Le Brun de Charmettes  : Histoire de Jeanne d’Arc (1817)

Tome 1 : Introduction

1Introduction

Avant de raconter comment la fille d’un laboureur sauva la France du joug de l’étranger, et replaça l’un de nos rois sur le trône de ses ancêtres, il semble convenable de jeter un coup d’œil sur la querelle qui divisait alors la France et l’Angleterre. J’en parcourrai rapidement l’histoire, depuis son origine jusqu’au moment où parut sur la scène du monde l’héroïne qui devait trancher avec l’épée le nœud, jusqu’alors inextricable, de ce grand drame politique, où tant de droits obscurs et d’intérêts divers étaient brouillés et confondus.

Il ne paraît pas qu’aucune rivalité eût divisé les deux nations avant l’établissement des Normands dans la Neustrie et en Angleterre. Quand les Romains, après avoir profité de la division des Gaulois pour les asservir, voulurent ajouter 2l’île britannique à leurs conquêtes, ils trouvèrent cette contrée habitée, du moins quant à sa partie méridionale, voisine des côtes gauloises, par un peuple celtique11. Les nations, en s’étendant de proche en proche, durent naturellement couvrir les continents avant d’aller, à travers les flots, peupler des pays inconnus, séparés d’elles par la barrière des mers, et aucune région ne fut plus à portée que les Gaules d’envoyer des colonies en Albion.

(450) Deux peuples, dont l’origine est inconnue, mais qui, voisins l’un de l’autre, habitaient la partie de la Germanie située entre le Rhin et la Baltique, les Francs et les Anglo-Saxons, vinrent, à peu près à la même époque, s’emparer, les premiers des Gaules, et les seconds de l’île britannique ; mais, dès ce temps-là même, dès leurs premiers pas dans la carrière des conquêtes, ces deux peuples, destinés à une rivalité éternelle, font éclater des caractères dont l’opposition est d’autant plus remarquable, qu’ils semblent sortir du même berceau.

Les Francs, impétueux et téméraires, attaquent avec fureur la puissance romaine du moment qu’elle atteint les bords du Rhin. Quelquefois vaincus, jamais soumis, ils arrêtent seuls les pas triomphants de ce colosse qui foulait aux 3pieds le monde. Enfin, pénétrant à force ouverte dans les régions qui lui sont soumises, ils l’abattent avec la francisque, le chassent avec la framée des fertiles provinces de la Gaule, où ils jettent les fondements d’un royaume qui dure encore.

Les Anglo-Saxons, inconnus aux Romains, cachés au-delà de l’Elbe, derrière les Francs, comme derrière un rempart invincible, attendent, pour se montrer sur la scène, que les Romains l’aient abandonnée. Ils descendent alors dans l’île britannique comme alliés des Bretons, qui, pressés par les Scots et les Pictes, autres barbares, avaient imprudemment sollicité le secours des peuples germaniques. À la faveur de cette circonstance, ils obtiennent des Bretons quelques terres, s’y établissent, emploient tour-à-tour, pour s’emparer du reste, la ruse et la violence. Afin de rendre le roi des Bretons, Vortigern, odieux à ses sujets, ils parviennent, par des artifices dignes de l’Italie dégénérée, à le rendre amoureux de Rowena, fille d’Hengist, leur général, et rendent ainsi ce prince l’instrument servile de leurs projets d’envahissement. Ils invitent les chefs des Bretons à un festin, et, tirant leurs poignards à un signal convenu, assassinent plus de trois cents de ces guerriers devenus, par leur expérience, trop redoutables sur un champ de bataille. Ne pouvant faire des 4vaincus des esclaves assez dociles, ils prennent le parti de les exterminer12.

Des Bretons qui échappèrent au glaive, les uns vinrent se réfugier en Armorique13, et trouvèrent un asile au berceau de leurs ancêtres (cette contrée quitta même son nom pour prendre insensiblement le leur) ; les autres se cantonnèrent dans la partie la moins accessible de leur ancien domaine14, et y défendirent leur indépendance jusqu’à la fin du treizième siècle15. Soumis alors au joug par Édouard Ier, ces descendants des Celtes conservent encore un langage commun avec les habitants de notre Bretagne, et le beau nom de Gallois, qui atteste leur identité avec le premier peuple de la Gaule16.

Lorsque les Bretons chassés de leur île, se précipitèrent sur leur ancienne patrie (462), il paraît qu’un certain nombre d’entre eux, animés par le désespoir, voulurent se conquérir un établissement au milieu des Gaules. Ils remontèrent la Loire, en ravagèrent les bords, et vinrent tomber sous le glaive de Childéric. Ce roi Franc, si 5célèbre par ses amours avec la belle reine de Thuringe, et qui fut père du grand Clovis, poursuivit les Bretons, dit Grégoire de Tours, jusque dans leurs îles, et livra leurs demeures aux flammes. Il s’agit probablement de quelques îles de la Loire où ils avaient pu se cantonner.

À partir de cette époque, on ne voit plus dans l’histoire que les Francs à la place des Gaulois, et les Angles à la place des Bretons. Longtemps occupés chez eux par des guerres intestines, suites inévitables d’un système de division et de partage qui attachait les hommes les plus fiers de la terre, comme de vils troupeaux, à l’héritage des princes, les Angles et les Francs semblent n’avoir entre eux que des rapports indirects et éloignés. Pour qu’ils se retrouvent sur le même champ de bataille (800), il faut qu’un troisième peuple17, échappé des glaces du Nord, vienne demander sa part des conquêtes des uns et des autres, enlève aux Français une de leurs provinces, s’empare deux fois18 de toute l’Angleterre, s’identifie avec la nation qu’il y trouve établie, et la force à marcher sous ses étendards contre ses vieux voisins des bords du Rhin et de l’Elbe.

6Ce que je viens de dire ne doit toutefois s’entendre que des Saxons établis dans l’île britannique. On sait que le peuple dont ils étaient sortis, les Saxons germaniques, soutinrent contre le fils de Pépin des guerres cruelles ; qu’il les conquit plusieurs fois ; qu’il ne les soumit jamais entièrement, et qu’enfin il les dispersa dans toutes les parties de l’Europe. En lisant les pages sanglantes où l’histoire a tracé le récit de ces guerres, on reconnaît dans les Francs et les Saxons du septième siècle, les Français et les Anglais du quatorzième : la même antipathie, le même acharnement, le même héroïsme mêlé de barbarie, animent ces deux grandes races dans des combats séparés par un intervalle de sept siècles.

Portée par le génie de Charlemagne au plus haut point de puissance où elle soit jamais parvenue, la France vit sa gloire s’éclipser sous le règne agité du fils de ce grand homme. Cependant les peuples du Nord, que son génie avait confinés dans leurs tristes régions, n’osaient encore insulter un empire que sa mémoire semblait défendre ; mais ce fantôme s’étant tout-à-fait évanoui sous les fils du Débonnaire, et la monarchie, divisée entre plusieurs frères animés à s’entre-détruire, offrant à ces barbares une proie désormais facile, ils descendirent en foule sur nos rivages, osèrent pénétrer dans l’intérieur du royaume, ravager les campagnes, 7piller, saccager, brûler toutes les villes qui se trouvaient sur leur passage, et s’avancer jusqu’aux portes de Paris19 (845). Charles le Chauve usa, pour les éloigner, du moyen le plus propre à les attirer et à les enhardir : il leur prodigua ses richesses et celles de la France (857). Charles le Gros put les écraser, et n’osa l’entreprendre (886). Le sauveur de Paris, Eudes, eût peut-être réussi à les chasser du royaume (893), sans les embarras que lui suscita un parti déterminé à rétablir sur le trône la race des Carolingiens. Charles le Simple sembla ne s’asseoir sur ce trône que pour consacrer leur usurpation (912), en leur cédant formellement, sous la réserve d’un vain droit de suzeraineté, la plus grande partie de la Neustrie, et cette riche contrée prit le nom de ses nouveaux maîtres. Rollon, célèbre par sa valeur et par son habileté (qualités qui n’excluent malheureusement ni la férocité ni la perfidie), en fut le premier duc : il rendit à Charles, en cette qualité, l’hommage que le vassal devait à son souverain, et établit ainsi d’une manière stable, au sein même de la France, la puissance ambitieuse qui déjà méditait de la dévorer20.

La lutte entre les derniers Carolingiens et 8les premiers princes de la troisième race fut très-favorable aux Normands, qui en profitèrent pour s’agrandir et pour affermir leurs conquêtes. (987) Hugues Capet eut trop d’affaires à soutenir, avant et après son élection, pour s’opposer à leurs desseins. Sous son règne, la monarchie, affaiblie par des partages et des pertes multipliées, ne se composait plus que d’un petit nombre de provinces, et les seigneurs affectaient, dans toutes les occasions, une indépendance qui ébranlait dans ses fondements l’autorité royale. Les démêlés de Robert II, son fils, avec la cour de Rome, à l’occasion de son mariage avec Berthe, sa parente au quatrième degré, l’anathème dont il fut frappé, et ses suites terribles, permirent aux ducs de Normandie de se fortifier et de se livrer à de nouvelles entreprises (1031). Henri Ier, tour-à-tour l’allié et l’adversaire du fameux Guillaume (1045), surnommé depuis le Conquérant, le persécuta quand son devoir lui commandait de le protéger, et le soutint quand la politique lui prescrivait d’arrêter sa grandeur naissante (1046). Éclairé enfin sur ses véritables intérêts, il n’attaqua ce jeune lion, avec l’espoir de le surprendre, que pour être surpris et battu lui-même. On fit la paix ; mais, de part et d’autre, le ressentiment et la haine demeurèrent au fond des cœurs. De ce moment s’alluma entre les rois capétiens et les princes normands cette rivalité cruelle qui devint 9la querelle de la France et de l’Angleterre, lorsque la dynastie normande eut transporté dans cette île le siège de sa puissance21.

(1066) Édouard le Confesseur, roi d’Angleterre, étant mort sans enfants, Harold, seigneur puissant, descendant, par sa mère, de Knut le Grand, conquérant danois de l’Angleterre, s’empara de la couronne au préjudice d’Edgar Atheling, dernier rejeton de la dynastie anglo-saxonne, et s’en vit aussitôt disputer la possession par le duc de Normandie, qui prétendit que les dernières volontés d’Édouard l’appelaient au trône. Beaucoup d’auteurs parlent du testament d’Édouard : Guillaume n’en montra jamais ; jamais il ne s’expliqua clairement sur l’existence de ce titre. Si le testament eût existé, eût-il hésité à le produire ? Admettons que le testament existât, Édouard avait-il eu le droit de léguer la couronne d’Angleterre au duc de Normandie ? Edgar Atheling n’avait point de parti ; sa faiblesse fit tous les droits d’Harold et de Guillaume. Guillaume réclamait les serments d’Harold, qui, dit-on, du vivant d’Édouard, avait juré au prince normand de le reconnaître ; Harold prétendait que ces serments lui avaient été extorqués22. L’un et l’autre jetèrent leurs épées dans les balances de la justice.

10Arrêtons-nous un moment ici, pour considérer en eux-mêmes les peuples qui se trouvèrent engagés dans cette lutte mémorable.

La longue domination des Anglo-Saxons avait fait perdre le souvenir de leur origine étrangère. Ils étaient considérés comme les légitimes possesseurs de l’Angleterre, à laquelle ils avaient donné leur nom, où leur langue avait remplacé le celtique, et d’où les anciens Bretons avaient presque entièrement disparu.

Les Dunois y avaient toujours été regardés comme des tyrans et des usurpateurs ; et, quoique l’on puisse compter cent cinquante ans entre leur première invasion et leur expulsion sous le règne de Hardeknut, la dynastie qu’ils avaient établie en Angleterre n’avait guère occupé le trône plus de vingt-six années.

Les Normands n’étaient plus les hommes du Nord du temps de Rollon. Jamais les bandes qui vinrent d’abord ravager la France, et qui s’établirent enfin dans la Neustrie, n’avaient été bien considérables. La facilité, l’habileté avec laquelle ces guerriers se transportaient rapidement, sur leurs vaisseaux, d’un bout à l’autre des côtes de la France, jointes à l’effroi qu’ils inspirèrent longtemps par leurs barbaries, avaient fait singulièrement exagérer leur nombre23. Ils commandèrent 11 à la population française de la Neustrie, mais ils ne la remplacèrent pas ; ils s’identifièrent, au contraire, avec cette population, et disparurent insensiblement au milieu d’elle, comme quelques gouttes d’une liqueur étrangère se perdent dans un vin généreux, s’y font sentir à peine, et n’en altèrent que faiblement le goût et la couleur. Les vainqueurs avaient donné leur nom aux vaincus ; mais ce nom seul subsistait encore. Dans la réalité, les Français de la Neustrie n’étaient pas devenus Normands ; les Normands étaient devenus Français, et avaient adopté la religion, les mœurs et le langage du reste de la France.

La cour de Normandie était depuis longtemps célèbre par l’accueil qu’elle faisait aux chevaliers renommés pour leur courage ; elle avait été le berceau des héros de ce siècle, amoureux des entreprises aventureuses. C’était un brillant théâtre, où quiconque aspirait à la gloire des armes souhaitait ardemment de se distinguer24. Au premier bruit de l’expédition que préparait Guillaume, de toutes les parties de la France une foule de guerriers vinrent se ranger sous l’étendard sacré que lui avait envoyé le pontife romain. Le comte de Boulogne, le comte de Blois, Geoffroy Martel, comte d’Anjou, Aymar, 12comte de Guyenne, amenèrent à Guillaume l’élite de leurs soldats et la fleur de leur chevalerie. Cinq mille Bretons, commandés par Fergant, fils d’Hoël, duc de Bretagne, le rejoignirent dans Hastings : ainsi les descendants de ces Celtes, chassés jadis par les Anglo-Saxons de la la Bretagne insulaire, revenaient, après six cents ans, combattre les descendants de ces usurpateurs, dans les mêmes champs où s’étaient égorgés leurs ancêtres.

La bataille qui décida du sort, de l’Angleterre dura depuis le point du jour jusqu’à la nuit, avec un acharnement dont l’histoire offre peu d’exemples. Plusieurs fois blessés, tour-à-tour vaincus et vainqueurs, les deux rivaux déployèrent, dans cette journée, une valeur et une habileté dignes d’une plus juste cause. Tout à coup un trait vole, Harold tombe, ses soldats s’épouvantent ; le champ de bataille ne montre bientôt plus que leurs cadavres… l’Angleterre était conquise25.

(1074) Philippe Ier, roi de France, sentit tout le danger qui résultait pour lui de l’agrandissement de Guillaume ; agrandissement auquel le conseil de France, pendant la minorité du roi, aurait dû s’opposer de tout son pouvoir. Il saisit avec empressement les moyens qui lui restaient 13d’affaiblir une puissance ambitieuse, qui, par une suite d’envahissements rapides, menaçait la monarchie française elle-même d’une destruction sans doute résolue, puisqu’elle n’était plus impossible. Louis le Gros, plus habile que Philippe, et surtout plus constant dans ses desseins, doubla les ressources de la France par son activité et son énergie26. Ses successeurs s’écartèrent trop souvent du plan de conduite qu’il semblait s’être tracé, et ils ne commirent pas une faute dont les princes Normands ne se montrassent attentifs à profiter.

Ces princes régnaient sur l’Angleterre, Mais les Écossais les pressaient au nord, et, dans le sein même de ce royaume, les Gallois combattaient obstinément pour une indépendance dont ils se montraient dignes par leur constance et par leur valeur. Les rois d’Angleterre possédaient en France à titre de grands vassaux de la couronne, la Normandie, le Maine, et la mouvance de la Bretagne ; mais les comtes de Bretagne n’étaient pas des vassaux plus soumis des ducs de Normandie, que les ducs de Normandie ne se montraient obéissants envers les rois de France ; et les comtes d’Anjou avaient sur le Maine des prétentions qu’ils étaient toujours disposés à faire valoir, dès qu’il se présentait une circonstance favorable. 14Ainsi, une sorte d’équilibre pouvait subsister encore entre les rois de France et les rois d’Angleterre. Cet équilibre fut bientôt altéré par l’habileté de Henri Ier, dit Court-Mantel, roi d’Angleterre, et entièrement détruit par l’imprévoyance du roi de France Louis VII, dit le Jeune, qui mérita ce nom toute sa vie.

Tous les fils de Henri Ier ayant péri dans un naufrage27, il résolut d’assurer sa couronne à Mathilde, sa fille, restée veuve de l’empereur Henri V, et aux enfants qui naîtraient d’elle. Il la força d’épouser Geoffroy, dit Plantagenêt, fils de Foulques, comte d’Anjou, et acquit par là aux rois d’Angleterre, l’Anjou, la Touraine, et cette riche province du Maine, si longtemps disputée par les comtes d’Anjou aux ducs de Normandie28.

(1150) Louis le Jeune, ayant, à son retour de la croisade, répudié Éléonore d’Aquitaine, à cause de son inconduite, crut devoir lui rendre tous les États qu’elle lui avait apportés en dot29. Elle épousa Henry II, fils de Mathilde et de Geoffroy Plantagenêt, et ajouta ainsi aux possessions des rois d’Angleterre le Poitou, la Guyenne, l’Aunis, l’Angoumois, le Périgord, le Limousin, 15une grande partie de la Saintonge et de l’Auvergne, et des prétentions sur le comté de Toulouse. Le domaine immédiat de Louis le Jeune se trouva alors réduit à la Picardie, à l’Île de France, à l’Orléanais et au Berry. Le reste de la France obéissait à de grands vassaux, qui, à l’exemple des rois d’Angleterre, ne se montraient sujets que de nom, et dont l’intérêt semblait être de maintenir leur souverain dans cet état d’abaissement qui faisait leur force et assurait leur indépendance.

On s’étonne quelquefois de la prépondérance que les Anglais avaient autrefois acquise en France, et l’on trouve une foule de personnes disposées à en faire honneur à la supériorité de leur courage. Loin de moi la pensée de disputer à une nation, que j’ai toujours regardée comme la seconde de l’Europe et du monde, ses véritables titres à l’admiration des autres peuples ; mais qu’on veuille bien remonter à l’origine de ses accroissements, et l’on trouvera que de toutes les provinces françaises que les Anglais ont possédées, il n’en est pas une seule dont la première acquisition leur ait coûté un coup d’épée.

Philippe-Auguste et Richard Cœur-de-Lion se croisèrent simultanément, partirent amis, et revinrent de la Palestine ennemis irréconciliables. Je ne m’arrêterai point à comparer leurs torts réciproques, qui semblent à peu près égaux, 16et je passerai rapidement sur les guerres sanglantes qu’ils se livrèrent l’un à l’autre, parce qu’elles n’eurent d’autre résultat que d’envenimer la jalousie naissante des deux nations.

(1202) Jean, frère et successeur de Richard Cœur-de-Lion, après s’être emparé de la couronne d’Angleterre au préjudice d’Arthur, son neveu, l’ayant assassiné de ses propres mains, Philippe-Auguste, juge naturel, selon toutes les lois féodales, du meurtre de l’un de ses vassaux commis sur les terres de France par un autre de ses vassaux, cita Jean à la cour des pairs, l’y condamna par contumace, confisqua les provinces françaises possédées par les rois anglais, et se mit en devoir de soutenir ce jugement par les armes. La Bretagne, l’Anjou, le Maine, la Touraine et le Poitou se déclarèrent pour le parti du ciel et de la justice. La Normandie, ancien berceau des rois d’Angleterre, semblait devoir opposer une longue résistance ; Jean y était descendu avec une nombreuse armée de mercenaires : il ne put soutenir l’aspect de son juge ; il prit la fuite, et Philippe conquit la Normandie. Il ne resta plus en France que l’Aquitaine, à Jean, appelé dès lors Jean sans Terre ; et cette belle province serait elle-même retournée à la couronne, sans la funeste guerre des Albigeois, qui, en embrasant le midi de la France, détourna Philippe de l’achèvement de l’entreprise à la fois la plus juste et la plus utile. Plus 17tard, Louis, son fils, appelé par les barons et le peuple anglais, vainquit Jean dans son pays même, et se vit un moment roi d’Angleterre. Il donna des terres, il conféra des honneurs, il publia des chartes. La mort de Jean sans Terre, qui semblait devoir affermir Louis sur le trône, changea la disposition des esprits et lui ravit la couronne. Obligé de renoncer à la domination de l’île britannique, Louis, devenu roi de France sous le nom de Louis VIII, ou le Lion, abaissa encore la puissance anglaise en s’emparant d’une partie de l’Aquitaine, c’est-à-dire, de la Saintonge, du Limousin et du Périgord30. La Garonne même ne put arrêter les pas triomphants de ce héros31, qui ne régna que quatre ans sur les Français, mais qui sut assez bien profiter du temps, pour que son nom ne soit pas entièrement éclipsé par les rayons qui environnent ceux de son père et de son fils, Philippe-Auguste et saint Louis.

(1242) Saint Louis écrasa Henri III et le comte de la Marche aux batailles de Taillebourg et de Saintes, batailles fameuses, dont le résultat, si Louis l’eût voulu, eût été de chasser entièrement les Anglais du continent ; mais Louis, par sa générosité, rendit au roi d’Angleterre, à la charge de 18l’hommage lige, le Limousin, le Périgord, le Quercy, la Saintonge et l’Agenais. Henri III renonça pour lui, ses fils, ses frères et tous ses successeurs, à la Normandie, au Maine, à l’Anjou, à la Touraine et au Poitou. Il prit rang parmi les pairs de France, en qualité de duc de Guyenne, et rendit en personne l’hommage attaché à cette dignité32.

Édouard Ier, qui succéda à Henri III, ajouta à ces provinces le comté de Ponthieu qui échut en héritage à sa femme Éléonore de Castille. Il soumit le premier ces descendants des Celtes, ces Gallois jusqu’alors indomptables, qui avaient successivement résisté aux Anglo-Saxons et aux Normands ; mais il souilla son triomphe par des atrocités sans excuse. Les Gallois, dans leurs revers, avaient été plusieurs fois ranimés par les chants héroïques de leurs poètes ; souvent on avait vu ces chantres intrépides s’élancer, la harpe à la main, à la tête des bataillons ébranlés, et faire retentir au milieu du bruit des armes le nom du grand Artus, et les souvenirs magiques de la patrie. Édouard fit poursuivre ces derniers bardes jusque dans les forêts et les rochers de leurs montagnes, et le fer des bourreaux fit succéder le silence 19de la mort aux sublimes accents du courage et du génie. N’ayant pu saisir vivant l’intrépide Léolin (Llywelyn), prince des Gallois, il outragea indignement son cadavre. David, frère de Léolin, étant tombé en son pouvoir, il le fit écarteler… Philippe le Hardi, qui régnait alors en France, n’eût pas dû laisser opprimer les Gallois, ses alliés naturels ; mais il paraît que la France n’avait plus alors avec eux que des liaisons faibles et peu suivies. La marine de la France, depuis que ce royaume avait recouvré la plupart de ses provinces maritimes, faisait journellement des progrès qui éveillaient, dès ce temps-là, la jalousie de l’Angleterre. Les marins des deux nations en vinrent bientôt entre eux à des actes de violence, où chaque parti prétendit, selon l’usage, n’exercer envers l’autre que de justes représailles. Le roi de France Philippe le Bel cita Édouard à la cour des pairs ; Édouard envoya son frère Edmond l’excuser sur ce que sa santé ne lui permettait pas de s’exposer à l’air de la mer. Philippe s’obstina à exiger qu’Édouard comparût en personne. Édouard ne comparut point : Philippe confisqua la Guyenne et les autres terres anglaises. Le connétable Raoul de Nesle, qu’il envoya à la tête de quelques troupes, soumit ces provinces avec une facilité et une promptitude qu’on ne peut expliquer que par un peu de négligence de la part d’Édouard, et, de la part de Philippe, par un peu 20plus d’artifice qu’il ne convenait à un petit-fils de saint Louis. Quelque temps après, les Anglais reprirent une partie de la Guyenne (mais seulement une partie), avec une égale rapidité.

(20 mai 1303) Les deux rois firent la paix à des conditions qui remirent les choses à peu près sur le pied où elles étaient avant la guerre. Cette paix avait été précédée de plusieurs trêves, dans l’une desquelles on avait conclu le mariage d’Édouard Ier avec Marguerite, sœur de Philippe le Bel, et celui du prince Édouard, fils du roi d’Angleterre, avec Isabelle, fille du même Philippe : alliance fatale, qui devait enfanter un jour les guerres les plus obstinées et les plus cruelles.

Les trois fils de Philippe le Bel, Louis le Hutin, Philippe le Long et Charles le Bel, n’ayant point laissé de postérité mâle, la couronne de France, à la mort du dernier de ces rois, passa, en vertu de la loi salique, qui exclut les femmes, sur la tête de Philippe, auparavant comte de Valois, petit-fils de Philippe le Hardi. Édouard III, roi d’Angleterre, la réclama comme petit-fils de Philippe le Bel par sa mère Isabelle. Il suffira, pour faire sentir l’injustice de ses prétentions, de faire observer que, quand bien même une foule d’exemples, qui remontent jusqu’au berceau de la monarchie33, 21ne suffiraient pas pour établir l’authenticité de la loi salique, en d’autres termes, si cette loi n’existait pas, c’eût été à Jeanne de Navarre, fille unique de Louis le Hutin, de revendiquer la couronne ; car c’est à elle que se terminait la descendance directe des rois de France, par ordre de primogéniture, depuis Hugues Capet.

(1328) Philippe de Valois fut proclamé et couronné avec un appareil inouï. Ayant vaincu les Flamands, qui s’étaient révoltés contre leur prince, Philippe crut pouvoir parler en souverain au roi d’Angleterre, son vassal : il le fit sommer de rendre hommage pour la Guyenne et les autres fiefs relevant de la couronne. On prétend qu’Édouard III répondit que le fils d’un roi n’irait point s’humilier devant le fils d’un comte. Le fils du comte menaça le fils du roi de confisquer ses terres, Édouard n’était pas encore en état de soutenir la guerre ; il dissimula et parut fléchir. On disputa sur la forme de l’hommage : il le fit en termes généraux, mais enfin il le fit.

Ce ne fut que huit ans plus tard (1336) qu’il crut pouvoir jeter le masque, après avoir traité avec le fameux d’Artevelle, brasseur de bière, qui gouvernait 22à son gré les Flamands, toujours mutins et rebelles. Il se prétendit de nouveau légitime héritier de la couronne de France, et réclama contre le jugement des pairs, qui l’en avait privé. Les Flamands avaient juré de ne point reprendre les armes contre le roi : Édouard, pour lever leurs scrupules, prit le titre de roi de France. Le pape Benoît XII les ayant frappés d’anathème à cause de leur parjure, Édouard les rassura en leur promettant des prêtres anglais qui leur chanteraient la messe malgré le pape. Il n’eût pas besoin de plus grands efforts pour entraîner dans sa cause un peuple qui, entièrement voué au commerce, disait hautement que la haine d’Angleterre lui tenait plus au cœur que l’amitié de la France. Le fameux combat naval de L’Écluse (1340), où Édouard détruisit la moitié de la flotte française, composée de cent vingt gros vaisseaux, et chargée de quarante mille hommes, enhardit ce prince au point d’envoyer un héraut porter au roi un cartel adressé à Philippe de Valois, sans autre titre. Philippe répondit que la lettre ne s’adressait sans doute pas à lui ; qu’il voulait bien cependant apprendre au roi d’Angleterre qu’un vassal ne pouvait sans crime défier son seigneur ; qu’au reste, et malgré l’indécence de cette démarche, il pourrait accepter cette proposition, pourvu que le royaume d’Angleterre fût 23mis dans la balance, et dût être, comme celui de France, le prix du vainqueur. Édouard n’eut garde d’accepter cette proposition.

Plusieurs trêves violées presque aussitôt par Édouard prouvèrent qu’il était aussi ardent à saisir l’occasion d’un avantage, que peu scrupuleux sur les moyens de l’obtenir. Descendu en Normandie (1346), il s’avança jusqu’aux environs de Paris, dévastant tout ce qui se trouvait sur son passage. Forcé de reculer devant une armée considérable que Philippe amenait à sa rencontre, il se retira du côté de la Flandre, passa la Somme, se retrancha sur une hauteur, près du village de Crécy, et, attaqué imprudemment dans cette situation avantageuse, il remporta sur l’armée française une victoire fameuse, qu’il ne dut qu’à l’imprévoyance des Français, à cette impétuosité irréfléchie qui leur fut souvent si funeste, et surtout à l’habileté de ses arbalétriers, dignes héritiers des Normands, leurs ancêtres, dans l’art terrible de faire voler au loin une mort presque inévitable. Avec cette arme perfide, disaient alors les Français, un poltron peut tuer sans risque le plus vaillant homme : nous ne voulons vaincre qu’avec nos lances et nos épées.

Le siège de Calais (1347), qui suivit de près cet événement, donna lieu à un acte de dévouement trop connu pour que je m’arrête à le retracer. 24Je me bornerai à faire remarquer qu’après avoir fait grâce de la vie aux six bourgeois dont le sang devait racheter celui de leurs concitoyens, coupables seulement d’une défense héroïque, Édouard III chassa tous les habitants et remplit d’Anglais cette cité, veuve de son peuple34.

Philippe succomba bientôt à la douleur de voir la France accablée par ses ennemis (1350). Jean, son fils, le surpassa dans ses fautes et dans ses revers. Il se montra cruel et fut haï. La bataille de Poitiers, qu’il perdit par sa faute, et où il ne déploya que du courage, coûta à la France la fleur de sa noblesse. Le célèbre prince de Galles, plus connu sous le nom de Prince noir, se montra ce jour-là digne de sa victoire, en comblant d’honneurs le monarque prisonnier.

Le dauphin, qui fut depuis le sage Charles V, obligé de disputer l’autorité à une foule de séditieux, ne put la ressaisir qu’à force d’art et de sacrifices. Sa constance et sa politique sauvèrent la France (1359). Jean, qui s’ennuyait de sa prison, traita avec le roi d’Angleterre à des conditions honteuses, capables d’achever la ruine du royaume. Il cédait la Normandie, la Guyenne, la Saintonge, le Périgord, le Quercy, le Limousin, le Poitou, l’Anjou, le Maine, la Touraine, avec quatre millions d’écus d’or pour sa rançon. Les 25États, convoqués par le dauphin, régent du royaume, frémirent à la lecture de ce traité et le rejetèrent avec indignation. Édouard entra en France à la tête de cent mille hommes, soutenu par les machinations de Charles le Mauvais, roi de Navarre, autre grand vassal de la couronne. Tout semblait lui livrer le trône, et la ruine des Valois parut un moment inévitable.

Le dauphin temporisa, évita une bataille qui pouvait renverser la monarchie, mit les places fortes en sûreté et abandonna le reste à des ravages qu’on ne pouvait vouloir empêcher qu’en risquant le sort de la France. Édouard assiégea inutilement la ville de Reims, dévasta les environs de la capitale, sans pouvoir la prendre, quoiqu’elle fût dépeuplée par une horrible famine ; et, voyant les fatigues, la disette et les maladies épuiser ses propres troupes, il conclut le traité de paix de Brétigny (1360). Les principales conditions étaient que la Guyenne, le Poitou, la Saintonge et le Limousin demeureraient en toute propriété au roi d’Angleterre, le roi de France renonçant expressément à la souveraineté de ces provinces ; qu’Édouard renoncerait de son côté à ses prétentions sur la couronne de France, sur la Normandie, le Maine, la Touraine et l’Anjou, possédés par ses ancêtres, et que Jean paierait trois millions d’écus pour sa rançon. Ce traité fut confirmé à Calais par les deux monarques ; 26mais on en retrancha l’article le plus important, celui des renonciations respectives.

Jean, qui venait de perdre par sa faute une grande partie de ses États, exposa le sort futur du reste par un acte d’imprévoyance bien funeste à la France : il donna pour apanage à Philippe, son quatrième fils, le duché et le comté de Bourgogne, qu’il venait d’acquérir par la mort de Philippe de Rouvres, auquel il succédait en qualité de plus proche parent, et fonda ainsi la puissance de cette seconde maison de Bourgogne, qui, sortie du trône, travailla pendant plusieurs siècles à le renverser. Il semble qu’une sorte de fatalité s’attacha à toutes les actions de ce roi, et que l’avenir même ne put échapper à sa malheureuse influence.

Charles V hérita d’une couronne à demi-brisée, dépouillée de ses plus beaux fleurons : il lui rendit un nouvel éclat et l’affermit sur sa tête. Tandis que le fameux Bertrand du Guesclin, surnommé le bon connétable et l’épée de la France y faisait respecter partout la gloire de ses armes, au fond de son palais, seul avec sa sagesse, il méditait en silence les secrets d’une politique nouvelle, et relevait lentement l’édifice à demi écroulé de la grandeur française.

(1365) J’ai dit que l’on avait retranché du traité de Brétigny les renonciations respectives qui devaient d’abord en faire partie : ainsi le roi de 27France pouvait toujours réclamer son droit de suzeraineté sur la Guyenne et les provinces voisines, qui, sous le nom de principauté d’Aquitaine, formaient l’apanage du Prince noir. Celui-ci, épuisé par son faste et par les dépenses de la guerre qu’il venait de soutenir en Espagne, établit dans ses domaines une imposition générale, tellement exorbitante, que la noblesse, indignée d’une vexation qu’elle n’avait point connue sous les rois de France, en porta ses plaintes à Charles V. Les circonstances étaient favorables pour une rupture : le roi reçut l’appel des seigneurs d’Aquitaine ; le prince de Galles fut cité à la cour des pairs. Il répondit à la citation qu’il se rendrait volontiers à Paris, mais à la tête de soixante mille hommes. Une bravade à peu près semblable n’avait pas porté bonheur à Guillaume le Conquérant ; celle du Prince noir ne fut pas suivie d’un succès plus heureux. Plusieurs infractions faites au traité de paix engageaient Charles V à prendre les armes contre Édouard III : la guerre fut déclarée à ce prince au moment qu’il s’y attendait le moins. Les armées françaises eurent presque partout l’avantage. Le roi, sûr de sa supériorité, prononça dans la cour des pairs la condamnation d’Édouard et du prince de Galles, les déclara rebelles, et les terres qu’ils possédaient en France furent confisquées au profit de la couronne.

28(1371) En vain une armée ennemie débarquée à Calais ravagea l’Artois, la Picardie, la Champagne, et vint se présenter aux portes de Paris. Du Guesclin, accouru avec un très-petit nombre de troupes, attaque les Anglais, les bat et les dissipe partout où ils osent l’attendre. L’année suivante (1372), le Poitou, l’Aunis et la Saintonge rentrèrent sous la domination du roi.

Édouard parvint à déterminer le duc de Bretagne (qui lui devait son duché, longtemps disputé par Charles de Blois), à se déclarer ouvertement en sa faveur. Le roi envoya sommer le duc de remplir ses devoirs de vassal de la couronne. Sur son refus, attaqué par du Guesclin, abandonné par les Bretons, ennemis nés des Anglais, et dépouillé rapidement de ses États, Montfort se vit réduit à chercher un asile en Angleterre.

(1377) De toutes les conquêtes d’Édouard III, il ne lui restait plus que Calais ; de tout l’héritage d’Éléonore d’Aquitaine, il n’avait conservé que Bordeaux, lorsqu’après avoir vu descendre au tombeau son fils, ce fameux Prince noir, longtemps l’appui de sa grandeur, il mourut lui-même, dans les bras d’une maîtresse empressée d’enlever ses dépouilles, et abandonné de ses sujets qu’il avait accablés de tributs. Il faut ajouter aux deux ports que je viens de nommer, Brest et Cherbourg qui lui avaient été livrés, le premier, 29par le duc de Bretagne, et le second, par Charles le Mauvais, comte d’Évreux et roi de Navarre.

À mesure que j’approche des événements qui forment principalement la matière de cette histoire, la nécessité d’en bien faire connaître les causes m’oblige à rendre mon récit plus détaillé : je tâcherai cependant de n’y rien faire entrer d’inutile, et de concilier, autant que possible, dans l’exposé des faits qui vont suivre, la rapidité essentielle à un précis, avec cette clarté, sans laquelle l’histoire des peuples n’offre à l’esprit qu’un labyrinthe inextricable à travers des déserts arides.

La mort de Charles le Sage (1380) replongea la France dans l’abîme de maux dont il l’avait fait sortir. Le nouveau roi, Charles VI, n’étant encore âgé que de douze ans, les ducs d’Anjou, de Berry, et de Bourgogne, frères du feu roi, et le duc de Bourbon, son beau-frère, eurent des contestations au sujet de la régence. L’usage voulait qu’elle appartînt au duc d’Anjou ; mais Charles V connaissant l’avidité et la violence de ce prince, avait cru devoir limiter son pouvoir. On décida que le roi serait sacré dans quelques mois ; que jusqu’alors le duc d’Anjou gouvernerait en qualité de régent, et qu’aussitôt après le sacre, Charles VI, déclaré majeur avant l’âge, gouvernerait en son propre nom, par le conseil de ses quatre oncles.

30Le duc d’Anjou profita de sa courte régence pour s’emparer du trésor amassé par Charles V, et augmenta les impôts que ce bon roi avait ordonné de diminuer. Le peuple de Paris se révolta, demanda la suppression des taxes, l’obtint de la frayeur du gouvernement, s’enhardit par ce succès, pilla les maisons des juifs, commit toutes sortes d’excès ; une assemblée des États généraux tenue à Paris, fit renoncer le roi, par un acte authentique, à tout ce qui avait été innové depuis Philippe le Bel ; une armée anglaise, qui s’était engagée témérairement au milieu du royaume, et qui, entourée de toutes parts, allait périr victime de l’imprudence de ses chefs, profita de ces troubles pour se réfugier en Bretagne.

Les Bretons craignaient la domination française ; mais ils haïssaient les Anglais. Ils obligèrent leur duc à s’accommoder avec le roi. Montfort fut reconnu duc de Bretagne, s’engagea à payer les frais de la guerre, à servir le roi contre l’Anglais et le Navarrais, et vint à Paris prêter hommage. Mais avant de signer le traité, il avait fait une protestation secrète contre les engagements qu’il allait prendre. Un pareil trait n’a pas besoin de commentaire.

Cependant le duc d’Anjou, adopté par Jeanne, reine de Naples, ne songeait qu’à s’assurer la possession de ce royaume aux dépens des richesses 31de la France. De nouvelles vexations excitèrent de nouvelles révoltes ; et l’abolition des impôts fut un nouveau triomphe pour la populace.

Enfin le duc d’Anjou partit pour aller disputer au fond de l’Italie un trône funeste, qui ne devait point passer à sa postérité. Son départ livra les rênes de l’État à l’ambition du duc de Bourgogne ; car le duc de Berry avait trop de faiblesse, et le duc de Bourbon trop de modération, pour contre-balancer son pouvoir.

Les Flamands se révoltèrent contre leur comte (1382), qui implora le secours du jeune roi. Le duc de Bourgogne, gendre et héritier du comte de Flandre, eut peu de peine à intéresser Charles VI à la cause de son beau-père. La bataille de Roosebeke abattit, sans le dompter, l’orgueil féroce de ce peuple, toujours ennemi de ses maîtres, et qui suçait avec le lait la haine de la France. Plusieurs prisonniers refusèrent le pardon que le roi voulait leur accorder.

Le roi est assez puissant, dirent-ils, pour assujettir les corps, mais non pas les espritz des Flamands. Quant on nous aura tous tuez, nos os se rassembleront pour combactre.

Les Parisiens virent dans la chute des Flamands (1383) l’annonce de leur propre humiliation. Ils sentaient que l’impunité de leur révolte ne pouvait se prolonger qu’avec la faiblesse du 32gouvernement. Loin de prendre part à la gloire de ses armes, ils témoignèrent leurs craintes et leur mécontentement par un silence morne et farouche.

Avouons que si la conduite de ce peuple avait été coupable à quelques égards, celle du gouvernement n’avait pas été moins répréhensible. Ce reproche, au reste, ne peut s’appliquer à Charles VI encore enfant, mais seulement aux princes qui le gouvernaient. On va voir s’ils continuèrent à le mériter.

Le roi entre dans la ville avec son armée victorieuse ; trois cents coupables, quelques innocents, sont arrêtés et chargés de fers ; les habitants sont désarmés ; les exécutions commencent ; les haines particulières, plus que la justice, y président. Au bout de quelques jours, le roi déclara qu’il commuait en peine civile, c’est-à-dire, en contributions, la peine criminelle que la ville avait encourue. Les amendes furent portées à l’excès, et il n’en revint pas le tiers au trésor. On rétablit tous les impôts. Plaignons Charles VI, et n’oublions pas que ce prince, destiné à une minorité perpétuelle, n’était alors et ne fut jamais roi que de nom.

Le jeune roi d’Angleterre, Richard II, était aussi gouverné par des oncles ambitieux, dont la tyrannie produisait à peu près les mêmes résultats.

33Les Flamands lui demandèrent de les secourir dans leur révolte contre leur prince : à l’exemple d’Édouard III, le gouvernement anglais crut devoir s’allier à ce peuple, et le soutenir dans une entreprise dont le succès semblait devoir porter atteinte à la puissance française.

Justement à cette époque, l’anti-pape Urbain VI faisait publier une croisade contre les partisans de Clément VII, son compétiteur. Un évêque anglais, nommé généralissime de la croisade, se trouva bientôt à la tête d’une armée nombreuse. Oubliant alors les intérêts de l’Église pour ceux de l’Angleterre, il se jeta sur les terres du comte de Flandre, et l’accabla avec d’autant plus de facilité, que le comte, zélé partisan d’Urbain VI, était loin de s’attendre à cette attaque. L’histoire de Jeanne d’Arc offre un pareil exemple de la violation de tous les principes, dans la conduite d’un cardinal de la maison d’Angleterre35. La perfidie n’a pas toujours un heureux succès : Charles VI chassa les Anglais et rétablit le comte de Flandre. Celui-ci mourut bientôt après, laissant ses vastes États à sa fille unique, épouse de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, qui devint ainsi un des princes les plus puissants de l’Europe, et qui fit souvent repentir son roi d’avoir contribué à sa grandeur.

34(1386) Le projet de porter la guerre en Angleterre flattait le courage chevaleresque du jeune roi. On fit au port de l’Écluse un armement formidable ; quinze cents vaisseaux devaient transporter cent mille hommes sur la rive ennemie. Le roi n’attendait que le duc de Berry pour s’embarquer, et envoyait à chaque instant de nouveaux messagers pour presser son voyage : il n’arriva que lorsque la saison ne permettait plus de mettre à la voile. On croit que, vendu aux Anglais, il avait voulu faire avorter l’entreprise : peut-être sa jalousie contre ceux qui l’avaient conçue fut le principal motif de sa conduite. Bientôt après, les vents et la tempête détruisirent cette immense armée navale qui avait tant coûté à rassembler. Un nouvel armement n’eut pas un succès plus heureux.

(1388) Charles VI, fatigué d’obéir aux ducs de Berry et de Bourgogne, prit en mains les rênes de l’État, et mit le connétable de Clisson à la tête du conseil. Ce changement de gouvernement ne pouvait avoir lieu sans entraîner la chute des créatures de ces princes. Pierre de Craon, seigneur puissant et abandonné à tous les crimes, se retira chez le duc de Bretagne, qui lui persuada que Clisson était l’auteur de sa disgrâce. Depuis longtemps une haine cruelle animait l’un contre l’autre, le duc de Bretagne et le connétable : le duc soupçonnait Clisson, avec beaucoup 35d’apparence, de vouloir rétablir la maison de Blois. Animé par les discours de ce prince, Craon se rend secrètement à Paris, suivi d’une troupe d’assassins, attaque de nuit le connétable, qui sortait du bal avec peu de suite, le voit tomber de cheval, le croit mort et prend la fuite. Les blessures de Clisson n’étaient point mortelles ; il guérit, et le roi jura de le venger36.

Il somma le duc de Bretagne de lui livrer l’assassin qui s’était réfugié dans ses États. Le duc feignit d’ignorer sa retraite. Le roi marcha vers la Bretagne à la tête de son armée. Les princes, jaloux de Clisson, qui abusait à son tour du pouvoir comme ils en avaient eux-mêmes abusé, condamnèrent hautement cette entreprise : le roi chérissait son ministre ; il n’écouta que son cœur.

(1392) Un accident, qui put être l’effet du hasard, mais que beaucoup d’auteurs ont cru préparé par les princes, arrêta la marche du roi, sauva le duc de Bretagne, et perdit la France. Charles traversait la forêt du Mans, au mois d’août, pendant la plus grande chaleur du jour ; durant toute la matinée les rayons d’un soleil ardent avaient dardé sur sa tête, et il venait de remettre son casque à l’un de ses pages. Tout à coup une espèce de spectre, les yeux étincelants, les pieds et la tête nus, couvert d’une longue robe blanche, 36s’élance d’entre les arbres, saisit le cheval du prince par la bride, et lui crie d’une voix terrible :

— Roy, ne chevauche pas plus avant, retourne, car tu es trahi.

Quelques instants après, le page qui portait la lance du roi la laissa tomber sur le casque d’un autre page. Au bruit qu’il entend, le prince entre en fureur ; il se croit attaqué, trahi, environné d’assassins ; tirant son épée, il s’élance, frappe, renverse tout ce qui s’oppose à son passage. Enfin, son épée se rompt, ses forces s’épuisent ; on s’approche, on le saisit, on le transporte au Mans, accablé de fatigue, chargé de liens, et dans un état de stupeur et d’égarement plus déplorable que la mort même37. Jamais, depuis cet instant, Charles ne recouvra entièrement l’usage de ses facultés morales ; il n’eut plus que des intervalles de raison, suivis de rechutes cruelles. Et son règne devait encore se prolonger pendant trente années !

Elles furent désastreuses pour la France. À peine le roi eut-il laissé échapper les rênes de l’État, que les ducs de Bourgogne et de Berry, ses oncles, s’en ressaisirent. Clisson et ses partisans prirent la fuite.

(1395) Dans l’espoir d’affermir leur autorité par un 37bienfait propre à leur attirer la reconnaissance de la nation, les princes cherchèrent à rétablir la paix entre la France et l’Angleterre, tentative vingt fois renouvelée, depuis vingt-sept ans, et toujours sans succès. La guerre presque perpétuelle que s’étaient faite les deux peuples, depuis l’avènement de Philippe de Valois au trône, avait accru leurs motifs généraux de rivalité et de haine, de la masse toujours croissante des ressentiments particuliers. Cependant Richard II, méprisé et haï de ses sujets, inclinait à former avec la France une union propre à fortifier son pouvoir. Il fit demander à Charles VI, et obtint sa fille Isabelle en mariage38. On conclut une trêve de vingt-huit ans39, qui, sans anéantir les prétentions réciproques, semblait en consacrer l’abandon. N’était-ce pas en effet reconnaître en quelque sorte les Valois légitimes possesseurs de la couronne de France, que de s’imposer, devant Dieu et les hommes, les devoirs d’un fils envers un prince de cette maison ? Le Prince noir, au reste, par la conduite qu’il tint envers le roi Jean, son prisonnier, après la bataille de Poitiers, le servant lui-même, et refusant de s’asseoir à sa table40, avait déjà tacitement témoigné, 38longtemps auparavant, qu’il reconnaissait non-seulement les droits de cette maison à la couronne, mais même la suzeraineté qu’elle réclamait sur la Guyenne.

Malheureusement le peuple anglais voyait avec dépit la perte que ses rois avait faite de la Normandie, perte, dont la reprise de la Guyenne, que les Français n’avaient pas su longtemps conserver, ne consolait pas l’orgueil britannique ; Brest et Cherbourg rendus pour de l’argent, le premier au duc de Bretagne, et le second au roi de Navarre, ajoutaient au mépris de la nation pour Richard II. Celui-ci accablait ses sujets d’impôts, et les dissipait sans discernement. Le jeune Henri, duc de Lancastre, son cousin germain, profita de ces circonstances pour lui arracher le sceptre, l’enferma dans une prison, et l’y fit assassiner41.

(1399) L’alliance de Richard II avec la maison de France ne permettait pas qu’elle vît avec indifférence cet horrible attentat. Mais les troubles du royaume, produits par les divisions de la cour et par les exactions du gouvernement, empêchèrent qu’elle ne mît obstacle à l’usurpation de 39Henri. (1400) Louis, duc d’Orléans, frère unique du roi, prince qui poussait la galanterie jusqu’au libertinage, la libéralité jusqu’à la dissipation, le courage jusqu’à la témérité, et qui, dans ce moment, s’était presque entièrement emparé de l’autorité au préjudice de ses oncles, se montra cependant sensible aux infortunes de sa nièce, la reine Isabelle ; il envoya à l’usurpateur un défi (1403) que l’histoire nous a conservé, que Henri déclina, et qui ne produisit rien42.

Le comte de Saint-Paul, gendre de Richard II, déclara à Henri IV qu’il lui nuirait de toute sa-puissance, descendit dans l’île de Wight, pilla deux ou trois places, et fut enfin repoussé par les habitants43. Sept Français défièrent sept Anglais à un combat dont le prix devait être, pour chacun des vainqueurs, un anneau d’or orné d’un diamant. Ce combat eut lieu entre Blaye et Montendre. Le chevalier de Lescale était le chef des Anglais. Les Français étaient tous de la maison du duc d’Orléans. C’étaient le célèbre Barbazan, chef de l’emprinse (de l’entreprise) ; Guillaume Bataille, sénéchal d’Angoulême ; Guillaume du Chastel ; Pierre de Bréban, surnommé Clignet ; Jean de la Champagne ; Jean de Caronys, et Archambaut de Villars. Les six premiers étaient 40chevaliers ; le jeune Villars, que nous verrons reparaître avec éclat dans la suite de cette histoire ; n’avait encore été admis qu’au grade d’écuyer. Les Français emportèrent les anneaux de leurs adversaires44.

Il est triste d’avoir à reconnaître que le duc Louis manqua à toutes les lois de l’honneur et aux premiers devoirs de l’humanité, dans la conduite qu’il tint à peu près à la même époque envers le roi son frère. Les liaisons de la reine Isabelle de Bavière, femme de Charles VI, avec le duc d’Orléans, passaient, dit-on, les bornes d’une intimité légitime ; et tous deux oubliaient, au milieu des plaisirs et des fêtes, de pourvoir aux premiers besoins du monarque. Ses enfants manquaient également du nécessaire. Leur gouvernante avoua un jour au roi que

souvent ils n’avoient que manger ne que vestir.

— Hélas ! répondit-il, je ne suis pas mieux traité.

On frémit d’horreur, en lisant qu’il resta plus de cinq mois sans se coucher ni changer de linge. À peine daignait-on songer qu’il existât45. Tel était le sort du plus doux, du plus loyal et du 41meilleur des princes ; de ce roi qui répondait à quelqu’un qui accusait un homme d’avoir mal parlé de lui :

— Cela n’est pas possible, je lui ai fait du bien46.

(1404) La mort de Philippe, duc de Bourgogne, sembla rendre le duc d’Orléans maître absolu du royaume ; mais le nouveau duc de Bourgogne, Jean, surnommé sans Peur, prince ambitieux, dissimulé et cruel, préparait sourdement sa chute, et peut-être méditait déjà sa mort. Il s’opposa à l’établissement d’une nouvelle taxe, et devint aussitôt l’idole du peuple. Feignant de se croire en danger, il se retire dans ses États, et porte par-là au plus haut degré l’intérêt qu’il avait eu l’art de faire naître. (1405) Le duc d’Orléans et la reine, ses antagonistes, cèdent aux clameurs des Parisiens, et le rappellent au conseil : il revient, mais à la tête d’une armée. La reine et le duc, effrayés, quittent Paris, veulent enlever le Dauphin : Jean sans Peur court après lui, le ramène, et rentre en triomphe dans la capitale. Le duc d’Orléans, blessé des orgueilleuses prétentions de l’Université, alors si puissante, l’avait traitée avec hauteur ; elle se déclara pour le Bourguignon, et ajouta le poids de son autorité à la faveur populaire47.

42Cependant le duc d’Orléans, retiré à son tour dans ses domaines, y réunit la foule de ses partisans. Toute la noblesse, blessée des lâches complaisances du Bourguignon pour la populace, accourt avec empressement sous les drapeaux de son rival. Une guerre sanglante allait éclater ; le succès paraissait incertain : Jean prend soudain son parti : il négocie, il paraît vouloir partager l’autorité, il se réconcilie avec son adversaire. Apparences trompeuses ! réconciliation funeste ! (1407) Tout annonçait de la part du Bourguignon l’union la plus sincère ; selon l’usage du temps, il avait couché dans le même lit avec le duc d’Orléans ; il venait de communier à la même messe, et de signer un acte de confraternité inviolable : le lendemain même de cette auguste cérémonie, le duc d’Orléans tombe sous les coups d’une troupe d’assassins48.

Le Bourguignon, joignant l’hypocrisie au crime, affecta d’abord l’indignation la plus vive et la plus profonde douleur.

— Oncques mais, [s’écriait-il,] on ne perpétra en ce royaulme si maulvais ne si traistre meurdre !

Mais le prévôt de Paris ayant rapporté au conseil qu’un des assassins s’était réfugié dans le palais de ce prince, Jean, tremblant 43et déconcerté, tira le duc de Berry à l’écart, et lui avoua

que le diable l’avoit tenté et surprins.

Le lendemain, il ose encore venir au conseil : on lui en refuse l’entrée ; il s’épouvante, et prend la fuite49.

Revenu de sa première terreur, il refuse toutes les satisfactions ; il ose se vanter de son crime, rassemble son armée, rentre dans Paris aux acclamations d’une populace féroce, et arrache au roi, vain fantôme, jouet de tous ses tyrans, la permission de faire publiquement l’apologie de sa conduite. Un docteur de l’université, le cordelier Jean Petit, prononça un long discours divisé en douze arguments, en l’honneur des douze apostres, où, après avoir représenté le prince assassiné comme un monstre digne de mille morts, il conclut qu’on devait récompenser l’auteur du meurtre,

à l’exemple des remunérations qui furent faictes à monseigneur Sainct Michel l’Archange, pour avoir tué le deable.

Pas une voix n’osa s’élever contre tant d’atroces absurdités, et le roi fut forcé de signer les lettres d’abolition qu’il plut au duc de lui dicter50.

(1411) Cependant le jeune duc d’Orléans, fort du secours de son beau-père le comte d’Armagnac, entreprend de venger la mort de son père. Il envoie au duc de Bourgogne un défi conçu en ces termes :

Charles, duc d’Orléans et de Valois, etc., et Jehan, comte d’Angoulesme, frères à toi, Jehan, qui te dis duc de Bourgongne ; pour le très horrible meurtre par toy faict de guet à pens, par meurtriers affectez, en la personne de nostre très cher et très redoubté seigneur et père, nonobstant plusieurs sermens, alliances et compaignies d’armes qu’avois à luy ; et pour les grans traïsons, des loyaultez, deshonneur et mauvaistiés, que tu as perpetrés contre nostre souverain seigneur, monseigneur le roy, nostre souverain seigneur, et le tien… Te faisons sçavoir que de ceste journée ensuivant, nous te nuirons de toute nostre puissance, et par toutes les manières que nous pourrons ; et contre toy, et de ta desloyaulté et traïson, appelions Dieu et raison à nostre aide, et tous les preud’hommes de ce monde51.

Jean sans Peur répondit :

À toy, Charles, qui te dis duc d’Orléans, et à toy, Jehan, qui te dis comte d’Angoulesme, qui nagueres nous avez escript vos lectres de deffiance : Faisons sçavoir, et voulons 45que chascun sçaiche, que, pour abatre les tres horribles traïsons, tres grans mauvaistiés, et aguet à pensés, conspirés, machinés et faictes felonnement à l’encontre de monseigneur le roy, nostre très redoubté et souverain seigneur et le vostre, et contre sa très noble generation, par feu Louis vostre père, faulx et desloyal trahistre, de parvenir à la finale execution détestable à laquelle il a contendu à l’encontre de nostredict très redoubté seigneur et le sien… si faulse et notoirement que nul preud’homme ne le debvoit laisser vivre, et mesmement nous, qui sommes cousin germain de mondict seigneur, doyen des pairs, et deux fois pairs, et plus astraincts à lui et à sadicte generation que aultre quelconque de sadicte generation… Avons, pour nous acquiter loyaulment et faire nostre debvoir… faict mourir ainsi qu’il debvoit ledict faulx et desloyal trahistre ; et ainsi avons faict plaisir à Dieu, service loyal à nostredict redoubté et souverain seigneur, exécuté à raison. Et pour ce que toy et tesdictz frères ensuivez la trace faulse, desloyale et félonne de vostredict feu père, cuidans (croyant) venir aux dampnables et desloyaubx faicts, à quoy il contendait ; avons très grande liesse au cueur desdictes deffiances. Mais du surplus contenu enicelles, toy et tesdictz frères avez menty et mentés 46faulsement, maulvaisement et desloyaulment, trahistres que vous estes ! et dont, à l’aide de Nostre Seigneur, qui sçait et congnoist la très entière et parfaicte loyaulté, amour, et bonne intention, que tousjours avons et aurons tant que vivrons à nostredict seigneur, à sadicte génération, au bien de son peuple et de tout son royaulme, vous ferons venir à la fin et punition telle que telz faulx et desloyaulx trahistres, rebelles, et désobéissans fêlons, comme toy et tesdictz frères estes, doibvent venir par raison52.

On voit qu’à défaut d’arguments, le Bourguignon n’était pas avare d’invectives.

La France se vit alors partagée entre les Bourguignons et les Armagnacs : on donnait ce dernier nom aux partisans de la maison d’Orléans, à cause du comte d’Armagnac, beau-père du jeune duc, et véritable chef du parti. De tous côtés le sang commença à couler. Les bouchers de Paris, dignes auxiliaires du duc de Bourgogne, signalèrent leur férocité contre ses ennemis. Plusieurs des principaux citoyens prirent la fuite. C’était peu de ces désordres : pour mettre le comble aux malheurs du royaume, les deux partis mendièrent les secours de l’Angleterre, toujours empressée de prendre part à nos discordes 47intestines. (1413) Un accommodement passager permit de renvoyer les étrangers, et fit concevoir quelques espérances de calme ; mais le duc de Bourgogne, fidèle à son caractère, n’avait voulu que se ménager de nouvelles trahisons. Trompé, cependant, dans le projet qu’il avait formé d’enlever le roi, il vit la cour et le peuple même, ce peuple facile à égarer, mais qui perd difficilement tout son amour pour ses maîtres légitimes, changer subitement à son égard, et détester comme un traître et un meurtrier, le même homme dans lequel il avait, quelque temps auparavant, cru voir un ange libérateur. Forcé de fuir, déclaré ennemi de l’État, poursuivi par le roi en personne, le duc fut contraint de céder aux conjonctures, et ploya une fois devant la majesté souveraine. On signa trois fois la paix : à Chartres, à Bourges, à Auxerre ; mais ces traités ne furent que de vains hommages arrachés à la rébellion par la nécessité53.

Cependant le célèbre Henri V avait succédé en Angleterre à son père, l’usurpateur Henri IV. (1414) Celui-ci, environné d’ennemis domestiques, n’avait pu profiter des malheurs de la France. Henri V, fort du calme qu’il avait réussi à établir dans ses États par un gouvernement juste, ferme 48et sévère, demanda à la France la Guyenne et le comté de Ponthieu, en toute souveraineté, et la main de la princesse Catherine, fille du roi de France, avec une riche dot. On éluda ces propositions. L’année suivante (1415), Henri choisit l’instant où de nouveaux troubles menaçaient de bouleverser la France, pour adresser au roi des demandas encore plus extraordinaires. Ses ambassadeurs vinrent réclamer sans détour la couronne de France, en vertu des prétendus droits d’Édouard III : puis, revenant à des propositions plus modérées (leur première demande n’avait eu pour but que d’effrayer), ils se bornèrent à exiger, au nom de Henri V, la restitution de toutes les provinces françaises possédées jadis par ses ancêtres (on se rappelle à quels titres), pour appartenir désormais aux rois d’Angleterre en toute souveraineté. On offrit à Henri la restitution de la partie de la Guyenne restée au pouvoir de la France, et quelques pays adjacents. Il rejeta cette proposition, et envoya au roi une lettre menaçante, dans laquelle il l’appelait le prince Charles, nostre cousin et adversaire de France. Cette lettre tint lieu de déclaration de guerre54.

Pensant profiter de la première surprise de la 49France, Henri, qui avait tout préparé de longue main, s’embarque sans perdre un moment, vient assiéger Harfleur et s’en empare. Au bruit de cet événement, la nation oublie les dissensions qui l’agitent, la noblesse suspend toutes les querelles particulières ; on n’éprouve qu’un besoin, on ne forme qu’un vœu, l’expulsion de l’étranger. Une armée, quatre fois plus nombreuse que celle de Henri V, se trouve formée comme par enchantement ; tout semble conspirer contre lui : la tempête dissipe sa flotte, les maladies dévorent ses troupes ; il fuit, on l’environne ; la famine se joint aux maladies pour détruire son armée ; il était perdu : l’imprudence, l’étourderie, l’impétuosité françaises, l’ignorance du connétable d’Albret, changent tout à coup la fortune, arrachent la victoire des mains de nos guerriers, et la livrent au héros de l’Angleterre. Les ducs d’Orléans et de Bourbon, une foule de grands seigneurs, tombèrent dans ses fers ; plus de huit mille gentilshommes couvrirent de leurs cadavres les champs funestes d’Azincourt. Deux ou trois mille prisonniers furent égorgés de sang-froid par l’ordre du vainqueur, et sur une alarme sans fondement, un quart d’heure après la victoire55.

Henri V manquait d’argent et de troupes, il fut forcé de repasser la mer ; mais il laissait dans le sein de la France une plaie profonde, dont ses agitations intérieures, qui se renouvelèrent bientôt, ne lui permirent pas de guérir.

Le comte d’Armagnac, devenu connétable et surintendant du royaume, s’était emparé d’un pouvoir despotique. Des exactions continuelles, des violences arbitraires, le firent abhorrer. (1416) Il proscrivit les partisans du duc de Bourgogne, et celui-ci se lia secrètement avec Henri V, par un traité où il le reconnaissait pour roi de France56. Uni au nouveau dauphin, qui fut depuis le roi Charles VII (les deux premiers dauphins étaient morts à peu de distance l’un de l’autre), le connétable ne garda aucun ménagement avec la reine Isabelle de Bavière, femme de l’infortuné Charles VI, et osa même lui enlever un trésor qu’elle avait amassé aux dépens du royaume. Cette princesse vivait à Vincennes dans un désordre public, dont le dauphin crut devoir avertir son père : Charles VI surprit un de ses 51amants, et le fit jeter dans la Seine. (1417) Conduite à Tours, on l’y retint comme prisonnière. Isabelle, jusqu’alors ennemie déclarée de Jean sans Peur, changea tout à coup de sentiments, et se ligua avec ce monstre pour se venger à la fois de son époux et de son fils. Le duc ayant réussi à l’enlever de Tours, elle établit un parlement à Troyes, reprit le titre de régente, que Charles VI lui avait une fois accordé, et qu’elle prétendait être irrévocable, et plongea par-là la monarchie dans un état de confusion qui présentait l’image du chaos57, et pendant lequel le roi d’Angleterre reprit le cours de ses conquêtes58.

(1418) Introduit dans Paris par un traître, le duc de Bourgogne y surprend ses ennemis sans défense. Sa faction reprend le dessus ; un massacre horrible signale son triomphe. Les prisons, où l’on avait d’abord entassé les malheureux connus pour avoir appartenu au parti contraire, sont livrées à la populace et regorgent bientôt de sang et de cadavres. Le connétable d’Armagnac, le chancelier, plusieurs évêques, un grand nombre de magistrats, une foule de citoyens, sont mis en pièces, traînés dans les flots de la Seine, précipités 52 du haut des tours sur les lances des soldats. Le bourreau, à la tête de la populace, présidait à ces scènes de carnage. On vit le duc de Bourgogne conférer avec lui, le traiter amicalement, et celui-ci lui prendre familièrement la main, en signe d’union et de fraternité59. La reine accourut : son entrée fut un véritable triomphe. Douze cents hommes formaient sa garde. Elle parut sur un char orné de tout ce que le luxe du temps pouvait inventer de plus fastueux. On jonchait de fleurs les rues qu’elle devait parcourir, ces rues teintes encore du sang de tant de victimes. Des cris d’allégresse, des chants de victoire, retentissaient autour d’elle60… Bientôt une horrible contagion vint punir Paris de sa joie homicide. D’après le dénombrement qu’on en fit, cent mille personnes, la plupart dans la fleur de la jeunesse ou dans la force de l’âge, furent inhumées entre les deux journées de la Nativité de Notre-Dame et de la Conception61. Laissons l’incrédulité, obstinée dans son aveuglement, demeurer insensible à de si grandes manifestations de la justice divine.

Le jeune dauphin, enlevé de son lit par Tanneguy 53 du Chastel, n’avait dû la vie qu’au dévouement de ce guerrier, qui avait eu le bonheur de parvenir à la Bastille avec ce précieux fardeau, la dernière espérance du royaume. Suivi d’une grande partie du parlement, ce prince se retira vers la Loire, et rallia autour de lui tous ceux qui purent échapper au fer des assassins.

Henri V ne laisse pas échapper des circonstances si favorables à l’accomplissement de ses vues ambitieuses. Il ordonne de nouvelles levées, il réunit ses forces, il s’empare de presque toute la Normandie.

Le benoist Dieu, — répondit-il à un légat qui faisait de vains efforts pour lui inspirer des sentiments plus généreux, — le benoist Dieu m’a inspiré et donné volunté de venir en ce royaulme, pour chastier les subjectz, et pour en avoir la seigneurie comme vray roy. Toutes les causes pour lesquelles ung royaulme se doibt transférer en aultre main ou personne, y régnent et s’y font : c’est le plaisir du benoist Dieu que en ma personne la translation se face, et d’avoir possession du royaulme, auquel j’ay droict62.

Rouen résistait encore au vainqueur d’Azincourt.

Ce siège est un des plus mémorables de notre histoire. Les habitants signalèrent par des prodiges de zèle leur courage et leur fidélité : s’ils 54n’avaient pas été trahis, Henri aurait vu échouer sa fortune devant leurs remparts. Ils avaient brûlé leurs faubourgs avant que les ennemis eussent fait les approches de la place. Dès le commencement du siège, les Anglais s’étaient emparés du fort de Sainte-Catherine ; peu de temps après, la prise de Caudebec acheva de les rendre maîtres de tous les passages de la Seine, qu’ils fermèrent entièrement avec un triple rang de chaînes de fer, le premier suspendu dans le fleuve même, le second à fleur d’eau, le dernier à deux pieds d’élévation. Les vivres manquèrent presque aussitôt que la navigation fut interrompue. Les ennemis ne s’étaient rendus devant Rouen que vers la fin du mois d’octobre, la famine régnait déjà dans la ville. Guy Bouteiller, gouverneur, établi par le parti bourguignon, avait absolument négligé les précautions nécessaires, soit pour l’approvisionnement, soit pour la sûreté de la place. Toute sa conduite ne servit qu’à découvrir en lui un traître dès longtemps vendu au roi d’Angleterre. Ce fut toujours par lui que ce prince fut informé des résolutions qui se prenaient dans la ville.

Henri, pour inspirer de la terreur, fit menacer les habitants de les exterminer, s’ils s’opiniâtraient à se défendre. Bientôt passant des menaces aux effets, on dressa par ses ordres, 55autour de la ville, des potences, auxquelles on attachait les prisonniers de guerre. Ces menaces et ces exécutions, plus dignes d’un chef de barbares que d’un prince généreux, excitèrent, non la crainte, mais l’indignation. On fit de fréquentes sorties. Les intrépides Rouennais portèrent plus d’une fois l’alarme jusqu’aux tentes du monarque anglais. Leur artillerie foudroyait le camp, tandis que celle des ennemis renversait leurs murailles. Les brèches étaient réparées avec une promptitude inconcevable. Toutes les machines dont on possédait alors l’invention furent mises en usage de part et d’autre, balistes, griotes, bombardes, canons, etc. On était à la fin de novembre, et le siège n’était guère plus avancé que dans le mois d’août. Le roi d’Angleterre, comptant sur les intelligences qu’il entretenait dans la place, informé, de plus, de la situation des habitants, commençait à ne plus presser les attaques avec tant d’ardeur, persuadé que dans peu la nécessité les contraindrait de se rendre. Il avait d’ailleurs une armée trop faible pour emporter par un assaut général, une ville que défendait un peuple aussi nombreux que brave. Ce peuple, devenu guerrier par zèle, et par l’horreur que lui inspirait un joug étranger, s’excitait lui-même à de nouveaux efforts, toujours flatté 56 par l’espoir d’un secours prochain, tant promis à ses députés, et dont il était si digne. La famine rendait de jour en jour cette assistance plus nécessaire. On fait monter à cinquante mille le nombre des habitants qui périrent pendant le siège. Douze mille personnes des deux sexes sortirent de la ville comme bouches inutiles, espérant passer à travers le camp des assiégeants ; elles furent impitoyablement repoussées jusqu’aux fossés qui bordaient les remparts, où elles demeurèrent exposées à toutes les injures de l’air, aux horreurs de la faim, de la soif, aux traits des ennemis et de leurs propres compatriotes. Par un étrange effet de barbarie et de piété, on tirait dans des corbeilles, au haut des murailles de la ville, les enfants nouveau-nés des malheureuses qui venaient d’accoucher dans les fossés ; on leur administrait le baptême ; on rendait ensuite par la même voie ces innocentes victimes à leurs mères expirantes, comme si l’on eût appréhendé que leur séjour n’eût augmenté la disette de la ville où l’on se disputait, où l’on s’arrachait les plus vils aliments. Tous les expédients funestes que la faim peut imaginer pour s’assouvir ou se faire illusion, étaient épuisés, on ne parlait point encore de se rendre. Six députés, ayant trompé la vigilance des assiégeants, se rendirent à Paris, ils firent une 57 exposition si touchante de l’affreuse situation de leurs concitoyens, que le parlement nomma des magistrats de son corps pour aller avec eux faire de nouvelles instances auprès du roi et du duc de Bourgogne.

— Très excellent prince, dit l’un d’eux en s’adressant au monarque, il m’est enjoinct par les habitants de la ville de Rouen à crier contre vous, et aussi contre vous, sire de Bourgongne, qui avez le gouvernement du roy et de son royaulme, le grant harou, lequel signifie l’oppression qu’ilz ont des Engloys ; et vous mandent par moy, que si, faulte de vostre secours, il convient qu’ilz soient subjectz au roy d’Engleterre, vous n’aurés en tout le monde pires ennemis qu’eulx ; et s’ilz peuvent, ilz destruiront vous et vostre génération.

Le duc, affectant devant les députés une sensibilité qu’il n’éprouvait pas, renouvela ses promesses, leur donna sa parole d’honneur de marcher incessamment en personne contre les Anglais. On avait publié l’arrière-ban ; de nouveaux ordres de prendre les armes furent annoncés dans les provinces ; la cour s’avança jusqu’à Béarnais, où le rendez-vous des troupes était indiqué. Enfin ces secours tant vantés et si souvent promis, se réduisirent à faire attaquer l’armée anglaise par un détachement de dix-huit cents hommes, qui furent repoussés avec perte.

58Les habitants de Rouen, toutefois, ne perdaient pas courage. Ils étaient excités principalement par Alain Blanchard… Ce chef du peuple était devenu un héros. Ils entreprirent, sous sa conduite, de faire une sortie au nombre de dix mille : déjà une partie avait pénétré jusqu’au camp ennemi, lorsque le pont, dont le perfide gouverneur avait fait scier les soutiens, s’abîma dans le fleuve avec tous ceux qui se trouvèrent dessus ; les autres furent obligés de rentrer dans la ville, en frémissant contre le lâche qui les trahissait63. Deux mille hommes qui se trouvaient enfermés entre l’ennemi et la rivière prirent le parti de vendre cher leur vie, et furent taillés en pièces64. Les Rouennais, au désespoir, envoyèrent pour la dernière fois sommer le roi de les secourir, ou de les tenir pour dégagés de leurs serments de fidélité. Le duc de Bourgogne promit positivement que l’armée française serait rendue sous les murs de Rouen le lendemain des fêtes de Noël. Au jour indiqué, il manda que, vu l’impossibilité de secourir la ville, on fît avec le roi d’Angleterre la capitulation la plus avantageuse que permettrait la conjoncture actuelle. Il fallut céder à la nécessité.

59Henri exigea d’abord que les assiégés se rendissent à discrétion. Une loi si dure parut aux habitants plus insupportable que la mort même65.

— Emportez-nous d’assaut, si vous aimez la gloire, dirent au roi d’Angleterre les députés de la ville, quand vous nous auriez réduits par famine, croiriez-vous nous avoir vaincus ?

Piqué de ce discours, Henri n’en fut que plus inflexible ; outrés de sa dureté, les habitants n’en furent que plus inébranlables66. Tous firent vœu de périr les armes à la main, en faisant une sortie générale, après avoir mis le feu dans tous les quartiers de la ville. Le roi d’Angleterre, instruit par le gouverneur de cette résolution désespérée, consentit à traiter. On rappela les députés. Les articles de la capitulation furent rédigés. Ils contenaient en substance que la garnison sortirait désarmée ; que les habitants paieraient en deux termes une contribution de trois cent mille écus ; qu’ils prêteraient serment de fidélité au roi d’Angleterre, comme à leur souverain ; qu’ils jouiraient de tous les privilèges qui leur avaient été accordés, tant par les rois d’Angleterre, ducs de Normandie, que 60par les rois de France, jusqu’à Philippe de Valois ; et qu’on remettrait au pouvoir de Henri un petit nombre de citoyens, parmi lesquels était Alain Blanchard. Ces victimes publiques fléchirent le monarque à force d’argent ; le seul Blanchard le trouva inexorable. Son courage, qui aurait dû le faire respecter, fut ce qui le perdit. On appréhendait qu’il n’excitât quelque tumulte. On eût dit que les Anglais n’osaient s’assurer de la paisible possession de leur conquête, sans ordonner son supplice. Il mourut avec une constance héroïque, qui dut faire rougir le vainqueur…

Ainsi Rouen retomba sous la domination anglaise deux cent quinze années après la confiscation, suivie de la conquête de cette place et de la province dont elle est la capitale, sous les règnes de Philippe-Auguste et de Jean sans Terre. Henri V y fit son entrée le 19 janvier de cette année. Par une bizarrerie assez singulière, il s’y fit suivre par un page portant une lance, à laquelle une queue de renard était suspendue. Il voulait probablement faire entendre, par cette singularité, qu’il ne devait pas moins la réduction de la ville à des manœuvres secrètes, qu’à la valeur de ses troupes. Il acheva de confirmer cette opinion, en confiant, sous le duc de Gloucester, son frère, le gouvernement de sa nouvelle conquête au perfide Bouteiller, 61devenu l’objet de l’exécration des Français et du mépris des Anglais. À quelque temps de là, Henri voulut encore donner à ce lâche une preuve plus sensible de sa protection, en lui faisant épouser la veuve du seigneur de La Roche-Guyon. Cette dame, fille du seigneur de La Rivière, rejeta cette alliance avec horreur, aimant mieux se voir privée de tous ses biens que de partager l’ignominie d’un homme déshonoré67.

Un des premiers actes d’autorité exercés dans Rouen par Henri V, fut de faire frapper une monnaie portant pour inscription : Henri, roi de France68.

La prise de Rouen entraîna la réduction du petit nombre des places de la province qui n’avaient pas encore subi le joug. La seule forteresse de Château-Gaillard, située sur la Seine, près des Andelys, eut l’honneur de tenir seize mois. La garnison, commandée par le brave Mauny, ne se rendit qu’à la dernière extrémité, lorsque les cordes dont elle se servait pour puiser de l’eau, lui manquèrent absolument69.

(1419) Henri s’empara du Vexin jusqu’à Mantes et jusqu’à Meulan. On tenta vainement plusieurs voies 62d’accommodement. Henri ne refusait jamais de négocier : les négociations étaient pour lui des moyens de diviser ses adversaires. Une trêve avait été conclue ; elle expirait le vingt-neuf juillet : la nuit du trente, le duc de Clarence surprit Pontoise, et s’en empara par escalade. Un auteur contemporain, témoin oculaire, rapporte de la manière suivante l’arrivée de cette nouvelle dans la capitale, et la consternation qu’elle y répandit.

Le penultiesme jour dudict moys (du mois de juillet) fut la feste de Saint Huistace (Eustache), qui fut faicte moult joyeulsement ; et lendemain, jour Saint Germain, tourna en si grant tribulacion que oncques fist feste. Car, à dix heures, ainsi qu’ilz (les magistrats de Paris) cuidoient ordonner d’aller jouer aux maretz, comme coustume estoit, vint à Paris ung grant effroy ; car par la porte Saint-Denis arrivèrent quelque vingt ou trente personnes, si effroyez comme gens qui estoient, n’avoient gueres, eschappez de la mort : et bien y paru ; car les aulcuns estoient navrez ; les aultres, le cueur leur failloit de paour, de chault, et de faing, et sembloient mieulx mors que vifz. Si furent artez (arrêtés) à la porte, et leur demanda l’on la choison (la cause) dont grant douleur leur venoit ? Et se prindrent à larmoyer, en disant : Nous sommes de Pontoise, qui a esté ceste 63journée au matin prinse par les Engloys pour certain ; et puis ont tué, navré, tout ce qu’ilz ont trouvé en leur voye ; et bien se tient pour bien curé (bien heureux) qui peut eschapper de leurs mains ; car oncques Sarrazins ne firent pis aux chrestiens, qu’ilz font.

Et ainsi qu’ilz disoient, et regardoient ceulx qui gardoient la porte devers Saint Ladre, et véoient (voyaient) venir grans tourbes (foule) de hommes, femmes et enffans, les ungz navrez, les aultres despouillez ; l’aultre portoit deux enffans entre ses bras ou en hostes (hottes) ; et estoient les femmes, les unes sans chapperon, les aultres en ung pouvre corcet, et aultres en leurs chemises ; pouvres prestres qui n’avoient que leurs chemises ou ung surpeliz vestu, la teste toute descouverte ; et, en venant, faisoient si grans pleurs, cris, et lamentacions, en disant : Dieu ! gardez-nous, par vostre grâce, de desespoir ! car huy (aujourd’hui) au matin, estions en noz maisons aisez et manans ; et, à medy (midi) ensuivant, sommes comme gens en exil, querans (cherchant) nostre pain. Et, en ce disant, les aulcuns se pasmoient ; les aultres s’asseoient à terre, si laz, et si dolorément, que plus ne povoient ; car moult avoient perdu aulcuns de sang ; les aultres estoient moult affebliz de porter leurs enffans ; car la journée estoit très chaulde et 64vaine : et eussiez trouvé entre Paris et le Landit quelque trois ou quatre cent ainsi assiz, qui recordoient (rappelaient) leurs grans douleurs, et leurs grans pertes de chevances et d’amys ; car pou (peu) y avait personne qu’il n’eust aulcun amy, ou amie, ou enffant, demouré à Pontoise. Si leur croissoit leur douleur tellement, lorsqu’il leur souvenoit de leurs amys qui estoient demourez entre ces crueulx tyrans engloys, que le povre cueur ne le povoit soustenir ; car foibles estoient moult, pour ce qu’encores n’avoit le plus (la plupart) beu ne mangé ; et aulcunes femmes grosses accouchèrent en la fuite, qui tost après moururent. Et n’est nul si dur cueur qui eust veu leur grant desconfort, qui se fust tenu de plourer ne larmoyer. Et toute la sepmaine ensuivant, ne finerent de ainsi venir, que de Pontoise, que des villaiges d’entour ; et estoient parmy Paris moult esbahis à grans tropeaulx ; car toute victaille estoit moult chère, especialement le vin ; car on n’avoit point de vin qui rien vaulsist (valût) pour moins de huit deniers la pinte, ung petit pain blanc huit deniers parisis, les aultres choses de quoy l’homme povoit vivre, par cas pareil70.

On se fera une idée de l’état de la France à 65cette époque désastreuse, par le tableau suivant que trace, dans un autre endroit, le même écrivain.

Par cette maldicte guerre (l’auteur entend parler et de la guerre entre la France et l’Angleterre, et de la guerre civile allumée entre les Bourguignons et les Armagnacs), par cette maldicte guerre tant de maulx ont esté faiz, que je cuide en telx soixante ans passez par devant, il n’y avoit pas eu au royaulme de France, comme il a esté de mal depuis douze ans en ça. Helas ! tout premier, Normendie en est toute exillée (déserte) ; et la plus grant partie, qui soulloit faire labourer, et estre en son lieu, luy, sa femme, sa mesine (ses enfants), et estre sans danger ; marchans, marchandises, gens d’église, moynes, nonnains, gens de tous estats, ont esté boutez hors de leurs lieux, d’estrangers (par des étrangers), comme eussent esté bestes saulvaiges ; dont il convient que les ungs truandent (mendient), qui soulloient (avaient coutume de) donner ; les aultres servent, qui soulloient estre servis ; les aultres, larrons et meurtriers par desespoir ; bonnes pucelles, bonnes preudes femmes, venir à honte, par effors, ou aultrement, qui, par nécessité, sont devenues maulvaises ; tant de moynes, tant de prestres, tant de dames de religion et d’aultres gentilsfemmes, avoir tout laissé par force, et mis corps et ame 66au desespoir, Dieu scet bien comment. Helas ! tant d’enffans mors nez par faulte d’ayde ; tant de mors sans confession par tyrannie, et en aultres manières ; tant de mors sans sepulture, en forest et aultre destour (solitude) ; tant de mariaiges qui ont esté délaissez à faire ; tant d’églises arses (brûlées), et abbeïes, et chapelles, maisons Dieu, malladreries, ou l’on soulloit faire le saint service Nostre Seigneur, et les œuvres de miséricorde, où il n’a mais que les places ; tant d’avoir mussé (d’argent caché), qui jamais bien ne fera, et de joyaulx d’église et de reliques, et d’aultres, que jamais bien ne feront, ce n’est d’adventure (si ce n’est par hasard)71.

Soit que le duc de Bourgogne ouvrît les yeux sur les maux et les dangers de la France, et qu’effrayé de la situation du royaume, il voulut sincèrement se rapprocher du dauphin ; soit que, fidèle à son premier système, il ne cherchât qu’à lui tendre des pièges, il parut désirer se réconcilier avec ce prince. Mais leur première entrevue sur le pont de Montereau, qui pouvait amener les résultats les plus heureux pour le royaume, donna lieu à l’un des événements les plus funestes qui soient consignés dans notre histoire. Après avoir attentivement comparé une foule de récits 67contradictoires72, où l’animosité des deux partis se montre davantage que l’amour de la vérité, il me semble très-probable qu’un mal-entendu et un mouvement instantané de colère et de vengeance causèrent la mort du duc de Bourgogne. Les deux princes venaient de se joindre à peine ; le duc, qui, selon l’usage, avait mis le genoux en terre pour saluer le dauphin, posa, en se relevant, la main sur son épée, pour la remettre à sa place73. Quelques paroles mêlées d’aigreur venaient d’être proférées74 ; presque tous ceux qui formaient la suite du dauphin avaient été attachés au duc Louis d’Orléans, assassiné par les ordres du duc de Bourgogne75 : frappés de l’idée que le duc voulait tirer l’épée pour en percer le dauphin, ou seulement saisis d’une fureur soudaine à la vue du meurtrier de leur ancien maître, ils s’élancèrent sur le duc et le massacrèrent. Il me paraît du moins à peu près évident que si un complot avait été formé, ni Tanneguy du Chastel, qui, selon un historien contemporain76, prit le dauphin dans ses bras et l’enleva de ce 68lieu d’horreur, ni Barbazan, surnommé le chevalier sans reproche, même par les Bourguignons, n’en eurent aucune connaissance. Quant au dauphin, les historiens qui l’accusent, malgré le caractère de bonté et de douceur qu’il montra toute sa vie, oublient que ce n’est guère à dix-sept ans qu’on résout de si noirs attentats. Le portrait suivant qu’en fait un auteur anglais justement estimé, prouve davantage à cet égard que tous les arguments qu’on pourrait opposer à ses détracteurs.

C’était le prince du monde du caractère le plus doux et le plus amical ; ses manières étaient aisées et familières ; son esprit, quoique un peu dépourvu d’énergie, était juste et sain. Généreux, sincère, affable, l’affection de ses partisans lui engageait leurs services, même lorsque sa mauvaise fortune leur eût rendu avantageux de l’abandonner77 ; et l’indulgence de son naturel lui faisait aisément pardonner 69ces boutades de mécontentement auxquelles les princes placés dans sa situation sont si souvent exposés. Le goût des plaisirs l’entraîna souvent à l’oubli de ses devoirs ; mais la bonté de son cœur brillait au milieu de ses fautes et le courage et l’activité qu’il déployait par intervalles, prouvaient que son indolence habituelle ne provenait ni d’un défaut de valeur, ni de ce qu’il manquât d’une juste et légitime ambition78.

Il est vrai qu’il eut le tort de conserver autour de sa personne les meurtriers du duc de Bourgogne ; mais il pouvait s’être mépris comme eux et les croire ses libérateurs. Tout prouve, d’ailleurs, que pendant la première moitié de sa vie, les circonstances déplorables dans lesquelles se trouvait ce malheureux prince, le rendirent constamment l’esclave de ceux qui l’environnaient.

Et de cette mort l’on parle encore diversement, touchant le consentement du daulphin dessusdict (dit un historien du temps, ancien et fidèle serviteur de la maison de Bourgogne) ; car aulcuns disent qu’il avoit sceu et consenty la conspiration du meurdre, et aultres disent qu’à l’occasion du rapport qu’on luy avoit faict de certaines alliances que l’on disoit avoir esté faictes entre ledict duc Jehan et les Angloys, 70 ledict daulphin avoit consenty que ledict duc Jehan fust prins et constitué prisonnier ; et qu’à l’occasion de sa jeunesse, il ne peut estre maistre de ceulx qui avoient gouvernement à l’entour de luy : par quoy l’homicide fut faict en sa présence, soubs couleur de ladicte prinse79.

La mort du duc de Bourgogne souleva une partie de la France contre le dauphin, à qui l’on attribuait généralement ce crime, il faut avouer que toutes les apparences étaient contre lui. Isabelle de Bavière, cette reine si légère dans ses goûts, si inconstante dans ses affections, qui avait introduit dans la France du nord, avec les cours d’amour, les mœurs voluptueuses du Languedoc et de la Provence80, Isabelle porta son ressentiment à des excès qui prouvent que l’inconduite étouffe à la longue tous les sentiments naturels, et que la frivolité est plus près qu’on ne croit de l’improbité et de la barbarie. Dans l’ardeur de ses persécutions, on eût dit qu’elle avait soif du sang de son fils. (1420) Elle joignit sa haine au ressentiment du nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon : le roi d’Angleterre accourut : ils dressèrent ensemble, à Troyes, le fameux traité qui, en privant le dauphin de la couronne 71de ses ancêtres, transmettait ses droits à Henri V, devenu l’époux de la princesse Catherine, fille de Charles VI. Toutes les lois du royaume furent alors foulées aux pieds par une princesse étrangère qui n’avait aucun droit de s’insérer dans les affaires de l’État, et par un prince du sang qui, dans son aveugle vengeance, se déshéritait lui-même. On régla que, dès ce moment, Henri V gouvernerait la France, attendu l’incapacité du roi Charles ; que celui-ci, en lui écrivant, emploierait cette formule : À nostre très chier filz Henry, roy d’Angleterre, héritier de France, et que l’on poursuivrait vivement Charles, soy disant daulphin. Le roi, plongé en ce moment dans l’imbécillité la plus profonde, signa le traité sans résistance. On força quinze cents des principaux habitants de la ville de Troyes, assemblés dans l’église de Saint-Paul, d’y adhérer et d’en jurer l’exécution.

Le mariage de Henri V et de la princesse Catherine fut célébré bientôt après, et ce roi guerrier reprit avec une nouvelle ardeur le cours de ses conquêtes. Montereau, théâtre de la mort de Jean sans Peur, fut pris d’assaut : une partie de la garnison se réfugia dans le château ; le reste fut noyé ou pris. Henri somma le brave Guitry, qui commandait dans la forteresse, de se rendre à discrétion. Sur son refus, le digne descendant d’Édouard III fit attacher ses prisonniers au gibet, 72à la vue des assiégés. Guitry se rendit quelques jours après, à des conditions honorables. On trouva dans une chapelle le corps de Jean sans Peur, encore revêtu du pourpoint, des houseaux et de la barrette qu’il portait le jour de sa mort. Le duc de Bourgogne vint visiter ces tristes restes, dont la vue dut accroître son ressentiment ; il les fit embaumer et transporter à Dijon, où ils furent inhumes dans l’église des Chartreux, près du duc Philippe le Hardi, fondateur du monastère81.

Le roi anglais continua à s’avancer vers la capitale ; mais il ne voulut pas y entrer avant d’avoir réduit la ville de Melun, place importante par sa situation sur la Seine, au-dessus de Paris. Elle était défendue par le prince de Bourbon, seigneur de Préaux, et par le chevalier sans reproche, à la tête d’une forte garnison. Le courage et la résolution des assiégés opposèrent au vainqueur de la France une résistance inattendue, et étonnèrent son audace. Quoique son artillerie eût renversé jusqu’au niveau des fossés une partie des murailles de la ville, jamais il n’osa tenter l’événement d’un assaut. On creusa des mines, non pour produire, au moyen de la poudre, une explosion capable de bouleverser les fondements de la place (on n’avait point encore employé ce 73moyen de destruction, réservé à des temps plus modernes), mais pour se pratiquer des chemins secrets jusqu’au sein de la ville assiégée. Des contre-mines, dirigées avec habileté, arrêtèrent les projets des assiégeants. Les mineurs des deux partis, jugeant, au bruit, que leurs travaux se rapprochaient, en donnèrent avis à leurs chefs respectifs. Alors s’ouvrit, selon l’usage de ce siècle, dans les entrailles de la terre, une lice guerrière où les héros des deux partis furent appelés à disputer le prix de la valeur. Une barrière à hauteur d’appui fut placée à l’extrémité de la mine des assiégeants. À peine les travailleurs des assiégés eurent-ils fait tomber le dernier obstacle qui les cachait à la vue, qu’ils se retirèrent et firent place aux chevaliers. Des défis réciproques avaient tout réglé d’avance. Il était convenu qu’on ne devait se frapper qu’aux parties du corps qui s’élèveraient au-dessus de la barrière. Il y avait de part et d’autre des juges du combat, qui présidaient à l’accomplissement des conditions arrêtées, et qui proclamaient les vainqueurs. On combattit, en nombre égal, à la clarté d’un grand nombre de torches. Le roi d’Angleterre fit plusieurs chevaliers. Barbazan conféra également cette dignité aux guerriers de son parti qui se distinguèrent le plus : manquant de trompettes pour proclamer ces cérémonies, il fit sonner toutes les cloches de la ville. Les vaincus s’acquittèrent 74en général envers leurs vainqueurs par une somme d’argent ou par quelque bijou qui tint lieu de rançon ; quelques-uns perdirent leur liberté82.

Le prince d’Orange, attaché de tout temps à la maison de Bourgogne, vint trouver le duc à ce siège. Le roi d’Angleterre ayant voulu exiger qu’il lui prêtât le serment prescrit par le traité de Troyes, le prince répondit avec indignation

qu’il estoit prest à servir le duc de Bourgongne ; mais, qu’il fist le serment de mectre le royaulme ès main de l’ennemy ancien et capital du royaulme, jamais ne le feroit.

Il partit aussitôt83.

Le manque absolu de vivres força enfin Barbazan à capituler. On convint que les assiégés sortiraient de la ville

saulves leurs vies, sans estre mis à aulcune rançon. [À peine entré dans la place, Henri leur dit] qu’il ne faulceroit sa foy, et qu’ils s’en iroient leurs vies et bagues sauves mais en perpétuelles prisons84.

La plupart furent en effet arrêtés, et conduits avec le brave Barbazan dans les prisons de Paris, où plusieurs périrent de faim et de misère. Quelques-uns furent même 75écartelés, sous prétexte qu’ils avaient pris part à l’assassinat de Jean sans Peur85.

Henri V établit sa cour dans la capitale de la France. Il y étala une magnificence orgueilleuse, qui tenait du triomphe. Bientôt la nation, accablée de tributs, traitée avec une hauteur insultante, sentit tout ce que pèse un sceptre étranger. Les plus grands seigneurs ne paraissaient devant le roi anglais que pour essuyer ses superbes dédains. Il demanda un jour au maréchal de l’Isle-Adam, qui lui parlait avec une noble assurance,

comment il estoit si hardy que de le regarder au visaige ?

— Très redoubté seigneur, répondit le guerrier, c’est la guise de France ; et si aulcun n’ose regarder celluy à qui il parle, on le tient pour maulvais homme et trahistre.

— Ce n’est pas nostre guise,

répliqua sèchement Henri V.

À quelques jours de là, sur une fausse accusation, l’Isle-Adam fut renfermé à la Bastille. Il eût péri sans l’intervention du duc de Bourgogne86.

Ce prince ne négligeait rien de ce qui pouvait ajouter quelque chose à l’abaissement du dauphin. Un registre du parlement porte ce qui suit :

Le troisiesme janvier fut adjourné à trois briefz jours en cas de bannissement à son de trompe, 76sur la table de marbre, messire Charles de Valoys, daulphin de Viennois, et seul filz du roy, pour raison de l’homicide faict en la personne de Jehan, duc de Bourgongne ; et après toutes solempnités faites en telz cas, fut par arrest convaincu des cas à luy imposez, et comme tel banni et exilé à jamais du royaulme, et consequemment declairé indigne de succéder à toutes seigneuries venues et à venir87.

Duquel arrest ledit de Valoys appella, tant pour soy que pour ses adhesrans, à la poincte de son epée (dit l’annotateur de Juvénal des Ursins), et fist vœu de relever et poursuyvre sadicte appellation, tant en France qu’en Angleterre, et par tous les païs du duc de Bourgongne.

Le tableau que les historiens du temps font de la capitale, à cette époque déplorable, inspire à la fois la pitié et l’horreur. L’hiver de cette année fut excessivement rigoureux. Une disette affreuse, suite accoutumée des désordres de la guerre, réduisit en peu de temps le peuple aux dernières extrémités. Les pauvres se disputaient les plus vils aliments ; ils passaient les jours entiers dans la recherche de quelques débris, pâture ordinaire des animaux abandonnés, et les nuits retentissaient des cris douloureux que leur 77arrachaient le froid et la faim. Paris avait déjà perdu la moitié de ses habitants par la misère et les maladies ; chaque jour de nombreuses émigrations achevaient de dépeupler cette malheureuse ville. Les uns couraient se ranger autour du dauphin ; les autres fuyaient les vexations et les insultes des tyrans étrangers. Bientôt la cité royale, veuve de son peuple, ne présenta plus qu’une vaste et effrayante solitude. Des maisons vides, des palais tombant en ruines, affligeaient partout les regards ; une foule de loups, enhardis par le silence qui régnait dans ces murs, erraient la nuit dans les rues désertes, dans les places publiques, désormais muettes et abandonnées, et effrayaient de leurs hurlements sinistres les malheureux échappés au glaive, à la contagion et à la famine88.

(1421) La bataille de Baugé, gagnée par les Français sous le commandement du comte de Buchan, seigneur écossais de la maison de Stuart, sur les Anglais conduits par le duc de Clarence, frère de Henri V, pendant le voyage que fit ce monarque à Londres, pour le couronnement de Catherine de France, comme reine d’Angleterre, la bataille de Baugé, dis-je, ne fit que suspendre le cours des prospérités de Henri V. Brûlant de 78venger la mort de son frère, tué dans cette bataille, Henri se hâta de conclure un traité avec le roi d’Écosse89, repassa en France avec de nouvelles troupes, fit lever le siège de Chartres au dauphin, prit la ville de Dreux, qui se rendit à discrétion, et fit pendre Tillières, gouverneur de cette place, qui avait juré le traité de Troyes. Un ermite était venu trouver Henri sous les murs de Dreux, et l’avait menacé du jugement de Dieu, s’il persistait dans ses injustes prétentions ; Henri le renvoya sans daigner lui répondre. Henri mourut dans l’année.

Je passe rapidement sur une infinité de petits combats, pour arriver au siège de Meaux, que son importance et plusieurs circonstances particulières rendent très-remarquable.

Vers le mois d’octobre, le comte d’Excestre investit la ville et s’empara de ses faubourgs. Henri V arriva peu de jours après avec le reste de son armée, qui s’élevait à environ vingt-cinq mille hommes. Il n’y avait guère dans la ville plus de mille hommes de garnison ; mais c’étaient tous de vieux guerriers, animés par de récentes injures, et commandés par les chefs les plus intrépides.

La situation et la force de la place ajoutaient 79encore à leur confiance. La Marne, assez profonde en cet endroit, sépare la ville en deux parties ; l’une, située au nord, forme la ville proprement dite ; l’autre, au midi, n’était d’abord qu’un vaste marché, et en conservait encore le nom ; un canal, ouvrage des anciens comtes de Champagne, recevait une partie des eaux de la Marne, environnait cette espèce de faubourg, et achevait d’en former une île. Cette île, selon tous les historiens, était entourée de fortes murailles hérissées de créneaux, flanquées de grosses tours d’une hauteur égale, au sommet desquelles s’élevaient de grands arbres qui, vus de loin, offraient l’aspect d’une forêt suspendue dans les airs. Ces remparts et ces tours étaient d’une construction si solide, que la plus grande partie a subsisté jusqu’à nos jours.

Mais ce qui, plus que tout le reste, rendait douteux le succès du siège, c’était l’habileté, l’intrépidité et la résolution du bâtard de Vauru ou de Vaurus, gouverneur de la place, guerrier sombre et farouche, qui déshonora sa valeur par des excès de cruauté à peine croyables. Un orme, auquel il faisait suspendre ses victimes, conserva longtemps le nom d’Orme de Vaurus, et perpétua pendant plusieurs générations le souvenir de sa barbarie. Ce tyran semblait avoir déclaré la guerre au genre humain. Cultiver des champs, répandre au sein d’une terre ensanglantée par 80tant de meurtres la semence féconde destinée à nourrir les malheureux échappés au glaive de la guerre, était à ses yeux un crime digne de la mort la plus cruelle.

Tous hommes de labour qu’il povait attraper, (dit une chronique du temps), quant il véoit qu’ilz ne povoient de leur rançon finer, il les faisoit mener, liez à queues de chevaulx, à son ourme, tout baltant ; et s’il ne trouvoit bourrel prest, lui-mesme les pendoit, ou celluy qui se disoit son cousin. Et pour certain tout ceulx de ladicte garnison ensuivoient la cruaulté des deux tyrans devant diz ; et bien paru, par une dampnable cruaulté que ledit de Vauru fist, que c’estoit le plus cruel que oncques gueres fut Noiron (Néron) ne aultre. Car quant il print ung jeune homme, en faisant son labour, il le loia (lia) à la queue de son cheval, et le mena baltant jusques à Meaulx, et puis le fist gehenner (mettre a la torture) : pour laquelle douleur, le jeune homme lui accorda ce qu’il demandoit, pour cuider eschever (dans l’espoir d’éviter) la grant tyrannie qu’ilz lui faisoient souffrir ; et fut à si grant finance, que telz trois ne l’eussent peu finer (rassembler). Le jeune homme manda à sa femme, laquelle il avoit espousée en ce l’an, et estoit assez prest le terme d’avoir enffant, la grant somme en quoy il s’estait assis pour eschever la mort et le quassement (brisement) de ses 81 membres. Sa femme, qui moult l’aimoit, y vint, qui cuida (crût) améliorer le cueur du tyran ; mais rien n’y exploita : ains luy dit que s’il n’avoit la rançon à certain jour nommé, qu’il le pendroit à son ourme. La jeune femme commanda (recommanda) son mary à Dieu moult tendrement, plourant ; et luy, d’aultre part, plouroit moult fort pour la pitié qu’il avoit d’elle. Adoncq se despartit la jeune femme, mauldissant Fortune, et fist le plus tost qu’elle pot finance : mais ne pot pas au jour qui nommé luy estoit, mais environ huit jours après. Aussi tost que le jour que le tyran avoit dit fut passé, il fist mourir le jeune homme, comme il avoit fait les aultres, à son ourme, sans pitié et sans mercy. La jeune femme vint aussi tost qu’elle pot avoir fait finance ; si vint au tyran, et luy demanda son mary, en plorant moult fort ; car tant lassée estoit que plus ne se povoit soustenir, tant pour l’heure du travail, qui approuchoit, que pour le chemin qu’elle avoit fait, qui moult estoit grant ; brief, tant de douleur avoit, qu’il la convint pasmer. Quant elle revint, si se leva moult piteusement, quant au secret de nature, et demanda son mary de rechief : et tantost lui fut repondu que jà ne le verroit tant que sa rançon fust payée. Si attendi encores, et veit plusieurs laboureurs admener devant lesdiz tyrans, lesquelz, aussi tost 82qu’ilz ne povoient payer leur rançon, estoient noyez ou pendus sans mercy. Si ot (eut) grant paour de son mary (pour son mari), car son pouvre cueur lui jugeoit moult mal : neant moins, l’amour la tint de si près, qu’elle leur bailla ladicte rançon de son mary. Aussi tost qu’ilz orent la pecune, ilz luy dirent qu’elle s’en allast d’illec, et que son mary estoit mort, ainsi que les aultres villains (paysans). Quant elle ouyt leur très cruelle parolle, si ot tel dueil à son cueur que nulle plus, et parla à eulx comme femme forcenée, qui son sanc perdoit, pour la grant douleur de son cueur…

Faut-il achever cet affreux récit, et ma plume pourra-t-elle tracer les pages horribles qui me restent à transcrire ? Ah ! détournez les yeux, âmes tendres et sensibles, que le tableau des fureurs humaines n’a point encore épouvantées ; détournez les yeux, gardez vos illusions, votre heureuse ignorance ; ne souillez point vos souvenirs si purs et si doux encore ! Et vous, qui n’avez point à perdre des erreurs si précieuses, plaignez, en parcourant ces feuillets sanglants, plaignez l’historien que son premier devoir, celui de transmettre à la postérité la vérité tout entière, condamne à s’arrêter sur de semblables forfaits.

Quant le faulx et cruel tyran le bastart de Vauru veit qu’elle disoit parolles qui pas ne 83lui plaisoient, si la fist battre de bastons, et mener tout battant à son ourme, et luy fist acoler (embrasser), et la fist lier, et puis lui fist coupper tous ses draps (vétemens) si très courts, qu’on la povoit veoir jusques au nombril : qui estoit une des plus grans inhumanitez qu’on pourroit pencer. Et dessus luy (elle) avoit quatrevingt ou cent hommes pendus, les ungs bas, les aultres hauts : les bas, aulcunes fois, quant le vent les faisoit brandiller, touchoient à sa teste, qui tant lui faisoient de fraour (frayeur), qu’elle ne se povoit soustenir sur piez : si lui coppoient les cordes, dont elle estoit liée, la char de ses bras. Si crioit la pouvre lasse moult haultz cris et piteulx plains. En ceste douloureuse douleur où elle estoit, vint la nuyt : si se desconforta sans mesure, comme celle qui trop de martyre souffroit ; et quant il luy souvenoit de l’orrible lieu où elle estoit qui tant estoit espouventable à humaine nature, si recommençoit sa douleur si piteusement, en disant : Sire Dieu ! quant me cessera ceste pesme doulour que je souffre ? Si crioit tant fort et longuement, que de la cité la povoit on bien ouyr : mais il n’y avoit nul qui l’eust osé oster dont elle estoit, qui n’eust esté mort. En ces douloureux crys, le mal de son enffant la print, tant pour la doulour de ses crys, comme de la froidure du vent 84qui par dessoubs l’assailloit de toutes parts : ces ondées la hasterent plus. Si cria tant hault, que les loups qui là repperoient (s’assemblaient) pour la charongne, vindrent à son cry droit à elle, et de toutes parts l’assaillirent, especiallement au pouvre ventre, qui descouvert estoit, et le lui ouvrirent à leurs cruelles dents, et tirèrent l’enffant hors par pièces, et le remenant (reste) de son corps despecerent. Tout ainsi fina celle pouvre créature ; et fut au mois de mars, en karesme, mil quatre cent vingt90.

Quelque exagération que l’esprit de parti puisse avoir mêlé dans cette affreuse narration, elle est trop minutieusement circonstanciée pour qu’on puisse la regarder comme une fable inventée à plaisir ; et elle explique la haine et la sorte d’horreur que les Parisiens conservèrent longtemps pour le dauphin, doublement malheureux de ne pouvoir punir de pareils attentats, et de se les voir imputer.

Henri V se faisait un point d’honneur de ne rentrer dans Paris qu’après s’être emparé de Meaux. Il en avait donné sa parole aux Parisiens, qui s’étaient plusieurs fois plaints à lui des courses continuelles que la garnison de cette place faisait autour d’eux. Toutes les machines de guerre alors en usage furent employées pour renverser 85ses remparts : mais sept mois s’écoulèrent en attaques infructueuses. Les habitants disputaient de courage avec les soldats : de part et d’autre, on ne se faisait aucun quartier : tous les Anglais qui étaient faits prisonniers étaient à l’instant suspendus aux branches de l’orme homicide. Les Français promenèrent sur leurs remparts un âne couronné, qui représentait le roi d’Angleterre : un homme sonnait du cor à ses côtés, et s’interrompait de temps en temps pour appeler les Anglais au secours de leur souverain.

Cependant les secours qu’on espérait recevoir du dauphin n’arrivaient pas : les assiégés, affaiblis par des combats continuels, sentaient refroidir leur courage ; les habitants se troublaient à la vue de leurs murs écroulés. Vaurus fut obligé de se retirer dans le Marché, à la suite d’un assaut général, et d’abandonner la ville au vainqueur. Henri s’y logea aussitôt, et attaqua le Marché avec une ardeur qu’enflammait sans doute le souvenir des injures des assiégés. Vaurus avait résolu de s’ensevelir sous les débris de cette espèce de forteresse. Toujours armé, toujours sur la brèche, il déployait une activité, un courage, une présence d’esprit, qui auraient couvert de gloire tout autre qu’un bourreau. Les vivres étaient épuisés : les remparts, écroulés sous le feu d’une artillerie foudroyante, ouvraient de tous côtés des passages aux assiégeants. Cependant, prêt 86à livrer un dernier assaut, Henri V hésitait encore. Sommés de se rendre, les assiégés le provoquèrent au combat. Les attaques recommencèrent avec une nouvelle furie. Sept heures de carnage ensanglantèrent inutilement les ruines, formidables encore, de ces murs si obstinément disputés. Au plus fort du combat, les Français ayant rompu toutes leurs lances, saisirent des broches de fer, percèrent les assaillants de ces armes terribles, et les forcèrent à la retraite91.

Cet effort fut le dernier. Les chefs de la garnison crurent devoir capituler malgré Vaurus. Ce tueur d’hommes fut traîné, par l’ordre du vainqueur, dans toutes les rues de la ville, exposé aux outrages de la populace, et décapité par la main du bourreau. Son corps fut attaché à l’orme, instrument de ses crimes ; sa tête, mise au bout d’une lance, fut élevée au plus haut de l’arbre ; son étendard fut enfoncé dans sa poitrine92.

Henri V vint triompher à Paris de la réduction d’une place si formidable. Malgré leurs malheurs, les Parisiens firent une dépense considérable pour sa réception. (1422) Henri tint cour plénière au Louvre, et étala en cette occasion un luxe qui insultait à la misère publique, tandis que le triste Charles VI, relégué à l’Hôtel Saint-Paul, livré 87à tous les besoins, abandonné à la plus sombre mélancolie, n’avait autour de lui que quelques vieux serviteurs restés fidèles à son infortune. Chaque jour voyait ses forces s’épuiser et sa vie prête à s’éteindre. Mais Dieu ne voulait pas que l’usurpateur eut la joie de s’asseoir sur le trône de ce malheureux prince. Henri V, qui sans doute comptait en secret les instants, et hâtait peut-être de ses vœux celui où il pourrait enfin ceindre son front des lis de nos rois, l’ambitieux, le redoutable, le superbe Henri V, atteint d’un mal subit, précéda de deux mois au tombeau (31 août) le faible et infortuné Charles VI.

Charles VI mourut enfin (21 octobre). Aucun prince du sang n’assista à ses funérailles ; mais le deuil, mais les larmes d’un peuple immense, sorti des murs de Paris, accouru des campagnes voisines, pour accompagner son cercueil, formèrent une pompe funèbre plus glorieuse pour sa mémoire, que n’aurait fait la présence des grands qui l’avaient si longtemps trahi. Il fallait que la beauté de son âme et son amour impuissant pour ses peuples fussent bien incontestables, puisque, réduit au triste rôle de spectateur des maux de la patrie, il ne perdit jamais son amour. Cette nation, si souvent injuste et frivole, lui garda toujours, au milieu des maux dont elle état accablée, ce beau surnom de Bien-Aimé, dont elle avait salué sa jeunesse.

88Sa dépouille mortelle était à peine descendue au milieu des restes de ses aïeux ; à peine, suivant l’antique usage, les officiers de la couronne avaient tourné vers la terre leurs masses, leurs verges et leurs épées, en signe de cessation d’offices, qu’un héraut fit retentir les voûtes de Saint-Denis de ce cri funeste :

— Vive Henri de Lancastre, roi de France et d’Angleterre !

En rentrant dans Paris, le frère de Henri V, le duc de Bedford, qui, en qualité de régent de France, avait conduit le deuil, fit porter devant lui une épée nue, étendue sur un coussin de velours vermeil : appareil effrayant, inusité, qui semblait annoncer à la nation que les princes anglais laisseraient dans l’oubli la main de justice, antique attribut de nos rois, et que le règne du glaive allait commencer.

Ce Henri VI, fils de Henri V et de Catherine de France, qu’on venait de proclamer roi des Français sur la tombe de Charles VI, était encore dans les langes de l’enfance. Appelé dès le berceau à la possession des deux premiers trônes du monde, il devait ne se maintenir ni sur l’un ni sur l’autre. Malheureux toute sa vie, dépouillé de ses propres États, massacré par un cousin perfide, il semble que le ciel l’eût choisi pour expier l’usurpation de son père et de son aïeul.

Henri V avait laissé la régence de l’Angleterre au duc de Gloucester son frère, et celle de la France à son autre frère le duc de Bedford. Il avait 89confié à son cousin le comte de Warwick, le gouvernement de la personne de son fils. Le parlement d’Angleterre apporta quelque changement à ces arrangements. Il refusa au duc de Gloucester le titre de régent, y substitua celui de protecteur du royaume d’Angleterre, qu’il considérait comme moins absolu dans sa signification, en revêtit le duc de Bedford, et n’en accorda les pouvoirs au duc de Gloucester que dans l’absence de son frère aîné. La personne et l’éducation du jeune roi furent confiées à Henri Beaufort, évêque de Winchester, son grand oncle, fils illégitime de Jean de Gand, duc de Lancastre93. La Champagne, l’Île-de-France, la Picardie, la Normandie, une partie du Maine et de l’Anjou, la Guyenne entière, y compris la Gascogne, obéissaient immédiatement au roi anglais, représenté par le duc de Bedford ; l’alliance de Philippe le Bon lui soumettait les deux Bourgognes, la Flandre et l’Artois ; le duc de Bretagne, entraîné par l’exemple, avait embrassé son parti. Le Languedoc, le Dauphiné, l’Auvergne, le Bourbonnais, le Berry, le Poitou, la Saintonge, la Touraine, l’Orléanais, une partie du Maine et de l’Anjou, restés fidèles au roi légitime, semblaient 90devoir bientôt passer eux-mêmes sous le joug de l’étranger. À peine âgé de vingt ans, aussi faible que doux, aussi imprudent que brave, gouverné par ses ministres, l’infortuné Charles VII paraissait incapable de lutter avec succès contre une adversité toujours croissante. La bataille de Crevant (1423), où les Anglais et les Bourguignons, commandés par le comte de Suffolk, le maréchal de Toulongeon et le comte de Ligny-Luxembourg, battirent les Français, conduits par Jean Stuart, connétable d’Écosse, et celle de Verneuil (1424), gagnée par le duc de Bedford, assisté des comtes de Salisbury, de Warwick et de Suffolk, sur le comte de Buchan, connétable de France, achevèrent d’abattre cette âme naturellement facile à décourager.

On a beaucoup reproché à Charles VII son amour pour les plaisirs ; on a prétendu qu’ils lui faisaient oublier les malheurs de la patrie. S’il faut en croire un auteur très-connu, c’est même à cette époque que le brave La Hire, à qui Charles demandait ce qu’il pensait de l’ordonnance d’une fête, répondit

que jamais il ne s’estoit trouvé roy qui perdist si joyeulsement son royaulme94.

Toutes ces imputations ne s’accordent guère avec le récit des historiens contemporains, qui représentent Charles VII, à 91cette époque, dans un état déplorable de dénuement et de misère :

Un jour que La Hire et Poton

Le vindrent veoir pour festoyement,

dit un poète de ce temps-là, dans un style plus naïf que relevé,

N’avoit qu’une queue de mouton,

Et deux poulets tant seulement.

Las ! cela est bien au rebours

De ces viandes délicieuses,

Et des mets qu’on a tous les jours

En dépenses trop sumptueuses, etc.95

C’est alors que les Anglais, enorgueillis de leurs succès, lui donnèrent le surnom dérisoire de roi de Bourges96, parce qu’il s’était réfugié dans cette ville, aux murs de laquelle il semblait que dût bientôt se borner l’étendue de ses États. C’est là qu’il reçut la nouvelle de la déroute de Crevant, au moment où la naissance d’un fils venait de livrer son âme aux premières joies de l’amour paternel. Quelques articles relatifs au baptême de ce prince, employés aux comptes de la dépense de cette année, donnent une idée du mauvais état des finances royales. On fut obligé de composer pour une somme de quarante livres, qui ne fut acquittée que sur la fin de l’année, 92pour retirer des mains du chapelain

qui avoit aydé au bastiment de monsieur le daulphin de Viennois, les vases et bassins d’argent dont on avait fait usage dans cette cérémonie ; lesquels bassins ledit chapelain devoit avoir par les statuts et coustumes royaulx.

On trouve dans les mêmes comptes une somme de dix sols employée pour les salaires

de ceulx qui sonnèrent à Sainct Estienne de Bourges, quant on chrestiennoit monsieur le daulphin97.

Où Charles VII aurait-il pris l’argent nécessaire pour subvenir aux frais des fêtes et des amusements qu’on lui reproche, lorsqu’il est prouvé qu’il était alors à peine en état de satisfaire aux dépenses de première nécessité ? Ou il faut mettre au rang des fables ses prétendues dissipations et le bon mot de La Hire, ou il faut en placer l’époque beaucoup plus tôt.

Une querelle survenue entre le duc de Bourgogne et le duc de Gloucester, régent d’Angleterre, permit aux Français de respirer. Le duc de Gloucester, n’écoutant que le désir d’acquérir un des plus riches héritages de l’Europe, avait enlevé Jacqueline de Hainaut à son époux légitime, le duc de Brabant, cousin-germain du duc de Bourgogne ; avait obtenu de l’anti-pape Benoît XIII 93la cassation du mariage de Jacqueline, et l’avait ensuite épousée. Le duc de Bourgogne, irrité de l’affront qu’on osait faire à un prince de sa maison, s’en plaignit hautement, mais sans aucun succès. Le duc de Gloucester débarqua à Calais avec une armée, pour revendiquer l’héritage de Jacqueline. Le duc de Bourgogne accourut : la guerre s’alluma dans le Hainaut.

Les ministres de Charles profitèrent de cette brouillerie, qui arrêtait les succès du duc de Bedford, pour négocier un accommodement avec le duc de Bretagne. Le comte de Richemont, frère de ce prince, reçut l’épée de connétable, mais en exigeant que le roi disgraciât ses favoris. Charles possédait deux qualités trop rares chez les rois : il n’était point ingrat, et il savait aimer. Il chérissait Tanneguy comme un libérateur et comme un père ; il ne pouvait se résoudre à s’en séparer. Tanneguy s’honora par une action qu’on opposera toujours avec succès aux accusations dont il fut l’objet, au sujet du meurtre de Jean sans Peur. Immolant ses intérêts à ceux de la France, il s’éloigna du roi, malgré le roi lui-même, et alla finir dans un exil volontaire une vie longtemps illustrée par son dévouement et son courage.

Louvet, autre favori du roi, ne montra pas la même grandeur d’âme : il fallut presque employer la force pour l’éloigner. (1425) En partant, il recommanda 94Giac au roi, espérant conserver quelque reste de pouvoir par le crédit d’une de ses créatures. Giac en effet succéda bientôt à sa faveur, mais il n’en usa que pour lui-même. Devenu un objet d’ombrage pour le connétable, qui gâtait beaucoup de mérite par une hauteur extrême et une excessive jalousie d’autorité, Giac employa sourdement tous les moyens possibles pour le faire échouer dans ses entreprises. (1426) La défaite que le connétable éprouva devant Saint-James-de-Beuvron, au milieu d’une campagne qui avait commencé de la manière la plus brillante, dut être en partie attribuée à la malveillance du favori, qui, en retenant les sommes destinées à la solde des troupes, avait réussi à exciter leur mécontentement, à provoquer leur désertion, et à forcer le connétable de livrer l’assaut à la place avant que la brèche fut praticable98. Frémissant d’indignation, et méditant dans son cœur une vengeance proportionnée à l’affront qu’il venait de recevoir, Richemont se rend à Chinon, où la cour se trouvait alors, dissimule quelque temps, saisit le moment où le roi se rendait à Issoudun, force, pendant la nuit, les portes du favori, l’arrache de son lit, le conduit à Bourges, lui donne 95des juges pour la forme, en tire l’aveu des plus grands crimes, et le fait condamner à perdre la vie. Giac avait donné une de ses mains au diable, à fin, dit-il, de parvenir à ses intentions. Il demanda qu’on la lui coupât, de peur que l’ange des ténèbres, voulant, selon leur traité, s’emparer de cette main promise, n’enlevât avec elle le reste de sa personne.

Le Camus de Beaulieu remplaça Giac dans la faveur du roi, et surpassa son prédécesseur en insolence et en avidité. Sa chute fut plus prompte encore : il fut assassiné près du château de Poitiers, et le comte de Richemont se contenta, pour sa justification, d’assurer le roi qu’il n’avait eu en vue que le bien du royaume. Convaincu enfin qu’il ne réussirait jamais à devenir favori lui-même, il voulut du moins en donner un de son choix au monarque qu’il outrageait par tant d’actes de violence. Il jeta pour cet effet les yeux sur le seigneur de La Trémoille, qui lui promit tout ce qu’il voulut ; mais qui, ayant réussi à s’établir dans l’esprit du roi, travailla aussitôt à perdre le connétable, et, instruit par l’exemple de Giac et de Beaulieu, eut soin de se garder mieux qu’ils n’avaient fait.

(1427) Cependant, apaisé par les satisfactions du duc de Bedford, et la soumission du duc de Gloucester à la dissolution, prononcée par le pape Martin V, du mariage de ce prince avec Jacqueline 96de Hainaut, le duc de Bourgogne avait resserré les nœuds de son alliance avec l’Angleterre. Les Anglais qui avaient, quelque temps auparavant, enlevé Pontorson au connétable, instruits des mésintelligences qui divisaient la cour de Charles VII, vinrent, sous la conduite du comte de Warwick, du comte de Suffolk et de Jean de La Pole son frère, assiéger Montargis, ville située sur la petite rivière de Loing, à six lieues au sud de Nemours. Leur armée ne montait qu’à trois mille hommes ; mais la place ne renfermait qu’une poignée de soldats. Bozon ou Bouzon des Failles, gentilhomme gascon, était à la tête de ces braves : pleins de confiance dans ce chef intrépide, et secondés par le zèle des habitants, ils osèrent opposer aux Anglais la plus vive résistance.

Les assiégeants divisèrent leurs forces en plusieurs parcs ou quartiers, disposés autour de la ville de manière à n’y laisser aucune entrée libre. Ces parcs, entourés de fossés, où l’on avait fait entrer l’eau de plusieurs petites rivières, étaient encore défendus par une forte rangée de pals, inclinés fortement en dehors, qui présentaient de toutes parts leurs pointes menaçantes. Derrière ces pals, et parallèlement, étaient alignées les loges des soldats, formées de troncs de jeunes arbres coupés dans la forêt voisine, et couvertes de chaume, de paille, et d’herbes sèches99. Il 97est à remarquer que cette description répond parfaitement à celle que fait Homère des baraques ou cabanes des Grecs devant Troie ; demeures agrestes, auxquelles les traducteurs donnent mal à propos le nom de tentes. Parlant de celle d’Achille :

Pour l’ériger, — dit-il, — les soldats de ce prince avaient abattu de nombreux sapins, et pour former le toit, ils avaient moissonné le jonc des prairies. Un rang de pieux serrés bordait la vaste enceinte de la cour100.

Un grand nombre de canons et de bombardes battait constamment les points les plus vulnérables de la place. De leur côté :

Ceulx de dedans se deffendoient vaillamment, et grevoient beaucoup les Angloys, spécialement de coups de traict, tant de grosses arbalestes, que de canons.

Or, ung certain jour, fut faicte une sortie, en laquelle fut prins ung de ceulx de la garnison, lequel avoit aultrefois esté du party du duc de Bourgongne ; et, pour soy délivrer, il dit aux Angloys que, se ilz le vouloient laisser aller, que il luy sembloit bien qu’il trouveroit bien moyen de leur bailler le chasteau par ung lieu dont il avoit la garde, quant il y estoit. Et 98entre aultres, il le dit à messire Simon Morhier, ung chevalier françoys, et lui monstra, par dehors la manière et le lieu. Et les Angloys adviserent sur cela que la chose estoit bien faisable ; et fut prins, à ce dessein, le jour et l’heure, puis ilz le laissèrent aller. Il entra doncques dedens la place, et aussi tost qu’il y fut, il dit audict Bouzon tout ce qu’il avait dict et faict, lequel en fut bien joyeulx, car il luy sembloit bien que par ce moyen il en pourroit bien prendre et accabler.

Or, les Angloys et Bourguignons vindrent précisément au jour assigné et à l’heure entreprinse, et furent diligens à dresser leurs eschelles, puis entrèrent dedens : mais aussi tost qu’ilz estoient entrez, on les prenoit et desarmoit on ; et entre les aultres, le susdit messire Simon y entra lui mesme, et fut prins. Il ne retournoit personne à la fenestre par où ilz entroient ; de sorte que les Angloys apperceurent bien qu’il y avoit de la tromperie : neant moins il y en eut quinze ou seize de prins101.

Montargis se défendait depuis trois mois par l’avantage de sa situation, par l’habileté de son gouverneur, et surtout par le courage de ses habitants. Cependant, resserrés de plus en plus, près de manquer absolument de munitions et de 99vivres, ils firent avertir le roi du danger auquel la ville se trouvait exposée. On résolut d’employer tous les moyens pour y faire pénétrer un convoi102.

Le comte de Richemont se trouvait alors à Orléans. Soit mécontentement, soit qu’il regardât une pareille expédition comme au dessous de lui, soit qu’il en redoutât l’événement103, il ne voulut pas la diriger en personne, et en abandonna le commandement à Jean, bâtard d’Orléans, devenu depuis si célèbre sous le nom de comte de Dunois. Ce prince, fils du duc Louis assassiné à Paris par les ordres de Jean sans Peur, était à peine âgé de vingt ans ; mais dès sa plus tendre jeunesse, tout en lui avait annoncé un héros. On rapporte que la duchesse d’Orléans, Valentine de Milan, princesse célèbre par son esprit et par son courage, ayant, à la nouvelle de la mort sanglante de son époux, rassemblé toute sa maison et les principaux seigneurs de son parti, leur adressa ces paroles :

— Qui de vous marchera le premier pour venger la mort du frère de son roy ?

Frappé de terreur, chacun gardait un morne silence. Indigné de voir que personne ne répondît à ce noble 100appel, le petit Jean d’Orléans, alors âgé de six ans et demi, s’avança tout à coup au milieu de rassemblée, et s’écria d’une voix animée :

— Ce sera moy, madame, et je me monstreray digne d’estre son fils104.

Depuis ce moment, Valentine oubliant la naissance illégitime de ce jeune prince, avait conçu pour lui une affection vraiment maternelle : on lui avait entendu dire au lit de la mort, et par une espèce de pressentiment de la grandeur future de ce héros,

qu’il luy avoit esté emblé (dérobé), et qu’il n’y avoit nul de ses enfants qui fust si bien taillé à venger la mort de son père105.

Cette ardeur de vengeance l’entraîna même d’abord trop loin, et c’est à peu près l’unique reproche qu’on puisse faire à la jeunesse de ce guerrier. Il se vanta quelquefois, dans la première moitié de sa vie, d’avoir immolé de sa main dix mille Bourguignons aux mânes de son père.

Uni au comte de Richemont, Dunois (je lui donnerai dès à présent ce nom) rassembla des vivres, rallia un certain nombre de gens de guerre106 parmi les chefs desquels on distinguait Graville, Gaucourt, le fameux La Hire, d’Albret d’Orval, 101Saint-Simon et Villars107. Le connétable s’avança jusqu’à Jargeau, où il demeura, et La Hire, accompagné de soixante lances seulement, fut chargé d’aller faire une course devant le siège, tant pour reconnaître les ennemis que pour attirer leur attention sur un point, tandis qu’on tâcherait de pénétrer par un autre dans la place108. Dunois lui promit de ne pas tarder à le joindre.

À la suite de La Hire, mais à une demi-heure de marche environ, s’avançait un corps de troupes commandé par un chevalier écossais nommé Kannede, et par un prêtre belliqueux, l’abbé de Cercanceaux109, dont le nom reparaîtra plus d’une fois dans le cours de cet ouvrage, au milieu des tableaux de la guerre110. L’histoire de ces temps d’ignorance et de barbarie offre de nombreux exemples de cet oubli de toutes les bienséances dans la conduite d’une foule d’ecclésiastiques : la plupart, mettant la lettre à la place de l’esprit de la loi, qui défend aux ministres des autels l’effusion du sang humain, 102croyaient satisfaire à cette loi en se contentant d’assommer les ennemis avec une massue de fer.

Quant La Hire approucha du siège, et eut apperceu que c’estoit chose très difficile d’y entrer, il advisa un passage par où il luy sembla qu’on passeroit bien. Alors, luy et ses compaignons prindrent leurs salades (sorte de casques) et leurs lances au poinct : et y estoient le seigneur de Graville111, Brangonnet d’Arpajon, Saulton de Mercadieu, et aultres. La Hire trouva ung chapelain auquel il dit qu’il luy donnast hastivement l’absolution ; et le chapelain luy dit qu’il confessast ses peschez. 103La Hire luy respondit qu’il n’auroit pas loisir, car il falloit promptement frapper sur l’ennemy, et qu’il avoit faict ce que gens de guerre ont accoustumé de faire. Sur quoy le chapelain lui donna absolution telle quelle. Et lors La Hire fit sa prière à Dieu, en disant en son Gascon, les mains joinctes : Dieu, je te prie que tu faces aujourd’huy pour La Hire autant que tu vouldrois que La Hire fist pour toy, se il estoit Dieu, et que tu fusses La Hire. Et il cuidoit très bien prier et dire112.

Il était environ midi, heure à laquelle les Anglais prenaient leur repas : La Hire et ses intrépides compagnons se précipitèrent tout à coup, la lance à la main, sur l’un des quartiers ennemis commandés par Suffolk et Warwick, et y pénétrèrent sans presque éprouver d’obstacles. Au bruit des chevaux et des armes, aux cris des sentinelles épouvantées, les Anglais se lèvent à la hâte, et, comme ils mangeaient tout armés, présentent aussitôt, en sortant de leurs cabanes, des adversaires nombreux et prêts à combattre. Tandis qu’une lutte inégale s’engage au milieu du camp, et attire fortement l’attention des ennemis, Kannede et l’abbé de Cercanceaux arrivent, rangent leurs fantassins le long des fossés et des palissades, pénètrent à la fois par divers points, 104mettent le feu aux cabanes des Anglais, s’avancent, en renversant tout ce qu’ils rencontrent, vers l’endroit où La Hire, environné d’ennemis, trouvait dans sa valeur un équivalent à l’immense supériorité de leur nombre. Jusqu’alors les généraux anglais avaient cru n’avoir affaire qu’à une petite troupe d’aventuriers résolus à périr ou à pénétrer dans la place ; mais cette nouvelle attaque, en leur faisant connaître l’étendue du péril, leur fit sentir la nécessité de réunir leurs efforts et de déployer toutes leurs ressources.

Là dessus les bannières et estendarts des Angloys furent levez, lesquelz s’assemblèrent et rallièrent par diverses fois… et il y eut de fort belles armes faictes d’un costé et d’aultre ; et furent les bannières et estendarts ruez par terre et abbatuz113.

Dunois arriva sur ces entrefaites, et sa valeur décida la victoire.

[Graville et d’Arpajon] s’y comportèrent vaillamment, et aussi fist Saulton de Mercadieu, lequel y receut ung coup de lance par la bouche, qui passa oultre plus d’ung demy-pied : il se déferra hardiment luy même en la retirant, et ne cessa point pour cela de tousjours combactre114.

Hors d’état de résister plus longtemps, les 105comtes de Warwick et de Suffolk commencèrent à se retirer avec une partie de leurs troupes, et mirent bientôt la rivière entre eux et les Français, qui les suivirent jusqu’au bord. De l’autre rive, les Anglais furent spectateurs de l’entière déroute de tous ceux des leurs qui n’avaient pu les suivre. Un chevalier de cette nation, Henri Biset, renfermé dans son parc avec environ deux cents hommes, s’y défendit encore quelque temps. Les vainqueurs forcèrent sa retraite ; dans l’ardeur du carnage, lui seul fut épargné : il dut la vie à ce respect qu’inspire naturellement aux Français un grand courage malheureux.

[Ceux-ci] n’entrerent oncques es ville et chasteau de Montargis jusqu’à ce qu’il fust nuict close y et que les Angloys fussent entièrement partis et en allez. Et ainsi fut le siège levé, qui fut, comme on disoit, une bien vaillante entreprinse, mise à effect par ledict Estienne de Vignoles, dit La Hire. Et y furent gaignés plusieurs bombardes et canons, biens, meubles et vivres, au subject de quoy les povres gens feirent la nuict grande joye et chère dans la la ville115.

Charles VII donna des marques de sa reconnaissance aux guerriers qui avaient eu part à cette expédition116. Il récompensa par divers privilèges 106les habitants de Montargis du zèle et de la fidélité qu’ils avaient montrés pour sa cause. Il leur accorda deux foires franches par année, et le droit de porter sur leurs habits un M brodé en or.

C’était alors une espèce de marque distinctive de noblesse ; l’usage des gens de condition, dans ce siècle, étant de faire broder leurs armoiries sur leurs habits117.

Le surnom de Franc fut, à compter de cette époque, attribué à perpétuité à la noble ville de Montargis.

Quelque temps après, Graville, à la tête de quelques troupes déterminées, s’empara par surprise de la ville du Mans. Le comte de Suffolk, qui s’était retiré dans la citadelle, où il n’avait des vivres que pour trois jours, fit avertir le fameux Talbot du danger de sa situation. Talbot partit à l’instant d’Alençon, entra à la faveur de la nuit dans la forteresse du Mans, et de là fondit comme la foudre sur les Français. Ceux-ci, surpris à leur tour, ne lui opposèrent que peu de résistance. Sans perdre un instant, Talbot et Suffolk marchèrent sur Laval, qu’ils emportèrent d’assaut118. Ainsi les succès des deux partis se balançaient avec assez d’égalité, lorsque le duc de Bedford, absent depuis huit mois, revint 107d’Angleterre, où l’avaient appelé les troubles survenus à l’occasion de la mésintelligence du duc de Gloucester et de l’évêque de Winchester. Il ramenait avec lui ce prélat turbulent et ambitieux qui reçut à Calais la pourpre romaine, et fut dès lors appelé le cardinal d’Angleterre. Vingt mille hommes de vieilles troupes, rassemblés dans cette île, débarquèrent avec le duc de Bedford, et il put se flatter de réparer bientôt le temps que lui avait fait perdre son absence119. Les circonstances étaient favorables : le parti de Charles VII était en proie aux divisions les plus cruelles ; La Trémoille avait entièrement brouillé le roi avec le connétable ; les princes et la plupart des seigneurs, les villes même du parti royal, armaient contre le favori120.

Bedford marcha d’abord contre la Bretagne avec la plus grande partie de ses forces. À peine eût-il paru sur les frontières, que le duc se hâta de négocier, accorda tout, et changea pour la quatrième fois de parti. Il reconnut Henri VI pour roi de France, s’engagea à lui rendre hommage, adhéra au traité de Troyes, et le fit agréer 108aux états de la province121. Informé par le duc son frère du traité qu’il venait de conclure, Richemont, à qui le favori, à l’ombre de l’autorité royale, faisait ouvertement la guerre, resta fidèle au roi malgré le roi lui-même122.

(1428) Bedford ne douta plus que le moment ne fût arrivé de consommer la conquête du royaume. Il convoqua à Paris une assemblée dans laquelle il demanda qu’on lui remit, pour subvenir aux frais de la guerre, tous les biens, rentes et héritages que, depuis quarante ans, la piété des fidèles avait attribués aux églises et aux monastères. Le clergé opposa à cette exaction une résistance énergique ; l’Université défendit avec chaleur les droits de l’autel ; Bedford fut obligé d’abandonner la mesure proposée123.

Le comte de Warwick, dont j’ai eu plusieurs fois occasion de parler, étant retourné en Angleterre pour remplir, selon les dernières volontés de Henri V, auprès du jeune roi Henri VI, les fonctions de gouverneur, Thomas Montagu ou Montagne, comte de Salisbury124, issu de la 109maison royale d’Angleterre, et l’un des plus célèbres compagnons d’armes de Henri V, fut choisi pour le remplacer dans le commandement de l’armée anglaise, attendu que le duc de Bedford croyait ne pas devoir s’éloigner longtemps de Paris.

Laquelle chose estant venue à la congnoissance du duc d’Orléans, encores prisonnier en Angleterre (on se rappelle qu’après avoir combattu en héros, il avait été pris à la bataille d’Azincourt), il pria ce conte qu’il ne voulsist (voulût) faire auculne guerre en ses terres, ne à ses subjectz, veu qu’il estoit prisonnier, et qu’il ne se povoit deffendre ; et dit on qu’il luy promist et octroya sa requeste125.

Ce fait, qui a été adopté par la plupart de nos historiens, et révoqué en doute par un auteur estimé126, pourrait s’expliquer, ce semble, par la singularité des opinions de ce siècle touchant les devoirs de la chevalerie. Captif depuis plus de dix années dans une terre étrangère, éloigné de tous les objets de son affection, Charles d’Orléans, par son mérite et par ses malheurs, était bien propre à inspirer le plus vif intérêt, même aux ennemis de sa patrie. Au plus noble caractère, à la plus brillante valeur, ce prince joignait 110la beauté du corps, la grâce des manières, un langage plein d’élégance, et un talent remarquable pour la musique et la poésie. C’est à peu près à cette époque qu’il charmait l’ennui de sa prison par cette ballade touchante, qu’on pourrait appeler le chant de l’exil, et dont le refrain peint si bien le cri d’une âme tendre, succombant au fardeau d’une longue douleur :

Fortune, vueilliez-moy laissier

En paix une fois, je vous prie.

Trop longuement, à vray compter,

Avés eu sur moy seigneurie.

Tousjours faictes la rencherie

Vers moy, et ne voulez ouïr

Les maulx que m’avez fait souffrir,

Il a jà plusieurs ans passez.

Doy je tousjours ainsi languir,

Helas ! et n’est-ce pas assés ?

Plus ne puis en ce point durer :

A a ! mercy, mercy je crie.

Souspirs m’empeschent le parler ;

Veoir le pouvez sans mocquerie.

Il ne fault jà que je le dye.

Pour ce vous vueil je requérir

Qu’il vous plaise de me tollir (ôter)

Les maulx que m’avez amassez,

Qui m’ont mis jusques au mourir.

Helas ! et n’est-ce pas assés ?

Tous maulx suy contant de porter,

Ffors (hors) un seul, qui trop fort m’ennuie :

111C’est qu’il me fault loin demeurer

De celle que tiens pour amye.

Car pieça (depuis longtemps) en sa compaignie

Laissay mon cœur et mon désir ;

Vers moy ne veulent revenir ;

D’elle ne sont jamais lassez.

Ainsi suy seul sans nul plaisir.

Helas ! et n’est-ce pas assés ?

De balader j’ay beau loisir ;

Autres deduis me sont cassez.

Prisonnier suis, d’amour martir.

Helas ! et n’est-ce pas assés127 ?

Le comte de Salisbury passa en revue à Barham Downs trois mille hommes de troupes nouvellement rassemblées128, s’embarqua au port de Sandwick129 (30 juin), débarqua à Calais, séjourna quelque temps aux environs de Paris, ouvrit la campagne au mois de juillet130, prit par composition Nogent-le-Roi, Châteauneuf-sur-Loire, Rambouillet, Béthencourt et Rochefort131, places peu éloignées d’Orléans, vint mettre le siège devant Le Puiset, emporta d’assaut cette forteresse132, qui, sous le règne de Louis le 112Gros, avait arrêté les forces de la monarchie,

et fist, par sa cruaulté, pendre tous ceulx qui furent prins dedens133.

Thury ou Toury s’étant rendu par composition, il y mit le feu, et courut assiéger Janville. Cette place se défendit vaillamment, mais, après un assaut nocturne, qui fut fier et merveilleux, et dont l’occupation de la ville avait été le résultat (29 août), le château fut obligé de se rendre. Prigent de Coëtivy, qui fut depuis amiral de France, se trouva parmi les prisonniers. Meung-sur-Loire envoya des députés au vainqueur, et reçut garnison anglaise. Mont-Pipeau se soumit par composition. Les Français, abandonnant la ville de Beaugency, s’étaient réfugiés au château : Salisbury ne jugea pas à propos de les y attaquer : il se contenta d’occuper la ville et de la fortifier, en attendant que son artillerie, qu’il avait laissée à Janville, pût rejoindre son armée. Cependant, comme pour amorcer ses soldats par un avant-goût du pillage d’Orléans, dont il avait résolu de former le siège, il en envoya un grand nombre à Notre-Dame-de-Cléry, dont ils pillèrent et profanèrent indignement l’église, objet de la vénération de toute la contrée134.

113L’artillerie attendue par le comte de Salisbury devait, pour se rendre devant le château de Beaugency, passer près d’Orléans : il paraît que cette route était la seule praticable pour les machines de guerre, puisque, malgré les inconvénients qui pouvaient en résulter, le comte s’était décidé à la leur faire suivre135. Un certain nombre de chevaliers s’étaient jetés dans Orléans à la première nouvelle du danger qui menaçait cette ville, dernier rempart de la France : Villars, gouverneur de Montargis, don Mathias, chevalier d’Aragon, le brave Guitry, le même qui s’était illustré huit ans auparavant par la défense de Montereau, Pierre de la Chapelle, gentilhomme de la Beauce, dont le château s’élevait au bord de la Loire, à peu de distance d’Orléans, Courras ou Coaraze et le fameux Poton de Xaintrailles, chevaliers gascons136, avaient juré de s’ensevelir sous ses ruines. Ils résolurent de s’opposer au passage de l’artillerie du comte. Celui-ci, qui avait prévu leur dessein,

vint à grant puissance, en bataille ordonnée, faire visaige devant Orléans, le huitiesme jour de septembre, environ midy, et là se tint jusques à la basse vespre, pour empescher que les François ne fussent au devant : pendant laquelle demeure 114 son charroy passa137,

quoique, dès l’arrivée des Anglais, les chevaliers de France, avec les bonnes gens d’Orléans, fussent sortis de la ville et eussent vaillamment combattu jusqu’à la nuit, heure à laquelle le comte et ses troupes se retirèrent à Meung138.

Le château de Beaugency, assiégé à la fois du côté de la ville et du côté de la Beauce, ne put tenir longtemps après l’arrivée de l’artillerie. Il se rendit par composition, ainsi que l’abbaye : l’abbé fit avec la garnison serment d’obéissance au roi anglais139.

Quelques circonstances de l’occupation de Sully par les troupes anglaises, semblent fortifier cette accusation, plusieurs fois renouvelée contre La Trémoille, qu’il entretenait des liaisons secrètes avec les ennemis de l’État. Cette ville, située sur la Loire, à huit lieues au-dessus d’Orléans, appartenait au favori, et était confiée à la garde de messire Jean de Lesgot140. Salisbury y envoya Guillaume de Rochefort, chevalier du Nivernais, parent de La Trémoille141,

qui en fit partir ledit Lesgot et sa compaignée,

et remit bientôt la place au seigneur de Jonvelle, propre frère 115de La Trémoille142, et, comme le sire de Rochefort, attaché au parti anglais.

Le comte de Salisbury envoya Jean de La Pole, frère du comte de Suffolk, avec une forte division de son armée, mettre le siège devant Jargeau, qui se trouvait très-mal pourvu de munitions et de vivres. La Pole s’empara presque aussitôt du pont (2 octobre). Trois jours après, son artillerie força la ville à capituler (5 octobre). Il marcha aussitôt sur Châteauneuf-sur-Loire, qui se soumit sans résistance (7 octobre), et vint prendre position à Olivet, près d’Orléans. De là, les Anglais coururent jusqu’aux barrières de Saint-Marceau, bourg presque lié au faubourg du Portereau, qui s’étend sur cette rive de la Loire au midi de la ville.

Là y eut grant escarmouche, en laquelle les Angloys furent repoussez,

et ils allèrent rejoindre le gros de leur armée à Meung et à Beaugency143 (8 octobre).

Siège d’Orléans

La plupart des historiens n’ayant consacré que quelques lignes au siège d’Orléans, je crois devoir, dans une histoire particulière, qui, par sa nature, semble admettre les plus grands détails, m’arrêter sur les circonstances, la plupart 116inconnues, de ce siège mémorable, dont l’événement fit la destinée de la France, et peut-être celle de l’Europe entière.

L’Europe, — dit un historien anglais, — avait les yeux fixés sur ce théâtre144.

La réduction de cette ville livrait à la discrétion du vainqueur le Blésois, la Touraine, et bientôt le Poitou ; la plupart des places de ces provinces, mal fortifiées, allaient infailliblement devenir la proie d’une invasion rapide145.

Le reste du royaume, à demi révolté, eût passé sans résistance sous les lois d’un nouveau maître : c’était fait de la monarchie française146.

Informés des préparatifs que faisait le comte de Salisbury pour venir les soumettre, les défenseurs d’Orléans, au nombre desquels il faut mettre sa population tout entière, hommes, femmes, enfants et vieillards, ne négligèrent rien de ce qui pouvait servir à la sûreté de la place. Dans ce concours de tous les dévouements et de toutes les volontés, l’intérêt particulier n’éleva 117pas un seul moment la voix : un riche faubourg s’élevait au-delà de la Loire, au midi de la ville ; son étendue en rendait la défense impossible, et l’ennemi pouvait le transformer en une vaste forteresse : ni la beauté de ses édifices, ni la sainteté de ses temples, ne purent le défendre. À peine les chefs de guerre eurent fait sentir la nécessité de le détruire,

du conseil et ayde des citoyens d’Orléans, il fut abattu147.

Salisbury croyait n’avoir à combattre qu’une garnison d’environ deux mille hommes : il ignorait qu’à l’approche du péril, quand il aime son roi, tout Français est guerrier.

Chacun des habitants se portant en ce siège à l’envi, et pour se signaler par quelque notable effet, et pour subvenir aux grands fraix et despences qu’il convenoit faire pour les vivres et munitions de guerre, les eschevins et procureurs de la ville convoquèrent universellement les habitants, qui se taxèrent volontairement, et aucuns d’eux firent don de certaines sommes, autres firent prêts à la ville, mesme les chapitres, entre lesquels messieurs du chapitre 118de Saincte Croix presterent deux cens escus d’or vieux. Et parce que cette ville d’Orléans estoit lors le centre du royaume (la ville de Paris estant angloise), quelques villes françoises considerans l’importance du siege, elles contribuerent de vivres et munitions de guerre, comme fit la ville de Bourges, et autres d’argent, sçavoir Poitiers, où residoit le parlement, qui fit don aux habitants d’Orléans à une fois de sept cens livres parisis, et à l’autre de neuf cens livres ; mesme les habitants de la Rochelle donnerent aussi quatre cens livres parisis, comme il se justifie par les comptes d’Estienne de Bourges et de Jean Hillaire, lors receveurs de la ville.

Et parce que la guerre est la table ouverte aux mal vivans et l’arcenal du vice, et, quelque discipline qu’on y apporte, il est impossible que la piété et la religion n’y perde du sien, messieurs du chapitre de Saincte Croix ordonnèrent plusieurs processions pendant le siège en l’église Nostre Dame des Miracles et de Sainct Paul, en laquelle fut porté la vraye croix, le chef de Sainct Mamert, et les corps saincts de sainct Euverte, sainct Aignan, et autres148.

119Cependant l’armée anglaise, partie de Meung et de Beaugency, s’avançait vers Orléans par les plaines de la Sologne, mais en s’éloignant peu du cours de la Loire. Elle comptait parmi ses chefs, après le comte de Salisbury, Guillaume de La Pole, comte de Suffolk, l’un des plus habiles généraux de Henri V, Jean de La Pole, son frère, les seigneurs de Scales ou d’Escalles, de Ross, de Fauconberg, d’Egres, de Moulins et de Pomus149, le bailli d’Évreux, Lancelot de L’Isle, mareschal de l’Ost, Glacidas ou Glasdale150, guerrier célèbre, Gilbert de Halsate151, Thomas Guérard, Guillaume de Rochefort152,

et plusieurs aultres chevaliers et escuyers, tant angloys comme faulx et renégats françoys, avec ceulx des villes de Paris et Chartres, et de la province de Normandie153.

(Mardi 12 octobre) L’armée arriva devant Orléans le 12 octobre 1428. L’intention du comte de Salisbury, en venant d’abord établir 120 le siège au midi de la ville, avait été de couper plus facilement les communications de la place avec les provinces encore soumises à Charles VII.

On avait travaillé jour et nuit à élever un boulevard au-devant des Tournelles154, fort qui défendait la tête de l’ancien pont d’Orléans, et qui, placé sur le pont même, ne tenait à la terre que par une arche de pierre et un pont-levis, sous lequel coulait une partie des flots de la Loire. Ce boulevard, qui devait servir à couvrir le pont-levis, n’était pas encore achevé, lorsque l’avant-garde de l’armée anglaise pénétra dans le faubourg ruiné du Portereau, à la suite d’un certain nombre d’aventuriers français envoyés à la découverte, et qui, surpris et accablés par le nombre, se repliaient sur la ville. Les Français prirent à l’instant 121le parti de mettre le feu aux débris du faubourg et même à l’église des Augustins, restée encore debout au milieu des ruines. Les maisons de ce siècle étaient pour la plupart construites en bois. En un moment le faubourg, embrasé tout entier, opposa un mur de flammes à l’armée anglaise. Forcés de s’arrêter, les ennemis dressèrent leurs tentes à une certaine distance de l’entrée du faubourg, et attendirent dans l’inaction la fin de ce vaste incendie, tandis que les Français se hâtaient d’achever le boulevard commencé155. Ce boulevard156 était formé, selon l’usage du temps, de fagots fortement liés les uns aux autres, et soutenu par de gros pieux profondément enfoncés dans le sol. Les intervalles étaient remplis de terre et de décombres entassés157.

(Dimanche 17 octobre) Cinq jours après, l’artillerie des Anglais, disposée tant sur les débris du faubourg que sur le bord du fleuve, entre ce faubourg et Saint-Jean-le-Blanc, 122commença à tirer sur la ville. Les bombardes vomissaient des boulets de pierre, dont quelques-uns pesaient jusqu’à cent seize livres. Ces masses effrayantes, lancées à la manière de nos bombes, produisaient, en tombant sur les édifices, l’effet de la foudre. Une jeune femme, nommée Belle158, en fut mortellement atteinte159. Il semble que l’honneur d’offrir la première victime du dévouement à la patrie, dans ce siège fécond en témoignages d’héroïsme, appartînt à ce sexe, à qui la gloire de le terminer par une victoire sans exemple dans les fastes des nations était également réservée.

(Du 17 au 21 octobre) Douze moulins, placés sur la rive du fleuve, en avant des murs de la ville, et non loin de la Tour-Neuve, devinrent par l’ordre du comte de Salisbury, le principal point de mire de l’artillerie anglaise. Ils ne présentèrent bientôt à la vue qu’un informe amas de ruines. Aussitôt les Français, avec cette industrie et cette activité qui les caractérisent, établirent en divers lieux, dans l’intérieur de la ville, onze nouveaux moulins, que des chevaux mettaient en mouvement, et qui furent d’un grand secours pendant toute la durée du siège160. Il est probable que, prévoyant la destruction des moulins placés sur la rivière, 123les Français en avaient retiré d’avance tout ce qui pouvait servir à l’établissement des nouveaux, et était susceptible d’un prompt transport. Comme les ennemis ignoraient dans quels endroits de la ville ceux-ci avaient été placés, il leur fut impossible de les détruire.

Cependant les Français, sans s’effrayer du feu continuel des ennemis, sortirent plusieurs fois des Tournelles, et livrèrent divers combats entre le boulevard du fort et les batteries de Saint-Jean-le-Blanc161. Résolu d’emporter le poste important des Tournelles, Salisbury fit occuper vis-à-vis, à demi-portée de canon, l’église et la maison des Augustins, qui n’avaient pu être entièrement détruits, les entoura de fossés profonds162, en avant desquels s’étendait une enceinte de fortes palissades163, couvrit ces travaux d’une artillerie formidable164, et transforma en forteresse menaçante, en bruyant temple de la guerre, ces lieux jusque-là consacrés au silence, à l’étude, à la prière, à l’hospitalité, à tous les devoirs de la religion, à toutes les vertus de la paix.

124Tout faisait prévoir au général Anglais qu’il ne s’emparerait pas des Tournelles, sans éprouver de la part des assiégés, la plus vigoureuse résistance. Deux moyens s’offraient à son choix : l’assaut ou la mine. Le premier flattait son amour-propre ; le second présentait moins de danger, et plus d’apparence de succès. Il fit également des préparatifs pour tous les deux, résolu à n’employer le second, que si le premier ne réussissait pas. La saison était avancée ; il n’avait pas de temps à perdre ; il croyait pouvoir beaucoup compter sur la première ardeur de ses troupes, jusqu’alors toujours victorieuses ; et il lui importait de donner, dès le commencement des opérations, une haute idée de ses forces et de son audace.

Tandis que son artillerie, tirant jour et nuit, couvrait le bruit des travaux, la mine, commencée dans l’intérieur de la bastille des Augustins, fut conduite jusque fort près du boulevard et du fort des Tournelles. On ignore comment les Français en eurent connaissance. Ils commencèrent aussitôt à contre-miner, et mirent tant d’activité dans ce travail, qu’ils approchèrent bientôt du souterrain creusé par les Anglais165.

(Jeudi 21 octobre) Le comte de Salisbury résolut alors de livrer l’assaut, et de tâcher d’emporter le boulevard de 125vive force. À la vue des échelles et des autres machines propres à ce genre d’attaque, que les Anglais faisaient avancer vers les Tournelles, les assiégés vinrent en grand nombre occuper le fort et le boulevard166. Villars, Guitry, Coaraze, Pierre de La Chapelle, don Mathias, Poton de Xaintrailles, le seigneur de Xaintrailles son frère167, et Nicole de Giresme, chevalier de Rhodes168, accoururent au premier signal du danger. L’assaut commença dès dix heures du matin selon les uns169, à midi selon les autres170, et dura jusqu’à deux heures, avec une ardeur et un acharnement sans exemple. À mesure que les Anglais atteignaient le haut du boulevard, les Français les précipitaient dans les fossés, d’où ils ne pouvaient se relever. Accablés sous le poids des pierres lancées sur eux, entourés de cercles de fer embrasés, aveuglés par des nuages de chaux et de cendres rouges, dévorés sous leurs cuirasses par des flots d’huile bouillante, s’ils se soulevaient, s’ils cherchaient à fuir, des chausse-trapes hérissaient la terre, arrêtaient leurs pas et les faisaient retomber. Les femmes d’Orléans, enflammées d’une ardeur héroïque, bravaient la 126mort pour venir porter aux assiégés des vivres et des armes nouvelles. On les voyait, à travers une grêle de traits, présenter aux guerriers des fruits, du vin, des breuvages rafraîchissants, ou essuyer, avec des linges humectés, leurs fronts baignés de sueur et couverts de poussière ; d’autres voituraient des pierres, faisaient bouillir l’eau et l’huile, rougir le fer destiné à porter la mort dans le sein de l’étranger171.

Aulcunes furent vues durant l’assault, qui Angloys repoussoient à coups de lances des entrées du boulevard, et ez fossés les abattoient172.

Guitry, Coaraze, Villars, Nicole de Giresme et Poton de Xaintrailles, furent tous plus ou moins blessés dans cet assaut. Le brave Pierre de La Chapelle y reçut le coup dont il mourut deux jours après, emportant au tombeau les regrets des Orléanais et de tous ses compagnons d’armes173. La perte des Anglais fut la plus considérable ; deux cent quarante trouvèrent la mort au pied du boulevard174. Un auteur moderne fait même monter ce nombre à trois cents hommes d’armes175. Raoul Auguste, seigneur de Gaucourt, 127gouverneur d’Orléans, parcourant pendant l’assaut les rues de la ville pour y maintenir le bon ordre, son cheval, apparemment effrayé par la chute de quelque boulet, se cabra sous lui comme il passait devant l’église de Saint-Pierre-en-Pont ; il tomba et se démit le bras176.

Le comte de Salisbury, témoin du peu de succès de l’attaque du boulevard, et voyant l’ardeur de ses troupes se ralentir, fit sonner la retraite et cesser le combat. Il donna aussitôt l’ordre de poursuivre les travaux de la mine avec la plus grande vigueur. On y travailla jour et nuit :

… tant que ledit boulevart fut presque tout miné, et n’estoit retenu que sur estayes, où il ne falloit si non que mectre le feu pour faire fondre icelluy boulevart, et accabler ceulx qui estoient dedens177.

On voit qu’on n’employait pas encore le moyen de l’explosion pour détruire les fortifications ; on se bornait à les faire abîmer dans des souterrains creusés sous leurs fondements, en embrasant les appuis qui les soutenaient.

(Vendredi 22 octobre) Sentant l’impossibilité de défendre plus longtemps le boulevard, et même le fort des Tournelles, qui, battu constamment par l’artillerie ennemie, était prêt à fondre en ruines, les 128Français coupèrent une arche du pont, en arrière du fort, et élevèrent sur ce même pont, à peu près au milieu de la rivière, dans un endroit où il s’appuyait sur une espèce d’île, un boulevard solidement construit, qu’on appela le boulevard de la Belle-Croix178, du nom d’un monument de la piété des Orléanais, qui s’élevait en ce lieu179. (Samedi 23 octobre) Puis, ayant mis eux-mêmes le feu au boulevard des Tournelles à la vue des ennemis, ils se retirèrent dans le fort, dont ils levèrent le pont après eux180.

(Dimanche 24 octobre) Les Anglais vinrent le lendemain attaquer les Tournelles, tant de front du côté de la terre, que par le côté oriental du fort : la rivière étant alors fort basse, ils pouvaient arriver de ce côté jusqu’au pied des murs et y dresser leurs échelles181. Les Français ne leur opposèrent que peu de résistance, attendu l’état délabré des Tournelles, qui était tel qu’on ne s’osoit tenir dessoubs, et se retirèrent au boulevard de la Belle-Croix182 d’où ils commencèrent à tirer sur le fort qu’ils venaient d’abandonner. Le comte de Salisbury donna aussitôt le commandement des Tournelles 129à Glasdale, aventurier célèbre183

qui estoit de hault couraige, mais plein de toute tyrannie et orgueil184.

Celui-ci fit rompre deux arches du pont, du côté de la ville, et élever derrière un grand boulevard de bois et de terre pour couvrir les Tournelles. Il plaça ensuite, tant sur le boulevard que sur le fort même, qu’il fit réparer à la hâte, un grand nombre de canons et de bombardes du plus fort calibre, et fit tirer jour et nuit sur la ville et sur le boulevard de la Belle-Croix, dont le commandement avait été confié au chevalier Nicole de Giresme. L’artillerie placée sur ce boulevard répondait sans relâche au feu des Tournelles, et faisait un grand dégât dans cette bastille ;

au subject de quoy Glacidas usa soubvent de grans menaces, et s’alloit vantant par son orgueil, qu’il feroit tout tuer à son entrée dedens la ville, tant hommes comme femmes, sans en espargner aulcuns185.

(Lundi 25 octobre) La perte des Tournelles avait répandu beaucoup de tristesse dans la ville, quand l’arrivée du comte de Dunois vint ranimer tous les esprits. Ce jeune héros était accompagné de Jean de Boussac186, seigneur de Sainte-Sévère, maréchal 130de France, du seigneur de Bueil, de Jacques de Chabannes, sénéchal du Bourbonnais, du seigneur de Chaumont-sur-Loire, de Théaulde ou Théodore de Valpergue187, chevalier lombard, de Cernay ou Cernez, chevalier aragonais, gouverneur de Vendôme,

et d’ung vaillant capitaine gascon appelle Estienne de Vignoles, dit La Hire : qui estoient de moult grant renom et vaillans, les capitaines et vaillans gens de guerre estans en sa compaignie. […] [Ils étaient accompagnés] de huict cens combattans, tant hommes d’armes, comme archiers, arbalestriers, avecques aultre enfanterie d’Italie, qui portèrent tergons (sorte de boucliers)188.

L’arrivée de ce secours fit prévoir au comte de Salisbury que le siège se prolongerait ; et il sentit que la saison était trop avancée pour qu’il pût se flatter de réduire avant l’hiver une place si considérable et si bien défendue. Il résolut d’enfermer la ville dans une enceinte de forts, qui, placés à peu de distance les uns des autres, rendraient presque impossible l’entrée des convois, et réduiraient bientôt une population nombreuse 131à la plus extrême famine189.

(25 ou 26 octobre, selon la Chronique sans nom, 24 octobre selon le Journal du siège.) Dans le dessein de choisir les endroits les plus convenables pour l’érection de ces forteresses, le général anglais se rendit au fort des Tournelles, d’où l’œil pouvait embrasser la ville et une partie de ses environs. Montant au second étage, il se plaça à une fenêtre du côté du pont190, et se mit à considérer l’assiette de la place191. Selon d’autres, un combat qui s’était engagé sur la rive opposée attirait en cet endroit son attention192. On assure que Glasdale, qui l’accompagnait, lui disait alors :

— Monseigneur, regardez icy vostre ville : vous la voyez d’icy bien à plain193.

Tout à coup un boulet de pierre, parti de la ville ou du boulevard du pont, d’autres disent d’une tour nommée la tour de Notre-Dame194, vint frapper l’un des côtés de la fenêtre195 où était le comte, qui, au bruit du coup, se rejeta vivement en arrière196, lui emporta un œil et 132la moitié du visage197, et étendit sans vie un gentilhomme qui se trouvait derrière lui198. Quelques-uns croient que ce n’est pas du boulet même, mais des éclats du mur, que le général fut atteint199. Il tomba tout sanglant aux pieds de Glasdale200. Transporté dans un lieu moins exposé, il manda auprès de lui les principaux chefs de son armée, et leur enjoignit, au nom du roi d’Angleterre, de ne point abandonner l’entreprise, mais de tout employer, au contraire, pour la conduire à sa fin201. Il paraît qu’il avait recommandé le plus grand secret, car on ne connut cet accident que deux jours après202.

(Premiers jours de novembre, selon la Chronique sans titre.) S’étant fait, sous quelque prétexte203, transporter à Meung204, il y termina au bout de quelques jours205 une vie illustrée par la gloire des armes, mais trop de fois souillée par la cruauté et la tyrannie.

De la mort duquel furent fort esbahiz et dolens les Angloys tenant le siège, et en feirent grant dueil, combien qu’ilz le faisoient le 133plus celéement qu’ilz povoient, de paour que ceulx d’Orléans ne s’en apperceussent. Si feirent vuider les entrailles et envoyer le corps en Angleterre… Plusieurs dirent depuis que le comte de Salebris (Salisbury) print telle fin par divin jugement de Dieu, et le croient, tant parce qu’il avoit failly de promesse au duc d’Orléans, prisonnier en Angleterre, auquel il avoit promis qu’il ne mesferoit en aulcune de ses terres, comme aussi parce qu’il n’espargnoit monasteres ne églises qu’il ne pillast et fist piller, puis (après) qu’il y peust entrer. Qui sont choses assez induisans à croire que ses jours en furent abregez par juste vengeance de Dieu206.

L’impossibilité de déterminer avec certitude l’endroit d’où était parti le coup qui lui donna la mort, et le bruit généralement répandu que c’était de la tour Notre-Dame, contribuaient également à établir cette opinion dans des esprits du quinzième siècle. Le destructeur du saint temple de Cléry, de ce temple vénéré, consacré à la mère du Christ, frappé d’un coup de foudre parti d’une tour portant le nom de la Vierge céleste, offrait à l’imagination des peuples, toujours amante du merveilleux, un de ces éclatants exemples de la justice divine, qui, transportant un moment leur pensée au-dessus de cette vallée de larmes qu’il 134leur faut si péniblement parcourir, leur donnent une plus haute idée de l’importance de leur être, leur montrent, au-delà du tombeau, une gloire et un bonheur à conquérir, et les consolent ainsi, et de leur obscurité et des épines de la vie.

Cette mort excita chez les deux peuples des sentiments bien différents.

Et en furent les Françoys joyeulx, et les Angloys moult courrouciez et troublez, et avoient cause ; car c’estoit le plus vaillant et hardy chevalier de leur pays, et celluy du royaulme d’Angleterre qui en son temps avoit porté plus de dommaige au, roy de France207.

Le duc de Bedford fut celui qui dut sentir plus vivement sa perte ;

car il se reposoit es citez de France à son ayse, luy et sa femme qui partout le suivoit ; et quant l’aultre fust mort, il luy convint maintenir la guerre208.

On peut se faire une idée de l’effet que produisit en Angleterre la nouvelle de la mort du comte de Salisbury, et de la haute réputation dont il y jouissait, par le passage suivant traduit mot à mot des lettres de créance données quelque temps après, au nom du roi Henri VI, à Gartier ou Jarretière, roi d’armes envoyé au duc de Bedford avec des instructions secrètes.

135D’abord ledit Jarretière, après présentation des lettres de créance du roi et très-cordial salut de la part du roi, lui dira et déclarera (au duc de Bedford) qu’il a été depuis peu rapporté au roi et à son conseil la lamentable sortie de ce monde de son très-cher et bien-aimé cousin le comte de Salisbury (veuille le Christ, en souvenir de sa passion, faire miséricorde à son âme !), lequel, comme le sait mondit seigneur de Bedford, et aussi tout fidèle sujet du roi, fut en sa vie si fidèle, diligent et zélé pour le roi en France et ailleurs, que, sauf seulement le plaisir de Notre Seigneur, c’est un trop pesant ennui pour le roi, pour mondit seigneur de Gloucester, et aussi pour le reste de messeigneurs du conseil du roi, de rappeler et d’évaluer une si grande perte et un si grand châtiment de la miséricordieuse main de Dieu, qu’est la perte de sa personne qui étoit si zélée pour le roi et pour ses pays. Néanmoins, le roi, par l’avis de sondit conseil, pensant bien qu’il n’est pas sage de se révolter contre la main de Notre Seigneur ; mais qu’il vaut mieux tâcher de réparer ce malheur, et remercier Dieu de tout, et ainsi 136recommande au duc de Bedford209 d’exhorter le reste des sujets du roi placés sous sa régence à agir de même, et, maintenant, après la grande joie et encouragement qu’il est probable que les ennemis du roi dans ces contrées recevront de la mort de mondit seigneur de Salisbury, de résister et de repousser puissamment, par tous les efforts et l’activité possibles, leur orgueil et leur malice, et de voir et pourvoir à ce que les travaux, diligences et services que mondit seigneur de Salisbury paraissait avoir projetés, et eût probablement exécutés, soient faits et accomplis à l’égard d’Orléans, tels que le roi apprend que les avait habilement, dignement et chevalereusement commencés, pendant qu’il dirigeait le siège en personne, mondit seigneur de Salisbury, que Dieu absolve210.

Les capitaines de l’armée anglaise envoyèrent en toute hâte des messagers au duc de Bedford, pour l’informer de ce triste événement, et lui demander un nouveau chef211. Le choix du duc tomba sur le comte de Suffolk212. Ce général, formé également à l’école de Henri V, joignait à 137l’habileté et au courage du comte de Salisbury, une générosité et une noblesse de sentiments qui manquèrent trop souvent à ce dernier. Résolu d’accomplir le projet de son prédécesseur touchant le blocus de la ville, Suffolk envoya une partie de ses troupes passer la Loire à Meung et à Jargeau (mardi 8 novembre), dont les ponts étaient les plus voisins, et se rendit lui-même dans l’une de ces deux villes, où il fut rejoint par le fameux Talbot, que le duc de Bedford lui envoyait avec de nombreuses troupes, tant anglaises que bourguignonnes213. Glasdale resta dans les Tournelles avec environ cinq cents combattants214. On ne sait qui fut chargé du commandement de la Bastille et du parc des Augustins : il est probable que les officiers à qui la garde en fut confiée, étaient dès ce temps-là sous les ordres de Glasdale.

Informés du projet de l’ennemi de venir établir une partie du siège à l’orient, au nord et à l’occident de la ville, les Orléanais mirent à profit le temps qui leur restait pour abattre et livrer aux flammes un grand nombre d’églises placées autour de la ville, et que leur piété avait jusqu’alors épargnées. Détruire ces demeures saintes avant que l’ennemi pût s’en emparer, c’était tout à la fois travailler à la sûreté de la 138place, et les sauver des profanations d’une soldatesque effrénée. On cite au nombre des objets d’un si grand sacrifice offert au roi et à la patrie :

l’eglise de Saint-Aignan, patron d’Orléans, et aussi le cloistre d’icelle église, qui estoit moult beau à veoir, l’église de Saint-Michel, l’eglise de Saint-Aux215, la chapelle du Martroy, l’eglise de Saint-Victeur assise es forsbourgs de la porte Bourgoigne, l’église de Saint-Michel-dessuz-les-fossés, les Jacobins, les Cordeliers, les Carmes, Saint-Mathurin, l’Aumosne-Saint-Pouair, et Saint-Laurens. Et oultre plus bruslerent et desmolirent tous les forsbourgs d’entour leur cité, qui estoit très belle et riche chose à veoir, avant qu’ilz fussent abattuz ; car il y avoit de moult grans édifices et riches, et tellement qu’on tenoit que c’estoient les plus beaux forsbourgs de ce royaulme. Mais, ce nonobstant, les abattirent et bruslerent les Françoys de la garnison, et ce, par le vouloir et ayde de ceulx d’Orléans, afin que les Angloys ne s’y peussent loger216.

On ne sait, en lisant ce récit, ce qu’on doit admirer le plus, de la grandeur d’un tel acte de dévouement, ou de la simplicité de paroles avec laquelle on le transmettait à la postérité.

139De leur côté les Anglais brûlèrent ce jour-là même plusieurs pressoirs et autres édifices champêtres qui s’élevaient sur la rive gauche du fleuve, au-dessous des Tournelles217 ; et il fut résolu par leurs généraux (mercredi 9 novembre), dans un conseil tenu à Jargeau, à Meung, ou à Beaugency (on ne trouve rien de précis à cet égard dans les Chroniques du temps), qu’on enverrait sans délai des troupes élever un fort à Saint-Jean-le-Blanc, où j’ai dit qu’une batterie avait été placée dès le commencement du siège, et un boulevard à Saint-Privé, poste situé près de la Loire, fort au dessous d’Orléans, vis-à-vis le village de Sainte-Madeleine, ce boulevard et ce fort devant assurer le passage du fleuve au-dessus et au-dessous des Tournelles218 ; que les trois bastilles et les boulevards du sud, savoir, Saint-Jean-le-Blanc, les Augustins, les Tournelles, le boulevard des Tournelles et celui de Saint-Privé, seraient sous le commandement supérieur de Glasdale, gouverneur particulier des Tournelles, et que le reste de l’armée viendrait incessamment mettre le siège devant la ville, du côté de la Beauce219.

(1er décembre) Le premier jour de décembre ensuivant, arrivèrent aux Tournelles du Pont plusieurs 140 seigneurs angloys, dont, entre les aultres, estoient de plus grant renom, messire Jehan Talbot, premier baron d’Angleterre, et le seigneur d’Escales, accompaignez de trois cens combattans, qui y amenèrent vivres, canons, bombardes, et aultres abillemens de guerre, desquelz ilz jecterent contre les murs et dedens Orléans, plus continuellement et plus fort que devant n’avoient faict au vivant du comte de Salebris (Salisbury) ; car ilz jectoient de telles pierres qui pesoient huict vingt-quatre livres, qui feirent plusieurs maulx et dommaiges contre la cité en plusieurs maisons et beaux édifices d’icelle, sans personne tuer ne blecer, qu’on tenoit à grant merveille ; car, entre les aultres, en cheut une en l’hostel et sur la table d’un homme qui disnoit luy cinquiesme, sans aulcun en tuer ne blecer : qu’on dit avoir esté miracle faict par Nostre-Seigneur, à la requeste de monsieur sainct Aignan, patron d’Orléans220.

Les jours se passaient en alarmes continuelles ; souvent, au milieu de la nuit, les sons lugubres du beffroi arrachaient de leur lit les habitants livrés au sommeil, et les appelaient à la défense de leurs murs menacés. Pour contre-balancer, autant que possible, l’effet des pièces d’artillerie, 141d’une grandeur jusqu’alors inconnue, dont les Anglais battaient leurs remparts, les Orléanais chargèrent un habile ouvrier, nommé Guillaume Duisy, de jeter en fonte une bombarde du plus fort calibre. Cet homme y travailla avec tant d’activité, qu’elle fut bientôt en état de tirer sur l’ennemi (jeudi 23 décembre). On l’établit près de la poterne, à l’endroit où s’élevaient autrefois les moulins, et l’on plaça à ses côtés deux gros canons, l’un nommé Montargis221 et l’autre Bifflard, qui, pendant tout le siège, foudroyèrent presque continuellement la rive opposée222.

La solennité de Noël vint suspendre un moment les hostilités ; on conclut une trêve qui devait durer seulement depuis neuf heures du matin jusqu’à trois heures après midi.

Ce temps durant, Glacidas et aultres seigneurs du pays d’Angleterre requirent au bastard d’Orléans (Dunois) et au seigneur de Saincte Severe, mareschal de France, qu’ils eussent une nocte (bande) de haulx menestriers, trompettes et clairons ; ce qui leur fut accordé ; et jouèrent les instrumens assez longuement, faisans grant 142mélodie223.

On voit que l’esprit de la chevalerie, si mal apprécié dans les derniers temps, avait du moins le mérite d’adoucir la barbarie des mœurs du siècle, et d’établir quelquefois des rapports d’égards et de civilité entre les ennemis les plus irréconciliables.

Mais si tost que les tresfves furent rompues, se print chacun garde de soy. Durant les festes et feriers de Noël, jecterent d’une partie et d’aultre très fort et horriblement de bombardes et canons. Mais sur tout faisoit moult de mal un couleuvrinier natif de Lorraine, estant lors de la garnison d’Orléans, nommé maistre Jehan, qu’on disoit estre le meilleur maistre qui fut lors d’icelluy mestier. Et bien le monstra ; car il avoit une grosse couleuvrine dont il jectoit (tirait) souvent, estant dedens les piliers du pont, près du boulevard de la Belle Croix, tellement qu’il en tua et bleça moult d’Angloys. Et pour les mocquer, se laissoit aulcunefois cheoir à terre, faignant estre mort ou blecé, et s’en faisoit porter en la ville. Mais il retournoit incontinent à l’escarmouche, et faisoit tant, que les Angloys le sçavoient estre vif, en leur très grant dommaige et desplaisir224.

Ainsi le caractère propre aux Français, ce mélange de légèreté, de gaîté et de courage, ce 143penchant invincible pour la raillerie, cette indifférence pour une vie dont ils savent mieux que tout autre peuple apprécier et multiplier les jouissances, ce goût d’enfant pour les bravades, cette frivolité, enfin, qui joue avec les périls et la mort, triomphaient alors, comme de nos jours, des plus horribles calamités, des disgrâces les plus cruelles, qui puissent éprouver une nation fière et généreuse.

(Mercredi 29 décembre) Quelques églises et plusieurs maisons situées autour d Orléans, n’avaient pu encore être abattues : les avis qu’on reçut de la prochaine arrivée des ennemis du côté de la ville où elles étaient situées, firent hâter leur démolition. Saint-Loup, Saint-Marc, Saint-Gervais, Saint-Euverte, la chapelle de Saint-Aignan, Saint-Vincent-des-Vignes, Saint-Ladre, Saint-Pouair et la Madeleine, furent rasés et livrés aux flammes. L’événement prouva la sagesse de cette mesure. Le lendemain même (jeudi 30 décembre), deux mille cinq cents combattants, venant de Meung et de Beaugency, et conduits par le comte de Suffolk, Talbot, Jean de La Pole, de Scales et Lancelot de l’Isle, parurent à l’occident de la ville, se dirigeant sur Saint-Laurent-des-Orgerils, petit bourg situé au bord du fleuve, et séparé alors de la porte occidentale, nommée la porte Regnard, par l’intervalle d’une portée de canon. Dunois, le maréchal de Sainte-Sévère, Jacques de Chabannes,

et plusieurs aultres chevaliers, escuyers 144et citoyens d’Orléans, qui moult vaillamment se portèrent, leur allèrent au-devant, et les recueillirent (reçurent) comme leurs ennemis. Et là furent faicts plusieurs biaulx faiz d’armes d’une part et d’aultre225.

Le combat fut surtout très-vif autour d’une croix qui s’élevait entre la ville et le bourg, mais plus près de la ville, et qu’on nommait, dans le langage du temps, la Croix boissée, parce que ce monument de la piété des fidèles était apparemment construit en bois226. Maître Jean, qui avait fait sortir sa couleuvrine de la ville, déploya dans cette occasion autant de sang-froid que d’habileté et de courage. Il ne cessa, pendant toute la journée, de tirer sur l’ennemi avec une adresse et un bonheur extraordinaires. Jacques de Chabannes fut blessé au pied d’une flèche tirée par un archer anglais ; un second trait perça le cheval du guerrier, et l’étendit mort sous son maître227 ; la nuit seule mit fin au combat. Les Anglais s’établirent aux Orgerils.

(Vendredi 31 décembre) Le lendemain deux guerriers gascons, de la troupe de La Hire, nommés, l’un, Jean le Gasquet, 145et l’autre, Védille,

deffierent deux Angloys à faire deux coups de lance : et les Angloys receurent le gaige.

Plusieurs seigneurs, tant de France que d’Angleterre, vinrent se placer assez près d’eux pour être spectateurs du combat. Gasquet s’avança d’abord, et, du premier coup, fit vider les arçons à son adversaire. Védille et l’Anglais qui lui était opposé se trouvèrent d’égale force, et ne purent se renverser l’un l’autre228. Ces combats particuliers, dans lesquels les Français avaient presque toujours l’avantage, entretenaient en eux, malgré les revers qu’ils avaient essuyés en masse, cette bonne opinion de la valeur nationale, qui fait en grande partie la force des armées.

(Samedi 1er janvier 1428, l’année ne commençait alors qu’à Pâques.) Le 1er janvier fut marqué par une victoire remportée par les Anglais sur les assiégés. Ceux-ci étant sortis par la porte Regnard, un combat s’engagea entre cette porte, le rivage de la Loire, et une petite rivière nommée Flambert, qui, prenant sa source dans les collines situées au nord d’Orléans, venait alors, en suivant la direction du nord au sud, se jeter dans ce fleuve. L’abbé de Cercanceaux, le même qui avait figuré à la délivrance de Montargis, montra en cette occasion son audace accoutumée, et fut blessé à la tête des Français, qu’il animait également par 146ses paroles et par son exemple. Les Anglais ayant subitement fait sortir toutes leurs forces dans la campagne, accablèrent les Français, qui, dans la précipitation de leur retraite, abandonnèrent le chariot de la coulevrine dont le canonnier lorrain s’était servi avec tant de succès contre leurs ennemis229. Il est probable que c’est à la suite de cette victoire, ou peu de temps après, que les Anglais commencèrent à construire un boulevard entre le fort de Saint-Laurent et la porte Regnard, à l’endroit où s’élevait la croix de bois dont j’ai déjà eu occasion de parler. Il prit d’elle le nom de boulevard de la Croix boissée.

(Dimanche 2 janvier) La nuit suivante, à deux heures après minuit, les Anglais établis à Saint-Laurent-des-Orgerils s’approchèrent en grand nombre, et dans le plus grand silence, du boulevard de la porte Regnard, qu’ils espéraient escalader et surprendre. Tout semblait protéger leur entreprise. Les Français, fatigués du combat de la veille, devaient en ce moment succomber au sommeil ; le ciel était couvert des nuages les plus sombres ; la pluie, qui tombait par torrents, redoublait l’obscurité, et empêchait qu’on ne pût entendre les pas des ennemis. Arrivés au pied du boulevard, ils allaient y appliquer leurs échelles, quand les Français, 147qui veillaient exactement, malgré leurs fatigues, les aperçurent, et crièrent à l’arme ! Le beffroi répondit aussitôt à ce cri par ses sons terribles : en un instant toute la population de la ville accourut sur ses remparts, et contraignit

les Angloys d’eulx en retourner à grant haste dedens leur ost (camp) et bastille de Sainct Laurens des Orgerilz. Si ne gaignerent qu’estre mouillez230.

Réflexion qui suffit sans doute pour dédommager les Français de la mauvaise nuit qu’ils avaient passée. (Lundi 3 janvier) L’arrivée au port Saint-Loup de neuf cent cinquante-quatre porcs et de quatre cents moutons acheva de les consoler ; car ilz vindrent au besoing, dit le Journal du siège ; ce qui prouve que le manque de vivres se faisait déjà sentir dans la ville.

(Mardi 4 janvier) Sans se décourager du mauvais succès de leur première tentative, les Anglais concertèrent pour la nuit suivante deux nouvelles attaques, qui devaient répandre le trouble et la confusion parmi les assiégés, en attirant à la fois leur attention sur des points différents. À quatre heures après minuit, la garnison des Tournelles sortit du fort, et s’avança vers le boulevard du pont. Au même instant les Anglais de Saint-Laurent vinrent se présenter devant la porte Regnard : tous à la fois, dans le silence d’une nuit profonde, poussent 148des cris horribles ; de toutes parts les clairons et les trompettes retentissent ; le beffroi s’ébranle, et annonce à la ville les nouveaux périls qui la menacent. Guidés par leurs chefs intrépides, les Orléanais couvrent leurs murs ; l’ordre n’est pas un instant troublé ; chacun est à son poste, chacun apporte à son pays le tribut de ses forces et le sacrifice de sa vie. Bientôt le bronze s’allume et tonne sur les remparts ; la foudre, dirigée au hasard, porte la mort dans l’ombre, et semble encore plus effrayante. À la pointe du jour, les Anglais reculent et se renferment dans leurs forts231.

La noble résolution, la constance héroïque d’une ville entourée de tant de périls, excitaient l’admiration de la France entière. Louis de Culant, amiral de France, résolut de braver tous les dangers pour secourir ses vaillants défenseurs. (Mercredi 5 janvier) Suivi de deux cents guerriers intrépides, il vint par la Sologne se jeter à l’improviste sur les gardes anglaises, parcourut le Portereau la lance au poing, renversa tout ce qui s’opposait à sa course, passa entre les bastilles du sud, traversa la Loire vis-à-vis Saint-Loup,

et s’en entra luy et ses gens dedens la cité pour sçavoir des nouvelles et du gouvernement d’elle, et des Françoys y estans : auquel et à ses gens fut faict grant 149chere, et moult furent louez ; car aussi s’estoient ilz portez très vaillamment contre les Angloys à l’escarmousche du Portereau232.

(Jeudi 6 janvier) Dès le lendemain, impatient de signaler son courage, l’amiral fit une sortie à la tête d’une partie de la garnison. Le maréchal de Sainte-Sévère, Théodore de Valpergue et plusieurs autres capitaines, voulurent l’accompagner.

Et feirent une grande escarmousche où ilz se portèrent très grandement contre les Angloys, lesquelz se deffendoient bien et hardiment. […] A celle escarmousche se porta pareillement moult bien maistre Jehan, à tout sa couleuvrine233.

Il paraît qu’aucun des deux partis ne put s’attribuer l’avantage de la journée.

(Jours suivants.) Cependant le comte de Suffolk ne perdait pas un moment pour faire exécuter le plan de siège conçu par le comte de Salisbury. Il fit construire un boulevard formé de fagots soutenus par des pieux, et dont les intervalles étaient remplis de sable, dans une petite île qui existait alors près de Saint-Laurent234, et à laquelle une chronique du temps donne le nom d’île Charlemagne235. Ce boulevard était en vue de celui qu’on avait établi plus bas, à Saint-Privé, sur l’autre rive 150du fleuve, et tous deux gardaient ce passage, par lequel les Anglais de Saint-Laurent communiquaient avec ceux de la Sologne, et leur faisaient parvenir des vivres.

Et pour les garder, en avoient faict cappitaine messire Lancelot de l’Isle, mareschal d’Angleterre236.

(Lundi 10 janvier) Malgré toute l’activité avec laquelle on pressait les travaux d’enceinte, des vivres, des munitions, envoyées de Bourges, entrèrent dans la ville.

En celuy jour y eut aussi une très grosse et forte escarmousche, tant de canons comme d’aultre traict et couleuvrines, dont ceulx qui les jecterent (tirèrent) feirent grandement leur debvoir, et tellement qu’il y eut beaucoup d’Angloys tuez et plusieurs prins prisonniers237.

Des combats, assez semblables, par leur nature et par leurs résultats, à ceux des Grecs autour de Troie, se livraient chaque jour devant les portes. Les pièces d’artillerie placées sur les différents boulevards tiraient continuellement sur les ouvrages opposés. (Mercredi 12 janvier) Celles du boulevard du pont, dirigées par maistre Jehan y abattirent, à neuf heures du soir, toute la couverture et le comble du fort des Tournelles, et six anglais y périrent. Presque toutes les nuits les assiégeants, parvenus sans bruit au pied des boulevards de 151la place, faisaient tout à coup sonner leurs trompettes, tentaient l’escalade, et, toujours vigoureusement repoussés, ne reprenaient le chemin de leurs forts qu’après avoir longtemps disputé la victoire.

(Samedi 15 janvier) Dunois résolut de leur rendre les alarmes qu’ils donnaient a la ville, et de les aller trouver jusque dans leurs parcs des Orgerils. Ces parcs, dont la description de ceux qu’ils avaient établis devant Montargis238 peut donner une assez juste idée, renfermaient leurs principales forces, et couvraient une vaste étendue de terrain. Le maréchal de Sainte-Sévère, Jacques de Chabannes, alors guéri de sa blessure, et plusieurs autres chevaliers et écuyers, accompagnèrent Dunois dans cette entreprise. Mais, soit que, trahis par leur impatience, ils n’eussent pas attendu que la nuit fût assez obscure (il n’était que huit heures du soir quand ils sortirent de la ville), soit qu’ils n’eussent pas observé un assez profond silence, ils furent découverts trop tôt par les Anglais, qui crièrent à l’arme, et vinrent en grand nombre à leur rencontre. Dunois ne se déconcerta point, attaqua vivement les Anglais, et en leur saillie furent très bien battus239.

(Dimanche 16 janvier) Douze cents combattants, conduits par un chevalier 152d’une haute réputation, appelé sir Jean Fastolf (nom que les chroniques françaises changent en celui de Fascot), arrivèrent le lendemain aux parcs de Saint-Laurent, avec une grande quantité de

vivres, bomhardes, canons, pouldres, traict, et aultres abillemens de guerre, de quoy les gens de l’ost (l’armée) avoient grant souffrette240.

Ce Jean Fastolf, qui reparaîtra plusieurs fois dans le cours de cette histoire, jouissait d’une haute faveur sous Henri V, qu’il avait suivi dans ses guerres. On trouve parmi les pièces manuscrites recueillies à Londres par M. de Bréquigny, et déposées à la bibliothèque du roi, un état, dressé en 1417, des places qui étaient alors au pouvoir de Henri V, avec les noms des capitaines qu’il y avait établis ; on y voit qu’à cette époque sir Jean Fastolf avait le commandement des villes de Meulan et du Mans, et qu’il était lieutenant pour le roi (Charles VI) et le régent du royaume (Henri V)

en Normandie et les bailliagis de Rouen, Évreux, Alençon, et du pays d’environ la revere de Seyne, et avec le gouvernement des pays d’Anjou et du Maine241.

Il était né dans le comté de Norfolk242.

153(Lundi 17 janvier) Deux accidents assez singuliers durent contribuer à confirmer les Orléanais dans la pensée que la protection du ciel les couvrait de son égide. Un boulet de pierre, lancé par les Anglais du boulevard de la Croix-Boissée, vint tomber devant le boulevard de la porte Bannier, au milieu de plus de cent personnes, sans en tuer ou blesser aucune, frôla légèrement le pied d’un soldat français, et, sans lui faire le moindre mal, enleva sa chaussure, qui est chose merveilleuse à croire, ajoute la chronique à laquelle j’emprunte cette particularité243. Ce jour-là même, dans un champ voisin de la porte Bannier, près d’un petit édifice rustique appelé le Coulombier Turpin244, devait avoir lieu un combat de six Français contre six Anglais : il est probable que les personnes rassemblées en dehors du boulevard de cette porte, n’y étaient venues que pour assister à ce combat. Leur attente fut trompée ; les six Français se présentèrent en vain sur le champ de bataille ; leurs adversaires ne parurent point245. Ils crurent apparemment qu’un boulet de canon, tiré sur les Français, les acquitterait suffisamment de leur parole.

(Lundi 24 janvier) Quelques jours 154après, le brave La Hire, qui s’était un moment absenté d’Orléans avec trente hommes d’armes, passa entre les bastilles anglaises pour rentrer dans la ville, et arriva à la porte Regnard vers quatre heures après midi. Une pierre de canon, dirigée par les Anglais sur cette petite troupe, vint également tomber au milieu d’elle, sans tuer ni blesser personne. À peine entrés dans la ville, La Hire et ses intrépides compagnons allèrent rendre d’humbles grâces à Dieu de les avoir sauvés d’un si grand péril246.

(Mardi 25 janvier) Une certaine quantité de bétail venait d’entrer dans Orléans à l’ouverture des portes ; un second convoi, composé d’une charrière et de deux sentines (sortes de barques) chargées de cinq cents pièces de bétail, suivait le premier, et serait également arrivé à sa destination, si quelques habitants d’un village nommé Sandillon, situé sur la rive gauche de la Loire, entre Jargeau et Orléans, et auxquels les marchands propriétaires du convoi avaient été probablement obligés de recourir, ne les eussent trahis et dénoncés à Glasdale, gouverneur des Tournelles et des autres bastilles du sud. Glasdale envoya des troupes au port Saint-Loup, où les barques devaient aborder, et elles furent prises à leur arrivée. Informés de cet événement, et que les Anglais emmenaient 155 les barques vers l’autre rive, les Français, tant gens de guerre comme citoyens, sortirent à la hâte de la ville, et, dans l’espoir de les reprendre, se firent transporter dans une île le long de laquelle il fallait que les barques vinssent passer pour arriver au port de Saint-Jean-le-Blanc247. À peine les Français y étaient-ils descendus, qu’un grand nombre d’Anglais, qui s’étaient cachés dans les bâtiments d’une tuerie établie alors un peu au-dessus de Saint-Jean-le-Blanc, sortirent de leur embuscade en poussant de grands cris, et tombèrent avec furie sur les Français étonnés. Ceux-ci, trop faibles pour 156soutenir cette attaque, se précipitèrent en foule dans les bateaux qui les avaient apportés, et tâchèrent, à force de rames, de regagner l’autre bord. N’ayant pu se rembarquer assez vite, deux gentilshommes furent pris, dont l’un, attaché à Dunois, était surnommé le petit Breton, et l’autre, appelé Raymonet, appartenait au maréchal de Sainte Sévère. Vingt-deux Français périrent par l’épée. La couleuvrine de maître Jean, qu’il avait fait passer dans l’île, tomba au pouvoir des ennemis. Cet intrépide Lorrain pensa être pris lui-même, il courut risque de la vie, et n’échappa, pour ainsi dire, que par miracle. À l’instant où il venait d’entrer dans sa nef, une foule de fuyards s’y vint précipiter ; cédant au poids qui la surchargeait, elle s’abîma dans le fleuve avec tous ceux qu’elle portait, et qui, pesamment armés, durent trouver la mort dans les flots. Plus légèrement vêtu, maître Jean essaya d’atteindre un grand chaland qui s’éloignait à force de rames, et s’élança sur le gouvernail. À peine l’avait-il embrassé, que ce gouvernail, dont les ferrements était sans doute usés de vétusté, se détacha du navire, et maître Jean retomba à la merci des flots. Ne perdant point courage, nonobstant toutes telles infortunitez, moitié nageant, moitié soutenu par cette pièce de bois flottante, il parvint à gagner l’autre rive. Les Anglais emmenèrent les barques au port de Saint-Jean-le-Blanc, conduisirent 157en triomphe la couleuvrine dans les Tournelles, et partagèrent avec les traîtres de Sandillon le butin fait sur les Français248.

(Mercredi 26 janvier) Le lendemain, le ciel étant pur et serein, et le soleil brillant d’un éclat extraordinaire pour la saison, les Français se répandirent hors du boulevard de la porte Bannier. Les Anglais, s’apercevant que le soleil donnait droit dans les yeux de leurs ennemis, sortirent en grand nombre de leurs parcs et de leurs bastilles, et vinrent attaquer les Français. Éblouis, hors d’état de distinguer leurs adversaires, les défenseurs d’Orléans furent repoussés jusqu’au bord des fossés, et eurent la douleur de voir les Anglais planter un de leurs étendards au pied du boulevard. Mais ils n’y restèrent pas longtemps,

parce qu’on leur jectoit d’Orléans et du boulevard moult espessement de canons, bombardes, coulevrines, et aultre traict.

Vingt Anglais périrent en cet endroit. Le maréchal de Sainte-Sévère y perdit un archer très-habile, qui fut tué d’un boulet tiré d’Orléans même,

dont son maistre et les aultres seigneurs furent bien marriz249.

(Jeudi 27 janvier) Enhardis sans doute par leurs derniers succès, cinq cents combattants sortirent le lendemain de 158la bastille et des parcs de Saint-Laurent-des-Orgerils, et vinrent, pour la première fois, attaquer de jour (à trois heures après midi) le boulevard de la porte Regnard,

faisans très grants et merveilleux criz.

Emportés par leur impétuosité naturelle, les Français s’élancèrent du boulevard et s’avancèrent en désordre vers leurs adversaires. Le maréchal de Sainte-Sévère, craignant les conséquences qui pouvaient en résulter, courut à eux, les arrêta, et les força de rentrer dans l’enceinte du boulevard. Ensuite les ayant rangés en ordre de bataille, il se met à leur tête, sort tout à coup avec eux des retranchements, tombe sur les Anglais qui avaient pris la retraite des Français pour une fuite,

et les conduit, tant bien par son sens et proësse, qu’il ramène les ennemis jusque dans leurs bastilles et leurs parcs de Saint-Laurent250.

(Samedi 29 janvier) Les Anglais résolurent d’attaquer Orléans avec toutes les forces qu’ils avaient sur la rive droite du fleuve, tant dans la bastille et les parcs de Saint-Laurent, que dans quelques autres forts qu’ils avaient édifies au nord et à l’orient de la ville.

Le samedy ensuivant XXIXe jour du mesme janvier, à huict heures du matin, feirent les Angloys grans criz en leur ost et bastilles, se meirent en armes à grant puissance, et, par 159grant ordonnance, continuans tousjours leurs criz, et faisans demonstrance de grant hardiment, s’en vindrent jusques à une barrière qui estoit en la greve (sur la rive), devant la tour de Nostre Dame, et jusques devant le boulevart de la porte Regnard : mais ilz furent bien receuz.

Les gens de guerre, et un grand nombre d’habitants, sortirent en bon ordre de la ville, et un grand combat s’engagea,

tant à la main comme des canons, coulevrines et traict, [dans tout l’espace qui s’étendait depuis le bord du fleuve jusqu’à la porte Regnard], et y eut beaucoup de gens tuez, blecez et prins de part et d’aultre.

On vit, au plus fort du combat, les Anglais se rassembler avec de grands signes de douleur autour d’un grand seigneur de leur pays, qui avait été frappé à mort, et que les Français ne purent reconnaître. On sut depuis qu’ils avaient transporté son corps à Jargeau, où il avait été enseveli251.

Ce même jour, La Hire et Lancelot de l’Isle eurent une heure de sûreté pour s’entretenir ensemble : elle fut fixée au soir même, vers le moment où l’on fermait les portes de la ville. On ignore quel pouvait être l’objet de cette entrevue. Peut-être ne s’agissait-il que de régler la rançon de quelques prisonniers ; peut-être était-il question 160d’offrir des conditions pour la reddition de la place. Quoi qu’il en soit, dès que l’heure de la sûreté fut écoulée, ils se séparèrent ; et, comme chacun d’eux s’en retournait vers ses gens, un boulet tiré d’Orléans enleva la tête à Lancelot de l’Isle,

dont ceulx de l’ost furent très dolens, car il estoit leur mareschal, et bien vaillant homme252.

Quelque droit qu’eussent les Français de tirer sur lui, l’heure de la sûreté passée, il y avait certainement peu de délicatesse à en user sitôt. Peut-être voulurent-ils se venger du coup de canon tiré sur eux, dans un moment de trêve, quelques jours auparavant. Ces cruelles représailles, quelquefois nécessaires, mais qui répugnent à la générosité française, sont une des plus déplorables calamités de la guerre. Malheureusement les Anglais n’ont que trop souvent compté sur l’horreur qu’elles inspirent à notre nation ; ils ont même feint de méconnaître le principe de cette répugnance jusqu’à l’attribuer à la crainte et à la faiblesse.

Il y avait déjà quelque temps que les Orléanais avaient envoyé des messagers au roi pour lui exposer le danger de leur situation, et solliciter ses secours. De leur côté, les capitaines rassemblés dans la ville avaient choisi Villars, le seigneur de Xaintrailles, Poton de Xaintrailles, et l’aragonais 161Cernay ou Ternez, pour aller en leur nom remplir la même mission auprès du monarque. Villars, Xaintrailles, Poton et Cernay retournèrent ce jour-là même, et entrèrent dès le matin dans Orléans, à peu près à l’heure où le combat raconté plus haut venait de commencer. Les envoyés de la ville étaient revenus la veille. Les uns et les autres annoncèrent que le comte de Clermont, fils aîné du duc de Bourbon, rassemblait à Blois des troupes avec lesquelles il se proposait de venir au secours de la ville. Ces forces montaient à trois ou quatre mille hommes. Jean Stuart, connétable d’Écosse, le seigneur de la Tour, baron d’Auvergne, le vicomte de Thouars, seigneur d’Amboise, et une foule de grands seigneurs d’Auvergne, de Bourbonnais et d’Écosse, s’étaient réunis au comte de Clermont253. Dunois, craignant peut-être qu’il ne persistât point dans son projet, résolut d’aller le trouver lui-même. L’exécution de ce dessein n’était pas sans difficulté et sans péril. Les Anglais, qui, depuis quelque temps, avaient beaucoup avancé leurs travaux d’enceinte, informés sans doute des préparatifs du comte de Clermont, redoublaient de surveillance, et gardaient exactement tous leurs postes. Dunois, en se hasardant à passer entre leurs bastilles, croyait n’exposer que lui ; il ne balança pas.

162 (Dimanche 30 janvier) Il sortit de la ville, au milieu de la nuit, avec un petit nombre de chevaliers et d’écuyers, et vint passer près du fort de Saint-Laurent. Quelques mots imprudemment prononcés par une personne de sa suite avertirent les Anglais de son approche. Croyant qu’on venait attaquer leurs bastilles, ils crièrent à l’arme254. De poste en poste, ce cri, répété dans l’ombre et le silence de la nuit, se prolongea sur toute la ligne de leurs forts et de leurs boulevards. Dunois, mettant à profit leur méprise, se hâta de s’éloigner, et poursuivit heureusement sa route.

Une grande lutte s’engagea le même jour au nord-ouest de la ville. Les Anglais des bastilles du nord étaient venus enlever, pour faire du feu, les appuis des vignes qui s’étendaient autour de Saint-Ladre et de Saint-Jean-de-la-Ruelle : le maréchal de Sainte-Sévère, La Hire, Poton, Jacques de Chabannes, Cernay et Denis de Chailly, sortirent à la tête des habitants, livrèrent un rude combat aux ennemis, en tuèrent sept, et en emmenèrent quatorze prisonniers ; le reste prit la fuite. Du côté des Français, un vaillant Orléanais, nommé Simon de Baugener, atteint d’un trait à la gorge, fut le seul qui périt en cette occasion.

(Jeudi 3 février) Sainte-Sévère, Jacques de Chabannes, La Hire, Coaraze et plusieurs autres chevaliers, sortirent 163d’Orléans quatre jours après, et coururent jusqu’au boulevard de la bastille Saint-Laurent. Les Anglais crièrent aux armes, déployèrent douze bannières, et se mirent tous en bataille dans leurs parcs, attendant que les Français vinssent les y assaillir. On sait que plus d’une fois cette résolution avait assuré la victoire à nos ennemis. Les pals aigus et inclinés en-dehors qui formaient l’enceinte de ces parcs opposaient un obstacle presque insurmontable à la cavalerie, qui faisait alors la principale force des armées françaises, tandis que les archers anglais, défendus par ce rempart homicide, lançaient à loisir sur elle leurs carreaux foudroyants et leurs flèches irrésistibles. Cette fois ils comptèrent inutilement sur l’étourderie et l’impétuosité françaises ; Sainte-Sévère ne jugea pas devoir permettre à ses guerriers une attaque dans laquelle leurs adversaires auraient joui de trop d’avantages. Après avoir attendu quelque temps, voyant que les Anglais ne montraient aucune envie de quitter leurs retranchements, il ramena en bon ordre ses troupes dans l’enceinte de la ville255.

(Dimanche 6 février) À la tête de deux cents combattants, ce général, dont le caractère offrait un heureux mélange de prudence et d’audace, alla courir le surlendemain jusqu’au village de la Madeleine. Chabannes, 164Poton, La Hire et Chailly l’accompagnaient. Probablement des forces respectables étaient prêtes à sortir d’Orléans au premier signal, pour le soutenir, si les ennemis eussent cherche à l’accabler ; et peut-être il voulait, par l’appât d’une telle capture, les attirer en assez grand nombre hors de leurs bastilles pour engager un combat général. Soit que les Anglais devinassent son intention, soit que la rapidité de sa course les tînt dans l’incertitude sur son véritable dessein, ils ne sortirent ni de leurs parcs, ni de leurs bastilles. De Scales et trente combattants qui se trouvaient en ce moment dans le village de la Madeleine, furent surpris par les Français : quatorze furent tués ou pris ; le reste se retira en toute hâte dans le fort et dans le parc de Saint-Laurent256.

(Lundi 7 février) Théodore de Valpergue et Jean de Lescot, chevalier gascon (le même qui avait rendu Sully à Guillaume de Rochefort257), arrivèrent le lendemain dans la ville, et confirmèrent la nouvelle du secours envoyé par le roi pour faire lever le siège.

(Mardi 8 février) Mille combattants

tellement abillez pour faict de guerre, que c’estoit une moult belle chose à veoir,

ne tardèrent pas à les suivre. Ils étaient conduits par sir Guillaume Stuart, 165frère du seigneur de ce nom, connétable d’Écosse, et par les seigneurs de Verduran ou Verduisan et de Saucourt. Neuf cents guerriers rassemblés sous la bannière de Guillaume d’Albret, et cent vingt autres attachés à la fortune de La Hire, arrivèrent pendant la nuit.

(Mercredi 9 février) Le jour suivant Gilbert Motier, seigneur de la Fayette, chevalier du Bourbonnais et maréchal de France (le même qui avait remporté sur les Anglais, en 1421, la sanglante victoire de Baugé), amena encore trois cents hommes dans la place. Ce jour-là même le brave Jacques de Chabannes, Regnault de Fratames et un vaillant chevalier nommé le bourg de Bar, résolurent d’aller joindre à Blois le comte de Clermont, accompagnés seulement de vingt ou vingt-cinq combattants. Ils furent malheureusement rencontrés par un corps d’Anglais et de Bourguignons, qui les enveloppèrent. Jacques de Chabannes et Regnault de Fratames se firent jour l’épée à la main, et échappèrent aux ennemis. Le bourg de Bar, moins heureux, tomba en leur puissance, et fut conduit dans la tour de Marchenoir, à trois lieues à l’occident de Beaugency258.

On venait d’apprendre que le duc de Bedford avait fait partir de Paris, au commencement du 166mois, un convoi de vivres, de munitions259, d’armes de toute espèce et d’artillerie de siège260, escorté, selon les uns, de quinze cents261, et, selon les autres, de deux mille sept cents hommes262, sous la conduite de sir Jean Fastolf, alors grand-maître de sa maison263, et de sir Thomas Rempston, capitaine également fort estimé, qui avait eu sous Henri V, en 1417, le commandement des places de Meulan et de Bellencombre264. On trouve dans une chronique du temps, écrite jour par jour par un habitant de Paris, les détails suivants sur la manière dont ce convoi avait été formé :

En icelluy temps convint faire par les bourgeois de Paris finance de farine pour mener en l’ost devant Orléans ; et en firent finance de plus de trois cens chariotz chargez, lesquelx chariotz et chevaulx et touttes choses appartenans à charroy ceulx du plat pays d’entour Paris payèrent, se non (sinon) qu’ils furent, quant ilz vindrent à Paris, assignez de leurs despens jusques à neuf jours ensuivans, et n’y 167devoient plus (davantage) demourer : mais ilz furent, après les neuf jours, aultres neuf jours à leurs despens, et leurs chevaulx, qui moult les greva ; et le douziesme jour de février se partirent à grant compaignie de gens d’armes, et allèrent jusques à Estampes sans dangier265.

Cette nouvelle changea les dispositions du comte de Clermont. Avant d’aller attaquer les Anglais rassembles pour le siège d’Orléans, il crut devoir essayer de surprendre le convoi qui leur était envoyé266. Il craignait probablement que la réunion des troupes de Fastolf à celles du siège, et l’arrivée des vivres qu’il amenait aux assiégeants, en inspirant à ces derniers une plus grande confiance, ne rendissent très-hasardeux le succès de son entreprise, et il espéra battre plus facilement les Anglais en détail.

(Jeudi 10 février) Informé de cette nouvelle résolution, Dunois, qui ne venait que d’arriver dans la ville, retourna aussitôt vers lui, escorté seulement de deux cents hommes267, peut-être pour l’engager à ne rien changer à son premier dessein. Le comte persista, et voulut réunir ses forces : il fallut obéir.

(Vendredi 11 février) Guillaume d’Albret, Guillaume Stuart, le maréchal de Sainte-Sévère, les seigneurs de Graville, de Verduran et de Xaintrailles, 168Poton de Xaintrailles et La Hire, se mirent en chemin avec quinze cents combattants268, et se dirigèrent du côté de Janville, en remontant la route que Fastolf devait parcourir, et sur laquelle le comte de Clermont et le connétable d’Écosse devaient les joindre avec le gros de l’armée rassemblée à Blois.

(Samedi 12 février) Soit que le comte de Clermont eût rencontré des obstacles imprévus (on était au milieu de l’hiver, et il lui fallait parcourir quelques lieues de chemin de traverse), soit qu’une impatience pardonnable eût fait partir trop tôt les quinze cents hommes sortis d’Orléans, ce corps n’avait pas encore été rejoint par le gros de l’armée, quand, parvenu au-delà de Rouvroy ou Rouvray-Saint-Denis, ses chefs furent avertis que les Anglais arrivaient269 du côté de Cauville270, à la file, sans observer aucun ordre, et dans la sécurité la plus profonde271. Les capitaines français s’étant consultés, furent tous d’avis qu’il fallait attaquer aussitôt l’ennemi, sans lui donner le temps de se reconnaître, et de se former en bataille272. Il est probable que si cette résolution 169eût été exécutée, elle eût obtenu le plus grand succès, nonobstant l’infériorité du nombre dans lequel les Français se trouvaient alors. Mais le comte de Clermont envoya messages sur messages à La Hire (à qui l’on avait apparemment confié le commandement des troupes venues d’Orléans) pour qu’il eût à attendre son arrivée et celle de ses troupes.

Pour l’honneur et amour duquel ilz délaissèrent leur entreprinse, à leur très grant desplaisance, et sur tout de La Hire, qui demonstroit l’apparence de leur dommage, en tant que on donnoit espace aux Angloys d’eulx mectre et serrer ensemble, et avecques ce d’eulx fortifier de paulx (pals) et de charriotz273.

Le connétable d’Écosse, qui devançait le comte de Clermont, arriva en ce moment avec Guillaume Stuart son frère, Dunois, et plusieurs autres seigneurs et chevaliers : il témoigna également beaucoup de mécontentement et d’impatience de l’attente que leur prescrivait le comte de Clermont274.

Cependant les Anglais avaient enfin aperçu leurs ennemis rangés en bataille dans un champ voisin de la grande route275. Fastolf ordonna de faire halte. Trois cents chariots pesamment chargés formaient la partie la plus embarrassante 170du convoi276, et l’on pouvait craindre que leurs conducteurs, enlevés de force dans les campagnes des environs de Paris277, ne missent un grand désordre parmi les troupes en essayant de s’enfuir avec leurs attelages ; Fastolf fit placer tous ces chariots sur une ligne, les uns au bout des autres, en forma une espèce de rempart destiné à couvrir les derrières de sa petite armée, et établit une garde suffisante pour surveiller les conducteurs.

[Une haie de] pieulx, agus (aigus) à ung bout et ferrez à l’autre, qu’ilz fichèrent en terre en penchant devers les ennemys…

forma en avant des chariots une défense formidable278. Il semble, d’après la description fort obscure qu’en donne une chronique, que l’espace resserré qui s’étendait entre ces pieux et les chariots avait la forme d’un triangle : on n’y avait laissé qu’une seule entrée

longue et estroicte (ce qui ferait présumer qu’elle était placée à l’extrémité d’une des pointes de ce triangle), et par là convenoit entrer, qui les vouldroit assaillir279.

Selon d’autres, ce parc, étendu en longueur, avait deux entrées placées aux deux extrémités : on en confia la garde aux gens de trait280 ; les archers et 171arbalétriers de Paris furent placés à l’une des ailes, les archers anglais dans l’autre, et ce qu’on avait de gens de pied au milieu281. Alors, après s’être exhortés mutuellement à bien faire leur devoir, ils se recommandèrent à Dieu282,

et se meirent en belle ordonnance de bataille, attendans là vivre ou mourir283.

Outre sir Thomas Rempston,

qui pareillement avoit grant charge de gens d’armes,

Fastolf avait auprès de lui le bailli d’Évreux, Simon Morbier, alors prévôt de Paris pour le roi anglais284 (le même qui avait été pris d’une manière si singulière pendant le siège de Montargis285), le bâtard de Thieu ou de Thien, chevalier, bailli de Senlis ; Brisanteau, neveu de Simon Morbier ; le Galloy d’Aunay, seigneur d’Orville ; le grand Raoullin ; Louis de Luxu, gentilhomme de Savoie286, et plusieurs autres capitaines.

Chaque minute augmentait l’impatience des Français, qui voyaient leurs ennemis se fortifier à loisir, et s’enhardir par l’inaction à laquelle les premiers étaient condamnés. En effet, quelques 172archers Anglais, soit par bravade, soit que ce fût une ruse de Fastolf, sortirent de leur parc, et tirèrent sur les archers Français. Ceux-ci répondirent par une grêle de traits,

dont ilz les chargèrent tant espessement, qu’ilz en tuèrent plusieurs,

les forcèrent de reculer en toute hâte, et les suivirent jusqu’à la haie de leur parc287. S’il fallait même s’en rapporter à une chronique du temps, suivie en cet endroit par le père Daniel288 :

Ceulx d’Orléans, qui estoient là en grant nombre, les chargèrent à merveilles de belles coulevrines, contre lesquelles rien ne resistoit qu’il ne fut mis en pièces289.

Il est d’autant plus permis de révoquer ce fait en doute, — dit M. de Villaret, — qu’il paraît peu probable que dans une marche, où s’agissait de surprendre un convoi, la célérité qu’exigeait une pareille entreprise permît qu’on traînât une artillerie embarrassante, et dont jusqu’alors on n’avait point fait usage en pleine campagne290.

M. de Villaret aurait pu s’appuyer en outre sur le silence de la chronique du siège d’Orléans, journal minutieusement exact et de la plus grande 173autorité ; mais il n’aurait pas dû dire qu’on ne trouvait cette particularité dans aucun auteur contemporain.

En ce moment, le gros de l’armée, commandé par le comte de Clermont, paraissait dans l’éloignement ; le sang, prémices du carnage291, teignait déjà la terre ; déjà quelques victimes étaient tombées mortellement atteintes : il n’était pas possible que la haine des deux nations, que l’ardeur d’en venir aux mains, fussent plus longtemps contenues. On avait ordonné, on ne sait pourquoi, que personne ne descendrait de cheval : cette manière de combattre, dans laquelle la supériorité des Français était reconnue, mais à laquelle les Écossais n’étaient pas accoutumés, convenait certainement très-peu à la circonstance, et présentait même les plus grands inconvénients : il y eut à ce sujet de grandes contestations entre les capitaines de France et d’Écosse292. Le connétable Jean Stuart, sans s’arrêter à l’ordonnance générale, mit pied à terre, et résolut d’aller attaquer les Anglais main à main293 jusque dans leurs parcs294. À son exemple, Dunois, d’Albret, Guillaume Stuart, Jean de Mailhac, 174seigneur de Châteaubrun et vicomte de Bridiers, Jean de Lesgot ou Lescot, le seigneur de Verduran295, Louis de Rochechouart, seigneur de Montpipeau, et plusieurs autres chevaliers et écuyers, descendirent de cheval avec environ quatre cents combattants296, la plupart écossais297, et allèrent rejoindre les archers, qui continuaient l’escarmouche à l’entrée du parc où étaient placés les archers anglais298. Un assez grand nombre de cavaliers s’obstinèrent à ne point mettre pied à terre : on attaqua à pied et à cheval, pêle-mêle, sans aucune espèce d’ordonnance299. De leur côte, les Gascons, restés à cheval, ne purent voir de sang-froid ce mouvement : ils couchèrent leurs lances, et allèrent charger les ennemis à l’autre point de la bataille, à l’endroit où Fastolf avait placé les archers et arbalétriers de Paris300.

Cependant Fastolf s’apercevant que le gros de l’armée française n’avançait que lentement, ordonna 175aux Anglais de sortir tout à coup de leur parc, du côté qu’attaquaient à pied les archers français et les guerriers d’Écosse, tandis que la cavalerie gasconne, occupée dans un autre endroit, n’était pas à portée de leur prêter secours. Surpris en désordre, chargés avec furie, les Écossais et les archers français ne soutinrent pas cette attaque imprévue. Atteint au pied d’une flèche, au moment où il cherchait à les retenir par ses discours et par son exemple, Dunois tomba dans la foule, et eût infailliblement péri, si deux de ses archers ne l’eussent

à très grant peine tiré de la presse,

et placé sur un cheval301. Le connétable d’Écosse et Guillaume Stuart son frère, fidèles au malheur qui s’attacha à leur famille du moment où elle fut parvenue au trône302, ne 176furent pas du moins condamnés à la douleur de se survivre, et moururent à côté l’un de l’autre, les armes à la main303. Verduran, Châteaubrun, Jean Chabot, Guillaume d’Albret, Louis de Rochechouart304, 177les seigneurs d’Ivray et de la Grève305,

et plusieurs aultres, qui tous estoient de grant noblesse et très renommée vaillance,

trouvèrent également, dans ce combat funeste, une mort sanglante et inattendue306.

L’attaque des Gascons, à l’autre extrémité de la bataille, n’avait pas eu un plus heureux succès. Quelques-uns, au lieu d’assaillir de front les ennemis, avaient décrit un demi-cercle, et étaient venus menacer les derrières du parc, probablement dans l’espoir de trouver de ce côté un accès moins bien défendu, et plusieurs conducteurs de chariots ayant, à cette vue, dételé leurs chevaux, et voulu prendre la fuite à travers la campagne, furent bientôt atteints et mis à mort307 ; mais le gros de cette cavalerie vint charger sur les archers et arbalétriers de Paris. Voici comme un écrivain du temps, zélé bourguignon, ennemi passionné de Charles VII, rend compte de ce combat :

Les Arminaz (Armagnacs308) approcherent noz gens, et furent les Gascons, 178qui estoient bien montez, et la greigneur (plus grande) partie de leurs gens, ordonnez contre les arbalestriers et archers et compaignons de Paris. […] Quant ceulx de Paris veirent que ceulx à cheyal venoient vers eulx, ils commencerent à traire (tirer) des ars (arcs) et des arbalestres moult asprement. Quant les Gascons veirent ce, ilz baisserent la chère (leur joie diminua), et tournoïerent leurs lances devant eulx, pour garder leurs chevaulx du traict, et les poignerent (piquèrent) de l’esperon moult fort, comme cilz (ceux) qui avoient esperance de les mectre tous à mort, mais qu’ilz fussent près (sitôt qu’ils les auraient joints). Mais les malheureux, les meschans, les mauldicts, ne véoient (voyaient) pas le mal qui estoit devant leurs yeulx ; car, comme ilz approuchoient de nos gens à poincte d’esperon, leurs chevaulx entrèrent dedens les pieulx fichez, et les pieulx dedens leurs poitrines, ventres, et en jambes : si ne porent (purent) aler enadvant, mais cheurent les aulcuns (les uns) mors, et les maistres après. Ceulx qui furent atterrez (abattus) crioient aux aultres : Viras ! viras ! (Mots gascons qui veulent dire, retournez.) Si s’en cuiderent (crurent) tantost (aussitôt) fuir : mais leurs chevaulx, qui navrez estoient des pieulx d’avant diz (devant dits) cheoient (tombaient) tous mors soubz eulx, qui en abbatoient 179deux ou trois, et faisoient tresbucher leurs gens qui après venoient. Quant les Escossois et les aultres veirent ce, moult furent esbahys, et eulx prindrent à fuir comme bestes que ung loup espart (disperse) ça et là, et nos gens à les suivir de près, et à occire et à abbattre ce qu’ilz porent atteindre309.

Les Angloys, (dit une autre chronique), non saoulez de la tuerie qu’ilz avoient faicte en la place devant leur parc, s’espandirent hastivement dans les champs, chassans ceulx de pied ; tellement qu’on véoit bien douze estendars, loing l’un de l’aultre, par divers lieux, à moins d’un trait d’arbalestre de la principale place où avoit esté la desconfiture. Par quoy La Hire, Poton, et plusieurs vaillans hommes, qui moult enuis (à regret) s’en alloient ainsi honteusement, et s’estoient tirez ensemble (réunis) près du lieu de la destrousse, rassemblerent environ soixante ou quatre vingts combattans, qui les suivoient çà et là, et fraperent sur les Angloys ainsi espars, tellement qu’ilz en tuèrent plusieurs. Et certes, si tous les aultres Françoys fussent ainsi retournez qu’ilz feirent, l’honneur et le profit du jour leur feust demouré310.

180Cependant le comte de Clermont était arrivé assez près du champ de bataille, pour prendre part à l’action, s’il l’avait voulu, et secourir les Gascons et les Écossais311. Il avait des forces plus que suffisantes pour rétablir le combat, et arracher aux Anglais la victoire. Il venait d’être armé chevalier, ce jour-là même, par le maréchal de la Fayette312, et il semble que le souvenir de cette récente dignité eût dû lui inspirer les sentiments les plus généreux. Il n’en fut pas ainsi.

[Ni lui] ne toute la grosse bataille ne feirent oncques semblant de secourir leurs compaignons, tant parce qu’ils estoient descenduz à pied contre la conclusion de tous, comme aussi parce qu’ils les véoient presque tous tuez devant eulx : mais sitost qu’ilz apperceurent que les Angloys en estoient maistres, ils se meirent à chemin vers Orléans, en quoy ne feirent pas honnestement, mais honteusement. Et ilz eurent assez espace d’eulx en aler, car les Angloys ne les chassèrent pas, obstant (attendu) ce que la plus part estoient à pied, et qu’ilz sçavoient les Françoys estre en plus grant nombre313.

Il est très-probable que le dépit de n’avoir pas été attendu fut le principal motif de la conduite du comte de Clermont. Il faut convenir qu’il y avait 181autant de petitesse dans son ressentiment que de lâcheté dans sa vengeance.

Le Galloy d’Aunay, seigneur d’Orville, le Grand Raoullin et Louis de Luxu furent faits chevaliers par les capitaines anglais314. On nomma ce combat la Journée des Harengs, parce que le convoi conduit par Fastolf consistait principalement en barils remplis de cette espèce de poisson315.

Les Français revinrent à Orléans fort tard dans la soirée. La Hire, Poton, et Jamet du Tillay rentrèrent les derniers ;

car, par l’ordonnance de tous, demourerent tousjours à la queue des retournans, pour contregarder que ceulx des bastilles ne saillissent sur eulx, s’ilz sçavoient la desconfiture : en quoi les eussent peu encores plus endommager que devant, qui ne s’en fust prins garde316.

On peut juger de la consternation que répandit dans la ville ce retour si différent de celui auquel ses habitants s’étaient attendus. Le spectacle de ces guerriers, la plupart couverts de blessures, marchant en silence et les yeux baissés, l’obscurité de 182la nuit, la pâleur des torches, devaient avoir quelque chose d’effrayant et de funèbre. Avec quelle inquiétude les Français restés dans Orléans durent interroger les premiers arrivants sur le sort de ceux qui leur étaient chers ! De ces guerriers, brillants naguère encore de force et de jeunesse, de ces vieux capitaines, célèbres par tant d’exploits, qui, ce matin même, se flattaient d’ajouter une nouvelle palme à leurs anciens lauriers, la plupart, indignement dépouillés, couvraient de leurs corps sanglants les plaines désastreuses de Rouvray ; la prière des morts, l’hymne de la douleur allaient s’élever pour eux dans ces mêmes temples qu’ils devaient faire retentir de chants de triomphe, et les yeux de leurs amis, au milieu de ces tristes honneurs, étaient condamnés à chercher vainement leurs restes, abandonnés à la pillé de leurs vainqueurs317. Quel dut être surtout l’effroi douloureux des Orléanais, quand ils virent rapporter blessé leur héros chéri, ce seul représentant du sang de leurs princes, ce dernier chef royal laissé à leur fidélité par la Providence, ce guerrier à la fois si jeune, si sage, si magnanime, à la vie duquel l’existence 183d’Orléans et la liberté de ses citoyens semblaient désormais attachées !

(Dimanche 13 février, et jours suivants.) Malgré l’échec qu’ils venaient d’éprouver, les Français se trouvaient encore en assez grand nombre dans la place pour tenter d’en faire lever le siège aux Anglais, dont les forces, divisées en deux parties par le fleuve, ne pouvaient que très-difficilement s’entre-secourir ; mais il aurait fallu pour cela que le découragement et la division n’eussent pas affaibli les Français ; et c’était là le résultat le plus fâcheux de la défaite de Rouvray. On conçoit, d’après les détails que j’ai donnés sur cette déplorable journée, que les Français et les Écossais pouvaient réciproquement s’en attribuer la malheureuse issue, et les uns et les autres avaient de sanglants reproches à faire au comte de Clermont. Il tint plusieurs conseils318 pour déterminer le parti qui restait à prendre dans l’état actuel des choses. Le détail de ce qui s’y passa ne nous a pas été transmis ; mais il est probable que les discussions furent orageuses, que les esprits s’aigrirent de plus en plus, et qu’on dut se convaincre de l’impossibilité d’arriver, à travers tant d’éléments de discorde, à des résultats utiles à la patrie. Le comte de Clermont, blessé d’un mépris que peut-être on ne daignait pas lui dissimuler, peut-être aussi 184honteux de la conduite qui le lui avait attiré, ne chercha plus qu’un prétexte pour s’éloigner.

(Jeudi 17 février) Fastolf et son convoi n’arrivèrent que plusieurs jours après dans l’armée ennemie319. Ajoutant l’insulte à la victoire, les Anglais des Tournelles criaient aux assiégés, dès que le feu de la place venait à se ralentir : À mes biaulx harengs ! à mes biaulx harengs320 !

(Vendredi 18 février) Enfin le comte de Clermont prit son parti et annonça l’intention de quitter la ville,

disant qu’il vouloit aler à Chinon devers le roy, qui lors y estoit ; et emmena avecques luy le seigneur de la Tour (d’Auvergne) messire Regnault de Chartres, archevesque de Reims et chancelier de France, messire Jehan de Sainct Michel, evesque d’Orléans, natif d’Écosse, La Hire, et plusieurs chevaliers et escuyers d’Auvergne, de Bourbonnais et d’Écosse, et bien deux mil combactans : dont ceulx d’Orleans, les voyans partir, ne furent pas bien contens. Mais il leur promist, pour les apaiser, qu’il les secourroit de gens et de vivres321 !

Une chronique assure même qu’il

jura et promist à son départ de secourir la ville de gens et de vivres dedens ung certain jour : auquel il 185deffaillist322.

Soit qu’il répugnât à paraître à la cour après ce qui s’était passé, soit qu’une seconde pensée lui suggérât l’espérance de se rendre encore utile aux Orléanais avec ce qui lui restait de forces, il s’arrêta a Blois avec son corps d’armée et les seigneurs qui l’accompagnaient323. Le manque d’argent, le découragement des soldats, le défaut d’union parmi les chefs, entraînèrent la dispersion de ces troupes, rassemblées avec tant de peine.

Dunois, le maréchal de Sainte-Sévère, et le brave Poton de Xaintrailles, étaient les seuls chefs de guerre qui fussent restés fidèles à la mauvaise fortune d’une ville qui n’avait pas craint de se dévouer à la cause de son roi324. Le zèle et le courage de ses habitants étaient toujours les mêmes ; mais ils ne pouvaient se dissimuler qu’après avoir attiré sur eux, par une résistance héroïque, la haine et le courroux d’un ennemi implacable, ils étaient abandonnés à leur malheur325. Chaque jour les assiégeants augmentaient en nombre326. Selon quelques auteurs, leur armée s’était accrue de dix mille jusqu’à vingt-trois mille hommes327 ; les bastilles et les boulevards destinés à envelopper 186la ville, se multipliaient de plus en plus autour d’elle328 ; les assiégés n’osaient plus attendre leur délivrance d’un prince qui conservait à peine l’apparence de la royauté329. Plusieurs fois ils avaient envoyé des députés à leur duc, prisonnier en Angleterre, dans la vue de l’exciter à demander au moins la neutralité pour les terres de son apanage330 ; mais il eût fallu, pour l’obtenir, qu’il adhérât à l’infâme traité de Troyes ; la noblesse de son caractère s’opposait à ce qu’il y consentît, et toutes les négociations avaient échoué. Il ne restait plus qu’un parti qui présentât l’espoir de concilier jusqu’à un certain point le salut de la ville et sa gloire : c’était d’obtenir que la place fût remise, en séquestre, dans les mains du duc de Bourgogne, jusqu’à la décision de la querelle du roi Charles et du roi Henri touchant la succession au trône de France331.

(Samedi 19 février) Dunois, qui désormais sentait l’impossibilité de défendre longtemps la place, se rendit au vœu des habitants. Ils élurent pour députés quelques-uns d’entre eux et le brave Poton de Xaintrailles332, qui, invariable dans son dévouement, ne s’était 187jamais éloigné d’eux depuis le commencement du siège. Ce choix offrait d’autant plus d’avantages, que ce guerrier célèbre ayant, avec la permission du roi, passé sous les drapeaux du duc de Bourgogne à l’époque des démêlés de ce prince avec le duc de Gloucester, l’avait servi avec autant de bonheur que de zèle contre les Anglais en Hainaut et en Flandre333, et pouvait compter sur l’accueil le plus favorable. On savait que la plupart des grands vassaux de la couronne voyaient avec peine la longue captivité du duc d’Orléans334 ; la haine qui avait divisé Louis et Jean sans Peur n’avait point passé, sans s’affaiblir, à leurs enfants ; enfin, on fondait de justes espérances sur le caractère chevaleresque de Philippe le Bon. Entre les diverses considérations qu’on recommanda aux députés de mettre sous les yeux de ce prince, pour le déterminer à prendre la ville d’Orléans sous sa protection, on remarque celle-ci, qui fait connaître l’opinion qu’on avait de sa générosité : C’est que

leur seigneur Charles, duc d’Orléans, estant prisonnier en Angleterre, ne povait pour celluy temps entendre à la garde et conservation de ses terres335.

Tel était donc 188alors l’esprit de la chevalerie, que l’absence, la faiblesse, la captivité d’un prince, pouvaient jusqu’à un certain point rendre son héritage sacré, même à ses plus grands ennemis !

(Dimanche 20 février) Le lendemain du départ des députés un combat s’engagea entre les Français et les Anglais des bastilles de l’est et du nord. Ceux-ci sortirent de leurs forts et de leur parc de Saint-Laurent avec sept étendards déployés, et repoussèrent les Français

jusques au champ Turpin, à un ject de pierre d’Orléans ; mais ilz furent bien recueilliz de canons, coulevrines, et aultre traict, qu’on leur jecta de la ville incontinent, si espessement, qu’ilz s’en retournèrent à grant haste dedens leur ost et bastille de Saint Laurent, et aultres là entour336.

Le comte de Suffolk, Talbot et de Scales, s’étaient partagé les principales bastilles établies à l’occident, au nord et à l’est de la place ; il paraît que le comte avait presque entièrement abandonné à Glasdale le gouvernement de celles du sud. Séparés par le fleuve, et d’ailleurs en opposition complète dans leur caractère, leurs manières et leurs opinions, ils durent bientôt, par nécessité, par goût et par choix, ne conserver que fort peu de rapports et de communications au-delà de celles qu’entraînait la transmission 189des munitions et des vivres aux bastilles de la Sologne. Tandis que Glasdale, et ses soldats, à son exemple, prodiguaient chaque jour aux Français, du haut de leurs fortifications, les insultes et les menaces les plus grossières337, le comte faisait souvent succéder aux combats les plus meurtriers ces témoignages d’estime et de civilité chevaleresque, qui ennoblissent la victoire, en honorant le malheur. Tous les chefs de guerre placés sous ses ordres ne mettaient pas dans leur conduite autant de noblesse et de générosité ; la haine de leur nation pour les Français, et cette sorte d’orgueil féroce qui caractérise en général les peuples insulaires, ne cédaient pas également dans tous aux lois de l’honneur et de la loyauté guerrière ; mais Talbot et de Scales, dignes appréciateurs du courage, ne montraient pas moins de politesse et de courtoisie que Suffolk même dans leurs rapports avec le héros Orléanais.

(Mardi 22 février)Tous trois envoyèrent un jour à Dunois, par un héraut, un plat de figues, de raisins et de dattes ; le comte de Suffolk le pria en même temps de vouloir bien lui envoyer de la pane noire, dont il désirait faire fourrer une robe, attendu la rigueur de la saison. Dunois reçut le présent, et s’empressa de lui faire passer ce qu’il demandait 190par le même héraut,

de quoy le conte lui sceut très grant gré338.

(Dimanche 26 février, dernier du mois.) Un grand débordement du fleuve fit concevoir un moment l’espérance que les trois boulevards élevés par les Anglais dans l’île Charlemagne, sur la rive de la Sologne, près de Saint-Privé, et devant les Tournelles, du côté de la ville, pourraient être entraînés et détruits par les eaux339. Jamais elles n’avaient été plus hautes340 ; les flots s’élevaient jusqu’aux embrasures des canons ; leur cours était si violent et si rapide, qu’il semblait que rien ne dût leur résister341. Ces boulevards, particulièrement celui des Tournelles, incommodaient beaucoup la place, soit en tirant continuellement sur elle, soit en s’opposant à ce que les nefs qui lui auraient apporté des vivres pussent remonter la Loire, et leur destruction eût apporté un grand soulagement aux assiégés ; mais les Anglais travaillèrent jour et nuit avec une telle diligence, qu’ils parvinrent à les maintenir contre l’effort des flots, et ne cessèrent pendant tout ce temps de faire feu sur la ville, et d’endommager ses édifices. Bientôt les eaux diminuèrent, et emportèrent avec elles les espérances des Orléanais342. 191Les anciens Grecs auraient vu dans cette inondation passagère un généreux et vain effort de la divinité du fleuve en faveur de la cité vaillante, antique ornement de ses rivages. Une grande consternation dut suivre, qui, pour être fondée sur un préjugé superstitieux, ne devait pas avoir moins d’empire sur des esprits du quinzième siècle. Ce fut longtemps une opinion généralement adoptée à Orléans et dans presque tous les pays qu’arrose la Loire, que les débordements de ce fleuve annoncent quelque grand malheur au royaume343. L’état des affaires publiques pouvait faire penser que celui qui venait d’avoir lieu présageait la chute de la maison royale, et la transmission du sceptre à des mains étrangères344.

Ce jour même, la bombarde placée par les Français près de la poterne, à l’endroit où avaient été les moulins, pour battre le fort des Tournelles,

192tira tant terriblement contre elles, qu’elle en abbatit un grant pan de mur345.

Suffolk avait ordonné d’ouvrir une tranchée depuis le boulevard que les Anglais avaient établi à la Croix-Boissée, entre la Bastille de Saint-Laurent et la porte Regnard, jusqu’à celui qu’ils avaient élevé sur l’emplacement de l’église de Saint-Lazare, afin qu’on pût communiquer à couvert, et par un chemin plus court, de ce point du siège à l’autre.

(Jeudi 3 mars.) Témoins de ce travail, les Français firent une sortie dans laquelle ils mirent les Anglais en fuite, en prirent neuf, et en tuèrent un assez grand nombre : maître Jean en abattit cinq, entre autres, de deux coups de coulevrine ; parmi ces derniers, se trouva lord Gray, neveu du feu comte de Salisbury, et gouverneur de Janville,

dont les Angloys feirent grant regrez parce qu’il estoit de grant hardisse et vaillance346.

À peine retournés dans la ville, les Français, encouragés par ce premier avantage, en ressortirent en plus grand nombre : un vif combat s’engagea, et

ilz allèrent jusques bien près des Angloys estans à la Croix-Boissée. Et gaignerent ung canon jectant pierres grosses comme une boulle. Et oultre, en rapportèrent dedens leur ville deux tasses d’argent, une robbe 193fourrée de martres, et plusieurs haches, guisarmes (haches a deux tranchants), arcs, trousses (carquois) de fleiches, et aultres abillemens de guerre347.

Irrités de leurs pertes et de l’audace des assiégés, les Anglais sortirent en foule de leurs bastilles, déployèrent neuf étendards, et repoussèrent les Français jusqu’auprès du boulevard de la porte Bannier, où ceux-ci, s’étant ralliés sous le canon des remparts, tinrent ferme, et les forcèrent de reculer.

Combien que de rechef et tost retournèrent (les Anglais), et chargèrent fort et asprement sur les Françoys,

qui ne pouvant plus résister au nombre, voulurent se retirer dans le boulevard ; mais les Anglais les suivirent de si près, que l’entrée se trouva trop étroite pour la foule : un certain nombre périt par le fer des ennemis ; quelques autres, parmi lesquels on remarquait

ung vaillant escuyer gascon, nommé Regnault Guillaulme de Vernade, qui estoit fort blecé,

tombèrent en leur pouvoir ; d’autres, ne sachant où fuir, se précipitèrent dans les fossés de la porte Bannier, où les Orléanais qui couvraient les remparts, ne les reconnaissant pas au milieu du trouble et de la confusion générale, les écrasèrent à coups de pierres ; un nommé Étienne Fauveau, habitant d’Orléans même, reçut la 194mort, en cette occasion, de la main de ses propres concitoyens348.

(Vendredi 4 mars.) Chaque jour apportait aux assiégés de nouveaux sujets d’affliction. Quelques pauvres cultivateurs, dont les vignes situées près d’Orléans, aux environs de Saint-Ladre et de Saint-Jean-de-la-Ruelle, faisaient l’unique richesse, se hasardèrent à aller y faire les travaux que la saison réclamait. Trois cents Anglais, qui venaient enlever les échalas de ces vignes, pour en alimenter leurs loyers, surprirent ces malheureux et les enveloppèrent. En vain la cloche du beffroi appela les Français à leur secours : ils ne pouvaient arriver assez tôt ; et les Anglais emmenèrent prisonniers ces misérables vignerons349, que leur pauvreté et l’innocence de leurs travaux auraient dû mettre à couvert d’une telle injustice. Quel prétexte, en effet, pouvait autoriser la violence exercée à leur égard ? Leurs mains laborieuses, ces mains que des guerriers cruels osaient charger d’indignes liens, ne s’étaient point armées d’un fer homicide ; consacrées dès l’enfance à des soins pacifiques, le sang de leurs semblables, même celui des ennemis de la patrie, ne les avait jamais souillées ; nourrir les hommes, leur préparer l’oubli des peines de la vie, voilà toute leur ambition, 195toute leur espérance, toute leur destinée. Mais qu’est-il besoin de chercher leur crime ? Ils étaient Français et sans défense.

(Samedi 5 mars au mardi 8 mars.) L’arrivée, à plusieurs reprises, de quelques chevaux chargés de subsistances, la rencontre et la prise d’une damoiselle et de six marchands qui amenaient des vivres aux assiégeants, la mort d’un seigneur anglais tué d’un coup de coulevrine, et dont les Français ne surent pas le nom, mais

dont les Angloys feirent moult grant deuil350,

n’apportèrent que de faibles consolations aux assiégés ; et un événement assez singulier vint ajouter à leurs inquiétudes. On découvrit qu’une ouverture, de grandeur suffisante pour qu’un homme d’armes pût y passer, avait été pratiquée à la droite de la porte Parisie, dans le mur de l’aumône d’Orléans (on appelait ainsi une maison hospitalière fondée par la piété pour offrir un asile aux pèlerins). Le bruit de cette découverte se fut à peine répandu, que le peuple, se croyant trahi, accourut en foule, et témoigna tant de fureur, que le chef de cette maison prit la fuite351. Sa disparition n’était pas propre à dissiper les soupçons qui s’élevaient contre lui ; mais, eût-il été innocent, il est douteux qu’on lui eût permis de se disculper.

196(Jeudi 10 mars) Malgré sa grande jeunesse, Dunois unissait à une extrême justice cette fermeté sévère qui peut seule maintenir parmi des hommes armés l’ordre, la discipline et le respect des lois. Deux hommes d’armes français appartenant au Gallois de Villiers avaient, au mépris d’un sauf-conduit accordé par le prince à un habitant forcé de s’absenter, exercé sur cet homme quelque violence (c’est du moins ce que semble indiquer le récit très-laconique, et un peu obscur en cet endroit, de la chronique du siège) : Dunois les fit pendre à un arbre qui s’élevait hors de la porte de Bourgogne, parmi les ruines du faubourg352. Ce côté de la ville était le seul que les Anglais n’eussent pas encore investi : ils vinrent ce jour-là même établir sur les débris de l’église de Saint-Loup, vis-à-vis de la porte de Bourgogne, une bastille353 qui devait terminer la chaîne de forts et de redoutes projetée par le comte de Salisbury, pour enfermer Orléans au nord et au midi du fleuve. À compter de ce jour, il devint de plus en plus difficile de faire entrer des vivres dans la place. (Mardi 15 mars) Cependant le bâtard de Lange parvint à s’y introduire pendant la nuit avec six chevaux chargés de poudre à canon.

Les Anglais continuaient à molester et à enlever 197les vignerons qui, réfugies, ainsi que beaucoup d’habitants des campagnes voisines, dans l’enceinte d’Orléans, sortaient de ce commun asile pour se livrer à leurs travaux. Voyant que ces cultivateurs, instruits par l’expérience, se tenaient sur leurs gardes, et fuyaient dès que l’ennemi venait à paraître, trente soldats de la bastille Saint-Loup usèrent d’un stratagème pour les surprendre. Déguisés en femmes, ils se mêlèrent à quelques villageoises qui ramassaient du bois pour le vendre dans la ville, et s’approchèrent insensiblement de l’endroit où travaillaient les vignerons, aux environs de Saint-Marc et de la Bordeaux-Mignons ; alors, se jetant tout à coup sur eux, ils en saisirent neuf ou dix, et les emmenèrent dans leur fort354. Il est probable qu’on mettait ces malheureux à rançon, et que cet appât, toujours renaissant, excitait l’avidité d’une soldatesque accoutumée à tous les excès. L’obligation de fermer les yeux sur les crimes des soldats en pays étrangers, est l’inconvénient inévitable de toute guerre injuste un peu prolongée. De quel front, en effet, imposerait-on les règles de la justice à des hommes dont on expose à tous moments les jours pour soutenir des prétentions iniques et des entreprises illégitimes ? Les rapines et le brigandage sont alors considérés comme des compensations. 198Aussi Talbot avait-il coutume de dire ; dans un langage moins décent qu’énergique, que

si Dieu mesme estoit souldart, il se feroit pillard355.

(Mercredi 16 mars) Le départ du maréchal de Sainte-Sévère vint ajouter aux craintes des Orléanais. Obligé d’aller prendre possession de plusieurs terres qui lui étaient échues par la mort de Jean de Mailhac, seigneur de Châteaubrun, frère de sa femme, tué à la journée de Rouvray, il voulait d’abord se rendre auprès du roi, probablement pour l’engager à faire un nouvel effort en faveur d’Orléans ; et

il promist à ceulx de la ville qu’il retourneroit en brief ; et ilz furent très contens ; car il l’aymoient et prisoient, parce qu’il leur avoit faict plusieurs biens, et aussi pour les grants faicts d’armes que luy et ses gens avoient faicts pour leur défense356.

(Jeudi 17 mars) La mort d’Alain Dubey, prévôt d’Orléans, chéri pour ses vertus, suivit immédiatement le départ du maréchal : il est probable que les malheurs de sa patrie avancèrent le terme d’une vie qu’il avait employée tout entière à la servir.

Dont ceulx de la ville furent moult dolens, (dit la chronique), parce qu’il gardoit tousjours bien justice356.

Les Anglais étaient informés du départ du maréchal 199de Sainte-Sévère, de l’affaiblissement de la garnison, et probablement des démarches des habitants auprès du duc de Bourgogne : ils crurent devoir faire les plus grands efforts pour terminer au plutôt un siège si long et si meurtrier. En conséquence, toute leur artillerie, canons et bombardes, commença à faire sur la place un feu plus terrible que jamais. D’énormes pierres tombaient en grand nombre dans toutes les parties de la ville, se succédaient sans interruption, foudroyaient les édifices, écrasaient la foule, et répandaient partout la consternation et l’épouvante357.

(Dimanche 20 mars) La solennité de Pâques fleuries ne fit qu’interrompre ces scènes d effroi et de désolation : le lendemain (lundi 21 mars), les Français, animés par l’ardeur de la vengeance, sortirent de la ville en grand nombre, tant gens de guerre que citoyens d’Orléans et habitants des campagnes réfugiés dans ses murs, et allèrent attaquer les nouveaux boulevards que les ennemis venaient d’élever à la droite de la Grange-Cuivret, et d’où ils tiraient sans relâche sur la ville. À l’aspect de ces hommes, résolus de vaincre ou de mourir, frappés d’une terreur subite, les guerriers à qui la défense de ces boulevards étaient confiée, prirent la fuite avec ce qu’ils purent emporter d’effets et d’artillerie, 200et se réfugièrent dans la bastille de Saint-Laurent. Mais bientôt, honteux de leur frayeur, et sans doute excités par Suffolk, qui commandait immédiatement ce côté du siège, ils retournèrent au combat, faisans merveilleux cris et semblant de grant hardiesse, et rechassèrent les Français jusqu’à l’aumône Saint-Pouair. Un guerrier anglais, nommé Robin Héron, se signala en cette occasion par une valeur à laquelle les Français, toujours empressés de reconnaître les vertus de leurs rivaux, rendent, dans la chronique du siège, un témoignage honorable. Tout à coup les Orléanais s’arrêtent, se retournent, marchent à l’ennemi,

et les chargèrent tant de canons, coulevrines, et aultre traict, qu’ilz les contraignirent rebouter (reculer) et retraire (se retirer) à grant haste dedens leurs bastilles358.

(Mardi 22 mars) Un combat également sanglant et absolument semblable dans ses résultats, marqua la journée du lendemain. Le Champ-Turpin, les environs de la Croix-Morin et de Saint-Pouair, en furent le théâtre. Un Anglais, en fuyant, tomba dans un puits, non loin de cette croix, et dans la chaleur du combat il fut tué par les Français359 devenus à leur tour inflexibles et sans pitié.

201Le feu de l’artillerie anglaise reprit avec une nouvelle vigueur, et les désastres se multiplièrent dans la ville. (Jeudi 24 mars) Pour comble de tant de maux, le bruit se répandit que quelques habitants avaient formé le projet de la livrer aux ennemis. Troublés de cette rumeur, que l’approche d’une solennité de paix, de concorde et d’amour (on était à la veille de Pâques), semblait rendre plus effrayante, en mêlant l’horreur d’un sacrilège à l’image d’une infâme trahison, les gens de guerre et les citoyens veillèrent jour et nuit, toujours en armes, tant sur les murs et aux boulevards extérieurs, que dans l’intérieur de la ville.

(Dimanche de Pâques, 27 mars) La trêve accordée de part et d’autre en l’honneur de la fête n’apporta aucun relâche à cette surveillance assidue. Les Français avaient enfin appris à connaître leurs ennemis.

(Vendredi 1er avril, et samedi 2.) Deux nouveaux combats eurent lieu entre la ville et les boulevards de la Grange-Cuivret. Dans le premier, les troupes opposées restèrent à portée de trait sans en venir aux mains,

tirans les ungs contre les aultres de canons, coulevrines, et aultre traict, tellement que de chaque partie y en eut plusieurs blecez.

Dans Samedi le second, les Anglais sortirent de Saint-Laurent au nombre de quatre cents combattants ; ils déployèrent deux étendards, dont l’un, l’étendard de Saint-Georges, était mi-parti de blanc et de rouge, et avait une croix rouge au milieu : l’apparition 202de cet étendard donnerait à penser que Suffolk ou Talbot étaient présents en personne. Les Français, repoussés d’abord jusqu’à Saint-Mathurin et au Champ-Turpin, furent ralliés en cet endroit et mis en belle ordonnance par Dunois, Graville, La Hire, Poton et Tilloy. Le combat devint terrible. L’artillerie, servie de part et d’autre avec une égale ardeur, vomissait de toutes parts la mort sur le champ de bataille. Il paraît que les Anglais ni les Français ne purent s’attribuer la victoire, et que la nuit seule mit fin au combat360.

(Dimanche 3 avril, Quasimodo.) La journée suivante offrit aux deux partis un spectacle qui nous semblerait aujourd’hui bien extraordinaire, mais qui est décrit dans la chronique du siège en des termes propres à faire juger qu’il ne présentait rien que de conforme aux usages du siècle. Je ne crois pas cependant que nos vieux historiens fassent une autre mention de l’observation de cette coutume, vraiment digne des temps héroïques et chevaleresques.

Les pages français et les pages anglais qui avaient accompagné à ce siège les chevaliers des deux nations, se défièrent mutuellement, avec l’autorisation des chefs de guerre, à un combat dont les conventions furent réglées d’un commun accord. On sait que les pages étaient de jeunes 203gentilshommes aspirants aux honneurs de la chevalerie, et qui pour obtenir un jour cette dignité, commençaient, presque au sortir de l’enfance, à faire auprès d’un chevalier l’apprentissage du métier des armes. Ce titre de chevalier était alors si honorable, et suffisait si bien pour ennoblir tous les services que ces jeunes gens devaient rendre à leurs patrons, qu’il n’était pas rare d’en voir suivre, en qualité de pages, des chevaliers inférieurs à eux pour la naissance, mais dont la haute prouesse et la brillante renommée réparaient ce désavantage. Le lieu choisi pour le combat n’est indiqué dans la chronique du siège que par ces mots :

entre les deux isles Sainct Lorens,

qui présentent un sens fort obscur, et d’autant plus difficile à éclaircir, que ces îles n’existent plus. Chaque parti arbora un étendard particulier et élut un capitaine. Aymar de Puiseux, d’une ancienne maison du Dauphiné, fut celui des pages français. Ce jeune homme avait les cheveux d’un si beau blond, que La Hire l’avait surnommé, dans son langage gascon, Cap-dorat, c’est-à-dire, Tête dorée.

Il estoit très esveillé et de grant hardiesse entre les aultres, et bien le monstra depuis en plusieurs faicts d’armes, tant en ce royaulme, comme en Allemaigne et ailleurs361.

204Sans armes défensives qu’un léger panier d’osier passé au bras gauche en guise de bouclier, ces nobles enfants s’avancèrent avec intrépidité les uns contre les autres, à la vue d’un grand nombre de spectateurs attirés par la singularité de ce combat. Bientôt une grêle de pierres lancées avec roideur, tant à la main qu’à l’aide de la fronde, sifflent dans les airs et vont porter dans les rangs opposés la douleur et la mort. Déjà le sang coule ; plus d’un héros naissant presse la rive de son beau visage, et mêle à la fange sa longue chevelure. Mais rien ne peut ralentir l’ardeur des combattants, dont une première passion, dont une passion unique possède l’âme tout entière. Le besoin de la gloire, la soif d’un premier succès, une audace vierge encore, enflamment à la fois leur courage ; le péril, les blessures, la souffrance la plus aiguë, ne peuvent en arrêter l’essor ; la honte repousse les larmes provoquées par la douleur : que dis-je ! on ne voit plus les périls, on ne sent point la douleur, on ne reculerait pas devant la mort même. Celui qui tombe se relève plus terrible ; il puise dans sa chute, dans sa honte, dans la joie de ses adversaires, un courage, une ardeur et des forces nouvelles.

On ne peut douter que les pages français ne fussent en petit nombre, car il n’était resté dans la ville que peu de chevaliers et de gens de guerre, et la chronique du siège ne dit point que 205les pages anglais eussent eu la délicatesse de ne se présenter au combat qu’en nombre égal. Cependant l’audace et l’impétuosité françaises obtinrent le prix de la première journée : les pages anglais furent forcés de reculer devant leurs adversaires362. (Lundi 4 avril) Mais ils prirent leur revanche le lendemain, accablèrent les pages français, et leur enlevèrent leur étendard. À la vérité cet avantage fut acheté de la vie d’un des vainqueurs, tué roide d’un coup de pierre ; le combat fut très-sanglant ; il y eut de part et d’autre beaucoup de blessés ; et il est permis de croire que la victoire fût au moins restée incertaine, si les pages français n’eussent pas été trop inférieurs en nombre363.

(Mardi 5 avril) Quelques vivres, envoyés de Châteaudun, entrèrent dans la place ; mais leur arrivée causa moins de joie aux Orléanais que la nouvelle, apportée par ceux qui les amenaient, d’un succès remporté sur les Anglais par la garnison de cette petite ville364. Seul resté français au milieu de la Beauce envahie, Châteaudun avait opposé aux vainqueurs une résistance inattendue, et la valeur du célèbre Florent d’Illiers, son gouverneur, les avait dissuadés d’en entreprendre régulièrement le siège avant d’avoir réduit Orléans et les autres 206places de la Loire. Mais ce n’était point assez pour ce guerrier de maintenir si glorieusement l’indépendance de la place confiée à son courage ; tout son cœur était à la patrie, et la destinée du dernier boulevard de la France ne cessait pas un instant d’occuper sa pensée. Non-seulement il saisissait avec empressement tous les moyens de faire passer des secours à la ville assiégée ; mais, par des courses fréquentes, au risque d’attirer sur lui toute la vengeance des Anglais, il fatiguait leur armée, attaquait leurs convois, et détruisait les détachements isolés que leur envoyait le duc de Bedford365. Quarante Anglais, qui apportaient au comte de Suffolk une somme assez considérable, venaient d’être surpris par lui, tués en partie et dépouillés de leur trésor366.

(Samedi 9 avril) Quatre jours après, un nouvel envoi de vivres, achetés probablement avec cet argent, pénétra encore dans la ville ; et les Orléanais purent se convaincre de plus en plus qu’il leur restait du moins un ami fidèle dans le héros de Châteaudun367.

Les revers essuyés par les défenseurs d’Orléans pouvaient affliger leur patriotisme, mais ils n’abattaient point leur courage. Quelques guerriers 207intrépides sortirent une nuit de la ville par la porte de Bourgogne, passèrent sans bruit la Loire, attachèrent leur nef au rivage au-dessus de Saint-Jean-le-Blanc, décrivirent un demi-cercle derrière les bastilles de la Sologne, entrèrent tout à coup, en forçant les portes, dans l’église de Saint-Marceau368, voisine de la bastille des Augustins, y surprirent vingt hommes d’armes anglais, les conduisirent à leur bateau, et les emmenèrent prisonniers dans la ville. Il y a peu d’exemples d’une semblable audace couronnée d’un aussi heureux succès ; car cette expédition ne coûta la vie qu’à deux des guerriers français369 ; la chronique du siège ne dit point par quel accident. Il est probable que les Anglais, en se défendant, leur avaient donné la mort ; à moins qu’on n’aime mieux supposer qu’en revenant au rivage ils s’égarèrent dans l’ombre, et tombèrent dans quelque poste ennemi. On regrette que les noms de ces guerriers aventureux ne soient pas venus jusqu’à nous. (Mercredi 13 avril) Le résultat de leur entreprise, joint à l’arrivée d’une somme, d’argent destinée à payer les soldats de la garnison, qui en avaient grand besoin370, répandit 208dans la ville une nouvelle assurance, et même une sorte de gaîté. Il faut aux Français si peu de chose pour être heureux !

(Vendredi 15 avril) Cependant les Anglais achevèrent d’élever

une moult belle et forte bastille, très bien faicte, entre Sainct Pouair et Sainct Ladre, en une place qui comprenoit grant enceincte, dedens laquelle meirent et laissèrent plusieurs seigneurs et gentilshommes d’Angleterre, avec grant nombre d’aultres gens de guerre, voulans garder que par là près ne peussent plus estre menez aulcuns vivres dedens Orléans, ainsi comme ilz avoient veu faire plusieurs fois paravant, malgré les gens de leurs aultres bastilles371.

Leur espérance cependant fut quelquefois trompée encore. Le dévouement d’une ville si fidèle et la constance de ses défenseurs, le sort de la patrie attaché à celui de ses murs, inspiraient aux habitants des cités voisines un zèle et une émulation qui triomphaient de tous les obstacles. Tant que dura le siège, les communications avec Orléans purent devenir très-difficiles et accompagnées de beaucoup de périls ; mais, malgré la surveillance rigoureuse des Anglais, elles ne cessèrent jamais entièrement. Des vivres envoyés de Blois aux Orléanais parvinrent dans la ville par le chemin de Fleury, à la vue des ennemis, 209qui accoururent trop tard pour les enlever372. Cinquante hommes d’armes détachés des petites places de la Sologne osèrent le même jour venir faire une course devant les Tournelles, et emmenèrent quinze Anglais prisonniers373. La nuit suivante, quelques Français sortis sans bruit de la place surprirent et tuèrent trois vedettes ennemies près d’un lieu nommé l’Orbecte374. Il semble, au premier coup d’œil, que ces petits avantages étaient de bien peu d’importance ; mais on trouvera qu’ils en avaient beaucoup, si l’on considère qu’ils devaient contribuer à soutenir l’esprit de la garnison.

(Dimanche 17 avril) Le jour suivant fut marqué par l’arrivée d’une triste nouvelle. Poton de Xaintrailles et les autres ambassadeurs envoyés au duc de Bourgogne revinrent ce jour-là, et rendirent compte aux habitants du peu de succès de leur mission. Le duc, flatté de la confiance des Orléanais, touché de leur fidélité et de leurs malheurs, avait accueilli leur prière, et s’était rendu à Paris, dans l’espoir de porter le duc de Bedford à consentir à l’arrangement proposé. On avait tenu au Louvre un grand conseil, où Poton et les autres envoyés avaient été entendus.

Les historiens anglais, — observe Villaret, — ont loué la prudence et la 210modération du régent ; toutefois, dans une conjoncture si délicate, il n’eut pas la politique de conserver au moins l’apparence de ces vertus. Non content de rejeter, sans aucun détour, l’offre des Orléanais, il ne daigna pas même ménager le duc de Bourgogne, présent au conseil375.

Il se répandit en paroles orgueilleuses, en bravades peu dignes d’un grand prince, se vantant

qu’il auroit icelle ville d’Orléans à voulunté, et que ceulx d’Orléans lui payeroit ce que luy avoit cousté ce siège ; et qu’il seroit bien marry d’avoir battu les buissons, et que d’aultres eussent les oysillons376.

Enhardi par ce langage,

ung nommé maistre Raoul le Saige (qui ne justifia pas ce jour-là son surnom) [osa ajouter] que il ne seroit jà en lieu où on le maschast audit duc de Bourgongne, et il l’avalleroit377.

Paroles indécentes que le duc de Bedford dût paraître approuver, puisqu’il les laissait impunies.

Ce n’était pas là ces ménagements et ces égards pour le duc de Bourgogne, tant recommandés par Henri V mourant. Les usurpateurs de la monarchie ne connaissaient plus ni alliés ni amis, dès qu’il s’agissait 211de leurs intérêts. Enivrés de leurs succès, ils cessaient de se contraindre. La prospérité les aveuglait378.

Le duc de Bourgogne eut besoin de se rappeler les liens qui l’unissaient au duc de Bedford (il lui avait donné sa sœur en mariage), pour ne pas se porter à quelque éclat fâcheux. Il ne laissa pas de faire connaître hautement son mécontentement, et sortit du conseil justement indigné. C’était la seconde insulte que ce prince essuyait de la part des Anglais depuis la mort de Henri V. Leur ingratitude dut plus d’une fois lui faire regretter d’avoir changé de maître, et l’eût peut-être ramené dès ce moment du côté de son roi légitime, sans les sujets de haine qu’il croyait avoir contre lui. Plaignons Philippe le Bon de l’horrible situation dans laquelle son âme se trouvait placée. L’honneur de la nation, l’amour de la patrie, lui ordonnaient de sauver son roi d’une ruine prochaine ; la mort d’un père semblait lui faire une loi sacrée de poursuivre Charles VII jusqu’au tombeau. Un fleuve de sang coulait entre ces deux princes, les empêchait de se rejoindre, de s’entendre et de se pardonner. Dans cette opposition de devoirs et de sentiments, le duc de Bourgogne crut du moins que son honneur lui prescrivait de remettre dans le fourreau une épée dont l’Angleterre méconnaissait 212les services. Il envoya, en conséquence, avec les députés qui retournaient à Orléans, un héraut chargé de commander

à tous ceulx de ses terres et villes à luy obeissans, estans en celluy siège, qu’ilz s’en allassent et départissent, et ne mesfeissent plus en aulcune manière à ceulx d’Orleans379.

Les Anglais n’ont jamais cherché à se faire aimer quand ils ont cru pouvoir se faire craindre, et les Bourguignons n’avaient pas entièrement cessé d’être Français ; ils reçurent avec joie l’ordre de leur prince.

Pour obtempérer auquel commandement, (dit la chronique), s’en allèrent et départirent très hastivement plusieurs Bourguignons, Picards, Champenois, et moult d’aultres des pays et obéissance d’icelluy duc de Bourgoigne380.

Malheureusement l’armée anglaise était désormais trop nombreuse, pour que l’abandon de quelques troupes alliées pût apporter un changement sensible dans la situation des assiégés.

Les députés rapportèrent aux habitants que la ville ne serait reçue à traiter qu’à la condition de se soumettre au régent anglais. Cette décision révolta la fierté des Orléanais et les enflamma 213d’un nouveau courage. Ils jurèrent de se défendre jusqu’au dernier soupir381.

(Lundi 18 avril) La nuit même qui suivit cette résolution, brûlant de prouver aux assiégeants qu’Orléans n’était pas encore prêt à subir le joug qu’ils se flattaient de lui imposer, les guerriers français, accompagnés de l’élite des habitants, sortent sans bruit de la ville, parviennent en silence, à la faveur de l’ombre, jusqu’aux palissades du grand parc des Anglais, égorgent la garde qui veillait à l’entrée, se précipitent dans l’enceinte, se répandent en un instant dans les cabanes qui en remplissent l’étendue, surprennent la plupart des soldats endormis, et, profitant du trouble et de l’épouvante que produit cette invasion nocturne, font longtemps un carnage horrible de leurs ennemis. Déjà l’un des étendards des Anglais est au pouvoir des vainqueurs ; un butin considérable, des coupes d’argent, des robes de martre, un grand nombre d’arcs, de carquois, de flèches, toutes sortes d’armes précieuses, sont le prix de leur audace et de leur valeur. Cependant les Anglais

crient moult affrayement à l’arme,

se mettent en ordonnance, et marchent en grand nombre contre les Français ; le jour commence à poindre ; s’ils tardent encore, toutes les forces ennemies vont se réunir et les envelopper : ils 214sortent du parc et se retirent vers la ville. Mais le poids des dépouilles, peut-être même une fierté mal entendue, ralentissent leurs pas ; ils veulent que leur retraite ne ressemble pas à une fuite, mais à un triomphe. Tout à coup la cavalerie ennemie se répand dans la plaine ; pris en flanc, assaillis de toutes parts, les Français sont contraints de s’arrêter, de faire face : un grand combat s’engage ; l’artillerie tonne ; des torrents de sang coulent ; accablés par le nombre, les Français ne regagnent leurs murs qu’après avoir jonché le champ de bataille de leurs cadavres et de ceux de leurs ennemis. Quoique la perte fût à peu près égale de part et d’autre, elle devait être infiniment plus sensible pour les Français, réduits depuis longtemps à des forces très-peu considérables.

Et bien y parut au retour par le dueil que feirent les femmes d’Orléans, plourans et lamentans leurs pères, maris, freres et parens, tuez et blecez [dans ce combat funeste].

On se rendit mutuellement, dans la même journée, les restes mortels des guerriers des deux partis, et ils furent déposés en terre sainte avec les honneurs funèbres qui leur étaient dus382 ; triste et dernière consolation, que dans ces jours souillés par toutes les fureurs, les cruels hasards de la guerre ne laissaient pas toujours 215au frère, à la mère, à l’épouse, condamnés à pleurer l’objet des sentiments les plus doux et des affections les plus sacrées !

Si jamais les Anglais purent se flatter de voir enfin l’heure fatale qui devait faire passer dans les mains de leurs rois l’antique sceptre de Clovis, ce fut sans doute après cette journée sanglante, après ce combat terrible, qui semblait avoir épuisé les dernières forces d’une ville livrée à tous les besoins, affaiblie par des pertes sans nombre, éprouvée par les disgrâces les plus cruelles, et qui seule avait jusque-là retardé l’asservissement du reste de la monarchie. Accablé par tant de revers, Charles désespérait de sa fortune ; il ne trouvait point dans son âme la force et le génie nécessaires pour vaincre le malheur et changer la destinée. La bonté de son cœur, en l’attendrissant sur les maux de ses sujets ; le souvenir de la conduite irrégulière de sa mère, qui pouvait lui inspirer des doutes sur la légitimité de sa naissance ; une piété humble et soumise, qui lui faisait voir les arrêts du ciel dans les disgrâces qui l’écartaient du trône ; tout portait ce jeune prince à se faire scrupule de prolonger une guerre sanglante et désormais sans espoir. Cédant à l’orage, il inclinait à se retirer, soit en Espagne, soit en Écosse, où les anciennes alliances de la maison de France avec les rois de ces contrées lui faisaient espérer 216de trouver un asile383. Si son conseil, par des motifs personnels à ceux qui le composaient, n’adoptait pas ce projet, du moins pensait-il à l’engager à se retirer dans le Dauphiné ou les montagnes de l’Auvergne,

au moins si on les pouvoit saulver,

dans le cas où les Anglais seraient maîtres d’Orléans384. On assure que la reine Marie d’Anjou, épouse de Charles VII, s’opposa à cette résolution, qui eût accéléré la chute de la monarchie, en détachant du roi les derniers grands vassaux restés fidèles à sa cause, et réussit, par l’ascendant de ses vertus, à la lui faire abandonner385. À cette époque, Charles demeurait à Chinon et la reine à Bourges386, ce qui, dans de si tristes moments, n’annonce pas entre les époux une très-grande intelligence, et rend peu probable l’influence que l’on prête ici à la reine. On a aussi prétendu que la belle Agnès Sorel avait inspiré au roi le dessein généreux 217de disputer, les armes à la main, ce qui lui restait de l’héritage de ses pères387 : on assure qu’instruite du projet qu’on lui avait fait adopter, de se réfugier aux extrémités méridionales du royaume, Agnès lui dit un jour que,

lorsqu’elle estoit encore fille, un astrologue luy avoit prédit qu’elle seroit aimée et servie d’un des plus vaillans et courageux roys de la chrestienté ; que, quand le roy luy fit cet honneur de l’aimer, elle pensoit que ce fust ce roy valeureux qui luy avoit esté predit : mais, le voyant si mol, avec si peu de soin de ses affaires, elle voyoit bien qu’elle estoit trompée, et que ce roy si courageux n’estoit pas luy, mais le roy d’Angleterre, qui faisoit de si belles armes, et luy prenoit de si belles villes à sa barbe. Donc, (ajouta-t-elle), je m’en vais le trouver ; car c’est celuy duquel entendoit et parloit l’astrologue388.

À ces mots, rougissant de sa faiblesse et de son indolence, Charles jura de devenir le roi prédit à son amie. Cette particularité nous a été transmise d’âge en âge comme une vérité constante ; environ cinquante ans après, époque où la mémoire de ces événements était encore toute récente, 218François Ier écrivit ces vers au bas du portrait de cette femme célèbre :

Gentille Agnès, plus d’honneur tu mérite ;

La cause estant de France recouvrer,

Que ce que peut dedans un cloistre ouvrer

Clause nonain, ou bien devot hermite.

De nos jours, un poète célèbre a reproduit cette tradition dans les strophes suivantes :

La France a vu, dans ses disgrâces,

La main généreuse des Grâces

Soutenir ses derniers remparts.

Quand son prince effrayé succombe,

De Vénus la tendre colombe

Met en fuite les léopards.

Sorel ! ton heureuse menace

Ralluma sa guerrière audace,

En excitant ses feux jaloux.

Un oracle, ami de la Gloire,

Me donne au fils de la Victoire :

Votre amante n’est plus à vous389.

Malheureusement deux circonstances incontestables infirment singulièrement ce récit. Ce roi d’Angleterre, qu’on nous représente comme faisant de si belles armes et qu’Agnès allait, dit-on, chercher comme l’amant que les astres lui destinaient, était alors un enfant de sept ans : 219avant qu’il eût atteint l’âge où les charmes d’Agnès eussent pu exercer sur lui leur empire, elle fût arrivée elle-même à celui ou ces mêmes charmes s’effacent sans retour. Mais ce qui dément entièrement cette anecdote et en détruit les fondements, c’est qu’Agnès Sorel ne commença à entrer dans la faveur du roi qu’en 1432390, c’est-à-dire environ trois ans plus tard. Il pouvait bien exister déjà du refroidissement entre Charles VII et Marie d’Anjou ; mais, à l’époque dont il s’agit, sans argent391, sans soldats, réduit aux dernières ressources, Charles n’ajoutait point au malheur de sa situation, le remords d’un tort inexcusable envers une épouse digne de tous ses hommages par la beauté de son âme et la noblesse de son caractère.

C’en était fait d’Orléans, c’en était fait de la France entière, le sort futur de l’Europe et du monde allait peut-être changer, si la Providence n’eût élevé dans l’ombre un de ces êtres étonnants par leur génie, merveilleux par leur destinée, qu’elle choisit de temps en temps pour être les instruments de ces révolutions inattendues, qui, confondant l’orgueil des vainqueurs de la terre, 220trompent tous les calculs de la sagesse humaine, et ramènent la pensée des rois et des peuples au pied du seul trône inébranlable et du seul pouvoir éternel.

Notes

  1. [11]

    Jules César, Commentaires sur la guerre des Gaules.

  2. [12]

    Bède, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, 731, livre I, chapitre XV ; — Guillaume de Malmesbury, p. 11 ; — Gabriel-Henri Gaillard, Histoire de la Rivalité de la France et de l’Angleterre, 1771.

  3. [13]

    La Bretagne française, ou Petite-Bretagne.

  4. [14]

    Le pays de Galles.

  5. [15]

    Gildas ; Guillaume de Malmesbury ; Bède.

  6. [16]

    Théophile-Malo de La Tour d’Auvergne-Corret, Origines gauloises, 1801 ; — Jean Picot, de Genève, Histoire des Gaulois, 1804.

  7. [17]

    Les Dunois, ou Normands.

  8. [18]

    La première fois, en 1017, sous la conduite de Knut Ier, roi de Danemark ; la seconde fois, en 1066, sous celle de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie.

  9. [19]

    Annales de Fulda ; — Annales de Saint-Bertin ; — Chronique de Réginon de Prüm.

  10. [20]

    Chron. Tur. ; Historiæ Normanorum scriptores antiqui (Duchesne) ; Chronique d’Adémar de Chabannes ; — Annales de Saint-Gall.

  11. [21]

    Gaillard, Histoire de la Rivalité de la France et de l’Angleterre.

  12. [22]

    Le Roman de Rou ; — Chronique de Normandie.

  13. [23]

    Annales de Fulda.

  14. [24]

    David Hume, The History of England, (1754-1761).

  15. [25]

    Guillaume de Malmesbury ; Ranulf Higdon ; Orderic Vital.

  16. [26]

    Suger, Vita Ludovici Grossi Regis (Vie de Louis le Gros), 1143.

  17. [27]

    Roger de Hoveden ; Orderic Vital.

  18. [28]

    Henri de Huntingdon ; Roger de Hoveden ; Matthieu Paris.

  19. [29]

    Guillaume de Tyr, liv. XVI, chap. VII ; — Fragm. De rebus Ludovici VII. Regis (Duchesne, t. IV, p. 440) ; — Matthieu Paris, année 1150.

  20. [30]

    Thomas Rymer, v. I, p. 269 ; — Nicholas Trivet, p. 179.

  21. [31]

    Gesta Ludovici VIII (Duchesne, t. V).

  22. [32]

    Chronique de France ; Jean de Joinville ; Guillaume de Nangis ; Duchesne, t. V ; Rymer, t. I ; Matthieu Paris, p. 986 ; Paul de Rapin de Thoyras, t. II.

  23. [33]

    Voyez la dissertation de M. Gabriel-Henri Gaillard sur la Loi salique, au chapitre Ier de l’Histoire de la querelle de Philippe de Valois et d’Édouard III, notamment depuis la page 19 jusqu’à la page 34.

  24. [34]

    Jean Froissart.

  25. [35]

    Voyez livre V de la présente Histoire.

  26. [36]

    Froissart, en sa Chronique.

  27. [37]

    Froissart, en sa Chronique ; Chronique de Saint-Denis ; Monstrelet ; Juvénal des Ursins ; etc.

  28. [38]

    Thomas Rymer, Act. publ., t. III, part. IV.

  29. [39]

    Ibid., p. 112 ; — David Hume, The History of England.

  30. [40]

    Froissart, vol. I, chap. CLXVIII.

  31. [41]

    Hume, The History of England ; — Rymer, Act. publ., t. III, part. IV ; — Paul de Rapin de Thoyras ; — Froissart ; — Chronique de Saint-Denis ; — Le Laboureur ; — le père Pierre-Joseph d’Orléans, Histoire des révolutions d’Angleterre, 1689 ; Antiquités britanniques, etc., etc.

  32. [42]

    Monstrelet.

  33. [43]

    Monstrelet ; Rapin de Thoyras ; Claude Villaret.

  34. [44]

    Chronique manuscrite, Bibliothèque du Roi, n° 12297 ; — Claude Villaret, Histoire de France, t. XII, p. 367 ; Gaillard, Histoire de la querelle de Philippe de Valois et d’Édouard III, t. III, p. 14.

  35. [45]

    L’abbé Claude-François-Xavier Millot, Éléments de l’histoire de France ; — Gaillard, Histoire de la querelle ; — Villaret, Histoire de France.

  36. [46]

    Histoire de Pisan.

  37. [47]

    Monstrelet ; Juvénal des Ursins ; Chronique de Saint-Denis, etc.

  38. [48]

    Registre du parlement ; — Monstrelet, chap. XXXVI ; — Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI ; — Dissertation de Pierre Nicolas Bonamy, dans les Mémoires de littérature, etc.

  39. [49]

    Id., Ibid.

  40. [50]

    Id., Ibid.

  41. [51]

    Monstrelet, vol. I, chap. LXXII.

  42. [52]

    Monstrelet, vol. I, chap. XXXVI.

  43. [53]

    Monstrelet ; Juvénal des Ursins ; Chronique de Saint-Denis ; Continuateurs de Nangis, etc.

  44. [54]

    Rymer, Act. publ. ; Rapin de Thoyras ; Monstrelet ; Juvénal des Ursins ; Chronique de Saint-Denis ; le père d’Orléans, Révolutions d’Angleterre.

  45. [55]

    Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI ; — Jean de Wavrin, seigneur du Forestel (témoin oculaire), en ses Chroniques d’Angleterre, manuscrites ; — Monstrelet, en sa Chronique, chap. CXLVII ; — Villaret, Histoire de France ; — Gaillard, Rivalité de la France et de l’Angleterre ; — Le Laboureur, liv. XXXV, chap. VII ; — Saint-Rémy (témoin oculaire), chap. LXII ; — Hall, fol. 50 ; — Francis Walsingham, p. 392-393 ; — Hume, History of England, chap. XIX.

  46. [56]

    Rapin de Thoyras ; Rymer, Act. publ.

  47. [57]

    Juvénal des Ursins ; — Monstrelet ; — Registre du parlement ; — Journal d’un bourgeois de Paris, etc.

  48. [58]

    Rymer, Act. publ. ; — Rapin de Thoyras ; — Hume, History of England, etc.

  49. [59]

    Juvénal des Ursins ; — Chronique manuscrite, Bibliothèque du Roi, n° 10297, etc.

  50. [60]

    Ibid.

  51. [61]

    Journal d’un bourgeois de Paris, sous les règnes de Charles VI et Charles VII ; — Chronique de Saint-Denis, etc.

  52. [62]

    Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI.

  53. [63]

    Villaret, Histoire de France.

  54. [64]

    Gaillard, Histoire de la querelle de Philippe de Valois et d’Édouard III.

  55. [65]

    Villaret, Histoire de France.

  56. [66]

    Gaillard, Histoire de la querelle de Philippe de Valois et d’Édouard III.

  57. [67]

    Villaret, Histoire de France, t. XIV.

  58. [68]

    Rymer, Act. publ., t. IV, part. III.

  59. [69]

    Villaret, Histoire de France.

  60. [70]

    Journal d’un bourgeois de Paris, pendant les règnes de Charles VI et de Charles VII.

  61. [71]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  62. [72]

    Monstrelet ; Juvénal des Ursins ; Dépositions de Vienne, de Pontarlier, de Séguinat, de Vergy, etc. ; Manifeste du Dauphin.

  63. [73]

    Monstrelet.

  64. [74]

    Juvénal des Ursins ; Manifeste du Dauphin.

  65. [75]

    Pierre de Fénin, en ses Mémoires.

  66. [76]

    Juvénal des Ursins.

  67. [77]

    Cette assertion s’accorde parfaitement avec ce que dit Martial de Paris (dit Martial d’Auvergne), dans ses Vigiles de la mort du roy Charles septiesme :

    Envers tous si se humilioit,

    Et estoit de si bonne affaire,

    Que sa bonté les gens lioit

    À le secourir et bien faire,

    Estoit-ce pas grant bénéfice,

    Que de toutes pars sans mander,

    Gens si venoient à son service,

    Voyre sans argent demander

  68. [78]

    Hume, History of England, chap. XXI.

  69. [79]

    Olivier de La Marche, en ses Mémoires.

  70. [80]

    Histoire des Cours d’Amour.

  71. [81]

    Juvénal des Ursins ; Monstrelet, etc.

  72. [82]

    Juvénal des Ursins.

  73. [83]

    Juvénal des Ursins.

  74. [84]

    Étienne Pasquier, Recherches de la France, liv. VI, chap. VII.

  75. [85]

    Juvénal des Ursins.

  76. [86]

    Juvénal des Ursins.

  77. [87]

    Registre du parlement, commençant le douziesme novembre mil quatre cent vingt.

  78. [88]

    Journal d’un bourgeois de Paris ; — Chroniques de France ; — Juvénal des Ursins, etc.

  79. [89]

    Rymer, Act. publ. ; — Rapin de Thoyras, Histoire d’Angleterre.

  80. [90]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  81. [91]

    Monstrelet ; Juvénal des Ursins, etc.

  82. [92]

    Mémoires de Pierre de Fénin.

  83. [93]

    Rapin de Thoyras, Histoire d’Angleterre ; — Rymer, Act. publ., vol. X ; — Annales britanniques, Cotton, p. 564 ; — Hume, History of England.

  84. [94]

    Étienne Pasquier, Recherches de la France, liv. VI, chap. IV.

  85. [95]

    Martial de Paris (dit Martial d’Auvergne), Vigiles de Charles VII.

  86. [96]

    Idem.

  87. [97]

    Comptes des recettes générales des finances, chapitre des Comptes de Bourges.

  88. [98]

    Monstrelet ; — Rapin de Thoyras, Histoire d’Angleterre ; — Histoire de Bretagne ; — Chroniques de France ; — Mémoires du connétable de Richemont.

  89. [99]

    Chronique sans titre, imprimée par Godefroy, dans son Recueil des historiens de Charles VII, sous celui d’Histoire de la Pucelle.

  90. [100]

    Iliade, chant XXIV

  91. [101]

    Chronique sans titre, déjà citée.

  92. [102]

    Monstrelet ; — Rapin de Thoyras, Histoire d’Angleterre ; — Chroniques de France.

  93. [103]

    Villaret, Histoire de France.

  94. [104]

    Anne-François-Joachim Fréville, Beaux exemples de piété filiale, 1809.

  95. [105]

    Villaret, Histoire de France, t. XIII, p. 73.

  96. [106]

    David Hume (History of England) porte les forces de Dunois à seize cents hommes seulement.

  97. [107]

    Monstrelet ; — Rapin de Thoyras, Histoire d’Angleterre ; — Chroniques de France, etc.

  98. [108]

    Chronique sans titre.

  99. [109]

    Sur le Loing, à quatre lieues et demie au nord de Montargis, à trois quarts de lieue de Château-Landon.

  100. [110]

    Chronique sans titre.

  101. [111]

    Ce héros s’était déjà illustré par la belle défense de Meulan contre les Anglais. Il leur avait enlevé d’assaut cette place importante au milieu de la saison la plus rigoureuse, et se voyait à son tour assiégé par eux : Charles VII chargea Tanneguy du Chastel de lui porter des secours. Tanneguy, qui avait reçu les fonds nécessaires pour la levée et l’entretien des troupes destinées à cette expédition, s’arrêta à Orléans, où il dissipa en folles dépenses l’argent qui lui était confié. Les défenseurs de Meulan, se voyant ainsi abandonnés, arrachèrent de fureur la bannière royale arborée sur leurs murs, et la mirent en pièces ; ils en firent autant de leurs enseignes et de leurs croix blanches, signes distinctifs du parti royal, remirent la place aux Anglais, et passèrent pour la plupart dans leur parti. Graville suivit lui-même cet exemple, mais il revint bientôt sous la bannière des lis. (Gaillard, Histoire de la querelle de Philippe de Valois et d’Édouard III, t. III, p. 252-254.)

  102. [112]

    Chronique sans titre.

  103. [113]

    Chronique sans titre.

  104. [114]

    Chronique sans titre.

  105. [115]

    Chronique sans titre.

  106. [116]

    Villaret, Histoire de France.

  107. [117]

    Daniel, Histoire de France.

  108. [118]

    Martial d’Auvergne, Vigiles de Charles VII.

  109. [119]

    Rapin de Thoyras, Histoire d’Angleterre ; — Rymer, Act. publ., t. IV, part. IV.

  110. [120]

    Guillaume Gruel, Chronique d’Arthur de Richemont, connétable de France ; — Chronique sans titre ; — Jean Chartier, Histoire de Charles VII.

  111. [121]

    Histoire de Bretagne.

  112. [122]

    Guillaume Gruel, Chronique d’Arthur de Richemont, connétable de France.

  113. [123]

    Journal d’un bourgeois de Paris ; — Registres du parlement.

  114. [124]

    Dans un acte de l’an 1428, inséré parmi les Act. publ. de Rymer, t. X, p. 892 de l’édition de 1717, ce seigneur est appelé conte de Salisbury et du Perche, dans l’acte suivant, on lit de Perthe.

  115. [125]

    Chronique sans titre ; — Journal du siège d’Orléans.

  116. [126]

    Villaret, Histoire de France.

  117. [127]

    Poésies manuscrites de Charles, duc d’Orléans, Bibliothèque du Roi, n° 2788.

  118. [128]

    Rymer, Act. publ., t. X, p. 402.

  119. [129]

    Ibid., p. 401.

  120. [130]

    Villaret, Histoire de France.

  121. [131]

    Chronique sans titre.

  122. [132]

    Idem.

  123. [133]

    Chronique sans titre.

  124. [134]

    Chronique sans titre ; — Journal du siège d’Orléans ; — Jean Chartier, Histoire de Charles VII ; — Jacques le Bouvier, dit Berry, Chronique de Charles VII ; — Le Maire, Histoire d’Orléans, etc.

  125. [135]

    Chronique sans titre.

  126. [136]

    Journal du siège d’Orléans.

  127. [137]

    Chronique sans titre, etc.

  128. [138]

    Idem.

  129. [139]

    Idem.

  130. [140]

    Idem.

  131. [141]

    Jacques le Bouvier, dit Berry, roy d’armes de France ; Histoire Chron. de Charles VII.

  132. [142]

    Chronique sans titre.

  133. [143]

    Idem.

  134. [144]

    Hume, History of England, chap. XX.

  135. [145]

    Villaret, Histoire de France.

  136. [146]

    Edmond Richer, Histoire manuscrite de la Pucelle d’Orléans, Bibliothèque du Roi, Fonds de Fontanieu, n° 285 ; — Gaillard, Histoire de la querelle de Philippe de Valois et d’Édouard III ; Villaret, Histoire de France ; Eudes de Mézeray, Gabriel Daniel, le père d’Orléans, le président Haynaut, l’abbé Millot, David Hume, etc.

  137. [147]

    Journal du siège. Le manuscrit, en parchemin et d’une écriture du temps, fut trouvé dans les archives de la maison de ville ; il a été très-anciennement copié sous différents titres, et annexé à divers manuscrits du Procès de la Pucelle. On l’a aussi imprimé à Paris en 1576.

  138. [148]

    Le Maire, Histoire d’Orléans.

  139. [149]

    Le manuscrit de Saint-Victor, n° 285, maintenant déposé à la Bibliothèque du Roi, et qui contient, outre le Procès de la Pucelle, une copie du Journal du siège, porte en cet endroit Provins au lieu de Pomus.

  140. [150]

    Une liste anglaise, déposée parmi les pièces historiques recueillies à Londres par M. de Brequigny (Bibliothèque du Roi), porte ce nom écrit de cette seconde manière.

  141. [151]

    Liste anglaise ci-dessus citée : Halsall.

  142. [152]

    Journal du siège ; Chronique sans titre.

  143. [153]

    Chronique sans titre.

  144. [154]

    Plusieurs auteurs modernes altèrent le nom de ce fort, et le changent en celui de Tourelles. Cette faute, légère en apparence, détruit un vestige d’étymologie d’autant plus précieux, qu’il sert à déterminer la situation respective du fort et du boulevard. L’ancien pont, aujourd’hui détruit, s’étendait en ligne droite de la porte de la ville, appelée encore la porte du Pont, jusqu’aux trois quarts et demi de la largeur du fleuve ; là il formait un coude, et ne venait aboutir à la rive du sud qu’en biaisant un peu à l’est. Le fort des Tournelles était placé sur le pont, à l’endroit du coude dont je viens de parler, et avait probablement tiré son nom de l’obligation où l’on était de tourner en cet endroit pour arriver de la ville au rivage opposé.

  145. [155]

    Chronique sans titre.

  146. [156]

    L’acception moderne du mot boulevard pouvant induire en erreur les lecteurs de ce livre, je crois devoir faire observer que les ouvrages ainsi désignés étaient des espèces de bastions dont l’enceinte, en général carrée, et qui pouvait contenir cinq à six cents hommes, présentait un rempart en terrasse, garni d’un parapet et d’embrasures pour les pièces d’artillerie, et assez élevé pour ne pouvoir être gravi sans échelles.

  147. [157]

    Journal du siège.

  148. [158]

    Elle demeurait près de la poterne Chesneau.

  149. [159]

    Journal du siège.

  150. [160]

    Idem.

  151. [161]

    Journal du siège.

  152. [162]

    Chronique sans titre.

  153. [163]

    Déposition de Jean d’Aulon, sénéchal de Beaucaire, au procès de révision de la Pucelle, manuscrit de la Bibliothèque du Roi.

  154. [164]

    Chronique sans titre.

  155. [165]

    Chronique sans titre.

  156. [166]

    Chronique sans titre.

  157. [167]

    Journal du siège.

  158. [168]

    Chronique sans titre.

  159. [169]

    Journal du siège.

  160. [170]

    Chronique sans titre.

  161. [171]

    Journal du siège ; Chronique sans titre.

  162. [172]

    Chronique manuscrite, Bibliothèque du Roi, n° 10297.

  163. [173]

    Chronique sans titre.

  164. [174]

    Journal du siège.

  165. [175]

    Villaret, Histoire de France.

  166. [176]

    Journal du siège.

  167. [177]

    Chronique sans titre.

  168. [178]

    On le trouve aussi désigné sous le nom de boulevard du Pont

  169. [179]

    Journal du siège.

  170. [180]

    Chronique sans titre ; Journal du siège.

  171. [181]

    Chronique sans titre.

  172. [182]

    Idem ; Journal du siège.

  173. [183]

    Villaret, Histoire de France.

  174. [184]

    Chronique sans titre.

  175. [185]

    Chronique sans titre.

  176. [186]

    M. V***, en ses Tablettes chronologiques des maisons souveraines de l’Europe, le nomme Jean de Brosse.

  177. [187]

    La famille de Valpergue ou Valperga existe encore en Italie.

  178. [188]

    Journal du siège.

  179. [189]

    Villaret, Histoire de France.

  180. [190]

    Monstrelet, en sa Chronique.

  181. [191]

    Journal du siège ; — Hall, fol. 105.

  182. [192]

    Alain Chartier, Chroniques du feu roy Charles septiesme.

  183. [193]

    Jean Chartier, Histoire de Charles VII ; — Grans Chroniques de France.

  184. [194]

    Journal du siège.

  185. [195]

    Monstrelet ; Jean Chartier.

  186. [196]

    Monstrelet.

  187. [197]

    Journal du siège ; — Chronique sans titre.

  188. [198]

    Monstrelet ; — Chronique sans titre.

  189. [199]

    Monstrelet ; — Jean Chartier.

  190. [200]

    Chronique sans titre.

  191. [201]

    Monstrelet.

  192. [202]

    Jean Chartier.

  193. [203]

    Monstrelet.

  194. [204]

    Tous les historiens.

  195. [205]

    Monstrelet dit huit jours.

  196. [206]

    Journal du siège.

  197. [207]

    Alain Chartier, Chronique du roy Charles septiesme.

  198. [208]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  199. [209]

    Il paraît évident qu’il y a ici une lacune dans l’original ; on y a suppléé en partie, dans la traduction, par les mots imprimés en italiques.

  200. [210]

    Suppl. Rym. H. VI, t. IV, n° 146. Pièces manuscrites recueillies à Londres par M. de Bréquigny, Bibliothèque du Roi.

  201. [211]

    Chronique sans titre.

  202. [212]

    Idem ; — Monstrelet ; — Hume, History of England.

  203. [213]

    Hume, History of England ; — Journal du siège.

  204. [214]

    Journal du siège.

  205. [215]

    Peut-être Saint-Avis.

  206. [216]

    Journal du siège.

  207. [217]

    Journal du siège.

  208. [218]

    Chronique sans titre.

  209. [219]

    Chronique sans titre.

  210. [220]

    Journal du siège.

  211. [221]

    Peut-être était-ce une des pièces d’artillerie anglaise prises à la levée du siège de Montargis ; peut-être aussi avait-elle été fondue à l’époque de cet événement, et lui avait-on donné le nom de Montargis pour en perpétuer le souvenir.

  212. [222]

    Journal du siège.

  213. [223]

    Journal du siège.

  214. [224]

    Journal du siège.

  215. [225]

    Journal du siège.

  216. [226]

    Il est probable que cette croix s’élevait justement à l’endroit où se trouve maintenant le carrefour formé par la rue Rose, la rue Saint-Laurent, la rue Four-à-Chaux et la rue Croix-de-Bois.

  217. [227]

    Journal du siège.

  218. [228]

    Journal du siège.

  219. [229]

    Journal du siège. Ce chariot servait probablement à porter la poudre et les boulets.

  220. [230]

    Journal du siège.

  221. [231]

    Journal du siège.

  222. [232]

    Journal du siège.

  223. [233]

    Journal du siège.

  224. [234]

    Journal du siège.

  225. [235]

    Chronique sans titre.

  226. [236]

    Journal du siège.

  227. [237]

    Journal du siège.

  228. [238]

    Voyez page 96.

  229. [239]

    Journal du siège.

  230. [240]

    Journal du siège.

  231. [241]

    Cartons de M. de Bréquigny, Histoire générale. La pièce dont il s’agit est tirée de la Bibl. Harlean., n° 782, fol. 49 v° et suiv.

  232. [242]

    Act. publ. de Rymer, t. X, p. 408, édition de 1727.

  233. [243]

    Journal du siège.

  234. [244]

    Qui a sans doute donné son nom à la rue du Colombier, aujourd’hui renfermée dans l’enceinte de la ville.

  235. [245]

    Journal du siège.

  236. [246]

    Journal du siège.

  237. [247]

    La situation de cette île n’est pas facile à déterminer. On pourrait croire que le Journal du siège veut parler de l’île aux Bœufs, qui existe encore, et qui se trouve devant le port Saint-Loup, s’il ne disait pas expressément que l’île dont il s’agit était placée devant la crouche des moulins de Saint-Aignan, ce qui indique sa position beaucoup plus bas. Ce qui suit montrera d’ailleurs qu’elle touchait presque à Saint-Jean-le-Blanc, qui est fort éloigné de l’île aux Bœufs. S’il se fût agi de celle-ci, pourquoi le rédacteur du Journal du siège ne l’eût-il pas désignée par ce nom, qu’elle portait depuis longtemps ? Je crois donc présumable que l’île dont il voulait parler a été en partie réunie à la rive gauche du fleuve, en partie entraînée par ses eaux, et a disparu comme plusieurs autres qui jadis s’élevaient devant Orléans, et entre lesquelles je me bornerai à citer l’île de la Belle-Croix, sur laquelle reposait l’ancien pont, et dont il ne reste que de faibles vestiges.

  238. [248]

    Journal du siège.

  239. [249]

    Journal du siège.

  240. [250]

    Journal du siège.

  241. [251]

    Journal du siège.

  242. [252]

    Journal du siège.

  243. [253]

    Journal du siège ; — Chronique sans titre ; — Monstrelet, etc.

  244. [254]

    Journal du siège.

  245. [255]

    Journal du siège.

  246. [256]

    Journal du siège.

  247. [257]

    Lescot ou Lesgot, voyez page 114.

  248. [258]

    Journal du siège.

  249. [259]

    Chronique sans titre.

  250. Monstrelet.
  251. [260]

    Journal du siège ; Monstrelet.

  252. [261]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  253. [262]

    Monstrelet.

  254. [263]

    Monstrelet.

  255. [264]

    État des places françaises tenues par Henri V en 1417, parmi les pièces manuscrites recueillies à Londres par M. de Bréquigny, et déposées à la Bibliothèque du Roi.

  256. [265]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  257. [266]

    Chronique sans titre.

  258. [267]

    Journal du siège.

  259. [268]

    Journal du siège.

  260. [269]

    Journal du siège.

  261. [270]

    Journal d’un bourgeois de Paris ; peut-être faut-il lire Janville.

  262. [271]

    Journal du siège.

  263. [272]

    Journal du siège.

  264. [273]

    Journal du siège.

  265. [274]

    Journal du siège.

  266. [275]

    Journal du siège.

  267. [276]

    Journal du siège ; Journal d’un bourgeois de Paris.

  268. [277]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  269. [278]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  270. [279]

    Journal du siège.

  271. [280]

    Monstrelet, en sa Chronique.

  272. [281]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  273. [282]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  274. [283]

    Journal du siège.

  275. [284]

    Journal du siège.

  276. [285]

    Chronique sans titre.

  277. [286]

    Monstrelet.

  278. [287]

    Journal du siège.

  279. [288]

    Le père Daniel, Histoire de France ; — Hume, History of England.

  280. [289]

    Chronique sans titre.

  281. [290]

    Villaret, Histoire de France.

  282. [291]

    Racine, Iphigénie, acte V, scène dernière.

  283. [292]

    Monstrelet.

  284. [293]

    Journal du siège.

  285. [294]

    Chronique sans titre.

  286. [295]

    Le manuscrit de Saint-Victor, n° 285, qui contient, outre le Procès de la Pucelle, une copie du Journal du siège, porte en cet endroit Jehan de Lesgot, seigneur de Verduran.

  287. [296]

    Journal du siège.

  288. [297]

    Chronique sans titre.

  289. [298]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  290. [299]

    Monstrelet.

  291. [300]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  292. [301]

    Journal du siège.

  293. [302]

    Il y a peu d’exemples d’une fatalité pareille à celle qui semble avoir pesé sur la maison de Stuart. Walter, sénéchal ou stuart d’Écosse (de la charge duquel ses descendants tirèrent leur nom), avait épousé Marie, sœur et héritière de David II, roi d’Écosse, et c’est par ce mariage que les Stuarts furent appelés sur un trône qu’ils teignirent presque tous de leur sang. Robert III, second roi de cette dynastie, meurt en 1390, de la douleur que lui cause la captivité de son fils, que Henri IV, usurpateur de la couronne d’Angleterre, retenait injustement dans les fers. Jacques Ier parvient au trône après dix-huit ans de prison en Angleterre, et périt dans son lit, en 1437, assassiné de la main de ses sujets. Jacques II, roi à sept ans, est tué d’un coup de canon, en 1460, au siège de Roxburgh. Jacques III, également parvenu à la couronne dès l’âge de sept ans, périt, en 1488, dans une bataille livrée contre ses propres sujets. Jacques IV est tué, en 1513, à la bataille de Flodden Field, livrée aux Anglais. Jacques V, roi à un an et demi, meurt, en 1542, dans une guerre contre les Anglais, du chagrin que lui causent ses désastres ; il avait perdu ses deux fils dans la même journée, une semaine avant sa mort. Sa fille, Marie Ière, plus connue sous le nom de Marie Stuart, reine à huit jours, est décapitée à Londres, en 1587, par l’ordre de sa cousine, la reine Élisabeth, après une longue captivité. Alors cette famille passe, dans la personne de Jacques VI, fils de Marie, sur le trône d’Angleterre, où il succède en prenant le nom de Jacques Ier, roi de la Grande-Bretagne, à cette même Élisabeth qui avait fait périr sa mère ; mais le malheur suit encore la maison de Stuart dans cette nouvelle élévation ; on connaît les infortunes de Charles Ier, condamné à perdre la tête, en 1649, par ses sujets révoltés, et celles de Jacques II, chassé du trône, en 1688, par son propre gendre. Cette famille vient enfin de s’éteindre, il y a quelques années, dans la personne du cardinal d’York, son dernier rejeton mâle ; et, comme si son malheur devait la poursuivre dans le tombeau, on s’en est réjoui comme d’un événement heureux qui assure le repos de l’Angleterre. (Voyez Atlas de Lesage.)

  294. [303]

    Journal du siège, Chronique sans titre, Monstrelet, etc.

  295. [304]

    Journal du siège.

  296. [305]

    Monstrelet.

  297. [306]

    Journal du siège.

  298. [307]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  299. [308]

    On donnait ce nom à tous les partisans du roi Charles, à cause du connétable d’Armagnac, qui avait été chef de ce parti.

  300. [309]

    Journal d’un bourgeois de Paris.

  301. [310]

    Journal du siège.

  302. [311]

    Journal du siège.

  303. [312]

    Monstrelet. Il écrit la Sajecte.

  304. [313]

    Journal du siège.

  305. [314]

    Monstrelet.

  306. [315]

    Villaret, Histoire de France ; — Hume, History of England. — Voyez aussi, pour le récit de cette journée, les Grans Chroniques de France ; — Hall, fol. 106 ; — Stowe, p. 369 ; — Holingshed, p. 600 ; — Grafton, p. 532, etc.

  307. [316]

    Journal du siège.

  308. [317]

    Ce ne fut que quelque temps après que les corps des seigneurs tués dans cette journée furent apportés à Orléans et enterrés dans l’église Sainte-Croix, là où se feist pour eulx, dit la Chronique du siège, un beau service divin.

  309. [318]

    Chronique sans titre.

  310. [319]

    Journal du siège.

  311. [320]

    Serres, en son inventaire.

  312. [321]

    Journal du siège.

  313. [322]

    Chronique sans titre.

  314. [323]

    Journal du siège.

  315. [324]

    Journal du siège.

  316. [325]

    Journal du siège.

  317. [326]

    Journal du siège.

  318. [327]

    Villaret, Histoire de France.

  319. [328]

    Journal du siège.

  320. [329]

    Villaret, Histoire de France.

  321. [330]

    Villaret, Histoire de France.

  322. [331]

    Journal du siège, Chronique sans titre, Villaret.

  323. [332]

    Journal du siège.

  324. [333]

    Monstrelet, Villaret.

  325. [334]

    Chronique sans titre.

  326. [335]

    Journal du siège.

  327. [336]

    Journal du siège.

  328. [337]

    Serres, en son Inventaire ; Journal du siège ; Dépositions au procès de révision de la Pucelle.

  329. [338]

    Journal du siège.

  330. [339]

    Journal du siège.

  331. [340]

    Jean-Louis Micqueau (Joannes Ludovicus Micquellus), en son livre du Siège d’Orléans (Aureliæ urbis memorabilis ab Anglis obsidio, anno 1428 et Joannæ viraginis Lotharingæ res gestæ, etc.).

  332. [341]

    Journal du siège.

  333. [342]

    Journal du siège.

  334. [343]

    Le Maire, Histoire d’Orléans.

  335. [344]

    Le débordement de 581 avait été suivi, trois ans après, de l’incendie de la ville d’Orléans ; celui de 1527 précéda de fort peu les guerres sanglantes qui éclatèrent entre Charles-Quint et François Ier. (Le Maire, Histoire d’Orléans.) — La Loire se déborda surtout avec fureur au temps de la mort de Henri II, de Henri III et de Henri IV. (Simon Goulard, Histoires admirables.)

  336. [345]

    Journal du siège.

  337. [346]

    Journal du siège.

  338. [347]

    Journal du siège.

  339. [348]

    Journal du siège.

  340. [349]

    Journal du siège.

  341. [350]

    Journal du siège.

  342. [351]

    Journal du siège.

  343. [352]

    Journal du siège.

  344. [353]

    Journal du siège.

  345. [354]

    Chroniques du siège.

  346. [355]

    Journal du siège.

  347. [356]

    Journal du siège.

  348. [357]

    Journal du siège.

  349. [358]

    Journal du siège.

  350. [359]

    Journal du siège.

  351. [360]

    Journal du siège.

  352. [361]

    Journal du siège.

  353. [362]

    Journal du siège.

  354. [363]

    Journal du siège.

  355. [364]

    Journal du siège.

  356. [365]

    Godefroy, Vie de Florent, sire d’Illiers, dans le Recueil des historiens de Charles VII.

  357. [366]

    Journal du siège.

  358. [367]

    Journal du siège.

  359. [368]

    Le texte de la Chronique du siège porte : allèrent à Sainct-Marceau, ou Val-de-Loire, et rompirent et percèrent l’église.

  360. [369]

    Journal du siège.

  361. [370]

    Journal du siège.

  362. [371]

    Journal du siège.

  363. [372]

    Journal du siège.

  364. [373]

    Journal du siège.

  365. [374]

    Journal du siège.

  366. [375]

    Villaret, Histoire de France.

  367. [376]

    Jean Chartier, Histoire de Charles VII ; Grans Chroniques de France.

  368. [377]

    Monstrelet.

  369. [378]

    Villaret, Histoire de France.

  370. [379]

    Journal du siège. — Voyez aussi, pour toute cette affaire, Hall, fol. 106 ; Monstrelet, vol. II, p. 42 ; Stowe, p. 369 ; Grefton, p. 533.

  371. [380]

    Journal du siège.

  372. [381]

    Villaret, Histoire de France.

  373. [382]

    Journal du siège.

  374. [383]

    N. Sala, Exemples de hardiesse de plusieurs roys et empereurs, manuscrit français de la Bibliothèque du Roi, n° 180. Sala tenait cette particularité du seigneur de Boisi,

    qui avoit été, en sa jeunesse, très aimé de ce roy, tant qu’il ne voulut oncques souffrir coucher nul gentilhomme en son lict, fors luy.

  375. [384]

    Journal du siège, Villaret, Gaillard, etc.

  376. [385]

    Villaret, Histoire de France, etc.

  377. [386]

    Déposition de Marguerite la Touroulde au Procès de révision de la Pucelle, manuscrits de la Bibliothèque du Roi.

  378. [387]

    Villaret, Histoire de France ; Gaillard, Querelle, etc.

  379. [388]

    Brantôme, Vie des dames galantes.

  380. [389]

    Lebrun (Ponce-Denis Écouchard-Lebrun), livre II, Ode XVIe.

  381. [390]

    Gaguin in Car. VII, lib. X ; le père Anselme, t. VIII, p. 540 ; Mémoires historiques, critiques, et Anecdotes des princes et régentes de France, à l’art. d’Agnès Sorel.

  382. [391]

    Déposition de Marguerite la Touroulde, déjà citée.

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11. Jules César, Commentaires sur la guerre des Gaules.

12. Bède, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, 731, livre I,...

13. La Bretagne française, ou Petite-Bretagne.

14. Le pays de Galles.

15. Gildas ; Guillaume de Malmesbury ; Bède.

16. Théophile-Malo de La Tour d’Auvergne-Corret, Origines...

17. Les Dunois, ou Normands.

18. La première fois, en 1017, sous la conduite de Knut Ier,...

19. Annales de Fulda ; — Annales de Saint-Bertin ; — Chronique...

20. Chron. Tur. ; Historiæ Normanorum scriptores antiqui...

21. Gaillard, Histoire de la Rivalité de la France et de...

22. Le Roman de Rou ; — Chronique de Normandie.

23. Annales de Fulda.

24. David Hume, The History of England, (1754-1761).

25. Guillaume de Malmesbury ; Ranulf Higdon ; Orderic Vital.

26. Suger, Vita Ludovici Grossi Regis (Vie de Louis le Gros), 1143.

27. Roger de Hoveden ; Orderic Vital.

28. Henri de Huntingdon ; Roger de Hoveden ; Matthieu Paris.

29. Guillaume de Tyr, liv. XVI, chap. VII ; — Fragm. De rebus...

30. Thomas Rymer, v. I, p. 269 ; — Nicholas Trivet, p. 179.

31. Gesta Ludovici VIII (Duchesne, t. V).

32. Chronique de France ; Jean de Joinville ; Guillaume de...

33. Voyez la dissertation de M. Gabriel-Henri Gaillard sur la Loi salique,...

34. Jean Froissart.

35. Voyez livre V de la présente Histoire.

36. Froissart, en sa Chronique.

37. Froissart, en sa Chronique ; Chronique de Saint-Denis ;...

38. Thomas Rymer, Act. publ., t. III, part. IV.

39. Ibid., p. 112 ; — David Hume, The History of...

40. Froissart, vol. I, chap. CLXVIII.

41. Hume, The History of England ; — Rymer, Act. publ.,...

42. Monstrelet.

43. Monstrelet ; Rapin de Thoyras ; Claude Villaret.

44. Chronique manuscrite, Bibliothèque du Roi, n° 12297 ; — Claude...

45. L’abbé Claude-François-Xavier Millot, Éléments de l’histoire de...

46. Histoire de Pisan.

47. Monstrelet ; Juvénal des Ursins ; Chronique de Saint-Denis,...

48. Registre du parlement ; — Monstrelet, chap. XXXVI ; —...

49. Id., Ibid.

50. Id., Ibid.

51. Monstrelet, vol. I, chap. LXXII.

52. Monstrelet, vol. I, chap. XXXVI.

53. Monstrelet ; Juvénal des Ursins ; Chronique de...

54. Rymer, Act. publ. ; Rapin de Thoyras ;...

55. Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI ; — Jean de...

56. Rapin de Thoyras ; Rymer, Act. publ.

57. Juvénal des Ursins ; — Monstrelet ; — Registre du...

58. Rymer, Act. publ. ; — Rapin de Thoyras ; — Hume,...

59. Juvénal des Ursins ; — Chronique manuscrite, Bibliothèque du Roi,...

60. Ibid.

61. Journal d’un bourgeois de Paris, sous les règnes de Charles VI...

62. Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI.

63. Villaret, Histoire de France.

64. Gaillard, Histoire de la querelle de Philippe de Valois et...

65. Villaret, Histoire de France.

66. Gaillard, Histoire de la querelle de Philippe de Valois et...

67. Villaret, Histoire de France, t. XIV.

68. Rymer, Act. publ., t. IV, part. III.

69. Villaret, Histoire de France.

70. Journal d’un bourgeois de Paris, pendant les règnes de Charles...

71. Journal d’un bourgeois de Paris.

72. Monstrelet ; Juvénal des Ursins ; Dépositions de Vienne, de...

73. Monstrelet.

74. Juvénal des Ursins ; Manifeste du Dauphin.

75. Pierre de Fénin, en ses Mémoires.

76. Juvénal des Ursins.

77. Cette assertion s’accorde parfaitement avec ce que dit Martial de...

78. Hume, History of England, chap. XXI.

79. Olivier de La Marche, en ses Mémoires.

80. Histoire des Cours d’Amour.

81. Juvénal des Ursins ; Monstrelet, etc.

82. Juvénal des Ursins.

83. Juvénal des Ursins.

84. Étienne Pasquier, Recherches de la France, liv. VI, chap. VII.

85. Juvénal des Ursins.

86. Juvénal des Ursins.

87. Registre du parlement, commençant le douziesme novembre mil quatre...

88. Journal d’un bourgeois de Paris ; — Chroniques de...

89. Rymer, Act. publ. ; — Rapin de Thoyras, Histoire...

90. Journal d’un bourgeois de Paris.

91. Monstrelet ; Juvénal des Ursins, etc.

92. Mémoires de Pierre de Fénin.

93. Rapin de Thoyras, Histoire d’Angleterre ; — Rymer, Act....

94. Étienne Pasquier, Recherches de la France, liv. VI, chap. IV.

95. Martial de Paris (dit Martial d’Auvergne), Vigiles de Charles...

96. Idem.

97. Comptes des recettes générales des finances, chapitre des Comptes de...

98. Monstrelet ; — Rapin de Thoyras, Histoire...

99. Chronique sans titre, imprimée par Godefroy, dans son Recueil des...

100. Iliade, chant XXIV

101. Chronique sans titre, déjà citée.

102. Monstrelet ; — Rapin de Thoyras, Histoire...

103. Villaret, Histoire de France.

104. Anne-François-Joachim Fréville, Beaux exemples de piété...

105. Villaret, Histoire de France, t. XIII, p. 73.

106. David Hume (History of England) porte les forces de Dunois à...

107. Monstrelet ; — Rapin de Thoyras, Histoire...

108. Chronique sans titre.

109. Sur le Loing, à quatre lieues et demie au nord de Montargis, à trois...

110. Chronique sans titre.

111. Ce héros s’était déjà illustré par la belle défense de Meulan contre...

112. Chronique sans titre.

113. Chronique sans titre.

114. Chronique sans titre.

115. Chronique sans titre.

116. Villaret, Histoire de France.

117. Daniel, Histoire de France.

118. Martial d’Auvergne, Vigiles de Charles VII.

119. Rapin de Thoyras, Histoire d’Angleterre ; — Rymer, Act....

120. Guillaume Gruel, Chronique d’Arthur de Richemont, connétable de...

121. Histoire de Bretagne.

122. Guillaume Gruel, Chronique d’Arthur de Richemont, connétable de...

123. Journal d’un bourgeois de Paris ; — Registres du...

124. Dans un acte de l’an 1428, inséré parmi les Act. publ. de...

125. Chronique sans titre ; — Journal du siège...

126. Villaret, Histoire de France.

127. Poésies manuscrites de Charles, duc d’Orléans, Bibliothèque du Roi, n°...

128. Rymer, Act. publ., t. X, p. 402.

129. Ibid., p. 401.

130. Villaret, Histoire de France.

131. Chronique sans titre.

132. Idem.

133. Chronique sans titre.

134. Chronique sans titre ; — Journal du siège...

135. Chronique sans titre.

136. Journal du siège d’Orléans.

137. Chronique sans titre, etc.

138. Idem.

139. Idem.

140. Idem.

141. Jacques le Bouvier, dit Berry, roy d’armes de France ; Histoire...

142. Chronique sans titre.

143. Idem.

144. Hume, History of England, chap. XX.

145. Villaret, Histoire de France.

146. Edmond Richer, Histoire manuscrite de la Pucelle d’Orléans,...

147. Journal du siège. Le manuscrit, en parchemin et d’une écriture...

148. Le Maire, Histoire d’Orléans.

149. Le manuscrit de Saint-Victor, n° 285, maintenant déposé à la...

150. Une liste anglaise, déposée parmi les pièces historiques recueillies à...

151. Liste anglaise ci-dessus citée : Halsall.

152. Journal du siège ; Chronique sans titre.

153. Chronique sans titre.

154. Plusieurs auteurs modernes altèrent le nom de ce fort, et le changent...

155. Chronique sans titre.

156. L’acception moderne du mot boulevard pouvant induire en erreur...

157. Journal du siège.

158. Elle demeurait près de la poterne Chesneau.

159. Journal du siège.

160. Idem.

161. Journal du siège.

162. Chronique sans titre.

163. Déposition de Jean d’Aulon, sénéchal de Beaucaire, au procès de...

164. Chronique sans titre.

165. Chronique sans titre.

166. Chronique sans titre.

167. Journal du siège.

168. Chronique sans titre.

169. Journal du siège.

170. Chronique sans titre.

171. Journal du siège ; Chronique sans titre.

172. Chronique manuscrite, Bibliothèque du Roi, n° 10297.

173. Chronique sans titre.

174. Journal du siège.

175. Villaret, Histoire de France.

176. Journal du siège.

177. Chronique sans titre.

178. On le trouve aussi désigné sous le nom de boulevard du Pont

179. Journal du siège.

180. Chronique sans titre ; Journal du siège.

181. Chronique sans titre.

182. Idem ; Journal du siège.

183. Villaret, Histoire de France.

184. Chronique sans titre.

185. Chronique sans titre.

186. M. V***, en ses Tablettes chronologiques des maisons souveraines de...

187. La famille de Valpergue ou Valperga existe encore en...

188. Journal du siège.

189. Villaret, Histoire de France.

190. Monstrelet, en sa Chronique.

191. Journal du siège ; — Hall, fol. 105.

192. Alain Chartier, Chroniques du feu roy Charles septiesme.

193. Jean Chartier, Histoire de Charles VII ; — Grans...

194. Journal du siège.

195. Monstrelet ; Jean Chartier.

196. Monstrelet.

197. Journal du siège ; — Chronique sans titre.

198. Monstrelet ; — Chronique sans titre.

199. Monstrelet ; — Jean Chartier.

200. Chronique sans titre.

201. Monstrelet.

202. Jean Chartier.

203. Monstrelet.

204. Tous les historiens.

205. Monstrelet dit huit jours.

206. Journal du siège.

207. Alain Chartier, Chronique du roy Charles septiesme.

208. Journal d’un bourgeois de Paris.

209. Il paraît évident qu’il y a ici une lacune dans l’original ; on y...

210. Suppl. Rym. H. VI, t. IV, n° 146. Pièces manuscrites recueillies à...

211. Chronique sans titre.

212. Idem ; — Monstrelet ; — Hume, History of...

213. Hume, History of England ; — Journal du siège.

214. Journal du siège.

215. Peut-être Saint-Avis.

216. Journal du siège.

217. Journal du siège.

218. Chronique sans titre.

219. Chronique sans titre.

220. Journal du siège.

221. Peut-être était-ce une des pièces d’artillerie anglaise prises à la...

222. Journal du siège.

223. Journal du siège.

224. Journal du siège.

225. Journal du siège.

226. Il est probable que cette croix s’élevait justement à l’endroit où se...

227. Journal du siège.

228. Journal du siège.

229. Journal du siège. Ce chariot servait probablement à porter la...

230. Journal du siège.

231. Journal du siège.

232. Journal du siège.

233. Journal du siège.

234. Journal du siège.

235. Chronique sans titre.

236. Journal du siège.

237. Journal du siège.

238. Voyez page 96

239. Journal du siège.

240. Journal du siège.

241. Cartons de M. de Bréquigny, Histoire générale. La pièce dont il s’agit...

242. Act. publ. de Rymer, t. X, p. 408, édition de 1727.

243. Journal du siège.

244. Qui a sans doute donné son nom à la rue du Colombier, aujourd’hui...

245. Journal du siège.

246. Journal du siège.

247. La situation de cette île n’est pas facile à déterminer. On pourrait...

248. Journal du siège.

249. Journal du siège.

250. Journal du siège.

251. Journal du siège.

252. Journal du siège.

253. Journal du siège ; — Chronique sans titre ; —...

254. Journal du siège.

255. Journal du siège.

256. Journal du siège.

257. Lescot ou Lesgot, voyez page 114

258. Journal du siège.

259. Chronique sans titre.

260. Journal du siège ; Monstrelet.

261. Journal d’un bourgeois de Paris.

262. Monstrelet.

263. Monstrelet.

264. État des places françaises tenues par Henri V en 1417, parmi les...

265. Journal d’un bourgeois de Paris.

266. Chronique sans titre.

267. Journal du siège.

268. Journal du siège.

269. Journal du siège.

270. Journal d’un bourgeois de Paris ; peut-être faut-il lire...

271. Journal du siège.

272. Journal du siège.

273. Journal du siège.

274. Journal du siège.

275. Journal du siège.

276. Journal du siège ; Journal d’un bourgeois de Paris.

277. Journal d’un bourgeois de Paris.

278. Journal d’un bourgeois de Paris.

279. Journal du siège.

280. Monstrelet, en sa Chronique.

281. Journal d’un bourgeois de Paris.

282. Journal d’un bourgeois de Paris.

283. Journal du siège.

284. Journal du siège.

285. Chronique sans titre.

286. Monstrelet.

287. Journal du siège.

288. Le père Daniel, Histoire de France ; — Hume, History of...

289. Chronique sans titre.

290. Villaret, Histoire de France.

291. Racine, Iphigénie, acte V, scène dernière.

292. Monstrelet.

293. Journal du siège.

294. Chronique sans titre.

295. Le manuscrit de Saint-Victor, n° 285, qui contient, outre le Procès...

296. Journal du siège.

297. Chronique sans titre.

298. Journal d’un bourgeois de Paris.

299. Monstrelet.

300. Journal d’un bourgeois de Paris.

301. Journal du siège.

302. Il y a peu d’exemples d’une fatalité pareille à celle qui semble avoir...

303. Journal du siège, Chronique sans titre, Monstrelet, etc.

304. Journal du siège.

305. Monstrelet.

306. Journal du siège.

307. Journal d’un bourgeois de Paris.

308. On donnait ce nom à tous les partisans du roi Charles, à cause du...

309. Journal d’un bourgeois de Paris.

310. Journal du siège.

311. Journal du siège.

312. Monstrelet. Il écrit la Sajecte.

313. Journal du siège.

314. Monstrelet.

315. Villaret, Histoire de France ; — Hume, History of...

316. Journal du siège.

317. Ce ne fut que quelque temps après que les corps des seigneurs tués...

318. Chronique sans titre.

319. Journal du siège.

320. Serres, en son inventaire.

321. Journal du siège.

322. Chronique sans titre.

323. Journal du siège.

324. Journal du siège.

325. Journal du siège.

326. Journal du siège.

327. Villaret, Histoire de France.

328. Journal du siège.

329. Villaret, Histoire de France.

330. Villaret, Histoire de France.

331. Journal du siège, Chronique sans titre, Villaret.

332. Journal du siège.

333. Monstrelet, Villaret.

334. Chronique sans titre.

335. Journal du siège.

336. Journal du siège.

337. Serres, en son Inventaire ; Journal du siège ;...

338. Journal du siège.

339. Journal du siège.

340. Jean-Louis Micqueau (Joannes Ludovicus Micquellus), en son...

341. Journal du siège.

342. Journal du siège.

343. Le Maire, Histoire d’Orléans.

344. Le débordement de 581 avait été suivi, trois ans après, de l’incendie...

345. Journal du siège.

346. Journal du siège.

347. Journal du siège.

348. Journal du siège.

349. Journal du siège.

350. Journal du siège.

351. Journal du siège.

352. Journal du siège.

353. Journal du siège.

354. Chroniques du siège.

355. Journal du siège.

356. Journal du siège.

NaN. Journal du siège.

357. Journal du siège.

358. Journal du siège.

359. Journal du siège.

360. Journal du siège.

361. Journal du siège.

362. Journal du siège.

363. Journal du siège.

364. Journal du siège.

365. Godefroy, Vie de Florent, sire d’Illiers, dans le Recueil des...

366. Journal du siège.

367. Journal du siège.

368. Le texte de la Chronique du siège porte : allèrent à...

369. Journal du siège.

370. Journal du siège.

371. Journal du siège.

372. Journal du siège.

373. Journal du siège.

374. Journal du siège.

375. Villaret, Histoire de France.

376. Jean Chartier, Histoire de Charles VII ; Grans...

377. Monstrelet.

378. Villaret, Histoire de France.

379. Journal du siège. — Voyez aussi, pour toute cette affaire,...

380. Journal du siège.

381. Villaret, Histoire de France.

382. Journal du siège.

383. N. Sala, Exemples de hardiesse de plusieurs roys et empereurs,...

384. Journal du siège, Villaret, Gaillard, etc.

385. Villaret, Histoire de France, etc.

386. Déposition de Marguerite la Touroulde au Procès de révision de la...

387. Villaret, Histoire de France ; Gaillard, Querelle,...

388. Brantôme, Vie des dames galantes.

389. Lebrun (Ponce-Denis Écouchard-Lebrun), livre II, Ode XVIe.

390. Gaguin in Car. VII, lib. X ; le père Anselme, t. VIII, p....

391. Déposition de Marguerite la Touroulde, déjà citée.