T. II : L’instrument public des sentences de 1431
II
Instrument public des sentences
portées les 24 et 30 mai 1431
par
Pierre Cauchon et Jean Le Maître, O. P.
contre
Jeanne
la Pucelle
Texte latin établi, traduit et annoté par
P. Doncœur S. J., et Y. Lanhers
1954
P. Doncœur S. J., et Y. Lanhers
Nihil obstat : Paris, le 18 décembre 1953, J. Leclerc, S. J., Doyen de la Faculté de Théologie de l’Institut Catholique de Paris.
Imprimatur : Paris, le 22 décembre 1953, Mgr Michel Potevin, Vicaire général.
7Avant-propos
On sait que les deux Procès de Condamnation (1431) et de Réhabilitation (1455-1456) sont les sources les plus précieuses de toute information historique sur Jeanne.
L’édition en a été donnée, de 1841 à 1849, par Jules Quicherat, dans trois des cinq volumes publiés par la Société de l’Histoire de France. Elle constitue un Corpus qui n’a pas été remplacé. Cependant, en un siècle les travaux des érudits ont abouti à des découvertes qui complètent, et parfois corrigent, le témoignage apporté par l’œuvre monumentale de Quicherat.
C’est pourquoi, depuis longtemps familiarisé avec le XVe siècle, Pierre Champion conçut le projet d’un immense travail qui, reprenant à la base celui de son prédécesseur, apporterait aux historiens de la Pucelle la documentation la plus complète et la plus sûre.
En 1920, Champion posa la première pierre de ce monument, en publiant les deux volumes du Procès de Condamnation, enrichis de préfaces et de notes biographiques consacrées aux nombreux personnages figurant dans les actes du Procès. Il avait de plus établi une traduction française des textes latins à l’usage d’un public non érudit. Cette édition remplace le premier volume de Quicherat. Malheureusement Champion, qui envisageait une édition semblable du Procès de Réhabilitation, dont il prépara les matériaux, mourut avant d’aboutir1.
Le fait que depuis longtemps les deux ouvrages de Quicherat et de Champion sont introuvables rend déjà fort désirable une nouvelle édition des deux Procès. Mais il n’est pas téméraire d’ajouter que les recherches poursuivies permettent d’envisager aujourd’hui une présentation meilleure et enrichie de cet immense 8dossier. C’est à cette fin que nous avons cru souhaitable et utile la publication de Recherches et Documents qui pourraient mettre en lumière quelques-uns des points obscurs de l’histoire de Jeanne. On répondrait ainsi au souhait de tous ceux qui s’intéressent sérieusement à pénétrer ce mystère
, que ne font que rendre plus indéchiffrable d’incessantes œuvres de vulgarisation, fantaisistes et se disant décisives. Quel prix n’attacherait-on pas à la découverte de tant de documents enfouis dans un silence de cinq siècles, qu’on ne veut pas croire définitif. De récents hasards semblent autoriser des espoirs fondés. Il est certain que maintes archives privées demeurent inexplorées, mal connues de leurs propriétaires eux-mêmes.
Par ailleurs des textes importants sont presque inabordables, enfouis dans les grimoires des notaires des deux Procès, insérés dans les actes, lors de leur citation au cours des séances judiciaires. C’est ainsi que toute l’enquête faite en 1452 par le cardinal d’Estouteville se trouve au milieu des actes du procès de 1456, où on en fit état. Quant à l’enquête faite en 1450 par Guillaume Bouillé sur l’ordre de Charles VII, elle n’a trouvé aucune place dans les dossiers officiels et n’est connue que dans des recueils non officiels.
Il serait fort désirable de posséder une édition mieux ordonnée de ces documents dans une transcription plus exacte.
Dans ce but nous avons précédemment tenté de reconstituer le texte, intéressant entre tous, de la Minute du Procès de Condamnation2. Nous poursuivons en publiant ici le texte de l’Instrument de la Sentence, qui sera suivi de celui de l’Enquête de Guillaume Bouillé, dont nous avons trouvé la rédaction primitive. Nous osons espérer que d’autres découvertes feront connaître des documents dont la trace est depuis longtemps perdue3.
Nous remercions vivement M. Trabut-Cussac, bibliothécaire de l’Institut Français du Royaume-Uni, qui a collationné pour nous le texte de l’Instrument contenu dans le ms. 84 Stowe du British Museum ; et nous prions M. le Professeur P. Tisset, de la Faculté de Droit de Montpellier, d’agréer l’expression de notre respectueuse gratitude pour la précieuse révision de notre texte qu’il a bien voulu soumettre au contrôle le plus compétent.
9L’Instrument des sentences 11Introduction
Après la Minute des Interrogatoires du Procès de Condamnation4, le texte le plus ancien, et juridiquement le plus authentique, est le document que les actes du Procès de Réhabilitation désignent sous le nom d’Instrumentum Sententiae seu Sententiarum [instrument de la sentence ou des sentences], et que nous éditons en ce volume.
Avant de faire grossoyer les actes des procès, les juges ecclésiastiques établissaient un Instrument public, revêtu des attestations des notaires et portant les sceaux des juges, rédigé sous forme de Lettres Patentes, adressées Universis [Christi fidelibus]…
Il était daté du jour même où la sentence était prononcée. Il contenait un sommaire des actes du procès, généralement le texte du réquisitoire ou des articles du promoteur, avec les dépositions des témoins ; enfin les pièces majeures : abjuration ou confession des crimes par l’accusé ; puis texte des sentences fulminées. Cette pièce relativement brève pouvait être établie sur-le-champ et notifiée aux personnages intéressés. Elle était parfois reprise dans l’Instrumentum in forma, qui demandait un travail assez long5.
On sait que cette mise en forme du Procès de Jeanne ne fut rédigée par Thomas de Courcelles, aidé de Guillaume Manchon, que plusieurs années après la mort de Jeanne6.
12Par contre, Cauchon fit établir immédiatement l’Instrument des Sentences, qui porte les dates des 24 et 30 mai 1431.
Rien ne sera omis de ce qui revêtira ce document de solennité et d’authenticité juridique. Il portera les sceaux des juges, ainsi que les attestations des trois notaires, qui y apposeront leurs seings et souscriptions. Il produira les pièces essentielles du procès : les articles formulant les crimes de Jeanne, la (fausse) formule de son abjuration au cimetière de Saint-Ouen (texte français et texte latin) et les deux sentences d’absolution, du 24 mai, et de condamnation et excommunication, du 30 mai. De plus un résumé de toute l’affaire proclamera d’une part la noirceur des crimes de Jeanne et son horrible obstination, et d’autre part la pureté du zèle des juges, et la haute autorité théologique et juridique des conseillers dont on s’est entouré. Non seulement Cauchon et l’inquisiteur n’ont rien poursuivi que l’exaltation et la promotion de la foi catholique
, qu’ils ont servie totis viribus
[de toutes leurs forces] ; mais non moins pur est le zèle de la foi orthodoxe
dont ont brûlé le roi de France et d’Angleterre, ainsi que le duc de Bourgogne, en livrant leur prisonnière à l’inquisition. Sur les avis doctoraux de l’Université de Paris et de nombreux maîtres et évêques, les réponses de Jeanne ont été déclarées hérétiques. Or celle-ci n’a voulu se soumettre ni aux docteurs, ni à l’Église Romaine en la personne du Pape, ni au Concile général. Menacée du bûcher, elle a enfin semblé désavouer ses erreurs et ses crimes. Mais ce n’était que mensonge sacrilège, comme il est aussitôt apparu. Ne voulant donc avoir devant les yeux que le Christ et l’honneur de la foi orthodoxe
, les juges, ayant douloureusement constaté son obstination, l’ont proclamée relapse et excommuniée, la livrant au bras séculier, dont ils implorent la mansuétude.
Cet Instrument a dû être établi en plusieurs exemplaires, comme ce fut fait en d’autres procès de moindre intérêt7, d’autant que pour diffamer Charles VII encore plus que Jeanne, Cauchon prit grand soin de donner à la sentence la plus grande publicité. L’évêque et l’inquisiteur, mal assurés, de la justice de leurs actes, firent tout ce qui était en leur pouvoir pour justifier leur œuvre aux yeux de la Chrétienté. Le procès clos, les juges osèrent lui donner une suite irrégulière. Inquiets des 13rumeurs qui circulaient dans le peuple de Rouen, ils voulurent y mettre un terme par une procédure dont les intentions sont manifestes. On sait quel émoi avait causé jusque chez les Anglais l’extraordinaire piété manifestée par Jeanne sur son bûcher. Le bourreau désespéré se disait damné pour avoir brûlé une sainte8 ; tel des docteurs les plus acharnés contre elle, publiait qu’il souhaitait être un jour au ciel où se trouvait la victime. Les juges réunirent donc précipitamment, le 7 juin, sept des assesseurs qui déposèrent avoir entendu Jeanne dans sa prison, le matin de sa mort, désavouer toutes ses déclarations sur ses voix. Mais, dans leur hâte, ils omirent de convoquer les notaires. Aussi, quand Cauchon leur demanda d’apposer leurs signatures à cette pièce, qu’on appelle l’Information posthume, ils s’y refusèrent. Ce qui n’empêcha pas plus tard Thomas de Courcelles de la faire figurer, après les signatures des notaires, dans les expéditions authentiques du Procès9.
Mais, fait sans doute assez rare dans les annales de l’Inquisition, le lendemain, 8 juin, Cauchon fit signer par Henry VI une longue lettre qui annonçait solennellement à l’empereur et à tous les princes de la chrétienté, la capture, le procès et la condamnation de la Pucelle10.
En même temps il faisait notifier par l’Université de Paris au pape et au Collège des cardinaux le procès et la condamnation de l’hérétique11. Enfin, le 12 juin, Cauchon obtenait de Henry VI, en son Grand Conseil, des lettres de garantie, où le roi promettait de défendre les juges et toutes les personnes ayant participé au procès, contre toute poursuite, d’où qu’elle vînt12.
L’avocat des Darc produisit la lettre de garantie pour établir que tout le procès de condamnation avait été mené par ordre et sous le couvert des Anglais. On sait que, le 8 août, Cauchon publia la condamnation d’un dominicain qui, pris de vin, disait le coupable dans sa confession, avait osé à Rouen critiquer les juges et leur sentence13.
Or, en aucun de ces documents mention n’est faite de l’Instrument, 14dont nulle expédition originale n’a pu être retrouvée. Il en subsistait cependant en 1456, comme il est témoigné aux actes de la Réhabilitation.
En effet, le 12 mai, les juges interrogèrent le notaire du premier procès, Guillaume Manchon, sur la façon dont avait été rédigé cet Instrument. Le lui ayant montré signé de sa main et de celle des autres notaires et reproduisant le texte des XII articles, on lui demanda s’il l’avait bien signé et pourquoi il y avait inséré ces articles et non pas le réquisitoire du promoteur14 ? Manchon répondit :
qu’il avait signé cet Instrument, ainsi que ses compagnons. Quant à ce qui est narré dans la sentence, il s’en rapporte au récit fait par les juges. Pour les articles, il déclara qu’ainsi l’avaient voulu les juges, qui en décidèrent15.
Ainsi les notaires déclinaient-ils toute responsabilité sur le contenu de l’instrument, qu’ils n’avaient fait que notarier.
Les juges, ayant sommé le 4 juin, les deux parties de produire
omnia et singula acta, actita, jura, processus, litteras, instrumenta, documenta et quecumque alia huiusmodi causam tangentia, et de quibus ipse partes in huiusmodi causa se juvare vellent [l’ensemble des actes, plaidoiries, droits, procédures, lettres, instruments, documents et tout autre élément touchant la cause, sur lesquels les parties entendent s’appuyer],
le 5 juin, les héritiers de Cauchon et Jean le Maître, assignés pour défendre la sentence de 1431, faisant toujours défaut, les procureurs de la famille Darc, déposèrent de précieux documents :
- une feuille écrite par Manchon, déclarant que les XII articles contenaient des imputations fausses, qu’ils devaient être corrigés, mais qu’ils furent envoyés à Paris tels quels ;
- un autre texte d’articles, rédigé par le franciscain Jacques de Touraine ;
- toutes les minutes prises par les notaires, lors des séances du premier procès, ainsi que l’Instrument in forma ; et enfin :
- Tenor sententie seu sententiarum contra eamdem Johannam late seu latarum, qui tenor est talis16 [la teneur de la ou des sentences rendues contre Jeanne, dont la teneur est la suivante].
15La tradition des manuscrits
L’Instrument, versé aux mains des juges de 1456, est perdu. Seules des copies, de valeur très inégale, nous sont parvenues :
- dans plusieurs des mss. du Procès de Réhabilitation :
- dans une Relation Sommaire des deux Procès dont nous connaissons aujourd’hui toute une famille de manuscrits, qui témoignent de l’intérêt porté vers la fin du XVe siècle à ce document.
16Le ms. de Bologne
En 1890 Mgr de La Villerabel éditait à Saint-Brieuc, sous le titre : Les Procès de Jehanne la Pucelle, une relation inédite des deux procès, découverte par le père Berthier dans un manuscrit appartenant à la bibliothèque de l’Université de Bologne19. Ce manuscrit avait été légué à celle-ci par le pape Benoît XIV. C’était une relation sommaire des deux procès, intelligemment faite et rédigée en français à l’usage des lecteurs non-clercs.
Après un raccourci de la vie de Jeanne, on y lisait un résumé des actes du procès de 1431 ; puis les dépositions recueillies à Rouen, en 1450, par Guillaume Bouillé, en vue de la révision ordonnée par Charles VII ; trois consultations juridiques présentées par Paul Pontanus, Théodore de Lelli et Pierre Lhermite, établissant l’iniquité de la condamnation ; enfin la sentence de réhabilitation, rendue le 7 juillet 1456, annulant celle de Cauchon.
Cette Relation sommaire se disait extraite d’un
livre vieulx… qui fut donné à Monsieur le cardinal d’Armagnac, ces jours passés, le XXVe jour de mars 1569.
Mgr de La Villerabel se rendit compte que le ms. de Bologne coïncidait avec une relation signalée par de L’Averdy, en 1790, dans les Extraits et Notices des mss. de la bibliothèque du roi, tome III, p. 189-195.
Les mss. de Paulmy et de Rohan-Soubise
L’Averdy, qui ne connaissait pas le ms. de Bologne, avait en effet relevé (p. 196-197) que le marquis de Paulmy possédait une copie faite au XVIIIe siècle d’un texte s’intitulant :
Procès de Jeanne d’Arc, pucelle d’Orléans, tiré d’un ms. donné à M. le cardinal d’Armaignac, le 25 mars 1569.
Ce ms. devait passer avec la bibliothèque du marquis de Paulmy à l’Arsenal, où il se trouve toujours (2148).
Le ms. donné au cardinal d’Armagnac, L’Averdy croyait le 17reconnaître dans un ms. qu’il avait trouvé dans la bibliothèque Rohan-Soubise et qu’il analysa longuement sous le numéro XXIII (p. 189-196). Il était clair que les trois mss. de Bologne, de Paulmy et de Soubise contenaient le même texte. L’Averdy avait par bonheur transcrit de longs passages du ms. de Soubise, qui allait disparaître à la Révolution.
Quicherat dut donc se contenter des transcriptions qu’en avait faites L’Averdy (p. 492-509). Il les reproduisit au tome II de son édition (p. 1-22), et décrivit le ms. au tome V (p. 420).
Or, par un hasard inattendu, le Soubise reparut en 1937, dans la vente de la bibliothèque du duc de Newcastle. Acquis par la ville d’Orléans, pour la somme de 130 livres, il est aujourd’hui conservé dans la bibliothèque de cette ville, sous le n° 167320. Son examen confirme ce qu’en avait dit L’Averdy ; mais celui-ci se trompait en croyant y trouver le ms. offert au cardinal d’Armagnac, qui est en réalité :
Le ms. de Diane de Poitiers
mis en vente à Londres, lui aussi, en 1953, au prix de 5.000 livres.
En 1889, H. Omont et P. Durrieu avaient examiné à Cheltenham, dans la bibliothèque de Sir Thomas Philipps, un ms. à miniatures qu’ils signalèrent dans la Bibliothèque de l’École des Chartes21. Plus attentif aux miniatures qu’au texte, P. Durrieu s’était contenté de cette description sommaire :
[LXXXI] Procès de Jeanne d’Arc (n° 6448), in-4° de 89 feuillets, ayant appartenu à Fleurette d’Armagnac, née le 25 décembre 1553, qui épousa en décembre 1565, à Coppens, Blaise de Villemur, né le 9 septembre 1545.
Sir Philips mort en 1872, H. Omont espérait de voir bientôt revenir en France
de très précieux manuscrits, monuments de toutes les époques de notre histoire
. En fait, le ms. disparut ; et j’eus bien de la peine à le retrouver, en 1950, dans le fonds de la librairie Robinson, à Londres.
Enfin mis en vente en janvier 1953, le catalogue 18en donnait une description détaillée, d’où il appert qu’il est bien le ms. offert en 1569 au cardinal d’Armagnac. Mais sa dédicace établit qu’il fut copié ou rédigé pour Diane de Poitiers, et qu’il doit être daté des environs de 1540. Nous avons en lui l’ancêtre de Soubise, Bologne et Paulmy. Mais loin d’être comme on l’a dit, un texte original, composé pour Diane, en français, il n’est qu’une mauvaise traduction d’un ouvrage latin plus ancien et d’une qualité supérieure, comme nous l’allons voir.
Nous sommes aujourd’hui en mesure de préciser davantage, car nous possédons le texte latin de cette Relation Sommaire des deux Procès, dont la traduction française connut au XVIe siècle une telle faveur.
Le texte primitif latin de la Relation Sommaire des deux Procès
Un manuscrit provenant de la bibliothèque du vicomte de Monteil22, sur lequel nous aurons à revenir, offre, écrite au XVe siècle, une copie destinée, elle aussi, à un grand personnage (car l’emplacement y est réservé pour de grandes miniatures), — de la Relation composée peu après la Réhabilitation de 1456.
Ne comportant pas, et pour cause, la préface grandiloquente du ms. de Diane (réduite dans les mss. de Soubise, Bologne et Paulmy), — notre ms. s’ouvre sur l’Instrumentant Sententiae, qui porte les attestations des trois notaires Manchon, Colles et Taquel. C’est exactement le texte que nous avons trouvé dans le ms. de d’Urfé.
Ceci témoigne que le document juridique publié par Cauchon le 30 mai 1431, était loin d’être oublié au XVe siècle. Il passa en traduction au XVIe siècle dans les mss. que nous avons décrits. Puis il tomba dans l’oubli, perdu dans les énormes mss. de la Réhabilitation ; oubli qui eût pu être définitif, si n’étaient revenus à la lumière les mss. de Bologne, de Soubise et de Diane, et enfin la rédaction primitive en latin. Le fait mérite d’être signalé, parce qu’il montre que, de si importantes découvertes ayant été faites en ces cent dernières années, on peut espérer 19que s’enrichira encore le dossier historique, où nous déplorons tant de lacunes.
Description et critique des Sources manuscrites
Le texte latin de l’Instrumentum des 24 et 30 mai 1431 se trouve donc dans les mss. suivants :
- B. N. lat. 8838, dit de d’Urfé (U), XVe et XVIe siècles, copié deux fois : fol. 96 v°-100, et fol. 243-247 v°. Cette seconde copie, faite d’après le ms. du procès de Saint-Victor, est très mauvaise et lacunaire.
- Brit. Mus. Stowe (S) 84, fol. 98 v°-102 v°, XVe s.
- B. N. lat. 17013, dit de Notre-Dame, XVe s., fol. 154 v°-160 v°. Cette copie est fort défectueuse. Authentiquée par les notaires du Procès de Réhabilitation, elle n’a certainement pas été collationnée par eux.
- B. N. lat. 14665, dit de Saint-Victor, XVe s., fol. 546-551. Copie dérivée du ms. de Notre-Dame.
- B. N. lat. 17012, fol. 199-210 v. Copie du président Bouhier (XVIIe s.), reproduit le ms. de d’Urfé.
- Ms. de la Relation Sommaire (R), bibliothèque privée, XVe s., fol. 1-10 v°.
La traduction française du XVIe s. se trouve dans les mss. suivants :
- Ms. de Diane de Poitiers, Bibl. privée, Londres, fol. 10-20 v°.
- Ms. de Soubise, B. M. d’Orléans, n° 1673, fol. 5-21 v°.
- Ms. de Bologne, n° 1234, édition de La Villerabel, p. 15-44.
- Ms. de l’Arsenal, n° 2148, fol. 13 v°-28 v°.
Or, de ces dix mss., trois seulement méritent d’être retenus :
S’éliminent d’eux-mêmes les mss. de Saint-Victor, de Bouhier et la seconde copie de d’Urfé, qui sont des dérivés.
Des trois mss. notariés, le B. N. lat. 5970 omet l’Instrument ; le ms. de Notre-Dame en donne un texte gravement lacunaire ; 20seul le Stowe est à peu près correct. Nous en relèverons les variantes.
Il se trouve que les deux meilleurs témoins ne sont pas les mss. des notaires, mais l’étrange recueil de d’Urfé et le ms. R de la Relation Sommaire des deux Procès. Ni l’un ni l’autre ne dépendent des mss. notariés ; mais, très voisins, ils copient ou l’original ou une même copie primitive de celui-ci.
Pour ce qui est de U, nous savons qu’il est seul à reproduire une rédaction du procès, que nous avons appelée épiscopale, où le texte de l’Instrument est copié très correctement.
Quant à R, qui n’a pas été collationné par son copiste, il ne compte qu’un petit nombre de fautes. Il ne dérive pas de U, dont il rétablit plusieurs omissions. Il reproduit certainement des documents excellents, et peut-être originaux. Il contient, par exemple, un texte de l’Enquête de G. Bouillé antérieur à tous les autres témoins. De plus, il donne de la Sentence de justification une recension différente de celle des mss. notariés.
C’est donc à ces deux sources qu’il faut donner la préférence.
Quant au ms. de Diane et ses dérivés, la traduction française qu’ils présentent est si infidèle et si inintelligente qu’on ne peut en faire aucun cas23.
21Établissement de notre texte
Nous avons donc établi notre texte sur la première copie de d’Urfé. Malgré les déficiences de R et celles, plus nombreuses, de S (qui n’a pas été relu par les notaires qui l’ont signé), nous donnerons les variantes de ces deux manuscrits.
[Note. — Dans l’édition numérique, nous avons adopté la nouvelle foliotation du manuscrit, après sa réorganisation par Doncœur vers 1957. Voir t. V : Table de concordance (ancienne/nouvelle foliation).]
Pour les documents qui se retrouvent dans l’Instrumentum in forma de Courcelles, nous avons collationné le texte avec le ms. B. N. lat. 5965 (B), le meilleur.
Notre traduction a visé surtout à être fidèle. Parfois, comme les termes juridiques latins trouvent difficilement leur équivalent dans le français moderne et sont trahis par une transposition approximative, nous avons gardé le mot latin, ou nous avons emprunté à la langue française du XVe s. une version qui laisserait transparaître le latin original.
Notes
- [1]
Les papiers laissés par Champion sont conservés à la Bibliothèque de l’Institut, mais non encore classés. Les notes biographiques sont parfois utiles. Mais rien ne demeure de la préparation du texte, sauf ce que lui-même mit en œuvre dans la Notice des manuscrits du Procès de Réhabilitation, petit volume de 32 pages, enrichi de précieuses photographies de ces manuscrits, publié en 1930.
- [2]
La Minute française des Interrogatoires de Jeanne la Pucelle, d’après le réquisitoire de Jean d’Estivet et les manuscrits de d’Urfé et d’Orléans, Paris, 1952.
- [3]
Nous aurons souvent à citer les ouvrages de Quicherat et de Champion. Le sigle Ch renverra au premier volume du Procès de Condamnation de Champion ; le sigle Q aux volumes de Quicherat.
- [4]
Que nous avons tenté de reconstituer, d’après le Libellus du promoteur Jean d’Estivet et les mss. de d’Urfé et d’Orléans.
- [5]
Ainsi trouve-t-on l’instrument de la Sentence inséré dans le Registre du procès de Gilles de Rais (A. D. de Loire-Inférieure, E 189).
- [6]
Peut-être, en 1435, selon l’estimation du P. Denifle. Courcelles n’y inséra pas l’Instrumentum Sententiae dont il reproduisit librement le début.
- [7]
Ainsi pour la condamnation de Pierre Tesson en 1331 par l’évêque de Paris. (Archives Nationales J 440 n° 24 bis.)
- [8]
Au témoignage deux fois renouvelé de fr. Isambart et de fr. M. Ladvenu. Q II, 7, 352.
- [9]
Ch 395.
- [10]
Ch 402-408.
- [11]
Ch 410.
- [12]
Q III 240.
- [13]
Ch 408.
- [14]
Il arrive ainsi que le réquisitoire soit transcrit dans l’Instrument. On le trouve, par exemple, dans celui de Gilles de Rais.
- [15]
Q III 145.
- [16]
Voir Q III, 231 et 377.
- [17]
Nous aurons à discuter ailleurs cette désignation. Il serait plus juste de l’appeler
épiscopale
, puisqu’elle est formulée au nom des évêques, tandis que la rédaction dite définitive est rédigée au nom des notaires. - [18]
Quicherat ne semble pas s’être arrêté beaucoup à cette question. Il n’a sans doute connu l’Instrument des sentences que tardivement dans ce qu’il appelle la
Rédaction primitive
du Procès de Réhabilitation, insérée dans le ms. d’Urfé. C’est peut-être la raison pour laquelle, au lieu de l’éditer à sa place normale, en tête de son premier volume, il ne le produisit qu’au cours du troisième, perdu dans les extraits qu’il donne de laRédaction primitive
, sans attirer l’attention sur cette pièce capitale (Q III, 377-387). D’ailleurs, transcrivant le texte du ms. d’Urfé (en l’allégeant des pièces déjà produites dans son premier volume), Quicherat ne signale pas que l’Instrument se retrouve une seconde fois dans ce même ms. (fol. 243-247 v.). Il omet de même les copies de Stowe, de Saint-Victor et du président Bouhier, ne mentionnant que la copie du ms. de Notre-Dame (Q III, 377 note), transcription très mauvaise, quoique signée par les notaires le Comte et Ferrebouc, dont on sait d’ailleurs les inconcevables négligences professionnelles. Dans la brève notice qu’il lui consacre dans son Ve volume (p. 410), Quicherat observe que de cette piècen’a parlé encore aucun auteur
, ajoutant qu’il est singulier que l’existence d’aucun exemplaire n’ait été signalée jusqu’ici
.Quant à Pierre Champion, on s’étonne qu’il n’ait pas inséré l’Instrument en tête de son Procès, puisqu’il en savait l’existence dans le ms. d’Urfé (du moins dans sa première transcription), et qu’il ne manqua pas d’en souligner l’importance. Ayant, en effet, constaté que Thomas de Courcelles ne rédigea que tardivement l’Instrument in forma,
sans doute, observait-il, les juges partiaux de Jeanne estimaient que l’Instrument de la Sentence suffisait pour l’édification de tous
. Autant dire qu’ils le destinaient à une vaste publicité (ch. I, p. IX et XXII). On comprend mal que Champion ait aussi négligé de signaler l’Instrument dans ses Notices, lorsqu’il décrivit pièce après pièce les mss. de Stowe, p. 15, et d’Urfé, p. 29. - [19]
N° 1234.
- [20]
Ce ms. a passé dans d’innombrables mains avant de porter la mention de Bibliothecae Subisianae. Il fut vendu à Paris en janvier 1789 ; puis revendu à Londres en 1791, et entra au château de Clumber.
- [21]
Tome L, année 1889, p. 68, 180, 381, sqq.
- [22]
Jacques-André du Pille, vicomte de Monteil, mort le 17 mai 1740.
- [23]
Dès la première ligne de l’Instrument la manière du traducteur se révèle :
Universis Christi fidelibus… [à tous les fidèles du Christ] devient : A tous vrays fidelles et chevaliers de la foi catholique…
Les plus grossiers contre-sens y abondent :
Quamdam… mulierem… intra limites diocesis ac jurisdictionis nostre episcopi predicti, per inclitos militares viros capi… [qu’une certaine femme, capturée par d’éminents chevaliers, dans les limites du diocèse et de la juridiction de notre dit évêque] devient : les vaillants et illustres chevaliers dudict évêque de Beauvais…
Plus loin, la première ligne de la lettre de l’Université de Paris au pape :
Beatissime Pater ! Ne pseudoprophetarum et reproborum hominum pestiferi conatus… [Très Saint Père ! Afin que les tentatives pernicieuses des faux prophètes et des hommes réprouvés…] est traduite : Père très saint, prophète des prophètes et souverain dominateur des bons et des mauvais…
On n’ose insister. Ces exemples suffisent à montrer que la série
Diane
et tous ses dérivés, n’offre aucun intérêt, sinon celui de témoigner qu’au XVIe siècle on conservait religieusement le souvenir de Jeanne, au point de lui consacrer les plus somptueux manuscrits, offerts aux personnages princiers. Il est par contre étrange que l’on ne connaisse aucune édition imprimée de la Relation dédiée à Diane.