Non autem presumendum est illos tota aberrasse via. Rien n’autorise à présumer qu’ils se soient tellement trompés.

Ex quibus excusabilis videtur et tolleranda sua assercio. Elle paraît donc excusable, et il faut recevoir son témoignage.

Et in hoc quod comparat credulitatem illorum credulitati fidei, non arguit ipsam de errore fidei aut temeritate qu. LI. Lorsqu’elle compare la foi qu’elle donne à ses voix à la foi qu’elle donne au dogme, on ne peut pour cela l’accuser d’avoir erré dans la foi ou d’avoir été téméraire. Sicut eciam pie et bene intellectum posset ad bonum sensum retorqueri, sicut et87 de re modica dicere consuevimus quod ita credimus sicut et credimus quod Deus est. On peut parfaitement prendre ce qu’elle affirme dans un sens légitime, comme, lorsqu’à propos de choses minimes, nous disons y croire comme nous croyons que Dieu existe.

IV

[IV] IV

Circa quartum articulum, in quo fit mencio quod ipsa Johanna dixit se certam de multis contingentibus futuris, etc. Quant au quatrième article, où l’on mentionne que Jeanne se dit certaine de bien des événements futurs contingents, etc.24

Iste articulus, quoad primam sui partem, prestat, ut videtur, nunc efficax signum missionis sue a Deo, non a maligno spiritu ; [qui]88, solet divinare futura tantum ex quibusdam conjecturis, subtilitate nature sue et experiencia, non ante tanta curricula temporum, sicut ipsa Johanna, nec ita89 certitudinaliter. Cet article, dans sa première partie, présente un signe manifeste aujourd’hui que sa mission était de par Dieu et non point de l’esprit mauvais. Celui-ci ne devine l’avenir que par conjecture, parce qu’il est doué d’intelligence subtile et d’expérience. Mais il ne le fait pas pour un laps de temps aussi long et avec une telle certitude, comme le fit Jeanne. Asseruit enim ipsa Johanna 106107sibi a vocibus revelatum quod liberaret civitatem Aurelianensem, quod et predixit regi pro signo. Item, quod coronaretur rex ipse Remis, que civitas detinebatur ab Anglicis. Patet IIa examinacione, fol. 22 processus papirei [M 213]. En effet, elle affirma que les voix lui avaient révélé qu’elle délivrerait Orléans, ce qu’elle prédit au roi comme signe (de sa mission) ; de même que le roi serait couronné à Reims, alors occupé par les Anglais.

Item, predixit ipsis Anglicis pluries, maxime in Va sessione, et denunciavit quod, ante elapsum septem annorum [tempus]90 perderent majus vadium quam Aurelianis ; quod fuit completum in reduccione Parisiensis civitatis. Sed quod amplius et cercius est, nostris diebus divina voluntate impletum est, quod ipsa palam predixit, quod rex suum regnum recuperaret. De même, elle prédit souvent aux Anglais, particulièrement dans la cinquième session, et leur annonça qu’avant sept ans passés, ils perdraient un gage plus grand qu’Orléans, ce qui arriva quand Paris fut pris. Mais il y a plus important et plus certain encore, c’est ce qui fut accompli par la volonté divine, quand elle prédit clairement que le roi recouvrerait son royaume.

Preterea in eodem articulo impingitur sibi ad jactanciam ex eo quod dixit se habere noticiam multorum per revelaciones et voces, etc. De plus dans ce même article, on l’accusa de jactance, parce qu’elle disait connaître bien des choses par la révélation de ses voix, etc.

Sed, si sua inspiciatur responsio ad XXXIII articulum, ubi dixit quod in Domino et ex Domino est revelare futura cui placet, et quod de ense et aliis rebus venturis quas dixit de liberacione regni, accepit per revelacionem, constabit satis quod totum reffert ad divinam virtutem, et non ad inanem jactanciam. Mais qu’on se reporte à sa réponse à l’article XXXIII, où elle dit qu’il appartient au Seigneur de révéler l’avenir à qui il lui plaît. Or, qu’elle ait connu par révélation l’épée (de Fierbois) et d’autres événements à venir touchant la délivrance du royaume, il est clair qu’elle rapporta tout cela à la puissance divine et qu’elle ne s’en fit pas vaine gloire.

Quod autem allegatur ulterius in articulo de sua liberacione a carceribus, non propterea debent alia vaticinia haberi suspecta ; quia idipsum reperimus sanctis Prophetis contigisse ; sicut de Nathan, si David construeret templum, prius consensit et postea prohibuit. Quant à ce que cet article allègue plus loin, relativement à sa délivrance de la prison, cela ne rend pas suspectes les autres prophéties. Nous voyons, en effet, que cela arriva aux saints prophètes ; tel Nathan au sujet de David et la construction du Temple, que d’abord il approuva et qu’ensuite il interdit25. Non enim spiritus prophetarum mentes semper irradiat. Subticetur in hoc articulo illud quod deberet addi, illud scilicet, quod ipsa dixit. Dicit enim quod ipsa nescit quando erit a carcere liberata (fol. 23) [M 175] ; quodque voces primo dicunt ei quod liberabitur, et postea quod non curet, et quod capiat gratanter suum martirium, quia finaliter veniet ad regnum paradisi (fol. 30) [M 175]. L’esprit n’éclaire pas toujours la pensée des prophètes. On omet dans cet article ce qui aurait dû être ajouté, savoir ce qu’elle dit elle-même, qu’elle ignore quand elle serait délivrée de prison, que les voix lui dirent d’abord qu’elle serait délivrée ; puis qu’elle ne s’en soucie pas, mais qu’elle accepte de bon gré son martyre,, et qu’enfin elle viendra au royaume de Paradis. Nec silenda videtur illa fidelis assercio, juramento per eam firmata, scilicet quod nollet quod dyabolus traxisset eam extra carceres ad liberacionem (fol. LXX) [M 227]. Enfin il n’aurait pas fallu taire ce qu’elle affirma sous serment, savoir qu’elle n’aurait jamais voulu que le diable l’arrachât de sa prison pour la délivrer.

V

[V] V

Circa quintum articulum, in quo asseritur ipsam Johannam dixisse se precepto Dei assumpsisse habitum virilem, et in illo habitu sacramentum Eucharistie, etc., Quant au cinquième article, où il est dit que Jeanne affirma avoir pris l’habit d’homme par ordre de Dieu, et en cet habit avoir reçu le Sacrement d’Eucharistie, etc.26

obmissum est illud quod facit ad ejus excusacionem et justificacionem. Dixit namque (fol. XXXII) [M 152] quod non credebat male facere de habitu virili quem portabat pro bono patrie91 sue ; et ita non ex luxu id faciebat. On omet ce qui la justifie et l’excuse. Elle dit en effet qu’elle ne croyait pas mal faire en portant cet habit d’homme pour le bien de sa patrie, et qu’elle ne le faisait pas par débauche. Dixit preterea quod : Quando ego fecero illud ad quod ego sum missa ex parte Dei, ego accipiam habitum muliebrem 108109(fol. LXXXXVI) [M 193]. Elle ajouta : Quand j’aurai accompli ce pourquoi je suis envoyée de par Dieu, je reprendrai vêtements de femme. Item dixit quod erat sibi magis licitum habere habitum virilem, dum erat inter viros, quam habere muliebrem (fol. CXIII) [M 277]. Item, elle dit qu’il lui était bien plus juste de porter habit d’homme, plutôt que de femme, tant qu’elle vivrait au milieu des hommes. Si autem hujusmodi habitum assumpsit92 inter armatorum consorcia, ad reprimandum concupiscenciam illorum, ad liberius exercendum officium, ad quod missa erat, et non ex aliqua supersticione et indecente ornatu, seu causa luxus ; non debet eidem ad vicium imputari seu judicari, sicut nec multis aliis sanctis mulieribus, que possent in proposito allegari. Qu’elle ait pris cet habit, au milieu des gens de guerre, pour tenir en respect leur convoitise, pour accomplir plus librement le service qui lui était enjoint, et non point par superstition et coquetterie inconvenante, ou par amour du luxe, il ne faut pas le lui imputer à crime, comme on ne l’a pas reproché à nombreuses autres saintes femmes, que l’on pourrait citer ici. Nec reperitur ex suis responsionibus quod dixerit opportere gipponem cum brachis et aguilletis accipere. On ne voit pas dans ses réponses qu’elle ait dit devoir porter pourpoint avec braies et aiguillette. Item, non debet hereticum seu viciosum judicari si in eo habitu sacramenta 6v, sumpsit, quo necessitate officii et ministerii suscepti et pro communi utilitate inducebatur. Item, on ne doit pas devoir condamner comme hérésie ou crime qu’elle ait reçu en cet habit le sacrement d’Eucharistie, puisque c’était l’exigence du service et le bien commun qui le lui faisaient porter. Item, additur in articulo pro aggravacione, quod ipsa pluries recepit Eucharistiam in habitu virili ; et reticetur quod, licet reciperet, tempore quo sequebatur armorum castra, in illo habitu corpus Dominicum, non tamen in armis, ut fatetur ipsa, VIa sessione. [M 143]. L’article ajoute même pour la charger que souvent elle reçut l’Eucharistie en habit d’homme ; mais il omet de dire que, si elle reçut le Corps du Seigneur en cet habit, lorsqu’elle était à l’armée, elle ne communia jamais en armes, comme elle en témoigna dans la sixième session. Ex quo apparet ipsius ad sacramentum religio seu reverencia ; quod videtur dolo suppressum. Ce qui montre quel respect religieux elle avait pour le sacrement. Ce qui semble tu frauduleusement.

VI

[VI] VI

Quoad sextum articulum, in quo fit mencio de nominibus Jhesus et Maria in suis licteris appositis, etc. Quant au sixième article, où il est fait mention des noms Jhesus et Maria qu’elle mettait dans ses lettres, etc.27

Tacetur sua responsio, cum interrogaretur de illis signis Jhesus et Maria. Dixit enim quod hoc faciebat, quia clerici, scribentes licteras suas, hoc ibi ponebant ; et quod quidem dicebant esse bene decens et congruum (fol. XLII et 22) [M 197]. On omet la réponse qu’elle fit quand elle fut interrogée sur l’inscription de ces mots : Jhesus et Maria. Or, elle dit qu’elle le faisait, parce que les clercs qui écrivaient ses lettres les y mettaient, disant que cela convenait.

De eo vero quod subditur in dicto articulo, quod scribi fecit ut faceret interfici non obedientes, et quod ad ictus scietur quis habebit pocius jus, etc. ; per quod ingere conantur crudelitatem fuisse et seviciam in ipsa Johanna. Sed reticetur quod ipsa Johanna93 predixit in IVa sessione, XXVIIa februarii [M 120], videlicet quod neminem unquam interfecit. Quant à ce qu’on ajoute dans l’article, qu’elle fit écrire qu’elle ferait tuer ceux qui n’obéiraient pas et qu’on verrait bien aux horions qui aurait meilleur droit, etc. ; par quoi on inculpe Jeanne de cruautés et de goût de vengeance ; on tait ce que Jeanne elle-même déclara dans la quatrième session du 27 février : qu’elle ne tua jamais personne. Quinymo quando aggrediebatur adversarios, ipsa propriis manibus gestabat vexillum suum, ut aiebat, ne aliquem interficeret. Bien plus, quand elle pénétrait dans les lignes ennemies, elle tenait en mains propres l’étendard afin, disait-elle, de ne tuer personne. Et quicquid dicatur in articulo, aliter et emendate loquuntur lictere, quas direxit94 exercitui obsidente Aurelianensem per quas suadet pacem et admonet hostes ut discedant, ne sequatur cedes95. Et quoi qu’on dise dans cet article, les lettres qu’elle envoya à l’armée qui assiégeait Orléans témoignent du contraire : c’est la paix qu’elle propose, et elle invite les ennemis à s’en aller pour éviter le massacre. Similiter hoc idem patet per licteras et ambassiatores missos domino duci Burgundie, quarum licterarum copia ambarum scribitur in processu originali (fol. 98) [M 215]. C’est ce que l’on voit encore par les lettres et les ambassadeurs qu’elle envoya au seigneur duc de Bourgogne. La copie de ces deux lettres est transcrite dans le procès original28. Per que omnia, sic debite comparata, eluditur penitus crudelitatis suspicio in ipsa Johanna. À rapprocher comme il faut ces documents, disparaît totalement le soupçon de cruauté en Jeanne.

VII

110111[VII] VII

Circa septimum articulum, tacetur primo quod ipsa Johanna asserit in processu, in examinacione facta, XXIIa februarii (fol. 32) [M 93], videlicet quod sepe admonita per voces veniret [in]96 Franciam, primum accessit ad avunculum suum, et sibi exposuit propositum suum, et quod eam97 opportebat ire ad oppidum de Valecoloris ; et quod avunculus suus eam deduxit illuc, ubi reperit quemdam militera, scilicet dominum Robertum de Baudricourt. Quant au septième article, on tait d’abord ce que Jeanne affirme au procès à l’interrogatoire du 22 février, savoir que, pressée par ses voix d’aller en France, elle alla tout d’abord trouver son oncle ; elle lui exposa son projet, lui dit qu’il fallait aller à la ville de Vaucouleurs ; que son oncle l’y conduisit ; et qu’elle y trouva un chevalier, le seigneur Robert de Baudricourt29.

Ista autem silebant condentes articulum, ut innuerent eam esse oblitam feminei pudoris, quando referunt ipsam in etate XVII annorum adisse solam ad unum scutiferum, quem nunquam agnoverat. Preterea dicitur in articulo quod recessit insciis et inconsultis parentibus ; et non recitant neque notaverunt quemadmodum ipsa Johanna se de hoc eleganter excusat, fol. 63 et 64 processus papirei [M 159]. Ceux qui rédigèrent cet article taisent tout cela, pour insinuer qu’elle oublia toute pudeur de femme ; c’est pourquoi ils disent qu’à l’âge de dix-sept ans, elle alla trouver toute seule un écuyer qu’elle n’avait jamais vu. L’article dit de plus qu’elle partit sans avertir ou consulter ses parents. Mais on ne rapporte pas comment Jeanne s’en disculpa parfaitement.

Item, subditur in eodem articulo quod ab ipso armigero accepit habitum virilem98. Tamen falsum est. On ajoute dans ce même article qu’elle reçut de cet homme d’armes un habit d’homme, ce qui est faux. Quinymo ipsa plurimis in locis, interrogata an id ad illius Roberti instanciam vel ex ejus consilio fecisset, respondit quod de hoc non inculpabat hominem viventem, IIa sessione, fol. 3, [M 95]. Bien au contraire, maintes fois, interrogée si elle l’avait fait sur les instances ou le conseil de ce Robert, elle répondit qu’elle n’en rejetait la faute sur personne au monde.

Deinde quod adducitur in fine ejusdem articuli dolose, quod dixit principi quod volebat ducere guerram et ponere eum in magno dominio temporali ; quod tamen falsum est. Quia ipsa Johanna, in plurimis locis processus, testata est se venisse precepto Dei, ad denunciandum regi quod Dei opere recuperaret regnum suum et eriperetur de manu eorum qui injuste possidebant. Enfin ce que l’on ajoute mensongèrement à la fin de cet article, à savoir qu’elle voulait faire la guerre et conquérir un grand empire temporel, est faux, car Jeanne en maints endroits du procès, affirma être venue par ordre de Dieu pour annoncer au roi que par la puissance de Dieu, il recouvrerait son royaume, qui serait arraché des mains de ceux qui le tenaient injustement.

VIII

[VIII] VIII

In octavo articulo, ponuntur circonstancie de dejeccione sive de99 saltu turris, ut ostendatur in ea crimen desperacionis. Dans le huitième article, on décrit sa chute ou le saut de la tour, de façon à l’accuser du crime de désespoir30.

A quo crimine prorsus immunis judicabitur, si actendatur illud quod dixit (fol. 37) [M 179], videlicet quod, quando saltavit, credebat evadere, non mori ; et quod commendavit se Deo. On verra qu’elle en est parfaitement innocente, si l’on note ce qu’elle disait, savoir que, quand elle sauta, elle pensait s’évader et non se tuer, et qu’elle se recommanda à Dieu. Item, quod ipsa saltando non fecit ex desperacione, sed animo salvandi corpus suum et succurrendi pluribus bonis gentibus existentibus in necessitate. Et quod post saltum confessa fuit et peciit veniam a Domino (fol. 38) [M 179]. Item, qu’en sautant elle n’agit point par désespoir, mais dans la pensée de sauver son corps et d’aller secourir tant de braves gens qui se trouvaient en danger ; et, qu’après avoir sauté, elle se confessa et demanda pardon au Seigneur.

Et ita ad hoc si peccasset in saltando, non esset desperacio, postquam agnovit errorem et peciit veniam. Et circa istum articulum bene notetur 112113quod de illa precipitacione solum aggravancia maliciose ponuntur, et racionabiliter excusancia omnino pretermictuntur, ut patet intuenti responsa ejusdem Johanne, foliis 63 et 66 processus papirei [M 171, 179]. Ainsi donc, si elle commit un péché en sautant, ce n’est pas celui de désespoir. Quand elle connut son erreur, elle demanda pardon. En cet article, il faut remarquer qu’à propos de cette chute, on ajoute captieusement ce qui l’aggrave, et l’on omet totalement ce qui la disculpe avec raison. Il n’est que de voir les réponses de Jeanne.

IX

[IX] IX

Circa nonum articulum facientem mencionem de promissione et certitudine salutis ipsius Johanne, notetur quod, si ejus dicta congrue referantur, nichil absonum dixit ipsa ; namque sponte sua religiose100 interpretata est illud quod dixerat de certitudine sue salutis. Quant au neuvième article, qui mentionne la promesse et la certitude que Jeanne avait de son salut31, il faut noter que, si l’on rapporte exactement ses paroles, on n’y trouvera rien de répréhensible ; car spontanément, elle expliqua d’une façon orthodoxe ce qu’elle avait dit de la certitude de son salut. Dixit enim (fol. 38) [M175], quod credit firmiter se salvari, si ipsa servaverit quod promisit Deo, scilicet virginitatem tam anime quam corporis. Elle dit, en effet, qu’elle croit fermement se sauver, si elle garde ce qu’elle avait promis à Dieu : sa virginité d’âme et de corps. Illud autem quod subditur de peccato in eodem articulo, si omnia illius dicta conferantur in unum, satis convenienter videtur esse loquta, quamquam in puella juris ignara, difficile sit discrecionem ponere inter peccatum mortale et veniale. Ce qu’en ce même article on ajoute relativement au péché, si l’on se rapporte à ses paroles, on voit qu’elle a très bien parlé, quoiqu’il soit difficile à une fille igno rant le droit de faire distinction entre péché mortel et véniel. Obmictuntur autem multa circa ipsum articulum, que manifeste faciunt101 ad suam excusacionem super hoc ; neque unquam gloriata fuit se non esse in peccato. Or, dans cet article, on omet bien des choses qui sont à sa décharge, car jamais elle ne s’est vantée d’être sans péché. Ymo dixit expresse (fol. 62) [M129,175] quod nescit an sit in peccato mortali, et an fuerit ; et quod non placeat Deo quod fecerit aut faciat unquam aliquid propter quod anima sua sit onerata. Elle dit expressément qu’elle ne sait pas si elle est ou si elle fut en péché mortel, et qu’à Dieu ne plaise qu’elle ait fait ou fasse jamais quelque chose qui charge son âme. Ipsa eciam, quodam alio loco, ait, eodem folio ut supra, dixit, quod ipsa esset valde dolens 7r si sciret se non esse in gracia Dei. Et subdit : Si sum, Deus me conservet. Si non sum, Deus me ponat. Elle dit même, dans un autre endroit, au même folio, qu’elle serait très triste si elle savait n’être pas dans la grâce de Dieu. Elle ajoute : Si j’y suis, Dieu m’y garde ; si je n’y suis pas, Dieu m’y mette.

Preterea alibi interrogata, ex quo habet revelaciones, utrum putaret expedire sibi confiteri, respondit quod nescit si peccaverit102 mortaliter. Sed, si ipsa esset in peccato mortali, existimat quod sancte Katherina et Margareta illico dimicterent eam. Interrogée une autre fois si, puisqu’elle a ces révélations, elle pense utile de se confesser ; elle répondit qu’elle ignore si elle a péché mortellement ; mais que, si elle était en péché mortel, elle pensait que saintes Catherine et Marguerite la quitteraient aussitôt. Subjecittamen sapienter quod nemo potest nimis mundare conscienciam suam, ut patet IIa examinacione facta die XIV marcii, fol. 65 processus papirei [M 177]. Elle ajouta sagement que l’on ne peut jamais trop purifier sa conscience.

Que omnes circonstancie sunt obmisse in articulo, per quas circunstancias patet satis clare quod non temere asserit se non peccasse aut non peccare posse. Toutes ces circonstances sont tues dans l’article, lesquelles mon traient clairement qu’elle n’a pas affirmé témérairement n’avoir pas péché ou ne pouvoir pécher.

X

[X] X

Circa decimum articulum, in quo cavetur quod ipsa Johanna temere asserit Deum quosdam diligere viatores, etc. Quant au dixième article, où l’on affirme que Jeanne déclara témérairement que Dieu aime certains hommes sur terre, etc.32

Tacetur illud quod ipsa respondit interrogata an scit quod sancte 114115Katherina et Margareta odiant Anglicos. On tait ce qu’elle répondit, quand on lui demanda si elle sait que les saintes Catherine et Marguerite haïssent les Anglais. Dixit quod, de odio et amore quem Deus habet ad Anglicos, vel quid faciat animabus ipsorum, ipsa nescit. Elle répondit que, de haine ou d’amour que Dieu a pour les Anglais, ou de ce qu’il fera de leurs âmes, elle l’ignore ; Sed bene scit quod expellentur a Francia, patet examinacione facta XVIa marcii, fol. 71 [M 193]. Preterea videtur ostendisse caritatis indicium in Burgundos, quando testatur requisivisse per licteras et ambassiatores dominum ducem Burgundie ad pacem inter regem et ipsum, ut patet ex responsione ipsius Johanne ad XVIIIm articulum fol. 95 processus papirei [M 215]. mais elle sait bien qu’ils seront chassés de France ; de plus, elle montra sa charité envers les Bourguignons, quand elle attesta avoir requis par lettres et ambassadeurs le seigneur duc de Bourgogne de faire la paix avec le roi.

Ex quibus satis constat quod non peccabat contra caritatem proximi, sicut pretendunt compositores articuli. D’où il apparaît bien qu’elle ne pécha point contre la charité envers le prochain, comme le prétendent les rédacteurs de l’article.

XI

[XI] XI

Circa undecimum articulum, in quo notatur ipsa Johanna de ido latria propterea quia exhibebat reverenciam ymaginibus [sibi]103 apparentibus ; etc. Quant au onzième article, où on accuse Jeanne d’idolâtrie, parce qu’elle témoignait son respect aux images et à ses apparitions, etc.33,

Maliciose tacuit formans articulum illud quod ipsa Johanna dixit (fol. XL) [M 201], videlicet quod ipsa veneratur ipsas sanctas Katherinam et Margaretam, credens esse illas que sunt in paradiso, et quod hoc facit in honorera Dei, beate Marie et sanctarum Katherine et Margarete, que sunt in celo. le rédacteur de l’article tait malhonnêtement ce que Jeanne dit ; savoir qu’elle vénérait les saintes Catherine et Marguerite en personne, voyant en elles les saintes du Paradis ; et qu’elle le faisait pour l’honneur de Dieu, de la bienheureuse Marie et des saintes Catherine et Marguerite, qui sont au Ciel. Item, subticetur dolose consilium quod petiit a suis vocibus ; quia nunquam voci sue requisivit aliam mercedem quam salvacionem anime sue (fol. 63) [M 155]. Item, on tait artificieusement le conseil qu’elle demanda à ses voix ; elle ne leur demanda jamais autre récompense que le salut de son âme.

Item, de invocacione sanctarum, etc. propter quam arguunt eam tamquam invocatricem demonum, tacent responsionem suam ad articulum L, (fol. 116) [M 223], que elidit omnem suspicionem hujus criminis. Item, quant à l’invocation des saintes, etc., à propos de quoi on l’accuse d’avoir invoqué les démons, on tait sa réponse à l’article L qui écarte tout soupçon d’idolâtrie. Videlicet interrogata enim per quem modum, quibus verbis voces requireret, respondit quod reclamabat Deum et beatam Dei Genitricem, quod micterent sibi consilium et confortacionem. Ex quo patet quod magis est invocatrix Dei per sanctos, quam104 demonum. En effet, interrogée par quelles paroles et de quelle façon elle appelait ses voix, elle répondit qu’elle suppliait Dieu et la bienheureuse Mère de Dieu de lui envoyer conseil et réconfort. D’où il appert qu’elle invoquait Dieu, non par les démons, mais par les saints.

Item, falsum dicitur in articulo quod illis ymaginibus devoverit virginitatem ; quia non vovit illis nisi tanquam missis a Deo ; sic referens votum principaliter ad Deum. Item, l’article dit à tort qu’elle voua sa virginité à ces images, car elle ne leur fit vœu qu’en tant qu’envoyées par Dieu, à qui elle rapportait principalement son vœu.

De eo autem quod dicitur in articulo, quod celavit voces suas curato et parentibus, ipsa se excusat, sessione habita XIIa marcii, nec voces eam compulerunt ad celandum. Sed hoc fecit ne impediretur a suo viagio, quam tamen excusacionem tacent articuli conditores [M 159]. Quant à ce que dit l’article : qu’elle cacha ses voix au curé et à ses parents, elle s’en disculpe dans la session du 12 mars. Ce ne sont pas les voix qui la poussèrent à se taire, mais elle le fit pour qu’on n’empêchât pas son voyage, excuse que turent les rédacteurs de l’article.

XII

116117[XII] XII

De ultimo articulo, scilicet de submissione Ecclesie, etc. Quant au dernier article, sur la soumission à l’Église, etc.34

Quod sit nimis dure et dolose iste105 articulus compositus et multa falsa continens, planum et manifestum fiet intuenti processum. Cet article fut rédigé méchamment et avec dol, et il contient nombre d’erreurs. C’est clair et manifeste à qui se rapporte au procès. Quia frequenter protestata est velle se obedire Pontifici Romano, et quod duceretur ad ipsum cum suo processu. Fréquemment elle protesta vouloir obéir au pontife romain et demanda qu’on l’y conduisît avec son procès. Tacent106 namque primo conditores articuli prefati [submissionem]107 Ecclesie factam implicite per ipsam Johannam, prout habetur fol. XXIX, in examinacione diei mercurii XIV marcii, dum dixit quod nichil vellet facere contra fidem christianam, quam Dominus stabilivit ; et, si aliquid dixisset vel fecisset, vel esset supra corpus suum, quod clerici scirent dicere esse contra fidem christianam, ipsa nollet sustinere, sed expelleret. Les rédacteurs de l’article taisent tout d’abord la soumission implicite à l’Église que fit Jeanne, on le voit à l’interrogatoire du mercredi 14 mars35. Elle dit ne vouloir rien faire contre la foi chrétienne enseignée par Dieu ; et que si elle avait dit ou fait, ou si les clercs disaient qu’en sa personne il y eût quelque chose contre la foi chrétienne, elle ne voudrait pas le soutenir, mais le désavouerait. Ex quo constat quod se submisit judicio Ecclesie in hiis in quibus fides christiana et catholica vult eam submicti. D’où il appert qu’elle se soumit au jugement de l’Église dans toutes les choses où la foi chrétienne et catholique exigeait d’elle cette soumission. Preterea subticetur alia explicitissima submissio, quando cum prima sentencia ferretur coram toto populo, respondit per hunc modum : Quantum est de submissione Ecclesie, ego respondi eis de isto puncto de omnibus que ego feci et dixi. Ipsa transmictantur ad Romam penes dominum nostrum Summum Pontificem, ad quem et ad Deum primo me refero. De plus, on tait cette soumission très explicite qu’elle fit devant tout le peuple, quand on porta contre elle la première sentence : Quant à me soumettre à l’Église, je leur ai répondu que, sur ce point et sur tout ce que j’ai fait et dit, on transmette cela à Rome, à notre Seigneur le Souverain Pontife, à qui et à Dieu d’abord je me réfère. Et interrogata an velit revocare omnia dicta et facta sua, dixit : Me refero Deo et Domino nostro Pape. (fol. C, acta die XXIV maii). [Ch., I, 364-365] Interrogée si elle voulait révoquer tout ce qu’elle avait dit et fait, elle répondit : Je me réfère à Dieu et à Notre Seigneur le Pape.

Ex quibus verbis patet quod ipsius finalis intencio fuit non subter fugere veri et summi judicis Romani Pontificis judicium ; sed tantum illorum clericorum, quos videbat in unum convenisse ad dampnacionem ejus ; quos non immerito expavescebat. Il appert de ces paroles que son intention dernière ne fut pas de se soustraire au jugement du vrai et souverain juge, le Pontife romain, mais seulement au jugement de ces clercs qu’elle, voyait s’être réunis pour la condamner ; elle avait toute raison de les craindre.

Aliunde eciam dictorum articulorum falsitas et tocius judicii in de sequuti iniquitas apparet, ex eo quod per consiliarios et assessores ordinatum exstitit quod prefati articuli in multis passibus corrigerentur, quod minime factum est, ut luculenter constat inspicienti primam minutam seu notulam processus adversariorum. Par ailleurs, la fausseté de ces articles et l’iniquité de tout le jugement qui en suivit, apparaissent de ce fait que les conseillers et assesseurs déclarèrent que ces articles devaient être corrigés en maints endroits. Or, on n’en fit rien ; ce qui appert avec évidence à l’examen de la première Minute ou Notule du procès, faite par ses ennemis.

Conclusions

Conclusions

Ex hiis omnibus apparet manifestus error in sentencia qua dampnatur ipsa Johanna sub viginti duabus qualitatibus, mendose sibi applicatis, et quarum alique nullo modo possunt assumi ex quibuscumque verbis confessionis ipsius ; alie vero, etsi, ex verbis sinistre 118119interpretatis, viderentur posse colligi, debita tamen et moderata 7v interpretacione, nullo modo possent juste eidem imputari seu applicari ; sicut facile posset deduci de singulis predicatis applicatis prefate Johanne, comparando ad suas confessiones supra allegatas et ex processu veridice extractas. De tout cela apparaît l’erreur manifeste de la sentence qui con damne Jeanne sous vingt-deux incriminations, qui lui furent imputées mensongèrement. Les unes ne peuvent absolument pas être déduites de ses paroles et de ses aveux. Les autres, bien qu’elles pussent paraître pouvoir être déduites de paroles malicieusement interprétées, si on les comprend comme il se doit avec raison, on ne peut en aucune façon les lui imputer justement. On l’établirait facilement pour chacune des inculpations susdites faites à Jeanne, en les comparant à ses aveux que nous venons d’alléguer, extraits véridiquement de son procès.

Ex quibus finaliter potest concludi quod, etsi dicta Johanna, post cedulam abjuracionis cujus contenta abjuravit, ad eadem vel aliqua ex ipsis redierit, non debet censeri relapsa, propter multa. Finalement, de tout cela on peut conclure que, si Jeanne, après avoir abjuré ce qui est rapporté dans sa formule d’abjuration, revint sur ses aveux ou sur certains d’entre eux, on ne peut l’accuser d’être relapse pour bien des raisons :

Tum primo, quia se excusavit quod nunquam intellexit dictam cedulam abjuracionis. premièrement, elle a toujours protesté n’avoir pas compris cette cédule d’abjuration ;

Tum secundo, quia non fuit servatum illud quod major pars consulencium. voluit observari, videlicet quod iterato cedula legeretur et admoneretur. secondement, on n’accomplit pas ce que la majorité des conseillers réclama : savoir qu’on lui lût de nouveau la cédule et qu’on l’avertît. Quod tamen factum non reperitur. Ymo illico fuit properatum ad supplicium. On ne voit pas que cela ait été fait. Tout au contraire, on hâta le supplice.

Preterea dixit ipsa Johanna quod reassumpsit habitum virilem, quia conveniencior erat inter viros, et quia non fuerat sibi observatum promissum, scilicet quod iret ad missam, et relaxaretur a compedibus ferreis. De plus, Jeanne dit avoir repris habit d’homme, parce qu’il était plus convenable, se trouvant au milieu d’hommes, et parce qu’on n’avait pas tenu la promesse qu’elle irait à la messe et serait délivrée de ses chaînes de fer. Offerebatque se uti habitu muliebri, si daretur ei carcer graciosus. Elle avait offert de prendre habit de femme, si on lui donnait prison gracieuse.

Ista satis patent in processu. Tout cela appert suffisamment du procès.

Item, quod digne relapsa judicari non debuit, satis constat, quia non fuit perante in heresim lapsa, neque de heresi suspecta. Item, qu’on ne put à bon droit la déclarer relapse, puisqu’elle n’était pas précédemment tombée en hérésie, ou suspecte d’hérésie. Neque juste abjurasse censeri debuit contenta in cedula sibi lecta, que, ut dictum est, minime intelligebat. Et on ne pouvait non plus prétendre qu’elle avait abjuré ce que con tenait la cédule qu’on lui lut ; laquelle, nous l’avons dit, elle ne com prenait pas du tout. De quorum eciam majori parte neque confessa, neque convicta, [ymo]108 nec habita est mencio per totum processum. Nemo enim in heresim relapsus dici potest, nisi ille qui rite et canonice abjuravit heresim, in quam constabat eum lapsum, vel de ea vehementer suspectum, et postmodum in ipsam rediisse invenitur. D’ailleurs, jamais dans tout le procès, elle n’avoua ces inculpations, ni elle n’en fut convaincue ; on n’en a même pas parlé dans tout le procès. En outre, on ne peut déclarer relapse en hérésie que celui qui a juridiquement et canoniquement abjuré une hérésie, dans laquelle on a prouvé qu’il était tombé ou dont il était véhémentement suspect, après quoi on l’a vu retomber dans cette hérésie.

Notes du texte latin

  1. [1]

    St ; dans les mss. U N le Codicille de Bouillé est introduit dans les actes de la Réhabilitation par le libellé suivant :

    Tenor autem certi codicis, inter ipsa judicii preparatoria, per dictos supplicantes, nobis tunc exhibiti et traditi, sequitur in hec verba.

    Les titres en français et les mots entre [ ] sont ajoutés par nous ou rétablis d’après le manuscrit mentionné en note.

  2. [2]

    N : om. depuis : necnon

  3. [3]

    N : modo

  4. [4]

    St ; U : regis ; N om. : regie celsitudini

  5. [5]

    U : Jo Chaucon ; St : Chauchon

  6. [6]

    St ; U N : millitatem

  7. [7]

    N om. : et

  8. [8]

    N : memoria

  9. [9]

    N om. : regni

  10. [10]

    N St om. : in

  11. [11]

    St ad. : seu

  12. [12]

    Lanéry d’Arc, jugeant le texte incomplet, supplée en ajoutant : ardua et difficilis.

  13. [13]

    Le texte semble fautif, et serait à corriger en une négation.

  14. [14]

    N : rectam

  15. [15]

    St

  16. [16]

    St ad. : in

  17. [17]

    St : ineffabiliter

  18. [18]

    St : habentur

  19. [19]

    St ; U N : ut

  20. [20]

    N : omnium

  21. [21]

    Sic dans tous les manuscrits

  22. [22]

    U N ad. : Baptiste

  23. [23]

    St : exhibemus

  24. [24]

    N : tractu

  25. [25]

    St ; U N : instructibus

  26. [26]

    St : procedere

  27. [27]

    St : qui

  28. [28]

    U N : abjurabatur

  29. [29]

    St om.

  30. [30]

    N : pertineret

  31. [31]

    N St : tam

  32. [32]

    N om. : est

  33. [33]

    St : hospitibus

  34. [34]

    St ; U N : paciendo

  35. [35]

    U N St : locutus est Dominus

  36. [36]

    U : Universis

  37. [37]

    St : capiendo

  38. [38]

    N om. : esse

  39. [39]

    U N St : Iacobus

  40. [40]

    St

  41. [41]

    St : adversarios

  42. [42]

    St

  43. [43]

    St om. : sibi

  44. [44]

    St U N : non

  45. [45]

    St : cum

  46. [46]

    St : cum

  47. [47]

    St ; U N de

  48. [48]

    St : fideimet

  49. [49]

    St om. : dicta

  50. [50]

    St U : spiritualis ; N : spiritualibus

  51. [51]

    U N : compromisit ; St : quod permisit

  52. [52]

    St U N : ti

  53. [53]

    U N St : Creten

  54. [54]

    St ; U N om.

  55. [55]

    U N St : necessariora

  56. [56]

    St ad. : argumentum ; N : hoc

  57. [57]

    U N St : quia

  58. [58]

    St : credidit

  59. [59]

    U N St : scripti

  60. [60]

    St : angelos

  61. [61]

    St : dumtaxat

  62. [62]

    St : bonum

  63. [63]

    St om. : judicio

  64. [64]

    St ; U N : proximi

  65. [65]

    St : et

  66. [66]

    St om. : Nichilominus… submisit

  67. [67]

    St : observabat

  68. [68]

    U N St : Johannis

  69. [69]

    St ; U N : opportuna

  70. [70]

    St om. : et singula

  71. [71]

    St ; U N : condempnacionem

  72. [72]

    St

  73. [73]

    St : visita

  74. [74]

    N : frequentaret

  75. [75]

    St ; U N om. : sui

  76. [76]

    N : arbre

  77. [77]

    N om. : pluries

  78. [78]

    St ; U N : ut

  79. [79]

    N : promiserat

  80. [80]

    St : solam

  81. [81]

    N om. : die ; U N St : XVII

  82. [82]

    St ; die ; U N : reticeretur

  83. [83]

    St : processu

  84. [84]

    N : et eciam

  85. [85]

    St : et

  86. [86]

    U N St : tulisset

  87. [87]

    St om. : et

  88. [88]

    St ; U N : quoniam

  89. [89]

    St om. : ita

  90. [90]

    U N St om.

  91. [91]

    St : partis

  92. [92]

    St : assumpserit

  93. [93]

    St om. : Sed… Johanna

  94. [94]

    St : dilexit

  95. [95]

    N : sequantur ; St : sedes

  96. [96]

    St ; U N : ad

  97. [97]

    St : tam

  98. [98]

    St ad. : et

  99. [99]

    St om. : de

  100. [100]

    St : religione

  101. [101]

    St : manifesta faciant

  102. [102]

    St : quod peccavit

  103. [103]

    St ; U N : sive

  104. [104]

    St ; U N ad. : per

  105. [105]

    St : ipse

  106. [106]

    St : taceant

  107. [107]

    St ; U N : submissionis

  108. [108]

    St ; U N om.

Notes de la traduction française

  1. [1]

    Saint Jérôme ouvre son Contra Vigilantium par une bouffonne prosopopée des monstres qui ont infesté le monde : Centaures, sirènes, onocrotales, etc., pour enfin déclarer :

    Sola Gallia monstra non habuit, sed viris semper fortibus et eloquentissimis abundavit. [Seule la Gaule n’eut pas de monstres, mais elle abonda toujours en hommes courageux et très éloquents.] (ML, XXIII, 339.)

  2. [2]

    Qui fidens conscientiae suae negligit famam suam, crudelis est. [Cruel celui qui, parce qu’il a bonne conscience, néglige sa réputation.]

    Sermon de communi vita clericorum (ML, t. 39, 1568).

  3. [3]

    Gerson. Voir son rapport dans Q III, 301.

  4. [4]

    Bouillé précise donc qu’il ne traitera pas les irrégularités juridiques du procès, laissant ce soin à ses confrères juristes. Seul le point de vue théologique et moral sera étudié.

  5. [5]

    Vers d’Ovide, formulé moins fermement par Quintilien :

    Per medium via tutissima est. [Par le milieu, la voie est la plus sûre.]

  6. [6]

    ML, t. 77, 160.

  7. [7]

    Le texte de Saint Grégoire porte pietas [piété] au lieu de caritas [charité].

  8. [8]

    ML, t. 37, 1434.

  9. [9]

    Tout ce passage est inspiré de Guillaume d’Auvergne. Voir éd. 1674, I, p. 1010-1011, IIae Partis, pars IIa. ch. 160. Il s’agit de la ruine de Jérusalem par Titus.

    Guillaume d’Auvergne s’inspire ici d’une part du Pseudo-Denys (Hier, cael., XI, 3) qui traite de l’infidélité des nations qui, quoique illuminées, selon la doctrine alors commune, par les Anges, se sont égarées dans le culte des faux dieux. Leur égarement n’est pas imputable aux Anges qui ont bien rempli leur fonction. La faute en est aux nations qui ont abandonné la voie droite. Quant au fait des anges fuyant de Jérusalem, il est maintes fois rapporté : dans l’Apocalypse de Baruch (VI, 7 et VIII, 2) ; Tacite, (Hist., V, 13) raconte que, lors du siège de la ville par Titus, on vit dans le ciel des armées aux prises ; les portes du sanctuaire s’ouvrirent et une voix, plus forte que la voix humaine, annonça que les dieux en partaient (excedere deos) ; et Josèphe rapporte qu’on entendit une voix comme d’une foule énorme criant : Migremus hinc ! (de Bello Jud. VI, 5). Eusèbe Dem. Ev. IV, 7-8, sur les anges gouverneurs invisibles des nations. — Apocal. Baruch, VI, 7 ; VIII, 2. Les anges ayant évacué le Temple de Jérusalem, on entend des voix qui disent : Entrez, ennemis, entrez, ceux qui gardaient le Temple l’ont abandonné.

  10. [10]

    Comparer saint Thomas, in Ep. II ad Cor., ch. XI, lect. 3 ad finem.

    Necessaria est discretio spirituum quam specialiter Deus contulit beato Antonio. Bonus angelus, etsi terreat in principio, tamen statim consolatur et confortat. Unde valde difficile est quod homo caveat sibi ; et ideo recurrendum est ad adjutorium divinum. [D’où l’importance du discernement des esprits, dont Dieu favorisa spécialement le bienheureux Antoine. Car si un bon ange peut d’abord inspirer la crainte, il console et fortifie aussitôt. On voit par là qu’il est difficile pour un homme de se protéger et qu’il faut recourir à l’aide divine.]

  11. [11]

    En réalité, d’après Vincent de Beauvais, Philippe serait illustrissimus vir romanus ab imperatore Commodo ad Aegyptum directus [un très illustre citoyen romain, envoyé en Égypte par l’empereur Commode].

  12. [12]

    Vincent de Beauvais écrit : 38.

  13. [13]

    Toutes ces vies romancées sont considérées aujourd’hui comme purement légendaires.

  14. [14]

    Ce texte sauf quelques mots est emprunté au Rapport de Gerson (Voir Q III, 305).

  15. [15]

    Gerson termine ce Rapport par cette adjuration :

    Obstruatur igitur et cesset os loquentium inique… [Que se ferme donc et se taise la bouche de ceux qui parlent avec iniquité.] (Q III, 305).

  16. [16]

    ML t. 33, 579. Sur l’identification de Zerten, voir Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique ancienne, IV, Paris, 1912, p. 383.

  17. [17]

    IV Sent., d. 13, q. 2, a 1, ad 6m.

  18. [18]

    La Minute ne transcrivant pas le texte des douze articles, nous renvoyons ici à notre édition de l’instrument de la sentence, p. 31.

  19. [19]

    Guillaume Bouillé a soin de se référer au texte du procès. Il le cite, soit d’après un manuscrit pergameneus [parchemin], soit d’après un manuscrit papiraceus [papier], en notant les folios. Mais ces références sont très décevantes. Il est difficile d’identifier les mss. qu’il cite. Nous possédons encore trois des cinq expéditions originales. Celle de l’Assemblée nationale est la seule sur parchemin ; les deux de la Bibliothèque Nationale sont sur papier. Mais les références aux folios, que nous trouvons aux copies de Bouillé, sont presque toutes invérifiables. Tantôt données en chiffres romains, tantôt en chiffres arabes, elles ne coïncident pas avec les folios des mss. que nous possédons. Ces mss. d’ailleurs n’ont été foliotés que tardivement : le ms. de l’Assemblée au XVIIe siècle ; le ms. B. N. lat. 5965 est folioté en romain tous les cinq ou dix folios, et plus tard en chiffres arabes ; le ms. B. N. lat. 5966 n’a qu’une foliotation arabe moderne. Nos collations n’ont pu identifier les mss. dont s’est servi Bouillé. Nous avons transcrit les chiffres qu’il cite ; mais pour permettre au lecteur de retrouver les textes auxquels il fait allusion, nous avons ajouté la page de notre édition de la Minute (M).

  20. [20]

    Le constat ne fut pas inséré au procès. Ce n’est que lors des enquêtes de la réhabilitation qu’en furent produits les témoignages. Voir Q II, 201, 217 ; III, 209, 102, 59, 63, 193, 50, 89, 155. Jeanne en accepta l’examen, III, 175.

  21. [21]

    Interrogatoire du 1er mars, M. 126.

  22. [22]

    I. S., 33.

  23. [23]

    I. S., 35.

  24. [24]

    I. S., 35.

  25. [25]

    II Sam. c. 7.

  26. [26]

    I. S., 35.

  27. [27]

    I. S., 37.

  28. [28]

    En réalité seules les lettres aux Anglais sont transcrites dans le Procès.

  29. [29]

    I. S., 37.

  30. [30]

    I. S., 39.

  31. [31]

    I. S., 39.

  32. [32]

    I. S., 39.

  33. [33]

    I. S., 41.

  34. [34]

    I. S., 41.

  35. [35]

    Il n’y a rien de cela à cette date. Il faut sans doute corriger : jeudi 15 mars (M. 181) ou samedi 17 mai (M. 199).

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