P. Doncœur  : Documents et recherches (1952-1961)

T. IV : L’enquête de 1452 du cardinal d’Estouteville

IV
La réhabilitation de Jeanne la Pucelle
L’enquête
du cardinal d’Estouteville
en 1452
Texte latin établi, traduit et annoté par
P. Doncœur S. J., et Y. Lanhers
1958

Nihil obstat : Paris, le 29 Mars 1958, J. Lecler, S. J., Doyen de la Faculté de Théologie.

Imprimatur : Paris, le 3 Avril 1958, Jacques Le Cordier, Év. archidiacre de Saint-Denis.

7Introduction

I.
Les résultats de l’Enquête de G. Bouillé

On se souvient que l’Enquête ordonnée par Charles VII, le 15 février 1450, assignait à Guillaume Bouillé la tâche de poursuivre de diligentes recherches sur les faultes et abuz dont s’étaient rendus coupables les Anglais dans le Procès de 1431. Il devrait recueillir toutes informations possibles, et notamment aucunes escriptures, procès et aultre chose touchant la matière, pour les remettre au roi, afin que celui-ci pourvoie sur ce [qu’il verra] estre a faire et qu’il appartiendra par raison. Or, le dossier constitué par Bouillé, si du moins nous le possédons en entier, ne rapporte que sept dépositions de témoins et ne mentionne aucune escripture remise par les notaires. Après les séances des 4 et 5 mars, le dossier s’arrête brusquement ; nous ignorons si la suite a péri et si l’enquête a été poursuivie.

En tout cas, les pièces qui, par un curieux hasard, nous sont parvenues, sont loin de témoigner que les volontés de Charles VII ont été obéies pleinement.

Les circonstances ont-elles empêché Bouillé d’aller plus outre ? Cela serait fort possible. Les opérations de guerre en Normandie, le conflit entre le Pape et le Roi au sujet de la Pragmatique Sanction agitaient fort les esprits. Sur la demande du Légat de Nicolas V, une assemblée du Clergé avait été convoquée à Rouen pour le 31 décembre 1449. Le roi dut renouveler le 11 janvier sa convocation ; et ce fut difficilement qu’il réunit une assemblée peu nombreuse. Le chapitre de Rouen ne désigna ses délégués que le 17 janvier. Ce que l’on 8sait des séances tenues dans la fin du mois, c’est qu’elles durent être rapidement suspendues sans avoir abouti. Charles VII s’en explique à Nicolas V dans une lettre écrite de Bernay le 9 mars. Soucieux de mettre un terme au conflit, le roi trop occupé aux opérations de la reconquête du duché n’a pu assister aux séances. Aussi, écrit-il, sans terminer l’affaire, comme il le souhaitait, les prélats venus à Rouen se séparèrent sans conclure. Et nous savons en effet que, les 9 et 13 février, les délégués du chapitre de Notre-Dame de Paris étaient de retour pour présenter leur rapport sur l’assemblée. Il se pourrait que Bouillé de même ait arrêté son enquête, avant d’avoir abouti. Il faudrait reprendre l’affaire, tout comme on reprendrait à Chartres les débats sur la Pragmatique.

Du moins le roi en savait-il assez pour ne plus douter des irrégularités du Procès de Condamnation. Et Bouillé devait être résolu à en obtenir l’annulation.

II.
L’intervention du Cardinal Guillaume d’Estouteville

Les questions laissées en suspens en 1450, la Paix surtout entre les princes chrétiens, et, tout aussi pressante au cœur du Pape, l’abrogation de la Pragmatique, provoquaient d’incessantes démarches de la Cour de Rome auprès du roi de France. C’est peut-être ce qui déclencha assez fortuitement une nouvelle enquête en faveur de Jeanne.

Très pressé d’aboutir, Nicolas V céda aux sollicitations du duc de Bourgogne, et décida, en août de l’année suivante, d’envoyer deux légats : auprès d’Henri VI, le cardinal Nicolas de Cues, et auprès de Charles, le cardinal Guillaume d’Estouteville1. Officiellement, c’était pour négocier la paix, rendue de plus en plus urgente, en raison du danger croissant de l’invasion turque. Mais avec la France, le Pape voulait tenter un 9nouvel effort pour faire abroger la Pragmatique. Tout en cela indisposait Charles VII. Vainqueur, il entendait poursuivre ses avantages (et les Anglais tenaient à recouvrer ceux qu’ils avaient perdus) ; par ailleurs, la démarche du duc de Bourgogne ne lui était pas sympathique ; mais surtout les instances de Nicolas V l’irritaient, d’autant qu’il savait qu’une grande partie des prélats de France se montrait fermement attachée à la Pragmatique.

Le 28 août le cardinal d’Estouteville écrivait de Rome à Charles VII une lettre qu’il confiait à un messager chargé de préparer les voies2 :

Mon souverain Seigneur,

Je me recommande très humblement a votre bonne grace.

Et vous plaise savoir que, comme je vous ay na guaires escript, il a plu a notre saint Pere de ordonner deux legats, l’un en votre royaume, l’autre en Engleterre pour traitier la paix entre vous et votre nepveu d’Engleterre et pour pacifier voz royaumes. Et pour ce qu’il scet bien que je suis votre soubgit et serviteur, et ne feray en ceste matiere chose qui ne vous soit agreable, plus tost que nul autre, m’a ordonné aler vers vous. Sy envoyé presentement devant mon tres cher et especial amy maistre Guillaume Seguin, prothonotaire du Saint Siege apostolique, a vous dire aucunes choses de par moy. Suppliant que a ces parolles voeuilliez plaine foy adiouster, comme aux miennes feriez. De cy a VI ou VII jours, j’ay intention de partir, comme ledit maistre Guillaume vous dira. Non aultre chose pour le present.

Notre Seigneur soit garde de vous et vous donne bon accomplis sement de voz desirs.

Escrit a Rome, le XXVIII jour d’aoust

Votre très humble et très obéissant subgit et serviteur

le Cardinal d’Estouteville.

Le légat annonçait donc son départ pour les premiers jours de septembre. Quant à maître Seguin, il ne put atteindre le roi que le 28 septembre à Taillebourg. Le jour même, il fut admis devant le roi, qui sur-le-champ lui répondit

qu’il ne povoit croyre que ledit monseigneur d’Estouteville, qui est notable et saige seigneur, veinst pour lesdites matieres sans 10premierement avoir sur ce le bon vouloir et consentement du roy. Et que ce n’estoit pas matiere que on deust entamer a traiter sans premierement les advertir…

Seguin fut donc chargé de faire savoir au cardinal

qu’il voulut un peu delayer son parlement de Rome, jusques a ce que il sut sur ce le bon vouloir du roy,

et qu’il fit connaître de quelles matières il devait traiter et sur la requête de qui3. Que si le cardinal était en chemin et approchait du royaume, il ne devait pas y entrer comme légat sans l’agrément du roi, privilège que Charles ne souffrirait point être enfreint. Et que ce ne serait pas honneur au cardinal d’être éconduit, s’il se présentait inconsidérément4.

L’ambassade s’engageait très mal. Ayant quitté Rome le 16 septembre le légat fut rejoint en Italie par maître Seguin. Il envoya sur-le-champ une lettre au roi, écrite de sa main, le 23 octobre, qui suppliait le roi de ne pas lui faire cet affront, lequel atteindrait le Pape lui-même. Il se voit couvert de honte, tout infamé et vitupéré, en perpétuelle confusion en cour de Rome et en toute l’Italie. Mieux me vaudrait, écrit-il, être mort. Il proteste de nouveau de sa plus entière obéissance envers son Souverain Seigneur, auquel il craint de tout son cœur de déplaire, qu’il a toujours servi loyalement à son pouvoir, autant que cardinal qui fut à Rome depuis vingt ans. Qu’il ne soit pas mis en totale confusion et desperation5 !

Charles mit un mois à comprendre que son irritation était de mauvaise politique. Le Pape avait insisté en envoyant un ambassadeur. Le roi se décida en décembre à charger les évêques de Clermont et de Tulle de se rendre à Lyon pour y recevoir le légat. Ils arrivèrent le 29 décembre et écrivirent dès le lendemain qu’ils avaient trouvé d’Estouteville tout prêt à obéir6. Charles les délégua donc pour accompagner le légat dans tout le royaume. En février, celui-ci se dirigea vers Tours 11où le roi l’attendait… Ce fut pour échouer totalement dans ses appels à la paix !

Restait l’affaire de la Pragmatique.

Est-ce pour faire diversion ? Est-ce, comme on l’a prétendu par calcul politique, pour se prêter aux désirs du Roi ? Est-ce par véritable souci de hâter la réhabilitation de Jeanne ? Y fut-il induit par des démarches faites par les protagonistes de la révision, par G. Bouillé notamment ? Toutes ces hypothèses sont plausibles et d’ailleurs ne s’excluent pas.

O’Reilly a consacré à d’Estouteville une étude attentive, et s’est appliqué à faire valoir les raisons personnelles que ce prélat normand avait de s’intéresser à la cause de Jeanne7. Il appartient, en effet, à une famille courageusement dévouée à la défense de la Normandie contre les Anglais. Son père a résisté à Harfleur aux assauts de Henri V et payé par vingt ans de captivité sa fidélité au roi. Son oncle Louis d’Harcourt, archevêque de Rouen, avait dû s’exiler pour ne pas prêter serment au roi anglais. Son frère Louis était un des défenseurs du Mont-Saint-Michel, et venait de prendre part à la reconquête du duché. Guillaume avait certainement suivi les événements qui avaient conduit Jeanne au bûcher de Rouen. O’Reilly affirme que

le crime commis sur Jeanne d’Arc… révoltait la conscience de d’Estouteville, qui sentit la nécessité d’en décharger la France et l’Église. Il est bien certain que ce grand drame était pour lui sans mystères et que ses nombreuses relations à Rouen et dans toute la Normandie… lui en avaient révélé tous les secrets et toutes les énormités. Chez lui, au besoin d’affranchir l’Église de la solidarité dans laquelle l’Angleterre avait voulu l’engager, et au besoin de relever l’honneur même de la France, en la personne de celle qui l’avait affranchie, venaient s’ajouter les traditions de sa famille…

Ces conjectures sont peut-être fondées. Il est probable tout au moins que les avocats de Jeanne aient fait appel à ces sentiments pour engager d’Estouteville à agir. Ce qui est certain, c’est que venu d’Italie, où il faisait carrière, pour plaider les droits du Pape en conflit avec ceux de la Couronne, le cardinal était fort soucieux de faire preuve de son loyalisme français.

12On se rappelle les protestations de dévouement faites au roi. Il dut y revenir. L’opinion courante ne lui était pas favorable. Son secrétaire écrivait, le 16 juin 1452, qu’il le savait être più Italiano che Francese ! Aussi dans son discours à l’Assemblée des prélats, tenue en juillet à Bourges, s’appliquera-t-il lourdement à plaider sa propre cause. Sans doute presse-t-il les évêques français d’obéir au Pape en opinant pour l’abrogation de la Pragmatique, mais il ne le fait que par attachement à la France. Ce sont les vrais intérêts de la France qu’il veut servir.

Quant à ma personne, — ajoute-t-il, — vous verrez facilement que je n’ai en vue que le bien et l’honneur du royaume. L’amour du pays où je suis né, où j’ai été élevé, m’y contraindrait malgré moi. Sans doute suis-je honoré du cardinalat, mais les droits naturels du sang imprescriptibles l’emportent sur tout autre intérêt accidentel. Si (comme le dit Cicéron), on aime ses enfants, ses parents, ses bienfaiteurs et ses amis, la patrie rassemble tous ces amours, et nul homme de cœur n’hésitera à mourir pour elle, s’il peut ainsi la servir. Comment dès lors pourrait-on me soupçonner de rien entreprendre qui puisse faire quelque dommage au royaume et au roi, moi qui suis né, qui ai été nourri et élevé en ce royaume, et qui, bien indigne, descends de la race royale elle-même8 ?

Dans ces conditions, il est plus que probable que le Légat du Pape ait voulu donner une nouvelle preuve de ses sentiments français en prenant en mains la cause de Jeanne, aussi chère au roi qu’au pays tout entier.

Les notaires du Procès de 1456 disent que

en raison des bruits qui couraient, et de tout ce que, durant sa légation, il entendit tous les jours raconter sur le Procès fait contre Jeanne,

il s’adjoignit l’inquisiteur Jean Bréhal, et

fit et ordonna de faire quelques informations préparatoires et préalables, tant à Rouen qu’ailleurs9.

Le Roi ne dut pas cacher au Légat l’intérêt qu’il prenait à l’affaire. Sans doute, if ne convenait pas qu’il donnât à l’envoyé du Pape une mission que Nicolas V ne lui 13avait pas imposée. Mais il pouvait manifester un désir royal.

D’Estouteville fut assez fin pour s’empresser de le satisfaire10. Nous en aurons une preuve dans le soin qu’à l’issue de l’Enquête, d’Estouteville prit pour rendre compte au roi des résultats obtenus.

Pour ce que je say que la chose touche grandement vostre honneur et estat, — écrira-t-il le 22 mai, — je m’y suis employé de tout mon pouvoir, et m’y employeray tousjours, ainsy que bon et feal serviteur doibt faire pour son seigneur11.

Ainsi tout conspirait pour encourager le Légat à s’engager en cette affaire. Il dut certainement en référer au Pape. On aimerait savoir quelle directive il en reçut. Une chose est sûre, c’est qu’on ne le détourna pas d’être agréable au roi. Puisque Jeanne en avait appelé à Rome, pouvait-on lui refuser cette justice ?

III.
L’Enquête de Rouen (mai 1452)

Nous sommes mal renseignés sur l’activité des enquêteurs, car leur dossier ne nous est pas parvenu. Nous n’en possédons que ce que les juges de 1456 estimèrent à propos d’en faire transcrire dans les pièces adjointes au Procès de Réhabilitation. Ce sont les Informations qu’ils dénommèrent préalables et préparatoires12.

C’est par elles que nous apprenons que le premier soin du du Légat semble avoir été de s’adjoindre l’Inquisiteur,

assumpto secum predicto venerabili fratre magistro Johanne Brehal ;

en sorte que la lettre de citation des témoins est rédigée aux noms du cardinal d’Estouteville et de frère Jean Bréhal

ordinis fratrum predicatorum, sacre theologie professor, heretice pravitatis 14in regno Francie, auctoritate apostolica inquisitor deputatus13 [de l’ordre des Frères Prêcheurs, professeur de théologie sacrée, inquisiteur de la dépravation hérétique dans le royaume de France, délégué par autorité apostolique] ;

qui prennent le titre :

in hac parte conjudices14 [co-juges en cette affaire].

Ils n’ouvriront leur inquisitio ni sur une accusation, ni sur une dénonciation, mais ex officio, c’est-à-dire en raison de la fama publica, dont ils ont recueilli les échos ; laquelle tient pour certain que le Procès de Condamnation est, pour maintes irrégularités, réputé injuste et donc nul15.

C’est la raison pour laquelle les Articles sur lesquels seront interrogés les témoins stipulent que

de premissis omnibus et singulis, scilicet de condemnacione ipsius Johanne, odio et inordinato favore judicum, fuit et est publica vox et fama, vulgaris assertio, commune dictum ac notorium in civilate et diocesi rothomagensibus, et in toto regno Francie16 [de tout ce qui précède et de chacun de ces points, à savoir de la condamnation de Jeanne, de la haine et de la partialité déréglée des juges, il y eut et il y a voix publique et renommée, assertion populaire, propos commun et notoriété dans la cité et le diocèse de Rouen et dans tout le royaume de France].

Les déposants devront témoigner du fait.

Il est établi ainsi que c’est sur l’initiative propre du Légat que l’inquisitionegotium inquisitionis — est engagée.

Les juges ont désigné comme Promotor in causa un avocat de Rouen, maître Guillaume Prévosteau, licencié ès lois, qui paraîtra plus tard comme conseiller lai à l’Échiquier17. C’est lui qui formulera les seconds articles sur lesquels devra porter l’interrogatoire18 et c’est de par lui que la seconde fois, seront appelés les témoins par les juges.

Les notaires seront Compaing Votes et Dauvergne. Le premier avait déjà été le notaire de l’Enquête menée par G. Bouillé en 1450. Ils sont tous deux prêtres, notaires apostoliques et impériaux, et attachés à la cour archiépiscopale de Rouen. 15On verra une fois figurer à leurs côtés comme témoins maître Jean de Gouvys19, docteur ès lois, chanoine de Rouen, et frère Jacques Chaussetier, prieur du Couvent d’Évreux, qui en 1455 interviendra au nom de ses frères de Beauvais.

Sollicité par d’autres affaires, le Légat semble assez pressé d’agir. Il a dû ne pas tarder à s’annoncer à Rouen, car nous voyons, le 27 avril, les Conseillers de la ville s’apprêter à le recevoir.

On lit au registre des délibérations :

Du jeudy XXVIIe jour d’avril, l’an MCCCCLII, en l’hotel de ville, presens Henry Loue, lieutenant de Mr le Bailly ; Loys de Cormeilles, vicomte de Rouen, Maistre Guillaume Bigot, advocat du Roy nostre Sire […] sur ce qu’il fut adverti la venue de Tres Reverend Pere en Dieu Monseigneur le cardinal d’Estouteville, legat de Nostre Saint Pere le Pape, qui devra arriver lundi prochain en ceste ville, sur, si l’on iroit à l’encontre de luy, luy faire la reverence ou non, deliberé fut aller a l’encontre de Monseigneur le cardinal, en sa joieuse venue, luy faire la reverence de par la ville, jusqu’au nombre de XXX a XL notables personnes, tant officiers que bourgeois. Nota que le jour de sa venue, qui fut le premier jour de May dudit an MCCCCLII, l’on fust a l’encontre dudit Monseigneur le cardinal Legat, (…) et notable compagnie de pié, jusques a Saint Sever. Item, incontinent luy arrivé, l’on luy presenta de par la ville, pour l’honneur d’icelle en l’hostel de Mgr l’archevesque, ou il fut logé, deux queues de vin excellent, l’un de vin de Beaune et l’autre de vin français.

On ne perdit pas de temps en festins, car le lendemain s’ouvraient les séances d’enquête.

Déjà se trouvaient prêts les articles sur lesquels les juges interrogeraient les témoins. Nous ignorons qui les avait rédigés.

Nous savons que le cardinal avait chargé de certains travaux deux chanoines de Rouen, Guillaume du Désert et Jean de Gouvys, travaux assez importants pour mériter salaire.

Une délibération du Chapitre, le jeudi 4 mai, en témoigne ; et ce mince incident n’est pas sans ouvrir un jour inattendu sur les conditions où se ferait l’enquête. Le registre des Délibérations capitulaires porte :

16Anno domini M° IIIICLII°, die iovis, IIIIta mensis maii… dicta die audita per dominos capitulantes requesta magistri Guillaume Dudesert20 pro se et magistro Iohanne de Gouvys, deputatis per dictum cardinalem in materia fidei, in casu tangente materiam Puelle, concluserunt quod expectetur finis materie ; et, casu quo ipsi deputati non haberent salarium, habeant distributiones suas, quamvis de gratia, attento quod non sunt missi a capitulo21.

[L’an du Seigneur 1452, le jeudi, 4e jour du mois de mai. Ce jour-là, les seigneurs du Chapitre ayant entendu la requête de maître Guillaume du Désert pour lui-même, et le maître Jean de Gouvys, députés en matière de foi par le cardinal, dans le cas touchant la matière de la Pucelle, ils conclurent qu’on devait attendre la fin de l’affaire ; et, au cas où ces députés n’auraient pas de salaire, qu’ils reçoivent leurs distributions, à titre gracieux, attendu qu’ils ne sont pas envoyés par le Chapitre.]

Ainsi n’étant pas délégués par le Chapitre, celui-ci réserve à plus tard de leur remettre leurs distributions selon que, l’affaire achevée, ils auront ou non touché leur salaire du cardinal qui les a mandatés. Choix fort curieux, tout au moins en ce qui regarde G. du Désert, que son passé révélait avoir été un fidèle partisan des Anglais. Le cas vaut d’être retenu.

Chanoine à l’âge de 21 ans par la grâce de Henri V, il n’a pas siégé aux Interrogatoires de 1431 ; mais le 24 mai, il a assisté à la scène de Saint-Ouen ; et, chose plus grave, le 29 mai, lors de la dernière délibération sur le sort de Jeanne, il a souscrit à la réponse de l’abbé de Fécamp qui a déclaré Jeanne relapse, et décidé qu’après une exhortation il fallait la déclarer hérétique et l’abandonner au bras séculier, avec l’horrible prière de la traiter avec douceur. Il assisterait même au supplice du 30 mai. C’est cet homme que nous verrons bientôt affirmer qu’il a entendu Jeanne à Saint-Ouen se soumettre au jugement de l’Église et qu’il l’a vue notamment sur le bûcher, prier Dieu et les saints en vraie catholique !… Au reste, il ne sait pas si ce fut par haine que les Anglais firent ce procès contre elle.

Nous ne serons pas surpris de constater qu’il ne fut pas le seul à se conformer au sentiment des nouveaux maîtres. Tout était prêt.

On ouvrit donc les séances d’Enquête.

Le mardi, 2 mai, comparurent le notaire du procès de 1431, Guillaume Manchon, et l’un des assesseurs les plus assidus et les plus hostiles à Jeanne, le Prieur de Longueville-Giffard, Pierre Miget. Sans désemparer, le lendemain mercredi, 3 mai, 17on entendit les deux dominicains qui approchèrent le plus Jeanne et la conduisirent au supplice, Ysambart de la Pierre et Martin Lavenu. Se joignit à eux un artisan qui avait été introduit dans la prison pour son métier, Pierre Cusquel.

Avait-on engagé l’affaire avec précipitation ? Il est probable que l’on se trouva embarrassé : deux dépositions le premier jour, trois le second ; alors que normalement on recevrait la semaine suivante sept, et jusqu’à dix témoins dans la journée… Toujours est-il qu’il n’y eut plus d’audience le jeudi 4.

Que s’était-il passé ?

L’examen plus attentif des pièces montre que l’on avait pris sans doute un faux départ.

Fut-ce sur l’intervention des juristes romains qui accompagnaient le cardinal, et qui conseillèrent plus de rigueur ? Deux graves documents montrent qu’on reprenait l’affaire sur de nouvelles bases22.

Tout d’abord, les juges publiaient, le jeudi 4 mai, une solennelle mise en demeure adressée à tout le clergé rouennais, de citer péremptoirement dix-sept personnages à comparaître au manoir archiépiscopal, à tel jour qui leur serait signifié, pour répondre aux articles formulés par le promoteur. Ceux qui se déroberaient seraient frappés de suspense ou d’excommunication ! Sévérité qui ferait croire à des réticences, et peut-être à des peurs de se compromettre.

La liste avait été dressée par le promoteur.

Elle est assez déconcertante, car on ne discerne pas ce qui a dicté les choix.

18Il faut relever tout d’abord que sont appelés à nouveau les cinq témoins, qui ont déposé les 2 et 3 mai. Ce qui indique assez qu’on ne tient pas compte des séances, sans doute mal préparées. Ils déposeront les 8 et 9 mai prochains. On s’étonne par contre de voir cités quatre civils : Jean Autin, Guillaume de Bigars, un gentilhomme normand, maître Guillaume Fortin23 et maître Jean Fave24, maître des requêtes du roi. Les trois premiers ne répondirent pas à la citation, et l’on ne voit pas en quoi ils étaient qualifiés, n’ayant jamais paru au procès en 1431. Par contre, un autre laïc, ouvrier maçon, Pierre Cusquel25 qui entra deux fois dans la cellule de Jeanne et lui parla, déposera trois fois, les 2 et 9 mai 1452 et le 12 mai 1456, et apportera des témoignages précis et concrets. La citation de frère Pasquerel, le chapelain de Jeanne, se justifie fort bien, mais, assigné au couvent de Bayeux, il ne comparut pas26.

Restent cités, ayant paru au procès, Nicolas Taquel27, notaire de l’inquisiteur, Robert de Grouchet28, et, seul de tout le chapitre, 19le chanoine Marguerie29. Quant au prieur de Saint Michel, Thomas Marie30, il n’avait pas paru au procès de 1431. Par contre, Nicolas de Houppeville31 avait beaucoup à dire sur les irrégularités de la procédure, en raison desquelles il, avait refusé de siéger. Il pourrait enfin parler. Et le plus étonnant de tous, cet ermite de Saint-Augustin, Jean Le Fèvre32, qui semble exceller à servir tous les maîtres. Il a été des plus assidus au procès. Il a, le 12 avril, approuvé la délibération des docteurs 20de Rouen qui déclarent Jeanne menteuse, scandaleuse, idolâtre, schismatique et véhémentement suspecte d’hérésie ; il adhère à la sentence de l’Université de Paris, dont on sait quels crimes elle a dénoncés en Jeanne ; il assiste à la prédication de Saint-Ouen, et le 30 mai au supplice. Prêcheur facile, il lui est arrivé de soulever le zèle des Rouennais contre les Français qui assiégeaient Meaux ou Pontoise… En 1456, il aura si bien fait le bon apôtre, devenu évêque de Démétriade, que les juges de la Réhabilitation le constitueront subdélégué commissaire pour les remplacer en leur absence ! Nous verrons comment il sait se déjuger.

Pourquoi le Promoteur n’a-t-il pas appelé tels personnages rouennais bien informés, trop bien peut-être ? À commencer par l’actuel archevêque de Rouen, Raoul Roussel, et ce Vice-Inquisiteur Jean Le Maître qui, cojuge avec Cauchon, était le premier responsable de la Condamnation ? On a supposé de la part du Promoteur une discrétion qui craignit de mettre dans l’embarras ces personnages. En effet, Roussel avait rapidement découvert, à l’approche des armées de Charles VII, qu’il était temps de redevenir bon Français, et il était sans doute indélicat de faire revivre un passé qu’il oubliait33. Quant à Le Maître, qu’on a de bonnes raisons de croire en vie et qui préférait faire le mort, on sait assez que le courage n’avait jamais été son fort. Mais s’agissait-il bien en 1452 de ménager des hommes qui, en 1431, avaient consenti au supplice d’une innocente ? On peut croire que plusieurs des plus acharnés étaient ravis de demeurer dans l’ombre.

Il est d’autant plus curieux de voir se présenter quatre personnages qui n’avaient pas été cités : Pierre Boucher et Jean Riquier34, qui, n’ayant pas siégé au procès, n’auront pas grand-chose à dire ; les chanoines Caval35 et Guillaume du Désert, qui ont opiné pour le bûcher.

21Encore faut-il savoir sur quels points précis ces témoins auront à déposer. Le Promoteur a trouvé insuffisants les XII articles proposés le 2 mai. Cette fois, ce seront XXVII articles qui permettront une enquête plus serrée : seize porteront sur la procédure, dix interrogeront sur l’attitude de Jeanne ; le XXVIIe constatera la fama publica. Il se pourrait que, déjà mis au courant de la procédure de Condamnation, les deux jurisconsultes romains qui accompagnent le légat : Théodore de Lelli et Paul Pontanus, aient aidé ou incité le Promoteur à détailler son enquête. Tout est prêt pour reprendre les séances36. Mais ce ne sera plus le Légat qui présidera l’enquête. En effet, Nicolas V lui a commis la charge de faire aboutir la réforme de l’Université, déjà projetée en 1448 par le roi. Il faut qu’avant de se rendre à Bourges pour l’assemblée qui traitera de la Pragmatique 22Sanction, cette première affaire soit réglée. Il va donc quitter Rouen, ayant délégué pour le remplacer à l’audition des témoins, le chanoine trésorier du chapitre, maître Philippe de la Rose37, homme considérable, qui, dans quelques mois, pourrait bien devenir archevêque de Rouen. Dans sa lettre de délégation, d’Estouteville loue la science, l’expérience, l’honnêteté et le zèle du nouveau commissaire (6 mai). Le Légat n’arrivera à Paris que le 10 mai, mais aussitôt, les rites d’accueil accomplis, il hâtera l’ouvrage38.

Les quelques trente délégués des Facultés et des Nations ont sans doute préparé le travail. Toujours est-il que le 26 mai les nouveaux Statuts sont approuvés. Ils sont promulgués en séance plénière de l’Université le 28 et l’acte en sera signé le 1er juin39. Mais à Rouen aussi on avait fait diligence.

Sous l’active conduite de Ph. de la Rose, dès le lundi 8, l’enquête avait repris en recevant la déposition du greffier Nicolas Taquel. Deux jours suffiront cette fois à entendre 7, puis 10 témoins. Le mercredi 10 mai, les deux notaires Compaing et Dauvergne rédigeront un dossier officiel auquel ils apposèrent leurs signatures :

Deposiciones et attestaciones testium prenominatorum in scriptis fideliter redegimus, testibus signis nostris manualibus, in fidem omnium et singulorum premissorum, hic appositis. [Nous avons fidèlement rédigé par écrit les dépositions et attestations des témoins susnommés, nos seings manuels étant apposés ici en foi et témoignage de tout et chacun des faits précités.]

Anno Domini MCCCCLII, die mercurii, X mensis maii. [L’an du Seigneur 1452, le mercredi 10 mai.]

Sic Signatum : Socius et Dauvergne.

Ce dossier fut déposé aux mains de Bréhal qui le conserva40.

23IV.
Les Résultats de l’Enquête

Comme on pouvait s’y attendre, l’Enquête confirma surabondamment la rumeur publique qui tenait la sentence et tout le procès pour injustes, en raison de la haine qui l’avait animé et des irrégularités qui y avaient été commises. Nicolas de Houppeville ajoutera que c’est la voix unanime, eciam nemine discrepante41 [sans que quiconque n’y contredise].

Mais avant de relever les résultats précis, tels qu’ils apparaissent, article par article, il est possible et utile de se rendre compte du but et de la marche poursuivis.

En fait, ce qui est ici mis en cause, c’est la procédure de Cauchon. On fait le procès du Procès. Comme le diront certains Mémoires, c’est la forme qui est envisagée et non la matière. De Jeanne, il n’est pas directement question : on n’interroge ni sur les révélations, ni sur les prétendus crimes. On ne parle ni de sorcellerie, ni de cruauté, ni de culte des démons, ni des vêtements virils. De ses déportements, ou au contraire de sa virginité, il n’est pas question. Si l’on rappelle sa piété, notamment dans sa mort, c’est pour dénoncer la cruauté et l’injustice dont elle a été victime. On n’affirme sa soumission à l’Église que pour protester contre la mauvaise foi avec laquelle elle a été niée42.

Ainsi, ceux sur qui l’on informe, ce sont les Anglais et les juges, qui ont agi par ordre. Ce sont les absents, les morts — Cauchon, le promoteur d’Estivet, et celui qui tout au moins fait le mort, l’inquisiteur Jean Le Maître —, les vaincus, qui sont mis en cause. Mais, à la différence de ce qui se fera en 1455, ni eux ni leurs héritiers ou successeurs en charge, ne sont appelés 24à comparaître. Ils ne seront pas cités. L’Inquisition de 1455 sera une procédure sur accusation, et la famille Darc pour obtenir la sentence de nullité prendra la charge de prouver les accusations qu’elle porte contre les juges prévaricateurs.

On peut d’ailleurs se demander comment d’Estouteville et Bréhal prennent ici le titre de cojuges. L’action de l’évêque de Beauvais et de l’inquisiteur Le Maître ne semble pas pouvoir être appelée en cassation par un Légat, sur son initiative personnelle et encore moins sur l’initiative du pouvoir civil. À moins de supposer que le Légat se juge qualifié pour recevoir, après vingt ans, l’appel que Jeanne a adressé au Pape. Mais, en fait, il bornera son action à recueillir des Informations qui viennent confirmer la fama, et fournir ainsi à un futur procès en forme un dossier préliminaire. C’est bien cela qui apparaîtra au Procès de 1455, qui désignera l’Enquête de 1452 comme une Information préalable et préparatoire et formellement extrajudiciaire43.

Si maintenant on cherche à faire saillir de ces quelque cinq cents réponses ce qui est acquis par un consentement unanime ou presque des témoins, voici ce qui ne peut plus faire de doute :

Les Anglais par peur et par haine, ont voulu la mort de Jeanne. Mortem ejus siciebant [ils désiraient ardemment sa mort], dit André Marguerie. On admire la réserve de Caval, dont nous constaterons les perpétuelles défaillances de mémoire, — qui croit que les Anglais n’avaient pas pour Jeanne magnam dilectionem [une grande affection] ; et celle de Le Fèvre, qui imaginatur [suppose] que les Anglais ne l’aimaient pas beaucoup ! Nicolas de Houppeville, qui, lui du moins, parlera toujours la bouche ouverte, dira n’avoir jamais pensé que les Anglais agissaient pour ramener Jeanne dans la bonne voie (art. I et II).

Tous ou presque témoignent que Jeanne, enchaînée dans son 25cachot, fut séquestrée par les Anglais (art. VIII) ; que, fille simple de 19 ans et ignorante (art. IX), elle fut harassée de questions difficiles (art. XI et XII) ; qu’elle s’était soumise au jugement de l’Église, (art. XIV, douze Oui) ; qu’elle était bonne catholique, et que sa mort fut très pieuse ; Massieu témoigne même qu’il n’a jamais vu mort si catholique (art. XXV).

Les avis sont plus partagés sur la pression et les menaces qui auraient attenté à la liberté des juges, conseillers ou notaires. Certains ne le croient pas. D’autres disent n’en rien savoir. Cependant, on apporte des faits précis : Massieu témoigne que Jean de Châtillon, ayant dit que l’on posait à Jeanne des questions trop difficiles et que la façon de procéder était mauvaise, fut repris par Cauchon, qui aurait interdit à Massieu de plus le convoquer44 ; Houppeville dépose que lui-même fut menacé d’exil ; et Lavenu ajoute qu’il a vu Houppeville mené en prison. Grouchet, Marie confirment le danger couru par Houppeville ; Ysambart parle de menaces contre l’évêque Jean de Saint-Avit, contre La Fontaine, contre son confrère Duval et lui-même ; Miget dépose qu’à Saint-Ouen Cauchon, en personne, fut grossièrement pris à partie par les Anglais. Beaucoup assurent que les uns agirent par peur, — tel l’inquisiteur, affirme son confrère Ysambart, (Houppeville dépose l’avoir vu extrêmement perplexe) ; mais d’autres — tel Cauchon, tel d’Estivet — étaient de parti-pris anglais. C’est en ce sens que Houppeville nie que la crainte ait été agissante, car ils y allaient de bon cœur et de leur plein gré ; il a vu Cauchon exultant de joie au milieu des Anglais, sûr, disait-il, de l’avoir pincée (art. III, IV). Thomas Marie croit tout simplement à l’argent anglais.

Quant aux notaires en général, on ne met pas en doute leur fidélité à rédiger exactement les interrogatoires (art. V, VI).

Sur le reste des articles, la majorité dit ne rien savoir, invoque incompétence ou alibi.

Quatorze voix se retrouvent pour attester que Jeanne a 26protesté ne vouloir rien tenir contre la foi (art. XIII) ; mais finalement, onze voix sur seize n’osent pas conclure qu’elle a été injustement brûlée, (art. XXI) invoquant leur incompétence.

Ils se sentent plus courageux pour dénoncer chez les Anglais, l’intention de déshonorer le roi de France, en la personne de celle à qui il devait sa couronne. L’article XXVI disait que les Anglais poursuivaient de haine mortelle

ladite Jeanne qui défendait la cause du Roi Très Chrétien,… et voulaient diffamer cedit Roi Très Chrétien, parce qu’il avait recouru au secours d’une femme si damnée.

Nous verrons sous peu l’inquisiteur Jean Bréhal écrire sans ambages que son enquête est surtout poursuivie pour obéir au souci extrême qu’a le Roi de voir réparé son honneur. Il est difficile de contester que telle fut aussi l’intention du Légat, qui s’en prévaudra dans ses lettres à Charles VII. On le comprit bien à Rouen. Si trois ou quatre ne se prononcent pas, tous les autres affirment que le but des Anglais était bien l’humiliation du roi de France. Massieu, Manchon, Lavenu et Ysambart de la Pierre en apportent comme preuve la violente tirade de G. Erard à Saint-Ouen, proclamant hérétique et schismatique celui qui se dit le roi de France, pour avoir accueilli une telle femme. À quoi Jeanne riposta qu’il eût à se taire, car il n’était pas en toute la chrétienté meilleur catholique.

Il semble que l’honneur du Roi passait quelque peu avant celui de Jeanne.

Néanmoins les dépositions de Rouen rendaient à la Pucelle un unanime hommage. Non seulement les accusations portées contre elle étaient déclarées mensongères et inspirées par la haine, mais on attestait que la victime avait ému jusqu’à ses bourreaux par sa mort admirable45 ; telle, disait Massieu, qu’il n’avait jamais vu personne finir ses jours si catholiquement. On rapportait que le bourreau se disait damné pour avoir brûlé une sainte femme, et qu’un secrétaire du roi d’Angleterre jugeait les Anglais perdus pour le même crime… La piété de sa prière en sa communion ou sur le bûcher, l’invocation ardente de Jésus en son dernier cri, ne laissaient aucun doute sur sa foi, et on affirmait sa parfaite soumission au Pape 27et à l’Église, quand on lui eut expliqué ce qu’on entendait par ce mot. Deux témoignages vont plus loin. Nicolas de Houppeville disait que sa constance faisait croire à beaucoup qu’elle avait un secours spirituel ; et le notaire G. Manchon estimait que, si simple et ignorante, elle n’était pas capable de se défendre contre de si grands docteurs, à moins qu’elle ne fut inspirée. Car à peine, déclarait Jean Riquier, si des docteurs eussent aussi bien répondu ; si sagement, ajoutait le prieur de Saint-Michel, que l’eût fait un excellent clerc46.

Les Consultations qui allaient durant trois années reprendre la question sur le fond, et les enquêtes de 1456, beaucoup plus attentives à la personne de Jeanne, feraient un travail positif, constituant la documentation de base d’une lointaine canonisation.

Si rapide qu’ait été la procédure de Rouen, d’Estouteville, sollicité par les urgentes affaires de l’Université et de l’Assemblée de Bourges, avait déblayé le terrain. Au dire des témoins l’iniquité du procès de Cauchon apparaissait évidente, et l’innocence de sa victime ne faisait plus de doute. Il allait s’empresser d’en porter la bonne nouvelle au roi47.

V.
Les suites

Le Légat ne pouvait tarder à faire valoir auprès du roi le résultat de l’Enquête entreprise par ses soins. Se trouvant encore à Paris, il dut recevoir des mains de Bréhal le dossier auquel il prit certainement grand intérêt. Le rapport oral que 28lui firent l’inquisiteur accompagné de G. Bouillé et peut-être de Philippe de la Rose, le convainquit que l’opinion était parfaitement acquise à une déclaration de nullité. Il envoya Bréhal et Bouillé rendre compte au Roi, annoncés par une lettre, où il renouvelait l’hommage de ses loyaux services48.

Mon souverain Seigneur,

Je me recommande tres humblement a vostre bonne grace.

Et vous plaise sçavoir que vers vous s’en vont presentement l’inquisiteur de la foi et maistre Guillaume Bouillé doyen de Noyon, les quelz vous referont bien au plain tout ce qui a esté fait au procès de Jeanne la Pucelle. Et pour ce que je say que la chose touche grandement vostre honneur et estat, je m’y suys employé de tout mon pouvoir et m’y employerai tousjours, ainsi que bon et leal serviteur doibt faire pour son seigneur, comme plus amplement serez informé par les dessus ditz.

Non autre chose pour le moment, mon Souverain Seigneur, fors que me mandez toujours vos bons plaisirs pour les accomplir.

Au plaisir de Dieu, qui vous ait en sa sainte garde et vous donne bonne vie et longue.

Escrit a Paris le XXIIe jour de may.

Votre tres humble et tres obeissant serviteur.

Le Cardinal d’Estouteville.

Charles VII se trouvait alors en Touraine, allant de château en château. C’est là que les messagers du Légat durent le rejoindre. Étant passés par Orléans, ils furent accueillis, le 26 mai, par la municipalité, heureuse certainement d’apprendre les résultats de l’Enquête de Rouen49 et qui leur fit fête. On ignore de quoi ils traitèrent avec les procureurs50 au sujet du procès de Jeanne. Ils avaient hâte de porter au roi le dossier de l’Enquête. Ils poussèrent au plus tôt jusque Chissay, où le roi séjournait chez son trésorier Pierre Bérard, occupé à préparer la procédure contre Jacques Cœur.

Nous ignorons si Charles en manifesta son plaisir. En tout 29cas il ne se montra pas très empressé à recevoir le Légat qui était lui fort désireux de s’entretenir avec le roi de la prochaine Assemblée du Clergé qui devait se tenir à Bourges en juin.

Peu soucieux sans doute d’entendre le Légat plaider, au nom de Nicolas V, en faveur de Jacques Cœur, Charles VII envoya l’archevêque de Narbonne exposer au cardinal que la médiocrité du logis ne permettait pas de le recevoir convenablement… De Chartres, où vers le 1er juin les deux prélats se rencontrèrent, l’archevêque de Narbonne rendit compte au roi de sa mission51. Le Légat eût souhaité parler au roi, ne fût-ce qu’une soirée. Il dut se résigner encore une fois à attendre son bon vouloir. Ses instances furent vaines. Le roi le rencontrerait prochainement à Bourges, où l’arrivée de toute l’équipe rouennaise, G. Bouillé et Bréhal, avec les conseillers du Légat, de Lelli et Pontanus, ne manqueraient pas d’exciter la curiosité des clercs qui s’y trouvaient assemblés.

Après avoir, le 1er juin, promulgué le nouveau règlement de l’Université, dont la réforme l’avait occupé depuis son départ de Rouen, le cardinal prit la route de Bourges, et passa lui aussi par Orléans, où il se trouva pour la fête du Saint-Sacrement. C’est ainsi que nous le voyons, le 9 juin à Orléans, accorder des Indulgences pour la célébration de la fête de la Libération du 8 mai.

La lettre, souscrite par Paul Pontanus, secrétaire du Légat52 et munie du sceau du cardinal, mérite de retenir l’attention.

Nous avons appris comment cette noble cité d’Orléans, lors des horribles tourmentes des guerres qui ravageaient le royaume de France, avait été assiégée par les anciens ennemis du royaume ; comment les citoyens et les habitants invoquèrent par de ferventes prières le secours divin, par l’intercession des bienheureux Aignan et Euverte, les glorieux confesseurs ; comment par les prières et les mérites de ces saints le Seigneur voulut que la ville fut délivrée de ses ennemis et de ceux du royaume ; qu’ayant à cœur de mieux glorifier le Nom de Dieu et de rendre grâces plus dévotes au Très Haut pour cette victoire si grande, (les citoyens) décidèrent avec l’agrément de tout le clergé, qu’à perpétuité, le 8 mai, jour de la délivrance de la cité, serait célébrée une fête solennelle avec messe et procession générale et que le lendemain serait fait un service pieux 30et unanime pour les âmes de ceux qui étaient morts durant ce siège. Que cette fête avec messe et premières et secondes vêpres, ainsi que le service du lendemain pour les défunts, ces mêmes jours à toutes heures furent toujours louablement célébrée dans la Cathédrale d’Orléans. Désirant qu’un propos si pieux et si louable fut encore plus affermi, pour que le nom de Dieu soit exalté en cette Église et qu’on y accoure à l’honneur de Dieu, et que les fidèles du Christ s’y portent avec d’autant plus de ferveur qu’ils se sentiront plus abondamment comblés des dons de la grâce céleste, confiant en la miséricorde du Dieu Tout Puissant et de par l’autorité apostolique qui nous vient des bienheureux apôtres Pierre et Paul et de l’autorité apostolique… nous accordons à perpétuité… indulgences… etc.

Où l’on voit que, dans la prolixité des considérants, aucune mention n’est faite de Jeanne ! Silence qu’il n’est pas facile d’interpréter, au lendemain de l’Enquête de Rouen53.

On peut croire que, lorsqu’il rencontra enfin le roi à Mehun-sur-Yèvre au début de juillet, peut-être accompagné de l’inquisiteur Bréhal et de Guillaume Bouillé, le Légat put entretenir Charles VII de l’affaire de la révision qui venait de franchir une étape décisive. Aucun doute ne pouvait subsister sur l’iniquité de la Condamnation prononcée par Cauchon, les témoignages étaient accablants. En France du moins, personne ne défendait plus la procédure de Rouen. Restait à convaincre Rome, à qui il appartenait de poursuivre.

Par bonheur d’Estouteville en se faisant accompagner par deux juristes romains, l’auditeur de rote Théodore de Lelli et son propre secrétaire Paul Pontanus, avait assuré à la cause de Jeanne les plus efficaces défenseurs.

Tous deux étaient venus à Rouen, en 1450, pour régler le conflit entre l’archevêque et les Cordeliers. S’ils n’y rencontrèrent pas Guillaume Bouillé, ils entendirent parler de l’Enquête qui avait établi l’iniquité du procès de 1431, et peut-être en lurent-ils les dépositions. Il est vraisemblable qu’ils s’attachèrent à la cause de Jeanne, et en parlèrent à Rome lors de leur retour. Les consultations qu’ils rédigèrent témoignent qu’ils s’étaient fait des convictions personnelles, et sans doute inclinèrent-ils le Légat à poursuivre l’enquête. Revenus en France en 1452, ils purent entendre les dépositions qui ne leur laissèrent plus 31aucun doute. Leurs rapports feraient impression à Rome, où Lelli surtout était fort bien en cour. L’autorité et le sens politique du cardinal feraient le reste.

C’est sans doute ce qui fut conclu à Mehun et à Bourges, de commun accord avec l’inquisiteur Bréhal. L’injustice étant flagrante, il ne serait pas possible de demeurer là. Nous savons que désormais Bréhal poursuivra infatigablement consultations, enquêtes personnelles et instances. Il lui faudra encore trois années pour déclencher l’action définitive. Et nous sommes assurés qu’en ce faisant il se conformait aux volontés formelles du roi.

Le registre du Trésor royal porte au second semestre de 1452

Frere Jehan Brehal, maistre en theologie et inquisiteur de la foy ou royaume de France, la somme de C l. t. comptant, laquelle le roy nostre seigneur lui a donnee pour lui aidier a supporter la despense que faire lui conviendra en besongnant ou fait de feue Jehanne la Pucelle, ou fait duquel ledit Seigneur lui a ordonné besongner. Pour ceci, par vertu dudit premier role et quittance ci rendue : C l. t.54

On note un autre paiement de 27 livres en août55. Il est infiniment probable que c’est alors à Bourges, auprès du cardinal d’Estouteville et de Guillaume Bouillé, que Bréhal composa son Summarium qu’il intitula : Articuli graviores et principaliores ipsius Johanne, super quibus est deliberandum56. [Principaux points et les plus importants au sujet de Jeanne, sur lesquels il faut délibérer.] Ce qui marque nettement que l’on entendait poursuivre la cause, en réunissant les avis des docteurs les plus qualifiés.

Nous voyons en effet, en décembre 1452, Jean Bréhal envoyer tout un dossier à un de ses confrères théologien réputé, frère Léonard, de Vienne, pour en obtenir l’avis57. Qu’il suffise ici de signaler l’insistance avec laquelle Bréhal souligne l’intérêt que le roi prend à l’affaire de la Pucelle. C’est vraiment au nom du roi qu’il sollicite son avis, sur une

matière qui touche l’honneur du roi très Chrétien et qu’il a vivement à cœur… 32Car il estime que son honneur a été en ce point très gravement lésé par ses ennemis les Anglais. Ils ont en effet poursuivi un procès en cause de foi contre une certaine simple pucelle et vierge, qui, à l’instigation de Dieu, comme il est prouvé avec une évidence presque irréfragable, a fait naguère la guerre pour son parti. Finalement, après l’avoir condamnée en la foi, ils la brûlèrent méchamment pour déshonorer le roi et le royaume. C’est pourquoi la Majesté Royale désire extrêmement faire éclater ce qu’il est en vérité de cette sentence et de ce jugement. À cette fin, elle m’a commis et enjoint, à moi humble inquisiteur en son royaume, de demander à tous les docteurs, partout où je le croirai utile, en leur envoyant les documents juridiques relatifs au procès et des extraits fidèles, de nous donner leur avis, et de les requérir, particulièrement les étrangers, afin qu’il paraisse clairement que tout esprit de parti est exclu de cette affaire…

La lettre est datée, de Lyon, le 31 décembre. Le cardinal Légat était déjà reparti pour Rome, où le Pape le réclamait instamment… Il y arriva le 3 janvier 1453 avec les juristes qui l’accompagnaient.

Cette fois la parole serait au Pape, enfin ému par l’appel désespéré, auquel Jeanne n’avait pas pu faire franchir les murs de sa prison.

33VI.
Les Manuscrits

Le dossier des Informations de mai 1452 a été inséré dans les manuscrits du Procès de Réhabilitation58.

Nous n’en possédons pas de copie indépendante.

  • B. N. lat. 8838, dit d’Urfé, fol. 7 v°-24 v°.

    Nous le désignons par U, et nous renvoyons à la foliotation nouvelle59.

Nous possédons de plus trois copies de la rédaction notariale, certifiées à chaque page par les notaires Le Comte et Ferrebouc. Ce sont :

  • B. N. lat. 5970, fol. 32-49.

    Nous le désignons par R, décrit par Quicherat, V, 447-449, par Champion, 9-13, avec planches ; qui le croit fait pour Charles d’Orléans ou pour le bâtard, comte de Dunois.

  • B. N. lat. 17013, fol. 46-77.

    Nous le désignons par N, décrit par Quicherat, V, 449-452, par Champion, 8-9, avec planches ; donné par l’évêque Guillaume Chartier à la librairie de Nostre Dame de Paris.

  • British Museum, Stowe 84, fol. 33 v°-50 v°.

    Nous le désignons par R, inconnu de Quicherat, décrit par Champion, 13-23, avec planches ; qui le croit l’exemplaire royal remis par Louis XI au Trésor des Chartes.

Il n’y a aucun compte à tenir des manuscrits dérivés de ceux-ci.

34VII.
Principes d’édition

Notre édition est établie sur les quatre mss. que nous venons de décrire, et dont nous donnons les variantes qui ne sont pas de pure orthographe, notamment dans les noms propres ; ou qui, accidents de graphie, n’intéressent en aucune façon le texte.

Nous avons pris comme base le ms. dit d’Urfé.

Voici les raisons de notre préférence.

Si les trois manuscrits des notaires en imposent par la signature de ceux-ci, il est universellement reconnu que leur copie est extrêmement défectueuse. Le jugement de Quicherat, si sévère, est justifié.

Les manuscrits témoignent d’une extrême négligence de la part des greffiers, non seulement par l’incorrection des textes, mais encore par des fautes de rédaction qu’on est surpris de rencontrer dans un acte revêtu d’un caractère légal… Les nombres… sont presque toujours fautifs,… les prénoms, tant des témoins que des officiers du tribunal, sont une source d’erreurs non moins fréquentes… Tout cela démontre que les expéditions authentiques sont sorties du greffe sans avoir été collationnées ; que Comitis et Ferrebouc les ont signées les yeux fermés, s’en remettant des fautes commises par leurs clercs à l’excellence de la cause. — (V. 437.)

On voit qu’ils sont loin de s’imposer.

La copie insérée dans le ms. d’Urfé a cet avantage, outre sa correction, de reproduire la plus ancienne transcription connue. On sait que le procès de réhabilitation présente deux rédactions, l’une épiscopale, l’autre notariale. Ce qui pose un problème que nous aborderons dans l’édition que nous préparons de la première. Quicherat la considère comme une rédaction d’essai, en tout cas elle est antérieure à la seconde.

En somme ces différentes copies sont très voisines, dépendant du même dossier perdu. On remarque quelques fautes communes 35à tous les mss., venant d’abréviations mal comprises ou d’erreurs dans l’original lui-même. Nous avons dû, une fois ou l’autre, rétablir le texte par conjecture. La plupart des variantes d’une copie à l’autre n’ont pas grand intérêt. Seul le ms. de Stowe a de plus graves omissions par homoioteleuton (saut du copiste entre deux fins semblables entraînant la perte d’un passage).

Nous donnons en regard la traduction française des textes latins.

Nous remercions respectueusement M. le Professeur Tisset qui a bien voulu nous aider de ses conseils et relire notre manuscrit.

Références

36Nos références ordinaires seront aux ouvrages suivants de notre Collection :

  • Documents et Recherches relatifs à Jeanne la Pucelle
    • M : I. La Minute française des Interrogatoires de Jeanne, d’après le Réquisitoire de Jean d’Estivet et les manuscrits de d’Urfé et d’Orléans.
    • Ins. : II. L’Instrument des Sentences portées par Pierre Cauchon et Jean le Maître contre Jeanne la Pucelle.
    • Enq. : III. La Réhabilitation de Jeanne la Pucelle. L’Enquête ordonnée par Charles VII en 1450 et le Codicille de Guillaume Bouillé.
  • Q : Quicherat

    Procès de Condamnation et de Réhabilitation…

  • Cham. : Champion

    Procès de Condamnation,… t. II, notes.

  • Beau. : Beaurepaire.

    Notes sur les Juges et les Assesseurs…

  • Char. : Chartularium Universitatis Parisiensis, t. IV.

37Les enquêtes de 1452

38Présentation au procès de 1455

On sait que les Lettres patentes, adressées universis presentes licteras inspecturis [à tous ceux qui examineront les présentes lettres] par l’archevêque de Reims et les évêques de Paris et de Coutances60, qui ouvrent la rédaction épiscopale du Procès de 1455-1456, décrivent avec émotion la scène qui se déroula, le 7 novembre 1455, à Notre-Dame de Paris. Isabelle, la mère de Jeanne, et ses deux fils, accompagnés de personnes graves, parmi lesquelles des gens d’Orléans, vinrent présenter aux évêques désignés par le Pape le rescrit apostolique sub bulla plumbea [sous bulle de plomb], ainsi que la supplique demandant que justice fut rendue à sa fille.

Les évêques objectèrent aux suppliants que l’affaire était extrêmement grave, et qu’ils ne voulaient pas traiter une question si difficile, dont il étaient ignorants, sans au préalable y réfléchir longuement et s’en informer comme dû. Que les suppliants ne s’engagent pas en une telle procédure sans consulter les sages et les doctes !

Sous serment, Isabelle répondit que des Informations avaient été recueillies par ordre de Révérendissime Père, le Seigneur cardinal d’Estouteville, alors Légat en France, d’office propre61, et que de nombreux traités ou documents étaient en ses mains, qu’elle était prête à présenter aux évêques. Sur l’heure, elle déposa un rapport qui exposait les tourments qu’avait soufferts Jeanne, ainsi que des considérations juridiques propres à éclairer les évêques. C’était le rapport rédigé par Guillaume Bouillé62.

Tous ces documents, auxquels était joint le Procès de 1431 décidèrent les évêques à entreprendre aussitôt la Révision 39pour laquelle les déléguait le Pape. Après avoir paternellement consolé Isabelle, ils assignèrent le 17 novembre pour l’ouverture publique du Procès.

C’est immédiatement après ces Préambules que la Rédaction épiscopale insère le Rapport de G. Bouillé, suivi du dossier de l’Enquête de 1452.

Les notaires de la Réhabilitation annoncèrent dans leur Préface qu’ils ont joint aux Informations recueillies en 1456, les Informations précédemment recueillies par Révérendissime Père en Dieu, le seigneur Guillaume, cardinal de Saint-Martin-des-Monts, de concert avec l’inquisiteur susdit (Jean Bréhal)63. Ils rejettent ces Informations au chapitre V (Q, II, 291), sous le titre :

Informatio preambula anno MCCCCLII Rothomagi facta.

[Information préliminaire faite à Rouen en 1452.]

Ferrebouc dans son Instrument introduit la copie du dossier d’Estouteville par les lignes suivantes :

In primis vero, quoniam reverendissimus in Christo pater et dominus, dominus Guillermus, tituli sancti Martini in Montibus, sacrosancte Ecclesie romane presbyter cardinalis, de Estoutevilla vulgariter nuncupatus, propter famam currentem et multa que cotidie, eius legatione durante, super dicto processu contra dictam Iohannam agitato, ferebantur, assumpto secum predicto venerabili patre, magistro Iohanne Brehal, inquisitore, nonnullas informaciones preambulas et preparatorias fecit et fieri ordinavit, in civitate rothomagensi et alibi64 ; quas quidem informaciones, quia, obstante recessu suo, procedere, sicut speraverat, ad decretum citacionis et ad examinacionem processus non potuit, censuit apud ipsum inquisitorem et notarios dimmictendas. Idcirco prefati domini delegati dictas informaciones in huius processus principio, de manibus inquisitoris prefati ac notariorum qui eas scripserunt, nobis presentibus, receperunt et easdem tanquam preparatorias et preambulas, hic primo inter alias informaciones et inquestas, ordinaverunt premictendas.

[En premier lieu, parce qu’en raison de la rumeur publique touchant au procès mené contre Jeanne et des nombreux rapports qui lui parvenaient chaque jour durant sa légation, le très révérend père dans le Christ et seigneur, Mgr Guillaume, cardinal-prêtre de la sainte Église romaine du titre de Saint-Martin-des-Monts, communément appelé d’Estouteville, s’étant adjoint le vénérable père maître Jean Bréhal, inquisiteur, fit et ordonna faire, dans la ville de Rouen et ailleurs65, plusieurs informations préliminaires et préparatoires. N’ayant pu, en raison de son départ, prendre lui-même le décret de citation et procéder à l’examen du procès comme il l’avait espéré, il jugea bon de laisser ces informations à l’inquisiteur et aux notaires. C’est pourquoi au début du présent procès, les seigneurs délégués reçurent en notre présence ces informations de la main de l’inquisiteur et des notaires qui les avaient rédigées, et ordonnèrent qu’elles soient placées en tête, avant les autres informations et enquêtes, en tant que pièces préparatoires et préliminaires.]

Notes

  1. [1]

    La bulle de nomination comme légat est du 13 août 1451. (Rainaldi, année 1451 n° 7). Elle est suivie, le 27 août, de la bulle donnant tous pouvoirs de réformer l’Université, etc. (Chartularium Universitatis Parisiensis, IV, 705-706).

    Par sa mère Marguerite d’Harcourt, d’Estouteville était cousin de Charles VII.

  2. [2]

    Lettre originale : B. N. Ms. lat. 9071, fol. 32, Éd. par P. Ourliac, La pragmatique sanction et la légation en France du cardinal d’Estouteville, dans Mélanges d’archéologie et d’histoire de l’École française de Rome, 1938, p. 427.

  3. [3]

    Allusion sans doute à la démarche du duc de Bourgogne qui n’avait pas plu au roi.

  4. [4]

    Les termes de cette réponse sont rapportés dans un registre du temps B. N. ms. Nouv. acq. fr. 1001 fol. 42, partiellement éditée par Ourliac, op. cit., p. 415 n. 5.

  5. [5]

    La lettre se trouve au Bristish Museum, Add. Mss. 21512, f. 2. Voir Beaucourt, Histoire de Charles VII, V, 197 sq.

  6. [6]

    Le 1er décembre il était en Savoie ; le 26 et 27 décembre, il écrivait de Lyon au duc de Milan qu’enfin il était reçu comme légat. Le 1er janvier il est encore à Lyon. Mais le 27 février il écrit de Tours au duc de Milan, lui disant le bon accueil du roi. Voir Ourliac, op. cit., p. 417.

  7. [7]

    Les deux Procès de condamnation, les enquêtes et la sentence de réhabilitation…, t. II, 509.

  8. [8]

    Voir le texte dans Ourliac, op. cit., p. 428. Assez impudemment le cardinal, chargé de bénéfices et d’évêchés en France, ose faire remarquer qu’il plaide aussi bien pour ses intérêts que pour ceux des autres, puisque, lui-même siégeant en Église cathédrale tient en commende quelques monastères, de qui dépendent de nombreux et considérables bénéfices.

  9. [9]

    Quicherat, II, 290. On ne vois pas où ailleurs.

  10. [10]

    Les relations étaient devenues, semble-t-il, plus confiantes. Le roi ne négligea pas de faire au cardinal un cadeau utile. Il lui offrit un haquenée, qui coûta 99 livres, 5 sols. Prix médiocres, si la haquenée de l’évêque de Senlis, que Charles réquisitionna pour Jeanne en septembre 1429, lui avait coûté 210 livres. Et Jeanne la fit rendre, par ce que, disait-elle : Elle ne valait rien pour chevaucher.

  11. [11]

    Infra, p. 28.

  12. [12]

    Quicherat, II, 78 et 292.

  13. [13]

    Jean Bréhal, normand, novice au couvent d’Évreux, était alors maître en Sacrée théologie et l’un des deux inquisiteurs pour la France, assigné au Couvent Saint-Jacques, à Paris. Il était prieur en 1455. Il quitta ses fonctions d’inquisiteur en 1474 et mourut après 1478. Voir Belon et Balme, Jean Bréhal, grand inquisiteur de France et la réhabilitation de Jeanne d’Arc, p. 8-26.

  14. [14]

    Titre que ne prendra pas Philippe de la Rose, quand le Légat lui aura délégué ses pouvoirs.

  15. [15]

    Propter famam currentem [en raison de la rumeur publique], disent les notaires de 1456, et multa que cotidie, eius legatione durante, super dicto processu contra dictam Iohannam agitato, ferebantur [et des nombreux rapports touchant au procès mené contre Jeanne qui lui parvenaient chaque jour durant sa légation] (Infra, p. 39).

    Fama publica referente super hiis que olim perperam et erronee gesta fuisse dicebantur, contra quamdam Iohannam, Puellam vulgo nuncupatam, in processu contra eam, per tunc episcopum belvacensem et subinquisitorem fidei, sub dominio regis Anglie, agitato [en raison de ce que rapporte la renommée publique sur ce qui naguère a été fait à tort et à faux, disait-on, contre certaine Jeanne, appelée communément la Pucelle, en un procès mené contre elle par l’évêque de Beauvais d’alors et le sous-inquisiteur de la foi, au temps de la domination du roi d’Angleterre]. (Infra, p. 47.)

  16. [16]

    XIIe et XXVIIe articles. Infra, p. 45 et 79.

  17. [17]

    Q, II, 109, note 1, d’après les registres de l’Échiquier de Rouen en 1462 et 1464. En 1486, figure à l’État des nobles demeurant à Rouen, un Messire Guillaume Prévosteau, seigneur de Tourny. Quicherat se réfère à Dusouillet, Histoire de Rouen, p. 3 et 33.

  18. [18]

    Cela est dit formellement, infra, p. 65.

  19. [19]

    Quicherat a écrit Gouys ; mais il rectifiera à tort Gonnys. V, 215 n. 2.

  20. [20]

    Guillaume du Désert, du parti anglais, bachelier en décret, sera chargé de missions en Angleterre et à Rome. Il assista le 14 mai à la délibération du Chapitre relative à Jeanne. Voir Cham., n. 629 et Beau., p. 69.

  21. [21]

    Nous remercions M. le Directeur des services d’Archives de la Seine-Maritime qui a bien voulu transcrire ce texte (G 2134, folio 163 verso) dont Quicherat (V. 215) a donné une version incomplète et fautive, notamment en disant les deux chanoines délégués per dominum archiepiscopum [par le seigneur archevêque] !

  22. [22]

    Quicherat, qui relève cette date du 4 mai (l’acte est daté du jeudi post Jubilate, soit le troisième dimanche après Pâques, survenu le 30 avril), estime qu’il y a là

    quelque erreur, puisque, — dit-il, — la citation serait postérieure de deux jours à la comparution des témoins (II, 296).

    Le Chartularium U. P. (IV, p. 712 n. 3) approuve la remarque de Quicherat pour la même raison. Mais ne sont-ils pas trompés par le fait que cette pièce a été transcrite avant les séances du 2 et du 3 mai ? Or, il est manifeste que cette citation impérative vise la reprise à nouveaux frais de l’enquête. Les 17 personnages qu’elle requiert sont précisément ceux qui viendront déposer les lundi et mardi suivants, 8 et 9 mai, à l’exception de 4 qui, pour une raison inconnue, n’ont pas comparu. L’argument de Quicherat et du Chartularium ne porte donc pas, puisque les témoins ici cités ne sont pas ceux qui au nombre de 5 seulement comparurent les 2 et 3 mai. Ainsi doit être retenue la date donnée si explicitement par tous les manuscrits. Tout démontre que la reprise de l’Enquête prendra un caractère plus rigoureux : 1° du fait de la rédaction de 27 nouveaux articles remplaçant les 12 précédents jugés insuffisants ; et 2° par la citation nominale sous peine de censure, fulminée solennellement au clergé de Rouen, par le Légat en personne, avant qu’il délègue à un autre ses pouvoirs.

  23. [23]

    Serait-ce le Guillaume Fortin qui était en 1449 vicomte d’Alençon pour les Anglais ? Beaucourt, Histoire de Charles VII, V, p. 5, n. 1. Et Chronique de Mathieu d’Escouchy, éd. par Du Fresne de Beaucourt, (Société d’Histoire de France), t. III, p. 366-370, (Pièces justificatives).

  24. [24]

    Jean Fave sera maître des requêtes du roi Charles VII. Il déposera le 9 mars mais ne rapportera que des on-dit.

  25. [25]

    Pierre Cusquel, dénommé civis rothomagensis [citoyen de Rouen] ou laicus civis [citoyen laïque], ou laicus burgensis [bourgeois laïque]. Un détail montre l’a peu près de certaines indications : le 3 mai il a environ 55 ans ; le 9, il en a 50, et le 12 mai 1456 aura 53 ans ! Il travaillait aux ateliers du maître de l’œuvre de la maçonnerie du château. (Voir ses dépositions, infra, p. 56 et 112).

  26. [26]

    Jean Pasquerel, ermite de Saint-Augustin, qui fut le chapelain de Jeanne alors assigné au couvent de Bayeux, ne viendra déposer qu’en 1456.(Q, III, 100-112.)

  27. [27]

    Nicolas Taquel ne fut institué comme notaire par le vice-inquisiteur que le 14 mars ; son rôle fut seulement d’écouter, sans avoir à écrire. (Voir sa déposition le 8 mai où il est dit curé de Basqueville, infra, p., 78). De nouveau il déposera le 11 mai 1456.

  28. [28]

    Richard de Grouchet, maître ès arts bachelier en théologie. A siégé les 21, 22, 27 février, les 1er et 3 mars. Dans sa consultation, il dira avec Pigache et Minier qu’il n’est pas capable de juger si les révélations sont de Dieu ou du diable (Q, I, 369). Or, tout dépend de leur origine :

    Si du mauvais esprit ou inventées par Jeanne, il nous semble qu’un très grand nombre des affirmations en cause sont suspectes en la foi, injurieuses, contre les bonnes mœurs, ou de diverses façons infectées. Mais si ces prétendues révélations sont de Dieu ou du bon esprit, ce qui ne conste pas à nos yeux, il ne nous serait pas loisible de les interpréter en mauvaise part.

    Avis qui déplut à Cauchon (voir infra, p. 88 et 130 et Q, III, 173). Il assista le 2 mai à la monition solennelle faite à Jeanne. (Q, I, 381) ; le 19 mai à la lecture des délibérations de l’Université de Paris (M, 249 et Q, I, 404). Il estime que, si Jeanne ne se soumet pas à l’Église, il faut la déclarer hérétique (M, 252, Q, I, 427). Le 29 mai, il adhère à l’avis de l’abbé de Fécamp, que Jeanne doit être déclarée relapse et livrée au bras séculier (M, 286, Q, I, 466). Il ne comparut pas en 1456. Voir Cham., II, n. 83. Beau., p. 118.

  29. [29]

    André Marguerie. Personnage important du clergé et du chapitre de Rouen.

    Dès 1409 vicaire général de l’archevêque, archidiacre de Petit-Caux ; député aux États de Normandie en 1423 ; et au Concile provincial de 1445.

    Très inféodé aux Anglais.

    Envoyé au Concile de Constance, il revint à Rouen quelques mois après la prise de la ville par Henri V (13 janvier 1419) et tint le 19 septembre à témoigner quod non tenuit partem dictam d’armagnac ou Dalphin [qu’il n’a pas soutenu le parti dit d’Armagnacs ou du Dauphin]. Il fut membre du Conseil du roi.

    Il avait dû à Henri V d’être confirmé dans la possession de la collégiale de Saint Michel de Beauvais, (1421) et devra à Henri VI sa nomination de trésorier du chapitre (1443).

    Il a assisté aux séances des 21, 22, 24 février ; 1er, 26 27, 28, mars ; 2, 9 mai ; à Saint-Ouen (le 24), au Vieux Marché (le 30). Le 12 mai estime que la torture non expedit pro nunc [pas opportune pour le moment] ; le 19 mai approuve les délibérations de l’Université ; le 29 mai opine comme l’abbé de Fécamp ; c’est dire qu’il déclare Jeanne coupable de tous les crimes d’hérésie, sorcellerie, etc.

    Les deux dépositions du 9 mai 1452 et du 12 mai 1456 sont fort étranges. Il déclare les deux fois qu’il ne peut rien dire sur tels articles quia parum fuit in examine [parce qu’il assista peu aux interrogatoires]. Or il y parut au moins 13 fois, et cela à des séances majeures. Ce qui lui fit dire qu’à 16 articles (en 1452) et à une vingtaine en 1456, il ne sait rien !

    Il semble avoir eu après le 24 mai une timide indépendance d’esprit en disant, devant des Anglais, qu’il fallait chercher pour quelle cause Jeanne avait repris l’habit d’homme. Observation qui lui valut d’être traité par ses auditeurs de Traître armignac et menacé de violence. (Voir J. Massieu, infra, p. 94 et Q, III, 158).

    Par ailleurs il déclare qu’à son sentiment on a eu tort de tenir Jeanne en prison laïque, surtout après le 24 mai, puisqu’on lui avait alors promis prison d’Église. Voir Beau., p. 82-85 ; Cham., n. 95 ; Char., passim.

  30. [30]

    Thomas Marie ne rapportera que des on-dit (voir sa déposition, infra, p. 146) Cité en 1455, ne paraîtra pas.

  31. [31]

    Nicolas de Houppeville déposera le 8 mai. (Voir infra, p. 88). Il paraîtra souvent en 1456 et déposera de nouveau. Il sera fréquemment parlé de lui, par les témoins, de sa résistance à Cauchon.

  32. [32]

    Jean le Fèvre (Fabri), maître en théologie, fut, on ne sait pourquoi fait évêque de Démétriade (Dimitri) in partibus, le 13 janvier 1441. Il fit souvent les ordinations à Rouen. Il mourut en 1463 et fut enterré aux Augustins de Rouen. Voir sa déposition du 9 mai 1452, infra, p. 142. Il déposera de nouveau en 1456, ayant joué un rôle important aux séances de la Réhabilitation. Il eut envers Jeanne un sentiment humain, car, comme le rapporte Massieu (Q, III, 153), voyant qu’on fatiguait Jeanne à l’excès, en lui demandant si elle était en état de grâce, et quoiqu’elle eût répondu, à son avis, pertinemment, on la pressait encore de questions, il déclara qu’on la tourmentait trop. Sur quoi les interrogateurs lui dirent de se taire. Lui-même rapportera le fait dans sa déposition du 9 mai (infra, p. 142) et le répétera le 12 mai 1456, (Q, III, 174) en disant que c’est Cauchon qui lui répondit : Vous auriez mieux fait de vous taire. Il avouera d’ailleurs que durant trois semaines, il crut au caractère inspiré de Jeanne. (Voir Cham., n. 75 ; Beau., p. 109).

  33. [33]

    Le silence de Raoul Roussel est d’autant plus étrange que c’est en son propre manoir que le légat avait pris demeure et que se tiendraient les séances. On sait qu’il mourut le 3 décembre 1452.

    Il est surprenant que Guillaume Colles, le second notaire de Cauchon, qui assista à tout le procès de 1431, n’ait pas été appelé. Il déposera seulement le 12 mai 1456.

  34. [34]

    Pierre Boucher, curé de Bourgeauville au diocèse de Lisieux. (Voir sa déposition du 8 mai, infra, p. 84). Cité en 1456 ne paraîtra pas.

    Jean Riquier, curé de Heudicourt, dépose le 9 mai, (infra, p. 150), cité, produit et récolé en 1456, déposera de nouveau. (Q, III, 188).

  35. [35]

    Nicolas Caval, né v. 1390, licencié en droit civil, mort en août 1457, en 1452 on le considère comme vieux et infirme. Il est le 16 octobre 1452 dispensé par le chapitre de l’assistance au chœur à cause de son âge, de ses infirmités. On le dit plus que sexagénaire dans une délibération capitulaire du 21 janvier 1452.

    Très particulièrement lamentable et faux.

    Homme très favorisé par les Anglais. Henri V lui donne un canonicat à la collégiale de Mortains, puis un canonicat à Rouen en 1421 par droit de régale en place de Robert de Faubuisson fidèle à la France.

    Il est aussi intime de Cauchon, qui le fit son exécuteur testamentaire ; dont il accompagne les funérailles ; ami de Zanon de Castiglione, évêque de Lisieux.

    Très au courant par Cauchon et Zanon de ce qui se passe. Il a personnellement figuré aux séances du procès des 27 février, 1er et 27 mars, où Jeanne est longuement interrogée ; du 2 mai, où elle est publiquement admonestée par le promoteur. Requis de donner par écrit son avis sur les XII articles, il adhère aux conclusions des docteurs qui chargent Jeanne des crimes d’idolâtrie, d’hérésie, etc. Il est donc très informé.

    Or, quand il est ici interrogé, il répète que sur les articles IV, V, VII, VIII, X, XI à XVIII, XXII, XXIV, il ne sait rien : nihil scit ! Ce sont les articles les plus importants qui touchent la conduite des Anglais et des Juges durant le Procès. Tout ce qu’il croit pouvoir dire, c’est qu’il lui semble que les Anglais n’avaient pas un grand amour pour Jeanne ! Que si elle a été brûlée, justement ou injustement, lui le licencié ès droit, il n’en sait rien et s’en réfère au procès. Or, le 29 mai, il l’a formellement déclarée relapse, hérétique, à livrer par conséquent au bras séculier.

    Il ignore pour quelles causes les Anglais firent procéder contre elle, et particulièrement si ce fut par haine et pour infamer Charles VIII Quand il sera réinterrogé en 1456, il n’a réveillé aucun souvenir, mais répète cette énormité qu’il croit que les Anglais n’avaient pas grande dilection pour Jeanne ! (Q, III, 178-179).

    Voir Cham., n° 183 ; Beau., p. 58.

  36. [36]

    En remettant ces XXVII articles le Promoteur a réservé ses droits pour, s’il le juge bon, ajouter, corriger et, s’il le fallait, proposer des articles longiores. Q, II, 316. Voir infra, p. 78.

  37. [37]

    Philippe de la Rose, licencié en décret le 4 avril 1426 (Char., IV, n. 2267). Usera le 19 décembre 1455 délégué par le Chapitre de Rouen pour assister (avec cinq autre chanoines) les Juges de la Réhabilitation.

  38. [38]

    Nous savons par le registre capitulaire que le 5 mai le chapitre délègue cinq chanoines auprès de l’évêque de Paris pour régler le cérémonial de la réception du Légat. Le lundi 8, on décide de le recevoir le plus honorablement possible, et qu’à son arrivée, qui ne tardera plus, il sera harangué par maître Thomas de Courcelles, cet autre assesseur de Cauchon ! En effet, la réception à la cathédrale est de grand apparat, le 10 mai ; après laquelle le cardinal prend domicile au manoir épiscopal. Il célèbre encore solennellement le mercredi 17, et le jour de l’Ascension, à Saint-Éloi. Il est encore à Paris le 24. Voir les Registres capitulaires, Arch. Nat. LL 117, p. 193 à 201.

  39. [39]

    Il remplit plus de vingt grandes pages du Chartularium, 713-734.

  40. [40]

    En 1455 les Délégués le firent remettre à Socius Votes pour qu’il reconnut son seing manuel ; et à G. Manchon, pour que tous deux reconnussent les signatures de G. Mesard et de Dauvergne, absents (Q, II, 157). D’où il résulterait que G. Mesard, notaire, secrétaire du légat aurait aussi signé le dossier.

  41. [41]

    Quelques témoins, il est vrai, restreignent cette constatation aux points dont ils ont eux-mêmes affirmé la vérité. Quant à Caval, qui a perdu toute mémoire, il est le seul à ne rien savoir !

  42. [42]

    C’est en cela que cette enquête se différencie de celles qui suivront en 1456. Aux témoins de Domrémy, d’Orléans, de Paris, on demandera ce qu’ils savent de Jeanne, qu’il s’agit de réhabiliter réellement. Ici on juge la procédure comme telle, dont on veut établir la nullité.

  43. [43]

    C’est à ce titre que les juges délégués par Callixte III les feront insérer dans leur dossier.

    Les notaires nous avertissent qu’ils ont, aux informations prises en 1455 en Lorraine, à Orléans, Paris et Rouen, ajouté

    d’autres informations recueillies par Révérendissime Père en Christ, seigneur Guillaume, cardinal de Saint-Martin-en-Monts et par l’inquisiteur qu’il s’était adjoint, et ont cru bon de les insérer dans leur registre. — (Q, II, 78.)

    Ils en introduisent le texte par ce nouvel avis :

    Puisque… [le cardinal et l’inquisiteur]… ont fait et ordonné de faire des informations préalables et préparatoires, en la ville de Rouen et ailleurs, — informations qu’à cause de son départ le cardinal ne put recevoir lui-même, comme il l’espérait ; il les fit remettre à l’inquisiteur et aux notaires. Ainsi les seigneurs Délégués ont reçu en notre présence au début de ce procès ces informations des mains de l’inquisiteur susdit et des notaires qui les avaient écrites, ils ordonnèrent qu’elles soient insérées en ce lieu tout d’abord, parmi les autres informations et enquêtes. — (Q, II, 292, 297.)

  44. [44]

    Massieu répétera cela en 1456 (Q, V, 153) ; mais cette exclusion ne fut pas maintenue, puisque, non seulement Châtillon paraît à presque toutes les séances jusqu’au supplice inclus, mais qu’il fut chargé d’admonester Jeanne le 2 mai, qu’il l’exhorta encore à Saint-Ouen, le 24. Il adhéra, à toutes les délibérations, à l’avis de l’abbé de Fécamp, contre Jeanne. Manchon dit seulement qu’une fois, ayant dit qu’à telle question Jeanne n’était pas tenue de répondre, ce fut un grand tumulte, et que Cauchon lui signifia de se taire ! (Q, III, 153).

  45. [45]

    Au dernier article tous reconnaissaient à ce propos la fama publica répandue dans la ville et le diocèse de Rouen.

  46. [46]

    Deux réserves sont exprimées au sujet des visions et révélations. Le prieur de Longueville trouvait qu’elle insistait avec excès sur les visions qu’elle disait avoir eues. Et l’évêque de Démétriade Le Fèvre avouait que durant trois semaines, il l’avait crue inspirée, mais enfin il l’avait trouvée pertinace et inobéissante, et l’avait condamnée comme hérétique et relapse. Homme habile qui un jour présidera les audiences décisives de la Réhabilitation !

  47. [47]

    Il est curieux qu’à l’inverse des ordres donnés par le roi, en 1450, de réunir toutes escriptures, procez ou aultre chose touchant la matière, il n’a pas été question cette fois de produire ces pièces que possédait Manchon, ni de présenter le dossier des dépositions recueillies par G. Bouillé, qui avait cependant suivi de près les audiences de mai 1452, puisque le Légat l’envoyait en référer au roi de sa part.

  48. [48]

    B. N. Picardie, 238, n° 47.

  49. [49]

    Archives municipales d’Orléans, Reg. CC, 662, comptes de 1450-1452, f. 32.

    Audit Pichon, le XXVIe de may ensuivant, pour six pintes et choppines de vin presentees a maistre Guillaume Buillé et a l’inqueseteur de la foy lesquelx avoient mandez les procureurs pour le procés de feue Jehanne la Pucelle, a VIII d. p. la pinte, vallent IIII s. IIII d. p.

  50. [50]

    Procureurs était le nom donné aux échevins chargés d’administrer les affaires à Orléans. Au nombre de douze ils étaient élus par sept notables choisis par la population.

  51. [51]

    Lettre originale, B. N. ms. fr. 6963 n. 23.

  52. [52]

    Ce même Pontanus auteur d’une consultation importante en faveur de la réhabilitation de Jeanne et qui avait certainement accompagné le cardinal à Rouen. Texte latin, dans Q, V, 299.

  53. [53]

    Il est remarquable qu’encore en 1852 l’ordonnance de l’évêque d’Orléans, Louis de Jarente, les Répons prescrits, les Hymnes et les Oraisons de la liturgie de la Procession ne font aucune allusion à Jeanne.

  54. [54]

    Arch. Nat. AB XIX, 3070 dr 5 (fragment d’un registre du Trésor royal).

  55. [55]

    B. N. Fr. 32511, fol. 156 v°. En ce même volume on lit fol. 158 :

    Guillaume Bouillé, docteur en théologie, XX l. pour sa despence, qui luy conviendra faire a Bourges a l’assemblee des prelats et gens d’Eglise qui doit estre pour le fait de la Pragmatique Sanction. — (Troisième compte de Matthieu Beauvarlet.)

  56. [56]

    Voir l’édition de Belon et Balme, Jean Bréhal, p. 28-46.

  57. [57]

    On trouvera le texte parfaitement daté et commenté par les Pères Belon et Balme, op. cit., p. 51-58.

  58. [58]

    On consultera la Notice des manuscrits du procès de Réhabilitation…, par P. Champion, ainsi que les Notices de Quicherat, auxquelles nous renvoyons.

  59. [59]

    Le manuscrit d’Urfé ayant été rétabli dans son ordre primitif.

  60. [60]

    Elles ne font pas mention de l’inquisiteur Bréhal.

  61. [61]

    L’inquisition ex mero officia [d’office, de plein droit] est entreprise par l’initiative des juges et non pas sur plainte ou dénonciation.

  62. [62]

    Voir notre édition, dans le tome III de nos Documents et recherches relatifs à Jeanne la Pucelle, p. 65-122, texte critique avec traduction et notes.

  63. [63]

    Q. II, 78.

  64. [64]

    Ceci est faux, il n’y eut d’information en mai 1452 qu’à Rouen.

  65. [65]

    Cf. note 64.

page served in 0.059s (2,5) /