II. Preuves et éclaircissements : 4. Témoignages rendus à sa sainteté

302IV.

Témoignages rendus à la sainteté d’Hélie de Bourdeille

Parmi tous les auteurs que nous avons pu interroger sur Hélie de Bourdeille, nous n’en avons pas rencontré un seul qui se soit inscrit contre la réputation de sainteté de cet illustre évêque, ou qui ait émis un doute positif à ce sujet. Nous croyons qu’il n’est pas téméraire d’affirmer que cet auteur n’existe pas.

Parmi ceux que nous avons consultés, la plupart affirment cette sainteté du serviteur de Dieu, comme chose notoire, universellement reconnue. Ceux qui, ayant à parler de Bourdeille ou des événements auxquels il se trouva mêlé, ne traitent pas spécialement de ses grandes vertus, les laissent au moins deviner. Les gallicans eux-mêmes, tout en hasardant, pour les besoins de leur cause, quelques insinuations perfides et auxquelles eux-mêmes ne semblent pas croire, sur le désintéressement du courageux évêque dans tel ou tel acte de sa vie, ne se hasardent pas à contester ses rares mérites, et trouvent plus facile d’amoindrir son autorité, en essayant de déverser gratuitement sur lui un peu de ce ridicule, qui est l’arme favorite du mensonge. Le bénédictin Housseau est, ainsi que nous l’avons dit, l’auteur qui nous a paru le moins favorable au serviteur de Dieu, et c’est pour cela même que nous avons reproduit in extenso la notice manuscrite qu’il nous en a laissée dans son travail sur les archevêques de Tours. Mais dans cette notice elle-même, ainsi que dans les autres écrits gallicans, on ne peut saisir l’apparence d’un doute sur la sainteté du vénérable fils de saint François. Les gallicans ne nient pas cette sainteté ; plutôt laisseraient-ils voir qu’il leur coûte de la constater.

Par contre, les témoignages positifs en faveur des vertus héroïques d’Hélie de Bourdeille, sont des plus nombreux, des plus autorisés, des mieux circonstanciés, des mieux fondés en preuves de toute sorte. On a pu s’en convaincre par tous les documents que nous avons reproduits dans les sections précédentes, et qui contiennent les témoignages les plus décisifs, empruntés aux sources les plus variées.

Nous pourrions, assurément, nous borner à ces dépositions, d’autant plus concluantes pour la plupart, qu’elles sont toutes spontanées, sans liaison nécessaire avec le sujet principal traité par leurs auteurs, et se trouvent mêlées au récit d’événements ou environnées de circonstances qui en garantissent l’exactitude.

Nous y ajouterons néanmoins un certain nombre d’affirmations, de jugements recueillis ça et là, et qui corroboreront notre thèse, sans toutefois que nous ayons la 303prétention d’épuiser un domaine dans lequel il restera encore d’intéressantes trou vailles à faire et même une ample moisson à recueillir.

Nous partagerons en quatre groupes les témoins à produire dans cette Section :

1. Le groupe des auteurs franciscains.
2. Le groupe des auteurs Tourangeaux.
3. Le groupe des auteurs profanes.
4. Le groupe des historiens et auteurs ecclésiastiques.

1.

Auteurs Franciscains

A.

Arthur Du Monstier (Arturus a Monasterio)

B.

Fortunat Hüber (Fortunatus Hueberus)

305C.

Pierre-Rodolphe de Tossignan (Petrus Rodulphus Tossiniacensis, 1586)

E.

Abrégé de la vie des papes et cardinaux franciscains (1680)

306F.

Légendier franciscain de Benoît Mazzara (1722)

G.

Chronique Séraphique d'Eusèbe Gonzalez de Torres (1729)

H.

Luc de Wadding (1734)

J.

L’Année Franciscaine (1865)

Au couvent de Mirepoix, Hélie de Bourdeille fit d’abord un cours public sur les saintes Écritures. Puis il évangélisa successivement les villes de Mirepoix, Pamiers, Limoux, Carcas sonne, Montreal, Castelnaudary, Toulouse, etc., et partout il recueillait des fruits abondants de salut. La foule se pressait autour de lui ; la renommée de ses vertus allait grandissant de jour en jour ; on admirait encore plus, dans le jeune prédicateur, la sainteté de la vie, que l’éloquence et la vivacité du langage.

Pendant que le jeune Hélie de Bourdeille habitait le couvent de Mirepoix, il reçut du Provincial l’ordre de se rendre au couvent de Limoges, qui était aussi renfermé dans la province d’Aquitaine. Il devait passer au couvent de Castelnaudary, pour y prendre un compagnon ; et en s’y rendant, il visita le sanctuaire de Notre-Dame de Prouille, qui fut le berceau de l’Ordre des Frères-Prêcheurs. Il vénéra aussi la chapelle érigée en l’honneur de saint Dominique. Il joignit ensuite, à Castelnaudary, le compagnon qui lui avait été assigné, et prit à pied la route de Limoges. Il s’arrêta au couvent de Toulouse, qui lui rappelait les premières années de sa vie religieuse, et traversa le Périgord.

On arriva, chemin faisant, sur les terres dépendantes du château de Bourdeille. Or frère Hélie, ne voulant point être reconnu des siens, marchait derrière son compagnon, la tête basse et couverte de son capuce. On frappa à la porte, et on demanda, pour l’amour de Dieu, un asile et un morceau de pain. Un serviteur peu complaisant se présente ; il les conduit dans un hangar, et leur apporte un pain, de ceux que la charitable dame donnait aux mendiants. Le lendemain matin, le compagnon du frère Hélie se présente à la porte du château, remercie la pieuse baronne de sa charité, et les deux religieux continuent leur voyage.

Or, comme ils étaient à une distance d’un mille, ils rencontrèrent une vieille femme, la mère d’un paysan employé sur les terres du château. Elle reconnaît le frère Hélie de Bourdeille, se jette à ses pieds, fond en larmes, et court au château, pour annoncer à la baronne cette bonne nouvelle : un exprès est dépêché vers les religieux, mais ils avaient disparu.

La baronne ayant appris que son fils était au couvent de Limoges, s’y rendit en toute hâte, prit l’habit du Tiers-Ordre, et laissa une large aumône à la communauté.

La ville de Périgueux ayant perdu son évêque, le Chapitre arrêta de demander frère Hélie pour son successeur… Effrayé d’un tel choix, jaloux de vivre dans l’obscurité et le silence du cloître, le fervent religieux n’eût jamais consenti à se soumettre au fardeau de l’épiscopat, si le pape Eugène IV, l’ami et le protecteur des Franciscains, ne lui en eût fait un devoir, et montré combien un tel choix lui agréait, en nommant pour prélat consécrateur le bienheureux Nicolas Albergati, cardinal de Sainte-Croix, légat du Saint-Siège en France et l’une des gloires de l’Italie au XV^e siècle.

Tout, en Hélie de Bourdeille, rappelait les anciens champions de la vérité évangélique. Sa 314charité pour ses diocésains était inépuisable ; sa tendresse, celle d’un père ; son zèle, vraiment apostolique. On le voyait tour à tour entendre les confessions, administrer les sacrements, prêcher la parole de Dieu, veiller à la réparation des églises, donner au culte divin toute la splendeur possible.

Sa maison épiscopale respirait la pauvreté d’un disciple de saint François. L’habit si pauvre de l’Ordre, qu’il ne quitta jamais, sa nourriture, annonçaient combien chère à son cœur était cette précieuse et riche vertu. Non content des jeûnes prescrits par la Règle franciscaine, il s’appliquait à marcher sur les traces des premiers religieux de l’Ordre. Il renouvelait contre lui-même les pieuses rigueurs de leur pénitence ; et à ces fréquentes austérités, il joignait de longues prières, de ferventes contemplations.

Louis XI, instruit de son mérite, le fit, en 1468, transférer au siège de Tours… et le choisit pour son confesseur.

Les droits du Saint-Siège avaient été méconnus par le Concile de Bâle, par la Pragmatique Sanction de Bourges ; ils l’étaient par les empiétements de l’autorité civile. Hélie combattit le Concile de Bâle et la Pragmatique Sanction par ses écrits. Il s’opposa de vive voix à toute tentative d’envahissement, afin de conserver libre la sainte Église de Dieu, afin de faire respecter la plénitude des pouvoirs du Souverain Pontife. Jamais une considération humaine n’influa sur sa conduite dans les graves circonstances où il put se trouver.

L’Ordre Séraphique a toujours compté Hélie de Bourdeille parmi ses plus grandes illustrations, et l’une des gloires les plus pures de l’Église de France.

Le Palmier Séraphique, ou Vies des saints des Ordres de Saint-François, — Bar-le Duc, 1872, Louis Guérin, t. VIII, mois de juillet, — contient un témoignage identique, qu’il nous semble superflu de reproduire, la tradition relative à la sainteté d’Hélie de Bourdeille, n’ayant jamais varié, ni subi la moindre éclipse dans la grande famille franciscaine.

2.

Auteurs tourangeaux

A.

François Florio (Francesco Florio, 1477)

Nous rangeons ce Florentin parmi les auteurs Tourangeaux. Il appartient, en effet, à la Touraine, par le long séjour qu’il y fit, et par l’intéressant Éloge qu’il nous en a laissé.

Francesco Florio naquit à Florence vers 1420. Ses divers écrits prouvent qu’il reçut une bonne éducation classique. Était-il engagé dans la cléricature ? On a pu le conjecturer, à la lecture de ses ouvrages ; mais le fait ne nous paraît pas acquis. L’argument sur lequel on s’appuie, n’est pas péremptoire. Les choses de l’Église, en effet, et la théologie elle-même, étaient familières aux lettrés italiens du XV^e siècle, 315qu’ils appartinssent au monde ou au clergé. Il ne faut pas oublier que Florio est compatriote et presque contemporain de Dante Alighieri, lequel étonne autant par la sublimité de ses conceptions doctrinales que par l’incomparable puissance de son génie poétique.

Quoiqu’il en soit, Florio aimait les voyages. Florence n’avait pas trouvé le repos sous l’égide des Médicis ; peut-être les cruelles divisions de sa ville natale lui avaient-elles inspiré ce goût. On voit, en effet, à certaines observations, à certains rapprochements qui lui échappent, que Florio n’estimait pas que tout fût pour le mieux sur les rives de l’Arno, ni même à Rome ou dans le reste de l’Italie.

Nous savons par Florio lui-même qu’il visita l’Europe entière et une partie de l’Asie. Attiré en France par Jean V, comte d’Armagnac, il quitta bientôt ce haut personnage ; son honnêteté ne pouvait s’accommoder, sans doute, des scandales dont la petite cour d’Armagnac était le théâtre. Et puis, le comte était en guerre avec Louis XI. Florio n’avait pas fui les orages de son pays d’origine, pour les affronter, plus dangereux, sur le sol étranger. Du château d’Armagnac, il passa à Paris où il demeura trois ans, puis il vint à Tours, où il vécut longtemps, une vingtaine d’années sinon plus, car il n’est pas certain qu’il n’ait pas terminé dans cette ville son terrestre pèlerinage, ainsi qu’il avoue quelque part en avoir formé le dessein.

À Tours, Francesco Florio avait pris gîte chez un bon chanoine de la cathédrale, nommé François Thouars. Chacun sait comment notre Balzac a défini le cloître Saint-Gatien : Un désert de pierres, une solitude pleine de physionomie, enveloppée dans un profond silence interrompu seulement par le bruit des cloches, par le chant des offices qui franchit les murs de la grande cathédrale, ou par le cri des choucas nichés dans le sommet des clochers.

C’est dans cette paisible retraite, récemment améliorée par Hélie de Bourdeille, que Florio composa plusieurs de ses ouvrages, un roman dans le goût du temps, les Amours de Camille et d’Émilie, qu’il termina le 31 décembre 1467, et le De Probatione Turonica, qu’il écrivit, ainsi que nous le dirons, en 1477. Dans le même temps il fit aussi des recherches pour un grand travail dont nous ne connaissons pas le sujet, et qu’il dut abandonner, dit-il, faute de livres pour le conduire à bonne fin.

Le roman de Florio a été imprimé plus tard, à l’époque où la France ne pouvait se lasser de ce genre de productions italiennes. Son auteur l’avait dédié à Guillaume Tardif, professeur d’éloquence au collège de Navarre, et qui devint par la suite liseur de Charles VIII. Ce détail nous renseigne sur la distinction des amitiés que le Florentin avait su se créer dans notre pays.

Quant au De Probatione Turonica, relation que Florio adresse à Jacopo Tarlati, de Castiglione, André Salmon qui l’édita vers le milieu de ce siècle, en fixe la rédaction à l’année 1477, et les raisons qu’il donne à l’appui de cette date, paraissent décisives. On voit, en effet, parles indications de Florio lui-même, qu’il a dû quitter l’Italie vers 1461. Or, ajoute-t-il, il y a déjà seize ans qu’il en est parti. D’autre part, 316dans sa description si enthousiaste des belles choses qu’il admire à Tours, il ne dit mot du fameux treillis d’argent que Louis XI fit placer en 1478 autour du tombeau de saint Martin. Si le don royal avait été effectué, au moment où il écrivait, Florio n’eût pas manqué de le signaler à son ami. Certes, la chose en eût valu la peine. Avec André Salmon, nous concluons du silence de Florio, que sa relation est antérieure à la mort du Téméraire, ou tout au moins aux munificences exceptionnelles que cette mort détermina de la part de Louis XI.

Le De Probatione Turonica a pour notre sujet un avantage précieux ; il nous restitue la ville de Tours, ses églises, ses monuments, sa vie religieuse, politique et artistique, aux jours mêmes d’Hélie de Bourdeille. Il nous refait le cadre historique dans lequel nous voyons vivre et se mouvoir, veiller et prier notre saint Archevêque. Au premier abord, on serait tenté de se défier de l’exubérance de style du bon Florio ; mais on ne tarde pas à se convaincre que ses éloges sont fondés : nos admirables basiliques, entre autres, les méritaient bien, en ces temps plus heureux pour elles et pour nous.

Florio se borne à peu près à la description de Tours. Il déclare tout d’abord qu’il ne parlera pas des charmes pittoresques de la Touraine, de la douceur de son climat, de ses campagnes opulentes, de ses châteaux-forts, des rives enchantées de son grand fleuve, des bords charmants de ses rivières et de ses innombrables ruisseaux. Il en dit assez néanmoins pour que naisse sous sa plume cette dénomination célèbre de Jardin de la France, Franciæ viridarium, dont on peut, à peu près sûrement, lui attribuer la paternité, puisqu’on ne retrouve nulle part, avant lui, une expression si souvent répétée après lui.

Aux yeux de Florio, comme à ceux de Torquato Tasso, la Touraine est bien la terre de douceurs, de joies, de délices : La terra molle, e lieta, e dilettosa ; mais, plus flatteur ou plus juste que ce dernier, il a autant d’admiration pour les habitants que pour le pays, et se garde d’ajouter, comme le poète le fera plus tard : Simili a se gli abitator produce. Florio, sans doute, entendait trop bien les convenances, pour se permettre une critique même innocente, courtoise, et que d’aucuns estimeraient fondée. Il paie en admiration sincère la bonne hospitalité qu’il reçoit. Nous allons en juger par l’analyse ou la reproduction de quelques fragments de son œuvre.

Sinon par ses vastes proportions, du moins, par sa noblesse et sa gloire, la ville de Tours égale et surpasse les cités les plus renommées. Assise sur la Loire, fleuve fameux, elle est ceinte de hautes murailles, flanquées d’une multitude de tours, percées, à distances égales, de belles et vastes portes. Les rues, régulièrement distribuées, sont remplies par le flot mouvant d’un peuple nombreux, affairé ; elles sont bordées de beaux et vastes hôtels à pignon, et coupées par un grand nombre de places, le tout d’un aspect charmant. Cette ville s’étend plutôt en longueur, sur la rive du fleuve. À l’extrémité orientale de ce gracieux ruban se dresse la merveilleuse fabrique de Saint-Gatien ; à l’occident, la masse imposante, majestueuse, 317de la basilique Martinienne ; à peu près au milieu de la ville, sur les bords de la Loire, la splendide abbatiale de Saint-Julien, si religieusement desservie par les moines de Saint Benoît. Impossible d’énumérer toutes les paroisses ou collégiales, non plus que les couvents si remarquables des quatre Ordres mendiants, lesquels tous, par les sites qu’ils occupent et les édifices dont ils se composent, ajoutent encore à la célébrité et à l’ornement de la cité.

Saint-Gatien est une basilique admirable, une église toute belle, toute joyeuse, toute parfaite : ecclesia pulchra, tota jucunda, tota perfecta. Cet édifice est si bien compris, si digne de lui-même en toutes ses parties, qu’il rassérène et réjouit, rien qu’à le voir, soit du dedans soit du dehors, quiconque l’aborde avec la tristesse dans l’âme, l’angoisse dans le cœur. Tel est l’effet de la juste mesure, disons mieux, de l’heureuse harmonie qui unit étroitement et fond dans un délicieux ensemble toutes et chacune de ses parties. Ici, l’ampleur et la solidité de la masse soutiennent la délicatesse des ornements ; la pureté des lignes et la grâce des sculptures parent et allégissent la masse des constructions. Ici, en un mot, vous trouvez, admirablement combinées, la quantité et la qualité : ut quantitatem in qualitate, et qualitatem in quantitate mirabiliter videas relucere.

Adossée à l’autel majeur, se trouve une table ou crédence soutenue par douze colonnettes de bronze. Sur cette table reposent trois grandes châsses en argent doré. Dans celle du milieu, le corps du bienheureux Gatien, objet d’une très grande vénération376 ; dans celle de gauche, le corps de saint Candide, l’un des saints martyrs Thébéens auxquels cette cathédrale est dédiée ; dans celle de droite, les corps de saint Lidoire, second évêque de Tours, et des saints frères martyrs, Branchs et Bénigne. Derrière cet autel majeur se trouve encore un autel plus petit, sur lequel on célèbre, tous les jours, la messe du bienheureux Gatien. C’est auprès de cet autel que repose le corps du saint martyr Arnoul, évêque de Tours377.

Ce qui ne mérite pas une médiocre admiration, c’est la très grande habileté avec laquelle chacun des ministres accomplit les cérémonies propres à cette église, cérémonies très célèbres et d’une haute antiquité : le plus petit des clercs n’a pas besoin d’être guidé dans les fonctions sacrées dont il doit s’acquitter. Le chant liturgique est exécuté avec une égale perfection.

Non moins étonnante, la douce prédilection avec laquelle le Très-Haut a voulu illustrer cette ville de Tours par un aussi grand nombre de saints évêques ou d’évêques illustres, au-dessus desquels brille, ainsi qu’un astre éblouissant, le bienheureux pontife Martin. Comment oublier saint Grégoire de Tours, Saint Volusien le martyr, Hildebert, Jean de Bernard ?…

318Florio avait connu ce dernier. Durant cinq ou six ans, il l’avait vu à l’œuvre, et il relève justement ses mérites. Mais lorsqu’il arrive à Hélie de Bourdeille, qu’il a vu promouvoir au siège de Tours, et dont il peut, depuis dix ans, contrôler, pour ainsi dire, tous les actes, en même temps qu’il entend, chaque jour, par tous les échos de la renommée, les jugements portés par le clergé et par le peuple sur les vertus de l’humble fils de saint François, il change de ton et rend spontanément, de l’abondance du cœur, un témoignage qu’on dirait dicté d’avance pour les besoins de notre cause :

Quant à celui qui gouverne aujourd’hui l’Église de Tours, et que l’Ordre de Saint-François a mis sur le chandelier, il n’occupe pas avec moins de grâce le siège de saint Martin. Nul doute que Dieu ne veuille, en sa personne, accroître le nombre des Saints que cette église vénère sur ses autels. Un jour viendra, j’en ai la confiance, où cet évêque recevra les vœux, les prières des Français.

Cet homme est parfait, en toute science et toute vertu. Je ne sache pas que l’on puisse, pour l’intégrité des mœurs, lui préférer qui que ce soit, parmi ceux qui, à l’heure présente, exercent la prélature dans l’Église.

Mais parce qu’il n’a point encore déposé cette vie mortelle, je me tais sur ses louanges, et reprenant mon sujet, je viens à la basilique du bienheureux Martin.

At hic, quem Ordo sacer Francisci produxit in lucem, non minori gratia sedem retinet Martini : quem, Deo volente, adhuc numerum sanctorum augere, votaque futura de manibus Gallorum suscipere debere non diffido.

Hic vir profecto omni probitate ac scientia perfectus est, adeo ut in omni morum integritate, inter eos qui nunc præsident in Ecclesia, nulli inferior possit judicari.

Verum, quoniam adhuc vita potitur humana, laudes ejus subticeo, ad remque nostram revertor, a qua digressus sum, cum de quibusdam Turonicis præsulibus aliquid dixerim : ad Martini templum nunc venio.

Certes, le témoignage est significatif. Nous pourrions nous en contenter, et ne point demander à Florio d’autres renseignements. Mais ce qu’il ajoute, nous fournit des indications si intéressantes, à un point de vue plus général, que nous devons faire encore quelques emprunts à sa relation. Superflues pour la cause proprement dite du serviteur de Dieu, ces indications sont précieuses pour son histoire, et pour l’intelligence des temps et des lieux où il vécut.

Situé à l’occident de la ville, Saint-Martin semble n’être inférieur à aucune église du royaume. Il possède tout ce qui fait la splendeur des grandes basiliques. Quel digne et imposant clergé ! Jadis il était plus nombreux ; les clercs, dignitaires ou chanoines y étaient, dit-on, au nombre de trois cents. Maintenant, par suite des guerres, ils ne sont plus que cent vingt d’une part, et quatre-vingts de l’autre : cinquante chanoines, dix-huit prévôts, cinquante-six vicaires, quatre-vingts chapelains. Quelles richesses, quels trésors d’œuvres d’art et d’objets précieux ! Quelle pompe incomparable dans les sacrées cérémonies ! Souvent, lorsque je franchis le seuil de ce temple, et que je contemple la multitude, la religion, l’ordre admirable des ministres qui le desservent, il me semble voir le temple de Salomon avec toutes ses splendeurs. 319Cette église est indépendante de toute juridiction intermédiaire ; basilique patriarcale, dont le pape lui-même est évêque, le roi de France abbé, les archevêques de Sens et de Bourges, les évêques d’Angers et de Poitiers, de Mayence et d’Auxerre, de Liège et d’Utrecht, chanoines perpétuels…

Surtout, je vous en prie, gardez-vous bien de céder à un mouvement de votre bienveillance innée pour moi, en montrant ma lettre à nos prélats. Bien que je fasse tous mes efforts pour soutenir que l’Italie l’emporte sur tous les pays, je suis bien obligé de reconnaître que Tours, en ce qui concerne la basilique de Saint-Martin, surpasse aisément nos plus grandes villes ; et ceci, je ne le dis point pour plaire à mes hôtes, en rabaissant mes compatriotes, mais parce que la vérité me contraint de parler ainsi…

L’église Saint-Gatien, l’église Saint-Martin ne sont pas les seules à m’attirer et à me retenir. Lorsque j’éprouve le besoin de me délecter un peu, je vais à la chapelle royale, située dans le vieux château de Tours, sur les rives de la Loire, à quelques pas au nord de la cathédrale. On y entend une excellente musique. Les chantres du Roi y chantent, tous les jours, la messe et les vêpres. Ce sont des artistes de premier ordre, choisis dans tout le royaume, et qu’on peut dire sans rivaux. Mais entre tous il faut nommer l’illustre Jean Ockegam, trésorier de Saint-Martin, et en même temps, maître de la chapelle du Roi. Tant de qualités extérieures, intellectuelles et morales, se trouvent réunies en cet homme, qu’il est impossible de ne pas l’admirer et l’aimer. Hic solus inter cantores omni vitio caret, omni abundat virtute, solusque, ut in Arabia phœnix, merito coli potest et observari. C’est à la chapelle du château de Tours, que l’on comprend bien ce que vaut la musique religieuse, ce qu’elle peut réaliser, et combien la voix humaine l’emporte sur les instruments les plus parfaits.

L’esprit aime la variété ; c’est pourquoi souvent je franchis le grand et beau pont de pierres, qui, aux pieds même du château, relie les deux rives de la Loire, et je vais jusqu’à Marmoutier, que son nom même indique comme le plus fameux des monastères de France. C’est la maison de saint Martin, encore toute pleine de son souvenir. A chaque pas, on y retrouve ses traces ; on y voit encore la cellule où il prenait son repos, ainsi que les cellules de plusieurs autres Saints, ses disciples. Marmoutier I Qui pourrait dire combien d’âmes a envoyées au ciel ce lieu de si grande sainteté ? Toutes les églises de la Gaule se flattaient d’avoir pour évêques des moines formés à l’école de Martin… Aujourd’hui, les bâtiments du monastère sont vastes, magnifiques. Le marbre et l’or en recouvrent les murs. Tout y flatte le regard, tout y est, pour l’esprit, occasion de jouissance et de repos. Marmoutier appartient à l’Ordre de Saint-Benoît. Les moines y sont très nombreux, remarquables par la science et d’une vertu éprouvée…

Si parfois, fatigué de ces excursions agréables mais un peu sérieuses, je veux laisser à mon esprit une liberté plus grande, je reste en ville, je flâne, et je rencontre les princes de la maison de France. Continuant, en effet, les habitudes de ses prédécesseurs, Louis, le Roi très-chrétien, séduit par les charmes du lieu, séjourne habituellement à Tours, et sa présence y attire les grands du royaume ; si bien que toute la noblesse de France brille dans cette ville, et que toute la générosité de la nation y resplendit. A chaque pas, on y coudoie les puissants seigneurs, et les prélats illustres, dont la France n’a jamais été dépourvue.

A l’occident de la ville, et à la distance d’un demi-mille hors de ses portes, se trouve un domaine, qu’on appelle les Montils. C’est là, dans ce lieu plaisant, et entre autres agréments très favorable à la chasse, que le sérénissime prince a fixé sa demeure. C’est là, et sur les chemins qui y mènent, qu’on rencontre et qu’on peut voir, à chaque pas, les ducs, les comtes les barons, les ambassadeurs des différents souverains et ceux du pape lui-même. Je jouis souvent de la rencontre de ces personnages, si divers de rang, de mœurs et de costume : spectacle 320varié pour mes yeux, inépuisable sujet de méditation pour mon esprit. Je crois retrouver la Rome triomphante d’Auguste, et cet empereur acclamé par les peuples, comblé de leurs présents, donner des lois à l’univers. Je ne vois pas que soient beaucoup moindres les hommages dont est entouré ici le roi Louis, que Dieu, dans sa miséricorde, a placé sur le trône de France, et qui gouverne ce grand peuple avec une admirable sagesse, en même temps qu’il le garde et défend de sa main puissante. Je ne veux pas le louer ; il faudrait, pour remplir cette tâche, une éloquence plus habile que la mienne, et plus digne des illustres entreprises de ce prince, et de ses royales qualités.

Au retour des Montils, lorsque je rentre en ville, je rencontre une église, que l’art contemporain a parée de ses chefs-d’œuvre, Notre-Dame la Riche. J’entre dans ce sanctuaire, qu’on vient de relever en grande partie, et que le roi s’est plu à combler de ses dons. J’y admire les peintures toutes récentes de Jehan Foucquet. Si je compare ces fresques avec les images pieuses des temps anciens, je suis frappé de la supériorité de ce maître sur les peintres des siècles antérieurs. Je dirai même que ce Foucquet de Tours a dépassé, par l’habileté de son art, non seulement ses contemporains mais encore tous les anciens. Je serais content de mon partage, si j’étais capable d’atteindre, par la plume ou la parole, à la hauteur des œuvres enfantées par son pinceau. Croyez-le, je n’use ici ni d’hyperbole, ni de fiction. Vous pouvez d’ailleurs vous faire une idée du génie de ce maître, en allant voir, à notre église de la Minerve, le portrait sur toile du pape Eugène IV. Foucquet était bien jeune, lorsqu’il peignit ce tableau ; avec quelle puissance d’illusion n’en a-t-il pas moins rendu son personnage ! Quelle vie la magie de son pinceau sait donner à ses figures ! Presque un Prométhée, que ce Jehan Foucquet…

On le voit à ces courts extraits de sa relation nécessairement incomplète elle même, rien n’échappe à Florio de ce qui constitue, à son époque, unique dans l’histoire de Tours, la vie religieuse, politique, intellectuelle et artistique de cette ville. Aussi bien, il faut le reconnaître, tout se réunissait alors pour piquer la curiosité de cet étranger, exciter son intérêt. L’éclat de la cour, encore que Louis XI eût trop à besongner pour y entretenir un grand faste, éblouissait ses yeux accoutumés à l’appareil plus modeste qui entourait les podestats d’Italie. L’affluence des grands personnages attirés de tous les pays par la nécessité de traiter avec un prince redouté, et que l’Europe, depuis quelques années surtout, ne pouvait plus négliger impunément, donnait dans une certaine mesure à ce lettré l’illusion des splendeurs à jamais évanouies de l’empire des Césars. Le mouvement séculaire, et qui ne s’était point encore ralenti, créé par la piété des peuples autour du tombeau de saint Martin, les innombrables richesses que renfermait sa basilique, et les trésors d’art ou d’antiquité possédés par la cathédrale et les autres églises, si multipliées dans la ville, le nombre et l’importance de ses abbayes, de ses couvents, de ses hospices, de ses chapitres, lui rappelaient la Rome chrétienne, en lui épargnant ces scènes tumultueuses et parfois tragiques, dont la ville des papes était trop souvent, à cette époque et depuis plusieurs siècles, le théâtre assombri. Il ne voyait point, par ailleurs, — puisqu’il n’en dit mot, — dans ses promenades autour du Plessis, cette exhibition terrifiante de gibets, de chausse-trappes, de sbires et de bourreaux aux aguets, qui ont pu exister, sans doute, à un certain moment, mais qui ne se dressèrent, aussi nombreux 321et aussi épouvantables, que dans l’imagination et les récits fantaisistes d’ennemis, calomniateurs ou mauvais plaisants, qu’on a trop facilement crus sur parole. Enfin, il assistait sur place à cette superbe éclosion de la Renaissance française, qu’on a si longtemps méconnue au profit de la Renaissance italienne, antérieure de quelques années, mais dont l’influence ne se fit sentir chez nous que soixante ou quatre-vingts ans plus tard.

Ainsi que l’a excellemment démontré le savant abbé C. Chevalier

l’originalité de la Renaissance française n’est pas contestable, et il faut refuser aux Italiens l’influence, même lointaine, qu’on leur a attribuée sur notre art national378.

Or, c’est à Tours et dans la Touraine que se produisit cette Renaissance française. C’est à Tours qu’il faut placer son berceau ; et c’est de 1450 à 1520 ou 1530, qu’elle produisit ses œuvres les plus remarquables. Ses plus grands artistes florissaient précisément sous l’épiscopat béni d’Hélie de Bourdeille, et Florio assistait, pour ainsi dire, à la création de leurs chefs-d’œuvre.

Dans la peinture, Jehan Foucquet, né à Tours de 1415 à 1420, mort vers 1485, chef de l’école qui produisit, outre Louis et François Foucquet, ses fils, Jehan Bourdichon, peintre de Louis XI ; Jehan Poyet, le miniaturiste fameux des Heures d’Anne de Bretagne ; Jehan-Baptiste Darly, le portraitiste célèbre dont le talent attirait à Tours grandes dames et grands seigneurs, avides de se faire pourtraire par un si habile maître ; François Clouet, lui aussi miniaturiste et portraitiste éminent.

Dans la sculpture, Michel Colombe, né en Touraine vers 1435, auteur du tombeau de François II de Bretagne, à Nantes, et de celui de Philibert de Savoie, dans l’église de Brou ; ses quatre neveux, François Colombe, Guillaume Regnault, les deux frères Martin et Bastien François, dits maîtres-maçons, qui exécutèrent la fontaine de Beaune, sur les dessins de leur oncle, et exercèrent les fonctions de maîtres des œuvres de la cathédrale, au temps même où Hélie de Bourdeille déployait tant de zèle et concourait de tant de manières à l’achèvement du merveilleux édifice ; François Jacquet faiseur d’ymaiges de Louis XI ; les deux frères Lejuste, qui sculptèrent le tombeau des jeunes enfants de Charles VIII, et plus tard le mausolée de Louis XII.

Dans la sculpture en bois, Jehan Primelle et Guillaume Mesnagier d’Amboise, menuisiers de Charles VIII.

Dans l’architecture, d’illustres anonymes, qui préparaient et déjà peut-être commençaient à exécuter d’incomparables œuvres, telles que les châteaux d’Azay-le-Rideau, de Chenonceau, d’Ussé, de Chambord.

Dans les arts industriels du tissu, une multitude d’artistes suscités par la célèbre manufacture de soieries et d’étoffes brochées d’or ou d’argent, que Louis XI avait fondée, et qui déjà s’était acquis une réputation européenne ; des ateliers de tapisserie 322historiées, où l’on exécutait des tableaux, qui, pour le coloris, le dessin, la perspective, rivalisaient avec la peinture, et annonçaient les Gobelins.

Dans la ciselure et l’orfèvrerie, des maîtres tels que Jehan Gallant l’aîné et Jehan Gallant le jeune, dont le nom est attaché à l’exécution du fameux treillis d’argent et autres somptueux ex-voto donnés par Louis XI à la basilique de Saint-Martin : munificences royales, qui, suivant les calculs les plus modérés, coûtèrent presque deux millions et demi — en chiffres exacts 2,200,224 francs, — de notre monnaie.

Au XV^e siècle, (dit M. Chevalier), la perfection acquise par la sculpture avait amené (à Tours) une révolution dans l’orfèvrerie, qui ne craignait plus d’aborder les grandes figures, et les maîtres ne dédaignaient point de donner des modèles aux ciseleurs379.

323Tours était ainsi devenu la ville des arts, sous l’impulsion des rois, et il faut le dire aussi, avec le généreux concours des grandes familles bourgeoises, suscitées par Louis XI, et qui se firent leurs protectrices, dès que leur récente fortune leur permit ce luxe, c’est-à-dire, dès 1430 ou 1460, soixante ans avant le triomphe de l’art italien parmi nous.

Nous devons savoir gré à Francesco Florio d’avoir constaté ce mouvement artistique et de l’avoir hautement apprécié. Sans doute, il était encore permis à un italien de ne pas mettre de réserve à son admiration. Le compatriote de Cimabué, le contemporain de Giotto et de l’Angelico, pouvait encore se dédommager parmi les nôtres : Michel-Ange, Raphaël n’étaient pas nés, et Léonard de Vinci n’avait point encore eu le temps de se produire.

Et sa relation vient à propos, pour nous montrer la ville de Tours et la Touraine, à l’époque où la Providence y conduisit l’humble moine-évêque de Périgueux. Elles nous fait entrevoir les merveilles que le pieux archevêque frôlait, chaque jour, de sa bure franciscaine, si noblement et si saintement portée, et nous laisse à penser quel divin condiment ses éclatantes vertus apportaient à l’effervescence inséparable du réveil des arts ; quelles leçons salutaires sa douce austérité, son humilité, sa charité prodiguaient à tout ce monde, hommes d’État, gens d’affaires, artistes, princes et courtisans, qui se pressaient dans cette ville, trop étroite pour les contenir.

Toutes choses considérées dans leur ensemble et leurs détails, la ville de Tours 324n’a point eu, dans son existence, d’années plus fécondes, plus glorieuses à certains titres, ni plus intéressantes, à coup sûr, que celles qui correspondent à l’épiscopat d’Hélie de Bourdeille. Il était peut-être utile de le remarquer.

B.

Olivier Cherreau (1654)

Maître-sergetier tourangeau, historien sans critique, et qui n’a d’autre valeur, dans les choses sur lesquelles il peut porter un témoignage oculaire, que celle qu’il tire de sa ferveur religieuse et de son incontestable honnêteté.

Hélie de Bourdeille, XCII^e archevesque.

Hélie, Cordelier, très-docte Religieux,

Vicomte de Bourdeille, Évesque en Périgueux,

Fut aussi l’un de ceux qui, dedans la Touraine,

Posséda dignement la Métropolitaine.

Son grand sçavoir rendit les cardinaux contents :

Xiste quatre le fit cardinal, de son temps,

Qui fut l’an mil quatre cens quatre vingt trois années ;

Puis mourut au Seigneur, finissant ses journées380.

Après sa mort parut sa grande saincteté,

Nostre Dieu fit pour luy miracles quantité,

Visitant son tombeau, de grands faveurs données.

Et en l’an mil cinq cents et vingt six années,

Monsieur Jean Planis, évesque en Périgueux,

Fit information, s’enquérant de tous ceux

Qui connaissoient les mœurs de ce sainct personnage,

Exigeant leurs sermens pour rendre tesmoignage,

Afin qu’il fut escrit dans le livre des saincts.

Mais la mort prit Planis, qui rompit ses desseins.

Dedans sainct Gatien gist ce sainct personnage.

Ceux de Chastelleraut ont aussy son image381.

325C.

Martin Marteau (1661)

D.

Annales de Touraine (vers 1670)

La rédaction de ce manuscrit est attribuée avec beaucoup d’apparence à René Ouvrard, chanoine de Saint-Gatien, plus célèbre par sa piété et son grand zèle que par sa critique historique. Mais il est sincère, et mérite toute créance lorsqu’il parle de ce qu’il a pu voir et entendre par lui-même. Les Annales de Touraine furent composées vers 1670.

Hélie de Bourdeille, archevesque de Tours, cardinal du titre de Sainte-Lucie, signala cette année [1484] par une mort qui couronna toutes ses belles actions. Dès son jeune âge, il se fit religieux de Saint-François, dans la ville de Périgueux ; et quoy qu’il fust d’une famille la plus illustre du païs, et que son père fust gouverneur de cette province, il aima mieux suivre Jésus-Christ dans sa pauvreté, que de se perdre dans le monde, au milieu de l’éclat et des grandeurs. Estant religieux, il donna des marques d’une véritable vocation et de sa fidélité aux promesses qu’il avait faites à Dieu dans cet engagement. Sa vertu reluisoit tellement devant les hommes, qu’à peine eut-il atteint l’âge de vingt-trois ans, qu’il fut demandé par le chapitre et le clergé de Périgueux, pour estre leur évêque.

Le pape Eugène IV leur accorda cette demande, et le dispensa de l’aage requis, que le mérite suppléoit. Mais son humilité ne luy permettant pas d’y consentir, Nicolas V, successeur d’Eugène, lui commanda d’accepter, et obligea le cardinal de Saincte-Croix de le consacrer, ce qui fut fait l’an 1437.

Il se considéra pour lors comme dans une nouvelle obligation de perfection et de vertu, pour en estre un exemple et un modèle à son peuple, affin que ses paroles et ses instructions fussent plus efficaces. On remarqua assez l’étude et l’application qu’il donna à l’un et à l’autre, par les pratiques continuelles des exercices de piété qu’il faisoit.

L’assemblée des Estats, qui se fit à Tours, sous Louys XI, l’an 1467, l’ayant appellé en ce païs, il s’y fit remarquer du Roy, de toute la Cour et de tout le clergé pour sa piété et sa conduitte dans les affaires.

De sorte que, l’Église de Tours estant venue à vacquer en ce temps, par la mort de Gérard Crussol, on jetta les yeux sur luy pour remplir ce siège ; et le roy Louis XI fut bien aise 327que cette occasion l’approchast de sa personne. Néantmoins, cette inclination que le Roy avoit pour luy, fust bientost diminuée par ce grand zèle que fist paroître ce sainct prélat pour la deffense des libertez de l’Église.

Ce fut à l’occasion du cardinal Balüe, que le Roy fit saisir et enresner prisonnier, sans autre forme de procez.Son zèle et son franc attachement aux droits de l’Église dépleut sensiblement au Roy ; et si nous en croyons un autheur383, il porta ce déplaisir contre luy jusqu’à la mort. Mais ce sainct personnage ne se mettoit en peine que de l’intérest de sa conscience, et de s’acquitter des obligations de son estât.

Si le Roy le jetta dans sa disgrâce pour cette action de son zèle, le pape Sixte IV le reconnut, au nom de toute l’Église, d’un chapeau de Cardinal, qu’il reçeut avec une indifférence [complète], l’an 1483 ; et Dieu l’a couronné encore plus glorieusement dans le ciel.

Il se donna entièrement à la conduitte et au gouvernement de son diocèse, et y apporta tout le bon ordre et les règlements nécessaires. C’est à quoy il employa tous les soins et tous les travaux de sa vie. Car il fut si détaché du reste des choses de ce monde, qu’il vivoit dans la dernière simplicité, et dans une grande pauvreté. Il se retranchoit pour donner aux pauvres, et on a rendu ce témoignage de luy, qu’il mourut dans cette pauvreté où il avoit vécu, ne laissant pas, après sa mort, de quoy accomplir un seul des legs pieux qu’il avoit ordonnés dans son testament.

Un des principaux qu’il faisoit, estoit la fondation et l’établissement de la feste de son Père, sainct François d’Assise, en son Église cathédrale, sous le rang des doubles.

Ce prélat estoit très capable, comme l’on peut juger des livres qu’il mit au jour, sçavoir : celuy qu’il composa contre la Pragmatique Sanction, en son traité du Concordat touchant les bénéfices, qui luy a attiré des reproches de quelques zélés françois écrivains ; le second fut de la Puissance du Pape, et le troisième de la Deffense de la Pucelle d’Orléans, où il fait cette remarque, qu’ayant esté visitée, elle fut trouvée et attestée vierge.

Outre ces ouvrages de sa retraitte et de son esprit, il y en a d’autres de sa libéralité, qui subsistent, et qui le rendent recommandable. Car ce fut luy qui fit bastir la bibliothèque sur une allée des cloistres de Sainct-Gatien ; qui fit paver la place et les rues du Cloistre.

Et après une si saincte vie, Dieu voulut le récompenser en l’appellant à luy. Sa mort arriva à Artannes, qui est un village et une Baronnie dépendants de l’archevesché. D’où l’on transféra son corps en son Église cathédrale, où il fut enterré avec toute la magnificence deüe à sa dignité, et à l’estime particulière qu’on faisoit de sa saincteté. Il s’est fait beaucoup de miracles à son tombeau, qui se voit à costé droit du grand autel où est sa figure384.

Jean de Planis, évêque de Périgueux, fut ordonné commissaire par le Pape, à la requeste de Jean de Bourdeille, nepveu de ce sainct prélat, pour faire information de ses actions et de ses miracles, que Me Pierre de Boismorin son confesseur et directeur a donnés au public. C’estoit dans le dessein de le faire mettre au nombre des saincts ; mais la mort dudit commissaire ne lui permit pas d’en venir à bout. Le Martirologe de l’Ordre de Sainct-François en fait une honorable mention.

Sainct François de Paule regretta beaucoup cet archevesque ; car ils estoient unis et liez d’une saincte et tendre amitié.

De son temps, il y eut à Tours un méchant homme, magicien, qui enseignait publique ment la science de la nécromantie, auquel la justice séculière fit le procez, et le condamna à 328la mort. L’archevesque Hélie fit prendre tous les livres de cette doctrine diabolique, et les fit brusler publiquement, en suitte d’une sentence de condamnation.

Le lundy, vingt-cinquiesme jour d’aoust (1488), la maladie du Roy (Louis XI) augmenta si fort, qu’il en perdit le sens et la parole ; de sorte qu’on le creut mort. Néantmoins il revint, et eut encore loisir de mettre ordre à sa conscience, et de parler à sainct François de Paule, auquel il recommanda ses trois enfants… Hélie de Bourdeille, archevesque de Tours, vit aussi le Roy dans l’extrémité de sa maladie, où il eut assez de zèle pour le porter à réparer quelque tort qu’il avoit fait à plusieurs familles, et entre autres à celle de la Trimouille par la détention de plusieurs de leurs terres. Le Roy receut bien cet advis, et donna ordre de resti tuer ce qu’il creut avoir injustement retenu.

E.

Jean Le Clerc de Boisrideau (1670-1680)

Jean Le Clerc de Boisrideau, conseiller au parlement de Metz, protonotaire apostolique, chanoine et grand archidiacre de Tours, mourut en 1692. — Une note bibliographique sur son manuscrit porte : On peut juger du temps où M. de Boisrideau écrivait, par la page dernière de ce manuscrit, où il exprime ses vœux pour l’arrivée de M. de Saint-Georges, nommé à l’archevêché de Tours en 1687. Boisrideau, qui, la plupart du temps, traduit ou reproduit Maan, se trouve ainsi avoir continué, pour un demi-siècle, l’histoire de notre Église de Tours. En ce qui concerne Hélie de Bourdeille, il est un témoin autorisé de la tradition de cette Église, à la fin du XVII^e siècle.

IIII^XXXVIII. — Hélie de Bourdeille.

Quand Gérard s’esloigna de la ville de Tours, pour se rendre à Valence, les chanoines de ceste église métropolitaine usèrent de leurs droits. Ils s’assemblèrent par la permission du Roy, et se donnèrent un autre archevesque par la voye de l’eslection, qui ne receut aucun obstacle, ny dans le consentement des suffrages qui fut unanime, ny dans le consentement du sujet éleu, qui parut sans résistance. Car enfin Hélie de Bourdeille, sur qui l’on jetta les yeux, fut enlevé à l’Église de Périgueux, dont il était évesque depuis vingt un ans, sans autre violence toutes fois que celle que sa réputation même luy fit faire par ceux qu’elle avoit engagés dans le party de l’honneur et du respect qui luy estoient deus.

Ce prélat, considérant dans cette élection la voix du Ciel toute pure, qui l’appeloit à cet archevesché, quoy qu’elle l’esloignast de sa patrie, se donna à l’Église de Tours avec autant de facilité que si sceust esté le lieu de sa naissance et le séjour de ses alliez.

329Il estoit pour lors à Tours, à l’occasion de l’assemblée des États, que Louis onzième y avoit convoquez, et ne pensoit à rien moins, qu’à se deffendre de ce coup, que le sort fit inopinément à son égard. Mais les gens de son caractère se font connoître, aimer et désirer presque en même temps, et sans qu’ils s’en meslent. Louis onzième témoigna combien ce choix luy estoit agréable, par l’aprobation qu’il luy donna publiquement, lorsqu’en mil quatre cens soixante-huit, il presta le serment de fidélité qu’il luy devoit…

Hélie, dez l’aage de dix ans, par un mouvement qui ne tenoit rien de l’humain, renonçant à tous les avantages qu’il pouvoit tirer de sa naissance, s’engagea dans la vie pauvre et religieuse, sous l’institut de Sainct-François, qu’il a professée fort exactement.

Il fut emploie pendant cinq ans à la prédication de l’Évangile, et fit paroître dans ce ministère tant de science, d’éloquence et de zèle, qu’il mérita d’estre fait évesque de Périgueux, et d’obtenir du Souverain Pontife la dispense qui luy estoit nécessaire, ne se trouvant pas avoir encore alors atteint l’aage prescrit par les saincts décrets, pour estre évesque.

Son zèle dans cet estat s’anima d’une ferveur toute nouvelle, en sorte que, sans rien obmettre de ses pratiques régulières, il satisfit à toutes ses fonctions épiscopales très ponctuel lement ; ne se refusant aucunes des fatigues qui pouvoient contribuer à l’édification des âmes qui luy estoient commises…

Au mois de février mil quatre cent soixante-neuf, il prit solennellement possession de son archevesché. Ce prélat assoupit d’abord tout ce qui pouvoit troubler la paix entre les chanoines de son église et luy, n’ignorant pas que la concorde est le plus seur moïen d’establir le bien, qu’il se proposoit à la gloire de Dieu.

Pour se soulager dans ses fonctions et faire en sorte que rien n’eschapât aux soins qu’il devoit à l’administration de son diocèse, il choisit entre les ecclésiastiques de son église quatre des plus éclairez, qu’il créa ses vicaires généraux, -qui, par leur vigilance, répondirent parfai tement à son dessein…

De son temps fut renouvellée la confraternité, qui dez longtemps auparavant avoit esté contractée entre les chanoines de l’Église de Tolède et de celle de Tours ; en considération de laquelle il s’est célébré tous les ans un service solemnel pour les deffunts, dans l’une et l’autre église.

Environ ce même temps, un certain homme de néant, négromancien de profession etgrant enchanteur, débitant publiquement dans cette province sa pernicieuse et détestable doctrine, fut, par l’ordre de ce prélat, arresté dans Tours et mis entre les mains de la justice, qui bien tost en purgea le pays par le moïen du feu, que les juges firent allumer pour luy. Dans le suplice de ce ministre d’iniquité, ceux qu’il avoit infectez de ses détestables leçons purent en aprendre une autre capable de les désabuser, et de leur faire connoître combien il est dangereux de vivre dans l’oubly de Dieu. D’autant que ce misérable, trompé par les illusions du Père du mensonge, attendant toujours vainement sa libération, fut bruslé vif avec ses livres et son procès, et mourut impénitent ; car enfin Dieu, par un juste jugement, l’abandonna dans ce dernier jour, cet imposteur l’ayant luy-même dans tous les autres jours de sa vie si malheureusement abandonné.

Si l’on a jugé la circonstance d’un négromancien qui se trouve dans l’histoire de ce prélat, digne de la postérité, ce qu’il fit ensuite pour la conservation des droicts, privilèges et immunitez de l’Église, ne le sera pas moins, asseurément. L’affaire du cardinal Balüe, qui arriva de son temps, suffit pour n’en désirer pas une preuve plus forte. Tout le monde sçait que la naissance de ce Balüe fut très basse et très obscure, estant nay dans Poictiers d’un pauvre tailleur d’habits, mais que son génie fut d’un caractère peu commun, ayant sceu plaire à tous, se soutenir contre les grands du siècle, et s’eslever au-dessus d’eux par leur propre moyen. 330Son élévation ne put estre ny plus haute, ny plus éclatante : la fortune, pour parler suivant le langage des hommes, l’ayant fait évesque d’Évreux, ministre d’État et cardinal. Il seroit inutile d’expliquer plus amplement les circonstances de sa fortune : l’histoire de son temps les remarque assez bien…

L’insolence et l’ingratitude dominant dans son cœur, sa conduite deveint insuportable à tous ; ses plus puissans amis en ressentirent les plus puissantes atteintes ; le Roy même n’en fut pas exempt. Cet homme, enyvré de sa fortune, sans penser qu’elle deust bientost tomber, rendit sa chute plus prompte et plus lourde par un traité qu’il osa faire à l’insceu de son maistre avec les ennemis de son Estat et contre ses intérests. Cette action ne fut pas longtemps secrette ; le Roy la descouvrit bien tost. C’estoit Louis onzième ; c’est assez pour faire connoître qu’elle ne devoit pas estre long temps impunie. Balue fut arresté par l’ordre de ce prince, et mis entre les mains de son parlement.

Ce fut cet ordre du Roy, qu’Hélie de Bourdeille estima, non sans raison, contraire aux privilèges accordez aux ecclésiastiques, qui l’obligea de parler pour soutenir, en la personne de Balüe, évesque et cardinal, les immunitez de l’Église, lesquelles estant observées à l’égard des moindres ecclésiastiques, à qui l’on ne refuse pas la liberté de se deffendre devant les évesques, leurs juges naturels, l’on devoit à plus forte raison observer la même chose à l’égard de celuy-cy, qu’on abandonnoit au bras séculier, qui devoit plutost estre remis entre les mains des évesques, ses comprovinciaux, juges naturels de ceux de ce caractère.

Hélie de Bourdeille, voyant qu’aucun ne parloit, veint en Cour, eut audience du Roy, fit ses remonstrances sur ce sujet, qui furent entendues non sans quelque impatience, disent les auteurs ; mais il parla d’un si bon sens, que le Roy ne se put deffendre de retirer Balüe de la connoissance du parlement, quoy qu’il restât toujours prisonnier dans la Tour de Montbazon. On eut recours au Sainct-Siège, et l’on demanda des commissaires sur cette affaire, qui, recevant de jour en jour de nouvelles difficultez, Balüe se via dans la nécessité de passer plusieurs années dans sa prison.

Cependant, les cardinaux de la Cour Romaine se sentans obligez au zèle de l’archevesque de Tours, et Sixte quatrième s’estant chargé de leur reconnoissance vers ce prélat, il fut agrégé par ce pape à leur sacré Collège ; l’estimant digne de partager avec eux l’honneur et la gloire de leur pourpre, dont il avoit si bien soutenu les intérests.

Un autre qu’Hélie se seroit fait un grand sujet de joie de cette éminente promotion ; mais ce prélat, qui n’avoit point oublié les vertus de sa première profession, ne la receut qu’en tristesse, fuyant les flateuses complaisances du monde. Il se retira dans Artannes, maison considérable, dépendante de son archevesché, dans laquelle il s’apliqua, pendant les derniers mois de sa vie, à méditer en solitude sur les fragilitez des grandeurs du siècle, pour en éviter les surprises, et sur les solides grandeurs qui ne se trouvent qu’au ciel, et ne s’acquièrent que par un parfait dégagement de la terre. Son dessein eut un succès plein de bénédiction, ainsy qu’on l’a reconnu par les merveilles opérées lors de son déceds…

Enfin, ce prélat, après avoir passé neuf mois dans sa retraitte d’Artannes, s’occupant de tout ce qu’il y a de plus parfait dans la vie solitaire, se sanctifiant par la pratique des vertus, s’animant du désir de plaire uniquement à Dieu, et par diverses pratiques du divin amour aprenant à se détacher de la vie pour mourir en chrétien, il cessa de vivre le cinquième de juillet de l’année mil quatre cens quatre-vingt-quatre. Son corps fut transporté d’Artannes à Tours, où estant parvenu à la porte apellée de Saint-Simple, il fut solemnellement conduit par tout le clergé régulier et séculier jusque à l’église cathédrale, où il fut inhumé près le grand autel, régnant en France Charles huictième, fils et successeur de Louis onzième, et séant à Rome Sixte quatrième, souverain Pontife.

331Les mémoires de ce temps ad joutent que le Ciel déclara la sainteté de ce prélat par divers miracles qui furent opérez au lieu de sa sépulture ; desquels Jean de Plasne, évesque de Périgueux, commissaire délégué du Sainct-Siège, informa depuis, en l’année 1626, à la solicitation de Jean de Bourdeille, neveu du saint prélat, poursuivant sa canonisation, Ganéoly étant notaire apostolique. Mais les temps, continuans d’estre difficiles, l’empeschèrent aussy de continuer d’obtenir l’effet de ses sollicitations.

F.

Rituel de Tours (1785)

G.

Histoire de saint François de Paule (1872)

Le siège archiépiscopal de Tours était alors occupé par un prélat d’une grande vertu et d’un rare mérite, le cardinal Hélie de Bourdeille.

Louis XI l’appela à l’archevêché de Tours, vacant par la démission de Giraud Bastet de Crussol. Le prélat se montra digne de cette haute position, devenue très difficile par le voisinage 332de la cour. L’Archevêque sut tout concilier par une noble et digne fermeté. Jamais il ne manqua aux égards qu’il devait au monarque, ni aux devoirs que lui imposait sa charge. Plus d’une fois, il prit en mains la cause de la liberté de l’Église, et la défense des opprimés. Louis XI, si absolu d’ordinaire, respecta la conscience du pontife, et ne lui en donna pas moins des marques de son estime.

Un si vertueux prélat devait apprécier saint François de Paule ; nous savons, en effet, qu’il l’aimait beaucoup, et qu’une grande intimité s’était établie entre ces deux hommes. Quand le Saint lui communiqua son projet de poser les fondements de son Ordre au Plessis, Hélie de Bourdeille y applaudit avec joie. Mais Dieu le jugeant mûr pour le ciel, l’appela à lui ; et il n’eut pas la consolation de voir le commencement de ce premier monastère des Minimes dans son diocèse.

3.

Auteurs profanes

A.

Philippe de Comines (XV^e siècle)

L’archevêque de Tours avoit une grande réputation de sainteté. Louis XI le fit appeler, et se recommanda à ses prières. Le prélat crut devoir adresser au Roy quelques remonstrances sur divers actes de son gouvernement ; et entre autres, sur la prison du cardinal la Ballue. Louis XI irrité, lui répondit qu’il avoit demandé des prières et non des conseils ; et il donna ordre au chancelier de le faire poursuivre juridiquement.

B.

Brantôme (XVI^e siècle)

C.

Manuscrit Français 18824 (XVII^e siècle)

Élie de Bordeille. — D’une ancienne famille de Périgord, et de l’Ordre de Sainct-François, soustint au chapitre gnal de son Ordre, huit jours durant, des theses de Phelosophie et de Théologie. Il a depuis escrit sur divers sujets, et fait de très sçavantes prédications. Il n’avoit pas vingt-cinq ans, qu’il fut pourveu de l’évesché de Périgueux, et alla à Rome, demander dispense d’aage au Pape, qui la luy accorda aussitost pour ses mérites. Depuis, il passa 334de cet évesché à l’archevesché de Tours. Sixte 41e fit, le i5 novembre 1483, cardinal Pbre du titre de Saincte-Luce inSilice. Il mourut à Artanes, l’an 1484, et repose en la cathédrale de Tours, où se sont faits quantité de miracles sur son sépulchre.

D.

François Roger de Gaignières (XVIII^e siècle)

Elias de Bordeille, Cardinalis Tituli Sanctæ Luciæ in Silice, vetustæ ac nobilis familiæ Burdeliæ decus, Arnaldo Senescalcho et Prorege Petragoricensi et Joanna de Chambrillac genitus, Minorum Ordinem ingressus, ad Petragoricensem episcopatum postulatur, annos natus viginti quatuor ; cui præfulsit, quoad archiepiscopatu Turonensi condecoratus, sacramen tum clientelæ profitetur, 23^a decembris 1468. Creatus cardinalis Romæ, 7° Kalendas januarii 1483, moritur apud Castrum Artaniæ, Baroniam ditionis Pontificiæ, inTuronibus, 1484, die quinta Julii. — Sepultus in ecclesia Turonensi, etiam miraculis insignis.

E.

Auteurs déjà cités

Nous rappellerons ici les témoignages si nombreux rendus à la sainteté ou aux grandes vertus d’Hélie de Bourdeille par les écrivains que nous avons eu déjà l’occasion de citer, entre autres le témoignage de Claude de Seyssel, évêque de Marseille, puis archevêque de Turin :

La Louënge du bon Roy de France, Louys XII de ce nom, dict Père du Peuple, et de la félicité de son Règne. Composée en latin. Paris, Abraham Pacard, 1615.

Comparaison du Règne du Roy Louys douziesme à celui du Roy Louis onziesme.

Quelque remonstrance qui luy feust faicte (à Louis XI), par aucuns bons et notables Prélats et Religieux, de rabaisser les dictes tailles, jamais on ne luy peut persuader, en quelque extrémité de maladie qu’il feust. Disant qu’il estoit force ainsi faire, ou laisser perdre et gaster le Royaume. Et ceulx qui se parforçoient luy persuader, il les estimoit ses ennemis et du Royaume, ou gens ignorans les affaires d’iceluy. Du nombre desquels feurent l’archevesque de Tours, Cardinal du Sainct Siège Apostolique, et l’évesque d’Alby, gens saiges, de grand doctrine, et de vie exemplaire.

Celui de Duclos :

Histoire de Louis XI, Paris, 1745, t. III, p. 386.

Louis se recommandoit continuellement aux prières des plus vertueux personnages du Royaume : Hélie de Bourdeille était de ce nombre… Il fut un des premiers commissaires nommés pour travailler au procès de l’abbé de Saint-Jean-d’Angély, afin que l’idée qu’on avoit de la vertu de ce prélat, écartât tout soupçon contre le jugement qui seroit rendu…

335Celui de Barante :

Histoire des Ducs de Bourgogne, Paris, 1860, t. VIII, p. 125.

Hélie de Bourdeille était le plus respectable prélat du royaume. Le Roi s’étant recommandé à ses prières, afin d’obtenir de Dieu le rétablissement de sa santé, le saint Évêque en prit occasion de faire très humblement quelques remontrances au Roi…

4.

Historiens et auteurs ecclésiastiques

A.

Jérôme Garimbert, évêque de Gallese (1567)

B.

Gilles Camart (1631)

Ægidius Camartus. Général de l’Ordre des Minimes, né en 1571, mort en 1624 : homme de grande doctrine et de grandes vertus.

De rebus Eliæ Prophetæ Commentarius posthumus. Parisiis 1631, cap. IV, § 1.

Episcopi atque archiepiscopi celebres qui Eliæ dicti sunt… Nec postponendus famosissimus 336Elias de Bordellis, Turonensis archiepiscopus, qui tandem ad cardinalitiam dignitatem evectus est, et doctissime scripsit pro abrogatione Sanctionis Pragmaticæ, obiitque circa annum Domini 1484, quinto julii die, sepultusque in Cathedrali Turonensi, quam amplificare et cohonestare semper studuit.

C.

Laurent Beyerlinck (1678)

Laurentius Beyerlinck, Theatrum vitæ humanæ, t. III [1678]. V° Episcopus.

92. — F. Helias de Bourdeille, religiosus Ordinis Minorum, maximus Theologus, primo episcopus Petragoricensis, postea archiepiscopus Turonensis et Presbyter Cardinalis, tituli Sanctæ Luciæ in Silice, anno 1483, a Xisto IV0 creatur. Obiit mense julio anni sequentis. Post mortem claruit miraculis.

D.

Odoric Raynald (1691)

Odoricus Raynaldus, Presbyter Oratorii. — Card. Baronii continuati Annales Ecclesiastici, t. XIX [1691]. Anno 1483.

N° 61. — Suftecit autem Sixtus (quartus) in eorum (cardinalium defunctorum) locum quinque viros insignes de quibus hæc tradit Jacobus Volaterranus : … Episcopus Turonensis, natione Gallus ex Ordine Minorum, vir sanctitate clarus, tunc absens388.

62. — Quod ad Turonensem archiepiscopum attinet, quem sanctitatis opinione claruisse retulit Volaterranus, is erat Elias qui, mortalibus humanis rebus valere jussis, … oblato sibi dignitatis insigni, nullum lætitiæ signum edidit ; proximo vero anno, e mortali vita migravit, ac miraculis post mortem effulsisse refertur.

E.

Henri de Sponde, évêque de Pamiers (1647)

Henricus Spondanus. — Appamiarum Episcopus. Annalium Cæsarii Baronii continuatio ab anno 1697 ad finem anni 1647. — Edit. 1647.

Ad annum 1467... Nunc vero Helias Burdelius, archiepiscopus Turonensis, Ordinis Minorum, vir doctus valdeque pius, et auctoritatis Sedis Apostolicæ studiosissimus (a quo et postea factus est cardinalis per Sixtum IV), tractatum edidit contra Pragmaticum, multis rationibus et argumentis demonstrare conatus, quanto ea esset dedecori non solum Ecclesiæ et Pontifici Romano, verius etiam Regi et Regno Christianissimo.

337F.

Pierre Frizon (1638)

F. Petrus Frizon, Gallia purpurata [1638], p. 529.

Præclarus Doctor theologus Elias (de Bourdeille)… vocatur ad Petragoricensem Episcopatum… Capitur ab Anglis… Libertati restitutus… Petragorium rediit… spiritu et zelo Eliæ prophetæ fervens, et genere heroicarum virtutum eminens…

Archipræsul Turonensis, … vir maximæ sanctitatis, flocci pendens omnes dignitates et honoris fumos, suo tempore insignis præco verbi Domini.

Accepto a Pontifice Sixto IV ostro, nullum lætitiæ signum edidit… factus Elias renitens Cardinalis Bourdellius Presbyter, anno 1483. Nunquam Curiam Romanam invisit.

Clarus et virtute et miraculis ad cœlum abiit, post octavum Cardinalatus mensem… sepultus in ecclesia Turonensi… Anno 1526, auctoritate Joannis de Planis… inquisitum de ejus vita miranda secutisque eamdem miraculis.

G.

Louis Doni d'Attichy, évêque de Riez et d’Autun (1647)

Donius d'Attichy Episcopus Eduensis, Flores historiæ Sacri Collegii S. R. E. Cardinalium, t. II, p. 392 sqq.

Elias Tit. S. Luciæ in Silice, Presbyter Cardinalis Burdellius, Archiepiscopus Turonensis.

Sixti PP. IV. Anno 12.

I. Insignis plane fuit, ut pietate, ita et sanguinisac natalium prærogativa Elias iste, ex illustri nimirum Vicecomitum de Bourdeille ortus prosapia ; patre Arnaldo, Petragoriorum Senescallo et Prorege ; nec minus virtutum ornamentis quam sanguinis nobilitate conspicuus. Deo enim potius ac cœlo, quam sæculo natus, illud non prius agnovit, quam sprevit ; vixque adhuc pubertatis annos ingressus, post frequentia cum religioso quodam Franciscani Ordinis viro, consanguinitate sibi juncto389, colloquia, divini amoris igne succensus, atque ad cœlestia totus aspirans, in eamdem Divi Francisci familiam vehementer adoptari ambiit : matre, Joanna de Chambarlac, paris nobilitatis fœmina, eum frustra a pio proposito avertere ac dimovere tentante. Vicitenim in Elia flagrans propriæ salutis zelus, qui lerrena omnia, tanquam stipulas, momento combussit.

Adscriptus est ergo ad Seraphicum Ordinem, anno ætatis decimo, in cœnobio d’Agonac ; expletoque solito regularis vitæ tyrocinio, in Tolosano ejusdem Ordinis Collegio, Philosophi cis ac Theologicis studiis apprime imbutus est ; iisque tam gnaviter incubuit, ut undeviginti tantum annos natus toto octidui spatio, in Capitulo generali illic celebrato, theses propositas, mira ingenii subtilitate ac sensus profunditate, defenderit adversus quoscumque impugnantes. Unde paulo post, in florenti ætate, Doctoris lauream est consecutus. Nil enim in Elia nostro, nisi mirandum prorsus et singulare reperies ; nec servatus est in eo communis naturæ ordo, qui sapuit supra ætatem, judiciique ac prudentiæ maturitate sapientissimos quosque viros 338superavit, canens cum Psalmista : Super senes intellexi, quia testimonia tua meditatio mea est390.

II. Quamobrem, cum in eo non dispari gressu pietas et doctrina certarent, anno a Christo nato 1447, vacante Ecclesia Petragoricensi ab obitu Gofredi Berengarii d’Arpaiou391, ad eam regendam summis cleri ac plebis votis postulatus, eidem Ecclesiæ primum ab Eugenio IV, quamvis invitus et reluctans præfectus est, ac in ea deinceps a Nicolao V confirmatus, etsi nondum vicesimum quartum attigisset annum, idque ille ipse, ne promoveretur, objiceret sanctissimo et oculatissimo Pontifici ; apud quem tamen nihil valuerunt excusationes illæ ab Elia ipso propositæ, quod sciret virtutem annis minime gravari, esseque nonnunquam in corpore juvenili animum senilem, et propter eximiam pietatem morumque gravitatem, et erudi tionem, qualis in Elia nitebat, licite aliquando, imo laudabiliter derogari posse legi annariæ et ætati alias de jure præscriptæ et requisitæ in episcoporum creatione ; prout olim factum noscitur in Timotheo, beati Pauli discipulo, et juniori episcopo, cui proinde ita rescripsit Apostolus : Nemo adolescentiam tuam contemnat ; et sanctis Remigio Remensi et Ludovico Tolosano Præsulibus, quorum ille anno ætatis suæ vigesimo secundo, alter vigesimo quarto, ad episcopatum assumpti sunt. Quo item Elias noster, Petragoricensis antistes, jussu ejusdem Nicolai Papæ quinti, est inauguratus.

III. Vocatus itaque ad hanc dignitatem tanquam Aaron, Domini seu ejus Vicarii supremo oraculo, posthabitis omnibus aliis curis, nihil habuit antiquius, quam ut populum sibi commissum verbo et exemplo pasceret. Promovendæ enim illorum salutis supra modum cupidus, frequenter eos ipsemet sacris concionibus erudiebat, et ad virtutis amorem peccatique horrorem vehementer accendebat, cum esset divini verbi præco, ea tempestate, celeberrimus ac præstantissimus, et monita salutis dabat eis. Vacabat etiam per seipsum sacris confessionibus audiendis, aliisque sacramentis administrandis. Magna præterea fuit ejus in pauperes benigni tas, utpote qui non ignoraret sibi, ex officio primario, incumbere curam egentium, seque illis parentem impensius præstare debere, qui sua ope atque solatio magis indigerent. Cumque ipse aliis utilis esse satageret, pastoralemque sollicitudinem in omnes extenderet, ne sibi soli deesset, magnum quoque in moribus suis perfectionis specimen expressit. Orationi namque dabat quicquid residui a publicis muniis aut ecclesiasticis functionibus suffurari poterat ; imo sacrum illud otium cunctis aliis negotiis præponebat. Stata quoque jejunia ipsius Franciscanæ Regulæ, quamvis ejus jugo solutus, adamussim servabat, et miro retinendæ pristini sui Instituti observantiæ studio tenebatur ; ita ut etiam victu ac vestitu vulgari utens, paupertatis amore flagrare, quoad præsens ejus status ferre poterat, videretur.

Verumenimvero, dum omnes boni Præsulis partes sustineret, capi eum contigit ab Anglis, duce Gramontio Notho, qui tunc erat Præfectus Castri d’Auberoche in Petragoriis. Sed brevi, Petri Bertrandi, Burdegalensis archipræsulis cura et authoritate, libertati restitutus, ad suam sedem Petragoricensem rediit, tanquam alter Athanasius Alexandriam, vel Chrysostomus Bysantium, aut Hilarius Pictavos, quem ab exilio, vel hæreticorum prælio revertentem, ut ait sanctus Hieronymus, Galliarum Ecclesia complexa est.

Rediit autem in spiritu et virtute, quemadmodum et in ipso nomine Eliæ, paraturus Domino plebem perfectam ; et majora semper ad Dei gloriam moliens, ecclesiam Collegiatam Sancti Asterii instauravit, magnamque ædium Sancti Georgii partem, in suburbiis, exædificavit ; et principem aram templi majoris erexit, ac ornavit ; aliaque similia reliquit piæ libe ralitatis suæ monimenta.

339IV. Harum profecto virtutum aromata, cum universam Ecclesiam, sed præcipue Gallicanam, odoris suavissimi fragrantia replessent, sensit ea imprimis Ludovicus, ejus nominis undecimus, Galliæ Rex sagacissimus ; qui, auditis quæ de Elia Burdellio, Episcopo Petragoricensi, communi sermone jactabantur, eum sibi ab intimis consiliis et sacris conscientiæ arcanis esse voluit. Qui haud multum postea Turonensibus in antistitem expetitus, nobilissimæ illius Ecclesiæ, quæ undecim sedibus episcopalibus, ex quo Dolense dissidium superavit, Metropolico jure præest, gubernacula suscepit anno a partu Virginis 1468.

Quo tempore, perpendens vir sanctus conditam in Conventu Bituricensi, editamque a Carolo VII, Francorum rege, Pragmaticam Sanctionem, e decretis potissimum Synodi Basileensis conflatam, quamvis plura utilia, et ad stabiliendam seu resarciendam ecclesiasticam disciplinam salubria contineret, tamen in manifestum declarationis ab Eugenio in Basileenses factæ contemptum cedere392 : non tantum Ludovico Regi, pro ea quam susceperat ipsius ani mæ cura, in sacro pœnitentiæ foro pridem sibi commisse, author fuit, ut eos qui de illa resti tuenda ipsi suasiones ingererent, minime audiret ; neve se, quocumque quantumvis specioso prætextu, ab Ecclesiæ Romanæ, quæ columna est et firmamentum veritatis, ejusque Pontificis unione avelli sineret ; sed etiam ipsemet geminos Tractatus edidit : unum de Potestate Papæ ; alterum de Abrogatione Pragmaticæ Sanctionis : quos recenset Nomenclator Cardinalium, addens nihilominus eum feliciore pietatis quam doctrinæ fama fuisse393. At ego ilium utraque dote singulariter ornatum ac eminentem extitisse censeo, et assero : tum ex ante di ctis, e quibus patet eum, a primis adolescentiæ annis, virtuti litteras feliciter junxisse, et utri usque illustria admodum in celebrioribus Academiis edidisse specimina ; tum quia mecum sentientem habeo, inter alios, Henricum Spondanum, Appamiarum episcopum, Annalium Ecclesiasticorum, a cardinale Baronio, scriptorem, qui sic habet : Nunc vero Elias Burdel lius, archiepiscopus Turonensis, Ordinis Minorum, vir doctus valdeque pius, et authoritatis Sedis Apostolicæ studiosissimus, — a qua et postea factus est Cardinalis, per Sixtum IV, — tractatum edidit contra Pragmaticam, multis rationibus et argumentis demonstrare conatus, quanto ea esset dedecori, non solum Ecclesiæ et Pontifici Romano, verum etiam Regi ac Regno 340Christianissimo394. Monetque idem Author extare manuscriptum in Bibliotheca Collegi Navarrici Parisiensis, et editum Tolosæ, anno 1518.

V. Fuit igitur Elias noster, quod opposuisset se murum pro domo Domini, adversus Pseudo-politicos, id est, quod pro Romanæ Ecclesiæ defensione fortiter stetisset, bonumque certamen certasset, aliquot post annis, in præmium egregiæ Sedi Apostolicæ apud Regem navatæ operæ, a Sixto IV, Beati Petri Cathedram tunc tenente, anno scilicet post Christum natum 1483, mense Novembri, septima Patrum creatione, cardinalitia redimitus infula, assignato ei titulo Sanctæ Luciæ in Silice. Qui tamen, cum omnes humanæ gloriæ fumos despiceret, essetque mundo perfecte mortuus, acceptis tantæ dignitatis insignibus, ne quidem illa præ modestia detulit, vel Andrea Victorello teste, ac nullum prorsus gestientis animi in dicium dedit ; sed potius, quasi ilium sacri Vatis ac Regis Psalmum decantans : Domine, non est exaltatum cor meum, neque ambulavi in magnis, neque in mirabilibus super me : si non humiliter sentiebam, sed exaltavi animam meam395 ; sic iste rebus prosperis fatigatus, potius quam inflatus aut delectatus, ne latum quidem unguem a recto consuetæ humilitatis suæ statu aut tramite deflexit, hue vel illuc ; sed sapienter, vento nimium secundo, vela contrahere cœlestibus præceptis edoctus, memorque illius præclare a quodam et vere dicti, fortunam vitream esse, quæ, dum splendescit, frangitur, prosperitatem sæculi, ad quam plerique mortalium remis velisque contendunt, fugit, ut scopulum ; quippe quæ, tanquam perfida Siren, aut præstigiatrix saga, multos falsis delusit imaginibus. E contra vero adversitas electos ac Dei filios, non exterius deauratos, sed intus aureos, tactu et igne, tanquam aurum in fornace, probat.

Certe, ne quidem ilium cupido Romanæ Curiæ adeundæ cepit, in qua amplissimæ dignitatis, quæ nuper illi contigerat, velut in proprio loco et orbis theatro, pompam cerneret, magnamque ac uberem publicæ congratulationis, et virtutum suarum admirationis messem colligeret ; sed mortem potius serio cogitans, seque ad illam solito studiosius comparans, octavo a promotione sua mense, in lethalem morbum incidit ; et sacramentis Ecclesiæ summa cum pietate ac veneratione susceptis, sanctissime obdormivit in Domino ; jacetque in Ecclesia sua Turonensi, miraculis in vita ac post mortem clarus.

De quibus, anno salutis 1626, authoritate Joannis de Planis, Petragoricensis episcopi, authentice est inquisitum, quo postea de eo in Divorum album referendo apud Sedem Apostolicam ageretur. Sed piam hanc curam, sæculi spatio intermissam, resument alii.

VI. Nobis interea hæc pauca in medium attulisse sufficiat ex manuscripto, ut plurimum, Petri de Boismorin, qui Eliæ cardinali fuit a secretis et confessionibus, ejusque acta fideliter quidem, tanquam eorum quæ scripsit, testis oculatus, sed paucioribus quam res tanta describi debuisset, complexus est ; atque ex relatione gravium authorum qui sequuntur :

Chenutii ; — Roberti ; — Severtii ; — et Joannis Puteani, in Turonensibus et Petragoricensibus Præsulibus ; — post Democharem ; — Petrum Frizonium ; — Laurentium Beyer linck ; — Ciaconium ; — Auberium ; — neenon Tossinianum ; — Franciscum Gonzagam, — et cæteros Ordinis Minorum Chronographos, præsertim vero Arturium a Monasterio, e Recollectorum familia, a quo in Martyrologium Franciscanum illatus est, tertio Nonas Julii, ac Beati titulo cohonestatus, — et Wadinghum, in Annalibus Minorum.

Dictus est autem Cardinalis tituli Sanctæ Luciæ in Silice, quod miror, cum nunquam Romam adiisse legatur, nec soleat dari titulus nisi præsentibus.

Nec omittendum, quamvis ad alia properanti, reor, illud in quo mihi quoque ipsi gratulor, 341quod scilicet, cum religiosissimus iste Cardinalis sub Ludovico hujus nominis undecimo Rege Christianissimo præcipue floruerit, quo tempore sanctus Franciscus a Paula, nostri Minimorum Ordinis author et parens, in Galliam recenter appulsus, eam sanctimoniæ suæ et miraculorum ac virtutum odore longe lateque respergebat, et Curiæ Regiæ proximus Turonis degebat, fuit eidem sanctissimo Patriarchæ, ob morum studiorumque similitudinem, et eamdem etiam Regis familiaritatem, arctissima necessitudine conjunctus, illiusque alumnis et filiis admodum benevolus et favens, ut observat unus ex illis, ipsius ex sorore pronepos, et alias a nobis non semel in hoc opere laudatus, Hilarion a Costa, in libro quem nuperrime de vita ejusdem sancti confessons Francisci conscripsit, quam etiam notationibus historicis non vulgaribus illustravit.

VII. Scripsit autem Cardinalis Burdellius, eodem Frizonio teste, præter duo illa opuscula, de quibus supra mentio facta est, ad usum sui temporis accommodata, quo fervebat in Gallia contentio de retinenda vel improbanda Pragmatica Sanctione, alios etiam tractatus de Concordato circa beneficia Galliæ, et Decreta contra dejerantes, quos variis ipse pœnis insectatus est. Cum enim Eliæ nomen ac spiritum, ut diximus, præ se ferret, docebat cum Propheta : Tabescere me fecit zelus meus, quia obliti sunt verba tua inimici mei. Et alio loco : Iniquitatem odio habui, et abominatus sum, legem autem tuam dilexi396.

Quare non est hic prætermittendum, quod pene dictanti mihi exciderat, ab Auberio, scriptore diligentissimo, notatum, qui mecum idem nunc literarium cum laude percurrit stadium, cum nempe Joannes Balües, cardinalis Andegavensis nuncupatus, penes quem, regnante Ludovico XI, fuit aliquando summa rerum in Gallia, adeo ut solus omnia apud Regem, imo supra Regem posse videretur, authoritate illa abutens, atque in perniciem Regis et Regni plura machinatus, Majestatis reus factus esset, ac una cum Guillelmo Harancurtio, Virdunensi episcopo, proditionis collega ac conscio, in carcerem conjectus, Eliam nostrum Regem, cujus jussu detentus fuerat uterque Præsul, ultro adiisse, libereque admonuisse, nefas esse sacros homines et sacrorum Principes, qui, ut ait Apostolus, Angelos judicaturi sunt, quanto magis sæcularia, quorumcumque criminum reos, ipsi sæculari censuræ exponi, de quibus nonnisi a Summo Pontifice, vel ab eo specialem ipsis facultatem habentibus, judicium posset institui ; et quamvis sciret monitionem hanc ipsi Regi fore ingratissimam, ejusque iram vehemen ter extimescendam, quod esset natura sua ad vindictam pronus, suspicax, et concepti semel odii retinentissimus ; tamen etiam cum tanto periculo, Ecclesiasticam immunitatem violari ferre non potuit, sicque malevolentiam Ludovici Regis antea sibi benevoli incurrit.

VIII. Scribit enim Seysellius, in ejusdem Regis Historia, ilium omnes qui sibi, contra ea quæ semel animo concepisset, proponere aut persuadêre aliquid conarentur, pro hostibus habuisse : E quorum numero, inquit, fuit Turonensis archiepiscopus, S. R. E. Cardinalis, — nimirum Burdellius noster, — et episcopus Albiensis, Joannes scilicet Joffredi, Cardina lis Atrebatensis et Albiensis dictus, ab Ecclesiis quas successive rexit, qui a Pio II et Paulo item II, Romanis Pontificibus, ad Ludovicum Regem, pro Pragmatica antiquanda, missus est, — cordati, et magnæ doctrinæ vitæque admodum exemplaris viri. Additque idem historicus, Turonensem, nisi mors intervenisset, — quæ aliis Regni magnatibus saluti fuit, quibus a Rege dira parabantur, — id non impune laturum397. Qualis ergo quantusque fuit Cardinalis iste noster, qui metum in constantem virum ca dentem pro nihilo ducens, hoc solum præ oculis habere visus est, ne Deus aut Ecclesia, ejus 342Sponsa, læsionem aliquam, aut injuriam pateretur ; et ut semel dicam, qui, exemplo sancti Tobiæ, plus Deum timuit, quam Regem398 !

Quibus consentiunt, quæ refert Henricus Spondanus Appamiensis, in Annalibus, ex Chronico Ecclesiæ Burdegalensis : Facto scilicet de mandato Regis Ludovici XI, Prælatorum Ecclesiæ Gallicanæ conventu, in civitate Bituricensi, Kal. Junii hujus ipsius anni (1462), fuisse inibi disputatum de Pragmatica Sanctione, vel retinenda, vel antiquanda ; visumque fere omnibus eam debere servari, exceptis oratoribus Petri, Burdegalensis archiepiscopi399, cui solus Elias, — nempe Burdellius noster, — episcopus Petragoricensis, utpote e suffraganeis provinciæ Burdegalensis, unus adhæserit400.

Quapropter merito fastis hisce nostris adscriptus est, ac inter Cardinales pietate præstantes a nobis repositus. Cujus etiam, præter authores ante citatos, haud exigua cum laude me minere Garimbertus401, — Ughellus Abbas402, ac denique Ægidius Camartus, nostri Minimorum Ordinis Generalis403.

Cæterum, floret adhuc in Petragoriis eadem nobilis gens Burdellia, quæ alium quoque, Franciscum nomine, ex monacho Sancti Dyonisii, illi civitati ac provinciæ dedit Episcopum, anno Domini 1594404.

H.

Antoine Aubéry, Histoire des Cardinaux (1643)

Élie, fils d’Arnaud, seigneur de Bourdeille,… mesprisa la vanité, dès son enfance, et conceut, en l’âge de six ans, le dessein de renoncer aux pompes et aux délices du monde. Le zèle qu’il avoit pour la pauvreté, et le sentiment qu’il a tousiours eu de la bassesse, luy firent choisir un Ordre religieux, qui fut des Mendians, et qui professast particulièrement la mortification et l’humilité. Ayant donc vestu l’habit de Sainct-François, … il prit à tâche d’imiter parfaitement sa vive et ardente charité : cette vertu étant le faiste et le comble de toutes les autres, de mesme que l’humilité en est la base et le fondement…

Après le décez de Geoffroy Bérenger d’Arpajon, évêque de Périgueux, Élie de Bourdeille luy fut substitué par le Chapitre, qui estoit asseuré de faire en cela plaisir au Roy Charles septiesme, duquel celuy-là estoit grandement chéri, pour sa rare piété et son émi nente doctrine. Il receut autant de desplaisir et d’ennuy de son élection, que les autres en témoignèrent de résiouyssance et d’allegresse… Tout concourant aux vœux des Périgourdins, ils eurent enfin, pour évesque, celuy de l’administration duquel ils espéroient remporter, comme ils firent, d’insignes avantages, tant pour le temporel que pour le spirituel.

Sixte IV, sçachant bien que le Sainct-Siège ne pouvoit assez dignement récompenser les services de l’Archevesque de Tours, qui avoit deffendu courageusement les privilèges des 343ecclésiastiques, et écrit en faveur des Papes contre la Pragmatique-Sanction, l’honora du chappeau rouge… Mais c’estoit le désobliger en luy pensant faire plaisir. Celuy qui avoit eu autrefois tant de peine à se résoudre d’accepter un évesché, et l’administration d’un dioceze particulier, n’eut pas peu à souffrir lorsqu’il luy fallut consentir à sa promotion au Cardinalat, et à la nécessité qu’on luy imposoit, de prendre part dans le gouvernement de l’Église universelle. Ce qui luy causoit une si grande aversion à une dignité si éclatante, qui est capable de charmer les esprits les plus modérez, outre sa parfaite humilité, c’estoit l’instabilité et la vicissitude des richesses, des honneurs et des autres biens de la fortune…

Il mourut à Artannes, … l’an 1484, le cinquième de juillet : auquel jour estoit décédé, près de cent ans auparavant le B. Pierre de Luxembourg, surnommé le Thaumaturge. De moy, j’oserois presque donner le mesme surnom à nostre Cardinal, pour-la quantité de mi racles qui se sont faits à son sépulchre, en l’église Cathédrale de Tours. C’est pourquoy… Jean de Planis, évesque de Périgueux, fit informer, l’an 1626, de sa vie : afin que l’on pût en suitte procéder avec plus de facilité à sa canonization.

I.

Jean Chenu (1621)

Helias ex Vicecomitibus deBourdeille, theologus, inagro Petracoricensi, cum religiosus esset Sancti Francisci, reluctans et invitus, episcopus electus est.

Feliciore pietatis quam doctrinæ fama fuit.

Vide seriem Archiepiscoporum Turonensium.

Fr. Elias de Bourdeille… maximus theologus405, primo episcopus Petragoricensis, uti dixi, postea archiepiscopus Turonensis et Presbyter Cardinalis anno 1483 a Xisto IV creatur. Obiit mense julio anni sequentis. Post mortem claruit miraculis. Ideo, anno 1626, authoritate Joannis de Planis, episcopi Petragoricensis, de ejus vita et sanctis moribus Inqui sitio facta est, ut Sanctorum numéro adscriberetur.

J.

Louis et Scévole de Sainte-Marthe, Gallia Christiana (XVII^e siècle)

Elias Bordeilla… adolescens Minorum Ordinem ingressus, maxima pietatis ac erga sacras litteras studii specimina dedit, tantamque vitæ arctioris et perfections famam adeptus 344est, ut annos duntaxat viginti quatuor natus a Capitulo Petragoricensi ad urbis episcopatum electus et postulatus fuerit… Invitus licet ac omnimodo reluctans, huic Ecclesiæ præficitur.

Statim clerum ac populum bellorum confusione dissolutum ad meliorem vitæ morumque frugemverbo induxit et exemplo. Eminebant in eo fervor in sui status observantia retinenda, imo et augenda ; paupertas in victu et vestitu eximia ; summa in pauperibus sublevandis liberalitas ; continua in muniis episcopalibus obeundis assiduitas ; in concionibus ad populum, in administrandis sacramentis, et in vitiis extirpandis zelus cœlestis…

A Ludovico rege XI° in confessarium delectus est, ac tandem ad archiepiscopatum Turonensem traductus. Quæ post hæc de eo dicenda sunt, ubi de Turonensibus archiepiscopis agemus, referentur.

K.

Gallia Christiana (1656)

Helias de Bordeille, Cardinalis tituli Sanctæ Luciæ in Silice, vetustæ et nobilis familiæ Burdeliæ singulare decus… ad Petracoricensem episcopatum postulatus… sed, defectu ætatis, consecratione illi carendum erat, ni Pontifex, perspecta insigni morum sanctimonia, cum aliis animi dotibus in primis temperata, dispensasse…

Ecclesiæ (Petragoricensi) singulari laude præfulsit.

Sedis Apostolicæ auctoritatis studiosissimus, cujus merita rependit galero Sixtus IV… Sed modestiæ specimen plane laudandum testatus est, cum, accepto purpuratorum ostro, nullum edidit signum lætitiæ.

Sepultus in ecclesia Turonensi, etiam miraculis insignis : in tantum ut… publica inquisitio habita fuerit, anno 1626, de ejus vita, virtutibus, miraculis quoque, ut sanctorum fastis ascriberetur.

L.

Jean-Barthélemy Hauréau, Gallia Christiana (XIX^e siècle)

Helias de Bordeilla… canonicis notus erat Turonensibus, ab anno 1467, quo Turones venerat, ad Comitia trium Ordinum hac in urbe coacta. Abeunte Gerardo, ilium elegerunt…

Metropolitanam ingressus est ecclesiam, anno 146g. — Quo eodem anno, 9^a Augusti, annuebat proposito Ludovici regis, capellam condere studentis in Ambasiensi Castello. Anno sequente, 7^a Junii, ratam fecit pacem Ancenisii compositam inter Regem Francorum et Britonum Ducem. Die ioa Septembris, Legatum adibat Romanum Turones venientem, illumque solemniter alloquebatur urbis extra mœnia, clero populoque, prout Rex jusserat, stipatus.

Acerrimus auctoritatis Romanæ defensor, Helias Tractatu peculiari Pragmaticam Sanctio nem impugnavit, in quo sæcularia terrenis potestatibus, spiritualia vero supremæ Sedis Pontifici tota et sine ulla exceptione submitti tenaciter asseruit.

Inde Sixto Papæ IV acceptissimus Helias.

Die 1^a Decembris 1483, Carola de Sabaudia, Ludovici Regis XI relicta, testamentum suum Ambasiæ condebat, proximam sentions mortem : cujus inter exsecutores designatus occurrit Helias, Turonensis archipræsul.

345Coacta Turonibus, Januario mense 1484, generalia Franciæ Comitia, quorum pars Helias non minor fuit.

Miraculis ilium claruisse ferunt : de quibus inquisitionem instituit publicam, anno 1526, Joannes de Planis, Petracoricensis episcopus.

M.

Histoire Ecclésiastique (1728)

CXLVI. L’Église fit une perte assez considérable en cette année (1484), par la mort d’Élie de Bourdeille, cardinal archevêque de Tours…

Il entra dans l’Ordre de Saint-François, où il se distingua par sa piété, par sa doctrine, et par ses talents pour la chaire…

Le nouveau prélat n’eut rien de plus à cœur que de travailler à l’instruction de son troupeau, à la réparation des églises, et à remplir tous les devoirs de son ministère. En 1467, il se trouva à l’Assemblée générale des États du Royaume, convoqués à Tours, et s’y fit telle ment estimer qu’on l’éleva sur le siège métropolitain de cette ville… 1468…

Ce prélat avait aussi combattu la Pragmatique-Sanction par un traité fait exprès… Sixte IV le récompensa, le 15^e de novembre 1483, en lui envoyant le chapeau de Cardinal, qu’il reçut toutefois avec beaucoup d’indifférence. Il se retira quelque temps après à la campagne, où il mourut en odeur de sainteté…

Les miracles continuels qui se firent à son tombeau, donnèrent occasion à Jean de Planis, évêque de Périgueux, d’en faire informer exactement dans l’année 1526.

N.

Jacques Longueval, Histoire de l’Église Gallicane (1749)

L’archevêque de Tours eut la confiance de reprocher au roi les mauvais traitements qu’il avait faits à Balüe et à d’Harancourt. Il y ajouta les griefs de plusieurs autres prélats…

Le prélat qui osa faire ce détail au roi Louis XI, était Élie de Bourdeille, d’abord religieux de Saint-François, puis évêque de Périgueux, archevêque de Tours, et cardinal en 1483. Il avait retenu de sa première profession le zèle et le détachement du monde. Le roi faisait cas de sa vertu, et se recommandait souvent à ses prières…

Élie de Bourdeille est auteur d’un ouvrage contre la Pragmatique-Sanction, à laquelle il s’était opposé hardiment. Il mourut le 5 juillet, en 1484 ; et la réputation de sa sainteté détermina l’évêque de Périgueux à faire des informations sur ses miracles.

O.

Joseph Briand, Vie d’Hélie de Bourdeille (1866)

Dès sa plus tendre enfance, Hélie donna des marques de sa sainteté future. Je veux être saint, disait-il, parce que ce titre vaut bien celui de sénéchal et de baron de Bourdeille. — On 346raconte, que trois ans avant d’entrer au couvent, il s’écria, un jour : Oh ! quand donc aurai-je treize ans, comme mon frère aîné ? — Et pourquoi ? lui dit la baronne, sa mère. Parce que, alors, on ne doutera plus de ma vocation. Ce que je veux aujourd’hui, je le voudrai demain, toujours…

Son noviciat se passe dans la plus grande ferveur. Ses supérieurs ayant remarqué en lui une grande maturité d’esprit et une grande aptitude pour les sciences, l’envoyèrent à Toulouse étudier la philosophie. Il y fit des progrès merveilleux…

Ses supérieurs voulurent mettre en lumière un si beau talent, et ravis de ses succès, le consacrèrent à la prédication. Ils l’envoyèrent d’abord au couvent de Mirepoix… La foule se pressait autour de lui, son nom était dans toutes les bouches. Son mépris des biens terrestres, sa jeunesse, sa naissance, électrisaient ceux qui l’entendaient. La renommée de ses vertus allait grandissant de jour en jour : on admirait encore plus, dans le jeune orateur, la sainteté de sa vie, que l’éloquence qui jaillissait si admirablement de son cœur et de ses lèvres… Ses enseignements, appuyés sur la sainteté de sa vie, étaient reçus avec vénération. On se conformait à ses conseils.

Hélie avait été un digne fils de saint François ; il se montra digne successeur de saint Front. La nuit qui précéda son installation, il la passa en prières sur le tombeau du Saint.

Lorsqu’il prit en mains les rênes de l’administration de son diocèse, un courage moins grand que le sien aurait succombé à la peine. A la suite de l’occupation des Anglais, tous les vices avaient fait comme irruption… Dieu bénissait ses efforts, et sous une main si habile, le diocèse de Périgueux sortit de ses ruines.

Le blasphème attristait presque partout les âmes pieuses : il mit tout son zèle à le faire disparaître, avec tant de prudence et de fermeté, qu’au bout d’une année, cette horrible plaie avait cessé d’exister : et il n’y eut noblesse si huppée, selon l’expression d’un historien, qu’il ne forçât à baisser pavillon.

L’impression laissée par Hélie de Bourdeille, dans le diocèse de Périgueux, a été si grande, ses efforts couronnés d’un si prodigieux succès que les historiens du temps ne tarissent pas d’éloges. Ils disent… que, dans le cours de sa vie, il fut loué par sa sainteté, obéi par sa prudence, respecté par sa gravité, aimé par sa douceur ; qu’il resplendit au milieu d’un siècle ténébreux comme une lumière éclatante.

Son zèle n’embrassait pas seulement l’Église de Périgueux, il s’étendait à l’Église universelle.

Transféré à Tours… il eut des démêlés pénibles avec Louis XI, ce roi qui voulait tout courber devant sa volonté souveraine. Le zélé Pontife connaissait le caractère ombrageux et absolu du monarque. Il savait qu’en le mécontentant, il y allait peut-être de sa vie. Cependant, il fut auprès du roi ce qu’il était auprès de son peuple, l’apôtre de la vérité, le défenseur du droit et le protecteur des peuples.

Le prélat s’opposa, de vive voix et par écrit, à toute tentative d’envahissement, afin de conserver libre la sainte Église de Dieu.

C’est ainsi que ce saint Archevêque, toujours animé du zèle le plus ardent pour les intérêts de l’Église, soutenait à Tours la grande réputation qu’il s’était acquise pendant qu’il avait occupé le siège de Périgueux… Toujours vigilant sur les besoins de son diocèse, il fut très industrieux pour parvenir (à les satisfaire) ; se refusant tout à lui-même, il ne savait rien refuser aux autres. Aussi sa grande régularité et l’austérité de sa vie attiraient tous les regards, et son affabilité et sa charité lui gagnaient tous les cœurs.

Le pape Sixte IV avait apprécié déjà le mérite de Bourdeille, et pour le lui prouver, il lui envoya le chapeau de Cardinal. Il ne devait pas jouir longtemps de cette dignité. Du reste, 347profondément détaché des honneurs terrestres, il reçut cette faveur sans témoigner aucun sentiment de joie, et rarement il en revêtit les insignes. Averti par l’affaiblissement de sa santé, qu’il allait bientôt paraître devant Dieu… il se dérobait de temps à autre aux regards des hommes, dans une solitude, au petit château d’Artannes, pour y méditer ses années éternelles.

La mort ne pouvait effrayer ce grand serviteur de Dieu… Il reçut les derniers sacrements avec la foi la plus vive, se fit coucher sur la cendre et s’endormit du sommeil des justes au milieu des sentiments de la plus vive humilité.

Jean de Plas, évêque de Périgueux, fit faire des informations sur la vie et les vertus de ce prélat… et à cet effet il fit comparaître quatorze ou quinze témoins ; et bien que sa canonisation n’ait pas été depuis poursuivie en Cour de Rome, néanmoins il a toujours été tenu en odeur de sainteté.

On allait solliciter de la Cour de Rome un décret pour le placer sur les autels ; mais les malheurs de l’Église, les agitations de la France, pendant le XVI^e siècle, ne permirent pas de donner suite à cette affaire. Quoi qu’il en soit le nom d’Hélie de Bourdeille n’en restera pas moins inscrit au rang des gloires les plus pures de l’Église de France.

Sa mémoire resta en si grande vénération, soit à Tours, soit à Périgueux, que, pendant longtemps, on fit brûler à Tours, dans l’église cathédrale, des cierges devant son tombeau, et à Périgueux, devant son chapeau de Cardinal.

P.

Marie-Joseph Belon et François Balme (1893)

Une autre Consideratio, due à la plume du saint et savant évêque de Périgueux, Hélie de Bourdeille, de l’Ordre des Frères Mineurs, fut remise entre les mains de Bréhal. — Avec les sentiments d’une admirable humilité, l’auteur déclare, au début même de son œuvre, qu’il obéit, dans la mesure de sa petitesse, aux sollicitations que Sa Majesté le Roi a daigné lui adresser par lettres patentes…

Ce digne fils du patriarche saint François d’Assise était né vers 1415 au château d’Agonac en Périgord, d’une des plus anciennes familles du pays ; son père était sénéchal et lieutenant du Roi. Sur les instances des chanoines de Périgueux, le pape Eugène IV obligea l’humble religieux, malgré sa jeunesse, — il n’avait que 24 ans, — à accepter le fardeau de l’épiscopat. Sa vie austère autant qu’active, détachée des honneurs et des richesses, a laissé dans l’Église un suave parfum de sainteté. Nommé archevêque de Tours, — 1468, — il ne profita de la confiance et des faveurs de Louis XI, que pour augmenter ses bonnes œuvres, et défendre avec une liberté apostolique les droits du Saint-Siège…

Q.

Jean-Baptiste-Joseph Ayroles (1885-1890)

Les docteurs ennemis de la Pucelle sont dans l’ensemble ennemis du parti national, des Réguliers et surtout de Rome. Ceux qui l’ont approuvée, fait réhabiliter, appartiennent presque 348tous au parti national, sont ou des Réguliers ou amis des Réguliers, et surtout sont profondément attachés à Rome.

Tel est Hélie de Bourdeille, évêque de Périgueux, plus tard archevêque de Tours et cardinal, un vrai saint. Bourdeille a composé un Mémoire en faveur de la réhabilitation (de la Pucelle) et des écrits contre la Pragmatique.

Avec Hélie de Bourdeille, Jeanne compte parmi ses défenseurs un des plus saints évêques de France, dans les six ou sept derniers siècles.

Jamais piété plus précoce… Ses progrès dans la science furent aussi aventifs que ses progrès dans la piété…

À son entrée dans le diocèse (de Périgueux), le jeune prélat trouva bien des ruines morales et matérielles à relever. Le diocèse de Périgueux, comme bien d’autres, était depuis soixante ans désolé par le grand schisme, la guerre étrangère et la guerre civile : les ronces et les épines y avaient largement poussé. Bourdeille se mit à l’œuvre avec le zèle du prophète dont il portait le nom, visitant son troupeau, relevant la discipline, édictant des peines contre les crimes publics, notamment contre les blasphèmes, et forçant les grands seigneurs eux-mêmes à les subir…

Le prélat conserva sous la mitre l’austérité et les pratiques d’un fils de saint François ; il sut les allier avec les exercices du zèle pastoral le plus actif. Plusieurs fois déjà, dans le cours de ces pages, l’occasion s’est présentée de signaler la profonde déviation doctrinale et disciplinaire qui s’implantait alors parmi nous, sous le nom si impropre de doctrines, de libertés gallicanes. Déviation funeste, elle a amené toutes les autres. L’attachement au Saint-Siège, étant l’humilité de l’esprit et l’obéissance du cœur, est toujours en proportion de la sainteté ; tout comme l’éloignement de Pierre, l’opposition à Pierre, sont, quelles que soient les apparences, le signe de l’absence de l’esprit de Jésus-Christ, parce qu’ils sont l’orgueil et la révolte.

Hélie de Bourdeille était un saint. Toute sa vie s’est passée à combattre par la plume et par les actes les doctrines et les tendances anti-romaines ou gallicanes…

Pareil zèle n’était pas pour déplaire à Louis XI… A la suite des États Généraux de 1467, il voulut avoir Bourdeille à sa portée, pour recourir à ses conseils et lui ouvrir même sa conscience ; il le fit nommer archevêque de Tours en 1468.

Ces faveurs n’enchaînèrent nullement la liberté apostolique du prélat ; il en usa pour combattre les menées du Parlement et des courtisans… Le grand Archevêque était vraiment le mur d’airain. Le roi ayant découvert les trahisons du favori qu’il avait fait élever jusqu’à la pourpre romaine, du cardinal de la Balue, le fit arrêter et jeter en prison… L’Archevêque de Tours n’aimait pas le ministre prévaricateur ; mais c’était un évêque, un prince de l’Église, un cardinal. Le laisser juger par la justice séculière, c’était laisser fouler aux pieds le privilège de droit divin qui est l’immunité ecclésiastique. Bourdeille croyait, ainsi que l’enseigne Benoît XIV, qu’un évêque devait opposer sa poitrine aux glaives des violateurs. Il alla trouver le roi…

Il ordonne de publier dans toutes les églises de son diocèse les censures encourues par ceux qui portent la main sur les ministres de Jésus-Christ. Le Parlement lui enjoint de retirer ses ordonnances. Ordre bien inutile, le nouvel Ambroise les confirme. Les robins ordonnent 349de saisir le temporel de l’archevêque ; c’était confisquer les revenus des pauvres. Le saint demeure inébranlable. Louis XI ordonne à ses magistrats de modérer leur ardeur, et fait rendre à l’archevêque ses revenus…

En 1483, Sixte IV conféra la pourpre à l’Archevêque de Tours ; ce fut un nouveau motif pour le saint de multiplier ses austérités et ses bonnes œuvres. Depuis lors, Bourdeille parut triste…

L’homme de Dieu resta si pauvre, qu’il ne laissa pas de quoi faire son testament.

Son chapeau de cardinal fut vénéré comme une relique dans l’église de Périgueux.

Bourdeille reçut longtemps comme une sorte de culte dans l’église de Tours, où de nombreuses lumières brûlaient constamment sur son tombeau.

Une Vie du saint Cardinal, aujourd’hui presque introuvable, par Pierre Boismorin, est signalée par plusieurs auteurs. Il serait à souhaiter qu’une plume catholique fît revivre cette grande et sainte figure, et nous donnât une histoire dont les grandes lignes promettent tant d’intérêt et de variété.

Si l’on ajoute à ces citations fort incomplètes, les témoignages rendus à la sainteté d’Hélie de Bourdeille par le Cardinal de Bonnechose, M. Thomassy, M. Gérin, M. Alfred Nettement, témoignages que nous avons signalés plus haut, page 129 et suiv., à propos de la discussion soulevée en 1865, au Sénat impérial, sur la Pragmatique Sanction, on conclura avec nous que le XIX^e siècle a fait sien, maintenu et confirmé le sentiment général, et l’on peut même dire unanime, — puisque nous ne le trouvons combattu nulle part, — des siècles antérieurs, concernant les vertus héroïques, la vie sans tache et les miracles du grand serviteur de Dieu.

Notes

1. [361]

   Arthur du Monstier, aux articles XXI et XXII du Prologue de son Martyrologe, explique lui-même la valeur et la portée de ce titre de Bienheureux donné dans l’Ordre. Puis il ajoute :

   Verum quidem est, inter tot ac tantas servorum Dei, in nostro Ordine Minoritico, copias gloriosas, nonnullos me selegisse : qui plus authoritatis, virtutis ac sanctitatis mihi videbantur obtinuisse, ut legentibus pie occurrerem, ad eorumque imitanda vestigia incitarem.

   Les Bollandistes, au cinquième jour de juillet, font la mention suivante d’Hélie de Bourdeille :

   Elias de Bourdeille, archiepiscopus, ut beatus memoratus ab Arturo in Martyrologio Franciscano. — (Acta SS. Julii, t. II, p. 216.)

2. [362]

   Il est inutile de relever les confusions de dates qui se rencontrent ici, comme dans un grand nombre d’auteurs, en ce qui concerne la promotion épiscopale d’Hélie de Bourdeille. Ces erreurs n’infirment pas le témoignage relatif aux vertus du serviteur de Dieu.

3. [363]

   Lib. II, cap. XXII.

4. [364]

   T. III, p. 253.

5. [365]

   T. II.

6. [366]

   Lib. II.

7. [367]

   Part. I.

8. [368]

   P. 100.

9. [369]

   Lib. IV.

10. [370]

    Lib. III.

11. [371]

    Part. I, lib. I, cap. II.

12. [372]

    T. V, sup. ann. 1437, § 34. — Ann. 1483, § 35. — Ann. 1484, § 14.

13. [373]

    Allusion aux armes épiscopales attribuées au saint Cardinal.

14. [374]

    In alia editione : Hoc anno 1468 vel præcedenti… XVII kalendas junii.

15. [375]

    Ces largesses de Louis XI envers les Frères Mineurs, dans les dernières années de sa vie (1480), peuvent être, sans témérité, attribuées à l’influence d’Hélie de Bourdeille sur le monarque. Il est assez remarquable, en effet, que le roi et la reine, dans le même temps, comblent de faveurs les fils ou les filles de Saint-François. La cause de cette prédilection nous paraît visible. Elle réside dans le prélat auquel Sixte IV confiait tout particulièrement, à la même époque, la protection des Franciscains du royaume.

16. [376]

    On ne se fait pas une idée, aujourd’hui, de la popularité qu’avait, au moyen âge, le culte de saint Gatien, à Tours et dans certaines contrées de la France, surtout en Auvergne, dont les laborieux enfants avaient, pour une bonne part, construit notre église métropolitaine. Le pèlerinage au tombeau de saint Gatien, à ses sacrées reliques, était très fréquenté. Au milieu du XV^e siècle, peu d’années avant l’épiscopat d’Hélie de Bourdeille, une grande confrérie s’était établie en l’honneur du bienheureux apôtre. Les papes, de siècle en siècle, et jusqu’à la Révolution, l’enrichirent de nombreux privilèges et indulgences. Aujourd’hui, il ne reste plus grand’chose de tant de ferveur. Le souvenir s’en est même effacé ; la fête du bienheureux Gatien, en dépit de son degré liturgique, passe inaperçue dans l’église qu’il a si péniblement fondée, et même dans la gracieuse Métropole qui porte son nom.

17. [377]

    Les auteurs ne sont pas fixés sur le point de savoir si saint Arnoul, évêque et martyr, fut réellement évêque de Tours. La négative est plus probable. En tout cas, et même en adoptant la légende, si peu fondée qu’elle paraisse, l’épiscopat de ce Saint eût été absolument éphémère. Mais la controverse élevée à son sujet, a amené une légère discordance dans la série de nos évêques. C’est ainsi qu’à Hélie de Bourdeille est assigné tantôt le n° 97 et tantôt le n° 98, suivant qu’on maintient sur les diptyques de l’Église de Tours, ou qu’on en retranche ce saint Arnoul sur lequel, nous le répétons, les documents certains font défaut. Saint Arnoul pourrait être un de ces évêques régionnaires, martyrisés en Touraine, comme le fut, dit-on, saint Gratien, évêque normand, martyrisé sur les bords de l’Esvres.

18. [378]

    Promenades pittoresques en Touraine, p. 325.

19. [379]

    Op. et loc. cit.

    À l’appui de ces observations si justes, et pour ajouter quelques renseignements qui achèveront de donner au lecteur une idée exacte de l’état de l’Église de Tours, sous l’épiscopat d’Hélie de Bourdeille, nous emprunterons quelques fragments à un autre auteur, M. Ch. L. Grandmaison, dans sa brochure : La grille d’argent de Saint-Martin de Tours, Tours, 1863.

    Vers 1475, l’abside de Saint-Martin de Tours offrait un magnifique spectacle aux nombreux pèlerins qui venaient visiter la célèbre basilique. Sous une riche coupole, supportée par de belles colonnes en cuivre doré, et placée au-dessus du lieu même où avaient reposé, pendant de longs siècles, les reliques du patron des Gaules, s’élevait une large estrade d’argent, au milieu de laquelle resplendis sait la nouvelle châsse de saint Martin, en or et en vermeil, enrichie d’agates, de topazes, de saphirs et d’émeraudes. De chaque côté de ce chef-d’œuvre d’un orfèvre Tourangeau, nommé Lambert, étaient rangées d’autres châsses en or et en vermeil… On voyait encore, sinon sur l’estrade, du moins tout près de là, le chef de saint Martin dans un reliquaire d’or, la statue d’argent de Louis XI, à genoux en face des châsses, et les représentations en or des châteaux du Plessis et de la Guerche, offrandes de ce même monarque. Plus de vingt lampes d’argent, dont l’une ne pesait pas moins de 300 marcs, brûlaient nuit et jour sous la coupole, et leurs feux doublaient l’éclat des pierreries et des métaux précieux. — Dès le temps de Charles VII, sous lequel avait été opérée, en 1453, l’érection de la nouvelle châsse, on avait songé à protéger ces trésors par une forte grille de fer les enveloppant de toutes parts. Louis XI, qui s’était déjà signalé par des dons nombreux à Saint-Martin, résolut d’entourer toutes ces richesses d’une clôture digne d’elles et de remplacer la grille de fer de Charles Vil par une grille d’argent. Le 11 juillet 1478, il signait à Arras des lettres patentes portant nomination de trois commissaires chargés d’acheter dans les villes d’Orléans, Bourges et Limoges mille marcs d’argent... Comme pour certaines grans causes et considéracions qui ad ce nous ont meu, nous ayons voué, à nostre dévocion, à Dieu et au glorieux corps Monsieur saint Martin, faire faire d’argent le treillis, qui de présent est fait de fer, autour de la châsse dudict corps sainct Martin, en son église de Tours, d’autel poix et grosseur qui est ledict treilliz, qui est de fer, et pour ce que, à ce faire, conviendra avoir et recevoir grant quantité d’argent blanc, et que de tout nostre cueur, nous désirons accomplir nosdictz veu et promesse en la plus grant diligence que faire ce pourra, etc.

    Mais le caractère de Louis XI ne pouvait manquer de se montrer jusque dans ses actes de plus haute dévotion, et de plus royale munificence. D’après ses lettres patentes, les commissaires ne devaient payer le marc d’argent que dix livres cinq sous ; or, il valait alors, suivant le cours du commerce, dix livres dix sous. Cette clause, jointe aux menaces contenues dans les lettres contre les gens qui refuseraient de livrer leur argenterie, a sans doute donné lieu à quelques historiens, et notamment à Monstrelet (p. 68 des additions du tome III de ses Chroniques), de dire que le roi avait fait enlever de force la vaisselle d’argent dans Paris et ailleurs. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle empêcha les commissaires de se procurer la quantité demandée puisqu’il manquait 426 marcs, que la ville de Tours fut obligée de fournir, au prix de dix livres cinq sous le marc, quoiqu’elle les eût payés dix livres dix sous, pour ce que à moins ne se peut trouver, porte le Registre des comptes communaux de la mairie de Tours, pour un an, finissant le 31 octobre 1479.

    Raoul Monsnier, dans son Histoire manuscrite de l’église de Saint-Martin (Bibliothèque municipale de Tours), donne, à la page 308 et suiv. le Procès verbal et certificat du poids et du receu du treillis que le roi Louis XI fit faire autour de la châsse de saint Martin. Ce procès-verbal est daté du 16 décembre 1478. Un autre certificat du poids et reçu du parachèvement dudit treillis est daté du 19 juillet 1479. Louis XI, on le voit, avait été promptement obéi. — M. Grandmaison ajoute :

    Aucune représentation de la célèbre grille n’est malheureusement venue jusqu’à nous. Elle avait l’apparence d’une véritable cage, avec plusieurs portes ou guichets pour permettre de prendre les reliquaires qu’elle protégeait de toutes parts. L’expression de treillis, toujours employée dans le procès-verbal, indique que les barreaux n’étaient point placés les uns à côté des autres, comme il arrive ordinairement dans une grille, mais bien entre-croisés. Cette opinion semble confirmée par la mention faite de barreaux percés et non percés, les premiers sans doute placés horizontalement, et les seconds verticalement. Il n’est pas parlé d’autres ornements que des fleurs de lys attachées de distance en distance, et de deux serpents, en façon de dragons volants.

    Cette grille fut, comme on voit, placée autour des châsses, de décembre 1478 à juillet 1479, par Jean Basire, marchand et maître de la monnaie de Tours ; elle était l’œuvre de deux orfèvres du roi, nommés Gallant, mais surtout de Jehan Gallant le jeune, lequel a toujours besongné au fait dudit treillis, disent les lettres patentes du 23 novembre 1479, par lesquelles le roi mande à Messieurs des Comptes de recevoir ledit Jehan Gallant à rendre compte du treillis. — Hélas ! un demi-siècle ne devait pas s’écouler, sans qu’un roi, pour lequel l’histoire a des trésors d’indulgence, réduisit en monnaie ce monument insigne de la foi de l’un de ses prédécesseurs. Ce que Louis XI avait donné, François I^er allait bientôt le reprendre — 8 août 1522, — pour payer ses follet prodigalités, et ces guerres d’Italie qui, on en conviendra, furent plus fatales à la France, que les luttes soutenues par Louis XI, au dedans et au dehors, et coûtèrent plus au peuple que les taxes d’ailleurs assez lourdes levées par celui-ci pour les besoins de sa politique ou de sa dévotion.

20. [380]

    Il escrivit et disputa cotre les libertés de l’Église gallicane, qu’on apelle la Pragmatique Sanction : mais le Procureur Général du Roy, par ses graves et doctissimes raisons l’emporta.

    Note de l’auteur. Le brave Olivier Cherreau se révèle ici dans toute sa naïveté. Incompétent dans la matière, il répète ce qu’il entend dire, sans s’inquiéter si cela nuit à son sujet. Il n’en inspire que plus de confiance, sur les points où il est témoin oculaire.

21. [381]

    Ce dernier vers contient, à notre avis, un renseignement précieux. Il s’agit évidemment d’une image vénérée, d’un portrait du Saint, entouré d’honneurs dans une ville du Poitou, voisine de la Touraine, mais qui n’appartient pas à l’église de Tours.

22. [382]

    Inutile de relever les distractions de cet auteur ou les fautes typographiques de son ouvrage. Le témoignage de Martin Marteau ne nous importe que sur les points où il affirme la tradition de son temps, relative ment à la sainteté d’Hélie de Bourdeille, et constate le culte qui lui était rendu sous ses yeux.

23. [383]

    Du Seyssel, en son histoire. — Note du manuscrit.

24. [384]

    Phrase amphibologique. Est-ce sur le tombeau, ou sur le grand autel, que se voyait la figure d’Hélie de Bourdeille ? Nous croyons comprendre qu’il s’agit du tombeau ; mais la phrase, telle qu’elle est construite laisse un doute.

25. [385]

    À propos des commendes que Pierre de Bourdeille, lui-même commendataire de l’abbaye de Brantôme, défend avec un zèle intéressé, qui s’explique sans peine.

26. [386]

    Pure métaphore, qui signifie : Il ne nous reste de lui que le souvenir. — Au sens littéral, cette phrase exprimerait une erreur grossière, que Brantôme ne pouvait commettre. Le chapeau cardinalice d’Hélie de Bourdeille avait été légué par lui à Saint-Front de Périgueux.

27. [387]

    Cette première partie, publiée en 1667, et dédiée au cardinal de Trente, n’a point eu de suite. Elle se compose de six livres, divisés en cinq chapitres chacun, à l’exception du dernier livre qui en a six.

28. [388]

    Lib. brev. ann. 13, mense octobr.

29. [389]

    D. d’Attichy est, parmi les auteurs que nous avons pu consulter, le seul qui note cette particularité.

30. [390]

    Psalm. CXVIII.

31. [391]

    Ut ait Frizonius, ex actis ejus mss. — D. Att.

32. [392]

    Præter multiplicia alia scandala, ab Ænea Sylvio in Commentariis nomine Gobellini conscriptis, enumerata, quæ in ipsorum etiam Præsulum, cæterorumque ecclesiasticorum ordinum damnum ac probrum cesserunt, dum ea se a Romanæ Curiæ abusibus, qui tempore schismatum irrepserant, velut clypeo quodam, tueri atque in libertatem asserere arbitrantes, in servitutem sæcularium judicum, e qua non ita facile possent emergere seipsosque liberare, turpius ac periculosius prolapsi sunt, incidentes in Scyllam, dum putarent vitare Charybdim. — D. Att. — Cf. Gobellini, Comment. Pii II, lib. VI.

33. [393]

    Voici le passage d’Alphonse Ciaconius, Nomenclator Cardinalium, ainsi que d’Attichy l’appelle :

    Fr. Helias de Bourdeille, nobilis Petragoricensis, Ordinis Minorum, Gallus, archiepiscopus Turonensis, Theologus, Presbyter Cardinalis tituli Sanctæ Luciæ in Silice, feliciore pietatis quam doctrinæ fama fuit, scripsitque, ut in ejus Vita refert Petrus de Boismorin, de Auctoritate Papœ tractatus plures, de Concordato circa beneficia Galliæ, et alia. Obiit anno 1484, die quinta Julii. Sepultusque est in Cathedrali Turonensi.

    M. Alph. Ciacconius Biacensis, Ord. Præd. ; Francisc. Cabrera, Moralis, et Andr. Victorellus Bassanens. Doct. Theol. — Vitæ et res gestæ RR. PP. et S. R. E. Cardin. Romæ, Typis Valicanis, 1630, t. II, col. 1267.

    Il ne faut pas oublier que, les querelles d’école n’étant pas encore assoupies, un thomiste par vocation avait alors de la peine à reconnaître quelque mérite théologique chez un scotiste par éducation. — André Victorellus, dans ses additions, est plus équitable :

    Ex Minorum Ordine ad Turonensem Ecclesiam elato, fama sanctimoniæ insigni, et Theologica scientia exculto, absenti Xystus et Senatoriam dignitatem dédit, et Galerum misit ; quem, Pontificem et delatam Purpuram reveritus, nullo hilaritatis argumento edito, accepit ; sed præ humilitate non detulit ; Romam non venit ; sed octavo, ab honore delato, mense, in cœlum, ut licet conjicere, demigravit.

    Nous lisons encore, au tome II du même ouvrage, col. 1274 :

    Frater Helias, Gallus, Presb. Card. tt. S. Luciæ in Silice, Ordinis Minorum, archiepiscopus Turonensis, vir sanctitate præclarus, et qui nunquam ad Romanam Curiam accessit. Obiit in patria, anno 1483. In Gallia sepultus, mense Julio.

    Nous avons déjà cité ces textes et nous ne les reproduisons que pour mémoire, et pour justifier le sentiment de D. d’Attichy.

34. [394]

    Spond. ad ann. 1467, n° 5.

35. [395]

    Psalm., CXXX.

36. [396]

    Psalm. CXVIII.

37. [397]

    Seyssel, in Hist. Lud. XI. — Auber., Hist. Cardin., P. II. — Henr. Spond., ad ann. 1461, n° 15, et ad ann. 1467, n^is 3-4.

38. [398]

    Tob. II.

39. [399]

    Pierre Berland.

40. [400]

    Henr. Spond., ad annum 1462, n° 6.

41. [401]

    Cap. II, § 10, p. 37, et cap. XIX, p. 346.

42. [402]

    In additionibus ad Ciaconium.

43. [403]

    In Commentario de rebus gestis Eliæ prophetæ. Cap. IV, p. 181.

44. [404]

    François de Bourdeille, dont il sera fait mention plus bas. Section VI.

45. [405]

    Inutile de faire remarquer la contradiction dans laquelle tombe cet auteur gallican, relativement à la science d’Hélie de Bourdeille.