T. V : La rédaction épiscopale du procès de 1455-1456
V
La réhabilitation de Jeanne la Pucelle
La Rédaction épiscopale
du procès de 1455-1456
Texte latin établi et annoté par
P. Doncœur S. J., et Y. Lanhers
1961
du procès de 1455-1456
P. Doncœur S. J., et Y. Lanhers
Nihil obstat : Paris, le 6 Janvier 1961, J. Lecler, S. J., Doyen de la Faculté de Théologie.
Imprimatur : Paris, le 10 Janvier 1961, J. Hottot, Vicaire général.
7Introduction
I Les opérations du Procès
A La plainte en diffamation de la famille Darc
Nous avons dans les volumes précédents établi et présenté les Dossiers des premières Enquêtes engagées en vue de la Réhabilitation de Jeanne. Celle que fit à Rouen, les 4 et 5 mars 1450, maître Guillaume Bouillé, ancien recteur de l’Université de Paris, sur l’ordre de Charles VII, rentré en vainqueur dans la capitale de la Normandie ; et celle dont le cardinal Guillaume d’Estouteville, légat du Pape, prit l’initiative et qu’il mena à Rouen (2-6 mai) en 14521.
Les témoignages ainsi réunis mettaient en lumière l’iniquité du Procès de condamnation et l’innocence de Jeanne. Mais aucune sentence n’avait été prononcée. Le procès d’inquisition mené par Cauchon et sa sentence devaient être révisés et cassés par des juges ayant qualité. Les personnages les plus dévoués à la cause de Jeanne, G. Bouillé et l’inquisiteur Jean Bréhal, appuyés très efficacement par le cardinal d’Estouteville et par les juristes romains qui l’avaient accompagné en Normandie, Paul Pontanus et Théodore de Lelli s’employèrent à émouvoir la justice pontificale. Les nombreux rapports juridiques et théologiques, provoqués par Charles VII, concluaient tous à l’iniquité de la procédure de Cauchon2. La cause était mûre. 8On estima plus sûr de ne pas faire intervenir officiellement le roi, mais de faire déposer à Rome une plainte en diffamation par la famille Darc.
Jean de Montigny avait dans son Opinio marqué la marche à suivre pour obtenir la révocation de la Condamnation3. C’est à Rome, estimait-il, que devrait être soumise l’affaire, puisque Jeanne en avait appelé à la Curie romaine et demandé d’être conduite au Pape. Une question aussi grave, touchant la foi, devait être traitée en une instance qui ne pourrait être récusée par personne. Quant aux parties, attaquant ou défendant, citant ou citées en jugement, tous ceux qui y sont intéressés devront être entendus ; cependant ce sont les plus proches parents de Jeanne qui devraient de préférence être reçus à demander réparation de l’injustice dont ils ont souffert, dans la mise à mort si affreuse de la Pucelle.
Ceux qui devraient être cités seraient les juges de 1431, s’ils sont survivants, ou leurs successeurs dans leurs dignités ou charges ; mais aussi leurs héritiers, s’il s’en trouve ; quant à ceux qui leur succèdent dans leurs charges et dignités, ils ne seraient cités qu’avec la clausule s’ils croient qu’il y aille de leur intérêt
.
La sentence devrait déclarer la nullité de ce procès inique et irrégulier. Par contre et en conséquence, il faudrait proclamer que Jeanne avait vécu en bonne catholique jusqu’à l’heure de sa mort. Quant aux inculpés, ils devraient être condamnés à réparer cette iniquité.
Faute de pouvoir honorer les restes de la Pucelle, un monument expiatoire lui serait consacré.
Montigny soumettait ses propositions à l’avis des juges consistoriaux.
Ceux-ci durent donner leur accord ; et, en effet le plan de Montigny fut fidèlement suivi.
Conseillés par les juristes français, Isabelle, mère de Jeanne, Jean et Pierre Darc, ses frères, présentèrent au Pape Callixte III une supplication véhémente pour obtenir la Réhabilitation de Jeanne et la leur.
C’est vraisemblablement au printemps de 1455 que la supplique 9fut portée à Rome. Dans sa réponse du 11 juin, le Pape la dit : nuper recepta [récemment reçue]. Il est très probable que ce fut par les soins du cardinal d’Estouteville. Callixte III, élu le 8 avril, écrivait le 1er mai à son ami qui séjournait encore à Rouen de venir promptement le rejoindre. Il insiste sur la vive et réciproque amitié qui depuis longtemps les lie, lui annonce son élection qui le remplira certainement de joie, le charge de tenter de nouvelles démarches en faveur de la paix entre les rois et pour la défense des droits de l’Église en France. Mais, ajoute-t-il,
si vous ne croyez pas réussir, laissez tout cela, car les affaires qui nous accablent, exigent que pour l’intérêt public vous vous mettiez immédiatement (illico) en route pour notre curie, où nous aurons grande joie à vous recevoir et à vous témoigner notre reconnaissance pour vos services4…
On voit que les Darc ne pouvaient avoir meilleur avocat auprès du nouveau Pape que celui qui avait dirigé les Enquêtes de Rouen si favorables à Jeanne.
Le texte de la supplique ne nous est pas parvenu5. Mais le rescrit pontifical en reproduit visiblement la teneur.
En voici les termes principaux :
Bien que Jeanne ait détesté toute espèce d’hérésie et n’ait jamais cru ou dit rien qui sentît l’hérésie ou s’opposât à la foi et aux traditions de l’Église, un certain promoteur des causes criminelles de la curie de Beauvais, à l’instigation, comme on le croit vraisemblable, de gens hostiles à Jeanne et aux siens, dénonça faussement Jeanne devant l’évêque de Beauvais et l’inquisiteur, comme coupable d’hérésie et autres crimes. Jeanne fut poursuivie et emprisonnée, sans que l’évidence du fait, la gravité des soupçons et la Clamor fame requises justifiassent ces poursuites. Or, bien que nulle preuve n’en ait été apportée et bien que Jeanne ait requis que sa cause fut portée au Pape, tout moyen de défense lui ayant été refusé, elle fut déclarée hérétique et livrée au supplice par la justice séculière. Pour obtenir réparation de leur honneur et de celui de Jeanne, sa mère, ses frères et parents, supplient le Pape d’ordonner la révision du Procès infamant et inique.
10B Le Rescrit de Callixte III
Le 11 juin, Callixte déléguait l’archevêque de Reims, les évêques de Paris et de Coutances pour faire comparaître les actuels inquisiteur et promoteur des causes criminelles à Beauvais, ainsi que tous ceux qu’il conviendrait, et juger sans appel sur la demande d’annulation introduite par la famille Darc. Sans rien préjuger, le Pape déclarait accueillir volontiers l’humble supplique qui lui avait été adressée, et lui donner attention favorable. Le choix des prélats, qu’il constituait juges en son nom, marquait qu’il reconnaissait à la cause une portée tout autre que familiale. Aussi bien, le Pape voulait que les prélats s’adjoignissent l’un des inquisiteurs au royaume de France. Jean Bréhal avait, depuis la légation du cardinal d’Estouteville, pris une trop grande part à la cause de Jeanne pour qu’il fût oublié. Son action serait décisive, et on doit le considérer comme le grand protagoniste de la Réhabilitation6.
Il est probable que le cardinal d’Estouteville inspira ces choix. L’évêque de Coutances, Richard Olivier de Longueil, son ami, appartenait lui aussi à l’une des plus nobles familles de Normandie. Fils de Guillaume, vicomte d’Eu, tué à Azincourt, il avait fait brillante carrière. Chanoine et official de Rouen, il avait en 1449, ouvert la ville à Charles VII vainqueur. À la mort de l’archevêque Raoul Roussel, en 1453, en concurrence avec Philippe de la Rose, il fallut l’intervention du Pape et celle du Roi pour départager les deux rivaux en désignant d’Estouteville pour le siège de Rouen. À quelques mois de là, Richard était nommé, le 28 septembre, à l’évêché de Coutances. Un grand rôle politique lui était réservé. Il entrait aussitôt au Grand Conseil, où il fut très assidu. On le vit désormais sans cesse en ambassade auprès des princes et du pape. En 1454, il allait en Allemagne avec Robert de Baudricourt pour obtenir l’alliance du roi de Hongrie. Le 15 mars 1456, il était chargé de conclure alliance avec le roi de Danemark ; il venait enfin d’être envoyé auprès du duc de Bourgogne pour le détacher du Dauphin en rébellion contre le roi. Les ambassades expliquent ses absences 11au procès de Réhabilitation, où il ne paraîtra que le 18 juin et les 1er, 2 et 7 juillet, pour la conclusion de la cause7.
Guillaume Chartier avait été élu évêque de Paris en 1447 à l’unanimité. C’est un sage, un pacificateur. Il avait enseigné le droit canon à Poitiers, en 1432. Chanoine de Paris, conseiller au Parlement, bien en cour auprès de Charles VII, il joua plusieurs fois le rôle de pacificateur dans les conflits de l’Université avec les Mendiants ou le peuple de Paris. Normand lui aussi, il avait connu par le cardinal d’Estouteville les enquêtes de 1452 favorables à Jeanne. Il fut le plus assidu aux séances de la Réhabilitation, et parfois les présida en l’absence de l’archevêque de Reims. Il assista notamment aux interrogatoires à Paris et Rouen8.
La personnalité de l’archevêque de Reims n’est pas sans poser une question curieuse. Que Jean Jouvenel des Ursins ait été choisi en raison de sa situation très considérable dans l’Église de France, comme aussi eu égard à son exceptionnelle autorité morale et juridique, cela témoigne de l’importance que Rome attachait à la cause de Jeanne. Reims rappelait les jours glorieux du Sacre, et l’on peut voir une intention délicate dans ce choix, qui rendrait à la Couronne, calomniée par les Anglais, tout son éclat. Non, ce n’était pas par les œuvres d’une sorcière que Charles VII avait reçu son Sacre. Mais son passé aussi faisait du Délégué de Callixte un juge indiscuté. Les Jouvenel avaient depuis un siècle exercé de grandes magistratures. Jean I Jouvenel, prévôt des marchands, avait fui les Bourguignons qui ensanglantaient Paris des massacres d’armagnacs
. Réfugié avec ses onze enfants à Poitiers, il y devint Président au Parlement. Son fils aîné Jean II y tint la charge d’avocat général et de maître des requêtes, puis succéda à Cauchon au siège de Beauvais (1432). Il y connut l’horreur des dévastations, des massacres, de la famine, dont il fit plusieurs fois au Roi un 12tableau effroyable. Douze ans il s’employa à sauver un pays livré aux bandes et aux armées, aussi barbares les unes que les autres. En 1444, il fut transféré au siège de Laon ; puis, en 1449, à celui de Reims, où il prit en 1455 le titre de Légat-né9.
Dans quelles dispositions se trouvait-il à l’égard de celle dont il allait juger définitivement la cause ? Son cas est troublant.
L’historien de Charles VII, Vallet de Viriville, premier éditeur d’une traduction intégrale du Procès de Condamnation10, attribue à Jean Jouvenel une défiance hostile à Jeanne, telle que celle de l’aristocratie ecclésiastique, militaire, politique
. Aux noms qu’il cite de Regnault de Chartres, de la Trémouille et de Raoul de Gaucourt, il estime qu’on peut… joindre, dans les rangs de l’Église, Jean Jouvenel des Ursins11
. Il est plus explicite, lorsqu’à propos de l’article LXII du Réquisitoire de J. d’Estivet qui dénonce les impostures
de Jeanne qui ont scandalisé le peuple chrétien
, il observe que beaucoup de gens d’Église, même dans le parti de Charles VII, principalement du haut clergé, partageaient ce sentiment à l’égard de la Pucelle. On connaît la conduite de R. de Chartres, chancelier de Charles VII, archevêque de Reims et métropolitain de Cauchon. D’après toute apparence, le successeur de Cauchon sur le siège de Beauvais, Jean Jouvenel des Ursins… pensait alors, au sujet de la Pucelle, à peu près exactement, au point de vue de la foi, ce que pensait P. Cauchon12
. Et plus loin : Les écrits de Jean Jouvenel des Ursins… montrent en lui, autant qu’on peut l’induire d’indices ou de preuves indirects un ennemi plutôt qu’un ami de la Pucelle13
.
13En effet, les écrits de Jouvenel, s’ils ne comportent aucune déclaration hostile à Jeanne, sont singulièrement réticents à son endroit. Englobait-il Jeanne dans ce flot de visionnaires et de sorcières qu’il dénonçait, en 1433, comme un horrible fléau14 ? Rien ne le prouve. Mais le silence obstiné qu’il garde toujours sur la Pucelle et ses exploits, ne peut s’expliquer par un hasard. Il révèle qu’après sa mort on affectait, en parlant au Roi, de passer sous silence ce qu’il devait aux victoires de Jeanne.
Il semble bien que, sous le coup de la sentence infamante de Rouen, on estimait malséant de rappeler à qui l’on devait ces victoires15.
Mais il est moins explicable qu’après l’ouverture en 1450 d’une première révision du Procès à Rouen par ordre du roi lui-même, et surtout au lendemain de la nouvelle enquête menée en 1452 par le cardinal d’Estouteville pour agréer à Charles VII, et ses résultats décisifs en faveur de Jeanne, Jouvenel observe le même silence dans les Remontrances pour la Réforme du royaume
, qui sont de 1453. Invitant encore une fois le roi à rendre grâces à Dieu, Jouvenel lui rappelle
la victoire que vous avez eue contre vos ennemis, je ne le sauroye desclairer et reciter, mais de belles en avez eues en divers pais, La Gravelle, Saint Celerin, Orleans, Pathay, Montargis, Compiengne, Laigny, Gerberroy, et les dernieres en Normandie et Guienne et plusieurs autres desquelles il vous doit souvenir16.
Charles se souvenait même alors de celle dont Jouvenel taisait encore le nom, tandis que Rome commençait de s’en émouvoir.
Faudrait-il, avec Vallet de Viriville, croire que personnellement Jouvenel n’avait pas été loin de penser sur la Pucelle comme son prédécesseur à Reims, voire comme son prédécesseur à Beauvais17 ?
14On peut du moins croire que Jouvenel, trop droit pour ne pas mener scrupuleusement les enquêtes dont le chargeait Callixte III, se tiendrait jusqu’au terme du Procès dans une réserve plus que prudente. Ce ne serait pas feinte quand à Notre-Dame de Paris il avertirait la mère de Jeanne, le 7 novembre, de bien réfléchir avant que d’engager des poursuites dont l’issue n’était rien moins que sûre. Quant à lui il observerait strictement l’injonction qui lui était faite par le rescrit du Pape, et
quoique l’Église doive se montrer compatissante envers une veuve, rien ne devrait être inspiré que par le plus pur souci de la foi18.
On s’étonnera moins d’autre part que la Sentence définitive évite soigneusement de rien prononcer sur Jeanne et son orthodoxie, et se tienne à la pure cassation de la procédure et sentence de Cauchon, lavant de toute infamie Jeanne et sa parenté du fait de l’injuste condamnation dont elle avait été la victime.
Donnons enfin acte à Jouvenel que, sans doute édifié par les Enquêtes qu’il avait présidées, lorsqu’en 1458 il implorera l’indulgence du Roi en faveur du duc d’Alençon, condamné à mort pour trahison, il rappellera les services rendus par le coupable à la cause royale et notamment qu’il
se mist en armes avecques Jehenne la Pucelle et fut a vostre sacre et vous fist chevalier19.
Tardive et combien discrète mémoire !
C Les opérations du tribunal
Quoique la multiplicité des pièces juridiques, des discours, des citations, des requêtes, etc., constitue un énorme dossier où se perd le lecteur, la marche cependant du Procès fut très simple. Elle comporte trois étapes :
- Ouverture des poursuites. Constitution du tribunal. Citations des accusés. Plaidoiries des avocats de la famille Darc (7 novembre-20 décembre).
- Enquêtes en Lorraine, à Orléans, Paris et Rouen, auprès des témoins de la vie de Jeanne ou de son Procès (20 décembre-juin).
- 15Conclusions des juristes et prononciation de la sentence (juin-7 juillet).
Le Procès s’ouvrit, le 7 novembre, à Notre-Dame de Paris avec la plus grande solennité. La mère de Jeanne et ses fils, au milieu d’une foule très émue, exprima sa douleur et supplia les évêques de réhabiliter Jeanne iniquement condamnée par Cauchon. L’émoi fut tel que les évêques durent suspendre la séance. Ils remirent au 17 la réception du Rescrit pontifical et la citation des parties à comparaître le 12 décembre, à Rouen.
Or, étaient mis en cause les juges et le promoteur de 1431, auteurs responsables de l’iniquité commise contre Jeanne et les siens. Morts, Cauchon et d’Estivet, et, sans doute aussi, l’inquisiteur Le Maître, c’est à leurs successeurs ou héritiers que sera signifiée la sommation de comparaître pour défendre la procédure de la condamnation. Ils seront appelés rei, accusés. Le pauvre notaire Jean de Frocourt, chanoine de Beauvais a été chargé de signifier à son évêque, Guillaume de Hellande, au promoteur Regnault Bredoulle, ainsi qu’au prieur des dominicains, Germer de Morlaines, par lecture publique, à haute et intelligible voix
, d’avoir à se rendre à Rouen, le 12 décembre, devant les évêques délégués. Tous se récusèrent, et Frocourt alla sur le champ afficher aux portes de la cathédrale, à l’heure des vêpres, la copie sur parchemin, confirmée par quatre notaires, de la lettre de citation ! Jusqu’au terme du procès on dut, à la requête des procureurs des Darc, se contenter de déclarer leur contumace. Il en fut de même des héritiers de Cauchon, représentés par son neveu Jacques de Rinel, qui déclarèrent ne pas vouloir défendre les actes de leur oncle et invoquèrent l’abolition accordée par Charles VII victorieux, pour protester contre toute poursuite qu’on leur intenterait.
Tandis que le réquisitoire de Guillaume Prévosteau, procureur des Darc, accablait les juges et le promoteur des charges les plus infamantes, et allait jusqu’à réclamer des accusés
, le paiement des frais et des dommages causés20, fort habilement il proteste ne vouloir en rien inquiéter
ceux qui avaient assisté au procès fait à Jeanne ou avaient exprimé leurs avis, à l’exception 16des dits accusés et de leurs complices21.
Beaucoup, qui se sentaient mauvaise conscience, furent rassurés et n’en apportèrent que plus de zèle à déposer contre Cauchon et les Anglais, devant lesquels ils avaient naguère tremblé.
En somme, on n’avait plus à craindre d’opposant, et la nullité de la sentence serait aisément établie. Les Darc cependant voulaient aller plus loin et obtenir une positive réparation de l’honneur de Jeanne. C’est à cet effet que fut constitué le dossier le plus complet, grâce aux documents apportés par les notaires de Cauchon, et aux dépositions que le tribunal allait recueillir pendant cinq mois d’enquêtes.
Comme Guillaume Manchon avait été requis de déclarer si lui et les autres notaires de 1431 entendaient défendre le procès de condamnation, et qu’eux aussi s’y étaient refusés, le procureur leur enjoignit de déposer tous les documents qu’ils posséderaient, livres, actes, instruments relatifs à la cause. Manchon livra aussitôt ce qu’il conservait en ses archives : la Minute en français, ainsi que la rédaction latine faite par lui et Thomas de Courcelles. Nous reviendrons sur ces précieux documents.
Comme par ailleurs le cardinal d’Estouteville avait en 1452 recueilli à Rouen des Informations canoniques préparatoires, l’inquisiteur Jean Bréhal, qui en avait gardé le dépôt, en présenta le registre, signé et scellé par les notaires Guillaume Mésard et Jean Dauvergne.
Ainsi les Délégués avaient-ils rassemblé ce qui subsistait à Rouen de documents d’archives22. Le 20 décembre, ils ordonnèrent de commencer en Lorraine les Enquêtes auprès des contemporains de Jeanne survivants.
D Les Enquêtes
Le 26 janvier, Regnault de Chichery et Vautrin Thierry, du diocèse de Toul, commissionnés pour citer et entendre les témoins du pays de Jeanne, reçurent des mains du frère même 17de Jeanne, Jean, prévôt de Vaucouleurs23, l’instrument scellé des Commissaires du Pape. Le mercredi 28 janvier, ils reçurent les premières dépositions à Domrémy24. Vingt et un paysans, paysannes et prêtres furent entendus. Le 31, six témoins comparurent à Vaucouleurs25. Enfin, du 5 au 11 février, sept témoins comparurent à Toul. Le 13, le dossier partait de Toul, sous forme de 58 feuilles et demie de parchemin, portant le seing manuel du notaire Dominique Dominici à la suite de chaque témoignage, en un rouleau scellé par les commissaires26.
Pendant ce temps on avait préparé les interrogatoires à faire à Paris, à Rouen, à Orléans, tandis qu’à Beauvais, de nouveau cités, l’évêque, le promoteur et le sous-inquisiteur s’obstinaient dans leur silence.
À Orléans, le 22 février, l’archevêque Jouvenel en personne, assisté de Guillaume Bouillé, ouvrait son enquête par l’audition des plus nobles personnages, le comte de Dunois, le Bâtard, comme l’appelait Jeanne, le sire de Gaucourt, âgé de 85 ans, suivis par 39 clercs, bourgeois, et bourgeoises, juristes ou moines, soldats, hôtes ou compagnons de Jeanne. Les séances durèrent jusqu’au 16 mars.
Paris devait entendre, du 2 avril au 11 mai, vingt témoins particulièrement autorisés, outre les médecins qui soignèrent Jeanne en prison, son jeune page Louis de Coutes, son chapelain frère Jean Pasquerel, et, entre tous, son gentil duc
, Jean d’Alençon, qui avait été jusqu’aux murs de Paris son plus cher compagnon de combat. Il ne manquait que le témoignage du vieux Jean d’Aulon, le chef de sa maison militaire, qui, pour lors sénéchal de Beaucaire, avait été prié par lettre de l’archevêque de Reims, du 20 avril, de lui consigner par écrit bien et largement
tout ce qu’il savait de Jeanne. Le 28 mai, par devant notaire, d’Aulon évoqua ses souvenirs de campagne en présence du vice-inquisiteur, qui eut le bon esprit de laisser en français les récits et un peu les confessions du brave sénéchal 18qui, pris avec Jeanne devant Compiègne, partagea sa captivité à Beaulieu27.
D’un tout autre caractère seraient les dépositions faites à Rouen devant l’archevêque de Reims et l’évêque de Paris, par les survivants du procès et de la mort. Les 10, 11, 12 et 13 mai, comparurent encore une fois les notaires, puis les religieux et maîtres qui avaient assisté Cauchon, enfin quelques civils, l’ouvrier forgeron Cusquel, le bourreau Le Parmentier, un avocat, le lieutenant du bailli de Rouen, Pierre Daron, qui assista à la mort de Jeanne, et deux braves artisans lorrains Jean Moreau et le chaudronnier Husson Le Maistre, par qui l’on sait qu’un informateur, envoyé au pays de Jeanne pour enquêter sur elle, fut très mal reçu par Cauchon, auquel il ne rapportait, de cinq ou six paroisses voisines de Domrémy, que d’excellents témoignages, tels, disait-il, qu’il les eût souhaités sur sa propre sœur
.
Enfin, bon dernier, on avait vu apparaître, le 14 mai, non appelé, non attendu, le vieux doyen de la faculté de théologie de Poitiers, le dominicain Seguin de Seguin, qui, lors de l’enquête faite par ordre de Charles VII, avait essuyé deux réponses cinglantes de Jeanne. Ayant cru spirituel de lui demander en son patois limousin quelle langue parlait saint Michel : Meilleure que la vôtre !
Et insistant : Et croyez-vous en Dieu ?
— Mieux que vous !
lui répliqua Jeanne. Le bon maître ne lui en voulait pas. Lui aussi ne pouvait que célébrer ses vertus et ses prédictions qui toutes étaient accomplies.
D’où qu’ils vinssent, les témoins étaient unanimes à réprouver la procédure haineuse de Cauchon et à proclamer l’innocence de sa victime.
Restait à conclure.
E La Sentence
En confirmation des Enquêtes, les Délégués voulurent encore interroger les rapports savants des juristes et des théologiens. L’Inquisiteur Jean Bréhal rédigea son Résumé de toute l’affaire28. 19On fit à Rouen une révision générale des documents réunis, qui occupa tout le mois de juin. Enfin, après une dernière assignation des accusés
déclarés contumaces, il fut décidé que le 7 juillet la Sentence serait solennellement proclamée. Elle le fut au Palais archiépiscopal suivie de la procession et prédication générale, au cimetière de Saint-Ouen ; puis, plus solennellement encore, le lendemain au lieu même du supplice, au Vieux Marché, où fut élevée une Croix expiatoire
en mémoire perpétuelle et pour le salut de Jeanne et de tous les morts29.
Quelle était la portée de cette Sentence, en quoi répondait-elle à la plainte des Darc et à la commission de Callixte III ? On ne peut manquer de la trouver discrète, sinon décevante.
La supplique de la famille Darc, les requêtes de ses avocats insistaient sur la réparation de l’honneur de Jeanne et de sa parenté. Objet essentiel, sur lequel ils avaient satisfaction. Mais ceci d’une façon toute négative par l’annulation de la sentence de Condamnation, fondée, on y insistait, sur des Articles d’accusation mensongers. Sur ces articles et sentences les juges fulminaient leur réprobation et ordonnaient qu’ils fussent arrachés de l’Instrument de Cauchon, lacérés et brûlés sur le champ par la main du bourreau. Le Procès de 1431 était déclaré nul et cassé.
Il est remarquable que la sentence ne tient pas compte de la pétition écrite déposée par G. Prévosteau, procureur de la famille, qui réclamait des juges
qu’ils prissent bien soin de déclarer que Jeanne était demeurée jusqu’à la mort incluse, fidèle et catholique ; précisant d’une façon très explicite, que Jeanne n’avait mérité aucune imputation d’hérésie, de crédulité perverse, d’erreur dans la foi, de rupture avec l’Église et de toute autre incrimination30.
Cette requête ne reçut aucune satisfaction. Quant aux dommages et intérêts réclamés par la famille, il n’en est pas question ; non plus que des images et épitaphes
à ériger à Rouen, et où il conviendra.
20La croix honorable, en mémoire perpétuelle
, serait dressée pour implorer le salut de Jeanne et des autres défunts
. On avait demandé que, s’il plaisait au Roi, afin que la Sentence de Réhabilitation demeurât dans la mémoire des hommes, elle fût conservée dans les Chroniques de France et dans la Chambre du Trésor des Chartes
. Il n’est fait aucune mention de ce vœu si légitime. Le seul mot d’hommage à Jeanne, dite bone memorie, était une formule de style qui la mettait sur le même rang que Cauchon, dit lui aussi bone memorie, dans le rescrit de Callixte !
Quant aux personnes, juges iniques et complices, mis en accusation et cités à comparaître comme rei, ils n’encourent pas le moindre blâme. Nous avions vu Jouvenel parler de la folle erreur
de Cauchon, rallié au roi d’Angleterre. Du juge, dont la passion et l’iniquité avaient été dénoncées par presque tous les témoins du Procès, on se gardait de rien dire, non plus que de l’inquisiteur et du Promoteur. On multipliait les qualifications infamantes sur les fameux XII Articles, corrupte, dolose, calumniose, fraudulenter et maliciose… extractos, mais on ne dénonçait pas ceux qui les avaient ainsi rédigés. Si l’on appuyait sur leur teneur mensongère, c’était pour excuser les Opinants de l’Université de Paris, qui (les innocents), malgré leurs séances solennelles et délibérations plénières, avaient été induits en erreur !
Avec quel scrupule on s’en tenait aux protestations répétées par les avocats des Darc de ne vouloir en rien porter atteinte à
l’honneur de quiconque avait coopéré au Procès de Condamnation, à l’exception des juges et du promoteur31.
En effet, on n’avait condamné que des textes, et poursuivi, platoniquement, 21que des morts. Une fois encore la politique l’emportait.
Faut-il souscrire à des reproches plus sévères formulés par Quicherat contre les juges de la Réhabilitation ? Dans ses Aperçus nouveaux32, après avoir déclaré que les juges de la Réhabilitation étaient la probité même
, il n’entend pas que la critique perde ses droits, ni qu’il faille tout accepter sans observation. Il estime en effet que
les dépositions des témoins… ont l’air d’avoir subi, la plupart, de nombreux retranchements… Autant de suppressions commandées par les circonstances. [Il s’agit toujours de] l’honneur de tout le monde [qui] devra être sauf. [Ce serait la raison pour quoi] il n’y eut d’enquêtes ni à Compiègne, ni à Senlis, ni à Lagny, lieux que l’accusation avait désignés comme le théâtre principal des soi-disant méfaits de la Pucelle.
Et pourquoi aussi n’auraient pas été appelés à témoigner
certaines personnes, dont le témoignage aurait été de grand poids33.
On n’a pas à vrai dire l’impression que ces omissions ou retranchements aient obéi à une intention habile. Les juges ont très largement provoqué et enregistré les dépositions, fussent-elles de ceux qui n’aimaient guère Jeanne, comme Raoul de Gaucourt, voire de ceux qui à Rouen avaient apporté leur concours à Cauchon, comme Thomas de Courcelles, Jean le Fèvre, André Marguerie, et le bourreau lui-même. Ce que l’on peut dire, c’est que, le vent ayant tourné, les plus compromis surent parler le langage qui plairait aux nouveaux maîtres.
Jeanne connaissait assez les hommes pour ne plus s’étonner de leurs faiblesses. Elle eût sans doute répété le mot prononcé à Chinon que :
Plus il y en aura ensemble de sang de France, mieux en sera-t-il34.
22Nous savons très mal quel écho la Réhabilitation de Jeanne trouva dans le pays.
Orléans se devait de la célébrer tout particulièrement. Il apparaît aux Comptes de la ville que, les 20 et 21 juillet, l’évêque de Coutances et l’inquisiteur Bréhal vinrent y proclamer la Sentence35.
Par ailleurs le silence des Chroniques n’est pas sans étonner. Nous avons vu qu’au nom des Darc, il avait été demandé que la sentence fût insérée aux Chroniques du Royaume :
Insuper, ut haec vestra sentencia ac reparacio ab hominum memoria non deleatur, si domino nostro Regi placuerit, ut chronicis Franciae et camere sui Thesauri Chartarum inseratur et recondatur memoriter36.
[De plus, afin que votre sentence et cette réparation ne soient pas effacées de la mémoire des hommes, s’il plaît à notre seigneur le Roi, qu’elles soient insérées dans les Chroniques de France et la Chambre de son Trésor des Chartes, et conservées pour la postérité.]
On ne trouve aucune trace d’exécution, sinon cette affirmation de Godefroy dans l’Histoire de Charles VII :
Et comme cette déclaration est authentique, je la rapporteray icy, comme en lieu où elle luy convient entièrement, afin d’en mieux conserver la mémoire, ayant été tiré du Trésor des Chartes du roy, qui se gardent à la Sainte Chapelle à Paris, et exactement conférée sur l’original et sur des anciennes copies de difficile lecture37.
Nous signalerons plus loin quel intérêt de grands personnages portèrent aux Procès, dont ils firent transcrire de notables copies.
23II L’Instrument juridique du Procès
Les Actes du Procès et les documents déposés au tribunal furent consignés par les notaires dans un Instrument juridique, qui se clôt sur la Sentence définitive, mettant fin à l’action intentée par les Darc.
Les pièces originales, dont procèdent toutes les copies authentiques sont perdues.
Quicherat38
croit en avoir trouvé la trace (dans) un inventaire, dressé vers 1460 des
Sacs et lectres du Roy estans a Tours39. L’article 15 en est ainsi conçu :Item, ung autre sac de besongnes communes, ouquel est l’appoinctement de Xaincoins, le scellé de monseigneur Pregent de Coictivy, le fait de la Pucelle et plusieurs autres besoignes.S’il faut entendre parle fait de la Pucelleles papiers de la Réhabilitation, on concevra que ces papiers aient été de bonne heure perdus ou détruits, ayant été portés dans un château de province, au lieu d’avoir leur place dans l’un des grands dépôts de la couronne.
A Les copies authentiques
Ainsi seules les expéditions faites par les notaires nous sont parvenues.
Quelles sont-elles ?
La recension des manuscrits notariés faite par Quicherat40, et reprise par Champion dans sa Notice, aboutit à reconnaître trois manuscrits, que Champion donne comme
les trois exemplaires authentiques du Procès de Réhabilitation (p. 23).
Ce sont : les manuscrits latins 5970 et 17013, dit de Notre-Dame, conservés à la Bibliothèque Nationale, ainsi que le Stowe du British Museum.
Nous possédons ainsi, — affirme-t-il, — tous les 24authentiques du Procès de Réhabilitation. Fait surprenant dans l’histoire d’un texte, aucun chaînon n’a été rompu.
La question n’est pas aussi simple.
Un document incontestable pose la question sur des données toutes nouvelles, document que n’ont connu ni Quicherat ni Champion.
Le témoignage le plus précis sur les copies du Procès émane du
Deuxième compte de Robert Demolins, receveur général des Finance sur et deçà les rivières de Seyne et Yonne, pour l’année finissant en septembre 145841.
Avec la précision d’un comptable, Robert Demolins note des paiements effectués pour le Procès :
aux trois évêques : CC livres chacun ; à l’inquisiteur : C ; à G. Bouillé : 137 l., 10 s. ; à Pierre Maugier et à S. Chapitault : 68 l., 15 s. ; aux notaires le Comte et Ferreboucq : 68 l., 15 s. ; [et de plus] pour ledit procès faire, notablement escrire et multiplier en 6 livres ou volumes, desquels les deux seront pour le roy, et les autres 4 pour les juges… lesdits le Comte et Ferreboucq ordonnés à escrire les procès et sentences en 6 volumes ou livres : 300 l. 42
Il s’agit donc bien de 6 expéditions, deux pour le roi et quatre pour les quatre juges. Malheureusement ces 6 expéditions n’ont pas été individualisées ou décrites, et il est difficile d’en suivre la fortune.
Les notaires le Comte et Ferrebouc nous apportent sur ce point des données fort confuses. Dans la préface éloquente qui ouvre la seconde rédaction du Procès43, ils nous disent :
Hoc nostrum integrum authenticumque registrum, sub volumine triplicato censuimus redigendum, in altero tantum dictorum voluminum, propter processuum amborum prolixitatem permaximam, antedictum processum annectando pariter et coniungendo ad longum, sicut a notariis processus antedicti44 in iudicio solemni est receptus et per dominos delegatos coram nobis notariis et aliis probatissimis viris multotiens integraliter visitatus45.
[Nous avons jugé bon de rédiger ce registre complet et authentique en triple exemplaires, mais de n’annexer le premier procès dans son intégralité qu’à l’un d’eux, en raison de l’extrême longueur des deux procédures ; ce premier procès ayant été reçu par les notaires du présent procès lors d’un acte judiciaire solennel, et maintes fois examiné en entier par les seigneurs délégués, en notre présence à nous, notaires, ainsi qu’en celle d’autres hommes des plus dignes de confiance.]
25Par ailleurs, dans leur préface, qui annonce au chap. 8e les Traités juridiques, une note marginale46 du manuscrit Notre-Dame avertit que :
Tractatus de quibus in hoc octavo articulo fit mencio, solum sunt inserti in duobus magnis processibus, propter eorum prolixitatem.
[En raison de leur longueur excessive, les traités mentionnés dans ce huitième chapitre n’ont été insérés que dans les deux grands (exemplaires du) procès.]
D’où il résulterait que les notaires n’ont transcrit le procès de 1431 que dans une copie, et les traités que dans deux copies, nommées grandes
.
De quelles copies s’agit-il ?
1° Aucun des trois procès de la Réhabilitation : ni B. N. 5970, le plus complet, ni Stowe 84, ni le Notre-Dame, ne contiennent le procès de 1431. Il faut chercher ailleurs.
2° Quant aux Traités : sur 14, le ms. 5970 en transcrit 10, le Stowe, 6, le Notre-Dame, seul le traité de Gerson. Quels sont les duo magni processus
?
Champion reconnaît ces deux grands procès dans le ms. 5970 et le Stowe, qui sont d’ailleurs de grand format oblong. Cette opinion est probable. Ainsi, des 6 volumes payés en 1458, trois sont identifiés. Trois autres demeurent à rechercher.
C’est ici qu’intervient un ms., jusqu’ici mal connu, et qui se révèle d’un intérêt considérable : le B. N. 8838, dit ms. de d’Urfé, que nous avons déjà décrit et utilisé au tome IV de nos Documents et Recherches, en publiant L’Enquête du cardinal d’Estouteville.
B Le manuscrit d’Urfé
Description47
Le manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale, sous la cote ms. lat. 8838, est ainsi décrit par Quicherat (V, 438) :
C’est un volume in-folio maximo, en vélin de choix de 51 sur 30 centimètres ; doré sur tranche, avec reliure en veau vert, le dos maroquiné rouge, au chiffre de Napoléon. Sur les plats ont été rapportés des cuivres ciselés, qui appartenaient à une reliure plus ancienne, savoir, deux écussons vairés et timbrés, qui sont les armes de la maison d’Urfé, plus huit encoignures composées 26d’emblèmes, où s’entrelacent, avec la devise UNI, les chiffres I et C48.
Ce qu’il est plus important de signaler encore, et qui n’a pas été assez remarqué, ce sont les ressemblances frappantes entre Urfé et les deux manuscrits Latin 5970 et Stowe 84 que nous possédons. Identité de dimension assez extraordinaire : environ 50 x 30 cm. Même disposition de la page : 60 à 70 lignes ; et, tout au moins une partie du latin 5970 et d’Urfé, copiée de la même main. Tout semble indiquer qu’ils sont contemporains et émanent de la même officine49.
Histoire du manuscrit50
Quicherat et Champion estiment que ce manuscrit vient de Claude d’Urfé, qui, après la mort de sa femme, Jeanne de Balzac, adopta la devise UNI (1542). Jeanne de Balzac avait hérité de sa mère Anne de Graville, fille de l’amiral Louis Mallet de Graville ; et il est permis de conjecturer que c’est à celui-ci qu’est dû le manuscrit qui nous intéresse. Nous savons déjà que c’est sur son commandement
et celui de Louis XII que fut rédigée la Compilation du manuscrit d’Orléans que nous avons précédemment éditée51. La parenté entre ces deux manuscrits est évidente. Ce manuscrit témoigne de l’intérêt que les Graville vouaient à la mémoire de Jeanne, en souvenir de leur aïeul Jean Mallet, sire de Graville, qui avait combattu auprès de la Pucelle. Grand maître des arbalétriers, il avait fait la campagne de Loire, et paru au sacre de Reims.
De la bibliothèque d’Honoré d’Urfé notre manuscrit passa dans celles de M. de Chavannes, de Thomas d’Ylan ; en 1769 dans celle de Fevret de Fontette. L’Averdy le vit en 1787 au Dépôt des Chartes ; d’où il passa enfin à la Bibliothèque du Roy.
Mais depuis longtemps les reliures somptueuses n’avaient fait que consacrer le plus fâcheux chaos.
27Analyse du manuscrit
Tel que le décrivait Quicherat en 1849, il présentait, disait-il,
une telle confusion que personne jusqu’ici n’a pu s’y reconnaître.
Il a fallu, — assurera Champion, — la science paléographique de J. Quicherat, servie par sa claire intelligence et sa merveilleuse connaissance des textes, pour débrouiller ce chaos52.
Deux écritures bien distinctes, — notait Quicherat, — alternent l’une avec l’autre à diverses places du manuscrit. L’une est la cursive coulée du temps de Louis XII, l’autre est la plus belle gothique de la chancellerie de Charles VII53.
Ces deux écritures se mêlent inextricablement, au point de sembler composer un ouvrage homogène.
D’où vient cet imbroglio ? C’est une triste histoire sur laquelle nous sommes mal renseignés.
Originellement le codex, sur vélin, contenait la copie du Procès de Réhabilitation dans sa Rédaction épiscopale.
Continet istud opus processum iudicialem,… per cuius seriem iniquus ille calumpniosus processus sentencialiter… revocatus est, quo mediante, Iohanna Darc, dicta la Pucelle,… dampnata (fuit).
[Cet ouvrage contient le procès judiciaire dont le déroulement a mené à la révocation, par voie de sentence, de ce procès inique et calomnieux par lequel Jeanne d’Arc, dite la Pucelle, avait été condamnée.]
Suit l’intitulé des Lettres patentes des juges de la Réhabilitation :
In Christi nomine. Amen… Iohannes, etc.
Que se produisit-il ? Il est difficile de s’expliquer l’accident qui, soit avant qu’ils fussent reliés, soit qu’ils aient été déreliés, fit disparaître des folios ou des cahiers entiers. En tous cas, c’est en cet état désastreux que le trouva son possesseur en son château de la Bâtie, au début du XVIe siècle.
Est-ce Claude d’Urfé qui, entre 1502 et 1558, entreprit de réparer la catastrophe ? Son zèle ne fit qu’accroître le malheur. Sans étudier de près les fragments recueillis en désordre, sans en discerner l’agencement originel, ni en reconnaître la nature, il emprunta des textes de remplacement à des ouvrages d’autres mains et d’autres dates. Les cahiers manquant à la Minute française 28furent suppléés par la transcription de la rédaction latine de Courcelles ; les cahiers manquant à la Rédaction épiscopale de la Réhabilitation furent suppléés par des passages de la Rédaction notariale ; le tout entremêlé de fragments disparates, et pris dans une reliure magnifique qui, masquant les lacunes, soudant les morceaux les plus hétéroclites, foliota bravement ce monstre dans une numération continue. Le grand souci semble avoir été de s’assurer des folios rigoureusement du même format, comme pour dissimuler le rapiéçage.
L’inintelligence de cette conception, — conclut Quicherat, — n’est surpassée que par celle de l’exécution, puisque l’état actuel du manuscrit prouve qu’on ne sut ni reconnaître les lacunes, ni remettre à leur place les cahiers transposés.
Quicherat et Champion ont parlé de chaos indéchiffrable
. Très justement, décidait celui-ci,
la clef du manuscrit de d’Urfé consiste à bien séparer ce qui est d’une écriture, et ce qui est de l’autre.
Si attentives que soient les analyses du manuscrit faites par Quicherat et Champion, la clarté ne serait parfaitement obtenue que le jour où, dérelié, il serait possible de restituer, cahier par cahier, la suite de l’ouvrage et de reconnaître ses lacunes. Le repérage de toutes les réclames, invisibles parfois par le fait de la reliure, le compte des folios résoudraient les énigmes.
M. J. Porcher conservateur en chef du département des manuscrits à la Bibliothèque Nationale, avec une vue très pénétrante du problème, a osé prendre à la lettre le parti de séparer
les écritures du XVe et celles du XVIe siècles. Ayant fait découdre le manuscrit, les cahiers ou folios du XVIe siècle mis à part, il était aisé de regrouper les cahiers primitifs dans leur ordre naturel. Dans la nouvelle reliure des folios blancs témoignent des lacunes provenant des mutilations anciennes. Mais dans sa ligne essentielle, nous pouvons désormais lire la Rédaction épiscopale du Procès de Réhabilitation dans le seul manuscrit que nous en possédions. La lecture intégrale des textes qui n’avait jamais été faite, réserverait quelques surprises notables54.
29Et voici que s’impose à nous un problème dont l’importance et la solution justifient cette présente édition.
C Les deux rédactions du Procès de la Réhabilitation
Le manuscrit d’Urfé nous offre, sous une forme originale le Procès de Réhabilitation, qui après une brève intitulation, s’ouvre par la forme juridique traditionnelle :
In nomine Domini. Amen.
Ad perpetuam infrascriptorum memoriam.
Universis patentes litteras inspecturis, Johannes, miseracione divina archiepiscopus et dux remensis, par Francie, etc.
Les trois évêques délégués par le pape Callixte III prennent la parole et la gardent tout au long de leur Instrument : Nos, etc.55 C’est la forme sous laquelle, en 1431, Pierre Cauchon avait rédigé ses lettres patentes, contenant les actes et les pièces juridiques du dossier.
Or, les trois manuscrits jusqu’ici mentionnés contiennent une rédaction d’une tout autre forme, où ce sont les notaires qui prennent la parole à la première personne et rapportent les actes des évêques à la troisième. C’est donc un récit ou un rapport, en place d’un acte56.
Le problème est de savoir pourquoi ces deux rédactions, épiscopale et notariale, et quelles sont, de l’une et de l’autre, la nature et la portée.
Quicherat, et Champion après lui, ont cru voir dans la rédaction épiscopale une rédaction d’essai
, tandis qu’ils voyaient une rédaction définitive dans celle des notaires. Cette opinion semble devoir être abandonnée. En tous cas un examen nouveau des deux textes s’impose.
La Rédaction épiscopale
À première inspection, le document épiscopal paraît revêtir un caractère juridique privilégié, puisque, plus que quiconque, les juges ont qualité pour parler57.
30Cette rédaction comportait la surabondante documentation constituée par les pièces déposées au tribunal par G. Manchon, entre autres la Minute française du Procès de condamnation et la copie privilégiée du texte latin de ce procès. Il n’est pas vraisemblable que, pour une rédaction d’essai
, on ait pris la peine et fait la dépense exorbitante de transcrire tout au long les textes français et latin du Procès de 1431, qui à eux seuls remplissaient deux gros volumes de plus de cent folios.
Dire, par ailleurs, que cette rédaction épiscopale, certainement primitive, une fois faite ne reçut pas de caractère authentique
, est gratuit, puisque le registre original étant perdu, et la copie conservée dans Urfé étant mutilée de ses derniers cahiers ou folios, où auraient figuré la mention des attestations des notaires, leurs signatures et les sceaux des juges, rien ne prouve que cette expédition n’ait pas été authentiquée.
La Rédaction notariale
Pourquoi cette seconde rédaction et quelle en est la valeur ?
Soit, — écrit Quicherat, — que les juges n’aient point approuvé [la première rédaction] ; soit que, de leur chef, les greffiers aient trouvé leur travail trop peu satisfaisant pour l’expédier dans cet état. Ils recommencèrent à frais nouveaux, et cherchèrent cette fois à convertir en un recueil méthodique ce qu’ils n’avaient pas pu rédiger convenablement dans la forme accoutumée des documents judiciaires58.
Nous avons vu que la première hypothèse est sans fondement59. Reste la seconde.
En effet, les notaires ont, dans une longue et complaisante préface, expliqué qu’ils ont travaillé à ordonner un dossier fort encombré (Exigit rationis ordo…) ; et que, pour cela, ils l’ont réparti en huit chapitres. Leur premier soin a été, propter prolixitatem nimiam
[en raison de leur longueur excessive], de supprimer les longs, mais infiniment précieux, textes de la condamnation, la Minute française notamment, que nous posséderions aujourd’hui en entier dans trois manuscrits au moins. Comment n’ont-ils pas senti la grave faute professionnelle qu’ils faisaient ?
31Par ailleurs, la légèreté avec laquelle ils ont établi leur texte accuse sérieusement leur négligence. Quicherat en a été si choqué qu’il consacre deux pages à relever les défauts
de la rédaction vicieuse de l’instrument définitif60…
Les manuscrits témoignent d’une extrême négligence de la part des greffiers, non seulement par l’incorrection des textes, mais encore par les fautes de rédaction qu’on est surpris de rencontrer dans un acte revêtu d’un caractère légal… Les nombres… sont presque toujours fautifs. Dès le début de la cause, cela produit une confusion inextricable ;… les prénoms, tant des témoins que des officiers du tribunal, sont une source d’erreurs, non moins fréquentes… Il arrive qu’en plusieurs endroits le discours est resté dans la bouche des juges,… faute d’avoir changé de personne les verbes et les pronoms… Ailleurs, c’est la rédaction du procès verbal d’une même audience qui diffère de l’un à l’autre des deux manuscrits61… Tout cela démontre que les expéditions authentiques sont sorties du greffe sans avoir été collationnées ; que Comitis et Ferrebouc les ont signées les yeux fermés, s’en remettant des fautes commises à l’excellence de la cause.
Précédemment, Quicherat avait noté qu’il est certain que Ferrebouc
n’était qu’un écolier en comparaison de Thomas de Courcelles.
Tout cela n’est pas fait pour donner à des rédactions pleines d’erreurs et non collationnées, une préférence.
Par ailleurs, c’est peut-être contre la rédaction des notaires que se retourne l’argument de Quicherat, tiré de l’absence des sceaux des juges. Il est troublant de constater, avec Quicherat, que, même lorsque dans leurs attestations les greffiers affirment que les sceaux des juges ont été apposés sur leurs copies, en fait
il ne reste aucune trace de ces sceaux, ni de la place où ils ont pu être apposés62.
Les évêques auraient-ils jugé ces expéditions si mauvaises ou si déficientes qu’ils n’auraient pas voulu les authentiquer de leurs sceaux63 ?
En effet, le ms. 5970 se clôt sur le seing et la signature de le 32Comte, qui affirme l’authenticité de la copie revêtue de son seing, avec celui de Ferrebouc, et dominorum iudicum sigillorum apposicione
[et l’apposition des sceaux des seigneurs juges]. Or, il n’est trace ni de sceaux pendus ni de sceaux apposés. Dans le Stowe, il n’y a plus aucune mention de ces sceaux. Quant au Notre-Dame, il se clôt sans attestation des notaires ni mention de sceaux.
Ces faits étant constatés, nous sommes engagés à considérer le problème des deux rédactions dans une perspective nouvelle.
La rédaction épiscopale est la forme première, et serait la forme officielle juridiquement et textuellement la plus autorisée. On y pourrait reconnaître celle qui figurait dans les deux (volumes) qui seront pour le roy
. On comprend que les greffiers parlent à plusieurs reprises de sa prolixitas maxima.
Quant à la rédaction notariale, que nous trouvons dans trois manuscrits, dont le Notre-Dame, destiné formellement à l’évêque de Paris, l’un des juges, on peut y voir la rédaction postérieure, remaniée, destinée par les greffiers aux juges.
Ce sont des rédactions allégées des énormes Procès de 1431 et d’une partie, sinon de la totalité, des Traités et Consultations. Tout indique, Quicherat l’a souligné, que ces expéditions, qui comportent de notables variantes, ont été rédigées fort négligemment, et n’ont pas reçu l’authentification des sceaux des juges.
Mais, plus que les négligences, c’est le caractère rédactionnel qui doit être considéré. Le Comte et Ferrebouc, en se substituant aux juges dans leur préface et leurs récits des actes, assument étrangement la qualité de narrateurs. Au lieu de l’objectivité froide et modeste de notaires, qui rapportent brutalement les dires et les faits, en disparaissant eux-mêmes derrière les juges, dont ils ne sont que les greffiers, ils prennent la manière et le ton d’écrivains composant un ouvrage en vue du public. Ils marquent leur souci de disposer les textes en sorte que omni confusione sublata, facilius et ordinacius memorie et consideracioni legencium, presentatur
[toute confusion étant levée, (le contenu) soit présenté plus facilement et de manière plus ordonnée à la mémoire et à la considération des lecteurs] (Q, II, 78). C’est pourquoi ils décident d’en distribuer la matière en chapitres, ce qui est d’un livre plus que d’un dossier. Le bienfait n’en n’est contestable. Mais, quand leur Préface s’ouvre par un solennel exorde à la Tite Live, quand surtout, de leur propre chef, ils dénoncent et flétrissent les iniquités de Cauchon et de sa sentence (Q, II, 77), les irrégularités, 33les violences, les ruses employées pour tromper leur victime, accusations que les juges n’ont pas retenues dans leur sentence, ils font œuvre de justiciers ou de promoteurs. Il n’est pas jusqu’au censuimus inserenda… [nous avons jugé bon d’insérer…], duximus adiungendas… [nous avons décidé d’adjoindre…], qui ne marquent des initiatives (excellentes peut-être en soi), fort convenables à des juges, mais qui sont le propre d’un ouvrage personnel d’historiens plus que de greffiers aux ordres. On comprendrait ainsi que les juges leur aient laissé la responsabilité d’un ouvrage auquel ils n’ont pas cru devoir conférer par leurs sceaux le caractère d’instrument officiel.
En ces conditions, il semble qu’il faille réviser le jugement formulé par Champion (Notices, p. 28-31) :
Si l’histoire de la rédaction définitive [la notariale]… est désormais close, un problème demeure toujours, celui de la rédaction primitive [l’épiscopale], ou plutôt de la forme première abandonnée par les notaires… Ici nous n’avons guère à modifier ce qu’a dit J. Quicherat dans l’analyse si pleine d’intuition et de science qu’il a faite du manuscrit dit de d’Urfé… Ce que Quicherat a montré d’une façon définitive, c’est que le manuscrit d’Urfé représente une rédaction d’essai du procès de Réhabilitation.
Nous avons soumis nos déductions aux médiévistes romains, juristes et historiens, consulteurs du Saint Office, professeurs aux Universités romaines. Nous ne croyons pas être indiscrets en prenant acte de leur adhésion aux conclusions ici formulées, qui reconnaissent à la rédaction notariale un caractère littéraire personnel, et tendent à rendre à la rédaction épiscopale une autorité juridique préférentielle.
Reste à préciser qu’elle valeur elle a pour l’histoire.
Intérêt historique de la Rédaction épiscopale
Tout à fait indépendante de celle de son autorité juridique, se pose la question — qui pour les historiens prévaut — de sa valeur textuelle et documentaire.
Pèsent sur elle les plus fâcheux malheurs. Non seulement la Rédaction épiscopale ne nous est pas parvenue dans son registre authentique, ce qui la compromet singulièrement, puisque nous n’en n’avons qu’une copie ; mais pour comble d’infortune 34l’unique copie subsistante a par de multiples accidents perdu des cahiers entiers, et cela avant peut-être de recevoir sa première reliure : le premier cahier de la Minute française, un nombre incertain de cahiers relatant des actes qui se situent entre le 20 décembre et le 13 mai ; puis ceux du 9 juin au 7 juillet, contenant, la sentence définitive, et enfin une bonne partie des traités juridiques versés aux mains des Juges. Pertes de très grande conséquence, sinon irréparables64.
Les mutilations du ms. d’Urfé, seul témoin connu de la Rédaction épiscopale, lui ôtent une grande part de son intérêt historique. Mais ce n’est pas une raison pour dédaigner ce que nous en possédons.
Car d’une part, la rédaction des actes est à plusieurs reprises fort différente de la rédaction notariale. Tel le long récit de l’ouverture du procès à Paris ; présentation du rescrit de Callixte III et susception de la cause. Il arrive ici qu’Urfé apporte des documents plus complets. Ainsi pour la séance du 17 novembre, au manoir épiscopal de Paris, Urfé nomme parmi les témoins treize personnages omis dans la rédaction notariale, six abbés, de Saint-Denis, Saint-Germain des Près, Saint-Magloire, Saint-Lô, Saint-Crépin et de Cormeilles ; deux conseillers au Parlement de Paris : J. Henrici et J. le Beauvoisien ; cinq maîtres : Thomas Verel, Jean Lestournel, Pierre de la Leu, D. du Puy, G. Sohier65.
Quant aux mutilations infiniment regrettables, elles n’empêchent que, dans son état actuel, ce qui reste du manuscrit d’Urfé, n’est pas si mince : soit 240 folios de très grand format, tandis que les manuscrits les plus complets de la Rédaction notariale, ne comptent dans ce même format, le ms. 5970, que 204 folios et le Stowe, 182 seulement. L’Urfé, tout mutilé qu’il soit, est donc le plus considérable.
35Mais ce qu’il contient est hors de comparaison, puisque seul, il nous offre la Minute française en ses trois quarts. C’était le plus précieux document versé par G. Manchon aux mains des juges.
On se rappelle que les demandeurs de la famille Darc, sûrs de leur cause, comme ils avaient fait assigner les successeurs ou héritiers des juges et du promoteur de 1431, exigèrent que tous les documents de la Condamnation fussent remis aux juges de la révision66.
Le 15 décembre, G. Prévosteau et S. Chapitault, cum debita instantia [avec l’insistance due], requirent que les notaires de 1431, et particulièrement G. Manchon, principalis in eodem processu notarius [principal notaire dans ce procès], fussent mis en demeure de déclarer s’ils étaient disposés à défendre la procédure de Cauchon.
Ils répondirent, et principaliter G. Manchon, qu’ils ne la défendraient pas. Ils furent alors requis de déposer aux mains des Délégués tous les documents qu’ils pourraient posséder. Si que haberent apud se concernencia processum antedictum. [S’ils avaient en leur possession quelque chose concernant ledit procès.] Et de reconnaître sigilla et signa in singulis libris, processibus et instrumentis [les sceaux et seings apposés sur chacun des livres, procès et instruments].
G. Manchon qui, en sa qualité de principal notaire, avait eu la garde de ces documents originaux, déposa les pièces suivantes :
- Certum papyri codicem, apud se repositum in quo continetur tota notula processus… in gallico, manu sua propria scriptum. [Un certain registre de papier, qu’il conserve chez lui, contenant l’intégralité des notes du procès, en français, écrit de sa propre main.] C’est la Minute en français, écrite de la main même de Manchon ;
- Le Procès, rédigé en partant de la Minute, et traduit en latin par Th. de Courcelles et G. Manchon. Ce codex était muni des signatures et attestations des trois notaires, ainsi que des sceaux de Cauchon et de l’inquisiteur.
Manchon reconnut
sa propre signature et celles de ses deux collègues, ainsi que les sceaux de Cauchon et de l’inquisiteur. Sur quoi G. Prévosteau et S. Chapitault reçurent
officiellement la Minute et le Procès latin, qu’ils déposèrent aux mains des notaires de la Révision67. Ceux-ci avaient été, le 21 décembre, requis par les Commissaires des délégués, (savoir Jean le Fèvre, Hector de Coquerel et l’inquisiteur Jean Bréhal), de présenter, 36si la partie adverse voulait les voir, quecumque… originalia primi processus68 [toute pièce originale du premier procès].
Ainsi ces documents de première importance figureraient au dossier de la Révision où ils seraient conservés.
Quel serait leur sort ?
Point autre que celui de toutes les pièces originales des deux procès ; c’est-à-dire que, transcrites par les notaires en leur Registre, elles subsisteraient sous cette forme officielle, tandis que les originaux seraient ou détruits après enregistrement ou déposés en certaines archives dont, jusqu’ici, nous avons perdu la trace69.
Nous n’avons pas à revenir sur la Minute française, que nous avons étudiée et reconstituée en grande partie dans notre édition70, mais il est fort intéressant de nous arrêter à examiner le texte du Procès latin que nous restitue Urfé.
Le Procès latin déposé par Manchon
À la suite de la Minute, le copiste d’Urfé a transcrit le texte du Procès de 1431 qui s’y trouvait inséré. Il occupe les folios 115 v° à 177 v° (ancienne foliotation : 34 v° à 96 v°). C’est une pièce très importante à laquelle ni L’Averdy, ni Quicherat, ni Champion n’ont attaché d’intérêt, faute sans doute de l’avoir lue71. Il est cependant curieux que Quicherat n’ait pas été frappé par l’attestation mise en tête par Manchon : Ego vero, Guillermus Manchon… qui n’existe, observe Quicherat, dans aucun des originaux connus
. L’ayant transcrite, il n’a pas remarqué que Manchon précise qu’il en a signé tous les folios, pour en attester la conformité avec le Registre original : Idcirco singula folia manu propria signavi…
Ainsi donc, tandis que c’est Colles qui a signé tous les folios des trois manuscrits connus du Procès de 1431 (A B C), cette fois, c’est Manchon qui a paraphé chaque folio de celui-ci (que nous désignerons MA). Or, non seulement il atteste au 37premier folio que la collation en a été faite dûment avec le Registre original
, mais il renouvelle cette attestation à la fin du Procès, précédant celles de Colles et Taquel, ses collègues. De plus, nous savons par les Actes de la Réhabilitation que le Procès déposé par Manchon portait les sceaux de Cauchon et de l’inquisiteur72. Ce codex était donc un Instrument authentique qu’il faut ajouter aux trois manuscrits, ABC, jusqu’ici les seuls connus des cinq, dont l’existence fut témoignée par Colles.
L’intérêt de ce manuscrit MA est évidente.
Nous ne possédons pas le codex original déposé et reconnu par Manchon le 15 décembre. Il a disparu avec les autres pièces du Procès de 1456. Et peut-être, lacéré le 7 juillet, a-t-il été complètement détruit ensuite. Heureusement il avait été transcrit dans le Registre de la Réhabilitation, et c’est là que le copiste d’Urfé l’a trouvé (ou dans un intermédiaire). Cette copie de MA en Urfé sera désignée MU. Elle date du XVe siècle, puisqu’elle fait partie des cahiers reconnus par tous pour être de cette époque.
Mais, comme toute copie, elle court les risques ordinaires. Le copiste de MU a pu faire des fautes qui ne sont pas imputables au texte de MA que Manchon affirme avoir été collationné dûment sur l’original. Voici ce que révèle son examen.
Tout d’abord le texte MA, dont dérive MU, est de première autorité.
Établi et collationné par Manchon, il trouve dans la personnalité de Manchon d’exceptionnelles garanties. On sait la considération dont était entouré Manchon comme principalis notarius du Procès de 1431. Son autorité professionnelle, son caractère, et la conscience qu’il apporta à sa tâche nous assurent de la qualité de son travail73. Mais si l’on se souvient que c’est lui, plus encore que Thomas de Courcelles, qui rédigea en latin le Procès de Condamnation, on ne doutera pas que, — l’auteur d’un texte étant plus intéressé que tout autre à ce qu’en soit faite une copie irréprochable, — la copie garantie par Manchon soit supérieure à celles attestées par son collègue Colles. C’est 38d’ailleurs l’exemplaire qu’il a voulu se réserver, et qu’il a consigné dans ses archives.
Qu’en est-il advenu dans la copie MU d’Urfé ?
Il convient de signaler que :
1° MU ne contient pas les Informations posthumes du 7 juillet, que les notaires avaient refusé de signer, parce que faites en leur absence. Si Colles consentit à les transcrire en appendice aux mss. A B C, hors des attestations notariales et des sceaux, on peut croire que Manchon, moins souple et de plus grande autorité, s’est refusé à ce compromis. L’omission dans MU de ce texte subreptice provient très probablement de MA lui même. Loin qu’elle dénonce une défaillance, elle est une garantie.
2° MU omet de copier les notes marginales ajoutées au texte dans A B C. Ces notes signalant les dates, les titres des textes insérés, leur objet, voire des réflexions personnelles du scribe, ne font certainement pas partie de la rédaction du notaire, mais sont manifestement des additions que s’est permises le copiste qui, par exemple, notera : superba responsio, ou responsio mortifera. Leur absence de MU est une garantie plus qu’une infidélité.
3° On ne peut pas en dire autant des omissions, dues à l’inattention, de mots, de membres de phrases, de plusieurs lignes. Plusieurs sont le fait d’homoioteleutons évidents (saut du copiste entre deux fins semblables entraînant la perte d’un passage). Il est peu vraisemblable que ces omissions soient imputables à MA, que Manchon et ses collègues affirment avoir debite [dûment] collationné. Seul le scribe de MU en est responsable.
Par ailleurs, il y a dans MU des fautes d’étourderie, telles que regula pour regina, ou plus voyante Gallicos pour Anglicos ! Elles sont peu nombreuses.
Inversement, la valeur de MU apparaît dans le fait d’une parenté étroite avec C, et encore plus avec A. On compte plus de 300 lectures propres à A et MU ; 160 environ communes à C et MU ; mais à peine 50, où MU se rencontre avec B. Cette parenté assure au ms. A une supériorité sur B et C. Si certaines de ces lectures propres à A et MU sont sans grande valeur (souvent de simples inversions de mots), beaucoup sont de qualité. C’est ainsi que MU et A, ainsi que la Minute, restituent le vote du dominicain Thomas Amouret sur les XII articles, vote que B et C avaient omis.
39L’intérêt de cette rencontre presque constante de MU et A est qu’elle met A au premier rang des trois manuscrits jusqu’ici connus.
Il faut donc inscrire au compte de ms. d’Urfé l’apport de ces deux documents de premier ordre : la copie de la Minute française et celle du manuscrit principal du texte latin rédigé par G. Manchon.
Conclusion
Peut-on reconnaître au ms. d’Urfé d’autres mérites et en particulier considérer ses transcriptions comme plus correctes et plus fidèles ?
Lorsqu’on aura établi une édition critique de la rédaction notariale, on pourra, relevant toutes leurs variantes, faire le compte exact des qualités de l’une et de l’autre rédaction. En attendant, l’édition de Quicherat, qui suit en général le ms. 5970, avec quelques références au ms. de Notre-Dame, offre un textus receptus dont Urfé fait apparaître de nombreuses erreurs74.
Sans doute ni l’une ni l’autre ne sont parfaites. Il leur arrive de commettre les mêmes erreurs qui proviennent de l’original commun dont ils dérivent et les copistes y ont ajouté leurs propres inadvertances. Par exemple, les manuscrits donnent à Gaucourt le prénom de Jean au lieu de Raoul75. Erreur plus grave, Quicherat et les manuscrits écrivent : dicendo eidem Iohanne [en disant à ladite Jeanne] pour eidem Iohanna [Jeanne lui disant], ce qui prête au lieutenant du bailli une réplique de Jeanne76.
Par contre, nous l’avons vu plus haut, Quicherat dénonce d’innombrables négligences dans la copie notariale, alors que le texte d’Urfé est correct. Il a par exemple signalé et corrigé des erreurs dans les prénoms :
- Jean pour Nicolas Loiseleur ;
- Guillaume pour Jean Beaupère ;
- Pierre pour Nicolas Taquel ;
correctement nommés dans Urfé. Constatation plus grave : lorsqu’il édite le second discours de Maugier, Quicherat observe :
Le manuscrit d’Urfé m’a surtout servi de guide pour la restitution de ce morceau, qui fourmille de fautes dans les grosses 40authentiques du procès. (Q, II, 139.)
Il est fâcheux qu’averti du secours que lui eût apporté Urfé, Quicherat n’ait pas plus souvent recouru à ce témoin, car le texte d’Urfé donne une lecture exacte de nombreux passages incorrects dans l’édition de Quicherat. Or souvent les mauvaises transcriptions altèrent ou dénaturent radicalement le sens, respecté dans Urfé : Quicherat écrit
- articulorum [(à la demande) des articles] pour actorum [des plaignants] (Q, III, 134) ;
- abiuracione [abjuration] pour dilacione [ajournement] (ibid., 184) ;
- loquens [le déposant] pour episcopus [l’évêque] (ibid., 141), qui prête à Manchon ce qui est de Cauchon !
- Ducta ad ignem ; applicata in quo igne… [amenée jusqu’au feu, placée dans ce feu…] pour ducta ; ad ignem appliccata ; in quo igne… [amenée, placée dans le feu, dans lequel…] (ibid., 186) ;
- fecerat ; plura quoque erraverat… [qu’elle avait agi (contre Dieu et la foi), et plus encore erré (en la foi)] pour fecerat plura ; quodque erraverat… [qu’elle avait beaucoup agi (contre Dieu et la foi) et erré (en la foi)] (ibid., 194) ;
- Stetit ipsa Iohanna… tribus vicibus [trois fois] pour diebus [trois jours] (ibid., 80) ;
- post obsidionem ville aurelianensis… [après le siège d’Orléans] omet levatam [la levée] (ibid., 9) ;
- summo mane exierunt… [ils sortirent au lever du jour] omet Anglici [les Anglais] (ibid., 25) ;
- accusatorum [les accusés] pour actentatorum [les plaignants] (ibid., 144) ;
- Ubi erant Anglici [Là où étaient les Anglais], pour Gallici [les Français] (ibid., 105) ;
- cederetur [(qu’elle ne serait pas) tuée/frappée] pour lederetur [blessée] (ibid., 86) ;
- etc.
Quant aux omissions, ce ne sont pas seulement des formules de style, des titres universitaires, ou de minces détails d’âge, elles portent souvent sur des faits intéressants ou d’importance, telles :
- et animalia custodiebat [elle gardait les bêtes] (témoignage de G. Guillemette, Q, II, 415) ;
- ad illam arborem portant panem et ibidem comedunt et postea redeunt ad… [à l’arbre, ils apportent du pain, le consomment sur place, puis repartent…] (ibid., 416)
Et ce trait omis :
- itaque ab aliis iuvenculis aliquociens deridebatur ; eciam aliquociens ipsa ibat ad ecclesiam sive eremum [ainsi, elle était parfois raillée par les autres jeunes filles ; et parfois aussi elle se rendait à l’église ou à l’ermitage] (ibid., 389).
Certaines omissions font de faux témoignages :
- de consensu patris, ivit ad Valliscolorem [elle partit pour Vaucouleurs avec l’accord de son père] ! Alors que le texte porte : de consensu patris ivit ad domum Durandi. Et dictas Durandus eam duxit, ut dicitur, ad Valliscolorem… [elle se rendit chez Durand avec l’accord de son père ; lequel Durand, dit-on, la mena à Vaucouleurs…] (ibid., II, 434).
Et trois lignes omises par homoioteleuton :
- aurelianensem. Quod eamdem Iohannam vidit apud Selles en Berry, ubi ipsa loquens et eadem Johanna iverunt ad alios armatos existentes versus villam aurelianensem… [d’Orléans. Il revit Jeanne à Selles en Berry, d’où le déposant et cette même Jeanne partirent rejoindre les autres hommes d’armes se trouvant près d’Orléans.] (ibid., III, 94).
- Etc.77
41Et pour finir, peut-on rester indifférent à la restitution des dernières paroles de Jeanne, ignorées, et pour cause, de tous les récits modernes de sa mort qui dépendent de Quicherat.
On se souvient que frère Martin Lavenu rapporta que Jeanne, voyant jaillir les flammes, lui cria de descendre du bûcher, et quod levaret crucem Domini alte, ut eam videre posset [et qu’il levât la croix du Seigneur bien haut, pour qu’elle puisse la voir].
Mais notre édition d’Urfé donne le texte complet de sa déposition. Car Lavenu ajouta :
Et quod sibi diceret verba pro salute sua, ita alte quod ipsa posset audire. Quod et fecit. [Et qu’il lui dît des paroles pour son salut, assez fort pour qu’elle puisse les entendre. Ce qu’il fit.]
Cette seule parole de Jeanne, implorant dans le feu et la fumée le secours du prêtre en sa mort, alors qu’elle sombrait dans l’étouffement, ne suffit-elle pas à nous rendre infiniment précieux ce pauvre manuscrit d’Urfé, massacré par les hasards et méconnu par les érudits ? Nous espérons avoir montré que le manuscrit d’Urfé, méritait lui aussi une réhabilitation.
Paris, le 30 mai 1960.
Notre édition reproduit le texte du manuscrit d’Urfé, seul témoin.
Dans les parties d’Urfé qui sont communes avec les manuscrits de la rédaction notariale, on ne pourra critiquer U, en le comparant aux leçons de B. N. lat. 5970, de Stowe 84 et de B. N. lat. 17013, que lorsque l’édition critique de ces manuscrits sera faite.
Cependant, lorsque les leçons de U étaient manifestement incorrectes, nous nous sommes toujours reportés à B. N. lat. 5970 (R) et en certains cas à Stowe 84 (St) ou à B. N. lat. 17013 (ND).
42Ouvrages le plus souvent cités
- Documents et Recherches relatifs à Jeanne la Pucelle :
- La Minute française des interrogatoires de Jeanne…
- L’instrument des sentences portées par P. Cauchon et J. le Maître contre Jeanne la Pucelle.
- L’Enquête ordonnée par Charles VII en 1450 et le codicille de Guillaume Bouillé.
- L’Enquête du cardinal d’Estouteville en 1452.
- Quicherat, Procès de condamnation et de réhabilitation… (Q)
- Champion, Procès de condamnation de Jeanne d’Arc, t. I et II.
- Champion, Notice des manuscrits du Procès de Réhabilitation de Jeanne d’Arc.
- G. du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII.
Les appels de notes (1) dans le texte renvoient aux Notes pp. 311-324.
Les petits chiffres sans parenthèse renvoient aux variantes signalées au bas de chaque page.
Les chiffres entre [1] indiquent le folio du ms. de d’Urfé.
* 1 dans l’édition numérique.
Les mots entre [ ] sont restitués par nous.
Notes
- [1]
Aux tomes III et IV de nos Documents et Recherches relatifs à Jeanne la Pucelle.
- [2]
Nous renvoyons l’étude et l’édition de ces traités à un volume ultérieur, s’il plaît à Dieu.
- [3]
Lanéry, Mémoires et consultations…, p. 318.
- [4]
Archives de la Seine maritime, G 2135 fol 271.
- [5]
Le tome des Suppliche d’avril à décembre 1455 était déjà manquant aux Archives du Vatican, sous Urbain VIII. Par contre nous avons retrouvé le texte du rescrit enregistré dans le Regestum lateranense 500, fol. 147-148.
- [6]
Nous aurons ailleurs à parler des traités qu’il rédigea pour établir l’injustice de Cauchon et l’innocence de Jeanne.
- [7]
Le 20 juillet, il sera reçu à Orléans avec Jean Bréhal, venus sans doute, pour y promulguer la sentence de Réhabilitation (Q. V, 277-278). C’est par erreur que Quicherat (II, 73), suivi par O’Reilly (Les deux procès, II, 523), le dit créé cardinal le 26 décembre 1455, et explique pourquoi les greffiers ne lui donnent pas ce titre. En fait, il le fut le VI des calendes de janvier, soit le 26 décembre 1456. Envoyé à Rome en ambassade en 1461, il y retrouvera son ami le cardinal d’Estouteville, et y mourra en 1470. (Gallia Christiana, XI, 893).
- [8]
Il légua en 1472 à la
Librairie de Nostre Dame
, son manuscrit du Procès de Réhabilitation. Passé à la bibliothèque du Roi en 1756, il est conservé aujourd’hui à la B. N. ms. lat. 17013. - [9]
En 1460, il sacrerait Louis XI. Il mourrait le 14 juillet 1473, âgé de 85 ans, sans avoir reçu le chapeau cardinalice, chose d’autant plus étonnante qu’il avait à Rome un ami au Sacré Collège, le cardinal Orsini, dont Jouvenel se prétendait quelque peu parent, ayant affecté de se faire nommer
des Ursins
. Ce fut le cardinal qui lui donna la consécration épiscopale à Rome, en mars 1433. Peut-être lui reprochait-on de s’être fait le défenseur passionné de la Pragmatique Sanction. (Beaucourt, V, 202). - [10]
En 1867, enrichi de dissertations importantes, notamment sur les visionnaires qui foisonnèrent au début du XVe siècle.
- [11]
Procès, p. LXVI.
- [12]
Procès, p. 166 n.
- [13]
Procès, p. 187, n. Dans l’article que Vallet consacre à Jean Jouvenel dans la Nouvelle Biographie (Firmin-Didot, p. 806, n. 3), il écrit :
L’évêque de Beauvais, ainsi que son métropolitain Raimond (sic, pour Regnault de Chartres), était sans doute alors, tout porte à le croire, au nombre des adversaires de la Pucelle.
- [14]
Dans l’Épître aux États de Blois, il insiste pour que soient réprimés
les faultes horribles et détestables delitz que on a [veu] faire et commettre par aucuns en ce royaume, et mesmement par deça, comme heresies diverses contre la foy publier, user de diverses manieres de sorceries, oppression cruelle de peuple…, lesquelles choses sont advenues en mon diocese… — (B. N. ms. Fr. 2701, fol 2.)
- [15]
Voir les textes dans l’Excursus, p. 325.
- [16]
B. N. ms. fr. 2701 fol. 87.
- [17]
Il est curieux de noter la discrétion avec laquelle Jouvenel jugeait Cauchon. Plaidant en faveur des gens de Beauvais, l’évêque les présentait comme ayant toujours été attachés au roi.
Supposé qu’ils tinssent vostre adversaire a seigneur, c’estoit pour ce que le sieur evesque dernier estoit en cette folle erreur. Mais toujours le cœur estoit a vous, attendant vostre approchement !
(Cité dans L’Oisel, Beauvais ou mémoire des pays… de Beauvais et Beauvaisis, Paris, 1617, p. 336.)
- [18]
Q, II, 87-89.
- [19]
B. N. ms. fr 2701 fol. 118 v.
- [20]
Voir infra, p. 100 ; Q, II, 190.
Tandem pro iniuriis, emendis, iacturis, dampnis et expensis, reos ipsos in graves pecuniarum sommas quales vestra discrecio provideret condempnetis.
[Enfin, pour les injures, réparations, pertes, dommages et dépens, que vous condamniez les accusés à de fortes sommes d’argent à votre discrétion.]
- [21]
Voir infra, p. 85 ; Q, II, 166.
- [22]
Un nombre infini de pièces originales manquaient, soit que les sacs où Cauchon les avait enfermées aient disparu, soit que les Anglais les aient conservées dans leurs propres archives, soit qu’au temps de la victoire de Charles VII tout ait été détruit.
- [23]
Il se faisait appeler Dalie, par corruption, semble-t-il de du Lis, nom qu’il avait pris après l’anoblissement de la famille accordé par Charles VII.
- [24]
Voir infra, p. 108 et ss. ; Q, II, 388.
- [25]
Voir infra, p. 138 et ss. ; Q, II, 434.
- [26]
Le soin que mettent les commissaires à décrire le mode de présentation du dossier dit assez le prix qu’ils y attachent, mais souligne aussi l’inexplicable disparition des originaux parvenus et conservés on ne sait en quelles archives. Infra, p. 155 et ss., Q, II, 463-468.
- [27]
Voir infra, p. 297 et ss. ; Q, III, 209-221.
- [28]
Voir l’édition commentée par les pères Belon et Balme.
- [29]
Gallia Christiana, IX, col. 1035, affirme que Guillaume Bouillé prononça le sermon sur ce thème Mementote mirabilium eius quae fecit prodigia et iudicia oris eius. [Souvenez-vous de ses merveilles, des prodiges qu’il a faits, et des jugements qui sont sortis de sa bouche.] (Ps. 104.) Aucune référence n’est apportée. Le cardinal archevêque d’Estouteville n’assista pas à ces processions, étant retourné à Rome à la demande de Callixte III, pas plus qu’il ne parut aux séances de la Réhabilitation.
- [30]
Voir infra, p. 99.
- [31]
Dans les CI articles formulés par les accusateurs, à trois reprises, ils se couvrent contre toute susceptibilité de l’Université, incontestablement la grande coupable.
Art. I :
Avant tout, ils protestent ne vouloir porter malicieusement atteinte à l’honneur et réputation de personne. Spécialement, ils ne veulent rien dire qui préjudicie de quelque façon à l’honneur de quiconque intervint au Procès de Jeanne et émit conseil ou avis à ce sujet, puisque les Articles qui leur furent présentés étant faux, menteurs, falsifiés, on doit considérer les assesseurs comme excusables, à l’exception des juges et du promoteur.
Art. XXI :
dici debent opinantes in hoc decepti et seducti, nec in eis exinde aliqua nota debet adscribi.
[il faut reconnaître que les opinants ont été trompés et séduits, et qu’on ne doit leur en tenir aucun grief.]
On revient avec instance à l’Art. XCIV :
Veraciter multa excusatione (!) digni sunt ac omni labe prorsus immunes ipsi domini deliberantes, si Deum et conscientiam prae oculis habiterunt, sicut ita aestimandum est. Quoniam et secundum limitatum eis casum, licet iniquum et falsum, sua, ut creditur, recta consilia transmiserunt, judicium ex narratis praesuppositis inferentes. Nec adversus eos, demptis ipsis reis et eorum complicibus, dicti actores aliquid dicere, concludere vel impingere intendunt, neque volant.
[En vérité, les seigneurs qui ont délibéré sont dignes de beaucoup d’excuses et entièrement exempts de toute tache, s’ils ont eu Dieu et leur conscience devant les yeux, comme on doit le présumer. Car c’est sur la base d’un dossier incomplet, quoi qu’inique et faux, qu’ils ont, semble-t-il, régulièrement rendu leur avis, en fondant leur jugement sur les faits ainsi présentés. Par conséquent, les plaignants n’ont pas l’intention, ni le désir, de rien dire, conclure ou imputer contre eux, à l’exception des seuls accusés et de leurs complices.]
Dès l’ouverture du Procès, Pierre Maugier avait protesté de même
specialiter et expresse
[spécialement et expressément] (Q, II, 99). - [32]
P. 150 sqq.
- [33]
O’Reilly (Les deux procès, I, p. 139) adopte le point de vue de J. Quicherat.
- [34]
Nous aurons à donner de la sentence une version assez différente, et à tenter d’en discerner l’autorité. Si le texte transcrit dans le manuscrit fameux d’Orléans (n° 518) représente une rédaction primitive de ce document, on y relèvera plusieurs passages très explicitement favorables à Jeanne.
[A plusieurs] clercs lectrez, gens de bonne vie et craignans Dieu,… a semblé et semble les faictz et dictz de ladicte deffunte plus tost (dignes) d’admiration que de condempnation. [Aussi] par ces presentes desclairons ladicte Jhenne deffuncte avoir esté tous les temps de sa vie bonne et catholicque chretienne, sans avoir erré en aucune maniere en la foy, ne aultrement, et jusques au jour qu’elle fut cruellement executee et bruslee et jusques a la fin de ses jours ; en laquelle il est bien prouvé ladicte Jhenne avoir persisté en bon, sainct et catholicque propos, ainsi qu’il est notoire et bien prouvé par plusieurs et notables tesmoings et mesmement par ses confessions… Et l’avons desclaree et desclarons avoir vescu tous les temps de sa vie, et jusques a sa mort inclusivement, bonne et catholicque chrestienne, sans etre encheue en aulcune erreur de la foy de Nostre Seigneur Jhesus Crist.
Voir Excursus B sur la sentence (pp. 332-333).
- [35]
Paiement de victuailles pour le dîner de l’évêque de Coutances et Jean Bréhal, ainsi que des torches pour la procession faite à Saint-Sanxon, par leur ordre,
pour le fait de la Pucelle
(Q, V, 277). - [36]
Requête des procureurs des Darc, juin 1456. Infra, p. 100, (Q, II 261).
- [37]
Op. cit., p. 903. Godefroy ajoute :
Cette déclaration d’innocence fut en outre confirmée par les signatures des 112 témoins, sur le bon droit et l’innocence de cette fille guerrière.
On ne voit pas à quoi répondent ces signatures.
- [38]
Q, V, 433.
- [39]
B. N. ms. fr. 8438, fol. 81.
- [40]
Q, V, 432-460.
- [41]
B. N. fr., 32511, fol. 198.
- [42]
Le compte est daté de septembre 1458, soit deux ans et deux mois après la sentence finale du 7 juillet 1456.
- [43]
Nous parlerons plus loin de cette seconde rédaction.
- [44]
C’est le procès de 1431 déposé aux mains des juges de la Réhabilitation par G. Manchon en décembre 1455.
- [45]
Q, II, 76.
- [46]
Reproduite dans Bibl. Vatic. Regin. 1916.
- [47]
Voir Reure, les deux Procès de Jeanne d’Arc et le manuscrit d’Urfé, Lyon, 1894, lequel n’a connu ledit ms. que dans son mauvais état, avant rétablissement de sa forme originale.
- [48]
Champion (dans Notice, pp. 28-31, et Procès, I, VIII-X avec photo) corrige :
reliure de maroquin olive
et au dosavec les L affrontés et couronnés de Louis XVIII
. - [49]
Le P. Ayroles (La vraie Jeanne d’Arc, II, p. 502) avait déjà noté que plusieurs conservateurs de la Bibliothèque et des Archives Nationales avaient été frappés de la ressemblance entre la main du scribe d’Urfé et celle du latin 5970 ; peu avaient osé se prononcer d’une manière absolue.
- [50]
Voir Q, V, 446-447 ; — Champion, Notice, 30-31, et Procès, loc. cit.
- [51]
La Minute française des Interrogatoires de la Pucelle.
- [52]
Q, V, 438 ; Champion, Procès, I, p. IX.
- [53]
Voir les planches décisives de Champion, ibid., pl. V. En réalité, les écritures du XVe siècle sont du type de la gothique ordinaire des mss.
- [54]
Une table détaillée des pièces contenues dans le volume, portant la double foliotation, nouvelle et ancienne, est insérée dans le manuscrit et reproduite ici. Voir Excursus C.
- [55]
L’inquisiteur Jean Bréhal n’est pas nommé ici.
- [56]
Nous dirons plus loin les divergences de fond entre les deux rédactions.
- [57]
On ne voit pas comment Quicherat écrit que la rédaction épiscopale
n’est pas dans la forme accoutumée des documents judiciaires
. (Q, V, 435). - [58]
Q, V, 435.
- [59]
Nous verrons par contre qu’il semble bien que les évêques ont omis, (refusé ?) de poser leurs sceaux sur les copies de la rédaction notariale.
- [60]
Q, V, 436-437.
- [61]
Lat. 5970 et Notre-Dame.
- [62]
Q, III, 362-363 et note.
- [63]
Denifle, relevant dans le Chartularium (t. IV, p. 712, n. 2) de très nombreuses erreurs commises par les notaires, dénonce
incuriam qua compositus est processus rehabilitationis
[le manque de soin avec lequel fut composé le procès de réhabilitation]. Il s’agit de la rédaction notariale. - [64]
Nos recherches n’ont ni à Paris ni à Rome trouvé trace ni du Registre original ni des cahiers manquants, sauf pour le début de la Minute qui, nous le croyons, avait été transcrit sur le ms. d’Urfé intact dans le ms. d’Orléans, que nous avons précédemment décrit et édité. (Documents, I). On peut espérer que telle ou telle collection privée nous rendra ces manuscrits disparus, comme, depuis 50 ans ont été découverts le Procès de Réhabilitation de Stowe 84, au British Museum, la relation des deux Procès à Bologne, celle du ms. de Soubise, celle du ms. de Diane de Poitiers et leur ancêtre commun. Voir nos Documents et Recherches, t. II, III, IV.
- [65]
Voir infra, p. 48.
- [66]
Actes de la Révision, rédaction notariale, Q, II, 155 sqq.
- [67]
Cf. note précédente.
- [68]
Q, III, 246 et sqq.
- [69]
Faut-il rappeler qu’aucune des pièces des deux procès, lettres, rapports, consultations, votes, sentences, etc., ne nous est parvenue dans sa forme originale.
- [70]
Documents, I.
- [71]
Quicherat en parle incidemment, V 397. Champion dans sa Notice, p. 29 signale seulement :
4° de la main du XVe siècle, le texte complet du Procès de condamnation.
- [72]
Voir, Q, II, 156.
- [73]
Quicherat écrira (V, 434) que le mérite des notaires de 1456 est loin d’égaler celui des notaires de 1431.
- [74]
Sans décider à qui, de Quicherat ou des manuscrits, sont imputables ces erreurs.
- [75]
Erreur que Quicherat corrige en note.
- [76]
Infra, p. 279.
- [77]
Dans la Lettre de garantie, octroyée par Henry VI, Urfé mentionne parmi les témoins :
les seigneurs de Cromwelle, de Tipetot et de Saint Père
, que Quicherat dit ne figurer que dans le ms. Notre-Dame. La transcription du Rescrit de Callixte III dans Urfé est conforme au texte enregistré dans le Vatican, Reg. later. 500 ; tandis que le texte de Quicherat s’en éloigne une douzaine de fois (II, 95).