T. III : Enquête (Texte latin / français)
31L’enquête de 1450
323320v [Sequuntur]1 nomina, cognomina et depositiones testium, per me Guillermum Bouillé1, sacre theologie professorem, vigore commissionis regie michi super hec facte, anno et diebus infrascriptis, juratorum et examinatorum, vocato et présente ad hoc discreto viro domino [Socio]2 Votes2, presbitero, apostolica et imperiali auctoritatibus ac curie archiepiscopalis Rothomagensis jurato notario, super nonnullis articulis, tangentibus processum Johanne, quondam dicte la Pucelle, dudum in civitate Rothomagensi, dum per Anglicos occuparetur, cremate, in ipsa commissione declaratis ; cujus commissionis tenor talis est : Suivent les noms, surnoms et dépositions des témoins jurés et examinés en l’an et au jour ci-dessous, par moi Guillaume Bouillé, professeur de sacrée théologie, en vertu de la commission royale qui m’en a été faite ; discrète personne, messire Compaing Votes, prêtre, notaire juré par les autorités apostolique et impériale, et de la cour-archiépiscopale de Rouen, à ce appelé et présent ; au sujet de certains articles mentionnés dans cette commission, touchant le procès de feue Jeanne, dite la Pucelle, naguère brûlée dans la ville de Rouen, alors occupée par les Anglais.
Charles, par la grace de Dieu roy de France, a nostre amé et féal conseiller, maistre Guillaume Bouille, docteur en theologie, salut et dilection. [Suit la teneur de cette commission.]
Comme ja pieça3 Jehanne la Pucelle eust esté prinse et apprehendee par nos anciens ennemys et adversaires les Angloys, et amenee en ceste ville de Rouen, contre laquelle ilz eussent fait faire certain tel quel procés par certaines personnes a ce commis et députez de par eulx ; en faisant lequel procès, ilz eussent et ayent fait et commis plusieurs faultes et abuz ; et tellement que, moyennant iceluy procès et la grant hayne que nosdiz ennemys avoient contre elle, ilz la firent iniquement et contre raison très cruellement mectre a mort. Et pour ce que nous voulons sçavoir la verité dudit procès et la maniere comme y a esté procedé, vous mandons, commandons et expressement enjoignons que vous vous enquerez et informez bien4 diligemment de et sur ce que dist est. Et l’information par vous sur ce [faicte]5, apportez ou envoyez feablement6 close et sellee, par devers nous et les gens de nostre grant Conseil. Et avec ce, tous seulx que sçaurez qui auront aucunes escriptures, procés7 ou aultre choses touchant la matiere, 3435contraignez les par toutes voyes deuez et que verrez estre a faire, 21 a les vous bailler, pour les nous apporter ou envoyer, pour pourvoier8 sur ce ainsy que verrons estre a faire et qu’il appartindra par raison ; de ce faire vous donnons povoir, commission et mandement espicial par ces presentes, mandons et commandons a tous noz justiciers, officiers et subgectz que a vous et a voz commis et députez en ce faisant obéissent et entendent diligemment.
Donné a Rouen, le XVe jour de février, l’an de grâce mil CCCC quarante neuf, et de nostre regne le XXVIIIe9.
Sic signum, par le roy a la relation du grant Conseil
Daniel
I. Frère Ysambart
I I
Venerabilis et religiosus vir, frater Ysambardus de Petra3, ordinis sancti Augustini, conventus Rothomagensis, presbiter, juratus et examinatus, anno domini millesimo CCCCmo XLIXo, die quinta marcii ; Vénérable et religieuse personne Frère Ysambart de la Pierre, de l’ordre des frères prêcheurs du couvent de Rouen, prêtre, juré et examiné le cinquième jour de mars, l’an du Seigneur MCCCCL (N. S.).
dicit quod, cum quadam vice, ipso loquente presente, ac multis aliis presentibus, induceretur et sollicitaretur predicta Johanna de submittendo se Ecclesie, respondit quod libenter submitteret se Romano Pontifici ; et quod ipsa duceretur ad ipsum ; et quod nullo modo submitteret se illis presentibus, qui ejus processum tractabant ; quia, ut dicebat frequenter, ipsi erant ejus adversarii ; et tunc, cum [predictus]10 frater Ysambardus induceret eam quod se submitteret consilio Basiliensi, quod pro tunc [celebrabatur]114, ipsa petiit quid erat illud consilium generale.
Dit que, certaine fois, en sa présence et en celle de nombreuses autres personnes, Jeanne, exhortée et sollicitée de se soumettre à l’Église, répondit : que volontiers elle se soumettrait au Pontife romain ; requérant qu’elle fût menée vers lui ; mais qu’en aucune façon elle ne se soumettrait aux personnes présentes, qui menaient son procès ; parce que, comme elle répétait souvent, ils étaient ses ennemis. Ledit frère Ysambart lui conseillant de se soumettre au Concile de Bâle, qui se tenait alors, elle demanda ce que c’était que ce Concile général.
Respondit ipse loquens quod erat congregatio universalis et tocius Ecclesie, ymo etiam Christianitatis, et quod ibidem erant multi tam de sua obedientia quam de parte Anglicorum. Quibus auditis, ipsa Johanna dixit : O ! sunt ibi aliqui de parte nostra.
Et tunc, cum ipse loquens sibi dixisset quod sic, illa statim respondit quod bene volebat se submittere dicto consilio5. Et illico, cum indignatione [et] austeritate episcopus Belvacensis prorupit 3637in hec verba contra ipsum loquentem : Taceatis ex parte dyaboli !
Celui qui parle lui répondit que c’était une assemblée universelle de toute l’Église et même de la Chrétienté, et qu’en ce Concile il y avait nombre d’hommes aussi bien de son parti que du parti des Anglais. Entendant cela, Jeanne déclara : Oh : Il y a là des gens de notre parti ? Celui qui parle lui ayant dit que oui. Elle répondit sur le champ qu’elle voulait bien se soumettre à ce Concile. Mais aussitôt, l’évêque de Beauvais, plein de dépit et furieux, cria à celui qui parle : Taisez-vous, de par le Diable !
Et idem episcopus statim precepit notario ne hoc scriberet, videlicet summis-21v-sionem illam, quam ipsa fecerat consilio generali. Unde, propter predicta et alia multa, ipse loquens perpessus est ab Anglicis et officiariis eorum graves comminationes, nisi de cetero taceret, quod subjungeretur et jaceretur in Secana.
Et le même évêque enjoignit aussitôt au notaire de ne pas consigner la soumission qu’elle avait faite au Concile général. En raison de quoi, et pour d’autres motifs encore, celui qui parle souffrit, de par les Anglais et leurs officiers, de graves menaces d’être noyé et jeté à la Seine, s’il ne se taisait pas désormais.
Item, quod idem loquens dixit quod, post abjurationem et resumptionem [virilis]12 habitus, cum multis aliis presens fuit, quod se excusabat predicta Johanna de resumptione ipsius habitus ; quia in habitu muliebri, prout dicebat et publice asserebat, fuerant sibi illata multa gravamina et multe violentie in carcere facte ; et quod, in conspectu illo, quando fuit adducta, habebat vultum valde lugubrem et luctuosum, seu lacrimis valde compressum, ita quod ipse loquens mirabiliter sibi compatiebatur6. Item, il dit que, après qu’elle eut abjuré et repris l’habit d’homme, lui et plusieurs autres étaient présents, quand Jeanne se disculpa d’avoir repris habit d’homme. Elle disait et déclarait publiquement que, lorsqu’elle était en habit de femme, on lui avait fait bien des outrages et des violences en sa prison. Et en effet, quand elle fut amenée devant eux en séance, son visage était tellement plein d’effroi, de douleur et couvert de larmes, que celui qui parle en eut extrême compassion.
Item, quod, in eodem conspectu seu instântia, in qua reputata fuit relapsa, publice dixit : Si vos ecclesiastici me ad vestros carceres deduxissetis, seu custodissetis, forte non michi sic esset seu contigisset.
Item, il dépose que dans cette même séance, où elle fut déclarée relapse, elle protesta publiquement en disant : Si vous, hommes d’Église, m’aviez menée et gardée dans vos prisons, cela sans doute ne me serait pas arrivé.
Item, quod idem dicit quod, post exitum illius instantie seu sessionis, predictus episcopus dicit Anglicis extra exspectantibus, cum magna exultatione et gaudii apparentia : [Farouelle ! Farouelle !]13 faictes bonne chiere ! Il en est fait !
Item, il dit qu’à l’issue de cette session, ledit évêque déclara aux Anglais qui attendaient dehors : Farouelle, Farouelle, faictes bon visage ! Il en est fait.
Item, dixit idem testis quod ipsi Johanne fiebant nimis difficilia, ymo etiam captiosa, interrogatoria ; ita etiam, ut dicit, quod multi etiam litterati viri ibidem presentes vix ad illa interrogatoria respondere scivissent. Unde de hoc multi ibidem assistentes murmurabant. Item, le même témoin déclare qu’on posait à Jeanne des questions trop difficiles et même captieuses. Et que même bien des hommes instruits, qui étaient là présents, auraient à peine pu leur répondre. Tellement que beaucoup des assistants murmurèrent.
Item, quod idem testis dicit quod in propria persona ivit ad dominum quondam episcopum Abrincensem7, valde senem et probum, qui sicut alii erat requisitus de tradendo super hoc suam determinationem. Qui quidem episcopus interrogavit predictum testem quid de facto submittendi se Ecclesie determina-22-bat sanctus Thomas. Item, le même témoin dit qu’en personne il alla trouver feu mon seigneur l’évêque d’Avranches, homme très âgé et sage, qui avait été requis comme d’autres, de donner son avis sur ce cas. Cet évêque demanda alors au témoin ce que saint Thomas enseignait sur la soumission qu’on doit faire à l’Église. Quod idem loquens ipsi episcopo tradidit in scriptis determinationem ejusdem doctoris, videlicet quod : in dubiis fidem tangentibus, semper recurrendum est ad Summum Pontificem, vel consilium generale. Et idem bonus episcopus fuit in ejus determinatione ejusdem sententie. De qua sententia, seu determinatione visus est male contentari ipse episcopus. Nec fuit ista determinatio in scriptis posita, [quod]14 videtur ex malicia fuisse factum. Celui qui parle donna par écrit à l’évêque la décision de saint Thomas ; savoir que, dans les questions douteuses touchant la foi, il fallait toujours recourir au Souverain Pontife ou au Concile général. Et le bon évêque fut de ce même avis. Et cet évêque (Cauchon) se montra mécontent de cette réponse. Cet avis ne fut pas transcrit au dossier, ce qui semble avoir été fait perfidement.
Item, idem loquens dicit quod, post confessionem [sacramentalem]15 et eucharistie perceptionem, fuit postea lata contra eam sentencia, et heretica atque excommunicata declarata. Item, celui qui parle dit qu’après qu’elle eut reçu les sacrements de pénitence et d’Eucharistie, fut fulminée contre elle la condamnation qui la déclarait hérétique et excommuniée.
3839Item, ut dicit, bene vidit et clarissime [percepit]16, quia in toto cursu suo ac fine ejusdem Johanne fuit semper eidem propinquus presens et assistons, sed nullatenus per judicem secularem8 morti seu incendio condempnata fuit, licet judex secularis ibidem, in loco in quo fuit novissime predicata et judicio seculari derelicta, presens et sedens in uno ambone seu escalfaldo esset, sed, sine sententia et judicio, fuit tortori tradita et cremationi [exposita]17 ; dicendo dumtaxat tortori, sine alia sentencia : Fay ton debvoir.
Item, il dit qu’il a bien vu et très clairement constaté, ayant été présent tout près d’elle tout au long du procès jusqu’à la mort de Jeanne, que le juge laïque ne prononça aucune condamnation à mort ou au bûcher. Or, ce juge était présent et siégeait sur un ambon ou échafaud au lieu même où finalement Jeanne fut prêchée et abandonnée au juge laïque. Or, sans jugement ni sentence, elle fut livrée au bourreau et vouée au feu, [le juge] disant au bourreau sans autre sentence : Fay ton debvoir.
Item, dicit idem loquens quod ipsa Johanna in extremis tantam [tamque mirabilem]18 contrictionem habuit et in verba adeo catholica et devota prorupit quod omnes, ibidem magna multitudine existentes, ad lacrimas, etiam cardinalem Anglie et alios Anglicos multos provocavit et compulit. Dixitque quod eadem Johanna peciit ab eodem loquente [juxta]19 ipsam continue in extremis existente, et supplicavit humiliter quod ipse iret ad ecclesiam juxta existentem et apportaret crucem, eamque usque ad transitum erectam sursum teneret coram ea, seu ante oculos ejus, ut ipsa eandem crucem semper et continue videre posset. Item, celui qui parle déclare que Jeanne, à ses derniers moments, témoigna d’une si grande et si étonnante contrition et se répandit en paroles si pieuses et catholiques qu’elle fit pleurer l’immense foule présente et même le Cardinal d’Angleterre, et beaucoup d’autres Anglais. Il dit de plus, que, présent jusqu’à sa mort auprès d’elle, Jeanne le supplia humblement d’aller à l’église voisine et de lui apporter la croix, et qu’il la tint jusqu’à sa mort dressée devant elle, devant ses yeux, en sorte qu’elle put toujours et sans cesse la voir.
22v Item, ulterius dicit quod in flammis ipsa existens nunquam cessavit Jesus Christus
, sanctum nomen alta voce personare ac confiteri ; necnon auxilium sanctorum et sanctarum devotissime implorare ; ymo etiam expirando et caput inclinando, protulit nomen Jesus, in signum [ferventissime]20 fidei qua fervebat, sicut de sancto Ignatio et multis sanctis martiribus legimus.
Item, il dit en outre qu’au milieu des flammes, elle ne cessa d’invoquer à haute voix, le saint nom de Jésus Christ et d’implorer très pieusement le secours des saints et des saintes. Et même qu’en expirant et inclinant la tête, elle proféra le nom de Jésus, signe de la grande ferveur de la foi dont elle brûlait, comme il est rapporté de saint Ignace et de nombreux saints martyrs.
Item, ulterius dicit quod tortor venit statim post incendium ad ipsum loquentem et suum socium, fratrem Martinum Lavenu, mirabili et terribili penitencia ductus, quasi desperans de impetranda indulgencia apud Deum, de eo quod tam sancte mulieri, prout dicebat, fecerat. Asseruitque idem tortor quod, non obstante multa et frequenti oppositione [lignorum]219 et carbonum circa intestina et cor ipsius Johanne, nullo modo tamen poterat cor ejus consumere vel incinerare. Unde ita stupebat, quasi esset evidens miraculum. Item, il dit en outre, qu’aussitôt après qu’elle fut brûlée, le bourreau accourut vers celui qui parle, et frère Martin Lavenu, son compagnon, poussé par un remords extrême et terrible, comme désespérant de recevoir de Dieu son pardon, pour en avoir agi de la sorte avec une femme si sainte, disait-il. Le bourreau affirmait encore que, bien qu’il eût amoncelé, à plusieurs reprises, les fagots et les charbons, sur les entrailles et le cœur de Jeanne, il n’avait jamais pu consumer ni réduire en cendres ce cœur ; il en était stupéfait comme d’un évident miracle.
II. Frère Toutmouillé
II II
22v Venerabilis et religiosus vir, frater Johannes Toutmouillé10, ordinis predicatorum, sacre theologie egregius professor, de conventu sancti Jacobi Rothomagensis prefati ordinis, juratus et examinatus, dicta die quinta die marcii, etatis XLII annorum, vel circa. Vénérable et religieuse personne, frère Jean Toutmouillé, de l’ordre des Prêcheurs, illustre professeur de sacrée théologie, du couvent de Saint-Jacques de Rouen de ce même ordre, juré et examiné, ce cinquième jour de mars, à l’âge de quarante-deux ans ou environ.
4041Et primo de affectione judicum et eorum qui causam seu processum ipsius Johanne tractaverunt, deponit quod, quia in processu vel sessionibus nunquam astitit vel fuit presens, ideoque de visu non posset deponere, sed tamen dicit quod fama communis et publica fuit quod, appetitu vindicte [perverse]22 movebantur. Et hujus signum dat, quia, ante mortem predicte Johanne, instituerant Anglici ponere Locoveris11 obsidionem ; sed statim [propositum]23 mutaverunt, cogitantes et dicentes quod nullam obsidionem ponerent, donec ipsa exterminata esset. Unde ad hujus evidentem probationem 23 facit quod, statim post ejusdem Johanne combustionem, iverunt, et ante Locoveris obsidionem posuerunt, estimantes quod, ea vivente, nun quam in rebus bellicis prosperitatem haberent. Et premièrement, des sentiments des juges et de ceux qui menèrent la cause ou le procès de Jeanne, il dépose que, n’ayant jamais assisté aux séances de ce procès, il n’en peut parler de visu. Il dit cependant qu’il était de commune et publique renommée, qu’ils avaient agi par esprit de vengeance. Il donne en preuve ce fait, qu’avant la mort de Jeanne, les Anglais avaient décidé d’assiéger Louviers. Mais tout à coup, ils y renoncèrent, convaincus et répétant qu’ils ne mettraient pas le siège avant que Jeanne fût brûlée. Et ce qui le prouve à l’évidence, c’est qu’aussitôt la mort de Jeanne, ils allèrent mettre le siège devant Louviers, convaincus que, tant qu’elle vivrait, ils n’auraient aucun succès à la guerre.
Item, quod idem loquens dicit quod, illa die qua sepedicta Johanna fuit judicio seculari derelicta et incendio tradita, de mane fuit in carcere presens cum fratre Martino Lavenu, qui ab episcopo Belvacense mittebatur ad eam, ut mortem proximam sibi denunciaret, et ut ad veram pacientiam ipsam induceret, et illam de confessione audiret ; que omnia predictus Martinus multum sollicite et caritative fecit.
Item, celui qui parle dit que, le jour même où Jeanne fut abandonnée au juge laïque et au bûcher, il avait, le matin, accompagné frère Martin Lavenu, envoyé vers elle par l’évêque de Beauvais, pour lui annoncer sa mort prochaine, l’amener à une vraie résignation et entendre sa confession. Ledit Martin accomplit tout cela avec soin et charité.
Et cum eidem Johanne annunciaret quod opportebat eam, propter suum relapsum, per ignem et incendium illa die mori, et quod ita judices sui ordinaverant, audita24 terribili morte que sibi [inminebat]25, multum dolenter clamose et lacrimabiliter atque cum omni gestu intensissimi doloris cepit dicere : Heu ! quomodo sic mecum crudeliter agitur, ut corpus meum, quod integrum et nunquam corruptionem expertum est, igne comburatur ! Eligerem enim potius, si fieri posset, septies capite truncari quam igne cremari.
Ayant annoncé à Jeanne que, en raison de son relaps, il lui fallait mourir par le feu du bûcher, ce jour même, qu’ainsi en avaient décidé ses juges, à l’annonce de la terrible mort qui l’attendait, elle poussa des cris de douleur et pleurant, en exprimant une immense douleur, elle se mit à dire : Hélas ! comment peut-on me traiter si cruellement, que mon corps vierge qui n’a jamais été violé, soit brûlé au feu. J’aimerais mieux, s’il était possible, être sept fois décapitée plutôt que d’être brûlée ainsi !
Item, intulit et adjecit, ut idem loquens dicit, quod conquerebatur, dicens : Si fuissem in custodia Ecclesie, cui me submiseram, et per viros ecclesiasticos custodita, et non per viros armorum et adversarios, nunquam sic michi contigisset. Et de hoc coram Deo Summo judice [de]26 tantis gravaminibus appello.
Ledit témoin ajoute qu’elle se lamentait en disant : Si j’avais été en prison d’Église à qui je m’étais soumise, et si j’avais été gardée par des hommes d’Église et non par des hommes d’armes, mes ennemis, cela ne me serait jamais arrivé. J’en appelle devant Dieu, le juge souverain, pour de tels tourments dont on m’accable !
Unde mirabiliter ipsa ibidem conquesta est, prout loquens dicit, de oppressionibus et violentiis sibi in eodem carcere a tempore sue revocationis, per custodes et alios per ipsos ad eam introductos, illatis et factis seu intemptatis.
Elle se plaignit alors vivement des tourments et violences qui lui avaient été faites ou qui avaient été tentées sur elle, dans cette prison, depuis son abjuration, par les gardes ou d’autres hommes introduits auprès d’elle par ceux-ci.
Et post hec supervenit prefatus Belvacensis episcopus judex, cui ipsa statim dixit : O episcope, per vos ego morior !
Et cum ille intulisset : O Johanna, non habebatis pacientiam ; hoc est in causa, quia non tenuistis quod promisistis et relapsa estis.
Cui statim ipsa respondit : 23v Heu, si me posuissetis in carceribus [ecclesie]27 et custodibus 4243ecclesiasticis et competentibus, non sic michi accidisset. Ideo coram Deo de vobis appello.
Enfin, survint l’évêque de Beauvais, son juge, auquel elle dit aussitôt : Évêque, je meurs par vous. A quoi, celui-ci répondit : O Jeanne, vous ne vous soumettiez pas. Cela vous arrive parce que vous n’avez pas tenu votre promesse et que vous êtes relapse. À quoi elle répliqua : Hélas, si vous m’aviez mise en prison d’Église et confiée à des gardiens d’Église, comme il convient, cela ne me serait pas arrivé. C’est pourquoi j’en appelle de vous à Dieu !
Quibus peractis, idem loquens ab eo loco exivit et nichil ulterius audivit12.
Après quoi, le déposant quitta ce lieu et n’entendit plus rien.
III. Frère Lavenu
III III
Religiosus et honestus vir, frater Martinus Lavenu13, ejusdem ordinis fratrum predicatorum, et prefati conventus sancti Jacobi Rothomagensis, qui ejusdem Johanne specialis confessor et director in extremis extitit, fuit interrogatus, predictis die et anno, super certis punctis, ut prius. Religieuse et vénérable personne frère Martin Lavenu, du même ordre des Frères prêcheurs et dudit couvent de saint Jacques de Rouen, qui fut spécial confesseur et directeur de Jeanne en ses derniers jours, fut interrogé aux jour et année susdits sur certains points, comme dessus.
Et primo, super inordinata affectione tractantium causam et pro cessum ipsius Johanne dicit quod, judicio suo, fuerunt multi qui, potius amore Anglicorum et favore quem habebant ad illos, in dicto processu se gerebant et movebantur, quam zelo justifie aut fidei. Et maxime de domino Petro Cauchon, pro tunc Belvacense episcopo, de cujus [inordinato]28 affectu idem loquens duo signa allegat : Tout d’abord à propos des sentiments pervers de ceux qui menèrent la cause et le procès de Jeanne, il est d’avis que beaucoup se conduisaient durant ce procès mus bien plus par amitié et attachement aux Anglais, que par zèle de la justice et de la Foi. Principalement, de mon seigneur Pierre Cauchon, pour lors évêque de Beauvais, celui qui parle donne deux preuves de ses sentiments pervers : primum est, quia, cum idem episcopus se gereret pro judice, tradidit eam custodiendam in carceribus secularibus et inter manus suorum capitalium adversariorum ; et, cum potuisset precipere quod ecclesiasticis carce ribus poneretur, et prohibere ne in secularibus detineretur, hoc tamen ab inicio processus usque ad ejus consommationem permisit ; Premièrement, cet évêque agissant comme juge, livra Jeanne à la garde des prisons laïques, entre les mains de ses ennemis mortels. Or, tandis qu’il aurait pu décider qu’elle serait gardée en prisons ecclésiastiques et s’opposer à ce qu’elle soit détenue en prisons laïques, du commencement du procès jusqu’à sa consommation, il le toléra. ymo idem loquens asserit et reffert quod in prima cessione seu instantia, eodem presente et audiente, fuit per prefatum episcopum ab assistentibus consilium requisitum, in quibus carceribus melius et decentius esset quod poneretur. Fuit autem, ut sibi videtur, nemine contradicente, ab omnibus conclusum et dictum quod melius erat et decentius quod in ecclesiasticis carceribus custodiretur quam in aliis14. Bien plus, le déposant affirme et rapporte que, présent en la première session ou instance, il entendit l’évêque demander aux assistants conseil sur les prisons où il convenait le mieux qu’elle fût gardée. Or, tous, sans que nul, lui semble-t-il, s’y opposât, déclarèrent qu’il était préférable et plus convenable qu’elle fût gardée en prisons ecclésiastiques plutôt qu’en autres. Tunc episcopus intulit quod hoc non faceret, quia displiceret Anglicis. Sur quoi l’évêque répliqua qu’il ne ferait pas ainsi, parce que cela déplairait aux Anglais.
Secundum autem signum ad idem propositum tradit quod, illa die in qua pro relapsa ab episcopo prefato et aliis multis judica-24-batur, propterea quia in carceribus habitum virilem resumpsisse invenerant, idem episcopus exiens prefatos carceres et videns comitem de [Warwick]2915 et Anglicos multos, illum circunstantes, cum applausu et magna exultatione, alta voce et intelligibili dixit : [Farouelle !].30 Il en est fait, vel equipolencia verba. Secondement, il apporte comme seconde preuve à ce même propos que, le jour où elle fut déclarée relapse par l’évêque susdit et beaucoup d’autres, parce qu’ils l’avaient trouvée dans sa prison, de nouveau revêtue de l’habit d’homme, cet évêque sortant de la prison, et voyant le comte de Warwick entouré de beau coup d’Anglais, déclara à voix haute et claire, au milieu des applaudissements et de l’exultation générale : Farouelle ! il en est fait. Ou semblables paroles.
Item, dicit quod eidem Johanne fiebant interrogatoria nimis dificilia et valde captiosa ; et hoc, ejusdem loquentis judicio, ad ipsam capiendum in verbis, que prout ipse bene scit, valde simplex mulier erat, ut pene solum sciens suum Pater noster, Ave Maria et Credo16. Item, il déclare que l’on posait à Jeanne des questions trop difficiles et très captieuses. A son avis, c’était pour la prendre au piège dans ses réponses ; car il sait bien que c’était une femme très simple et ne sachant guère que son Pater, Ave Maria et Credo.
4445Item, idem loquens asserit quod sepedicta Johanna eidem revelavit [quod]31 in carcere illo, post suam [abjurationem]32 fuit violenter multum infestata et oppressione et ejus corruptione etiam a quodam magnate Anglicorum ; et publice dicebat quod illa causa fuerat quare mota fuerat ad resumendum habitum virilem. Unde, prout ipse loquens asserit, prefata Johanna circa finem vite dicit sepedicto episcopo : Ecce, per vos [morior]33 ; quia, si me in ecclesiasticis carceribus posuissetis et ab ecclesiasticis viris fuissem custodita, et non ab Anglicis meis adversariis, non sic michi accidisset.
Item, le déposant affirme que Jeanne lui avait avoué que dans cette prison après son abjuration, elle fut assaillie très violemment par un grand seigneur anglais qui la voulait forcer et violer. Elle déclara publiquement que c’est pour cette raison qu’elle fut pressée de reprendre habit d’homme. Aussi comme l’affirme le déposant, Jeanne, au moment de mourir, dit à l’évêque : C’est par vous que je meurs. Car si vous m’aviez mise en prison d’Église et si j’avais été gardée par hommes d’Église et non par les Anglais, mes ennemis, cela ne me serait pas arrivé.
Item, dicit idem loquens quod, quando fuit ipsa Johanna in Veteri Foro ultimate predicata et judicio seculari derelicta, quamvis in quodam ambone essent sedentes judices seculares, nichilominus non fuit per illos vel aliquem eorum judicata, seu ad mortem condempnata, sed absque sentencia per duos clientes de escafaldo descendere coacta, et usque ad locum incendii deducta ; et per eosdem tortori tradita. Unde, in signum hujus, quodam tempore post, [quidam]34 dictus Georgius Folenfant in causa fidei et crimine heresis deprehensus, fuit similiter derelictus judicio [seculari]35. Unde judices fidei, videlicet dominus Ludovicus de Luxemburgo, archiepiscopus 24v Rothomagensis, et frater Guillermus de Valle, magister et vicarius Inquisitoris, miserunt predictum fratrum Martinum ad ballivum ville Rothomagensis, advisando eum quod non fieret de dicto Georgio, sicut factum fuerat dudum de Johanna sepedicta, que absque sententia et finali aut diffinitivo judicio transierat, et igni tradita fuerat17. Item, le déposant déclare que, lorsque Jeanne fut finalement prêchée au Vieux-Marché et finalement abandonnée aux juges laïques, ces juges laïques, qui siégeaient sur un échafaud, ne prononcèrent et nul d’entre eux ne prononça contre elle jugement ni condamnation à mort. Mais, sans prononcer de sentence, elle fut par deux sergents contrainte de descendre de l’échafaud et menée au bûcher, où ils la livrèrent au bourreau. En preuve de quoi il rapporte que, quelque temps après, un certain Georges Folenfant, impliqué en matière de foi, pour crime d’hérésie, fut de même abandonné au juge [laïque]. Les juges de la foi, savoir messire Louis de Luxembourg, archevêque de Rouen, et frère Guillaume Duval, maître et vicaire de l’inquisiteur, envoyèrent ledit frère Martin au bailli de Rouen, pour l’avertir qu’il n’en soit pas fait dudit Georges comme il avait été fait naguère de Jeanne, qui mourut et fut livrée au feu sans sentence ni jugement final ou définitif.
Item, asserit quod tortor, post incendium, horaque quasi quarta, post prandium, dicebat quod nunquam in executione alicujus tantum timuerat, sicut in crematione ipsius Johanne, propter varias causas. Primo propter magnam et celebrem famam ejusdem Johanne. Item propter crudelem et [inconsuetum]36 modum eam affigendi ; quia videlicet [fecerunt]37 fieri Anglici unum escafaldum de plastro ; et, ut dicebat, ipse tortor non poterat commode eam expedire18, neque ad eam actingere. Unde super morte ipsius Johanne et crudeli forma moriendi, supra modum dolebat et compaciebatur. Item, il affirme que le bourreau, après le supplice, environ vers la quatrième heure, après le dîner, déclara que jamais il n’avait tant redouté de supplicier quelqu’un, comme dans le supplice de Jeanne. Cela pour bien des raisons : d’abord pour le grand et fameux renom de Jeanne, puis en raison de la façon cruelle et inaccoutumée de l’attacher. En effet, les Anglais avaient fait faire un échafaud de plâtre, en sorte que le bourreau disait n’avoir pas pu facilement la faire mourir ni l’atteindre. Aussi sa douleur et sa compassion étaient-elles extrêmes, vu la mort et le supplice cruel de Jeanne.
Item, de magna et mirabili ejus contrictione ac continua confessione nominis Jesu Christi, atque devota sanctorum et sanctarum imploratione, eodem modo deponit sicut predictus frater Ysambardus, eo quod semper eidem Johanne valde propinquus fuit usque ad ejus transitum, ipsam valde sollicite in viam salutis dirigens. Item, au sujet de sa grande et admirable contrition, et de la façon continue dont elle prononça le nom de Jésus Christ et invoqua dévotement les saints et les saintes ; il dépose, comme le susdit frère Ysambart, car il demeura toujours tout près de Jeanne, jusqu’à ce qu’elle mourut, la conduisant avec grande sollicitude dans la voie du salut.
IV. Frère Duval
Reverendus pater et inclite religionis vir frater Guillermus de Valle19, ordinis et conventus predicatorum, videlicet sancti Jacobi Rothomagensis, sacre theologie egregius professor, etatis LV annorum vel circa, juratus et examinatus dicta die, deponit Révérend père et très religieuse personne, frère Guillaume Duval, de l’ordre et du couvent des prêcheurs, de saint Jacques de Rouen, illustre professeur de sacrée théologie, âgé de cinquante-cinq ans ou environ, juré et examiné ce même jour. Dépose
quod, dum processus ejusdem Johanne actu fieret, fuit semel in quadam sessione cum fratre Ysambardo de Petra, superius nominato ; et, cum ipsi duo non invenirent alium locum ad sedendum, sederunt juxta Johannam, in medio consistorii [super] stramentum aule ; et, dum sepedicta Johanna interrogaretur, quandoque predictus Ysambardus secreto tactu, seu pulsu manus, aut aliquo nutu, eam advisabat. que, tandis que se débattait le procès de Jeanne, il se trouva une fois avec ledit frère Ysambart de la Pierre, à une session. Ne trouvant tous les deux autre lieu pour s’asseoir, ils s’assirent près de Jeanne, au milieu de l’assemblée, et sur le tapis de la salle. Or, quand on interrogeait Jeanne, ledit Ysambart l’avertissait en secret, en la touchant de la main ou par d’autres signes. Qua sessione facta, 25 idem loquens et dictus frater Ysambardus, cum magistro Johanne de Fonte20, fuerunt per judices deputati ad ipsam visitandum, illa die post prandium, et ad eam exhortandam21. Qui pariter ad castrum Rothomagense venientes, ut illam visitarent et hortarentur, invenerunt comitem de [Warwick]38 in eodem Castro. Après cette session, celui qui parle et ledit frère Ysambart furent députés par les juges avec maître Jean de la Fontaine pour la visiter ce même jour, après dîner, et l’admonester. Or, arrivant ensemble au château de Rouen pour la visiter et l’exhorter, ils trouvèrent le comte de Warwick dans le château. Qui quidem comes, cum multa indignatione et acrimonia, contumeliosis verbis est aggressus dictum fratrem Ysambardum, dicendo sibi : Cur ita de mane tangebat ipsam Johannam ; et quare tales nutus sibi faciebat. Et cum terribili furore et juramento addidit quod, si deinceps perciperet quod39 laboraret ad eam liberandum seu eripiendum, quod faceret eum proici in Secanam. Et cedit comte, plein de fureur et d’indignation, assaillit le frère Ysambart avec des injures en lui disant : Pourquoi ce matin touchais-tu ainsi cette Jeanne ? Et pourquoi lui faisais-tu de tels signes ? Et avec une fureur terrible, il ajouta en jurant, que, si désormais il s’apercevait qu’il cherchât à la délivrer ou la sauver, il le ferait jeter dans la Seine. Et ita ambo predicti, cum maximo timore fugerunt, et ad suum conventum cum festinatione magna redierunt. Ista audivit et vidit ; et nichil aliud, quia in processu, ut asserit, non fuit. Aussi tous deux s’enfuirent-ils épouvantés, et en toute hâte coururent à leur couvent. Tout cela il l’a vu et entendu ; et n’en sait pas davantage, parce que, dit-il, il ne parut plus au procès.
V. Messire Guillaume Manchon
V
Venerable et discrete personne Messire Guillaume Manchon22, prestre, aagé de L ans ou envyron, chanoine de l’eglise collegial Nostre Dame de Andely, curé de l’eglise parrochial Sainct Nicholas le Paincteur de Rouen, notaire en la cour archiepiscopal de Rouen, juré et examiné, l’an de grâce mil CCCC XLIX, le IIIIe jour de mars, dit et depose
que il fut notaire au procès d’icelle Jehanne, depuis le commencement jusques a la fin ; et avecque luy messire Guillaume Colles, dit Boscguillaume.
48Item, dit que, a son advis, tant de la partie de ceulx qui avoient la charge de mener et conduyre le procès, c’est assavoir monsieur de Beauvoys et les maistres qui furent envoyez querir a Paris23 pour celle cause, que aussy des Angloys, a l’instance desquels [le]40 procès se faisoit, on procéda plus par haine et contemp de la querelle du roy de France, que ce elle n’eust point porté son party, pour les raisons qui ensuivent :
Et premièrement 25v dit que ung nommé maistre Nicole Loyseleur24, qui estoit familier monsieur de Beauvoys, et tenant le party extrêmement des Angloys, (car aultres foys, le roy estant devant Chartres, alla quérir le roy d’Angleterre pour faire lever le siégé), faigny que il estoit du pays de ladicte Pucelle, et par ce moyen trouva maniere d’avoir actes, parlement et familiarité avec elle, en luy disant des nouvelles du pays a luy plaisantes ; et demanda estre son confes seur ; et ce que elle luy disoit en secret, trouvoit maniere que venist a l’ouye des notaires25. Et de fait, au commencement du procés, ledit notaire et ledit Boscguillaume, avec tesmoings, furent mis secrètement en une chambre prochaine, ou estoit ung trou, par lequel on povoit escouter, affin que peussent raporter ce que elle diroit ou confesseroit audit Loyseleur ; et luy semble que ce que ladicte Pucelle disoit ou raportoit familièrement audit Loyseleur, il raportoit ausditz notaires ; et de ce estoit fait mémoire pour faire interrogations au procès, pour trouver moyen de la prendre captieusement.
Item, dit que, le procès commencé, maistre Jehan Lohier26, solennel clerc normant, vinst en ceste ville de Rouen ; et luy fut com muniqué ce qui estoit ja escript par ledit evesque de Beauvoys ; lequel Lohier demanda dilation de deux ou troys jours, de le veoir. Auquel fut respondu que, en la relevee, il donnast son oppinion, et a ce fut contraint. Et iceluy maistre Jehan Lohier, veu le procés, dist que ne valoit riens, pour plusieurs causes. Premièrement, que n’y avoit point forme de procés [ordinaire]41. Item, il estoit traicté en lieu clos et fermé, ou les assistens n’estoient pas en plaine et pure liberté de dire leur pure et plaine voulenté. Item, que l’en traictoit en icelle matere l’honneur du roy de France, duquel el tenoit le party, sans le appeler ne aucun qui fust de par luy. Item, que libelle n’avoit point esté baillé ne articles ; et si n’avoit quelque conseil icelle famé, qui estoit une 26 simple fille, pour respondre a tant de maistres et docteurs, et en grandes matières, par especial qui touchent revelations, comme elle disoit. Et pour ce, luy sembloit que le procès n’estoit vaillable.
Desquelles choses monsieur de Beauvoys fu indigné contre ledit Lohier ; et, combien que ledit monsieur de Beauvoys luy dist que il 49demeurast pour veoir demener le procès, ledit Lohier respondi que ne demourroit point. Et incontinent iceluy monsieur de Beauvoys, lors logé en la maison ou demeure a present maistre Jehan Bidault27, près Sainct Nicholas le Paincteur, se departist, vinst aux maistres, c’est assavoir : maistre Jehan Beaupere, Jacques de Touraine, Nicole Midi, Pierres Morice, Thomas de Courcelles et Loiseleur, ausquelz il dit : Vela Lohier qui nous veult bailler belles interlocutoires en nostre procès. Il veut tout calompnier ; et dit qu’il ne vault rien. Qui le vouldroit croire, il nous fauldroit tout commencer ; et tout ce que nous avons fait ne vauldroit riens.
En récitant les causes pourquoy ledit Lohier le vouloit calompnier. Disant oultre ledit monsieur de Beauvoys : On veoit bien de quel pié il cloche ! Par sainct Jean, nous n’en ferons riens. Nous continurons nostre procès comme il est commencé.
Et estoit lors le samedi de relevee en karesme. Et lendemain matin, cil qui parle, parla audit Lohier en Nostre-Dame, et demanda a iceluy Lohier que luy sembloit dudit procès et de ladicte Jehenne. Lequel luy respondi : Vous voyés la maniere comme ilz procèdent. Ilz la prandront es parolles, s’ilz pevent es assertions, c’est assavoir, ou elle dit :
Et de fait a tous jours demouré depuys en court de Homme, ou est mort doyen de la Roe28. 26v
Je sçay de certain ce qui touche les apparitions
, se elle disoit : Il me semble
, pour icelles parolles : Je soy de certain
, il m’est advis que il n’est homme qui la peust condempner ; et semble plus que procedent par hayne que aultrement. Et pour ce je ne me tendray plus cy ; ne je n’y vueil estre.
Item, dit que, au commencement du procès, par cinq ou six journées, pour ce que cil qui parle mectoit en escript les responses et excusa tions de icelle Pucelle ensemble, et aucune foys les juges le vouloient contraindre, en parlant en latin, qu’il mist en aultres termes, en muant la sentence de ces parolles, et en aultre maniere que cil qui parle ne l’entendoit. Furent mis deux hommes, du commandement de monsieur de Beauvoys, en une fenestre, près du lieu ou estoient les juges, une sarge passant par devant, affin que ne feussent veues. Lesquels deux hommes escrivoient et rapportoient ce qui [faisoit]42 en la charge d’icelle Jehanne, en taisant les excusations. Et luy semble que c’estoit ledit Oyseleur43 et le clerc dudit Beaupere29, qui n’estoient point notaires ; et aprés la juridition30 tenue, la relevee en faisant colla tion de ce qu’il avoit44 escript, les deux autres rapportoient en aultre maniere, et ne mectoient point d’excusation. Dont ledit mon sieur de Beauvoys se courrouça grandement contre cil qui parle. Et 50es parties ou il est escript en procés : Nota, ce estoit ou il y avoit controversie, et esconvenoit recommencer nouvelles interrogations sur cela. Et trouva l’en que ce que estoit escript par cil qui parle estoit vray31.
Item, dit que, en escrivant ledit procés, iceluy suppliant32 fut plusieurs foys argué de monsieur de Beauvoys et desditz maistres que .il escript selon leur ymagination et contre l’entendement d’icelle Pucelle. Et aucunes foys avoit des choses qui ne leur plaisoient pas, ou disoient : Ne les escripvez point. Il ne sert point au procés45.
Mais pourtant ne escript oncques ledit suppliant fors selon son entendement et conscience.
Item, dit que maistre Jean de Fonte, depuis le commencement du procés jusques a la sepmaine d’après Pasques mil CCCC XXXI, fut lieutenant de monsieur de Beauvoys, a l’interroguer en l’absence dudit evesque, lequel neantmoins estoit 27 tousjours present avec ledit evesque eu demené du procés ; et quand venist es termes que ladicte Pucelle estoit fort sommee de soy submectre en l’Eglise par iceluy de Fonte et freres Ysambart de la Pierre et Martin Lavenu, fut advertie qu’elle debvoit croyre et tenir que c’estoient nostre sainct Pere le pape et ceulx qui president en l’Eglise militant et que elle ne debvoit point faire de doubte de se soubmectre en nostre Pere le pape et au sainct consille, ou il y avait, tant de son party que d’ailleurs, plusieurs notables clercs ; et que, ce ainsy ne le faisoit, elle ce mectoit en grant dangier. Et lendemain qu’elle fut ainsy advertie, elle respondi qu’elle se vouldroit bien submectre a nostre sainct Pere le pape et au consille, etc. Et quant monsieur de Beauvoys ouyt celle responce, demanda qui avoit esté parler a elle [le jour de devant, et manda la garde angloise d’icelle Pucelle, auquel demanda qui avoit parlé a elle]46. Lequel garde respondi que ce avoit esté ledit de Fonte, son lieutenant, et les deux religieux. Et pour ce, en l’absence d’iceulx de Fonte et religieux, se couroucha très fort contre maistre Jehan Magistri, vicaire de l’inquisiteur, en les menachant très fort de leur faire desplaisir. Et quant ledit de Fonte eut de ce congnoissance, et que il estoit menaché pour icelle cause, ce parti de ceste cité de Rouen, et depuis ne retourna. Et quant aux deux religieux, se n’eust esté ledit Magistri, qui les excusa et supplia pour eulx, en disant que se on leur faisoit desplaisir, jamais ne viendroit au procés, ilz eussent esté en péril de mort. Et de lors fut deffendu de par monsieur de Warwick que nul ne entrast vers icelle Pucelle, [sinon]47 monsieur de Beauvoys ou de par luy. Et toutes foys que luy plaisoit, alloit devers elle. Mais ledit vicaire ne y eust point eu entree sans luy.
51Item, dit que, au parlement du preschement de Sainct Ouen, après l’abjuration de ladicte Pucelle, pour ce que ledit Oyseleur disoit a ladicte Pucelle : Jehanne, vous avez 27v fait une bonne journée, se Dieu plaist, et avez sauvé vostre ame
, elle demanda : Or ça, entre vous gens d’Eglise menez moy en voz prisons ; et que je soye plus en la main de ses Angloys.
Et il fut dit de par monsieur de Beauvoys : Menez la ou vous l’avez prinse.
Et elle fut menee au chastel, d’ou elle estoit partie. Et le dymenche ensuivant, qui fut le jour de la Trinité, furent mandez les maistres, notaires et aultres qui ce entremectoient du procés. Et leur fut dit qu’elle avoit reprins son habit de homme, et que elle estoit renchue. Et quant ilz vindrent au chastel, en l’absence dudit monsieur de Beauvoys, arrivèrent sur eulx envyron IIIIxx ou cent Angloys. qui se adrecherent a eulx en la court dudit chastel. Et leur dirent que entre eulx gens d’Eglise estoient tous faulx traictres armigneaux33 et faulx conseilliers. Et a grant paine peurent evader et yssir hors du chastel. Et ne firent riens pour icelle journée. Et lendemain fut mandé cil qui parle. Et il respondi que il ne iroit point, se il n’avoit seurté, pour la paour que il avoit eue48. Et ne y fust point retourné, ne eust esté ung des gens monsieur de Warwick qui luy fut envoyé pour seurté. Ainsy retourna, et fut [a]49 la continuation du procés jusques a la fin. Mais ne fut point a certain examen de gens qui parlèrent a elle a part, comme personnes privées. Néantmoins monsieur de Beauvoys le voulu contraindre de ce signer. Laquelle chose ne voulu faire34.
Item, dit que veist amener ladicte Johanne a l’eschafault. Et y avoit le nombre de sept ou huyt cens hommes de guerre entour d’elle, avec glayves ; et n’y avoit homme qui fut si hardi de parler a elle pour l’advertir, excepté frere Martin Lavenu et messire Jehan Massieu. Et dit que pacientement elle ouyt le sermon tout au long ; et après feist la regratiation, prières et lamentations moult notablement et tant dévotement que tant les juges prelatz que tous aultres assistons, ce ouans, furent provocqués a grans pleurs50. Et dit le deposant que oncques ne plora tant pour chose qui luy advint ; et que, par ung moys après, ne s’en povoit bonnement apaiser ; et, de partie de l’argent que il eust du procès, il acheta ung petit messel qu’il a encore, affin qu’il eust cause de prier pour elle35. Et au regard de finalle penitance, il ne veist oncques plus grant signe a christien.
Item, dit que est recelant que, au preschement fait a Sainct Ouen par maistre Guillaume Erard36, entre aultres parolles fut dit par ledit Erard ce langage en effet : Ha ! noble maison de France, qui as 52esté tousjours protecteure de la foy, as tu esté ainsy abusee de te adhérer a une heretique et scismatique ! C’est grand pitié !
A quoy el donna response dont ne se recorde point, excepté que elle faisoit grant louenge de son roy ; et que c’estoit le meilleur chrestien et le plus saige qui fust au monde a son advis. Et donc fut commandé audit Massieu par ledit Erard et par monsieur de Beauvoys : Faites la taire !
37.
VI. Messire Jean Massieu
VI
Messire Jehan Massieu38, presbtre, curé de l’une des portions de fl’eglise parrochial Sainct Candre de Rouen, jadis doyen de la chrétienté de Rouen, de l’aage de cinquante ans ou environ, juré et examiné le cinquiesme jour de mars, dit que
fust au procès de ladicte Jehanne, toutes les foys qu’elle fust presentée en jugement devant les juges et clercs, et a cause de son office, estoit deputé clerc de messire Jehan Benedicite39, promoteur en la cause, pour citer ladicte Jehanne et tous aultres qui seroient a esvoquer en icelle cause. Et semble audit déposant, veu ce qu’il veist, que on procéda par hayne, par faveur, et en deprimant l’honneur du roy de France, auquel elle servoit, et par vengeance, et affin de la faire mourir ; et non pas selon raison et l’honneur de Dieu et de la foy catholique. Meu a ce dire, car, quant monsieur de Beauvoys, qui estoit juge 28v en la cause, acompaigné de six clercs, c’est assavoir Beaupere, Midi, Morisse, Touraine, Courcelles et Feullet, ou aucun aultre en son dieu, premièrement l’interrogoit, devant qu’elle eust donné sa responce a ung aultre des assistens, luy interectoit une aultre question, par quoy elle estoit souvent précipitée et troublée en ses responces. Et-aussi, comme ledit déposant par plusieurs foys amenast icelle Jehanne du lieu de la prison au lieu de la juridition, et passoit par devant la chappelle du chastel, et iceluy déposant souffrist, a la requeste de ladicte Jehanne, que, en passant, elle feist son oraison, iceluy déposant lu de ce plusieurs foys repris par ledit Benedicite, promoteur de ladicte cause, en luy disant : Truant, qui te fait sy hardi de laisser approcher celle putain excommuniée de l’eglise, sans licence. Je te ferai mectre en telle tour que tu ne verras lune ne soleil d’icy a ung moys, si tu le faiz plus.
Et quand ledit promoteur appercheust que ledit déposant ne obeissoit point a ce, ledit Benedicite se mist par plusieurs foys au devant de l’uys de la chappelle, entre iceulx deposant et Jehanne, pour empescher que elle ne feist son oraison devant ladicte chappelle. Et demandoit expressement la dicte Jehanne : Y est le corps Jesucrist ?
Meu aussi a ce, car il, la ramenant en la prison de devant les juges, 53la quarte ou quinte journee, ung prestre, appelle messire Eustace Turquetil40, interroga ledit deposant : Que te semble de ses responses ? Sera elle arse ? Que sera ce ?
Auquel ledit déposant respondi : Jusques cy, je n’ay veu que bien et honneur a elle ; mais la fin, je ne sçay quelle elle sera. Dieu le saiche !
Laquelle responce fut par ledit prestre repportee vers les gens du roy. Et fut relaté que ledit déposant n’estoit pas bon pour le roy. Et a celle occasion fu mandé, la relevee, par ledit monsieur de Beauvoys, juge et luy parla des dittes choses, en luy disant que il se gardast de mesprendre ; ou on luy feroit boire une foys plus que raison. Et luy semble que, ce n’eut esté 29 le notaire Manchon, qui l’excusa, il n’en fust oncques eschappé.
Item, dit que, quant elle fut menee a Sainct Ouen pour estre preschee par maistre Guillaume Erard, durant le preschement, environ la moitié du preschement, apres ce que ladicte Jehanne eust esté moult blasmee de parolle par ledit prescheur, cria a haulte voix ledit Erard, disant ses parolles : France, tu es bien abusee qui as tousjours esté la chambre très chrestienne41. Et Charles, qui se dit roy et de toi gouverneur, c’est adhéré comme heretique et scismatique, tel est il, aux parolles et faitz d’une femme inutile, diffamée, et de tout deshon neur plaine. Et non pas luy seullement, mais le clergé de son obéissance et seigneurie, par lequel elle a esté examinee et non reprinse, comme elle a dit.
Et dudit roy répliqua a deux ou troys foys icelles parolles ; et puis, soy adreschant a ladicte Jehanne, dist en effet, en levant le doy : C’est a toy, Jehanne, a qui je parle ; et te dis que ton roy est heretique et scismatique.
A quoy elle respondi : Par ma foy, sire, reverence gardee, je ouse dire, sur paine de ma vie, que c’est le plus noble chrestien de tous les chrestiens, et qui mieulx ayme la foy et l’Eglise et n’est point tel comme vous dittes.
Et lors dist ledit pres cheur a cil qui parle : Fay la taire !
Item, dit que ladicte Jehanne n’eust oncques aucun conseulx42. Et luy souvient bien que ledit Oyseleur fut une foys ordonné a la conseillier, lequel luy estoit contraire, plustot pour la decepvoir que la conduyre.
Item, dist que ledit Erard, en la fin du preschement, leust une cedulle contenant les articles de quoy il la causoit de abjurer et révo quer. A quoy ladicte Jehanne luy respondi que elle ne entendoit point que c’estoit a dire : abjurer. Et que sur ce elle demanda conseil. Et alors, fut dit par ledit Erard a cil qui parle, que il la conseillast 29v sur cela. Et donc, après excusation de ce faire, luy dist que c’estoit a dire que, ce elle alloit encontre aucun desditz articles, el serait arse. Mais luy conseilloit que elle se raportast a l’Eglise universaire se elle devoit adjurer lesditz articles ou non. Laquelle chose elle fist, en disant a haulte voix audit Erard : Je me raporte a l’Eglise universaire se les 54doy abjurer ou non43.
A quoy luy fut respondu par ledit Erard : Tu les abjureras presentement, ou tu seras arse.
Et de fait, avant qu’elle partist de la place, les abjura ; et fist une croix de une pleume que luy bailla ledit deposant44.
Item, dist celuy qui parle que, au departement dudit sermon, advisa laditte Jehanne que elle requist qu’elle fust menee aux prisons de l’Eglise ; et que raison estoit que es prisons de l’Eglise fut mise, puisque l’Eglise la condemnoit. La chose fut requise a l’evesque de Beauvoys par aucuns assistens, desquelz il ne soit les noms. A quoy ledit evesque respondi : Menez la eu chastel, dont elle est venue.
Et ainsy fut fait. Et ce jour, après disner, en la presence du conseil de l’Eglise45, depousa l’habit de homme, et print habit de femme, ainsy que ordonné luy estoit. Et lors estoit jeudy ou vendredi après Penthecoustes. Et fut mis l’habit de homme en ung sac, en la mesmes chambra ou elle estoit detenue prisonnière. Et demoura en garde audit lieu, entre les mains de cinq Angloys, dont en demouroit de nuyt troys en la chambre, et deux dehors, a l’uys de ladicte chambre. Et sçait de certain, luy qui parle, que de nuyt elle estoit couchee ferree par les jambes de deux paires de fers a chayne, et attachée moult estroictement de une chayne traversante par les piedz de son lit, tenante a une grosse piece de boys, de la longueur de cinq ou six piedz et fermante a clef ; par quoy ne povoit mouvoir de la place. Et quant vint le dymenche matin ensuyvant, qui estoit jour de la Trinité, qu’elle se deust lever, comme elle rapporta et dist 30 a luy qui parle, demanda a iceulx Angloys ses gardes : Desferrez moy sy me leveroy.
Et lors l’un de ceulx Angloys luy osta ses abillemens de femme qu’elle avoit sus elle, et vuyderent le sac ou estoit l’abit de homme. Et ledit habit jecterent sur elle en luy disant : Lieve toy !
Et mucerent l’abit de femme audit sac ; et, ad ce qu’elle disoit qu’elle se vestist de l’abit de homme, qu’ilz luy avoient baillé, respondi : Messieurs, vous savez qu’il m’est deffendu ; sans faulte je ne le prendroy point.
Et neanmoins ne luy en voulurent bailler d’autre. En tant que en ce débat demoura jusques a l’heure de midy. Et finablement, pour necessité de corps, fust contrainte de yssir dehors et prendre ledit habit. Et après que fut retournée, ne luy en voulurent point bailler d’autre, nonobstant quelque supplication ou requeste qu’elle en feist.
Interrogué a quel jour elle luy dist ce qu’il depouse de la relation de elle, dit que ce fut le mardi ensuyvant, devant disner. Auquel jour le promoteur l’avoit mené avecques luy en la prison. Et ledit promoteur se departy, pour aller avecque monsieur de Warwik. Et luy qui parle, demoura seul avec elle. Et incontinent demanda a ladicte Jehanne pourquoy elle avoit reprins ledit habit de homme. Et elle luy dist et respondit ce que dessuz est dit.
55Interrogué se il fut ledit dymenche, jour de la Trinité, eu chastel, après disner, avecque les conseulx et gens d’Eglise, qui avoient esté mandez pour veoir comme elle avoit reprins habit de homme, dit que non et les rencontra auprès du chastel moult esbahiz et espourez. Et disoient que moult furieusement avoient esté reboutez par les Angloys, a haches et glayves. Et appelez : Traistres
, et moult de autres injures.
Item, dit que le mercredi ensuyvant, jour que elle fut condempnee, au devant qu’elle partist du chastel, luy fut apporté le Corps Nostre Seigneur, mains reverentement51 et sans estolle et lumière ; dont frere Martin, qui l’avoit confessee 30v fut mal content. Et pour ce, fut renvoyé quérir une estolle et de la lumière. Et ainsi frere Martin la administra. Et ce fait, fut menee au Vieil Marché ; et a costé de elle estoit ledit frere Martin et luy qui parle et acompaigné de plus de huyt cens hommes de guerre, a haches et glayves. Et elle estante au Vieil Marché, après la prédication, en laquelle elle eust grande constance, et moult paisiblement l’ouyt, monstra grans signes et évidences et cleres apparences de sa contrition, penitance et ferveur de foy, tant par les piteuses et devotes lamentations, invocations de la benoite Trinité, de la glorieuse Vierge Marie et de tous les benoitz Sainctz de paradis, en nommant expressément plusieurs d’iceulx sainctz, esquelles devotions, lamentations et vraye confession de la foy, en requérant aussi a toute maniere de gens, de quelque condition qu’ilz fussent, tant de son party que d’aultre, mercy tres humble, en requérant qu’ilz voulsissent prier pour elle, en leur pardonnant, elle persévéra et continua très longue espace de temps, comme de une demye heure, et jousques a la fin ; dont les juges, assistens et mesmes plusieurs des Angloys Jurent provoquez a grandes lermes et pleurs. Et de fait tres amerement en pleurerent. Et aucuns et plusieurs de ceulx, mesmes Angloys [recongneurent et confesserent]52 le nom de Dieu, voyans si notable fin, et estoient joyeulx d’avoir esté a la fin, disans que ce avoit esté une bonne femme. Et quant elle fut délaissée par l’Eglise, luy qui parle estoit encore avec elle ; et a grande devotion demanda a avoir la croix. Et ce oyant, ung Angloys, la présent, en fist une petite de boys du bout de ung baston, qui luy bailla ; et dévotement la receut, et la baissa, en faisant de piteuses lamentations et recognitions a Dieu Nostre Redempteur, qui avoit souffert en la croix pour nostre rédemp tion ; de laquelle croix, elle avoit signe et représentation. Et mist icelle croix en son sain, entre sa chair et ses vestemens. Et oultre demanda humblement a iceluy qui parle qui luy feist avoir la croix de l’eglise, affin que continuellement elle la 31 puisse veoir, jusques a la 56mort. Et luy qui parle fist tant que le clerc de la paroisse Sainct Sauveur l’aporta. Laquelle apportée, elle embrassa moult estroictement et longuement ; et la detint jusques ad ce qu’elle fut lyee a [l’atache]53. En tant qu’elle faisoit lesdictes dévotions et piteuses lamentations, fust fort [precipité]54 par les Angloys et mesmes par aultres de leurs cappitaines de [la]55 laisser en leur main, pour plus tost la faire mourir ; et disans a luy qui parle, qui a son entendement la reconfortoit en l’archaufault : Comment, prestre, nous ferez vous icy disner !
Et incontinent, sans aucune forme ou signe de jugement, la envoyèrent au feu, en disant au maistre de l’œuvre : Fay ton office !
Et ainsi fut menee et atthachee ; et en continuant les louenges et lamentations devotes envers Dieu et les sainctz, des le desrain mot, en trespassant, cria a haulte voix : Jesus !
VII. Maistre Jean Beaupère
VII
Venerable et circunspecte personne maistre Jehan Beaupere46 maistre en theologie, chanoyne de Rouen, de l’aage de LXX ans ou environ,
dit que, au regard des apparitions dont il [est]56 fait mention au procés de ladicte Jehanne, que il a eu et a plus grant conjecture que lesdictes apparitions estoient plus de cause naturelle et invention humaine que de cause surnature. Toutesfoys de ce principalement se rapporte au procés.
Item, dit que, audevant qu’elle fut menee a Sainct Ouen pour estre preschee au matin, sil qui parle seul entra en la prison de ladicte Jehanne, par congié, et advertit icelle Jehanne qu’elle seroit tantost menee en l’ercharfault pour estre preschee. En luy disant que se elle estoit bonne chrestienne, elle diroit audit escharfault que tous ses faitz et ditz elle mectoit en l’ordonnance de nostre mere Sainte Eglise, et en especial des juges ecclesiasticques. Laquelle respondi que ainsi feroit elle. Et ainsi le dit elle audit escharfault, sur ce requise par maistre Nicole Midi ; et, ce veu et considéré pour celle foys, elle fut renvoyee 31v après son abjuration, combien que par aucuns Angloys fut impropeiré a l’evesque de Beauvoys et a ceulx de Paris qu’ilz favorisoient aux erreurs d’icelle Jehanne,
Item, et que après icelle abjuration et que elle eust son habit de femme que elle receut en ladicte prison, le vendredi ou samedi après, fut raporté ausditz juges que ladicte Jehanne se repentoit aucunement de avoir laissé l’abit de homme et prins l’abit de femme. Et pour ce, 57monsieur de Beauvoys, juge, envoya cil qui parle et maistre Nicole Midi au chastel, en esperance de parler a ladicte Jehanne, et la induyre et ammonester qu’elle perseverast et continuat le bon propos qu’elle avoir eu en l’escharfault, et qu’elle se donnast garde que elle ne rencheust. Mais ne peurent iceulx [trouver] celuy qui avoit la clef de la prison. Et ainsi que ilz actendoyent la garde d’icelle prison, furent par aucuns Angloys, estans en la court dudit chastel, dictes parolles comminatoires, comme raporta ledit Midi audit parlant ; c’est assavoir : [qui]57 les jecteroit tous deux dedens la riviere, il seroit bien employé. Pour quoy icelles parolles ouyes, s’en retournerent ; et sur le pont dudit chastel, ouyt ledit Midi, comme il raporta audit parlant, semblables parolles ou près d’icelles par autres Angloys pronunciés. Pourquoy les dessusditz furent espoventez ; et s’en vinrent sans parler a ladicte Jehanne.
Item, dit que, a son advis, se ladicte Jehanne eust eu saiges et frans directeurs, elle eust dit moult de parolles servans a sa justification, et taeu plusieurs qui faisoient a sa condempnation47.
Item, dit, quant a l’innocence d’icelle Jehanne, que elle estoit bien subtile, de subtilité appartenante a femme, comme il luy sembloit. Et n’a point seu par aucunes parolles d’elle, que el fust corrumpue de corps. 32
Item, au regard de sa penitance final, n’en sauroit que dire. Car le lundi après ladicte abjuration, party de Rouen pour aller a Balle, de par l’université de Paris ; et elle fut condempnee le mercredy ensuyvant ; et ne sceut aucunes nouvelle de sa condempnation, jusques a ce que l’ouy dire en l’Isle en Flandres.
Notes du texte latin
- [1]
R S : sequitur
- [2]
R S : Socia
- [3]
R : piece a
- [4]
R ad. : et
- [5]
R S : facte
- [6]
Des copies dérivées n’ayant pas compris le mot ont écrit : stablement (Quicherat)
- [7]
R : pieces ; D : procès
- [8]
R : pourveoir
- [9]
Richer, qui a vu l’original, transcrit les mentions suivantes :
Et au dessous est escrit :
Par le Roy. Et : A la relation des gens de son grand Conseil.
Signé : Daniel Avec paraphe.
Et scellé de cire jaune sur simple queue.
Et sur ledit sceau couvert de parchemin est escrit :
Mandatum regis ad Guillelmum Bouillé decanum Noviomensem super informacione facienda de processu alias facto contra Johannam dictam la Pucelle.
- [10]
R S : predictis
- [11]
R S : celebratur
- [12]
R S : viriles
- [13]
R S : faronelle. Le ms. confond fréquemment n et u
- [14]
R S : que ; D : ce qu’on
- [15]
R S : sacramentaliter
- [16]
R S : precepit
- [17]
R S : exponita
- [18]
R S : tanquam mirabile
- [19]
R S : justa
- [20]
R S : per sanctissime ; D : fervente
- [21]
R S : liquorum
- [22]
R S : pertise ; D : perverse
- [23]
R S : proponitum ; D : leur propos
- [24]
R S ad. : et ; D : ouie la dure et cruelle mort
- [25]
R S : inminabat
- [26]
R S : et
- [27]
R S : ecclesiis
- [28]
R S : inordinito
- [29]
R S : Vuarouli ; D : Warruik
- [30]
R S : faronelle ; D : farouelle
- [31]
R S : qui ; D : que
- [32]
R S : objuratione ; D : abjuration
- [33]
R S : major ; D : meurs
- [34]
R S : quidem ; D : appellé
- [35]
R S om. : seculari ; D : seculiere
- [36]
R S : consuetum
- [37]
R S om. ; D : firent faire
- [38]
R S : Warouik ; D : Varuik
- [39]
R S ad. : si
- [40]
R S : les
- [41]
R S : ordinare ; D : ordinaire
- [42]
R S : faisoient ; D : qu’ilz faisoient
- [43]
D om. : et le clerc… notaires
- [44]
D : ilz avoient ; R S : qu’il il avoit
- [45]
D : ilz defendoit de l’escripre, en disant qu’il ne servoit point au procès
- [46]
R S om. ; Restitué d’après D
- [47]
D R S : si
- [48]
D ad. : le jour de devant
- [49]
D R S om.
- [50]
D ad. : et larmes de luy veoir faire ses piteables regretz et douloureuses complaintes
- [51]
D : inreverentement
- [52]
D R S : recongnoissent et confessent
- [53]
D R S : lathe
- [54]
D R S : precipitee
- [55]
R S : luy ; D : leur
- [56]
R S D om.
- [57]
R S : quil ; D : que qui
Notes de la traduction française
- [1]
L’écriture médiévale laisse assez incertaine la lecture de ce nom dont on trouve des formes multiples : Boulle, Boville, etc. Nous adoptons la forme la plus usuelle : Bouillé.
Le choix de Charles VII s’explique tant par son autorité de théologien que par le rôle de négociateur dont il fut investi. Docteur en théologie et professeur à l’Université de Paris dès 1430, principal du collège de Beauvais, il est recteur de l’Université de 1437 à 1439. D’autre part, chanoine de Noyon et doyen du chapitre, en 1447 il est chargé par Charles VII de démarches avec Jean Jouvenel des Ursins pour résoudre la question pontificale. Nombreuses sont les missions qu’il accomplit auprès du roi ou auprès dé l’Université (voir Chartularium Universitatis parisiensis, IV, p. 645, 673, 684). Il est à noter que, le 4 octobre 1449, l’Université de Paris l’envoie avec Robert Ciboule en ambassade auprès de Charles VII (Liber procuratorum nationis alemanniae, II, p. 771 et 779).
Le mandement de Charles VII le nomme
son amé et féal conseiller
sans qu’on le voie paraître au Conseil. - [2]
Il est étrange que le ms. de Diane et ses dérivés déforment le nom Socius Votes en du Soucy. En fait notaire de la cour archiépiscopale de Rouen, il signe du nom de Socius ou Socius Votes ou Compaing ou Compaignon. Dès le 26 mai 1432 il notarie une ordonnance de l’Officialité du 22 août 1431 (A. D. de Seine-Inférieure G 7135, éd. par Le Cacheux, Rouen au temps de Jeanne d’Arc, p. 217).
- [3]
Bachelier de théologie, Ysambart de La Pierre apparaît quatorze fois aux séances du procès de 1431, comme compagnon du vice-inquisiteur. Nous avons signalé son adhésion répétée aux consultations doctrinales de Rouen et de Paris qui formulent les crimes de Jeanne. Néanmoins, le 12 mai, il rejette la torture comme non expédiente, mais, le 29 mai, il déclare Jeanne relapse, demande qu’on lui relise sa cédule d’abjuration, qu’on la déclare hérétique et qu’on l’abandonne au juge séculier. Après quoi il ajoute :
moneatur caritative de salute anime sue et dicatur sibi quod non habeat amplius sperare de vita sua temporali. [qu’elle soit charitablement avertie pour le salut de son âme et qu’on lui dise qu’elle ne doit plus espérer pour sa vie terrestre]
Il a été interrogé de nouveau en 1452 (Q II, 302, 348). Cité en décembre 1455, il ne fut pas interrogé en 1456 (Q II, 161 et III, 41). En 1452 on le dit âgé de 60 ans ; il aurait donc eu 39 ans lors du procès de condamnation.
La mention erronée de l’Ordre de Saint-Augustin au lieu de l’Ordre des Frères Prêcheurs se retrouve dans Diane et les dérivés.
- [4]
Martin V avait dès le 1er février 1431 institué les présidents du Concile, confirmés par Eugène IV. La première session eut lieu le 23 juillet 1431.
- [5]
Le 2 mai, il est question du Concile Général, mais Jeanne ne veut rien dire. Interrogée ensuite si elle veut se soumettre au Pape, elle répond
Menez m’y et je luy respondray
(M 239-241).Dans la déposition de G. Manchon (p. 00),
elle respondi qu’elle se vouldroit bien submectre a Nostre Sainct Pere le Pape et au Consille
. - [6]
Séance du 28 mai. Ni dans la Minute, ni dans la Relation de Cour celles, on ne trouve trace de l’affirmation des dominicains.
Respond qu’il lui estoit plus licite et convenient d’avoir habit d’homme autant qu’elle seroit entre les hommes que de avoir habit de femme
(M 277 et 281. Ch I, 371-377).D’autre part il n’apparaît pas que ce jour-là fut déclaré son relaps qui n’a été conclu que le 29.
- [7]
Jean de Saint-Avit, évêque d’Avranches depuis 1390. Fut incarcéré en 1433 au château de Rouen
pour soupçon d’avoir sceu, consenti et non révélé a justice certaines conspirations nagueres faictes en la ville de Rouen, pour icelle desclairer et livrer par emblee et traïson aux Français. — (A. D. de S. I. G 1158.)
Voir aussi mention d’une requête aux gens du Roy pour que ledit évêque soit remis à l’archevêque de Rouen (id. G 34). Sur la consultation elle-même, voir P. Tisset dans Quelques remarques à propos de Pierre Cauchon, juge de Jeanne d’Arc, dans Études médiévales offertes à M. le Doyen A. Fliche…, p. 218, note 18.
La détermination de Saint Thomas est dans IIa IIae qu. 1 art. X.
- [8]
Il s’agit du bailli de Rouen, Raoul Bouteillier. Voir Le Cacheux, Rouen au temps de Jeanne d’Arc, p. 181 et du même, Les actes de la Chancellerie de Henri VI, II, 159 note. Il aurait dû y avoir évidemment une sentence régulièrement portée par le juge séculier.
- [9]
L’erreur du copiste, liquorum au lieu de lignorum est devenue dans la traduction de Diane : l’uylle le souffre. Ce qu’on répète toujours depuis.
- [10]
Jean Toutmouillé a 24 ans au procès de condamnation. Il dit n’avoir jamais assisté au Procès, mais il oublie de rappeler que, cité le 7 juin 1431 par Cauchon, il déclara avoir visité Jeanne le 30 au matin (Ch I, 398-399).
- [11]
Le siège de Louviers commença effectivement le 31 mai. Beaurepaire dans Recherches sur le procès de condamnation de Jeanne d’Arc, p. 28, estime que le retard mis à ce siège ne s’explique pas seulement par la crainte de la Pucelle, mais par l’insuffisance des troupes rassemblées dans ce but, la garnison de Louviers commandée par La Hire étant nombreuse et aguerrie.
Manchon en 1452 confirmera le témoignage de Jean Toutmouillé précisant que c’était la rumeur publique (Q II, 344).
- [12]
Toutmouillé ne reparaît plus dans les enquêtes postérieures.
- [13]
Martin Ladvenu, âgé de 33 ans en 1431. Paraît au Procès dès le 20 février. Le 19 mai il approuva les délibérations des docteurs de Rouen et de Paris, comme nous l’avons dit dans l’introduction (p. 15). Le 29 mai il déclare Jeanne relapse, demande qu’on lui relise la cédule d’abjuration, qu’on la déclare hérétique et qu’on l’abandonne au juge séculier. Il fut cité par Cauchon le 7 juin, ayant visité Jeanne le 30 mai dans sa prison (Ch I, 396). Il déposera encore en 1452 (Q II, 307, 363), en 1456 (Q III, 45, 165).
Il est présent à la promulgation de la sentence de Réhabilitation (Q III, 362).
- [14]
Le 21 février, Cauchon défend à Jeanne de quitter le château de Rouen et commet J. Gris, J. Berwoit et G. Talbot pour la garder. Mais le Procès ne mentionne pas que Cauchon ait demandé conseil sur les prisons où il convenait de mettre Jeanne (Ch I, 35). D’ailleurs, si cette consultation a eu heu, elle fut et ne pouvait être que fictive, puisque la lettre de Henri VI du 3 janvier 1431 (Ch I, 14) stipulait qu’elle demeurerait à la garde des Anglais, quitte à la tenir à la disposition de Cauchon quand il la voudrait faire comparaître.
- [15]
Le 12 janvier et le 14 mai 1430 on confie à Richard Beauchamp, comte de Warwick, la capitainerie de Rouen. À ce titre il a la garde des prisonniers de guerre détenus au château.
- [16]
M 87.
- [17]
Georges Folenfant est mentionné dans une lettre de rémission de Henri VI de mai 1423 (Le Cacheux, Actes de la Chancellerie… I, p. 26). En 1425, on le trouve dans une liste de
plusieurs personnes crimineulx rendus par contraintives admonicions sur painne d’excommiche par M. le bailly de Rouen ou son lieutenant a l’archeveque de Rouen, son official et promoteur :
… Georget Folenfant pour pluseurs murtres et larrecins et avoir favorisé les anemis en traïson, lequel Georget a esté pris par ladicte court et non pas rendu par ledit bailly ou son lieutenant. Lequel Georget on veult delivrer. — (A. D. de S. I. G 7, fol. 480, éd. par Le Cacheux, Rouen au temps de Jeanne d’Arc, p. 83.)
Mentionné aussi dans les comptes de l’archevêché en 1437 (id. G 39)
pour deux echafaux pour le prêcher, un pain, une chopine de vin pour le faire boire, une mitre.
Martin Ladvenu et Laurent Guesdon confirmeront ce témoignage en 1456 (Q III, 169, 188).
- [18]
Diane traduit : expédier, ce qui veut dire : faire mourir.
- [19]
Ladvenu, rapportant le procès de G. Folenfant, nomme Guillaume Duval :
maître et vicaire de l’inquisiteur
(p. 45). - [20]
Manchon (p. 50) dira que Jean de Fonte est lieutenant de Cauchon jusqu’à la semaine après Pâques (1er avril) et qu’il quitte Rouen après avoir conseillé à Jeanne de se soumettre au Concile Général. Il ne paraît plus dans les actes après le 28 mars. Cependant Ysambart prétend qu’il alla dans la prison avec lui-même et Duval après l’abjuration (Q II, 349).
- [21]
Les actes du procès ne mentionnent pas la présence de Duval après le 27 mars. Ysambart, en 1452, confirmera le témoignage de ce dernier et le datera post primam predicationem in qua dicta Johanna revocaverat [après la première prédication au cours de laquelle Jeanne avait abjuré] (Q II, 349). Il ne s’agit pourtant pas de la visite rapportée par les actes, le jeudi 24 mai post meridiem [l’après-midi] (Ch 371, 372 ; M 274, 275), puisque Duval situe cette visite immédiatement après une session certainement antérieure à l’abjuration. Dans ses dépositions de 1452, Manchon (Q II, 299) la datera d’abord de six semaines avant la condamnation (ce qui ferait le milieu d’avril), puis de la semaine sainte, soit les derniers jours de mars (Q II, 341).
- [22]
Manchon déposera deux fois en 1452 (Q II, 297, 339) enfin en 1456 (Q III, 133). Manchon n’intervint dans le procès que comme notaire ; il est désigné le 9 janvier et assermenté le 13 février.
- [23]
Dès le 13 février ils assistent au procès (Ch I, p. 22). Manchon rapportera que c’est à eux (Loyseleur en plus) que Cauchon soumet les critiques de Lohier (p. 49). Massieu les cite comme étant les clercs qui assistaient normalement Cauchon (p. 52). Ce sont en effet eux qui furent le plus assidus au procès : Beaupère 22 fois présent ; Midi 37 ; Morice 23 ; Touraine 21 ; Courcelles 19 ; Feuillet 33 (Denifle, op. cit., p. 31).
- [24]
Nicole Loyseleur est né à Chartres en 1390. Chanoine de cette ville, il devint chanoine de Rouen en 1421. Vallet de Viriville prétend, sans donner ses sources, que Cauchon et Loyseleur appelèrent les Anglais à l’aide en 1432 quand Florent d’Illiers pénétra dans Chartres. N’est-ce pas plutôt en 1421 lorsque les troupes du Dauphin étaient en Beauce et vinrent vers Chartres. À ce moment le roi d’Angleterre Henri V vint effectivement libérer la ville de la menace du Dauphin. Et c’est en 1421 précisément que Loyseleur fut nommé chanoine de Rouen.
- [25]
Voir Manchon, déposition du 8 mai 1452 (Q II, 342).
- [26]
Jean Lohier était docteur en l’un et l’autre droit. La date assignée par Manchon à l’entretien de Cauchon avec les
maîtres
après les observations de Lohier, un samedi de carême, trouve sa confirmation dans le fait que Lohier eut communication du procès avant le libelle d’Estivet et les articles, donc avant le 28 mars. En octobre 1431, l’Université de Paris le délègue à Rome pour porter les rotuli de présentation aux bénéfices, mais contrairement au témoignage de Manchon, il est à Paris en 1432 et 1433. En mai 1433, il est auditeur des causes du palais apostolique. (Voir Denifle, Le procès de Jeanne d’Arc et l’Université de Paris, p. 30-31). - [27]
Jean Bidault est le neveu de Pierre Cauchon. Archidiacre d’Auge, en l’église de Lisieux et chanoine de Rouen (Q II, 195).
- [28]
Ces mêmes faits seront de nouveau témoignés par Manchon le 8 mai 1452 (Q II, 341). Voir en 1456 les témoignages de Thomas de Courcelles et de Manchon (Q III 58 et 138). Les actes de la Réhabilitation y font allusion plusieurs fois (Q II, 252, 203, 380).
- [29]
Le clerc de Beaupère est Jean Monnet qui déposera à Orléans en 1456 (Q III, 62). Manchon remarque qu’avec Loyseleur il remplissait l’office de notaire sans être habilité.
- [30]
Le mot est employé, ici comme dans le manuscrit de Diane, dans le sens d’audience. On le retrouve dans la déposition de Jean Massieu (p. 52), dans l’un et l’autre manuscrit où on peut l’interpréter dans le sens de tribunal.
- [31]
Voir Q III, 132, 136.
- [32]
Expression impropre pour déposant.
- [33]
A. Mary dans son édition du Journal d’un bourgeois de Paris (p. 12, note), observe que l’appellation d’armagnacs était une injure sanglante.
Et aujourd’hui encore, le mot Armignas a gardé dans le langage populaire du Méconnais le sens de brigands ou de quelque chose d’approchant.
Le Religieux de Saint-Denis (III, 729) note que dans la réconciliation de Charles d’Orléans et de Jean sans Peur (1412), on stipula qu’il serait désormais défendu dans la capitale de se traiter des mots d’Armagnacs et de Bourguignons, considérés comme des injures oubliées.
Et Thomas Basin dans son Histoire de Charles VII (éd. Samaran, p. 23) dit qu’on se jetait les uns aux autres l’injure de Bourguignons et d’Armagnacs considérées comme
suprêmes injures et déshonneur
. - [34]
Allusion à l’information posthume (Ch I, 395). Manchon n’en parlera plus dans ses témoignages postérieurs. En 1456 il n’en est plus question. Mais on en retrouve mention dans la sentence définitive (Q III, 273).
- [35]
Voir Q III 150.
- [36]
Nous ne connaissons le sermon de Guillaume Erard que par ces témoignages de Manchon et de Massieu. Au XVIIe siècle encore il en existait un texte. Ed. Richer à deux reprises dit qu’il a vu et examiné ce sermon
plein d’imposture
(Histoire de la Pucelle d’Orléans, I, 40 ; II, 95). Voir aussi les dépositions de Manchon et de Massieu en 1452 (Q II, 335 et 345). - [37]
Voir Q II, 335, 345.
- [38]
Massieu ne figura que comme exécuteur des convocations et mandements des juges. Nommé le 9 janvier, il est assermenté le 13 février. Il déposera en 1452 (Q II, 329), en 1456 (Q III, 150).
- [39]
En réalité, Massieu fut constitué appariteur par Cauchon lui-même et non par Benedicite.
- [40]
Nous n’avons trouvé aucune autre trace de ce personnage sinon dans les deux autres dépositions de Massieu en 1452 et en 1456. En 1456 il est appelé Anquetil, chantre de la chapelle du roi (Q II, 330 ; III, 154).
- [41]
Notons que dans les
Requetes et humbles supplications que ont faictes et font au Roy… ses humbles et obeissans subgiez… habitans de sa bonne ville de Paris
, ils lui demandent de venir le plus tôt qu’il pourraen ladicte ville qui est la ville cappital, première chambre et principal siégé royal du royaume de France
(A. N. Y 4 f. 5-5v°). - [42]
La question n’est pas claire. On lui en proposa et elle les refusa ; d’autre part Loyseleur et Beaupère disent qu’ils la conseillèrent. Elle n’a eu aucun conseil officiel, aucun avocat ni curateur.
- [43]
Le procès est plus concis que la déposition, mais par deux fois il consigne l’appel de Jeanne au Pape (M 268) et fait allusion à une triple monition.
- [44]
Voir sa déposition de 1452 (Q II, 331).
- [45]
Ces mots désignent peut-être les conseillers ecclésiastiques en présence desquels, le 24 mai, elle reprit habits de femmes.
- [46]
Jean Beaupère fut non seulement présent aux sessions du procès, mais il fut même chargé d’interroger Jeanne les 22, 24 et 27 février. Le 12 avril, il souscrit la délibération des docteurs. Il avait rédigé les 12 articles avec Jacques de Touraine et Nicole Midi. Il fut envoyé à Paris pour recueillir l’avis de l’Université avec laquelle il délibéra le 19 mai. Il est encore présent les 23 et 24 mai. Trois jours avant le supplice il quitta Rouen pour se rendre au Concile de Bâle qui allait s’ouvrir. Il ne fut plus cité aux enquêtes de 1452 et 1456.
- [47]
Nous avons dit que cette déposition importante a été omise par L’Averdy et donc par Quicherat et ceux qui en dépendent. Elle figure : dans Diane et ses dérivés.