P. Doncœur  : Documents et recherches (1952-1961)

T. I : La minute française

I
La minute française
des interrogatoires de
Jeanne
la Pucelle
d’après le Réquisitoire de Jean d’Estivet et les manuscrits de d’Urfé et d’Orléans
1952

Nihil obstat : Lutetiae, die 2a julii 1952 [à Paris, le 2 juillet 1952], René d’Ouince, S. J.

Imprimatur : Lutetiae Parisiorum, die Va julii 1952 [à Paris, le 5 juillet 1952], ✝Petrus Brot Epus Marcianensis [Pierre Brot, (évêques auxiliaires de Paris), évêque de Marciane].

9Préface

C’est un fait paradoxal que le procès, voulu par les ennemis de Jeanne, pour la déshonorer et la faire disparaître, soit le monument qui exalte et rend immortelle sa mémoire.

Le procès de condamnation contient la plus lumineuse autobiographie qui lui fut arrachée au cours de quatre mois d’interrogatoires ; tandis que le procès de réhabilitation, par les 150 dépositions recueillies à Domrémy, à Orléans, à Rouen, constitue pour l’histoire un témoignage plus riche et substantiel que toutes les chroniques contemporaines. Ainsi l’œuvre de la haine se retourne-t-elle contre les intentions de ceux qui la poursuivirent. Il est remarquable d’ailleurs que ces mêmes procès dressent contre les calomniateurs un acte d’accusation d’autant plus redoutable qu’il émane de leurs propres écrits.

Depuis que Ét. Pasquier, puis Lenglet-Dufresnoy, puis C. de L’Averdy ont mis en lumière cet incomparable dossier, depuis1 que J. Quicherat en a publié le texte encore enfoui dans les archives, tous ceux qui ont voulu écrire l’histoire de Jeanne, ont fait des procès leur source première d’information. C’est naturellement au texte officiel, consigné dans les manuscrits notariés, qu’ils ont eu recours.

Mais voici que cet excès d’attestations officielles introduit dans nos esprits le doute. Péguy avait dénoncé l’équivoque :

C’est comme si, — disait-il, — nous avions l’évangile de Jésus Christ par le greffier de Caïphe et par le notarius, l’homme qui prenait des notes aux audiences de Pilate,… le notaire même de ses accusateurs2.

Y a-t-il du moins l’espoir de déchiffrer ce palimpseste et de faire réapparaître, au travers des belles écritures des notaires impériaux et apostoliques, un texte primitif soigneusement poncé ?

Les moindres fragments, ne seraient-ils que d’une ligne ou d’un mot, ont d’autant plus d’intérêt qu’ils n’ont peut-être pas été effacés sans dessein. Notre travail, si modestes en soient les résultats, espère apporter quelques éléments nouveaux à l’histoire. Il aspire d’ailleurs à être dépassé par de plus heureuses découvertes.

10Qu’il me soit permis d’exprimer ma gratitude à ceux qui ont rendu possible cette édition. Aux typographes de la maison Paillart, qui ne se sont pas lassés des minuties d’une composition si difficile ; à M. le Barbier d’Argences, qui n’a pas hésité à porter le risque de cette publication ; aux amis qui, par leur souscription, se sont empressés de nous apporter leur soutien. Mais, par-dessus tout, c’est au concours inappréciable que Mademoiselle Yvonne Lanhers, archiviste aux Archives Nationales, m’a apporté pour la transcription des manuscrits, l’établissement du texte et sa correction, pour la rédaction des notes et des tables, que cette édition doit d’aboutir, après un travail de cinq années. Je lui en marque ici toute ma reconnaissance.

Nous réservons les notes ou dissertations plus importantes pour un volume qui portera le titre de Recherches relatives au Procès de Jeanne la Pucelle.

Nous renvoyons aux volumes de J. Quicherat, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, dite la Pucelle (Paris, 1841-1849) par le sigle Q suivi du tome et de la page.

Comme l’édition de P. Champion du Procès de condamnation (Paris, 1920) est plus accessible, nous y renvoyons, quand c’est possible, par le sigle Ch. Tous les renvois sont en référence au tome I. Sauf indication formelle du tome II.

Le sigle O désigne le ms. 518 d’Orléans.

Le sigle U désigne le ms. de d’Urfé (B. N. lat. 8838).

Le sigle E désigne le libellus de d’Estivet d’après le ms. B. N. lat. 5965.

11Introduction

Chapitre premier
Le problème des originaux

Un procès aussi solennel que celui qui occupa l’inquisition, l’Université de Paris, le gouvernement anglais pendant une année entière, ne se poursuivit pas sans d’innombrables écritures. Lettres, actes, documents, votes, citations, enquêtes, consultations, sommations, réquisitoires, sentences, etc., furent soigneusement recueillis par les notaires, pour constituer un dossier, digne du beau procès qu’entendait poursuivre l’évêque de Beauvais. Aucune négligence ne fut tolérée. Lorsque, par exemple, sommation est faite au duc de Bourgogne et à Jean de Luxembourg, de par le roi d’Angleterre et de par Cauchon, de leur livrer Jeanne, le notaire Triquellot dresse un acte constatant que, devant témoins, la lettre de sommation a été remise, sous forme d’une note sur papier, audit duc qui la remit realiter, de ses mains, à son chancelier Raulin, avec ordre de la remettre à Jean de Luxembourg ; ce qui fut exécuté sur le champ. Dont acte qui sera versé au dossier.

Autant que nous pouvons les connaître, nous avons dressé la liste des pièces juridiques (compte non tenu d’innombrables écrits privés) qui, en originaux ou en copies, furent entérinées par les notaires.

Nous donnons en premier lieu la liste des pièces que Cauchon a fait enregistrer dans l’instrument définitif (tel que l’éditèrent Quicherat et Champion).

Nous signalerons ensuite les pièces qui ne figurent pas dans l’instrument, mais qui y sont mentionnées ou qui sont citées ou même transcrites ailleurs.

Enfin se pose la question capitale tant du dossier de Poitiers, que de la minute des notaires de Rouen, journal ou diaire du procès, où figurent, avec le compte rendu des séances, les interrogatoires sténographiés en français à l’audition immédiate ; minute qui devait un jour, traduite en latin, former l’ossature de l’instrument définitif destiné par Cauchon à l’Histoire.

12Or, entre la conclusion du procès de condamnation et la lettre de Charles VII, donnant, le 15 février 1450, commission à G. Bouillé de réunir toutes informations, et notamment de contraindre

par toutes voyes deues, […] tous ceulx que vous saurez qui auront aucunes escriptures, procez ou autres choses touchant la matière,… a les vous bailler pour nous les apporter ou envoyer3

un silence total règne sur cette affaire, recouverte, semble-t-il, par l’oubli, sous les solennités de la Justice.

Lorsque Cauchon eut trouvé le temps, entre ses multiples ambassades politiques aux ordres des Anglais et ses démêlés avec le Concile, de mettre au net, par les soins de Th. de Courcelles et de G. Manchon, l’instrument définitif du procès, — ce qui ne fut accompli, témoigne celui-ci, que

longe post mortem et executionem jactam de ipsa Johanna4 [longtemps après la mort et l’exécution accomplie de ladite Jeanne],

il put croire que son œuvre était aussi péremptoire que celle du Cardinal de Winchester, faisant jeter à la Seine les cendres de sa victime. Il put jouir de sa fortune, de ses honneurs ; et mourir en paix le 18 décembre 1442, sans que personne ait porté appel de sa sentence.

Il fallut les victoires prédites par Jeanne pour qu’enfin la voix du roi s’élevât.

Il ne semble pas que G. Bouillé ait recueilli les escriptures, procez, etc. ; car, à la reprise de l’enquête, le 15 décembre 1455, G. Manchon fut requis par le promoteur de remettre ce qu’il aurait de documents concernant le procès, après avoir reconnu

sigilla et signa in singulis libris, processibus et instrumentis [les sceaux et les seings sur chacun des livres, procès et instruments].

Il remit donc

certum papyri codicem, apud se repositum, in quo continetur tota notula processus… in gallico, [un certain registre de papier, qu’il conserve chez lui, contenant l’intégralité des notes du procès, en français] [ainsi qu’un livre contenant] processum in latino… conscriptum…, notariorum signis et subscriptionibus (roboratum)5 [le procès rédigé en latin, authentifié par les seings et souscriptions des notaires].

C’étaient la minute en français des interrogatoires et l’instrument définitif officiel du procès en latin.

Le 4 juin 1456, les commissaires provoquèrent des dépositions complémentaires, et peut-être contradictoires, de la part des défendeurs naturels du procès, à savoir les actuels évêque, promoteur et sous-inquisiteur de Beauvais. Ils les citèrent à comparaître à Rouen et à présenter tous les documents qu’ils jugeront utiles :

omnia et singula acta, actita, jura, processus, litteras, instrumenta, documenta et quaecumque alia hujusmodi causant tangentia, et de quibus ipsae partes in hujusmodi causa se juvare vellent6 [tous et chacun des actes, actions, droits, procès, lettres, instruments, documents et toutes autres choses de ce genre touchant cette affaire, et dont lesdites parties voudraient se servir].

Sommations aussi vaines que les précédentes. L’évêque de Beauvais, G. de Hellande, le promoteur, successeur de J. d’Estivet, déclarèrent ne pas vouloir défendre les actes de leurs prédécesseurs. Les héritiers de Cauchon firent de même. Quant au misérable 13personnage qu’était le dominicain J. Le Maistre, il fit le mort7. Ainsi n’apportèrent-ils aucun document.

Par contre, les procurateurs de la famille Darc, outre les bulles et lettres ouvrant le procès, remirent aux commissaires plusieurs pièces, dont quelques-unes de premier intérêt :

1° une feuille écrite par G. Manchon, corrigeant le texte des XII articles ; corrections dont Cauchon n’avait pas tenu compte dans l’instrument8.

2° cinq feuilles de papier, où fr. Jacques de Touraine proposa les articles sur lesquels les docteurs de Paris seraient à interroger. Brouillon,

cum multis additionibus et correctionibus. Quae… quinque folia, quia ad verum transcribi vel grossari non possent, dictis additionibus tam in margine foliorum quant aliter jadis [avec de nombreuses additions et corrections. Ces cinq feuillets, qui ne pouvaient être transcrits ou recopiés au propre avec exactitude, en raison desdites additions faites tant en marge des feuillets que d’une autre manière,],

il fallut se contenter de les présenter, quitte à insérer ces cinq feuilles

in registro, si opus est9 [dans le registre, si besoin est].

Nous n’avons retrouvé aucune trace de ce document dû à l’un des docteurs parisiens les plus hostiles à Jeanne.

3° Enfin, apport capital,

originalia acta et instrumenta ipsius processus primi…, quae originalia, ex dictorum delegatorum officio, de manu notariorum sunt recepta, atque recognita, sub voluminibus multis et variis in gallice et in latino, in minutis et grossis10 [les actes originaux et les pièces de ce premier procès qui ont été, sur l’ordre des délégués, reçus et reconnus par les notaires, sous forme de nombreux et divers volumes en français et en latin, tant en minute qu’en expédition].

Mais documents impossibles à transcrire,

attentis radiationibus linearum et vocabulorum multorum additionibus, transmutationibus verborum, disconvenientiis et contrarietatibus in ipsis libris et actis dicti primi processus, quae non possent convenienter transcribi, grossari vel copiari [attendu les ratures, les nombreux ajouts de mots, les modifications, les incohérences et les contradictions dans les registres et les actes du premier procès, qui ne sauraient être convenablement transcrits, recopiés au propre ou reproduits].

C’est pourquoi les procurateurs demandent :

quod omnia acta et actita praedicta originalia ad plenum videantur, simul et integraliter conferantur ; et, si contingat ex illis aliquid inseri in praesenti processu, quod originalia ipsa formaliter, absque transcriptione, inserantur ; sicque radiationes, transpositiones, disconvenientiae et contrarietates ad oculum et plene videantur11 [que tous les actes et actions contenus dans ces originaux soient examinés avec soin et comparés intégralement ; et que, si l’un d’eux devait être inséré dans le présent procès, les originaux eux-mêmes y soient insérés formellement, sans transcription, afin que les ratures, transpositions, incohérences et contradictions apparaissent pleinement à la vue].

Texte capital qui décrit des documents originaux au sens le plus fort ; puisque, couverts de ratures, chargés d’additions, etc., ils ne peuvent qu’être les brouillons primitifs, où se voient toutes les contradictions des témoignages, les retouches inquiétantes, les formules commandées, d’où sortira un jour l’instrument officiel de Cauchon.

Le point vif du problème critique est nettement marqué. Les originaux ont été, en 1456, versés au procès de réhabilitation. Ils ont dû être rassemblés et, faute de pouvoir être transcrits au 14net, mis dans ces sacs, où se conservaient les archives judiciaires.

Il semble que tout cela ait péri.

Ne subsistèrent que les pièces soigneusement transcrites par Cauchon dans le registre officiel, où les retrouvaient les commissaires de la révision ; auxquelles il faut ajouter le papier susdécrit de G. Manchon, transcrit dans le procès de révision, ainsi qu’une lettre de Henri VI de tout premier intérêt, que Cauchon s’était bien gardé de publier.

Le document a trop d’importance, pour que nous ne nous y arrêtions pas ici.

Où et comment le trouvèrent les procurateurs de la famille Darc ? À Rouen ou à Lisieux ? Il était à coup sûr bien caché.

C’est une lettre patente de Henri VI, datée du 12 juin 1431, promettant aux juges en parolle de roy, que, si appel est interjeté de leur sentence devant le pape, le concile général ou aultrepart, le roi d’Angleterre agira et fera agir tous ses ambassadeurs et messagers en cour de Rome ou au concile, pour la défense à tout prix des juges, docteurs, maistres, clercs, promoteurs, advocas, conseillers, notaires et autres, qui auront pris part au premier procès. Le tout, a noz propres coustz et despenz.

Ainsi donc, à peine les cendres du bûcher refroidies, Cauchon avait eu soin de se faire donner, en présence du Grand Conseil, ces lettres de garantie qui en disent long. Les procurateurs de la révision eurent beau jeu d’y trouver la preuve que le procès avait été fait

in favorem et ad prosecutionem Anglicorum, ipsi Johannae et regno adversantium, et de inordinato favore ad partem Anglicorum12 [en faveur et à la demande des Anglais, ennemis de Jeanne et du royaume, et de façon irrégulière pour aider le parti anglais].

Quant au dossier de Poitiers, nous n’en retrouvons aucune trace. Sa disparition est des plus regrettables13.

L’insistance avec laquelle Jeanne, à Rouen, se référa au dossier de Poitiers, dit assez l’importance exceptionnelle qu’elle y attachait.

Le 27 février, interrogée sur les saintes, elle répondit :

Se de ce vous faictes doubte, envoyez a Poitiers, ou aultresfoys ay esté interroguee.

De nouveau :

Et se vous ne m’en croyez, allez a Poitiers.

Une troisième fois :

Et c’est eu registre de Poitiers.

Le 3 mars encore :

Dit que ce est en escript a Poitiers.

Ainsi Jeanne affirmait l’existence et l’importance du registre de Poitiers. Or, on n’en entendit plus jamais parler. Non seulement les juges de Rouen ne s’y reportèrent pas, mais, lors du procès de révision, on n’en trouve aucune mention14. Ce qui est d’autant plus 15étrange que le dossier de Poitiers eût apporté de décisifs témoignages aux défenseurs de Jeanne. On s’explique mal que, l’ordre ayant été donné par le roi, dès le 15 février 1450, de recueillir toutes les escriptures, procès ou autres choses touchant la matière (voir plus haut, p. 12), et que le promoteur, ayant, le 15 décembre 1455, requis la remise de tous livres, procès et instruments, nul des survivants de Poitiers n’ait parlé du dossier de 142915. Quant aux survivants de Rouen, G. Manchon, J. Massieu, Ysambart de la Pierre, Martin Ladvenu, pour ne citer que les moins mal disposés envers Jeanne, tout au moins lors de la réhabilitation, ils savaient quel prix celle-ci y attachait. On se demande pourquoi ils ne s’en sont pas souvenus.

On n’a pas hésité à croire à une destruction du dossier soit par Regnault de Chartres lui-même16, soit par Charles VII, qui, ayant fait la paix avec les chefs qui avaient ravagé le pays de Domrémy, aurait fait détruire ce dossier qui contenait des plaintes de Jeanne contre eux17. Mais l’une et l’autre explication est gratuite.

Sans doute faut-il perdre tout espoir de retrouver ce document précieux, qui, s’il n’a pas été détruit par la volonté des hommes, a pu périr accidentellement.

Toutes les recherches ont été vaines jusqu’ici.

A
Pièces enregistrées par Cauchon dans l’instrument définitif

  1. Lettre de l’Université au duc de Bourgogne, réclamant Jeanne, (? juillet 1430) (Ch. 5). Elle mentionne une première lettre restée sans réponse, dont copie n’a pas été conservée (du 26 mai ? selon O’Reilly, II, 12).
  2. Lettre de l’Université à J. de Luxembourg, même sujet, 14 juillet 1430 (Ch., 6).
  3. Lettre du vicaire de l’inquisiteur général au duc de Bourgogne, même sujet, 26 mai 1430 (Ch. 8).
  4. Sommation de par le roi et l’évêque de Beauvais, au duc de Bourgogne, même sujet (Ch., 9).
  5. Procès-verbal de la remise de cette sommation, par le notaire Triquellot, 14 juillet 1430 (Ch., 10).
  6. Lettre de l’Université à l’évêque de Beauvais, blâmant ses retards, 21 novembre 1430 (Ch. 11).
  7. 16Lettre de l’Université à Henri VI, le pressant de lui livrer Jeanne, 21 novembre 1430 (Ch., 12). (Elle rappelle plusieurs lettres antérieures sans réponse).
  8. Lettre de Henri VI, remettant Jeanne à Cauchon, 3 janvier 1431. (Ch., 13).
  9. Lettre du chapitre de Rouen, concédant à Cauchon le territoire, 28 décembre 1430. (Ch., 15).
  10. Lettre de Cauchon, instituant J. d’Estivet comme promoteur, 9 janvier 1431. (Ch., 17).
  11. Lettre de Cauchon, instituant G. Colles et G. Manchon, comme notaires, 9 janvier 1431. (Ch., 19.)
  12. Lettre de Cauchon, instituant J. de la Fontaine, comme commissaire. (Ch., 19.)
  13. Lettre de Cauchon, instituant J. Massieu, comme exécuteur des ordres. (Ch., 20.)
  14. Lettre de l’inquisiteur, donnant pouvoir de vicaire pour Rouen à fr. Jean le Maistre, 21 août 1424. (Ch., 26-27.)
  15. Lettre de Cauchon, à l’inquisiteur, le sommant de venir se joindre à lui pour le procès, ou de déléguer quelqu’un, 22 février 1431. (Ch., 27.)
  16. Lettre de Cauchon, citant Jeanne à comparaître le 21 février 1431. (Ch., 29.)
  17. Lettre de J. Massieu, à Cauchon, relatant la citation faite à Jeanne, 20 février 1430. (Ch., 30.)
  18. Lettre de l’inquisiteur, à J. le Maistre, le déléguant, 4 mars 1431. (Ch., 96).
  19. Lettre de J. le Maistre, instituant J. d’Estivet promoteur, 13 mars 1431. (Ch., 106.)
  20. Lettre de J. le Maistre, instituant J. Massieu exécuteur des ordres (13 mars 1431). (Ch., 108.)
  21. Lettre de J. le Maistre, instituant N. Taquel son notaire, 14 mars 1431. (Ch., 118.)
  22. Requête de J. d’Estivet, demandant que Jeanne soit sommée de répondre aux 70 articles, qu’il a réunis dans le libelle. (Ch., 161.)
  23. Libelle qu’il présente aux juges, contenant les 70 articles et leurs justifications. (Ch., 166-266.)
  24. Lettre de Jeanne, aux Anglais, mardi saint 1429. (Ch., 198.)
  25. Lettre du comte d’Armagnac, à Jeanne. (Ch., 202.)
  26. Réponse de Jeanne, au comte d’Armagnac. (Ch., 203.)
  27. XII articles, extraits des 70 articles de J. d’Estivet.
  28. Lettre de Cauchon, 5 avril 1431, aux docteurs de Rouen qui devront qualifier par écrit, signé, scellé, les XII articles. (Ch., 270.)
  29. Avis de 16 docteurs et 6 licenciés ou bacheliers en théologie de Rouen, notarié par G. Manchon, 12 avril. (Ch., 278.)
  30. Avis de D. Gastinel. (Ch., 281.)
  31. Avis de J. Basset. (Ch., 282.).
  32. Avis de l’abbé de Fécamp, 21 avril. (Ch., 283.)
  33. Avis de fr. J. Guesdon, o. f. m., 13 avril. (Ch., 284.)
  34. Avis de J. Maugier. (Ch., 284.)
  35. Avis de J. Bruillot. (Ch., 285.).
  36. Avis de N. de Venderès. (Ch., 285.)
  37. Avis de G. Deschamps, 3 mai. (Ch., 286.)
  38. Avis de N. Caval, 3 mai. (Ch., 287.)
  39. Avis de R. Barbier. (Ch., 287.)
  40. Avis de J. Alespée. (Ch., 288.)
  41. Avis de J. de Chatillon. (Ch., 289.)
  42. Avis de J. de Bouesgue. (Ch., 289.)
  43. Avis de J. Guarin. (Ch., 290.)
  44. 17Avis du chapitre de Rouen, 4 mai. (Ch., 291.)
  45. Avis de A. Morel et J. Duchemin. (Ch., 292.)
  46. Avis de onze avocats de la Cour de Rouen. (Ch., 293.)
  47. Avis de l’évêque de Coutances. (Ch., 295.)
  48. Avis de l’évêque de Lisieux, 14 mai. (Ch., 298.)
  49. Avis des abbés Nicolas de Jumièges et G. de Cormeilles. (Ch., 299.)
  50. Avis de R. Roussel. (Ch., 300.)
  51. Avis de P. Minier, J. Pigache, R. Grouchet. (Ch., 301.)
  52. Avis de R. Sauvage. (Ch., 301.)
  53. Discours de Cauchon aux assesseurs, sur les essais de convaincre doucement Jeanne, 2 mai. (Ch., 311.)
  54. Avertissements donnés à Jeanne par J. de Chatillon, 2 mai. (Ch., 314.)
  55. Lettre de l’Université, à Henri VI, 14 mai. (Ch., 332.) qui approuve la procédure et urge la conclusion.
  56. Lettre de l’Université à Cauchon qui annonce les délibérations, 14 mai. (Ch., 334.)
  57. Rapport sur l’assemblée de l’Université, 19 avril et 14 mai. (Ch., 335.)
  58. Conclusions de la Faculté de théologie. (Ch., 338.)
  59. Conclusions de la Faculté de droit. (Ch., 340.)
  60. Exposé fait à Jeanne des XII articles et des conclusions de l’Université, par P. Maurice. (Ch., 352.)
  61. Allocution de Pierre Maurice, adjurant Jeanne de se soumettre à l’Église. (Ch., 358.)
  62. Conclusion de Cauchon, assignant Jeanne à comparaître le lendemain, 23 mai. (Ch., 362.)
  63. Formule de l’abjuration à Saint-Ouen, le 24 mai, en français et en latin. (Ch., 366.)
  64. Sentence d’absolution et condamnation à la prison perpétuelle. (Ch., 369.)
  65. Citation par Cauchon à comparaître le lendemain au Vieux Marché, 29 mai. (Ch., 387.)
  66. Compte-rendu par J. Massieu de la citation signifiée à Jeanne, 30 mai à 7 h. du matin. (Ch., 387.)
  67. Sentence définitive d’excommunication, 30 mai (Ch., 390.)
  68. Lettre de Henri VI, à l’empereur, etc., 8 juin. (Ch., 402.)
  69. Lettre de Henri VI, aux évêques et princes de France, 28 juin. (Ch., 404.)
  70. Confession de fr. P. Bosquier, O. P., reconnaissant qu’il a le 30 mai mal parlé des juges. (Ch., 408.)
  71. Condamnation par Cauchon de fr. Bosquier, à la prison. (Ch., 409.)
  72. Lettre de l’Université au pape, à l’empereur et aux cardinaux. (Ch., 410.)
  73. Note additionnelle aux cardinaux. (Ch., 413.)

B
Pièces omises par Cauchon dans l’instrument définitif

  1. Informationes factas in patria dicte mulieris, et alibi, in pluribus ac diversis locis, depositiones testium, una cum [informations faites dans la patrie de ladite femme et ailleurs en plusieurs et divers lieux, dépositions de témoins], (Manchon dépose que, si elle lui avaient été données, il les aurait registrées.) (Ch., 21)18.
  2. 18Certis memorialibus, tam super contentis in dictis informationibus quam super aliis, que fama publica referebat, confectis [certains mémoires rédigés tant sur le contenu desdites informations que sur d’autres faits rapportés par la rumeur publique] (lus le 14 janviers 1431). (Ch., 21.)
  3. Articulos confectos (d’après 1 et 2), 23 janvier 1431. (Ch., 21.)
  4. Articuli extracti (des premiers interrogatoires, sur quoi Jeanne devra être à nouveau interrogée, 4-9 mars 1431. (Ch., 86.)
  5. Assertions extraites des réponses de Jeanne soumises à l’examen des docteurs. (Ch., 155.)
  6. Registre en français, contenant les réponses de Jeanne, lui est lu par G. Manchon, 24 mars. (Ch., 156.)
  7. Instrument dressé par requête de J. d’Estivet des refus de Jeanne de quitter ses habits d’homme pour faire ses pâques 25 mars. (Ch., 157.)
  8. Texte français de la Requête de J. d’Estivet, demandant que Jeanne soit sommée de répondre. L’instrument n’en donne qu’une traduction latine. (Ch., 161.)
  9. Formule (brève) de l’abjuration de Jeanne, le 24 mai. (O, 192.)
  10. Rectificatif des XII articles par G. Manchon. (Q, III, 238. Ch., I, 270, note 7.)
  11. Brouillon des articles, à soumettre aux docteurs de Paris par Jacques de Touraine. (Q, III, 232.)
  12. Lettre de Henri VI, promettant aux juges de les soutenir contre tout appel à Rome, 12 juin 1431. (Q, III, 240.)
  13. Avis de Jean de Saint-Avit, évêque d’Avranches, blâmant la procédure (Q, II, 6), (si cet avis ne fut pas seulement oral).
  14. Constat de virginité par la duchesse de Bedford. (Q, II, 217.)
  15. Délibération du chapitre de Rouen, 14 avril, refusant de donner son avis sur les XII articles, avant d’avoir avis de l’Université, texte retrouvé par Quicherat au registre capitulaire. (Ch., 291.)
  16. Déclaration de Catherine de la Rochelle devant l’official de Paris, citée par l’article 56. (Ch., 244.)
  17. Première consultation des abbés de Jumièges et Cormeilles. Cauchon l’a trouvée insuffisante, a demandé une seconde. (Ch., 299.)
  18. Première réponse de R. Roussel, omise par Cauchon. (Ch., 300.)
  19. Lettre de Henri VI à l’Université, ?, requérant son avis. (Ch., 334.)
  20. Lettre de Cauchon à l’Université, ?, requérant son avis. (Ch., 335.)

19Chapitre II
Le problème spécial de la minute française

Entre tous les originaux qui furent versés au procès de révision, la minute française des interrogatoires est de beaucoup le document le plus précieux.

Nous savons dans quelles conditions cette minute a été rédigée ; nous savons qu’elle fut remise par G. Manchon aux mains des juges de la révision. Mais nous ignorons ce qu’elle est devenue. Il importe tout au moins de recueillir tout ce que nous pouvons savoir d’elle.

Les témoignages les plus autorisés et les plus formels sont ceux que Guillaume Manchon, principal notaire du procès de 1431, apporta lors des enquêtes de 1452 et 1455.

Appelé par le cardinal d’Estouteville, le 2 mai 1452, il déposa que :

tanquam notarius scripsit responsa et excusationes dictae Johannae.19 [en tant que notaire, il écrivit les réponses et justifications de Jeanne.]

À l’enquête renouvelée par Guillaume Prévosteau, promoteur de la révision, il précisa que :

facto prandio, cum legeretur et fieret collatio, in praesentia aliquorum doctorum in domo episcopi Belvacensis, de scriptura dicti loquentis facta de mane, dicebatur ipsi loquenti quod per alios aliter fuerat scriptum, inducendo eum quod scriberet ad modum aliorum. Quibus respondebat loquens fideliter scripsisse, et quod nihil mutaret ; prout nec mutavit, imo fideliter scripsit.20 [après le déjeuner, tandis qu’on procédait à la lecture et à la comparaison des textes en présence de quelques docteurs, dans la maison de l’évêque de Beauvais, on lui faisait observer, à propos de ce qu’il avait rédigé le matin, que d’autres l’avaient écrit autrement, et on l’exhortait à écrire comme eux. Mais il répondait qu’il avait écrit fidèlement et qu’il ne changerait rien ; et en effet, il ne changea rien ; bien au contraire, il écrivit fidèlement.]

Ce qui nous apprend que Guillaume Manchon notait à l’audience les réponses de Jeanne ; que l’après-midi on se réunissait chez Cauchon pour faire la rédaction du compte-rendu ; et que Manchon se défendit contre les instances des juges et maintint la fidélité de ses rédactions.

Il ajoute :

quod, in verbis de quibus erat controversia inter eum et dictos scriptores21,… faciebat notam [que, pour les passages qui faisaient l’objet d’une controverse entre lui et les autres greffiers, il ajoutait une note].

20Or, continue G. Manchon,

ipse loquens erat in pedibus judicum cum Guillelmo Colles et clerico magistri Guillelmi (?) Beaupère, qui scribebant ; sed in eorum scripturis erat magna differentia, adeo quod inter eos erat magna contentio ; et ob hoc, ut supra dixit, in his in quibus videbat, (?, sic) faciebat unum nota, ut postmodum ipsa Johanna interrogaretur.22 [lui-même se tenait aux pieds des juges, en compagnie de Guillaume Colles et du clerc de maître Guillaume (Jean) Beaupère, qui prenaient également des notes ; mais il y avait de grandes divergences dans leurs transcriptions, suscitant un vif désaccord entre eux ; c’est pourquoi, comme il l’a déjà mentionné, sur les points qui lui semblaient litigieux, il ajoutait une note, afin que Jeanne puisse être réinterrogée ultérieurement.]

Quant à G. Colles, il déposa, le 12 mai 1456, que lui, G. Manchon et N. Taquel :

fideliter redegerunt interrogationes et responsiones, prout in eodem processu habetur. Nam de mane registrabant interrogationes et responsiones ; et post prandium, faciebant ad invicem collationem ; nec aliquid fecissent ipsi notarii, pro quocumque, quia nullum quoad hoc timebant.23 [ont fidèlement retranscrit les questions et les réponses, telles qu’elles se trouvent dans le procès. En effet, le matin, chacun notait les questions et les réponses ; puis, après le déjeuner, ils comparaient entre eux ; ces notaires n’auraient rien fait en faveur de quiconque, car ils ne craignaient personne à cet égard.]

Il se vante !

Au témoignage des notaires, s’ajoute celui de Jeanne qui, à plusieurs reprises, se référa au registre des interrogatoires.

Interroguee se, en faict de guerre, elle a riens faict sans le congié de ses voix. — Respond : Vous en estes tous respondus ; et lysés bien vostre livre. Et vous le trouverez.24 (15 mars.)

La veille, 14 mars, Jeanne en avait exigé une copie :

Sy est qu’elle soit menee a Paris, qu’elle ait le double de ses interrogatoires et responces ; afin qu’elle baille a ceulx de Paris, et leur puisse dire : Vecy comme j’ay esté interroguee a Rouen, et mes responces. Et qu’elle ne soit plus travaillée de tant de demandes25.

Nous voyons ainsi qu’à la séance du 24 mars, dans sa prison, en présence du commissaire de l’évêque, du vice-inquisiteur et de cinq assesseurs,

fuit lectum registrum in quo interrogationes et responsiones ejusdem Johannae continentur, coram ipsa, verbis gallicis, [le registre dans lequel sont consignées les questions et réponses de Jeanne fut lu en français devant elle] [par G. Manchon. Sauf deux corrections,] finaliter, post lecturam dictorum contentorum in registro, dicta Johanna confessa fuit quod bene credebat se dixisse prout scriptum erat in registro, et prout eidem lectum fuit ; nec ad aliqua de dictis contentis in dicto registro contradixit.26 [finalement, après la lecture du contenu du registre, Jeanne confessa qu’elle croyait bien avoir dit ce qui était écrit et ce qui lui avait été lu ; et elle ne contredit rien de ce qui était contenu dans le registre.]

Le 2 mai, interrogée encore sur ses révélations, Jeanne répond :

Je m’en rapporte a mon juge, c’est assavoir Dieu ; et a ce que aultrefoys j’ay respondu, qui est en ce livre. (O, p. 147.)

21Dans une déposition ultérieure (12 mai 1456), Manchon, interrogé à quoi servaient de nombreux nota, mis en tête de certains chapitres, répondit, que dans les premières interrogations…, il y eut très grand tumulte le premier jour de son interrogatoire, dans la chapelle du château de Rouen ; et presque toutes les paroles de Jeanne, quand elle parla de ses apparitions, étaient interrompues ; et qu’il y avait là quelques secrétaires du roi d’Angleterre, deux ou trois, qui enregistraient prout volebant [comme ils le voulaient] les dits et dépositions de Jeanne, omettant ses explications et ce qui lui eût apporté décharge. Si bien qu’il s’en plaignit, disant que, si on n’y mettait pas ordre, il n’accepterait pas la charge d’enregistrer le procès…

Et quoniam aliquando erat difficultas super responsiones ipsius Johannae, et dictis, et quod aliqui dicebant quod ita non responderat sicut erat scriptum per loquentem, ubi ipsi videbatur difficultas, ponebat nota in capite, ut iterum interrogaretur et cessaret difficultas. Et hoc est quod denotant illa nota, in capite posita.27 [Et parce qu’il y avait parfois une difficulté concernant les réponses et les déclarations de Jeanne, et que certains affirmaient qu’elle n’avait pas répondu tel que lui-même l’avait consigné, il inscrivait une note en marge là où il percevait une difficulté, afin qu’elle fût interrogée de nouveau et que la difficulté disparût. C’est ce que signifient ces notes, inscrites en marge.]

Tout ceci dit avec quel soin fut rédigée la minute française et que son témoignage mérite toute attention28.

22Chapitre III
Témoins survivants de la minute

A
Le Libellus de d’Estivet

On n’a pas jusqu’ici observé que le témoin le plus ancien que nous possédions de la minute, compte tenu de ses lacunes, se trouve dans le libellus que le promoteur du procès, J. d’Estivet, déposa dans les mains des juges.

Lorsque le 18 mars, furent clos les interrogatoires du procès préparatoire, ordre fut donné au promoteur J. d’Estivet de déposer son réquisitoire. Ce qu’il fit le 26 mars. Les 27 et 28 mars, on fit lecture à Jeanne de LXX articles de l’accusation. Et plus tard le libellus ou codex de J. d’Estivet fut inséré dans l’instrument définitif (Ch., 166-266).

Or, ces LXX articles présentent chacun trois parties :

  1. l’exposé synthétique d’un crime reproché à Jeanne ;
  2. les réponses ou dénégations opposées par elle à la lecture de cet article ;
  3. les extraits des interrogatoires antérieurs apportés en preuves par d’Estivet.

Cette troisième partie est du plus grand intérêt. Prévoyant que Jeanne rejetterait ou nierait ses accusations, J. d’Estivet s’était fait fort, dans la requête lue en présence de Jeanne, en français, d’apporter des preuves de ses accusations29. Il opposerait pour cela aux dénégations de Jeanne ses prétendus aveux antérieurs. Il ne pouvait évidemment avoir comme source d’information que la minute française des greffiers. C’est ce que fait ressortir la comparaison des textes transcrits par d’Estivet avec les textes parallèles que nous lisons dans d’Urfé et dans le manuscrit d’Orléans. Nous trouvons d’ailleurs dans le réquisitoire un latin cursif calqué sur le français, fort différent de la latinité savante qu’affecterait plus tard Thomas de Courcelles.

Le libellus de d’Estivet rédigé en mars 1431 (et complété au 23plus tard en avril) est donc le plus ancien témoin connu et survivant de la minute française.

D’Estivet n’a évidemment retenu des réponses de Jeanne que ce qui devait la charger. Ce sont au moins les quatre cinquièmes des interrogatoires qu’il transcrit.

Sans doute, nous ne possédons ici qu’une version latine de textes qui furent lus à Jeanne en français, mais cette translation matérielle du français original en latin vulgaire est d’une transparence qui lui assure sur l’instrument officiel une supériorité telle que le libellus de d’Estivet devra lui être préféré chaque fois que les textes se doublent.

D’ailleurs un témoignage de G. Manchon au procès de révision semble établir qu’en insérant le libellus dans sa rédaction du procès Th. de Courcelles l’a laissé dans sa forme primitive. Manchon, ayant rapporté que la translation du procès en latin fut faite

per magistrum Thomam de Courcelles et loquentem, in forma in qua nunc stant, [par maître Thomas de Courcelles et par lui-même, dans la forme où elle se présente actuellement]

observe que, pour le libellus, Courcelles n’est guère intervenu :

dicit tamen ipsum magistrum Thomam, in facto processus, de libello et aliis, quasi nihil fecisse, nec de hoc se multum interposuisse.30 [Maître Thomas, cependant, n’aurait presque rien fait lui-même concernant le procès, le libellus et d’autres points, ni ne s’en serait beaucoup mêlé.]

Ainsi Courcelles aura laissé à Manchon le soin d’insérer dans le procès le libellus (et d’autres documents), sans intervenir dans une simple transcription.

Ce qui nous est une garantie de fidélité à l’original.

Pour ces raisons il a semblé nécessaire de publier en regard des autres témoins les textes invoqués par d’Estivet.

Mais il faut en venir à des transcriptions, au moins partielles, de la minute, consignées dans les mss. de d’Urfé et d’Orléans.

Nous avons dit que la minute, ainsi que les autres originaux dut, après le procès de 1456, être resserrée dans un de ces sacs où se conservaient les archives judiciaires. Difficiles d’accès, très difficiles à utiliser, puisque les juges n’estimèrent pas pouvoir les transcrire, ces Actes n’ont laissé de traces que dans des copies sur lesquelles L’Averdy attira l’attention des chercheurs aux dernières années du XVIIIe siècle.

B
Le manuscrit de d’Urfé (B. N., lat. 8838)

Manuscrit d’Urfé, BnF latin 8838, folio 114 r° (ancien 32 r°)
Page du ms. dit de d’Urfé, B. N. lat. 8838, fol. 32 [114 depuis la réorganisation de Doncœur], vélin, 30 x 50 cm. Derniers interrogatoires en prison (28 mai 1431)
[Source : Gallica, BnF]

Dans un mémorial, lu en 1787 au Comité des manuscrits, L’Averdy avait repris l’appel de Charles VII ; et, cette fois, au nom de la science, prié ses correspondants de lui communiquer toutes les pièces originales qu’ils trouveraient relatives à Jeanne, singulièrement les minutes du procès. L’Averdy, aidé de Dom Poirier, fouilla les dépôts de Paris et fit faire des recherches à Rome, Londres et Rouen. Cette vaste enquête, soutenue par le baron de Breteuil, qui alerta jusqu’à l’ambassadeur du roi à Rome, ne fut 24pas vaine puisqu’elle permit à L’Averdy de retrouver lui-même à Paris, au Dépôt de Législation et des Chartes, place Vendôme, un manuscrit qui, sous le nom de d’Urfé, allait devenir fameux, tandis que d’Orléans on lui annonçait une copie de la minute française. Il publia en 1790 dans les Notices et extraits des manuscrits31 une longue et savante analyse de ces documents. La Révolution sans doute, et la guillotine enfin, mirent un terme à ses travaux. Du moins put-il étudier suffisamment l’étrange manuscrit d’Urfé pour y reconnaître une copie partielle de la minute recherchée.

À la vérité, L’Averdy ne faisait que retrouver un manuscrit fort bien connu des érudits. En 1721 le Président Bouhier en avait fait une copie qui se trouve à la Bibliothèque Nationale (Lat. 17012)32. La notice sur la page de titre marque quelles avaient été ses destinées :

Codex manu Joannis Bouhier, senatoris Divionensis, descriptus ex antiquo et authentico codice, qui fuit alias in bibliotheca Nicolai de Chevanes, in eodem senatu patroni, et nunc ab ejus haerede D. N. (   ) Thomas asservatur. Codex Bibliothecae Buherianae A. 22. MDCCXXI. [Codex de la main de Jean Bouhier, sénateur de Dijon, transcrit d’un codex ancien et authentique qui se trouvait autrefois dans la bibliothèque de Nicolas de Chevanes, avocat au même sénat, et qui est maintenant conservé par son héritier D. N. (   ) Thomas. Codex de la Bibliothèque Bouhérienne A. 22. 1721.]

Ce N. (   ) Thomas était Thomas d’Islan, qui le tenait de N. de Chevanes, lequel le tenait de Honoré d’Urfé, l’auteur de l’Astrée, petit-fils de Claude d’Urfé.

En 1769, il était dans la bibliothèque de Fevret de Fontette, Conseiller au Parlement de Dijon33. C’est de là qu’il passa au Dépôt des Chartes, de la place Vendôme, où L’Averdy le retrouva en 1788.

Il est inutile de décrire une fois de plus ce manuscrit que L’Averdy, Quicherat34 et Champion35 ont étudié avec soin. Qu’il suffise de rappeler que les premiers folios manquent et ont été remplacés par une transcription de l’instrument latin.

On peut présumer, — observe L’Averdy, — qu’on avait perdu le premier cahier,… et que… ne pouvant se procurer cette minute,… [le scribe] aura rempli ce vide par une copie de la minute36 latine37.

Quoiqu’il en soit, L’Averdy estime que, à partir du folio 17, le manuscrit contient bien la minute française, dont la langue est parfaitement conforme au langage qui avait cours alors.

On y trouve, — ajoutait-il, — à chaque instant, les expressions qui étaient familières à Jeanne38

25L’opinion de L’Averdy allait recevoir bientôt l’adhésion de tous les critiques.

En 1817, Lebrun des Charmettes, dans son Histoire de Jeanne d’Arc39, écrivait qu’il avait compulsé d’un bout à l’autre le manuscrit de d’Urfé avec les grosses latines. Il ne pouvait

douter que ce soit une fidèle copie de la minute, sur laquelle a été faite la traduction latine.

Il se servit de ce texte français, mis en style direct, pour reconstituer les interrogatoires dans son IIIe volume40.

En 1841, J. Quicherat publia, en marge du texte latin de l’instrument, le texte de d’Urfé, qu’il avait dans ses notes critiques formellement reconnu comme une copie, incomplète, de la minute,

copie, — estimait-il, — d’une très belle écriture gothique du temps de Charles VII41.

En 1920, P. Champion réédita de même, en marge de son premier volume, le fragment de d’Urfé après une collation nouvelle du manuscrit42, se ralliant entièrement aux conclusions de Quicherat sur la nature et l’origine de cette copie,

contemporaine du règne de Charles VII43.

Nul depuis n’a mis en doute l’intérêt majeur du fragment de d’Urfé.

C
Le manuscrit 518 d’Orléans

Cependant l’enquête de L’Averdy avait provoqué une autre découverte44 sur laquelle il ne nous renseigne que confusément.

À son appel, nous l’avons vu, un Mr. Laurent, directeur à Orléans du Vingtième, qui cultive les lettres, répondit à L’Averdy qu’il possédait une copie de l’instrument latin

paraphé à chaque page par les notaires Touchet et Patarin,

prise en 1475 sur l’original. Par ailleurs ce Mr. Laurent ajoutait :

[Ayant fait des informations chez des personnes où je pouvais] espérer de trouver quelque chose de plus satisfaisant,… jusqu’à présent le résultat de mes recherches se réduit à la découverte d’un manuscrit qui existe dans la bibliothèque 26de la cathédrale d’Orléans.

L’Averdy se contenta de nous apprendre que Mr. Laurent ajoutait quelques détails.

C’en fut assez pour que le baron de Breteuil, qui avait créé le Comité chargé de rédiger les Notices et extraits45, demandât un supplément d’information. Il fit écrire au doyen de l’Église d’Orléans, d’Auteroche de Talsy,

pour l’engager à lui donner une connaissance détaillée de ce manuscrit, afin de pouvoir mettre le Comité en état de juger s’il était nécessaire d’en faire une vérification expresse.

Mr. Dauteroche de Talsy, — continue L’Averdy, —… a répondu au ministre, en lui faisant passer toutes les connaissances nécessaires ; Mr. Laurent a aussi examiné ce manuscrit, et je vais placer ici le résultat du double travail de l’un et de l’autre.

Dans sa note le doyen du Chapitre déclare :

Pour donner à M. le baron de Breteuil les éclaircissements qu’il demande sur ce manuscrit,… j’ai eu besoin d’en prendre une parfaite connaissance. Je l’ai lu tout entier ; et c’est d’après cette lecture que j’ai fait les notes ci-jointes46.

M. Moutié, grand-chantre et M. Laurent comparèrent les deux manuscrits ;

après cette comparaison, M. Moutié soupçonna que le manuscrit du Chapitre contenait la minute française…

La notice envoyée au ministre par le doyen du Chapitre signalait que

le manuscrit commence par une relation historique, suivie de la déduction du procès… ; qu’il contient l’information du 7 juin 1431, puis la lettre du Roi d’Angleterre, écrite le 28 juin 1431…

Du procès de révision, il se contente de mentionner les dépositions des témoins, puis de donner la sentence d’absolution. Il conclut :

Telles sont toutes les pièces qui se trouvent au manuscrit de la bibliothèque du Chapitre d’Orléans ; on ignore comment il y est parvenu ; il paraît qu’il a appartenu à M. Thiballier, qui, dans les derniers siècles (sic)47, était avocat du roi au bailliage d’Orléans.

C’est une description purement matérielle.

Or, M. Laurent, qui ajouta ses propres observations, porte un jugement catégorique sur la nature du document inséré dans le manuscrit.

L’Averdy le transcrit :

Voici enfin les observations qu’a faites Mr. Laurent de la nature de ce manuscrit : Ce n’est point à proprement parler le procès de cette héroïne, c’est un abrégé de ses faits et gestes composé par ordre de Louis XII et de l’amiral de Graville. Les deux procès… font, il est vrai, partie du manuscrit. Mais ils sont l’un et l’autre incomplets ; le procès est plutôt rapporté en forme historique qu’en forme judiciaire48

27Laurent cependant reconnaissait que

le texte français du manuscrit est dans le style naturel, et non dans le style gêné d’un traducteur ; … mais l’examen soigneux du manuscrit prouve qu’il ne contient autre chose qu’une espèce de version historique du latin arrangée au gré de l’auteur49

Il semble, d’après M. Dubois, que l’abbé Moutié pensait différemment.

Je suis convaincu, — écrit M. Dubois, — que ses doutes se seraient convertis en certitude absolue, s’il avait lu ce que M. de L’Averdy a écrit quelque temps après sur le manuscrit de M. d’Urfé50

En fait, personne à Orléans ne connaissait alors le manuscrit de d’Urfé, que L’Averdy devait déclarer contenir, à partir du 3 mars, une copie fragmentaire du texte français des interrogatoires.

Il semble que, sur l’avis de M. Laurent, ou du fait des circonstances politiques, le baron de Breteuil ne donna pas suite à l’enquête. Quant à L’Averdy, il se rallia sans doute à l’avis de ce M. Laurent. Il n’a pas examiné lui-même le manuscrit d’Orléans.

Mais à Orléans on revint sur la question. L’abbé Dubois, confident de la pensée de l’abbé Moutié, fit copier, en 1821, le manuscrit d’Orléans51, et rédigea la longue dissertation déjà citée, pour établir que ledit manuscrit contenait une copie de la minute française.

En 1827, Buchon publia dans sa Collection des chroniques nationales françaises, au t. IX des Chroniques d’Enguerrand de Monstrelet52, toute la partie du manuscrit relative au procès de condamnation, suivie53 de la Dissertation de Dubois54.

Si Buchon évite de prendre parti, il souligne cependant tout l’intérêt que doit offrir l’ensemble.

L’affaire prit un tour nouveau lorsque J. Quicherat publia l’instrument latin, qu’il doubla des textes français conservés dans le manuscrit de d’Urfé (1841). Dans sa Notice littéraire55, sous le titre : D’une ancienne traduction du procès, Quicherat avance que Dauteroche de Talsy, d’abord frappé du style naturel des interrogatoires, n’y vit ensuite

qu’une espèce de version historique arrangée au gré de l’auteur.

En quoi il prête par erreur au doyen d’Orléans les vues de Laurent.

Quicherat poursuit :

M. Dubois reprit en dialecticien peu prudent la conjecture abandonnée par M. Dauteroche. Lorsqu’il avait tout au plus le droit de soupçonner que le manuscrit d’Orléans contenait quelque chose de la minute française, il prétendit que le texte complet et correct de cette minute n’était que là, immolant, pour le triomphe de son opinion, le manuscrit de d’Urfé, qu’il ne connaissait point, non plus qu’aucun des autres originaux du procès56.

28En quoi Quicherat commet plusieurs erreurs :

  1. Dubois (à la différence de d’Auteroche, Moutié, Laurent), connaît par l’analyse de L’Averdy le manuscrit de d’Urfé.
  2. Loin d’immoler d’Urfé pour le triomphe de son opinion, il le déclare précieux, et contenant, quoique moins complètement et moins correctement, la minute française des interrogatoires.

Et ceci marque le point de conflit précis entre Dubois et Quicherat.

Le manuscrit de d’Urfé, mutilé de ses premiers folios, ne produit les interrogatoires qu’à partir du milieu de la session du 3 mars, tandis que le manuscrit d’Orléans possède (sauf une lacune) les interrogatoires à partir du 21 février.

Faut-il en conclure, — écrit Quicherat, — que le manuscrit de d’Urfé… est suppléé par le manuscrit d’Orléans ?… Non57.

Et Quicherat crut établir que le manuscrit d’Orléans n’offrait pour suppléer ce qui manque à d’Urfé qu’une traduction de l’instrument latin.

Et voilà pourquoi, — dit-il, — je n’ai pas admis [le manuscrit d’Orléans] … dans une édition, où on n’a voulu réunir que les sources58.

Désormais le jugement de Quicherat fit loi ; et Pierre Champion en 192059 crut pouvoir ajouter de nouvelles preuves établissant que le traducteur, qui compila le manuscrit d’Orléans, avait copié le manuscrit de d’Urfé complété par une mauvaise translation de la grosse latine. C’est pourquoi Champion, comme Quicherat, reproduisit le texte de d’Urfé, et rejeta celui d’Orléans.

Si considérables soient les autorités de Quicherat et de P. Champion, il y a lieu de réviser leur jugement, et de se demander si les interrogatoires français du 21 février au 3 mars, que rapporte le manuscrit d’Orléans ne dérivent pas, comme la suite, de la minute française60.

29Chapitre IV
Étude critique du manuscrit d’Orléans

A
Déclaration de l’auteur

La seule donnée précise que nous avons sur la composition du manuscrit est qu’il fut exécuté à la commande de Louis XII et de l’amiral de Graville. Cela situe le manuscrit aux environs de 1500. Les années 1498, accession de Louis XII au trône, et 1515, mort de Louis XII, en sont les dates limites.

Quant à l’auteur du dossier61, c’est un clerc, puisqu’il sait le latin et que d’autre part il nomme Gerson nostre maistre62 ; ce qui ne laisse pas d’être étrange. Gerson étant mort en 1429, quel âge aurait eu en 1500, un clerc se disant son élève ? Ses nonante années seraient en ce cas une excuse à d’assez grosses distractions63.

La question des sources n’est qu’en partie élucidée par les déclarations de l’auteur.

Ne parlons pas de la première partie (p. 1-53), qui est une compilation, faite d’après des chroniques et tout au moins un témoignage oral.

Et laissons de même la 3e partie, qui contient un abrégé sommaire du procès de réhabilitation, fait d’après l’instrument latin de ce dernier procès.

Seule nous occupe, ici, la 2e partie qui contient la déduction du procès de condamnation. Or l’auteur nous avertit, avant d’entreprendre ladite déduction, qu’il se trouve en elle

plusieurs mensonges, ainsi que j’ay trouvé en deux livres esquelz est escript le procez de sa condampnacion, ou il y a plusieurs diversitez, specialement es interrogations et en ses responces. Et aussi est bien prouvé par le procez de son absolucion, le procez de sa condampnacion estoit falcifié en plusieurs lieux. (p. 53)64.

Ailleurs, dans son résumé du procès de révision, le rédacteur ajoute :

Ces procez brefs et sommaires, tant de la condempnacion 32que de l’absolucion, sont extraitz de troys livres qui ne conviennent pas tousiours ensemble. Et pour ce je pry a ceulx qui le lyront qu’il leur plaise me supporter, se il leur semble qu’il y ait aulcune erreur ou faulte, en ayant regard a la diversité desdictz livres65 dont procedent les faultes, se aulcunes en y a. (O, p. 259).

Quels sont ces deux ou trois livres ? Quicherat n’hésite pas à répondre :

que son abrégé des deux procès est tiré des documents connus, c’est-à-dire des instruments authentiques et du manuscrit de d’Urfé. Ce sont là les trois livres ne convenant pas ensemble, sur le désaccord desquels il prétend rejeter les fautes par lui commises66.

Nous verrons s’il n’y a pas lieu de revenir sur ces affirmations de Quicherat ; nous retenons que c’est à quoi se réduisent les renseignements que le compilateur nous fournit sur son œuvre.

B
Examen de la thèse de J. Quicherat

Nous avons vu que Quicherat, rejetant l’opinion de l’abbé Dubois, ne voulait voir dans le ms. d’Orléans que l’œuvre d’un compilateur, qu’il appelle aussi l’Abréviateur ou le traducteur anonyme67. Ces appellations sont vraies pour une part. Le ms. d’Orléans débute en effet par un récit abrégé de la venue de Jeanne, de ses victoires et de sa capture, qu’une main du XVIIe siècle fit précéder du titre fallacieux de Compilation abrégée des Grandes Chroniques de France68.

Cette première partie mérite à son auteur le titre d’Abréviateur des Chroniques69.

Mais non pour autant Abréviateur du procès de condamnation70. Car, à la page 53, commence un tout autre ouvrage que l’auteur définit : Déduction du procès. C’est cette seconde partie que Quicherat et Champion estiment n’offrir, en plus d’une copie du ms. de d’Urfé, qu’une translation de l’instrument latin. Ils y étaient autorisés par l’auteur qui déclare que son ouvrage a été

translaté de lattin en françoys par le commandement du roy Loys, douziesme de ce nom, et a la priere de monseigneur l’admiral de France, seigneur de Graville. (p. 53)

Aux yeux de toute critique, — 33conclut P. Champion, — cette rubrique devrait suffire71.

Elle est troublante, en effet, pour qui n’a pas examiné de plus près les textes.

Or, tant le texte de d’Urfé que les témoignages des notaires, nous apprennent que la minute elle-même était mi-français, mi-latin :

notarii scripserunt, dépose Taquel, le greffier de l’inquisiteur, interdum in gallico (ce sont les interrogatoires), interdum in latino, (c’est le compte-rendu des séances), secundum quod materia et verba requirebant.72. [Les notaires écrivaient tantôt en français (les interrogatoires), tantôt en latin (le compte-rendu des séances), selon ce que la matière et les propos exigeaient.]

Et c’est bien ainsi que se présente le manuscrit de d’Urfé.

On comprend dès lors que, sur la demande de Louis XII et de Graville, qui désiraient avoir un texte français intégral du procès, et non plus le texte mi-latin, mi-français de d’Urfé, le rédacteur ait translaté ce qui était à translater, c’est-à-dire les compte-rendus de séances ; et qu’il n’eut ensuite qu’à transcrire les interrogatoires qu’il avait sous les yeux en français73.

S’il en est ainsi, Orléans aura transcrit les interrogatoires d’après les parties françaises de la minute ; et il les a insérées dans un récit (une déduction) qui est une traduction fort libre des parties latines de la minute, et de passages de l’instrument latin. Quicherat apporte ici quelques précisions qu’il faut recueillir, tout au moins sous bénéfice d’inventaire.

D’une part, il estime que le Compilateur a eu en mains l’instrument latin et va jusqu’à désigner le ms. utilisé74.

Ce serait l’un des deux livres, esquelz est escript le procez de sa condamnation. Ceci est très probable. Car nous verrons dans le ms. d’Orléans des emprunts à l’instrument latin75.

Par ailleurs, Quicherat affirme que le second de ces deux livres devait contenir la minute. Il n’hésite pas à désigner le manuscrit de d’Urfé que, à partir du 3 mars, le Compilateur aurait copié.

En comparant, — écrit Quicherat, — le texte du manuscrit d’Orléans, imprimé par M. Buchon, avec le texte du manuscrit d’Urfé, on remarque entre les deux une fidélité presque constante76.

P. Champion appuie la conclusion de Quicherat :

La reproduction des fautes du manuscrit de d’Urfé surtout, ne laisse aucun doute à ce sujet ; et l’usage de ce manuscrit paraîtra même 36fort naturel, si l’on se rappelle que la translation française fut entreprise sur les ordres de l’Amiral de Graville, dont hérita Claude d’Urfé. C’est donc (?) dans la maison de Graville que le translateur a travaillé. C’est là qu’il a trouvé ces deux textes dont il nous parle et qui ne sont pas d’accord77.

Ces conclusions sont un peu rapides. Nous verrons par la confrontation de O et U ce qu’il faut penser d’une fidélité presque constante, qui comporte les variantes par centaines. Sans doute O et U dans leur partie commune sont construits sur le même type. (Ils ont, par exemple, la même interversion de séance qui soude celle du 17 mars à une séance qu’il faut rejeter au 2 mai.) O et U dérivent certainement du même original. Mais il n’est pas établi que O soit la copie de U.

Quelle que soit l’autorité de Quicherat et de P. Champion, il y a lieu de reprendre la question par un examen nouveau et direct du texte78.

C
Examen du texte du manuscrit d’Orléans
Position du problème

On se rappelle que le manuscrit de d’Urfé, mutilé de ses premiers folios, ne présente les interrogatoires français qu’à partir de la séance du 3 mars. Pour cette partie postérieure, le manuscrit d’Orléans coïncide substantiellement avec Urfé79. Ce fait est reconnu par Quicherat et Champion. Il rend déjà intéressante la copie d’Orléans qui est, jusqu’ici, la seule qui permette de corriger ou compléter d’Urfé. Ainsi une collation de ces deux textes s’impose. Elle n’a pas été faite par les éditeurs de d’Urfé. Nous la présenterons ici.

De plus nous exposerons pour quelles raisons la partie antérieure du manuscrit d’Orléans peut être considérée comme le seul témoin connu de la minute pour les interrogatoires antérieurs au 3 mars.

Nous désignerons par les sigles OA, OB les parties du manuscrit d’Orléans antérieure et postérieure au 3 mars (O, p. 89).

Tout d’abord, si OA contient des documents ou des renseignements qui ne se trouvent pas dans l’instrument latin, il est évidemment autre chose qu’une traduction de celui-ci, et reproduit un document original. D’autre part, si la rédaction de O est d’un bout à l’autre homogène, c’est qu’avant, comme après le 3 mars, il 42dérive de la minute française, dont il se trouverait être le témoin le plus complet connu.

I
OA (comme OB et U), rapporte des circonstances ou des faits dont le latin se tait.

Nous relèverons en cours d’édition ou par la suite tout ce qu’apportent de nouveau OA, comme OB et U ; qu’il suffise de signaler ici quelques traits :

1° le 19 février OA (p. 55) précise que le conseil s’est tenu en la maison de Maistre Jehan Rubbe, tandis que le latin (p. 23) dit : in domo habitationis nostre, et nous savons qu’en effet Cauchon demeura chez le chanoine Rubbe80.

2° OA (p. 56) enregistre qu’en fin de séance, le 19 février, Cauchon fit jurer tous les assistens… tenir secret tout ce que sera faict en ceste matière. Circonstance grave que le latin omet.

3° OA (p. 80 et 86) enregistre la menace fulminée par Cauchon contre les assesseurs qui ne se rendraient pas à ses convocations : affin qu’ils ne fussent point intéressés, et qu’ilz ne fussent interessez, c’est à dire sur certaines peines. Le latin l’omet.

4° OA dénomme par son patronyme exact Jacques le Tessier, alors que le latin le nomme : Jacobus de Turonia ; donc OA suivrait un autre document que le latin.

5° Faits plus importants :

OA (p. 57) précise qu’après avoir exigé une commission en règle, le vice-inquisiteur Le Maistre ajouta :

Et oultre, en tant que estoit l’inquisiteur general, dont a esté parlé, il dist qu’il accordoit que ledit evesque peust commettre tel qu’il luy plairoit pour assister au lieu dudit inquisiteur, jusquez a ce qu’il se fust conseillé, si le vacariat et commission qu’il avoit, estoit suffisante pour soy adioindre en la matière.

OA (ibid.) note que Cauchon somme l’inquisiteur, se il estoit au pays de Normendye, de s’adjoindre comme juge, sommation qui fut faite le 19 février, es presences de Jehan Massieu, frere Symon de Paris, Bosc Guillaume et Manchon (p. 56).

Autant de témoignages qui, manquant dans le latin, montrent que OA dépend d’autres sources. Mais nous aurons bien d’autres cas analogues à citer.

II
OA présente les mêmes caractères rédactionnels que OB (et que U).

Rappelons que le texte de l’instrument latin est un document officiel, de style technique, soigneusement mis en forme pour être envoyé au pape, au roi d’Angleterre, et destiné à l’Histoire ; que, rédigé à loisir par le premier notaire et Th. de Courcelles, docteur 44solennel, il entend revêtir une forme qui supprime toute incertitude, toute équivoque, constituant un dossier complet de toute l’affaire. Les deux juges, l’évêque et l’inquisiteur, le présentent personnellement ès qualités.

Au contraire la minute française est le relevé quotidien des notes cursives, prises à l’audience en français, se bornant aux interrogatoires proprement dits, à l’exclusion des pièces et documents, lettres, citations à comparaître, listes exactes des assesseurs présents, avec leurs titres, etc.

D’où il apparaît que la minute aura la forme populaire (langage parlé), tandis que les grosses revêtiront une forme savante (langage écrit et style juridique). Or, premier trait :

OA (comme OB et U), est rédigé à la 3e personne, tandis que l’instrument latin emploie la première personne.

C’est-à-dire que les notaires, relatant les faits et gestes des juges, écrivent : l’evesque de Beauvais dit…, requiert…, assigne…, etc. ; tandis que l’instrument latin, rédigé sous forme de lettres patentes de l’évêque et de l’inquisiteur, écrira : Nos, episcopus Belvacensis, diximus… [Nous, évêque de Beauvais, avons dit], requisivimus… [avons requis], etc.

Ce trait se trouve constamment dans OA, OB et U (p. ex. OA, p. 53, 54, 56, 57, 58, 59, 60, etc..) ; sauf lorsque O est précisément la traduction d’une pièce latine, et qu’il écrit : Nous, evesque… de nostre part, etc. (O, p. 199, 200)81. Ainsi donc O tout entier reproduirait des notes de greffiers et non pas le rapport des juges, Cauchon et Le Maistre.

OA (comme OB et U) fourmille des pronoms : il, elle, eux, ses, etc., habituels au discours parlé, tandis que l’instrument latin a soin de les remplacer par les noms propres, afin d’éviter les équivoques.

C’est ici l’indice d’une notation directe à l’audience, qui exclut l’hypothèse d’une traduction.

Ainsi nous lirons dans O (comme dans U) :

elle (p. 95), elle (p. 96), a eulx (p. 107), ilz (p. 107), ceulz (p. 113), ou il la print, elle (p. 114), leur ville (p. 77), etc.,

qui deviennent dans l’instrument :

eadem Katherina (p. 80) ; ipsa Johanna (p. 82) ; patri et matri (p. 100) ; prefati angeli (p. 102) ; omnes angeli (p. 113) ; eam coronam, eadem Johanna (p. 115) ; de villa de Dompremi (p. 48).

Il est invraisemblable qu’un traducteur ait sans cesse transformé les noms de personnes en de vagues pronoms. À l’inverse, il est naturel que des juristes, soucieux de rigueur et de clarté, aient affecté, pour éviter les équivoques, de remplacer les pronoms par les noms.

Peut-on croire que le texte si précis suivant :

Quare illa vox non 46sic modo loquitur cum rege suo, sicut faciebat quando ipsa Johanna erat in eius presentia (p. 47) [Pourquoi cette voix ne parle-t-elle plus ainsi à son roi, comme elle le faisait quand Jeanne était en sa présence.]

devienne, sous la plume d’un traducteur :

Pourquoy elle ne sçait maintenant parler avec son roy comme elle faisait quand elle estoit en sa presence (O, p. 75).

Ou encore que :

quod jam Anglici erant in Francia, quando voces inceperunt venire ad eam (p. 48) [que les Anglais étaient déjà en France quand les voix commencèrent à venir à elle]

devienne :

que ilz estoyent ja en France, quand ilz commencerent a venir (O, p. 77).

Ce cas se rencontre plus de 40 fois en OA, tout comme en OB et U.

Il témoigne du caractère cursif d’une rédaction prise à l’audience, au risque de graves équivoques comme celle-ci :

se il venoit aulcune bonne creature qui affermast avoir eu revelacion de par Dieu touchant le fait d’elle, si elle le croyrait. (O, p. 169.)

Équivoques que le latin évitera avec soin en écrivant :

Si veniret aliqua bona creatura, affirmans se habere revelationem tangentem factum ipsius Johanne, an ipsa crederet illi (p. 308). [s’il venait quelque bonne créature, affirmant avoir une révélation touchant le fait de Jeanne, si elle-même la croirait.]

OA, OB et U omettent sans cesse des déterminations, des compléments, emploient des formes elliptiques, que l’instrument latin a soin d’expliciter.

Par ex. : Quand elle eschappera (p. 75), le latin précise, de carceribus (p. 47) ; avec les aultres (p. 76), le latin ajoute juvenculis [jeunes filles] (p. 48) ; interroguee de l’arbre (p. 78), le latin précise : existente propre villam ipsius [se trouvant près de son village] (p. 49).

Les exemples en sont innombrables et établissent assez où est le texte cursif primitif.

Cela est particulièrement fréquent dans les désignations de villes ou de villages ; les notes de greffiers se contentant d’écrire Neufchatel (p. 66), Vaucouleur (p. 88), Domremy (p. 61) ; tandis que le latin ajoutera : in Lotharingia [en Lorraine] (p. 38) ; ad oppidum Valliscoloris [vers la ville forte de Vaucouleurs] (p. 71) ; … que est eadem cum villa de Grus [qui est uni avec le village de Greux] (p. 34)82.

OA (comme OB et U) emploie les expressions de la piété populaire, alors que le latin affecte le langage des clercs.

Là où à l’audience, Jeanne ou les juges ont dit :

nostre Syre, la Saint Jehan, les benoistz saincts et sainctes, apporter à nostre Dame, lever, recepvoir son Saulveur, etc…,

comme on parlait entre bons chrétiens, le latin savant corrigera toujours :

Deus, festum Beati Johannis, sanctos et sanctas, coram imagine Beate Marie, levare de sacro fonte, sacramentum Eucharistie, etc.,

tournures absolument étrangères à OA, comme à OB et U83.

47OA (comme OB et U) écrit les noms propres selon l’usage local, à l’oreille ; tandis que le latin corrigera savamment :

OA écrit : Marey (p. 76, 77) pour Marcey (p. 48) ; Grus pour Greux ; il massacre évidemment les noms anglais : Jean Rys, Jehan Bernard (p. 62), pour Gris, Berwoit (p. 35). OA écrira de même Hecton (p. 55, 58, 62) alors que le latin orthographie à l’anglaise Haiton. Si OA traduisait sur le texte latin, n’eut-il pas transcrit correctement Haiton ? Mais il suit une notation à l’oreille, tout comme il fait pour les autres noms anglais.

Plus significatif encore le fait qu’il écrit Tou pour Toul (comme on prononce dans le pays, Gengou, arnou, etc.) et enfin le patronyme du père de Jeanne : Jacques Tart (p. 62) au lieu de Darc84.

Alors que le latin affecte de nommer Charles VII : Rex suus [son roi], ou : ille quem dicit regem suum [celui qu’elle appelle son roi], OA, (tout comme OB et U), dit avec Jeanne : le roy.

Il est clair que Th. de Courcelles parlant de l’usurpateur, du soi-disant Dauphin, se gardera de paraître le reconnaître comme roi de France. Aussi les bons Angloys affecteront de dire : celui qu’elle nomme son roy. Ainsi Pierre Maurice85 ; Martin Ladvenu86 (quatre fois de suite) ; N. Loyseleur87 (quatre fois de suite) ; et Cauchon lui-même88. Quant au remplacement de la formule le roy par l’habile rex suus, c’est plus de soixante fois qu’on le relève sans aucune dérogation. Est-il vraisemblable que, si OA était une traduction, il n’ait jamais rendu rex suus par son roy ?

De cette analyse il ressort que rien ne dénonce dans OA la traduction d’un texte officiel savamment rédigé, mais qu’au contraire tout révèle en lui une notation prise à l’audience, gardant les caractères d’un langage populaire ; et qu’ainsi OA nous transmettrait la rédaction même des greffiers ou minute des interrogatoires.

Nous ne croyons pas que les arguments de stylistique invoqués par Champion et Quicherat soient suffisants à infirmer ces conclusions.

Trois textes sont invoqués par Q89 :

1° Le premier constituerait un contre-bon sens. Cauchon, ayant requis Jeanne de réciter le Pater, Jeanne répliqua qu’elle ne le dirait point, si ledit evesque ne l’ouoyt de confession. Sur quoi Cauchon lui répondit, d’après O (p. 63) :

Je vous ordonneray ung ou deux notables personnaiges de ceste compaignie, ausquelz 51vous direz : Pater Noster et Ave Maria. A quoi elle respondit : Je ne le diray point se ilz ne me oyent de confession.

Sur quoi Quicherat reproche à O de traduire par contre-bon sens les mots : de lingua gallicana par : de ceste compaignie, O n’ayant pas compris que lingua gallicana désigne l’obédience de Charles VII. S’il y a ici contre-bon sens, ce n’est pas à O qu’il le faut imputer ; car sa version est d’une parfaite vraisemblance. Jeanne, ayant requis Cauchon de l’entendre en confession, celui-ci se récuse et offre à Jeanne un ou deux personnages présents, pour l’entendre à sa place. Le contre-bon sens est de croire que Cauchon propose à Jeanne de lui donner un ou deux personnages de l’obédience de Charles VII qui sont bien loin de là90 !

2° Le second texte rapporte la déclaration de Jeanne sur les travaux qu’elle aurait appris dans sa jeunesse. À propos de quoi Quicherat et Champion épiloguent sur des formules qu’ils déclarent a priori être des traductions et qu’ensuite ils qualifient d’infidélités ou de paraphrases. On ne voit pas comment Champion peut dire le texte d’Orléans presque comique91.

3° Le troisième texte invoqué par Quicherat est fautif. Courcelles fait dire à Jeanne92 qu’elle ne gardait pas les bêtes dum esset in domo patris [lorsqu’elle était chez son père] ; ce qui contredit la déposition de nombreux témoins au procès de réhabilitation93, qui affirment qu’elle gardait les bêtes du village à son tour. O dit bien plus justement que c’est durant son séjour chez la Rousse qu’elle n’allait pas aux champs garder les bêtes.

On voit combien peu justifiée est la conclusion de Quicherat qui prétend que

ici sont accumulés tous les défauts d’une mauvaise traduction : contre-sens, omission, platitude ; tout cela si saillant qu’il serait superflu d’en faire la démonstration94.

Quant aux textes invoqués par Champion95, beaucoup sont en effet traduits du latin des compte-rendus de séances, d’après Urfé ou Courcelles (voir plus haut p. 31).

Les deux exemples allégués96 sont précisément tirés des séances des 23 et 28 mai, dont nous avons dit que le compte-rendu était une traduction de l’instrument latin.

Il faut enfin rappeler que Champion cite O d’après l’édition fautive de Buchon ; et qu’ainsi, en plusieurs cas, les reproches qu’il adresse au rédacteur d’O sont totalement dénués de fondement. Il l’accuse par exemple, d’avoir écrit :

seigneur de Loire, 54ne comprenant pas de l’Ours, comme titre donné à l’hôtelier parisien.

Si Champion s’était référé au ms. d’Orléans, il y eût lu le de l’Ours authentique (O, p. 121). Ailleurs97, Champion dénonce à tort l’omission de la négation qui fait un non-sens de la phrase qu’il cite. Ici encore la lecture du manuscrit lui eût épargné une contre vérité matérielle98.

60Chapitre V
Intérêt du manuscrit d’Orléans

A
Rectifications ou précisions apportées par Orléans

Quoiqu’il en soit de ses dérivations immédiates, si O est, d’un bout à l’autre du procès, un témoin de la minute (alors que U ne donne les interrogatoires qu’à partir du milieu de la séance du 3 mars), O, rapportant les compte-rendus des séances préparatoires du 9 janvier au 20 février, puis les interrogatoires du 21 février au 30 mai (sauf la lacune dont nous avons parlé plus haut), nous restitue 174 réponses originales de Jeanne, du 21 février au 3 mars.

Nous verrons, en cours d’édition, que, si O commet d’assez nombreuses fautes de lecture, il lui arrive de corriger U plusieurs fois d’une façon intéressante. C’est donc une confrontation qui n’est pas sans intérêt.

Mais ce sont souvent des omissions, probablement volontaires, de l’instrument latin que O, seul ou avec U, supplée, en conservant le texte de la minute primitive. Nous en signalerons les cas plus intéressants.

Les juges ont cru jeter de graves soupçons sur la conduite de Jeanne durant l’exode de Domrémy à Neufchâteau. On a voulu faire croire que, contre la volonté de ses parents elle s’enfuit à Neufchâteau, s’y engagea comme domestique et y vécut d’une façon fort libre chez la Rousse, femme d’auberge. Or, O (p. 66), témoigne, comme le feront tous les gens de Domrémy au procès de réhabilitation, que Jeanne y eut une conduite sans reproche, n’ayant jamais quitté son père et sa mère.

En laquelle maison (de la Rousse), elle faisait les negoces de ladite maison ; et ne allait point aux champs garder les brebis, ne aultres bestes.

Courcelles a déplacé ce témoignage, en ajoutant les mots in domo patris99, ce qui est contraire à une affirmation explicite de Jeanne et qui ôte son sens au témoignage qu’elle apporte ici, contre l’accusation de conduite équivoque à Neufchâteau.

À plusieurs reprises on voit que la rédaction de Courcelles tend 61à accroître les charges sur Jeanne. Alors que O et U sont d’accord pour dire que Jeanne alla visiter l’enfant de Lagny, et pria avec les jeunes filles, le latin force, en lui attribuant insidieusement une résurrection, dont la minute ne parle pas : la simple visite de l’original devient : illam suscitacionem [cette résurrection], et le texte parle de l’enfant quem suscitavit100 [qu’elle a ressuscité].

Dans le cas de Franquet Darras, le latin transforme le qu’on fist mourir (O, p. 121) en : quem fecerat mori101 [qu’elle avait fait mourir], attribuant à Jeanne la sentence de mort.

Plusieurs fois le latin omettra des faits ou des paroles qui semblent le gêner :

O (p. 89) rapporte :

Item, dit que la damoiselle de Luxembourg requist a monseigneur de Luxembourg qu’elle ne fust point livree aux Angloys.

Il est curieux que ce détail soit omis dans le latin ; alors que nous sommes sûrs que ce mot a été prononcé, puisque d’Estivet en fait état dans sa justification de l’article XVI102. Il semble que ce détail ait gêné Cauchon.

Nous avons déjà signalé (p. 33) que O (p. 80 et 86) enregistre les menaces et l’intimation du secret fulminées aux assistants par Cauchon. Rigueur que celui-ci a fait disparaître dans l’instrument.

Mais il y a plus grave :

Le latin, voulant insinuer que Jeanne viole le serment de dire toute la vérité, lui attribue un serment absolu, alors que Jeanne le fait formellement limitatif. Le 21 février, Cauchon somme Jeanne de dire la vérité entière sur ce qu’on lui demanderait en matière de foi,

sans querir ne subterfuges ne cautelles (O, p. 59),

non querendo subterfugia vel cautelas ab ipsius veritatis confessione divertentes.103 [sans chercher de subterfuges ou de ruses détournant de l’aveu de la vérité.]

À quoi Jeanne répond qu’elle dira la vérité sur toutes choses, sauf sur les visions qu’il lui est interdit de révéler. Cauchon veut avoir un serment sans réserve ; il insiste (iterato et vicibus repetitis [de manière répétée et à plusieurs reprises], affirme le latin). Jeanne jure de dire la vérité

de toutes les choses qui lui seroyent demandees qui concernent la matière de la foy, mais que, des revelacions dessusdictes, elle ne les diroit a personne… (O, p. 60).

Restriction répétée que Courcelles remplace par son contraire en écrivant :

juravit… tacendo de condicione antedicta, videlicet quod nulli diceret aut revelaret revelaciones eidem factas.104 [elle jura… en taisant la condition précitée, à savoir qu’elle ne dirait ni ne révélerait à quiconque les révélations qui lui avaient été faites.]

À la seconde session (22 février), Jeanne fut encore requise de jurer, mais le latin ajoute indûment : simpliciter et absolute105.

Il est remarquable que Courcelles ait omis les votes relatifs à la torture106 que rapportent O et U (O., p. 173).

Le latin tait107 une des plus belles réponses de Jeanne qui, interrogée sur sa délivrance, répondit :

Le plaisir de Dieu soit faict. (O, p. 88).

Tandis que O et U précisent, à la requête de Jeanne, que, si

il 62la faille desvestir en jugement,

on lui donne chemise de femme, Cauchon tait ce détail108.

Il arrive au rédacteur du latin de dénaturer le texte par mauvaise lecture. La minute disait que :

Interroguee se elle a faict paindre [les anges], telz que ilz viennent a elle ? [Jeanne répondit :] telz et en la maniere comme ilz sont paincts es eglises. (O., p. 138).

Le latin (Ch., p. 147) écrit :

Utrum fecerit depingi illos angelos ?… Respondit quod fecit depingi in modum quo depinguntur in ecclesiis.109 [A-t-elle fait peindre ces anges ?… Elle répondit qu’elle les a fait peindre de la manière dont on les peint dans les églises.]

Jeanne enfin dépose qu’elle s’est confessée deux ou trois fois à des religieux mendiants (O, p. 66). Le latin ajoute :

Et hoc erat apud dictam villam de Castro Novo.110 [Et ceci eut lieu auprès de ladite ville de Neufchâteau.]

Ce qui est gratuit et peu vraisemblable, puisque Jeanne ne demeura à Neufchâteau que quinze, ou peut-être cinq jours.

Mais le cas le plus troublant est celui de la cédule d’abjuration que Cauchon fit insérer dans les grosses latines du procès.

B
La cédule authentique de l’abjuration (24 mai — Saint-Ouen)

Manuscrit 518 d’Orléans, texte de l’abjuration de Jeanne d’Arc (p. 192 et 193)
Pages 192 et 193 du ms. 518 d’Orléans, papier, 20 x 28 cm. Texte de l’adjuration et cédule signée par Jeanne.
[Source : Médiathèque d’Orléans]
Manuscrit BnF Latin 5965, prétendue formule d'abjuration de Jeanne d’Arc (p. 149)
Ms. notarié : B. N. lat. 5965, papier, 20x29 cm., p. 149, portant la prétendue formule d’Abjuration, à la 4e ligne.
[Source : Gallica, BnF]

Parmi les problèmes que soulève le procès de Jeanne, les historiens avaient presque désespéré de résoudre l’un des plus irritants.

Les grosses, rédigées en latin, plusieurs années après la mort de Jeanne, contiennent une longue formule d’abjuration, en double rédaction : française et latine. Tout ce qu’il y a de plus horrible dans certains procès modernes s’y retrouve111. Non seulement elle confesse avoir

très griefment pechié, en faignant mençongeusement avoir eu revelacions et apparitions de par Dieu… ;

mais elle avoue avoir fait

superstitieuses divinations, en blasphemant Dieu, ses sains et ses sainctes, en trespassant la loy divine, la saincte Escripture et les droiz canons ; en portant habit dissolu,… contre toute honnesteté du sexe de femme ; … en portant armeures ; … en désirant crueusement effusion de sang humain ; … en mesprisant Dieu et ses sacremens ; en faisant séditions, et ydolatrant par aourer (adorer) mauvais esperis, et en invocant iceulx. Confesse aussi que j’ay esté scismatique, et par pluseurs manieres ay erré dans la foy.

Cet abominable factum couvre près d’une quarantaine de lignes d’un format in-octavo.

Or, les témoins les mieux placés ont affirmé, sous la foi du serment, lors du procès de révision, que la cédule, insérée par Cauchon dans les grosses du procès, n’est pas celle qui fut lue à Jeanne. Cinq témoins, dont Jean Massieu, qui fut chargé de la lire à Jeanne et de la lui expliquer, affirment que la cédule signée par Jeanne, sur 63l’injonction de Guillaume Erard, ne couvrait que six ou sept lignes ; la longueur, précise Pierre Miget, prieur de Longueville, d’environ un Pater Noster.

En sorte que, le promoteur du procès de réhabilitation, Simon Chapitault, n’hésitait pas à affirmer, dans son mémoire sur les vices du procès de condamnation, que la cédule, insérée au procès, avait été fabriquée après le procès artificieusement, et substituée à une formule brève que, d’ailleurs, Jeanne signa sous la violence et la menace de mort par le feu112.

Item, — déclare-t-il, — et ipsa praetensa per judices iniquos abjuratio, ponderanda est ; quoniam et illa quae processui inserta est, fabricata est de novo post completum processum adversum113, et prolixa est valde, artificio confecta valido, quam nec concipere ipsa potuisset innocens filia et ignara. Imo, altera sibi praesentata est dissimilis, et brevi schedula comprehensa, quam, si territa protulerit, nihil egisse visa erit… [De même, cette prétendue abjuration, par des juges iniques, doit être examinée attentivement ; car celle qui est insérée au procès a été fabriquée de toutes pièces après l’achèvement de ce procès inique ; elle est très longue et rédigée avec une telle habileté qu’une fille innocente et ignorante comme elle n’aurait jamais pu la concevoir. Bien plus, c’en est une autre qui lui a été présentée, différente, et qui tenait sur une petite page ; et si elle l’a prononcée sous l’effet de la terreur, elle sera considérée comme n’ayant rien fait…]

Ainsi le promoteur de la révision affirmait la dualité des formules, l’artifice de la formule fabricata insérée au procès latin, la brièveté de la formule authentique, soit qu’il s’en rapportât aux témoins entendus, soit qu’il ait eu en mains le texte bref inséré dans la minute114.

Quoiqu’il en soit de l’artifice ou de la régularité du procédé, nous savons que Cauchon avait fait rédiger une seconde cédule détaillant les crimes de Jeanne. Cette cédule avait été rédigée à l’avance par Nicolas de Venderès115. Elle était d’autant plus audacieuse qu’elle formulait l’aveu de crimes, que jamais Jeanne n’avait avoués au plus fort des interrogatoires, mais que Cauchon avait besoin d’enregistrer dans un document qui serait transmis au pape, à l’empereur et à la Chrétienté, pour déshonorer sa victime et du même coup atteindre Charles VII, couronné par les œuvres d’une sorcière, qui s’était avouée telle.

C’est cette cédule qu’il fit figurer dans l’instrument officiel du procès, dont ces aveux justifiaient la sentence.

Cette substitution mit Cauchon, cinq jours plus tard, dans un grand embarras. Ayant exposé à quarante docteurs le fait de relapse, il les consulta sur la procédure à suivre. Or, trente-six demandèrent que l’on relût à Jeanne, en la lui expliquant, la cédule d’abjuration, pour obtenir d’elle une soumission. Seul Nicolas 64de Venderès précisément et Gastinel, déclarèrent que Jeanne relapse était à remettre sans plus au bras séculier. Cauchon, dans l’impossibilité de relire à Jeanne un texte qu’elle n’eût pas reconnu, passa outre au vote de la presque unanimité des docteurs.

Ces faits sont reconnus par les historiens de Jeanne, qui estiment que jamais celle-ci n’eût accepté de prononcer des aveux mensongers aussi infamants.

Quelle est donc la cédule brève présentée par G. Erard à Jeanne, lue et commentée par J. Massieu ?

On pouvait la croire irrémédiablement perdue116. Or le ms. d’Orléans témoigne d’un texte dans lequel Champion avoue qu’on pourrait être tenté de reconnaître la cédule authentique d’abjuration117.

La photographie que nous reproduisons du ms. d’Orléans aidera à comprendre l’intérêt qu’il présente. Nous transcrivons par ailleurs sur deux colonnes les textes parallèles.

Texte des grosses de Cauchon
Texte du manuscrit d’Orléans

Abjuratio facta per Johannam

Ensuit l’adjuration (sic) de Jehanne la Pucelle, faicte le XXIVme de may, l’an mil IIIIcc XXX ung

Toute personne qui a erré et mespris en la foy chrestienne, et depuis par la grace de Dieu est retournee en lumiere de verité et a l’union de nostre sainte mere l’Eglise, se doit moult bien garder que l’ennemi d’enfer ne la reboute et face recheoir en erreur et damnation.

Pour ceste cause,

Toute personne qui a erré et mespris en la foy chrestienne, et depuis, par la grace de Dieu est retournee en lumiere de verité a l’union de nostre mere saincte Eglise, doibt moult garder que l’ennemy d’enfer ne le face rencheoir en erreur et damnapcion.

Ensuit la teneur de la cedulle que ledit evesque de Beauvoys et aultres juges dient avoir esté faicte par ladicte Jhenne et signee de sa main. Ce que je ne croys pas. Et n’est a croire, actendu ce qui sera icy apprez.

je Jehanne, communement appellee la Pucelle, miserable pecheresse, aprés que j’ai cogneu les las de erreur ouquel je estoie tenue, et que, par la grace de Dieu, suis retournee a nostre mere saincte Eglise, affin 65que on voye que, non pas fainctement, mais de bon cuer et de bonne voulenté, suis retournee a icelle, je confesse que j’ay tres griefment pechié, en faignant mençongeusement avoir eu revelacions et apparicions de par Dieu, par les anges et saincte Katherine et saincte Marguerite,

Je, JHENNE, appellee la Pucelle, miserable pecheresse, apprez ce que j’ay congneu le las d’erreur auquel je estoys tenue, et que, par la grace de Dieu, suis retournee a nostre mere saincte Eglise ; affin que on veoye que, non pas fainctement, mais de bon cueur et de bonne volunté, suis retournee a icelle, je confesse que j’ay griefment peché, en faignant mensoigneusement avoir eu revelacions et apparicions de par Dieu et ses anges, saincte Katherine et Margueritte &.

en seduisant les autres, en creant folement et legierement, en faisant superstitieuses divinacions, en blasphemant Dieu, ses sains et sainctes, en trespassantla loy divine, la saincte Escripture, les droiz canons ; en portant habit dissolu difforme et deshonnete, contre la decence de nature, et cheveux rongnez, en ront en guise de homme, contre toute honnesteté du sexe de femme ; en portant aussi armeures, par grant presumpcion ; en desirant crueusement effusion de sang humain ; en disant que toutes ces choses j’ay fait par le commandement de Dieu, des angelz et des sainctes dessusdictes ; et que en ces choses j’ay bien fait et n’ay point mespris ; en meprisant Dieu et ses sacremens ; en faisant sedicions, et ydolatrant par aourer mauvais esperis et en invocant iceulx. Confesse aussi que j’ay esté scismatique, et par pluseurs manieres ay erré en la foy. Lesquelz crimes et erreurs, de bon cuer et sans ficcion, je, de la grace de nostre Seigneur, retournee a voye de verité, par la saincte doctrine et par le bon conseil de vous, et des docteurs et maistres que m’avez envoyez, abiure de ceste regnie, et de tout y renonce, et m’en depars. Et sur toutes ces choses devant dictes, me soubmetz a la correccion, disposicion, amendement, et totale determinacion de nostre mere saincte Eglise, et de vostre bonne justice. Aussi je [voue118], jure et prometz a monseigneur saint Pierre, prince des apotres, a nostre saint pere le pape de Romme, son vicaire, et a ses successeurs, et a vous, mes seigneurs, reverend Pere en Dieu monseigneur l’Evesque de Beauvais, et religieuse personne, frere Jehan le Maistre, vicaire de monseigneur l’inquisiteur de la foy, comme a mes juges, que 67jamais par quelque enhortement ou autre maniere ne retourneray aux erreurs devant diz, desquelz il a pleu a nostre Seigneur moy delivrer et oster ; mais a toujours demourray en l’union de nostre mere saincte Eglise, et en l’obeissance de nostre saint pere le pape de Romme.

Et ceci je diz, afferme et jure par Dieu, le Tout Puissant, et par ces sains Evangiles.

Et en signe de ce, j’ay signé ceste cedule de mon signe :

Ainsi signee, JEHANNE +

Et de tous mes dictz et fais qui sont contre l’Eglise, je me revocque et vueuil demourer en l’union de l’Eglise sans jamais en departyr. Tesmoing mon seing manuel.

Signé JHENNE. Une croix.

Ainsi donc, tandis que la rédaction des grosses couvre ici environ 84 lignes, celle d’Orléans se réduit à une trentaine ; tout d’abord, du fait qu’il disjoint la cédule elle-même, qui commence par les mots : Je, Jhenne…119, du protocole qu’on lui a toujours indûment soudé (Incipit : Toute personne… Explicit : … et damnation). Par ailleurs elle réduit les clauses de soumission à cinq lignes fort différentes des trente lignes de la formule latine. Enfin, et c’est le plus notable, elle omet totalement la longue série d’aveux ignominieux.

Sommes-nous autorisés à lire ici la formule brève lue à Jeanne ?

Avouons avec Champion, qu’on en serait tenté120.

1° Elle se réduit aux sept ou huit lignes d’écriture attestées par les témoins. (Voir plus haut, p. 41.)

2° Seule, elle commence par les mots : Je Jehanne…, ainsi que l’affirme Taquel de la cédule signée par Jeanne.

Revenant sur cette question, Champion écrit :

Si l’on ne connaissait les habitudes de tronquer les textes du translateur du procès, si l’on pouvait donner une raison qu’un document de ce genre soit venu à sa connaissance, on serait bien tenté de reconnaître cette formule [la cédule brève] dans le texte qu’il nous a rapporté121.

Mais Champion ne vit finalement dans la formule d’Orléans qu’un abrégé dû au translateur122.

Le scribe d’Orléans aurait en ce cas pris sur lui de supprimer les aveux criminels et de modifier la formule de soumission, sans nous avertir de la liberté qu’il prenait ! La cédule transcrite par O ne reproduit pas d’ailleurs certains désaveux que, selon les témoignages de Jean Moreau et de Jean Massieu au procès de réhabilitation, Jeanne aurait prononcés.

68Si Quicherat et Champion s’étaient reportés au manuscrit d’Orléans, ils y eussent trouvé un indice qui aurait confirmé singulièrement leur interprétation. En effet l’édition de Buchon, faite sur la copie commandée par Dubois, omet après l’aveu des feintes revelacions et apparicions prononcé par Jeanne, un &., dont nous lisons le sigle au manuscrit. Cet &., couvrant la série des aveux criminels, ainsi que les 30 lignes de soumission de Jeanne à ses juges, ne signifie-t-il pas que le copiste de O a fait ici une omission volontaire ? Il semble d’ailleurs que l’&. est d’autant plus imputable au scribe d’Orléans que, si un &. peut, dans une brève couvrir des clauses de style, est-il admissible que, dans une formule d’abjuration, il couvre des crimes ou des erreurs que l’hérétique doit formellement désavouer ; d’autant plus que, sur cette formule d’abjuration, on prétendra fonder une accusation de relapse.

Mais les objections formulées contre l’authenticité du texte d’Orléans sont-elles décisives ? Elles sont certainement contestables.

1° Champion invoque les habitudes de tronquer les textes du translateur du procès. C’est une affirmation sans preuve, qui est inspirée par une défiance préalable envers le copiste d’Orléans, dénommé par Quicherat l’Abréviateur. On oublie que, si ledit copiste omet de transcrire nombre de pièces juridiques (lettres, listes d’assesseurs, consultations), comme d’ailleurs le fait U, et s’il a commis des fautes de copie, on ne peut lui reprocher ses habitudes de tronquer les textes.

O transcrit intégralement, lorsqu’il les cite, les lettres de Jeanne aux Anglais (deux fois), celles de Cauchon au duc de Bourgogne, de l’Université de Paris à J. de Luxembourg, de Henri VI à Cauchon, la sommation de Cauchon au duc de Bourgogne (deux fois), enfin la longue lettre de Henry VI, après la mort de Jeanne, aux prélats et princes, rappelant tous les crimes de la Pucelle, précisément ceux que la cédule omet dans O123.

Si O abrège la sentence prononcée le 24 mai après l’abjuration et la sentence d’excommunication du 30 mai124, encore est-il qu’il les allège de leurs formules de style (sans introduire d’&.), alors que dans la cédule d’abjuration, il aurait fait disparaître des éléments objectifs de la plus haute gravité.

Dans le cas présent, non seulement il ne dit mot d’une suppression faite par lui dans l’original ; mais au contraire, il confesse que le texte lui semble irrecevable ; il l’insère néanmoins par fidélité au dossier qu’il a sous les yeux. Pour justifier son jugement sur l’invraisemblance du texte qu’il transcrit, loin de les taire, il 69aurait souligné les aveux criminels prêtés par Cauchon à Jeanne, si sa source les avait mentionnés.

2° Lorsque Champion demande une raison qu’un document de ce genre soit venu à sa connaissance, pourquoi exclure qu’il l’ait trouvé dans la minute, comme il y a trouvé les votes sur la torture (12 mai) (O, p. 173 et ss.), omis par Courcelles ?

3° On objecte que la cédule transcrite par O ne concorde pas avec ce qu’en ont dit Jean Moreau et Jean Massieu, lors du procès de réhabilitation.

Ces témoignages ne sont pas clairs.

Jean Moreau était un marchand champenois, établi à Rouen lors du procès de Jeanne. Il avait environ 27 ans. Il assista dans la foule à l’abjuration de Saint-Ouen. Il déposa au procès de révision avoir vu qu’on lisait à Jeanne une cédule :

sed quid in ea continebatur, nescit [mais ce qu’elle contenait, il l’ignore].

Ceci est formel. Quand il ajoute :

recordatur tamen quod dicebatur quod commiserat crimen laesae majestatis, et quod seduxerat populum125 [il se souvient cependant qu’il était dit qu’elle avait commis le crime de lèse-majesté, et qu’elle avait séduit le peuple],

ce n’est pas de la cédule qu’il parle, dont il ignore le contenu. Il rapporte soit les bruits répandus dans la ville, soit ce que dans son discours G. Erard avait reproché à Jeanne.

On ne peut donc rien conclure de sa déposition quant au texte de la cédule. Le témoignage de J. Massieu à la révision est trouble. Ses souvenirs sont défaillants : la cédule qu’il lut à Jeanne contenait, dit-il, beaucoup de choses de quibus non recordatur [dont il ne se souvient pas]. Il n’a rien retenu des incriminations les plus graves : superstitieuses divinations, blasphèmes de Dieu et des Saints, viol de la loi divine, des Écritures, des saints canons, idolâtrie des mauvais esprits, révélations mensongères et fausses apparitions, effusion cruelle de sang humain… Tout ce qu’il a retenu, c’est que la cédule enjoignait à Jeanne : quod de caetero non portaret arma, habitum virilem, capillos rasos [qu’elle ne porterait plus d’armes, l’habit viril, ni les cheveux courts]. C’est faire preuve d’une bien mauvaise mémoire ! On est autorisé à soupçonner sa fidélité. Arguer de ce pauvre témoignage, est lui accorder une valeur qu’il ne mérite pas.

4° Reste le problème de l’&.

Nous venons de voir que rien n’autorise à incriminer le scribe d’O d’avoir tronqué le texte de la cédule. Par ailleurs, il est d’autant plus difficile de lui attribuer l’&. que pas une fois nous ne le voyons remplacer de son chef un texte de quelque importance par l’etc.

Des 11 autres &. relevés dans O : 5 se retrouvent dans la partie correspondante de U126 ; et, lorsque U fait défaut, ils se retrouvent dans Courcelles ; quant aux trois derniers : 2 abrègent une simple formule de style (O, p. 210, 211), et le troisième renvoie à un texte déjà cité par O (O, p. 43).

Tout semble donc insinuer que, si le scribe de O a écrit un &. dans sa cédule d’abjuration, c’est qu’il l’a trouvé dans la source qu’il transcrit.

70Mais est-il admissible que la cédule brève d’adjuration ait comporté un &. ?

Non, si l’&. porte sur des objets essentiels de la rétractation. Oui, en cas contraire.

Or, les objets essentiels de la confession sont :

  1. le désaveu des voix ;
  2. la promesse d’obéissance à l’Église.

La preuve en est que, pour avoir :

  1. réaffirmé la vérité de ses voix,
  2. et repris l’habit viril, malgré l’interdiction de l’Église, elle est déclarée relapse.

Ce sont précisément ces deux objets, et ceux-là seuls, que formule la cédule d’O. D’ailleurs, étant établi qu’on ne lut à Jeanne qu’une formule très brève portant sur l’essentiel de ses crimes ou de ses erreurs, il est parfaitement concevable que la formule d’abjuration qui lui fut imposée n’évoquait les crimes ou erreurs secondaires que par un &.

En ce cas le procédé de Cauchon, régulier en principe, peut être considéré comme abusif et apparenté aux errements des notaires, qui furent redoutés comme un danger public, contre lesquels les rois se sont à plusieurs reprises élevés127.

73Bref, si cette discussion de critique interne n’est pas jugée concluante en rigueur, elle laisse ouverte une question que Champion avait trop vite déclarée close, et que la possession d’un texte indiscutable dirimerait.

Il est infiniment regrettable que le manuscrit d’Urfé, annonçant la formule d’abjuration, omette de la transcrire. Son témoignage eût pu être décisif.

Elle revoqua, — écrit-il, — et fist son abjuration en la maniere qui ensuit.

Cette annonce n’est suivie de rien128.

Si le manuscrit d’Orléans nous donne le texte authentique lu à Jeanne, il dissipe le malaise produit par les aveux ignominieux que lui prête Cauchon. L’abjuration, telle que nous la lisons dans O, se bornant aux deux déclarations de soumission à l’Église et de désaveu de ses voix, est en plein accord avec ce que nous savons par ailleurs. Jeanne avait maintes fois répété la première, réclamant qu’on la menât au pape pour qu’il l’entendit. Quant à la seconde, c’est précisément et uniquement ce désaveu de ses Voix qu’elle répudia, le 28 mai, devant ses juges. Elle protesta qu’elle n’avait pas dit ou compris à Saint-Ouen qu’elle révoquât ses visions ; qu’en tout cas, ce qu’elle fit, elle le fit

par peur du feu, et qu’elle n’a rien révoqué que ce ne soit contre la vérité129.

74Conclusion

En attendant que les originaux, versés par le notaire Guillaume Manchon au procès de révision, soient retrouvés, la confrontation du libellus de J. d’Estivet, du ms. de d’Urfé, et du ms. d’Orléans, nous donne la connaissance la plus approchée de la minute française du procès de condamnation.

C’est la raison d’être de la présente édition.

Notes

  1. [1]

    Il est à noter que, le premier, Lebrun de Charmettes, en 1817, a publié une traduction en style direct des interrogatoires.

  2. [2]

    Note conjointe, p. 209.

  3. [3]

    Q, II, 2.

  4. [4]

    Q, III, 135.

  5. [5]

    Q, II, 155.

  6. [6]

    Q, III, 229.

  7. [7]

    Il l’était peut-être, en effet ; car nous suivons sa trace, à Rouen, jusqu’en 1452 ; après quoi il disparaît. Mais s’il était mort, pourquoi le prieur du couvent de Beauvais n’a-t-il pas déclaré cette mort, au lieu de recourir à des subterfuges équivoques ?

  8. [8]

    Le texte, inséré au procès de réhabilitation, se trouve dans Q, III, 238-239. — Ch., 270, sqq en note.

  9. [9]

    Q, III, 232.

  10. [10]

    Q, III, 232.

  11. [11]

    Q, III, 231-233.

  12. [12]

    Q, III, 233. Le texte de cette lettre, insérée aux actes de la Révision, se trouve ibid. p. 240-243.

  13. [13]

    Quicherat écrit justement

    que la postérité regrettera à tout jamais les procès-verbaux de Poitiers, le plus beau document… qu’elle put posséder sur Jeanne d’Arc, puisque cette immortelle fille se montrait là dans toute la fraîcheur de son inspiration, pleine de gaieté, de vigueur, d’entraînement, et répondant sans contrainte à des juges de bonne foi, qu’elle était sûre de subjuguer. (V, 472.)

  14. [14]

    O’Reilly, Les deux procès…, I, 142, estime que

    les juges de la Réhabilitation n’ont pu, il semble, ne pas avoir sous les yeux les procès-verbaux de l’examen de Poitiers.

  15. [15]

    Or le promoteur de 1456 envoya enquêter à Poitiers (Q, II, 282). Si plusieurs des théologiens et des témoins étaient morts en 1456, tels Regnault de Chartres, qui présida l’enquête, Pierre de Versailles, alors abbé de Talmont, etc., nous voyons figurer au procès de révision fr. Pasquerel, fr. Seguin de Seguin, qui étaient particulièrement informés. Ils ne disent pas un mot du dossier.

    A. France semble forcer les textes lorsqu’il écrit (Vie de Jeanne d’Arc, I, p. LVI, note) :

    On voit par les témoignages du procès de réhabilitation que les clercs de Poitiers ne tenaient pas beaucoup à ce que l’on parlât de leur enquête.

    De même Quicherat, écrivant que

    les juges furent obligés de mettre dans leur sentence qu’ils n’avaient connu l’examen fait à Poitiers que par le rapport de témoins.

    En fait, ils n’invoquent pas le dossier, mais seulement les dépositions des témoins, sans rien ajouter.

  16. [16]

    P. Boissonnade, Une étape capitale de la mission de Jeanne d’Arc, dans Revue des Questions historiques, 1930, p. 28, 42.

  17. [17]

    S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy, p. 274, note.

  18. [18]

    Ces références renvoient au texte qui signale ces pièces, sans les transcrire ; ou au texte du procès de réhabilitation (dans Quicherat).

  19. [19]

    Q, II, 300.

  20. [20]

    Déposition du 8 mai 1452 (Q, II, 340).

  21. [21]

    Quels sont ces scriptores qu’il dénonce ? G. Manchon avait, le 2 mai, spécifié leur rôle :

    Contigit quod duo alii scriptores clam erant prope absconsi, qui in scriptura sua omittebant omnes excusationes ; et voluerunt judices quod loquens scriberet suo modo ; quod non fecit. (Q, II, 300).

    Dans une nouvelle déposition, du 12 mai 1456, il répète qu’il y avait aux audiences

    in quadam fenestra, pannis intermediis, ut non viderentur, [des notaires, que surveillait, croit-il, Nicolas Loyseleur]. Et scribebant ipsi notarii quae volebant, omissis excusalionibus ipsius Johannae. (Q, III, 145.)

  22. [22]

    Q, III, 145-146.

  23. [23]

    Q, III, 160. N. Taquel, dans sa déposition du 9 mai 1456, observe qu’il ne fut présent qu’à partir du 14 mars, (comme notaire du vice-inquisiteur) ; mais qu’il n’écrivait pas,

    sed audiebat, et aliis notariis… referebat, qui scribebant, et maxime Manchon. (Q, III, 195.)

    Nous savons enfin, par la déposition de Jean Monnet (3 avril 1456), que ce Monnet, se disant servitor de maître Jean Beaupère,

    interfuit tribus vel quatuor vicibus, et scribebat interrogationes factas Johannae et responsiones ipsius, non ut notarius, sed ut clericus ipsius magistri Johannis Beaupère ; et suam scripturam cognovit ipse loquens in papgro seu processu facto in gallico. (Q, III, 63).

  24. [24]

    Nous citons le texte du manuscrit d’Orléans, p. 129. (Cp. Ch., 136). Nous croyons préférable pour le texte latin du procès de condamnation de renvoyer à l’édition de Champion, qui donne les variantes des divers manuscrits, et qui est plus répandue.

  25. [25]

    O, p. 119. (Cp. Ch., 123). Colles déposa que :

    parfois, quand on l’interrogeait sur ce qu’on lui avait déjà demandé, Jeanne répliquait : Vous me l’avez déjà demandé ; je ne répondrai pas. Et elle faisait lire ses réponses par les notaires. (Q, III, 160).

  26. [26]

    Ch., 156-157.

  27. [27]

    Q, III, 135-136.

  28. [28]

    Non point que cette minute française soit sans défaut. Frère Ysambart de la Pierre, O. P., déposa, le 9 mai 1452, qu’ayant conseillé à Jeanne de se soumettre au concile général, pour lors assemblé, où se trouvaient nombre de prélats et docteurs du parti du roi de France, Jeanne, sur ce, déclara se soumettre au dit concile,

    tunc episcopus aspere increpavit loquentem, dicendo : Taceatis, in nomine diaboli. Quibus sic audilis, D. G. Manchon… quaesivit ab ipso episcopo an scriberet hujusmodi submissionem. Qui quidem episcopus respondit quod non, et quod non erat necesse, dicta Johanna dicente dicto episcopo : Ha ! vos bene scribitis quae faciunt contra me, et non vultis scribere quae faciunt pro me. Et credit quod non fuit scriptum : Unde subsecutum est in consilio illo magnum murmur. (Q, II, 350.)

    Il semble par ailleurs que les notaires enregistraient des réponses que Cauchon leur interdisait de noter. R. de Grouchet déposa le 9 mai 1452 :

    Vidit… et audivit quod episcopus Belvacensis, quando notarii non faciebant sicut volebat, aspere increpabat eos ; eratque res ipsa valde violenta… (Q, II, 357.)

    Pierre Daron, lieutenant du Bailly de Rouen, dans sa déposition du 13 mai 1456, dit qu’on lui a raconté que Jeanne avait une mémoire étonnante, et qu’une fois, interrogée sur un point, dont huit jours plus tôt on l’avait déjà interrogée, elle répondit : Tel jour j’en fus interrogée, ou : Il y a huit jours que vous me l’avez demandé, et j’ai répondu ainsi. Or, Boisguillaume affirma qu’elle n’avait pas répondu, d’autres assistants répliquaient que Jeanne disait vrai. Alors on lut sa réponse ce jour-là ; et on constata que Jeanne avait bien dit. Elle se réjouit, disant à Boisguillaume que, s’il se trompait encore, elle lui tirerait l’oreille. (Q, III, 201.)

    N. Caval, le 12 mai, dit la même chose. (Q, III, 178-179).

    J. Monnet, dépose qu’il entendit Jeanne lui dire, à lui et aux notaires, qu’ils n’écrivaient pas exactement, et multotiens faciebat corrigere. (3 avril 1456, Q, III, 63.)

    J. Fabri, devenu évêque de Démétriade, le 12 mai, rapporte qu’un jour… comme on interro geait Jeanne sur ses apparitions et qu’on lui lisait un article sur ses réponses, il sembla (au dit Fabri) quod male registratum erat, et que Jeanne n’avait pas ainsi répondu. Et il dit à Jeannette de bien faire attention. Elle répondit au notaire de lui relire (cette réponse) ; et, à cette lecture, elle dit au notaire qu’elle avait dit le contraire, et qu’il n’avait pas bien enregistré. Et cette réponse fut corrigée. Alors maître G. Manchon dit à Jeanne qu’à l’avenir il ferait attention. (Q, III, 176.)

  29. [29]

    Dans le préambule du réquisitoire, Jean d’Estivet avait prudemment précisé qu’il ne s’obligerait pas à apporter ses preuves ad aliqua superflua, mais seulement pour les incriminations graves qui justifieraient la condamnation. Il se réservait de plus le droit d’apporter de nouvelles preuves. Et c’est ainsi qu’il ajouta au libelle déposé le 26 mars des preuves tirées de deux interrogatoires du 31 mars et du 18 avril (Ch., p. 161 et 167,168.)

  30. [30]

    Q, III, 135.

  31. [31]

    Notices et extraits, III, p. 1-247.

  32. [32]

    J. Quicherat affirme à tort :

    Quoique Haenel ait recueilli à Dijon que ce manuscrit avait été transporté à Paris avec une partie des livres de Bouhier, il n’est jamais entré à la Bibliothèque Nationale. (V, 410.)

    À propos d’un autre manuscrit du procès, copié en novembre 1475 (sur l’une des expéditions notariées par Boisguillaume), elle-même collationnée par les notaires (Hector Touchet et Jean Patarin, il y a lieu également de rectifier Quicherat, affirmant que

    toutes les recherches faites dans ce siècle-ci n’ont pas pu en faire retrouver la trace. (V, 406.)

    Ce ms. était en 1787 en la possession d’un M. Laurent, d’Orléans, qui en envoya la description à L’Averdy (cf. Notices et extraits, III, p. 220). À la mort de ce M. Laurent, il fut acheté le 24 mars 1788 par la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés, d’où il passa à la Bibliothèque Nationale (lat. 12721).

  33. [33]

    Fevret de Fontette le décrit dans la nouvelle édition de la Bibliothèque historique du P. Lelong, t. II, n° 17208.

  34. [34]

    Q, V, p. 397-398 et 438-447.

  35. [35]

    Ch., I, p. VII-X.

  36. [36]

    L’Averdy emploie à tort ce mot pour désigner l’instrument définitif.

  37. [37]

    Notices et extraits, p. 239.

  38. [38]

    Notices et extraits, p. 242 ; voir aussi p. 176, 198-201, 238 246.

  39. [39]

    Histoire, t. III, p. 255-256.

  40. [40]

    Histoire, t. III, p. 370 à 455.

  41. [41]

    Q, V, p. 397.

  42. [42]

    Cette collation n’est pas sans quelques erreurs ou libertés.

  43. [43]

    Ch., I, p. VIII.

  44. [44]

    Le ms. d’Orléans avait été connu et apprécié au XVIe siècle. Des extraits en ont été insérés dans des ouvrages qui traitaient ou du siège d’Orléans ou des événements de Normandie.

    Le plus important est une Chronique de Normandie, conservée en manuscrit à la Bibliothèque Nationale (Fr. 18930) qui s’étend des origines à 1492, et fut transcrit sans doute peu après 1522. Le chroniqueur s’inspire de notre manuscrit d’Orléans ou d’un manuscrit très voisin. Il transcrit des extraits de la compilation, quelques-uns des documents qui y sont insérés, puis les interrogatoires du 9 janvier au 24 février. Puis il reprend le 24 mai avec la sentence A tous les pasteurs… Il suit dès lors le manuscrit d’Orléans avec des variantes jusqu’à la fin du procès.

    Le manuscrit d’Orléans inspira également un petit livre paru à Rouen sans date, chez Martin Le Mégissier : Cy commence le livre de la Pucelle natifve de Lorraine. On y retrouve des passages de la compilation et de copieux extraits des interrogatoires qui s’arrêtent comme dans le manuscrit précédent au 24 février. Le récit tourne court, mentionnant en quelques lignes le supplice de Jeanne. Ce livre fut plusieurs fois réédité en 1578, 1581, 1589, 1610.

    Nous connaissons encore l’Histoire et discours au vray du siège… d’Orléans, par Léon Tripault, paru à Orléans en 1576 et maintes fois réédité. Tripault connut le ms. d’Orléans déjà mutilé de ses premiers feuillets. Il transcrit la compilation jusqu’à la fin de sommation faite par l’évêque de Beauvais (O, p. 42).

  45. [45]

    Voir Notices et extraits, I, Préface II.

  46. [46]

    Dans la dissertation, dont nous parlerons plus loin, insérée par Buchon au t. IX de la Chronique de Monstrelet, p. 208, le vicaire général Dubois (qui semble avoir connu de près ces personnages), précise que :

    M. Deloynes d’Auteroche de Talsy… avait envoyé à M. de Breteuil, une notice de ce manuscrit composé par M. Moutié, grand chantre…

  47. [47]

    L’abbé Dubois précise, p. 205, que ce Thiballier mourut en 1613, lieutenant criminel au bailliage d’Orléans.

  48. [48]

    Notices et extraits, III, p. 226-227.

  49. [49]

    Notices et extraits, III, p. 227.

  50. [50]

    Dissertation sur le manuscrit par l’abbé Dubois, dans Buchon, Chronique et procès de la Pucelle d’Orléans, 1827, p. 208.

  51. [51]

    Cette copie est conservée à la bibliothèque d’Orléans, sous le n° 519, anc. 411 bis.

  52. [52]

    Chroniques, t. IX, p. 1-119

  53. [53]

    Chroniques, t. IX, p. 191-220.

  54. [54]

    Le tout fut réédité par Buchon en 1838. dans son Choix de Chroniques et mémoires (p. XXVII-XXXIV, et 453-510).

  55. [55]

    Q, V, p. 411.

  56. [56]

    Q, V, p. 412.

  57. [57]

    Q, V, p. 413.

  58. [58]

    Q, V, p. 418.

  59. [59]

    Ch., I, p. X-XIV.

  60. [60]

    J’ajoute que le manuscrit d’Orléans, quoique lacunaire lui aussi et fautif, complète et corrige sur plusieurs points graves le manuscrit de d’Urfé.

  61. [61]

    U est possible que le premier folio d’Orléans, manquant, nous eût renseigné sur l’auteur.

  62. [62]

    Q, IV, 256, admet ce fait. Cf. O, p. 29.

  63. [63]

    Mais c’est une mauvaise explication. Élève de Gerson, qui se réfugia à Lyon en 1419, le scribe aurait eu connaissance des événements de 1429 ! Et il le dirait.

  64. [64]

    Nous verrons une fois l’auteur opposer sur un détail ces deux sources, dont l’une reproduit l’instrument latin.

  65. [65]

    Quicherat a mal lu : euvres pour : livres.

  66. [66]

    Q, IV, 255-256.

  67. [67]

    Q, IV, 254 ; V, 411.

  68. [68]

    L’auteur n’invoque les grandes croniques de France, de Froissart, de Monstrelet, de Guaguin et aultres, que pour déclarer qu’il n’a trouvé en elles de si singulier et merveilleux cas que celui de la Pucelle. En fait, il semble avoir suivi Jean Chartier et d’autres chroniques secondaires, où Quicherat (IV, 256) reconnaît

    une autre mauvaise Chronique de France, écrite pour Charles VIII encore Dauphin ; enfin une troisième chronique bien authentique, dit-il, laquelle il n’avait pas vue lui-même, mais dont de grands personnages lui avaient rapporté le contenu relativement au secret révélé par la Pucelle à Charles VII.

  69. [69]

    Nous verrons que le compilateur a inséré dans cette partie un certain nombre de documents relatifs au procès : Lettres d’Henri VI, de Cauchon, de l’Université de Paris, etc.

  70. [70]

    Il ne faut pas faire confusion ici entre les deux procès. Le ms. d’Orléans dit formellement qu’il abrège le Procès de révision. Mais seule une lecture inattentive a fait dire qu’il confessait lui-même avoir abrégé le premier procès. Par ailleurs nous verrons que le ms. d’Orléans abrège ou omet des compte-rendus de séances ; mais il n’en va pas de même des interrogatoires, qui seuls sont en question.

  71. [71]

    Ch., I, p. XI.

  72. [72]

    Q, II, 317.

  73. [73]

    C’est ce qu’observe justement l’abbé Dubois (ap. Buchon, p. 209). Mais rien ne l’autorise à ajouter, pour justifier le translaté d’Orléans, que son auteur a regardé la minute française comme une translation (pourquoi traduire les interrogatoires et laisser en latin les compte-rendus ?) Et encore moins, qu’il a voulu faire croire qu’il avait translaté, alors qu’il avait simplement copié une translation.

  74. [74]

    (Q, V, 417) Quicherat fonde sur une faute de lecture son argumentation relative au ms. de Saint-Victor, considéré comme source d’O :

    J’affirme, écrit-il, que la copie fautive qui a causé la perplexité du traducteur sur la prise d’habit de Jeanne, est le ms. de Saint-Victor.

    En preuve, Quicherat allègue le texte authentique (celui des mss. notariés) qui porte : Item credit quod consilium bene sibi dixit. Mais, continue Quicherat,

    le ms. de Saint-Victor, par une erreur de copie, présente l’interpolation de suum entre quod et consilium.

    En fait l’erreur de copie, confirmée par le texte donné par Champion, n’est attribuable qu’à Quicherat, car tous les mss. notariés portent le suum dont Champion observe en note :

    Q omet suum.

  75. [75]

    Il semble bien, par exemple, qu’à partir de la séance du 23 mai, O est plus dépendant de l’instrument latin que d’Urfé, dans une traduction d’ailleurs très libre et résumée.

  76. [76]

    Q, V, 413.

  77. [77]

    Ch., I, p. XIV.

  78. [78]

    Qu’il soit permis d’observer que ni L’Averdy, ni Quicherat, ni Champion n’ont pris soin de se référer au manuscrit même d’Orléans. L’Averdy d’ailleurs ne s’est prononcé ni pour ni contre. Champion (p. XX, note) se réfère explicitement à la mauvaise édition de Buchon. Quant à Quicherat, il affirme bien avoir puisé ses notions dans l’examen du manuscrit d’Orléans. (Q, VI, 255). Mais en général il cite les textes sur l’édition de Buchon (Q, V, 413) dont les mauvaises transcriptions ont souvent induit Quicherat et Champion en erreur.

  79. [79]

    Sauf d’innombrables variantes de lecture et quelques accidents de copie.

  80. [80]

    Il est curieux que ce chanoine n’ait jamais été convié par Cauchon comme assesseur alors que, le 14 avril, nous le voyons figurer au conseil tenu par le chapitre.

  81. [81]

    Il n’y a aucune raison de prétendre que OA ait transposé la première personne en troisième, puisque aussi bien on n’en soupçonne ni OB ni U.

  82. [82]

    Le latin distinguera soigneusement : oppidum Vallis Coloris ; castrum de Beaurevoir ; villam de Gergeau, civitatem Tullensem, etc., précisions dont les greffiers n’ont cure.

  83. [83]

    On a supposé, au contraire, que OA, traduisant le latin de Courcelles, aurait rendu les expressions savantes de celui-ci par les formes populaires courantes. De telles traductions se rencontrent assez fréquemment. Mais il est remarquable que les mômes formes populaires sont constantes dans OB et dans U, universellement reconnus pour être des copies de la minute et non des traductions. Pourquoi ces formes populaires seraient-elles dans OB et U des témoins de la minute, et dans OA une transposition du langage savant de l’instrument au style populaire d’un traducteur ? Quant à supposer que celui-ci aurait eu le souci de donner à sa traduction, dans OA, les mêmes formes de style que celles de sa copie OB, c’est lui prêter des raffinements qui lui sont bien étrangers.

  84. [84]

    Nous traiterons cette question particulière dans notre volume de Recherches.

  85. [85]

    Ch., I, p. 397.

  86. [86]

    Ibid.

  87. [87]

    Ch., I, p. 400-401.

  88. [88]

    Ch., I, p. 33, 68.

  89. [89]

    Q, V, p. 414-415.

  90. [90]

    N’est-ce pas le texte de Courcelles qui est sujet à caution, soit que le lingua gallicana désigne l’obédience de Charles VII, ce qui n’a pas de sens ; soit qu’il veuille dire parlant français, comme si Cauchon avait voulu marquer qu’on n’offrirait pas à Jeanne des personnages parlant anglais !

    Champion reprend telle quelle la critique de Quicherat sans lui donner plus de valeur. (Ch., p. XII, note 2).

  91. [91]

    Ch., p. XII.

  92. [92]

    Ch., p. 38.

  93. [93]

    Voir Q, II, 389, 396, 400, 404, 409, 410, 424, 433, etc.

  94. [94]

    Q, V, p. 415.

  95. [95]

    Ch., p. XII à XIV.

  96. [96]

    Ch., p. XV et XVI.

  97. [97]

    Ch., p. XII, note 2.

  98. [98]

    On se demande si P. Champion peut apprécier avec tant de sévérité l’œuvre du scribe de O, médiocre latiniste, affirme-t-il.

    J’ai lu sa translation, — nous dit-il, — comme un devoir d’écolier et l’ai confrontée avec les originaux qu’il a eu sous les yeux ; en vérité son travail est médiocre (Ch., p. XI)… il accumule les latinismes, les lourdeurs, les omissions, les arrangements, es inexactitudes. (Ch., p. XIII).

    Champion parle volontiers de bons contre sens. Est-il permis de noter qu’au jugement d’un très compétent érudit :

    la traduction française de Champion (Ch., II, p. 114-118) fourmille de contre-sens, de non-sens et de négligences. Champion n’entendait rien à la procédure et au droit canonique, il ignore ce qu’est un interrogatoire par credit vel non credit, comme d’ailleurs il ne sait pas ce que c’est que le Sexte. Même remarque pour le 70e article et la conclusio salutaris qui figure après lui (Ch., II, p. 203). Et passim dans tout le procès, avec divers contre-sens dans la traduction de simples textes narratifs.

    Dans ses Quelques remarques à propos de Pierre Cauchon, (Montpellier, 1952) le Professeur Tisset signale au passage

    un de ces contre-sens catastrophiques qui rendent parfois incertaine la simple consultation de la version de Champion (p. 7, note) ;

    et plus loin il cite Champion

    dont la traduction est malheureusement très fautive (p. 10, note).

  99. [99]

    Ch., p. 38.

  100. [100]

    Ch., p. 80.

  101. [101]

    Ch., p. 216.

  102. [102]

    Ch., p. 190.

  103. [103]

    Ch., p. 33.

  104. [104]

    Ch., p. 33.

  105. [105]

    Ch., p. 37.

  106. [106]

    Ch., p. 329.

  107. [107]

    Ch., p. 70.

  108. [108]

    Il est curieux que deux mentions faites par O des Armignacs (p. 76) soient traduites par partem adversam et adversarii Burgundorum (Ch., p. 48). Pourquoi cette omission volontaire du nom d’Armagnac ?

  109. [109]

    Ch., p. 147.

  110. [110]

    Ch., p. 38.

  111. [111]

    Ch., p. 367.

  112. [112]

    Voir Q, III, 273.

  113. [113]

    En cela Simon Chapitault fait erreur, car nous verrons que la cédule longue était le 24 mai aux mains de Nicolas de Venderès.

  114. [114]

    Son affirmation est plus ou moins significative selon que l’on lit : praesentata est, dissimilis… ou : praesentata, est dissimilis. Auquel cas, Chapitault prendrait sur lui de la déclarer dissimilis, sur le vu de la pièce elle-même.

  115. [115]

    Thomas de Courcelles, au procès de révision, affirma avoir vu aux mains de maître Nicolas, qui la rédigea, une cédule commençant par les mots : Quotiens cordis oculus… (Q, III, 61) ; où l’on reconnaît l’incipit de la formule insérée dans l’instrument latin : Quotiens humanae mentis oculus… (Ch., 368). Ce Nicolas de Venderès, familier de Cauchon, et qui avait été élu par les chanoines archevêque de Rouen, se signala comme l’un des ennemis les plus acharnés de Jeanne.

  116. [116]

    H. Dunand, dans son volume sur L’abjuration du cimetière de Saint-Ouen, p. 72, estime que nous sommes condamnés à perpétuité à l’ignorer. Un essai de reconstitution, tenté par le cardinal Touchet (La Sainte de la Patrie, II, 319-322) n’est que conjecture.

  117. [117]

    Ch., p. XIV.

  118. [118]

    Le ms. B écrit par erreur : Vous.

  119. [119]

    Le témoignage du notaire Nicolas Taquel (Q, III, p. 197) affirme précisément que la cédule commençait par ces mots : Je, Jehanne… Quicherat (dans ses Aperçus nouveaux, p. 137), avait pressenti que la cédule brève,

    destinée à être prononcée, contenait seulement les termes de la rétractation, tandis que l’autre, devant être transcrite dans un document solennel, était amplifiée d’un protocole et de considérations finales dans le style théologique du temps.

  120. [120]

    Ch., p. XIV.

  121. [121]

    Ch., p. XXVII, note 2.

  122. [122]

    Ch., II, note 600.

    On remarquera que cette formule peut avoir cinq ou six grosses lignes, et qu’elle commence par le mot Jehanne, comme les témoins du procès de réhabilitation l’ont affirmé de la cédule. Mais ce n’est là assurément qu’une coïncidence, favorisée par les habitudes d’abréger, chères au vieux translateur.

  123. [123]

    Dans un cas douteux, O a soigneusement signalé deux sources en désaccord (O, p. 68).

  124. [124]

    Ch., p. 369 ; O, p. 193 ; Ch., p. 390 ; O, p. 202.

  125. [125]

    Q, III, 194.

  126. [126]

    Ch., p. 116, 120, 319, 321.

  127. [127]

    Dans sa dissertation sur les Et cætera de notaires (Mélanges Fournier, 1929, p. 153-169), A. Dumas montre comment les notaires rédigeaient la minuta ou notula en présence des parties. Cette minute abrégée donnait la substance du contrat. C’est après cette notation brève que les notaires établissaient la forma publica, qui développait les formules abrégées, d’où le nom de grosse et le verbe grossoyer. Ces développements étaient prévus dans la minute par les et cætera, ou etc., ou le sigle. L’abus, plus ou moins malhonnête des etc., fut tel qu’il fallut des ordonnances royales pour y mettre ordre. Le juriste Maynard, au XVIe siècle, écrit dans ses Notables et singulières questions de droit (L. VIII, ch. 31) :

    Il n’y a clause plus accoutumée par les notaires, et par eux, plus tirée et étendue, que l’et cætera, qu’ils appellent et abrègent encore en l’écrivant ainsi : etc…, et cela dans leurs minutes et sèdes ; et l’étendent après en la grosse qu’ils expédient aux parties à leur avantage, autant qu’elles le veulent, et jusqu’à des clauses auxquelles, loin d’avoir été arrêtées et entendues, il n’a même pas été pensé par les parties contre qui cette extension a été faite dans la grosse.

    Voir du Cange, Glossarium au mot : Et Cætera :

    Vox primum in notis, brevitatis causa, a notariis adhibita, quae dehinc, cum instrumenta luculentius scribebant, explicabatur.

    Le texte de Maynard se trouve à la page 1547 de l’édition de 1638.

    Toute une littérature du XVIe siècle encore dénonce ces et cætera de notaires.

    Rabelais (Pantagruel, ch. XII) fait dire dans sa plaidoirie du seigneur de Humevesme :

    Toute foys le notaire y mist du caetera.

    On citerait de nombreux rappels à cette époque du quatrain populaire :

    De trois choses Dieu nous garde :

    De caetera de notaire,

    De quiproquo d’apothicaire,

    Et de bouquons (poisons) de Lombards !

    (Ainsi H. Estienne, A. d’Aubigné, Loisel, etc…).

    Rabelais nous en fournit un exemple typique dans sa Supplicatio pro apostasia (Ed. Budé, V, 255-256) où il demande le droit d’exercer la médecine :

    Sicque in praemissis omnibus, etc, judicari debere, irritum quoque, etc, decernere dignemini de gratia speciali, non obstantibus praemissis, ac quibusvis constitutionibus et ordinationibus apostolicis de illis Ecclesiae ac monasterii praedictis, eliam juramenta, etc, roboratis statulis, etc, privilegiis de quibuscumque quomodolibet concessis, etc, quibus omni eliam si de illis, etc, tenore, etc, placeat hac vice derogare caeterisque, etc,… Et cum absolutione, etc…

  128. [128]

    Ce qui ensuit est si bien une annonce que Quicherat et Champion ont ajouté ici trois points de suspension, qui ne se trouvent évidemment pas dans le ms. Pour eux, le copiste de d’Urfé a omis de transcrire un texte annoncé.

  129. [129]

    Ch., 376. Le 9 mai, Jeanne avait renié par avance tout aveu que la violence des tortures pourrait lui arracher :

    Vrayment, se vous me debviez distraire les membres et faire partir l’âme du corps, si ne vous en diray je aultre chose. Et apprez, vous disoye je, je diroye que le me auriez faict dire par force. (O, p. 172 ; Ch., 326).

page served in 0.294s (2,8) /