J. Quicherat  : Procès de Jeanne d’Arc (1841-1849)

Chroniqueurs : Français 3

203Chronique de la Pucelle

Voici un ouvrage sans nom d’auteur, qui, à en croire le titre qu’on lui a donné, serait le document par excellence sur Jeanne d’Arc. Il fut publié pour la première fois par Denys Godefroy dans l’Histoire de Charles VII. L’éditeur, selon son habitude, ne prit pas soin de dire où il en avait trouvé le texte, et personne ne l’a su depuis.

Cette chronique commence à l’avènement de Charles VII, en 1422, et s’arrête brusquement dans l’année 1429, au moment où le roi reprend le chemin de Bourges après l’échec reçu devant Paris. Il s’en faut qu’elle ait le caractère d’originalité qu’on lui attribue. Une partie de ce qu’elle contient sur la Pucelle, n’est que la copie légèrement modifiée, soit de Jean Chartier, soit du Journal du siège paraphrasant Jean Chartier ; de sorte que ces seuls emprunts en reculent la composition au delà de 1467. D’autres portions du récit sont faites avec le procès de réhabilitation. On y reconnaît les passages les plus importants des dépositions de Dunois, du duc d’Alençon, de frère Séguin. Toutefois, divers détails appartenant en propre à la Chronique de la Pucelle, doivent avoir été fournis par des témoins ou acteurs des événements de 1429 : la preuve en est dans un passage où est rapportée certaine question que fit à la Pucelle un notable maistre des requestes qu’on ne nomme pas, mais qui n’est pas des témoins entendus au procès. Ailleurs, c’est l’auteur lui-même qui se met en avant comme ayant ouï parler sur la matière des plus grands capitaines français : circonstance d’où il résulte que si cet auteur écrivit postérieurement à celui du Journal du siège, du moins il ne fut pas séparé de lui par un grand intervalle de temps, puisqu’il put encore connaître quelques-uns des capitaines contemporains de Jeanne d’Arc.

Indépendamment des sources déjà signalées, le fond même de la Chronique de la Pucelle, ce qui forme le canevas du récit jusqu’au départ du roi pour Reims, est pris presque mot pour mot dans un 204ouvrage inédit ayant pour titre :

Les Gestes des Nobles françoys descenduz de la royalle lignée du noble roy Priam de Troye jusques au noble Charles filz du roy Charles le Sixiesme, qui tant fut amé des nobles et de touz autres.

C’est une chronique qui prend les choses au commencement du monde, et les conduit jusqu’à l’arrivée de Charles VII devant Troyes, en 1429. Il y en a un exemplaire parmi les manuscrits de la Bibliothèque royale (n° 10297), qui fut exécuté pour le duc Charles d’Orléans, vers le temps où finit la narration, c’est-à-dire en 1429 ou 1430. Or, notre compilateur anonyme a copié cet ouvrage tout entier, et cela, avec une telle fidélité, qu’il y a cousu, mais non fondu, les versions différentes des mêmes faits, puisées par lui à d’autres sources. De là, les récits doubles qu’on remarquera ci-après à propos de l’arrivée de Jeanne d’Arc, à propos du siège de Jargeau, etc., etc.

J’ai appliqué aux extraits de la Chronique de la Pucelle, une division par paragraphes qui fera ressortir aux yeux du lecteur chacun des emprunts dont elle est formée. Ceux de ces paragraphes qui appartiennent aux Gestes des Nobles françois sont marqués d’un astérisque en tête de l’alinéa ; je désigne la provenance des autres par des renvois aux sources. De cette manière, les paragraphes ne portant aucune indication sont ceux qui appartiennent en propre au compilateur. Comme à partir de la reddition de Troyes, le récit n’est plus qu’une copie du Journal du siège, reproduire cette partie de la chronique eût été inutile. J’ai arrêté là mes extraits, ayant reporté en note sous le Journal du siège deux ou trois variantes, les seules qui s’opposent à la parfaite conformité des deux ouvrages.

Notre texte ne sera pas trouvé tout à fait conforme à celui de Godefroy : le style avait été rajeuni à l’impression par l’éditeur. Nous l’avons rétabli d’après son propre manuscrit conservé à la bibliothèque de l’Institut (n° 245).

L’an mille quatre cent vingt-neuf, y avoit une jeune fille vers les marches de Vaucouleurs, native d’un village nommé Domp-Remy, de l’eslection de Langres, 205qui est tout un avec le village de Gras, fille de Jacques Daix et d’Ysabeau, sa femme, simple vil lageoise, qui avoit acoustumé aucunes fois de garder les bestes ; et quand elle ne les gardoit, apprenoit à couldre, ou bien filoit. Elle estoit aagée de dix-sept à dix-huict ans, bien compassée de membres, et forte ; laquelle, un jour, sans congé de père ou de mère (non mie qu’elle ne les eust en grand honneur et révérence, et les craingnoit et doubtoit ; mais elle ne s’osoit descouvrir à eux, pour doubte qu’ils ne luy empeschassent son entreprinse), s’en vint à Vaucouleurs devers messire Robert de Baudricourt, un vaillant chevalier tenant le party du roy ; et avoit en sa place foison gens de guerre vaillans, faisans guerre tant aux Bourguignons qu’autres tenans le party des ennemis du roy ; et luy dist Jeanne simplement les paroles qui s’ensuivent : Capitaine messire, sçachez que Dieu, despuis aucun temps en çà, m’a plusieurs fois faict à sçavoir et commandé que j’allasse devers le gentil dauphin, qui doibt estre et est vray roy de France ; et qu’il me baillast des gens d’armes, et que je leverois le siége d’Orléans, et le menerois sacrer à Reims. Lesquelles choses messire Robert réputa à une moquerie et derision, s’imaginant que c’estoit un songe ou fantaisie ; et luy sembla qu’elle seroit bonne pour ses gens, à eux esbattre en pesché ; et y eut aucuns qui avoient volonté d’y essayer ; mais aussi tost qu’ils la voyoient, ils estoient refroidis et ne leur en prenoit volonté174.

Elle pressoit tousjours instamment ledict capitaine 206qu’il l’envoyast vers le roy, et luy fist avoir habillemens d’homme, et cheval et compaignons à la conduire ; et entre autres choses luy dist : En nom Dieu, vous mettez trop à m’envoyer ; car aujourdhuy le gentil daulphin a eu assez près d’Orléans un bien grand dommaige, et sera il encore taillé de l’avoir plus grand, si ne m’envoyez bien tost vers luy. Lequel capitaine mist lesdictes paroles en sa mémoire et imagination, et sceut depuis que ledict jour fut quand le connestable d’Escosse et le seigneur d’Orval furent desconfits par les Anglois. Et estoit ledict capitaine en grand pensée qu’il en feroit ; si delibéra et conclud qu’il l’envoyeroit ; et luy fist faire robe et chaperon à homme, gipon, chausses à attacher houseaux et esperons, et luy bailla un cheval et un varlet, puis ordonna à deux gentilshommes du pays de Champaigne, qu’ils la voulussent conduire : l’un des gentilshommes, nommé Jean de Metz, et l’autre Bertrand de Pelonge ; lesquels en feirent grand difficulté, et non sans cause ; car il failloit qu’ils passassent par les dangers et périls des ennemis. Ladicte Jeanne congneut bien la crainte et doubte qu’ils faisoient ; si leur dist : En nom Dieu, menez-moi devers le gentil daulphin, et ne faictes doubte, que vous ne moy n’aurons aucun empeschement. Et est à sçavoir qu’elle n’appella le roy que daulphin jusques à ce qu’il fust sacré. Et lors lesdicts compaignons conclurent qu’ils la meneroient vers le roy, lequel estoit lors à Chinon175.

Si se partirent et passèrent par Auxerre et plusieurs 207autres villes, villages et passages de pays des ennemis, et aussi par les pays obéissans au roy, où règnoient toutes pilleries et roberies, sans ce qu’ils eussent ou trouvassent aucuns empeschements, et vindrent jusques en la ville de Chinon. Eux mesmes disoient qu’ils avaient passé aucunes rivières à gué bien profondes, et passages renommés périlleux, sans quelconque inconvénient ; dont ils estoient esmerveillez. Eux arrivés en ladicte ville de Chinon, le roy manda les gentilshommes qui estoient venus en sa compaignée, et les feist interroger en sa présence ; lesquels ne sceurent que dire, sinon ce qui est récité cy dessus176.

Si eut le roy et ceux de son conseil grand doubte si ladicte Jeanne parleroit au roy ou non, et si il la feroit venir devers lui ; sur quoy y eut diverses opinions et imaginations, et fut conclud qu’elle verroit le roy. Ladicte Jeanne fut amenée en sa présence, et dist qu’on ne la déceust point, et qu’on luy monstrast celuy auquel elle debvoit parler. Le roy estoit bien accompaigné, et combien que plusieurs faingnissent qu’ils fussent le roy, toustesfois elle s’adressa à luy assez plainement, et luy dist que Dieu l’envoyoit là pour luy ayder et secourir ; et qu’il luy baillast gens, et elle lèveroit le siége d’Orléans, et si le meneroit sacrer à Reims ; et que c’estoit le plaisir de Dieu que ses ennemis les Anglois s’en allassent en leurs pays ; que le royaume lui debvoit demeurer ; et que si ils ne s’en alloient, il leur mescherroit177.

Après ces choses ainsi faictes et dictes, on la fist remener 208en son logis, et le roy assembla son conseil pour sçavoir qu’il avoit à faire : où estoit l’archevesque de Reims, son chancelier, et plusieurs prélats, gens d’église et laics. Si fut advisé que certains docteurs en théologie parleroient à elle et l’examineroient, et aussi avec eux canonistes et légistes ; et ainsi fut faict. Elle fut examinée et interrogée par diverses fois et diverses personnes : dont estoit chose merveilleuse comme elle se portoit en son faict, et ce qu’elle disoit luy estre chargé de par de Dieu, comme elle parloit grandement et notablement, veu que en autres choses elle estoit la plus simple bergère que on veit onques. Entre autres choses, on s’esbahissoit comme elle dist à messire Robert de Baudricourt, le jour de la bataille de Rouvray, autrement dicte des Harens, ce qui estoit advenu ; et aussi de la manière de sa venue, et comme elle estoit arrivée sans empeschement jusques à Chinon178.

Un jour elle voulut parler au roy en particulier, et luy dist : Gentil daulphin, pourquoy ne me croyez vous ? Je vous dis que Dieu a pitié de vous, de vostre royaume, et de vostre peuple ; car sainct Louys et Charlemaigne sont à genoux devant luy, en faisant prière pour vous ; et je vous diray, s’il vous plaist, telle chose, qu’elle vous donnera à congnoistre que me debvez croire. Toutesfois elle fut contente que quelque peu de ses gens y fussent, et en la présence du duc d’Alençon, du seigneur de Trèves, de Christofle de Harcourt, et de maistre Gérard Machet, son confesseur, lesquels il fist jurer, à la requeste de ladicte 209Jeanne, qu’ils n’en révèleroient ny diroient rien, elle distauroy une chose de grand179, qu’il avoit faicte, bien secrète : dont il fut fort esbahy, car il n’y avoit personne qui le peust sçavoir, que Dieu et luy. Et dès lors fut comme conclud que le roy essayeroit à exécuter ce qu’elle disoit. Toutesfois il advisa qu’il estoit expédient qu’on l’amenast à Poitiers, où estoit la Court de parlement, et plusieurs notables clercs de théologie, tant séculiers comme réguliers ; et que luy mesmes iroit jusques en ladicte ville. Et de faict le roy y alla ; et faisoit amener et conduire ladicte Jeanne ; et, quand elle fut comme au milieu du chemin, elle demanda où on la menoit ; et il luy fut respondu que c’estoit à Poitiers. Et lors elle dist : En nom Dieu, je sçay que je y auray bien affaire ; mais Messires m’aydera ; or allons, de par Dieu180.

Elle fut donques amenée en la cité de Poitiers, et logée en l’hostel d’un nommé maistre Jean Rabateau, qui avoit espousé une bonne femme ; auquel on la bailla en garde. Elle estoit tousjours en habit d’homme, ny n’en vouloit autre vestir. Si fist on assembler plusieurs notables docteurs en théologie et autres, bacheliers, lesquels entrèrent en la salle où elle estoit ; et quand elle les veid, s’alla seoir au bout du banc et leur demanda qu’ils vouloient. Lors fut dict par la bouche d’un d’eux qu’ils venoient devers elle pource qu’on disoit qu’elle avoit dict au roy que Dieu l’envoyoit vers luy ; et monstrèrent par belles et douces raisons qu’on ne la devoit pas croire. Ils y furent plus de deux heures, où chascun d’eux parla sa fois ; et elle 210leur respondit : dont ils estoient grandement esbahis, comme une si simple bergère, jeune fille, pouvoit ainsi prudemment respondre. Et entre les autres, y eut un carme, docteur en théologie, bien aigre homme, qui luy dist que la Saincte Escriture deffendoit d’adjouster foy à telles paroles, si on ne monstroit signe ; et elle respondit plainement qu’elle ne vouloit pas tenter Dieu, et que le signe que Dieu luy avoit ordonné, c’estoit lever le siége de devant Orléans et de mener le roy sacrer à Reims ; qu’ils y vinssent, et ils le verroient : qui sembloit chose forte et comme impossible, veue la puissance des Anglois, et que d’Orléans ny de Blois jusques à Reims, n’y avoit place françoise. Il y eut un autre docteur en théologie, de l’ordre des frères prescheurs, qui luy va dire : Jeanne, vous demandez gens d’armes, et si dictes que c’est le plaisir de Dieu que les Anglois laissent le royaume de France et s’en aillent en leur pays. Si cela est, il ne fault point de gens d’armes, car le seul plaisir de Dieu les peut desconfire, et faire aller en leur pays. A quoy elle respondit qu’elle demandoit gens, non mie en grand nombre, lesquels combatroient, et Dieu donneroit la victoire. Après laquelle response faicte par icelle Jeanne, les théologiens s’assemblèrent, pour veoir ce qu’ils conseilleroient au roy ; et conclurent sans aucune contradiction, combien que les choses dictes par ladicte Jeanne leur sembloient bien estranges, que le roy s’y debvoit fier, et essayer à exécuter ce qu’elle disoit181.

211Le lendemain y allèrent plusieurs notables personnes, tant de présidens et conseillers de Parlement, que autres de divers estats ; et avant qu’ils y allassent, ce qu’elle disoit leur sembloit impossible à faire, disans que ce n’estoit que resveries et fantaisies ; mais il n’y eut celuy, quand il en retournoit et l’avoit ouye, qui ne dist que c’estoit une créature de Dieu ; et les aucuns, en retournant, pleuroient à chaudes larmes. Semblablement y furent dames, damoiselles et bourgeoises, qui luy parlèrent, et elie leur responsdit si doucement et gracieusement, qu’elle les faisoit pleurer. Entre les autres choses, ils luy demandèrent pourquoy elle ne prenoit habit de femme ? Et elle leur respondit : Je croy bien qu’il vous semble estrange, et non sans cause ; mais il fault, pour ce que je me doibs armer et servir le gentil daulphin en armes, que je prenne les habillemens propices et nécessaires à ce ; et aussi quand je serois entre les hommes, estant en habit d’homme, ils n’auront pas concupiscence charnelle de moi ; et me semble qu’en cest estat je conserveray mieulx ma virginité de pensée et de faict.

Pour le temps de lors, on faisoit grand diligence d’assembler vivres, et spécialement blez, chairs salées et non salées, pour essayer à les mener dedans la ville d’Orléans. Si fut delibéré et conclud qu’on esprouveroit ladicte Jeanne sur le faict desdicts vivres ; et luy furent ordonnez harnois, cheval et gens ; et iuy fut spécialement baillé pour la conduire et estre avec elle, un bien vaillant et notable escuyer, nommé Jehan d’Olon, prudent et sage, et pour paige, un bien gentil homme, nommé Louys de Comtes, dict Imerguet, avec 212autres varlets et serviteurs. Durant ces choses, elle dist qu’elle vouloit avoir une espée qui estoit à Saincte-Catherine du Fierbois, où il y avoit en la lame, assez près du manche, cinq croix. On lui demanda si elle l’avoit oncques veue, et elle dist que non ; mais elle sçavoit bien qu’elle y estoit. Elle y envoya, et n’y avoit personne qui sceust où elle estoit ny que c’estoit. Toutesfois, il y en avoit plusieurs qu’on avoit autresfois données à l’église, lesquelles on fist toutes regarder, et on en trouva une toute enrouillée, qui avoit lesdictes cinq croix. On la luy porta, et elle dist que c’estoit celle qu’elle demandoit. Si fut fourbie et bien mettoyée, et luy fist on faire un beau fourreau tout parsemé de fleurs de lys182.

Tant que ladicte Jeanne fut à Poitiers, plusieurs gens de bien alloient tous les jours la visiter, et tousjours disoit de bonnes paroles. Entre les autres, y eut un bien notable homme, maistre des requestes de l’hostel du roy, qui luy dist : Jeanne, on veult que vous essayez à mettre les vivres dedans Orléans ; mais il semble que ce sera forte chose, veues les bastilles qui sont devant, et que les Anglois sont forts et puissants. — En nom Dieu, dist-elle, nous les mettrons dedans Orléans à nostre aise ; et si n’y aura Anglois qui saille, ne qui face semblant de l’empescher.

Elle fut armée et montée à Poitiers ; puis s’en partit ; et en chevauchant, portoit aussi gentilement son harnois, que si elle n’eust faict autre chose tout le temps de sa vie. Dont plusieurs s’esmerveilloient ; 213mais bien davantage les docteurs, capitaines de guerre et autres, des responses qu’elle faisoit, tant des choses divines que de la guerre. Le roy avoit mandé plusieurs capitaines pour conduire et estre en la compaignée de ladicte Jeanne, et entre autres, le mareschal de Rays, messire Ambroise de Loré et plusieurs autres, lesquels conduirent ladicte Jeanne jusques en la ville de Blois183.

★ Les nouvelles de ladicte Pucelle vindrent à Orléans : comme c’estoit une fille de saincte et religieuse vie, qui fut fille d’un pauvre laboureur de la contrée de l’élection de Langres près de Barrois, et d’une pauvre femme du mesme pays, qui vivoient de leur labeur ; qu’elle estoit aagée environ de dix-huict à dix-neuf ans, et avoit esté pastoure au temps de son enfance ; qu’elle sçavoit peu de choses mondaines, parloit peu, et le plus de son parler estoit seulement de Dieu, de sa benoiste mère, des anges, des saincts et sainctes de paradis184 ; disoit que par plusieurs fois luy avoient esté dictes aucunes révélations touchant la salvation du roy et préservation de toute sa seigneurie, laquelle Dieu ne vouloit luy estre tollue ny usurpée ; 214mais que ses ennemis en seroient deboutez ; et estoit chargée de dire et signifier ces choses au roy dedans le terme de la Sainct Jean mille quatre cent vingt-neuf. Que ladicte Pucelle avoit esté ouye par le roy et son conseil, où elle ouvrit les choses à elles chargées, et traicta merveilleusement des manières de faire vuider Angloys du royaume ; et ne fut là chef de guerre qui sceust tant proprement remonstrer les manières de guerroyer ses ennemis : dont le roy et tout son conseil fut esmerveillé ; car elle fut autant simple en toutes autres manières, comme une pastourelle. Que pour ceste merveille, le roy alla à Poitiers, et mena là la Pucelle, qu’il fist interroger par notables clercs du Parlement et par docteurs bien renommez en théologie ; et elle ouye, affermèrent qu’ils la réputoient inspirée de Dieu185, et approuvèrent tout son faict et ses paroles : pour quoy le roy la tint en plus grand révérence, et manda dès lors gens de toutes parts et fist mener à Blois grand quantité de vivres et d’artillerie, pour secourir la cité d’Orléans. Que la Pucelle requist, pour conduire le secours, qu’il pleust au roy lui bailler telles gens et tel nombre qu’elle requerroit, qui ne seroit pas grand nombre ny grande puissance, et pour son corps se fist administrer un harnois entier.

★ Alors le roy ordonna que tout ce qu’elle requerroit luy fust baillé ; puis la Pucelle print congé du roy pour aller en la cité d’Orléans ; et elle venue à Blois à peu de gent, séjournoit illec par aucuns jours, attendant 215plus grande compaignée. Pendant son séjour, elle fist faire un estendart blanc, auquel elle fist pour traire la représentation du sainct Saulveur et de deux anges, et le fist bénistre en l’église Sainct-Saulveur de Blois. Auquel lieu vindrent tantost après, le mareschal de Saincte-Sevère, les sires de Rays et de Gaucourt, à grand compaignée de nobles et de commun, qui chargèrent une partie des vivres pour les mener à Orléans. Ladicte Pucelle se mist en leur compaignée ; et cuidoit bien qu’ils deussent passer par devant les bastides du siége, devers la Beausse ; mais ils prindrent leur ehemin par la Solongne ; et ainsi fut menée à Orléans le pénultiesme jour d’avril, au mesme an.

★ Ceste Pucelle séjournant à Blois, en attendant la compaignée qui la debvoit mener à Orléans, escrivit et envoya par un hérault aux chefs de guerre qui tenoient siége devant Orléans, une lettre dont la teneur s’ensuit, et est telle186 :

Jhesus, Maria.

216Roy d’Angleterre, faictes raison au roy du ciel de son sang royal. Rendez les clefz à la Pucelle de toutes les bonnes villes que vous avez enforcées. Elle est venue de par Dieu pour réclamer le sang royal, et est toute preste de faire paix, se vous voulez faire raison ; par ainsi que vous mettez jus187, et paiez de ce que vous l’avez tenue.

Roy d’Angleterre, se ainsi ne le faictes, je suis chief de guerre ; en quelque lieu que je attandray voz gens en France, se ilz ne veulent obéir, je les feray yssir, vueillent ou non ; et se ilz veulent obéir, je les prendrai à mercy. Croiez que s’ilz ne veulent obéir, la Pucelle vient pour les occire. Elle vient de par le Roy du ciel, corps pour corps, vous bouter hors de France ; et vous promet et certiffie la Pucelle que elle y fera si gros hahay, que encore a mil ans en France ne fut veu si grant, se vous ne lui faictes raison. Et croiez fermement que le Roy du ciel lui envoiera plus de force que ne sarez mener de touz assaulz à elle et à ses bonnes gens d’armes.

Entre vous, archiers, compaignons d’armes gentilz et vaillans, qui estes devant Orléans, alez vous en en vostre païs, de par Dieu ; et se ainsi ne le faictes, donnez vous garde de la Pucelle, et de voz domages vous souviengne. Ne prenez mie vostre opinion, que vous ne tenrez mie France du Roy du ciel, le filz sainte Marie ; maiz le tendra le roy Charles, vray héritier, à qui Dieu l’a donnée, qui entrera à Paris en belle compaignie. Se vous ne creez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous ferrons de dens à horions, et si verrons lesquelx meilleur droit auront, de Dieu ou de vous.

Guillaume de La Poule, conte de Suffort, Jehan, sire de Talbort, et Thomas, sire de Scalles, lieuxtenans du duc de Bethford, soy disant régent du royaume de France pour le roy d’Angleterre, faictes response se vous voulez faire paix à la cité d’Orléans. Se ainsi ne le faictes, de voz domages vous souviengne briefment.

Duc de Bethford, qui vous dictes régent de France 217pour le roy d’Angleterre, la Pucelle vous prie et requiert que vous ne vous faictes mie destruire. Se vous ne lui faictes raison, elle fera que les François feront le plus beau fait qui oncques feust fait en la christianté.

Escript le mardy de la grant sepmaine.

Au duc de Betfort, qui se dit régent le royaulme de France pour le roy d’Angleterre188.

Après lesdictes lettres envoyées par la Pucelle aux Anglois, fut conclud qu’on iroit à Orléans mener des vivres. Et furent chargez en ladicte ville de Blois plusieurs chariots, charrettes et chevaux de grains ; et y assembla on foison de bestial, tant beufs, vaches, moutons, brebis et pourceaux ; et fut conclud par les capitaines, tant par ceux qui les debvoient conduire comme par le bastard d’Orléans, qu’on iroit par la Solongne, pour ce que toute la plus grand puissance estoit du costé de la Beausse. Ladicte Jeanne ordonna que toutes les gens de guerre se confessassent et se missent en estat d’estre en la grace de Dieu ; [si] leur fist oster leurs fillettes, et laisser tout le bagaige ; puis ils se misrent tous en chemin pour tirer à Orléans. Ils couchèrent en chemin une nuict dehors. Et quand les Anglois sceurent la venue de ladicte Pucelle et des gens de guerre, ils désemparèrent une bastide qu’ils avoient faicte en un lieu nommé Sainct-Jean-le-Blanc ; et ceux qui estoient dedans s’en vindrent en une autre bastide, que lesdicts Anglois avoient faicte aux Au gustins, emprès le bout du pont ; et ladicte Pucelle 218et ses gens, avec les vivres, vindrent vers la ville d’Orléans, au dessus de ladicte bastide, à l’endroit dudict lieu Saint-Jean-le-Blanc189.

Ceux de la ville, tantost et incontinent préparèrent et habillèrent vaisseaux pour venir querir tous lesdicts vivres ; mais la chose estoit si mal à poinct que le vent estoit contraire : or ne pouvoit on monter contremont (car on n’y peut conduire les vaisseaux, sinon à force de voile). Laquelle chose fut dicte à ladicte Jeanne, qui dist : Attendez un petit, car, en nom Dieu, tout entrera en la ville. Et soudainement le vent se changea, en sorte que les vaisseaux arrivèrent très aiséement et légèrement où estoit ladicte Jeanne. En iceux estoit le bastard d’Orléans et aucuns bourgeois de la ville, qui avoient grand desir de voir ladicte Jeanne ; lesquels luy prièrent et requirent de par la ville et les gens de guerre estans en icelle, qu’elle voulust venir et entrer en la ville, et que ce leur seroit un grand confort, s’il luy plaisoit d’y venir. Alors elle demanda audict bastard : Estes-vous le bastard d’Orléans ? Et il respondit : Ouy, Jeanne. Après elle luy dist : Qui vous a conseillé de nous faire venir par la Soulongne, et que n’avons esté par la Beausse, tout emprès la grand puissance des Anglois ? Les vivres eussent entré sans les faire passer par la rivière. Le bastard, en soy excusant, luy respondit que ce avoit esté par le conseil de tous les capitaines, veue la puissance des Anglois par la Beausse. A quoy elle répliqua : Le conseil de Messires (c’est à sçavoir Dieu) est meilleur que le 219vostre et celuy des hommes, et si est plus seur et plus sage. Vous m’avez cuidé decevoir, mais vous vous estes deceus vous mesmes ; car je vous ameine le meilleur secours que eut onques chevalier, ville ou cité ; et ce est le plaisir de Dieu et le secours du Roy des cieux, non mie pour l’amour de moy, mais procède purement de Dieu ; lequel, à la requeste de sainct Louys et sainct Charles le Grand, a eu pitié de la ville d’Orléans, et n’a pas voulu souffrir que les ennemis eussent le corps du duc d’Orléans et sa ville. Quant est d’entrer en la ville, il me feroit mal de laisser mes gens, et ne le doibs pas faire ; ils sont tous confessez, et en leur compaignée je ne craindrois pas toute la puissance des Anglois. Alors les capitaines luy dirent : Jeanne, allez y seurement, car nous vous promettons de retourner bien brief vers vous. Sur ce, elle consentit d’entrer dans la ville avec ceux qui luy estoient ordonnez, et y entra ; et fut receue à grand joye, et logée en l’hostel du thrésorier du duc d’Orléans, nommé Jacques Boucher, où elle se fist désarmer. Et est vray que, depuis le matin jusques au soir, elle avoit chevauché toute armée, sans descendre, boire ny manger. On luy avoit faict appareiller à souper bien et honnorablement ; mais elle fist seulement mettre du vin dans une tasse d’argent, où elle mist la moitié d’eau, et cinq ou six soupes dedans, qu’elle mangea, et ne print autre chose tout le jour pour manger ny boire ; puis s’alla coucher en la chambre qui luy avoit esté ordonnée ; et avec elle estoient la femme et la fille dudict thrésorier, laquelle fille coucha la nuict avec ladicte Jeanne. Et ainsi vint ladicte Pucelle en la ville 220d’Orléans, le pénultiesme jour d’avril, l’an mille quatre cent vingt-neuf190.

★ Tantost elle sceut191 que les chefs du siége ne tinrent compte de ses lettres ny de tout leur contenu, mais réputèrent tous ceux qui croyoient et adjoustoient foy à ses paroles, pour hérétiques contre la saincte foy ; et si avoient faict prendre les héraults et les vouloient faire ardoir. Laquelle prinse venue à la cognoissance du bastard d’Orléans, qui estoit pour lors à Orléans, il manda aux Anglois, par son hérault, qu’ils luy renvoyassent lesdicts héraults, en leur faisant sçavoir que s’ils les faisoient mourir, il feroit mourir de pareille mort leurs héraults qui estoient venus à Orléans pour faict de prisonniers : lesquels il fist arrester ; et feroit le mesme de tous les prisonniers anglois, qui y estoient lors en bien grand nombre. Et tantost après, lesdits héraults furent rendus.

Toutesfois, aucuns dient que quand la Pucelle sceut qu’on avoit retenu les héraults, elle et le bastard d’Orléans envoyèrent dire aux Anglois qu’ils les renvoyassent ; et ladicte Jeanne disoit tousjours : En nom Dieu, ils ne leur feront jà mal ; mais lesdicts Anglois en envoyèrent seulement un192, auquel elle demanda : Que dit Tallebot ? et le hérault respondit 221que luy et tous les autres Anglois disoient d’elle tous les maulx qu’ils pouvoient, en l’injuriant, et que si ils la tenoient, ils la feroient ardoir. Or, t’en retourne, luy dist-elle, et ne fais doubte que tu amèneras ton compaignon. Et dy à Tallebot que si il s’arme, je m’armeray aussi, et qu’il se trouve en place devant la ville ; et s’il me peut prendre, qu’il me face ardoir ; et si je le desconfis, qu’ils facent lever les siéges et s’en aillent en leur pays. Le hérault y alla et ramena son compagnon. Et paravant qu’elle arrivast, deux cent Anglois chassoient aux escarmouches cinq cent François ; et depuis sa venue, deux cent François chassoient quatre cent Anglois ; et en creut fort le courage des François.

Quand les vivres furent mis ès vaisseaux ou bateaux, avec ladicte Jeanne193, le mareschal de Rays, le seigneur de Loré et autres s’en retournèrent audict lieu de Blois, et là trouvèrent l’archevesque de Reims, chancelier de France, et tinrent conseil pour sçavoir qu’on avoit à faire. Aucuns estoient d’opinion que chacun s’en retournast en sa garnison ; mais ils furent après tous d’opinion qu’ils debvoient retourner audit lieu d’Orléans, pour les ayder et conforter au bien du roy et de la ville. Et ainsi qu’ils parloient de la manière, vint nouvelles du bastard d’Orléans, lequel leur faisoit sçavoir que si ils désemparoient et s’en alloient, ladicte cité estoit en voye de perdition. Et lors il fut conclud presque de tous, de retourner et de mener derechef vivres à puissance ; et qu’on iroit par la Beausse, où estoit la puissance des Anglois, 222en la grand bastide qu’on nommoit Londres ; combien qu’à l’autre fois ils vindrent par la Soulongne, et toutesfois ils estoient trois fois plus de gens que on n’estoit à venir par la Beausse. Ils feirent provision de foison de vivres, tant de grains que de bestial, et se partirent le troisiesme jour de may, et couchèrent la nuict en un village estant comme à my chemin de Blois et d’Orléans, et prinrent le lendemain leur chemin vers ladicte ville194.

★ Le dict troisiesme jour de may, vinrent aussi à Orléans les garnisons de Montargis, Gien, Chasteau-Regnard, du pays de Gastinois et de Chasteaudun, avec grand nombre de gens de pied garnis de traict et de guisarmes. Et le mesme jour, au soir, vinrent nouvelles que le mareschal de Saincte-Sevère, le sire de Rays, monseigneur de Bueil et La Hire, qui amenoient les vivres et l’artillerie, venoient de Blois par la Beausse. Si doubtoit on que Anglois deussent aller au devant d’eux : pour quoy, le mercredy matin, veille de l’Ascension, quatriesme jour de may, mille quatre cent vingt-neuf, se partirent très bien matin d’Orléans, le bastard et la Pucelle armée, à grand compaignée de gens d’armes et de traict, et allèrent, à estendart desployé, au devant des vivres, qu’ils rencontrèrent ; et si passèrent par devant les Anglois qui n’osèrent yssir de leurs bastides, et puis entrèrent dedans la ville environ prime.

★ Audict jour, environ midy, aucuns des nobles issirent d’Orléans avec grand nombre de gens de traict et de commun, qui livrèrent un fier et merveilleux 223assault contre Anglois qui tenoient la bastide Sainct-Loup, laquelle fut moult deffensable et fortifiée ; car elle avoit esté grandement garnie par ie sire de Tallebot, tant de gens, vivres, comme d’habillemens. François furent moult grevez en iceluy assault. Et durant iceluy y vint très hastivement la Pucelle armée, à estendart desployé : parquoy l’assault enforça de plus en plus.

Ceste Pucelle ne sçavoit riens de la sortie desdicts gens de guerre hors la ville, ny n’en estoit nouvelles en son hostel ny en son quartier, et s’estoit mise à dormir ; et n’y avoit audict hostel que son paige et la dame de léans, qui s’esbatoient à l’huys. Et soudainement elle s’esveilla et leva, et commença à appeller gens. Alors vint la dame et le paige, auquel elle dist : Va querir mon cheval. En nom Dieu, les gens de la ville ont affaire devant une bastide, et y en a de blessez. Si dist qu’on l’armast hastivement, et on luy aydast à s’armer. Et quand elle fut preste, monta à cheval et courut sur le pavé, tellement que le feu en sailloit ; et alla aussi droict, comme si elle eust sceu le chemin par avant ; et toutesfois onques n’y avoit entré. Ladicte Jeanne dist depuis que sa voix l’avoit esveillée et enseigné le chemin, et que Messires luy avoit faict sçavoir195.

★ Et depuis sa venue audit lieu, ne fut Anglois qui peust illec blesser François ; mais bien François conquirent sur eux la bastide ; et Anglois se retirèrent au clocher de l’église, et là François recommancèrent 224l’assault, qui dura longuement. Pendant lequel Tallebot fist issir Anglois à puissance des autres bastides, pour secourir ses gens ; mais à ceste mesme heure estoient issus d’Orléans tous les chefs de guerre, atout leur puissance, qui se misrent aux champs en batailles ordonnées, entre la bastide assaillie et les autres bastides angloises, attendans illec Anglois pour les combatre. Mais le sire de Tailebot, ce voyant, fist retirer Anglois au dedans de leurs bastides, delaissant en abandon les Anglois de la bastide Sainct-Loup, qui furent conquis par puissance, environ vespres.

Et y eut là des Anglois audict clocher, qui prindrent habillemens de prestres ou de gens d’église, lesquels on voulut tuer ; mais ladicte Jeanne les garda, disant qu’on ne debvoit rien demander aux gens d’église, et les fist amener à Orléans.

★ Dont y fut l’occision nombrée à huit vingts hommes, et la bastide fut arse et démolie ; en laquelle François conquirent très grand quantité de vivres et autres biens. En après, la Pucelle, les grans seigneurs et leur puissance rentrèrent à Orléans ; dont à icelle heure furent rendues graces et louanges à Dieu par toutes les églises, en hymnes et dévotes oraisons, à son de cloches, que Anglois pouvoient bien ouyr ; lesquels furent fort abaissez de puissance par ceste partye, et aussi de courage.

★ La Pucelle desiroit fort de faire partir entiè rement Anglois du siége ; et pour ce, requist les chefs de guerre qu’ils ississent à toute puissance, le jour de l’Ascension, pour assaillir la bastide Sainct Laurens, où furent tous les plus grands chefs de 225guerre et le plus de la puissance des Anglois ; et néantmoins elle ne fist aucun doubte que tantost ne les deust conquérir ; mais bien se tenoit seure de les avoir, et disoit ouvertement que l’heure estoit venue. Mais les chefs de guerre ne furent point d’accord d’issir ny besongner ceste journée, pour la révérence du jour ; et d’autre part furent d’opinion de premièrement tant faire, que les bastides et boulevars du costé de la Soulongne peussent estre conquis avec le pont, afin que la ville peust recouvrer vivres de Berry et autres pays. Ainsi la chose print delay ceste journée, à la grand desplaisance de la Pucelle, qui s’en tint mal contente des chefs et capitaines de guerre.

Ladicte Pucelle avoit grand desir de sommer elle mesme ceux qui estoient en la bastiile du bout du pont et des Tournelles, où estoit Glacidas, car on pouvoit parler à eux de dessus le pont ; si y fut menée. Et quand les Anglois sceurent qu’elle y estoit, y vindrent en leur garde ; et elle leur dist que le plaisir de Dieu estoit qu’ils s’en allassent, ou sinon qu’ils se trouveroient courroucez. Alors ils commencèrent à se mocquer et à injurier ladicte Jeanne, ainsi que bon leur sembla. Dont elle ne fut pas contente, et son courage luy en creut ; si delibéra le lendemain de les aller visiter196.

★ L’an mille quatre cent vingt-neuf, le vendredy, sixiesme jour de may, François passèrent oultre la Loire à grand puissance, à la veue de Glacidas, qui tantost fist désemparer et ardoir la bastide de Sainct-Jean-le-Blanc, 226et fist retirer ses Anglois avec ses habillemens en la bastide des Augustins, au boulevart et aux Tournelles. Si marcha avant la Pucelle à tout ses gens de pied, tenant sa voye droict au Portereau. Et à ceste heure, n’estoient encores tous ses gens passez, ains y en avoit grand partie en une isle, qui pouvoient peu finer de vaisseaux pour leur passage. Néantmoins la Pucelle alla tant, qu’elle approcha du boulevart, et illec planta son estendart à peu de gens. Mais à ceste heure, survint un cry que les Anglois venoient à puissance du costé de Sainct-Privé ; pour lequel cry, les gens qui estoient avec la Pucelle furent espouventez, et se prindrent à retirer droict audict passage de Loire. Dont la Pucelle fut en grand douleur, et fut contrainte de se retirer à peu de gent. Alors Anglois levèrent grand huée sur les François, et issirent à puissance pour poursuivre la Pucelle, crians grans cris après elle, et luy disans paroles diffamables ; et tout soudain elle tourna contre eux, et tant peu qu’elle eut de gens, elle leur fist visage, et marcha contre les Anglois à grans pas et à estendart desployé. Si en furent Angloys, par la volonté de Dieu, tant espouventez, qu’ils prinrent la fuite laide et honteuse. Alors François retournèrent, qui commencèrent sur eux la chasse, en continuant jusques à leurs bastides, où Anglois se retirèrent à grand haste. Ce veu, la Pucelle assist son estendart devant la bastide des Augustins, sur les fossez du boulevart, où vint incontinent le sire de Rays. Et tousjours François allèrent croissant, en telle sorte qu’ils prinrent d’assault la bastide desdicts Augustins, où estoient Anglois en très grand nombre, lesquels furent illec tous 227occis. Et y avoit foison de vivres et de richesses ; mais pour tant que François furent trop ententifs au pillage, la Pucelle fist bouter le feu en la bastide, où tout fut ars. En iceluy assault, la Pucelle fut blessée de chausse-trapes en l’un des pieds ; et à cause qu’il ennuictoit, fut rammenée à Orléans, et laissa grand gent au siége devant le boulevert et les Tournelles.

★ Ceste nuit, Anglois, qui estoient dedans le boulevart de Sainct-Privé, s’en departirent, et y misrent le feu ; puis passèrent Loire en vaisseaux, et se retirèrent en la bastide Sainct-Laurens. La Pucelle fut celle nuict en grand doubte que les Angloys férissent sur ses gens devant les Tournelles ; et pour ce, le sabmedy, septiesme jour de may, environ soleil levant, par l’accord et consentement des bourgeois d’Orléans, mais contre l’opinion et volonté de tous les chefs et capitaines qui estoient là de par le roy, la Pucelle se partit à tout son effort, et passa Loire.

Et ainsi qu’elle delibéroit de passer, on présenta à Jacques Boucher, son hoste, une alose ; et lors il luy dist : Jeanne, mangeons ceste alose avant que partiez. — En nom Dieu, dist-elle, on n’en mangera jusques au souper, que nous repasserons par-dessus le pont, et ramenerons un godon qui en mangera sa part197.

★ Si luy baillèrent ceux d’Orléans canons, coulevrines,et tout ce qui estoit nécessaire pour assaillir le boulevart et les Tournelles, avec vivres, et des bourgeois d’Orléans, de l’une part. Et pour icelles Tournelles 228assaillir et conquérir le pont, de la partie de la ville ils establirent sur ledict pont de l’autre part, grand nombre de gens d’armes et de traict, avec grand appareil, que les bourgeois avoient faict pour passer les arches rompues et assaillir les Tournelles.

A iceluy assault fut ladicte Jeanne blessée dès le matin d’un coup de traict de gros garriau, par l’espaule tout oultre. Et elle-mesmes se desferra, et y fist mettre du coton et autres choses, pour estancher le sang : ce non obstant, n’en laissa oncques à faire les diligences de faire assaillir. Et quand ce vint au soir, il sembla au bastard d’Orléans et autres capitaines que en celuy jour on n’aurait point le boulevart, veu qu’il estoit tard. Si delibérèrent de eux retirer de l’assault, et faire reporter l’artillerie en la ville, jusques au lendemain ; et vinrent dire ceste conclusion à Jeanne, laquelle respondit que en nom de Dieu, ils y entre roient en brief, et qu’ils n’en fissent doubte. Néantmoins, on assailloit tousjours ; et lors elle demanda son cheval, si monta dessus et laissa son estendart ; et elle alla en un lieu destourné, où elle feit son oraison à Dieu, et ne demeura guères qu’elle ne retournast et descendist ; si print son estendart, et dist à un gentilhomme qui estoit emprès elle : Donnez vous garde quand la queue de mon estendart touchera contre le boulevert. Lequel un peu après luy dist : Jeanne, la queue y touche. Alors elle dist : Tout est vostre, et y entrez198.

★ Si furent Anglois assaillis des deux parties moult asprement ; car ceux d’Orléans jectèrent à merveilles 229contre Anglois de canons, de coulevrines, de grosses arbalestes, et d’autre traict. L’assault fut fier et merveilleux, plus que nul qui eust esté oncques veu de la mémoire des vivans ; auquel vindrent les chefs qui estoient dedans Orléans, quand ils en aperceurent les manières. Et vaillamment se deffendirent les Anglois et tant jectèrent, que leurs pouldres et autre traict s’en alloient faillant ; et deffendoient de lances, guisarmes et autres bastons, et pierres, le boulevart et les Tournelles.

Et est à sçavoir que du costé de la ville on trouvoit très mal aise manière d’avoir une pièce de bois pour traverser l’arche du pont, et de faire la chose si secrètement, que les Anglois ne s’en aperceussent. Et d’adventure, on trouva une vieille et large gouttière ; mais il s’en failloit bien trois pieds qu’elle ne fust assez longue ; et tantost un charpentier y mist un advantage199, à fortes chevilles, et descendit en bas, pour mettre une estaye, et feist ce qu’il peut pour la seureté ; puis y passèrent le commandeur de Giresme et plusieurs hommes d’armes. Si réputoit on comme une chose impossible, ou au moins bien difficile, d’y estre passez ; et tousjours on asseuroit ledict passage200.

★ La Pucelle fist de son costé dresser escheles contremont201 par ses gens dans le fossé du boulevart ; et renforça de toutes parts l’assault de plus en plus, qui dura despuis prime jusques à six heures après midy. 230Si furent tant Anglois chargés de coulevrines et autre traict, qu’ils ne se osoient plus monstrer à leurs deffenses ; et furent aussi assaillis de l’autre part des Tournelles, dedans lesquelles François boutèrent le feu. Enfin Anglois furent tant oppressez de toutes parts, et tant blessez, qu’il n’y eut plus en eux de deffense. A ceste heure, Glacidas et autres seigneurs anglois se cuidèrent retraire du boulevert ès Tournelles, pour saulver leurs vies ; mais le pont levis rompit soubs eux, par le jugement de Dieu, et noyèrent en la rivière de Loire. Alors entrèrent François de toutes parts dedans le boulevart et les Tournelles, qui furent conquises en la veue du comte de Suffort, du seigneur de Tallebot, et autres chefs de guerre, sans monstrer ny faire semblant d’aucun secours. Si là fut grand occision d’Anglois ; car du nombre de cinq cent chevaliers et escuyers, réputez les plus preux et hardis de tout le royaume d’Angleterre, qui estoient là soubs Glacidas avec autres faux François, ne furent retenus prisonniers en vie, fors environ deux cent. En ceste prinse furent morts ledict Glacidas, les seigneurs de Ponvains, de Commus202, et autres nobles d’Angleterre et d’autres pays.

Si nous dirent et affermèrent des plus grands capitaines des François que, après que ladicte Jeanne eut dict les paroles dessusdictes, ils montèrent contremont le boulevart, aussi aiséement comme par un de gré ; et ne sçavoient considérer comment il se pouvoit faire ainsi, sinon par un œuvre divin.

231* Après laquelle tant glorieuse victoire, les cloches furent sonnées par le mandement de la Pucelle, qui retourna ceste nuictée par-dessus le pont ; et rendirent graces et louanges à Dieu, en moult grand solemmité, par toutes les églises d’Orléans. Et audit assault la Pucelle fut férue de traict, comme dict est. Avant lequel advenu, elle avoit bien dit qu’elle y debvoit estre férue jusques au sang ; mais elle vint tost à convalescence.

Et aussi, après son arrivée, elle fut diligemment appareillée, désarmée et très bien pensée. Si voulut seulement avoir du vin en une tasse, où elle mist la moitié d’eaue, et s’en alla coucher et reposer. Et est à noter que avant qu’elle partist, elle ouyt messe, se confessa, et receut en moult grand dévotion le précieux corps de Jésus-Christ ; aussi se confessoit elle, et le recepvoit très souvent. Si se confessa à plusieurs gens de grand dévotion et austère vie, lesquels disoient plainement que c’estoit une créature de Dieu.

★ De ceste desconfiture, les Anglois furent en grand détresse, et tindrent ceste nuictée grand conseil. Si issirent de leurs bastides le dimanche huictiesme jour de may mille quatre cent vingt-neuf, avec leurs prisonniers, et tout ce qu’ils pouvoient emporter, mettans en l’abandon tous leurs malades, tant prison niers comme autres, avec leurs bombardes, canons, artilleries, pouldres, pavois203, habillemens de guerre, 232et tous leurs vivres et biens, et s’en allèrent en belle ordonnance, leurs estendarts desployez, tout le chemin d’Orléans, jusques à Meun-sur-Loire. Si feirent les chefs de guerre estans dans Orléans, ouvrir les portes environ soleil levant, dont ils issirent à pied et à cheval, à grand puissance, qui voulurent aller ferir sur les Anglois ; mais là survint la Pucelle qui desconseilla la poursuite et voulut qu’on les laissast libres de partir, sans les assaillir celle journée, si ils ne venoient contre les François pour les combatre ; mais Anglois tournèrent doubtablement le dos204, et tant à Meun comme à Jargeau se retrairent. Par ce désemparement de siége, se departit le plus de la puissance des Anglois, qui se retrairent tant en Normandie comme autre part. Et après ledict désemparement, les Anglois estans encore en la veue de la Pucelle, elle fist venir aux champs les gens d’église revestus, qui chantèrent à grand solemnité hymnes, respons et oraisons dévotes, rendans louanges et graces à Dieu.

Si fist apporter une table et un marbre205, et dire deux messes. Icelles dictes, elle demanda : Or, regardez si ils ont les visages devers vous, ou le dos ? Et on luy dist qu’ils s’en alloient, et avoient le dos tourné. A quoy elle répliqua : Laissez les aller ; il ne plaist pas à Messire qu’on les combate aujourdhuy ; vous les aurez une autre fois. Elle 233estoit seulement armée d’un jesseran, pour la bles seure qu’elle avoit eu la journée de devant206.

★ Et ce faict, issit la commune d’Orléans, qui entrèrent ès bastides où ils trouvèrent largement vivres et autres biens ; puis toutes les bastides furent jectées par terre, suivant la volonté des seigneurs et capitaines ; et leurs canons et bombardes furent retrais en la ville d’Orléans. Si se retrairent Anglois en plusieurs places par eux conquises ; c’est à sçavoir le comte de Suffort à Jargeau, et les seigneurs de Scales, de Tallebot, et autres chefs de leur party, se retrairent tant à Meun, à Baugency, comme en d’autres places par eux conquises. Si mandèrent hastivement ces choses au duc Jean de Betfort, régent, qui de ce fut moult dolent, et doubtant que aucuns de ceux de Paris se deussent pour ceste desconfiture réduire en l’obéissance du roy et faire esmouvoir le commun peuple contre les Anglois. Si se partit à très grand haste de Paris et se retira au bois de Vincennes, où il manda gens de toutes parts ; mais peu y en vint ; car les Picards et autres nacions du royaume qui tenoient son party, se prindrent à deslaisser les Anglois, et à les haïr et despriser.

Ainsi que les dicts Anglois s’en alloient, Estienne de Vignolles, dict La Hire, et messire Ambroise de Loré, accompaignez de cent à six vingt lances, montèrent à cheval, et les chevauchèrent en costoyant bien trois grosses lieues, pour veoir et regarder leur maintien, puis s’en retournèrent en ladicte ville207.

234* La Pucelle ne pouvant à ceste heure entretenir l’armée, par deffault de 240vivres et de payement, elle se partit, le mardy dixiesme208 jour de may, accompaignée de haults seigneurs, et s’en alla par devers le roy, qui la receut à grand honneur, et tint à Tours aucuns conseils, lesquels finis, il manda de toutes parts ses nobles ; et pour nettoyer la rivière de Loire, bailla la charge au duc d’Alençon, qui voulut avoir la Pucelle en sa compaignée. Si vindrent à grand puissance devant Jargeau, où estoit le comte de Suffort à grand compaignée d’Anglois, qui avoient fortifié la ville et le pont. Les François misrent là le siége de toutes parts, au sabmedy, jour de la Sainct Barnabé, onziesme209 jour du mois de juin ; et fut en peu d’heures la ville fort empirée de bombardes et de canons. Et le dimanche ensuivant, douziesme jour du mesme mois, la ville et le pont furent prins d’assault, où fut occis Alexandre La Poule, avec grand nombre d’Anglois. Si furent illec prins prisonniers Guillaume de La Poule, comte de Suffort, Jean La Poule, son frère ; et fut la desconfiture des Anglois nombrée environ cinq cent combatans, dont le plus furent occis, car les gens du commun occioient entre les mains des gentilshommes tous les prisonniers anglois qu’ils avoient prins à rançon. Par quoy il convint mener à Orléans par nuict, et par la rivière de Loire, le comte de Suffort, son frère, et autres grands seigneurs 235anglois, pour saulver leurs vies. La ville et l’église fut du tout pillée ; aussi estoit elle pleine de biens ; et ceste nuict se retrairent à Orléans le duc d’Alençon, la Pucelle, et les chefs de guerre, avec la chevalerie de l’ost, pour eux raffraischir ; et là ils furent receus à très grand joie.

Quand la Pucelle Jeanne fut devant le roy, elle s’agenouilla et l’embrassa par les jambes, en luy disant : Gentil daulphin, venez prendre vostre noble sacre à Reims ; je suis fort aiguillonnée que vous y alliez, et ne faictes doubte que vous y recevrez vostre digne sacre. Lors le roy et aucuns qui estoient devers luy, qui sçavoient et avoient veu les merveilles qu’elle avoit faictes par la conduite, sens, prudence et diligence qu’elle avoit en faicts d’armes, autant que si elle eust suivy les armes toute sa vie ; considérans aussi sa belle et honneste façon de vivre : combien que la plus grand partie fust d’opinion qu’on allast en Normandie, muèrent leur imagination. Et le roy en luy mesme, et aussi trois ou quatre des principaux d’entour luy, pensoient si il desplairoit point à ladicte Jeanne qu’on lui demandast que sa voix luy disoit. De quoy elle s’apperceut aucunement, et dist : En nom Dieu, jesçay bien que vous pensez ; et voulez dire de la voix que j’ay ouye touchant vostre sacre ; et je le vous diray. Je me suis mise en oraison en ma manière acoustumée. Je me complaignois, pource qu’on ne me vouloit pas croire de ce que je disois. Et lors la voix me dist : Fille, va, va, je seray à ton ayde ; va. Et quand ceste voix me vient, je suis tant resjouie que merveilles. Et en disant lesdictes paroles, elle levoit les yeux au ciel, en monstrant signe d’une 236grande exultation. Et lors on la laissa avec le duc d’Alençon210.

Et pour plus à plein déclarer la forme de la prinse de Jargeau, et l’assault, il est vray que après que le duc d’Alençon eut acquitté ses hostages, touchant la rançon accordée pour sa delivrance, et que on veid et apperceut la conduite de la Pucelle, le roy, comme dict est, bailla la charge du tout au duc d’Alençon, avec la Pucelle, et manda gens le plus diligemment qu’il peut. Si y venoient de toutes parts, croyans fermement que ladicte Jeanne venoit de par Dieu ; et plus pour ceste cause que en intention d’avoir soldes ou proficts du roy211.

Là vindrent aussi le bastard d’Orléans, le sire de Boussac, mareschal de France, le seigneur de Graville, maistre des arbalestriers, le sire de Culant, admiral de France, messire Ambroise, seigneur de Loré, Estienne de Vignoles, dict La Hire, Gaultier de Brusac, et autres capitaines, qui allèrent tous avec lesdits duc et Pucelle devant la ville de Jargeau, où estoit, comme dict est, le comte de Suffort. Et en mettant le siége, y eut par divers jours plusieurs grandes et aspres escarmousches : aussi estoient ils puissans en gens, comme de six à sept cents Anglois tous vaillans gens.

Cependant on jectoit de la ville, où avoit fort traict de canons et vuglaires. Quoy voyant la Pucelle, vint au duc d’Alençon, et luy dist : Beau duc, ostez vous du logis où vous estes, comment que ce soit, car vous y seriez en danger des canons. 237Le duc creut [ce] conseil ; et n’estoit pas reculé de deux toises, qu’un vuglaire de la ville fut laissé aller, qui osta tout jus la teste à un gentilhomme d’Anjou, assez près dudict seigneur, et au propre lieu où il estoit quand la Pucelle parla à luy212.

Les François furent environ huict jours devant la ville, laquelle fut fort batue de canons estans devant. Si fut assaillie devant bien asprement ; et ceux de dedans se deffendoient aussi vaillamment ; et entre les autres, avoit un grand et fort Anglois armé de toutes pièces, ayant en sa teste un fort bassinet, lequel faisoit merveilles de jecter grosses pierres, et abattre gens et escheles, et estoit au lieu plus aisé à assaillir. Le duc d’Alençon, appercevant ceste chose, alla à un nommé maistre Jean le canonnier, et luy monstra ledict Anglois. Lors le canonnier assortit sa coulevrine au lieu où estoit et se descouvroit fort l’Anglois ; si fut frappé dudit canonnier, par la poitrine, et cheut dedans la ville, où il mourut. La Pucelle descendit au fossé, son estendart au poing, au lieu où les Anglois faisoient plus grand et aspre deffense. Si fut apperceue par aucuns Anglois, dont un print une grosse pierre de faix et luy jecta sur la teste, tellement que du coup elle fut contraincte à s’asseoir ; bien que ladicte pierre, qui estoit dure, se mia par menues pièces, dont on eut grans merveilles ; nonobstant[quoy]elle sereleva assez tost après, et dist tout hault aux compaignons françois : Montez hardiement et entrez dedans ; car vous n’y trouverez plus aucune résistance213.

238Et ainsi fut la ville gaingnée, comme dict est, et le comte de Suffort se retira sur le pont ; si fut pour suivy par un gentilhomme, nommé Guillaume Regnault, auquel ledict comte demanda : Es tu gentilhomme ? Et il luy respondit que ouy. Et es tu chevalier ? Et il respondit que non. Alors le comte de Suffort le fist chevalier, et se rendit à luy. Et semblablement y fut prins le seigneur de La Poulle, son frère ; et, comme dict est, il y en eut plusieurs morts, et foison de prisonniers que on menoit à Orléans ; mais le plus furent tuez en chemin, soubs ombre d’aucuns debats meus entre les François. Ladicte prinse de Jargeau fut tantost faict sçavoir au roy, lequel en fut moult joyeux, et en remercia et regracia Dieu, et manda très diligemment gens de guerre de toutes parts, pour venir se joindre avec lesdicts duc d’Alençon et Jeanne la Pucelle, et autres seigneurs et capitaines214.

★ Le duc d’Alençon et la Pucelle séjournèrent en la ville d’Orléans par aucuns jours, pendant lesquels vindrent illec, à grand chevalerie, le seigneur de Rays, le seigneur de Chauvigny, le seigneur de Laval et le seigneur de Lohéac, son frère, et autres grans seigneurs, pour servir le roy Charles en son armée ; lequel vint environ ce temps à Sully. Et d’autre part vint à Blois, à grand chevalerie, le comte Artus de Richemont, connestable de France, et frère du duc de Bretaigne, contre lequel le roy, pour aucuns rapports, avoit conceu hayne et malveillance. La Pucelle et les 239chefs de guerre215 feirent faire grand appareil pour mettre le siége devant Meun et Baugency, où se tinrent en iceluy temps le sire de Scales et le sire de Tallebot, à grand compaignée d’Anglois. Et pour réconforter les garnisons desdictes places, mandèrent les Anglois qui tenoient La Ferté-Hubert ; lesquels, après en avoir receu le mandement, ardirent la bassecourt et abandonnèrent le chastel, et s’en allèrent à Baugency. [Si partit une nuitée le sire de Tallebot de Baugency]216 pour aller au devant de messire Jean Fastol, qui s’estoit party de Paris, à grand compaignée d’Anglois, de vivres et de traict, pour venir advitailler et reconforter la puissance des Anglois. Mais pource qu’il ouyt nouvelles de la prinse de Jargeau, il laissa les vivres dedans Estampes, et vint avec sa compaignée dedans Yenville, auquel lieu il trouva le sire de Tallebot ; et eux illec assemblez, tindrent aucuns conseils.

Le mecredy, quinziesme jour de juin mille quatre cent vingt-neuf, Jean, duc d’Alençon, lieutenant général de l’armée du roy, accompaigné de la Pucelle et de plusieurs haults seigneurs, barons et nobles, entre lesquels estoient monseigneur Louys de Bourbon, comte de Vendosme ; le sire de Rays, le sire de Laval, le sire de Lohéac, le vidame de Chartres, le sire de La Tour, et autres seigneurs, à tout grand nombre de gens de pied et grand charroy chargé de vivres et d’appareil de guerre, se partirent d’Orléans pour mettre le siége devant quelques places angloises. Tenans leur voye droit à Baugency, ils s’arrestèrent devant le pont de Meun, que Anglois avoient fortifié et fort garny, et tantost à leur venue, fut prins par assault et garny de bonnes gens. Et ce fait, François n’arrestèrent point ; mais pensans que les sires de Tallebot et de Scales se fussent retrais, ils allèrent devant Baugency. Pour la venue desquels Anglois abandonnèrent la ville, et se retrairent sur le pont et au chasteau. Adoncques François entrèrent dedans ladicte ville et assiégèrent le pont et le chasteau par devers Beausse ; si dressèrent et assortirent là canons et bombardes dont ils battirent fort ledict chasteau217.

★ Le comte de Richemont, connestable de France, vint en cestuy siége, à grand chevalerie ; et avec luy estoient le comte de Perdriac, Jacques de Dinan, frère du seigneur de Chasteaubriant, le seigneur de Beaumanoir, et autres. Et d’autant que ledict connestable estoit en l’indignation du roy, et à ceste cause tenu pour suspect, il se mist218 en toute humilité devant ladicte Pucelle, luy suppliant que, comme le roy luy eust donné puissance de pardonner et remettre toutes offenses commises et perpétrées contre luy et son authorité, et que, pour aucuns sinistres rapports, le roy eust conceu hayne et mal talent contre luy, en telle manière qu’il avoit faict faire deffense, par ses lettres, 241que aucun recueil, faveur ou passage ne luy fussent donnez pour venir en son armée : la Pucelle le voulust, de sa grace, recevoir pour le roy au service de sa couronne, pour y employer son corps, sa puissance et toute sa seigneurie, en luy pardonnant toute offense. Et à celle heure estoient illec le duc d’Alençon et tous les haults seigneurs de l’ost, qui en requirent la Pucelle ; laquelle leur octroya, parmy ce qu’elle receut en leur présence le serment dudict connestable, de loyalement servir le roy, sans jamais faire ny dire chose qui luy doibve tourner à desplaisance. Et à ceste promesse tenir ferme, sans l’enfraindre, et estre contraincts par le roy si ledict connestable estoit trouvé defaillant219, lesdicts seigneurs s’obligèrent à la Pucelle par lettres sellées de leurs seaulx.

★ Si fut alors ordonné que le connestable mettroit siége du costé de Soulongne, devant le pont de Baugency. Mais le vendredy, dix-septiesme jour du mois de juin, le baillif d’Évreux, qui estoit dedans Baugency, fist requerir à la Pucelle traicté, qui fut faict et accordé entour minuit, en telle manière qu’ils ren droient au roy de France, entre les mains du duc d’Alençon et de la Pucelle220, le pont et le chasteau, leurs vies sauves, l’endemain à heure de soleil levant, et sans emporter ny mener, fors leurs chevaux et harnois, avec aucuns de leurs meubles montans pour chascun à un marc d’argent seulement, et qu’ils s’en pourroient 242franchement aller es pays de leur party ; mais ils ne se debvoient armer jusques après dix jours passés. Et en ceste manière se departirent Anglois qui estoient bien nombrez à cinq cens combatans, qui rendirent le pont et le chastel, le sabmedy, dix-huictiesme jour de juin mille quatre cent vingt-neuf.

★ En la ville de Meun, entrèrent une nuictée les sires de Tallebot, de Scales et Fastot, qui ne peurent avoir entrée au chastel de Baugency, par l’empeschement du siége. Et eux cuidans faire désemparer le siége, ils assaillirent, la nuict de la composition, le pont de Meun ; mais ledict dix-huictiesme jour de juin, tantost que Anglois furent departis de Baugency, vint l’avantgarde des François devant Meun, et incontinent toute leur puissance en batailles très bien ordonnées. Alors Anglois cessèrent l’assault du pont ; si issirent aux champs à toute leur puissance, et se misrent en batailles, tant à pied comme à cheval. Mais ils se commencèrent à retraire tout soubdain, delaissans Meun avec leurs vivres et habillemens, et prindrent leur chemin par la Beausse, du costé par devers Patay. Si partirent hastivement le duc d’Alençon, la Pucelle, le comte de Vendosme, le connestable de France, le sire de Saincte-Sevère et de Boussac, mareschal, messire Louys de Culant, admiral de France, le sire d’Albret, le sire de Laval, le sire de Lohéac, le sire de Chauvigny, et autres grans seigneurs, qui chevauchèrent en batailles ordonnées, et poursuivirent tant asprement les Anglois, qu’ils les aconsuirent près Patay, au lieu dict Coynces221.

243Et lors le duc d’Alençon dist à la Pucelle : Jeanne, voilà les Anglois en bataille, combatrons-nous ? Et elle demanda audict duc : Avez vous vos esperons ? Lors le duc luy dist : Comment dà, nous en fauldra il retirer, ou fuir ? Et elle dist : Nenny, en nom Dieu, allez sur eulx, car ils s’enfuiront, et n’arresteront point, et seront desconfits, sans guères de perte de vos gens ; et pour ce fault il vos esperons pour les suivre222.

Si furent ordonnez coureurs, par manière d’avant garde, le seigneur de Beaumanoir, Poton et La Hire, messire Ambroise de Loré, Thiebault de Termes, et plusieurs autres.

★ Lesquels embesongnèrent tant les Anglois223, qu’ils ne peurent plus entendre à eux ordonner, et mettre en bataille. Si s’assemblèrent contre eux les François en bataille, tant que les Anglois furent desconfits en peu d’heure, dont l’occision fut nombrée sur le champ par les héraults d’Angleterre, à plus de deux mille deux cent Anglois. En ceste bataille, qui fut le dix-huictiesme jour de juin mille quatre cent vingt-neuf, furent prins les seigneurs de Tallebot et de Scales, messire Thomas Rameston, et Hougue Foie224, avec plusieurs chefs de guerre, et autres nobles du pays d’Angleterre ; et furent bien nombrez en tout à cinq mille hommes. Si commença la chasse 244des fuyans, et fut poursuivie jusques près des portes d’Yenville ; en laquelle chasse plusieurs Anglois furent occis. Les bonnes gens d’Yenville fermèrent leurs portes contre les Anglois qui fuyoient, et montèrent sur la muraille à leurs deffenses. Pour lors estoit au chastel, à peu de compaignée, un escuyer anglois, lieutenant du capitaine, qui avoit le chastel en garde ; lequel, congnoissant la desconfiture des Anglois, | traicta avec les bonnes gens de rendre ledict chasteau, sa vie saulve, et fist serment d’estre bon et loyal François : à quoy ils le receurent. Il demeura grand avoir en icelle ville qui y avoit esté laissé par les Anglois à leur partir, pour aller à la bataille, avec grand quantité de traict, de canons, et autres habillemens de guerre, de vivres et marchandises. Et tantost ceux de ladicte ville d’Yenville se réduirent en l’obéissance du roy.

★ Après la fuite des Anglois, les François entrèrent dedans Meun, et pillèrent toute la ville ; et s’enfuit messire Jehan Fastot225 et autres, jusques à Corbueil. Quand Anglois, qui estoient en plusieurs autres places au pays de Beausse, comme à Mont-Pipeau, Saint Symon, et autres forteresses, ouyrent nouvelles de ceste desconfiture, ils prindrent hastivement la fuite, et boutèrent le feu dedans. Après lesquelles glorieuses victoires et recouvrement de villes et chasteaux, toute l’armée retourna dedans Orléans, ledict dix-huictiesme jour de juin, où ils furent receus à grand joye par les gens d’église, bourgeois et commun peuple, 245qui en rendirent graces et louanges à Dieu. Les gens d’église226 et bourgeois d’Orléans cuidèrent bien que le roy deust là venir, pour lequel recepvoir, ils feirent tendre les rues à ciel, et grand appareil voulurent faire pour l’honorer à sa joyeuse venue. Mais il se tint dedans Sully, sans venir à Orléans : dont aucuns qui estoient entour le roy ne furent mie contents. Et atant demeura la chose à celle fois : par quoy la Pucelle alla devers le roy et fist tant, que le vingt-deuxiesme jour de juin, iceluy an, il vint au Chasteau-Neuf sur Loire, auquel lieu se tirèrent par devers luy, les seigneurs et chefs de guerre. Et là tint aucuns conseils, après lesquels il retourna à Sully. Et à Orléans la Pucelle vint, et fist tirer par devers le roy tous les gens d’armes avec habillemens, vivres et charroy. Après se partit la Pucelle d’Orléans et alla à Gien, où le roy vint à puissance, et manda par héraults aux capitaines et autres qui tenoient les villes et forteresses de Bonny, Cosne et La Charité, qu’ils se rendissent en son obéissance : dont ils furent refusans.

★ Le comte de Richemont, connestable de France, séjourna par aucuns jours, après la bataille, en la ville de Baugency, attendant response du duc Jean d’Alençon, de la Pucelle et des haults seigneurs qui s’estoient portez forts d’appaiser le roy et luy faire pardonner son mal talent. A quoy ils ne peurent parvenir ; et le roy ne voulut souffrir qu’il allast par devers luy, pour le servir : dont il fut en grand desplaisance. 246Néantmoins ledict connestable, qui avoit grand compaignée de nobles, desirant nettoyer le pays du duc d’Orléans, voulut mettre le siége devant Marchenoy, près Blois, qui fut garny de Bourguignons et d’Anglois. Lesquels de ce ouyrent nouvelles, et doubtans le siége, se tirèrent, soubs saulfconduit, à Orléans, par devers le duc d’Alençon qui estoit là pour le temps. Si traictèrent tant lesdicts Bourguignons, que parmy leur faisant pardonner par le roy toutes offenses, et leur donnant dix jours de terme pour emporter leurs biens, ils seroient et demeureroient à tousjours bons et loyaux François. Et ainsi le jurèrent ; et donnèrent aucuns hostages ès mains du duc d’Alençon, qui fist sçavoir ceste chose au connestable, lequel s’en partit à tant ; mais après son partement, les Bourguignons dudict Marchenoy firent tant, qu’ils prindrent et retindrent prisonniers aucuns des gens dudict duc d’Alençon, pour recouvrer leurs hostages ; et ainsi faulsèrent leurs sermens.

★ Durans ces choses, le roy alla en la ville de Gyen ; lequel envoya messire Louys de Culant, son admiral, devant Bonny, à tout grand gent ; et le dimanche après la Saint-Jean mille quatre cent vingt-neuf, celle place luy fut rendue par composition. Et pour ce que la Pucelle fut desirant, avant que le roy employast sa puissance à recouvrer ses villes et chasteaux, de le mener tout droict à Reims, pour là estre couronné et recepvoir la saincte onction royale (à quoy aucuns estoient de contraire opinion, tendans à ce que le roy assiégeast premièrement Cosne et La Charité, pour nettoyer les pays de Berry, d’Orléans et du fleuve de Loire) : il tint sur ces choses de grans conseils à Gyen, 247pendant lesquels la royne fut illec amenée, en espérance d’estre menée couronner à Reims avec le roy. Et eux séjournans illec, les barons et haults seigneurs de plusieurs contrées du royaume vindrent au service du roy à grand puissance. Si en la fin le roy delibéra en son conseil de renvoyer la royne à Bourges, et qu’il prendroit son chemin droict à Reims, pour recepvoir son sacre, sans mettre aucuns siéges sur Loire. Donc retourna la royne à Bourges, et le roy se partit de Gyen, le jour Sainct-Pierre, au mois de juin mille quatre ccnt vingt-neuf, à toute sa puissance, tenant sa voye droict à Reims227.

Et ce, par l’instigation et pourchas de Jeanne la Pucelle, disant que c’estoit la volonté de Dieu qu’il 248allast à Reims se faire couromner et sacrer ; et que, combien qu’il fust roy, toutesfois ledict couronnement luy estoit nécessaire. Et combien que plusieurs, et le roy mesmes, de ce feissent difficulté, veu que ladicte cité de Reims, et toutes les villes et forteresses de Picardie, Champaigne, l’Isle de France, Brye, Gastinois, l’Auxerrois, Bourgongne, et tout le pays d’entre la rivière de Loire et la mer, estoit occupé par les Anglois, toutesfois le roy s’arresta au conseil de ladicte Pucelle, et delibéra de l’exécuter. Si feit son assemblée à Gyen sur Loire ; et vindrent en sa compaignée les ducs d’Alençon, de Bourbon, le comte de Vendosme, ladicte Pucelle, le seigneur de Laval, les sires de Lohéac, de La Trimoille, de Rays, d’Albret. Et plusieurs autres seigneurs, capitaines et gens d’armes venoient encore de toutes parts au service du roy ; et plusieurs gentilshommes, non ayans de quoy eux armer et monter, y alloient comme archers et coustillers, montez sur petits chevaulx ; car chascun avoit grand attente que par le moyen d’icelle Jehanne il adviendroit beaucoup de biens au royaume de France ; si desiroient et convoitoient à la servir, et congnoistre ses faits, comme une chose venue de par de Dieu228.

Elle chevauchoit tousjours armée de toutes pièces, et en habillement de guerre, autant ou plus que capitaine de guerre qui y fust ; et quand on parloit de guerre, ou qu’il failloit mettre gens en ordonnance, il la faisoit bel ouyr et veoir faire les diligences ; et si on crioit aucunes fois à l’arme, elle estoit la plus diligente et première, fust à pied ou à cheval ; et estoit 249une très grand admiration aux capitaines et gens de guerre, de l’entendement qu’elle avoit en ces choses, veu que en autres elle estoit la plus simple villageoise que on veid oncques. Elle estoit très dévote, se confessoit souvent, et recepvoit le précieux corps de Jésus-Christ ; estoit de très belle vie et honneste conversation229.

En ce temps, le seigneur de La Trimouille estoit en grand crédit auprès du roy ; mais il se doubtoit tousjours d’estre mis hors de gouvernement, et craingnoit spécialement le connestable et autres ses alliez et serviteurs. Par quoy, combien que ledict connestable eust bien douze cent combatans et gens de faict, et si avoit autres seigneurs, lesquels fussent volontiers venus au service du roy : ledict de La Trimouille ne le vouloit souffrir ; et si n’y avoit personne qui en eust osé parler contre iceluy de La Trimouille. Audit lieu de Gyen sur Loire, fut faict un payement aux gens de guerre de trois francs pour homme d’armes, qui estoit peu de chose ; puis s’en partit la Pucelle, ayant plusieurs capitaines de gens d’armes en sa compaignée, avec leurs gens, et s’en allèrent loger à environ quatre lieues de Gyen, tirant le chemin vers Auxerre ; et le roy partit le lendemain en prenant le mesme chemin. Et le jour dudict partement du roy, se trouvèrent tous ses gens ensemble, qui estoit une belle compaignée ; et vint loger avec son ost devant ladicte cité d’Auxerre, laquelle ne fist pas plaine obéissance ; car ils vindrent devers le roy luy prier et requerir qu’il voulust passer oultre, en demandant et requerant abstinence de 250guerre ; laquelle chose leur fut octroyée par le moyen et la requeste dudict de La Trimouille, qui en eut deux mille escus : dont plusieurs seigneurs et capitaines furent très mal contens d’iceluy de La Trimouille et du conseil du roy, et mesmement la Pucelle, à laquelle il sembloit qu’on l’eust eue bien aisément d’assault. Toutesfois ceux de la ville baillèrent et delivrèrent vivres aux gens de l’ost du roy, lesquels en estoient en grand nécessité230.

Ladicte Pucelle avoit de coustume que aussitost qu’elle venoit en un village, elle s’en alloit à l’église faire ses oraisons, et faisoit chanter aux prestres une antienne de Nostre-Dame. Si faisoit ses prières et oraisons, et puis s’en alloit en son logis, lequel estoit communément ordonné pour elle en la plus honneste maison qu’on pouvoit trouver, et où y avoit quelque femme honneste. Oncques homme ne la veid baigner ny se purger, et le faisoit tousjours secrètement ; et si le cas advenoit qu’elle logeast aux champs avec les gens de guerre, jamais ne se désarmoit. Il y eut plusieurs, mesme de grans seigneurs, delibérez de sçavoir si ils pourroient avoir sa compaignée charnelle ; et pour ce, venoient devant elle gentement habillez ; mais aussi tost qu’ils la voyoient, toute volonté leur cessoit ; et quand on luy demandoit pourquoy elle estoit en habit d’homme, et qu’elle chevauchoit en armes, elle respondoit qu’ainsi luy estoit il ordonné, et que principalement c’estoit pour garder sa chasteté plus aiséement ; aussi que c’eust esté trop estrange chose de la 251veoir chevaucher en habit de femme entre tant de gens d’armes. Et quand gens lettrez parloient à elle sur ces matières, elle leur respondoit tellement, qu’ils estoient très contens, disans qu’ils ne faisoient doubte qu’elle estoit venue de par Dieu231.

Après ce que le roy eut esté logé devant ladicte ville d’Auxerre trois jours, il se partit avec son ost, en tirant vers la ville de Sainct-Florentin, où ceux de la ville luy feirent plainière obéissance. Et là n’arresta guères, mais s’en vint avec son ost devant la cité de Troyes, qui estoit grande et grosse ville ; et y avoit dedans de cinq à six cent combatans anglois et bourguignons, lesquels saillirent vaillamment à l’arrivée des gens du roy ; et y eut dure et aspre escarmousche, où il y en eut de ruez par terre d’un costé et d’autre, car les gens du roy les receurent fort bien, et furent contraints lesdicts Anglois de se retirer en ladicte cité, etc., etc.232.

Les gens de la ville sceurent et aperceurent les préparations que on faisoit ; et sur ce, considérèrent que c’estoit leur souverain seigneur ; et aucunes simples gens disoient qu’ils avoient veu autour de l’estendart de ladicte Pucelle une infinité de papillons blancs. Et comme meus soubdainement d’une bonne volonté inspirée de Dieu, congnoissans aussi les choses merveilleuses que ceste Pucelle avoit faictes à lever le 252siége d’Orléans, delibérèrent que on parlementeroit avec le roy, pour sçavoir quel traicté ils pourroient avoir. Et les gens de guerre mesmes, ennemis du roy, estans dedans la ville, le conseillèrent. Et de faict, l’évesque et les bourgeois de la ville et des gens de guerre en bien grand nombre, vindrent devers le roy, et prindrent finablement composition et traicté, c’est à savoir que les gens de guerre s’en iroient, eux et leurs biens, et ceux de la ville demeureroient en l’obéissance du roy, et luy rendroient ladicte ville, parmy qu’ils eurent abolition générale ; et au regard des gens d’église qui avoient régales et collations de bénéfices du roy son père, il approuva les collations ; et ceux qui les avoient du roy Henry d’Angleterre, prindrent lettres du roy ; et voulut qu’ils eussent les bénéfices, quelques collations qu’il en eust faict à autres233.

Ceux de la ville feirent grand feste et grand joye, et ceux de l’ost eurent vivres à leur plaisir. Et le matin s’en partirent presque toute la garnison, tant Anglois que Bourguignons, tirans là où ils voulurent aller. Et combien que, par le traicté, ils maintinssent qu’ils pouvoient enmener leurs prisonniers, et de faict les emmenoient, mais icelle Jeanne se tint à la porte en disant que, en nom de Dieu, ils ne les emmeneroient pas ; et de faict les en garda. Et le roy contenta aucunement lesdicts Anglois et Bourguignons des finances auxquelles lesdicts prisonniers estoient mis ; puis y entra le roy environ neuf heures du matin. Mais 253premièrement y estoit entrée ladicte Jeanne, et avoit ordonné des gens de traict à pied au long des rues. Et avec le roy entrèrent à cheval les seigneurs et capitaines, bien habillezjet montez, et les faisoit très beau voir. Si mist en ladicte ville capitaine et officiers, et fut ordonné par le roy que le seigneur de Loré demeu reroit aux champs avec les gens de guerre de l’ost. Et le lendemain tous passèrent par ladicte cité en belle ordonnance : dont ceux de la ville estoient bien joyeux ; et feirent serment au roy d’estre bons et loyaux, et tels se sont ils toujours monstrez depuis234.

254L’abréviateur du procès

En suivant la génération des chroniques issues du récit de Jean Chartier combiné avec d’autres sources, on arrive à un ouvrage qui fut écrit vers l’an 1500 par ordre de Louis XII, à l’instigation de l’amiral Louis Malet de Graville. C’est une histoire de Jeanne d’Arc à la suite de laquelle est mis un abrégé des deux procès. Celui de 1431 y est rapporté plus au long ; l’auteur en a reproduit tous les interrogatoires ; mais effrayé du volume que faisaient les pièces de la réhabilitation, il s’est borné à indiquer sommairement le contenu des principales ; ce dont du reste il se justifie en ces termes :

Et fault icy entendre que ledit procez seroit trop long et ennuyeulx, qui vouldroit escripre tout ce qu’il contient, c’est assavoir les actes d’iceluy, les informacions et depposicions des tesmoings, articles et raisons, qui sont de si longue déduction que je l’ay voulu abréger et escripre le plus sommairement qu’il m’a esté possible, pour monstrer seullement la nullité, faulseté et desloyaulté dudit procez faict par lesditz esvesque, inquisiteur et leurs adhérens.

Après cela il ne tarde guère d’arriver à la sentence définitive qu’il a traduite intégralement ; puis il donne les noms des juges appelés pour la révision, tels qu’on les trouve dans le premier acte de la rédaction du manuscrit de Durfé (voyez t. III, p. 372). Enfin il conclut ainsi :

Ces procez brefz et sommaires, tant de condempnacion que de l’absollucion, sont extraictz de trois livres qui ne conviennent pas tousjours ensemble ; et pour ce, je pry à ceulx qui le lyront qu’il leur plaise me supporter se il leur semble que il y ait aulcune erreur ou faulte, en ayant regard à la diversité desdites euvres dont procèdent les faultes, se aulcunes en y a.

Jamais on n’a imprimé entièrement cet ouvrage, qui n’a pas de titre et dont l’auteur est inconnu ; mais à diverses époques des fragments plus ou moins longs en ont été mis au jour. Ainsi c’est 255de là que vient une relation qui fait suite à l’Histoire et Chronique de Normandie, imprimée à Rouen en 1581. Elle a pour intitulé :

Ensuit le livre de la Pucelle natifve de Lorraine qui réduit France entre les mains du roy ; ensemble le jugement, et comme elle fut bruslée au Vieil Marché à Rouen.

Plus tard Robert Hotot emprunta à l’Abréviateur, pour les placer en tête de son édition du Journal du Siège (Orléans 1621), toute l’histoire de Jeanne d’Arc avec les préliminaires du procès de condamnation mis en français : documents qu’il donna comme

extraits d’un ancien livre escrit à la main, et curieusement, contenant le procès de Jehanne d’Arc, dicte la Pucelle d’Orléans, auquel livre y a quelques feuillets rompus, tellement que le commencement défaut.

Effectivement l’extrait de Robert Hotot commence par une queue de phrase au milieu d’un morceau qui servait de prologue à tout l’ouvrage. Enfin en 1827 M. Buchon, dans sa Collection des Chroniques nationales (t. IX), imprima d’après un manuscrit d’Orléans et sous le titre de Chronique et procès de la Pucelle d’Orléans, l’ouvrage en question, moins le fragment de prologue donné par Hotot, moins aussi l’abrégé de la réhabilitation qui le termine.

Le manuscrit d’Orléans, où j’ai puisé moi-même toutes mes notions sur le travail de l’Abréviateur, est un volume en papier écrit du temps de François Ier. Il appartenait avant la Révolution au Chapitre de la cathédrale ; aujourd’hui il fait partie de la bibliothèque de la ville, catalogué sous le n° 411. M. Septier en a donné la notice dans son livre sur les manuscrits d’Orléans, et avant M. Septier, De l’Averdy en avait parlé d’après les renseignements fournis à M. de Breteuil par un savant Orléanais. Le premier feuillet a demi déchiré n’offre plus qu’un fragment de préface, absolument conforme à ce qu’a imprimé Robert Hotot ; preuve que c’est de ce même exemplaire que s’est servi l’éditeur de 1621.

La mutilation du manuscrit d’Orléans est regrettable. On peut croire que l’auteur se nommait dans la partie détruite du prologue. Le texte ne fournit rien qui y supplée ; seulement on peut inférer que cet auteur était ecclésiastique, d’après un passage où, parlant de Gerson, il l’appelle notre maître. Son abrégé des deux procès est tiré des documents connus, c’est-à-dire des instruments authentiques et du manuscrit de Durfé. Ce sont là les trois livres ne convenans 256pas ensemble, sur le désaccord desquels il prétend rejeter toutes les fautes par lui commises. Un chanoine d’Orléans, mort depuis peu d’années, M. Dubois, prenant ces expressions à la lettre, a cru pouvoir démontrer que l’Abréviateur avait eu à sa disposition des documents judiciaires perdus aujourd’hui, et entre autres la minute française des interrogatoires de Jeanne d’Arc. La dissertation où il cherche à établir ce point, a été publiée par M. Buchon, au lieu indiqué. Cette opinion n’est pas soutenable. Elle est en contradiction formelle avec le témoignage de l’auteur lui-même déclarant son abrégé traduit du latin, dans une rubrique qu’on trouvera rapportée ci-après. D’un autre côté M. Dubois a le désavantage, dans sa dissertation, d’avoir raisonné tout le temps contre les originaux du procès, sans les connaître.

Pour ce qui est de la partie narrative de la vie de Jeanne d’Arc, l’Abréviateur l’a faite avec Jean Chartier, avec une autre mauvaise chronique de France, écrite pour Charles VIII encore dauphin, et qui est elle-même un abrégé de Chartier assaisonné d’erreurs (il y en a un exemplaire manuscrit à la Bibliothèque royale, n° 10299, français) ; enfin avec une troisième chronique bien authentique, dit-il, laquelle il n’avait pas vue lui-même, mais dont de grands personnages lui avaient rapporté le contenu relativement au secret révélé par la Pucelle à Charles VII.

De cette compilation formée de tant d’éléments hétérogènes, il suffira d’extraire ici les passages qui ne sont pas la répétition des documents antérieurs que l’on connaît déjà.

[Fragment du prologue de l’auteur.]

[…] en la ville de Rouen pour ses démérites, je leur respons qu’elle fut condempnée et exécutée, mais ce fut iniquement et par envie, ainsy qu’il est monstré clerement par le procès desdites condempnacion, et mesmes de son absolucion, lequel j’ay voulu cy apprez metre par escript, par lequel on pourra veoir clerement, comme faulcement, iniquement, par envye, et non par justice, elle fut condempnée et exécutée. Lequel 257procez j’ai extraict par le commandement du roy Loys XIIe de ce nom, et de monseigneur de Graville, admiral de France. Je pry à ceulx qui le vouldront lyre, que, se ilz y trouvent quelque faulte ou erreur, il leur plaise supporter, et pardonner à l’escripvain.

[Introduction au récit.]

Aprez que j’ay veu et leu toutes les croniques qu’on appelle les Croniques de France, de Froissart, de Monstrelet, de Guaguin et autres croniques escriptes par plusieurs personnes, et j’ay regardé et bien considéré tous les merveilleux cas advenus audit royaume, despuis le temps Marcomire et Pharamon, fils du premier roy de France, jusques à présent : je n’ay point trouvé de si singulier et merveilleux cas, ne plus digne d’estre mis en escript pour demeurer en mémoire perpétuelle des François, affin que les roys de France, les princes et les seigneurs, les nobles et tout le peuple dudit pays puissent entendre et recongnoistre la singulière grace que Dieu leur fist, de les préserver de cheoir et tomber en la subjection et servitude des anciens ennemis de France, les Anglois.

[Secret révélé à Charles VII par la Pucelle.]

Combien que ès croniques que j’ai veues ne soit faict mention d’une chose que, longtemps a, j’oys dire et révéler, non pas en une fois seulement, mais plusieurs, à grans personnages de France, qui disoient l’avoir veu en cronique bien autentique ; laquelle chose rédigée par escript dès lors, tant pour l’autorité et réputation de celui qui la disoit que pour ce qu’il me sembla que chose estoit digne de mémoire, je l’ay bien voulu ici mectre par escript.

258C’est que, après que le roy eust ouy ladicte Pucelle, il fut conseillé par son confesseur, ou autres, de parler en secret et luy demander en secret s’il pourroit croire certainement que Dieu l’avoit envoyée devers luy, affin qu’il se peust mieulx fier à elle, et adjouster foyen ses paroles : ce que ledit seigneur fist. A quoy elle respon dit : Sire, se je vous dis des choses si secrettes qu’il n’y a que Dieu et vous qui les sachés, croirez vous bien que je suis envoyée de par Dieu ? Le roy respond que la Pucelle luy demande. Sire, n’avez-vous pas bien mémoire que le jour de la Toussaint dernière, vous estant en la chapelle du chasteau de Loches, en vostre oratoire, tout seul, vous feistes trois requestes à Dieu ? Le roy respondit qu’il estoit bien mémoratif de luy avoir fait aucunes requestes. Et alors la Pucelle luy demanda se jamais il avoit dict et revélé lesdictes requestes à son confesseur ne à autres. Le roy dist que non. Et se je vous dis les trois requestes que luy feistes, croirez vous bien en mes paroles ? Le roy respondit que ouy. Adonc la Pucelle luy dist : Sire, la première requeste que vous feistes à Dieu fut que vous priastes que, se vous n’estiez vray héritier du royaume de France, que ce fust son plaisir vous oster le courage de le poursuivre, affin que vous ne fussiez plus cause de faire, et soustenir la guerre dont procède tant de maulx, pour recouvrer ledit royaulme. La seconde fut que vous luy priastes que, se les grans adversitez et tribulations que le pouvre peuple de France souffroit et avoit souffert si longtemps, procédoient de vostre peché et que vous en fussiez cause : que ce fust son plaisir en relever le peuple, et que vous seul en fussiez 259pugny et portassiez la pénitence, soit par mort ou autre telle peine qu’il luy plairoit. La tierce fut que, se le peché du peuple estoit cause desdictes adversitez, que ce fust son plaisir pardonner audit peuple et appaiser son ire, et mectre le royaulme hors des tribulations ès quelles il estoit, jà avoit douze ans et plus. Le roy congnoissant qu’elle disoit vérité, adjousta foy en ses paroles et creut qu’elle estoit venue de par Dieu, et eut grand espérance qu’elle luy ayderoit à recouvrer son royaulme ; et se delibéra soy ayder d’elle, et croire son conseil en toutes ses affaires.

[Prise de la Pucelle et préliminaires de son procès.]

La solempnité dessusdicte [celle du sacre] parfaicte, et le serment de fidélité fait par les habitans dudit lieu de Reims, le roy, par le conseil de ladicte Pucelle, se deslogea et print son chemin à Velly, auquel il fut bien voulentiers receu et obéy, et pareillement à Soissons ; et de là s’en alla par le pays de Brye, où il recouvra aulcunes places qui estoient ès mains de ses ennemis. Et eut tousjours bonne issue de toutes les entreprinses qu’il fist par le conseil de la Pucelle. Desquelles entreprinses et faictz d’icelle, je me passeray d’en escrire plus avant, pour ce que tout est escript bien au long ès croniques dont j’ay parlé ; et ce que j’en ay récité n’est que pour donner à congnoistre les grans biens qu’elle a faictz en France, qui est chose admirable et digne de mémoire.

Et combien qu’on ne sçauroit assez manifester et célébrer lesdictz faicts, toutesfois n’a esté ne est mon intention de les réciter au long ne par le menu, mais veux seulement escripre comment elle fut prinse devant 260Compiègne, et depuis menée à Rouen ; ouquel lieu, à la grand poursuite des Anglois, ses ennemis mortelz, son procès fut faict, par lequel elle fut faulsement et iniquement condampnée à estre bruslée, ainsi qu’il a esté trouvé depuis par le procès de son absolution, par lequel elle a esté déclairée innocente de tous les cas desquelz elle estoit accusée ; non obstant la détermination faicte par Messieurs de l’université de Paris, lesquelz, par flatterie et pour complaire au roy d’Angleterre, la declairèrent héréticque, contre l’opinion de deffunct nostre maistre Jehan Gerson, chancellier de Nostre-Dame de Paris, si savant et si sage, comme ses euvres le monstrent et en font le jugement. Laquelle opinion, avecques les raisons qui le meurent à estre contre l’opinion de ladicte université, sont escriptes cy après235 ; par lesquelles on pourra veoir où il y a plus d’apparence de vérité et de bon jugement.

Et pour retourner à mon propos à parler de ladicte Pucelle, de laquelle la renommée croissoit tous les jours, pour ce que les affaires du royaume venoient toutes à bonne fin, et ne failloit ledit seigneur de venir à chief de toutes les entreprinses qu’il faisoit par le conseil de ladicte Pucelle, aussi elle avoit l’honneur et la grace de tout ce qui se faisoit. Dont aulcuns seigneurs et capitaines, ainsi que je trouve par escript, conceurent grand hayne et envye contre elle : qui est chose vraisemblable et assez facile à croire, attendu ce qui advint assez tost après ; car, elle estant à Laigny-sur-Marne, fut advertie que le duc de Bourgoingne et 261grand nombre d’Anglois avoient mis le siége devant la ville de Compiègne, qui avoit, n’a pas long temps, esté réduicte en l’obéissance du roy ; et se partist avecques quelque nombre de gens d’armes qu’elle avoit avecques elle, pour aller secourir les assiégez dudit lieu de Compiègne. La venue de laquelle donna grant couraige à ceulx de ladicte ville.

Ung jour ou deux aprez sa venue, fut faicte une entreprinse par aulcuns de ceulx qui estoient dedans, de faire une saillie sur les ennemis. Et combien qu’elle ne fust d’opinion de faire ladicte saillie, ainsi que j’ay veu en quelques croniques, toutesfois, affin qu’elle ne fust notée de lascheté, elle voulut bien aller en la compaignée : dont il luy print mal ; car, ainsi que elle se combatoit vertueusement contre les ennemis, quel qu’un des François fist signe de retraicte ; par quoy chacun se hasta de soy retirer. Et elle, qui vouloit soustenir l’effort des ennemis, cependant que nos gens se retiroient, quand elle vint à la barrière, elle trouva si grand presse qu’elle ne peut entrer dedans ladicte barrière ; et là fut prinse par les gens de monseigneur Jehan de Luxembourg, qui estoit audit siége avecques mondit seigneur le duc de Bourgoingne. Aulcuns veu lent dire que quelqu’un des François fut cause de l’em peschement qu’elle ne se peust retirer : qui est chose facile à croire, car on ne trouve point qu’il y eut aulcun François, au moins homme de nom, prins ne blecié en ladicte barrière. Je ne veulx pas dire qu’il soit vray ; mais, quoy qu’il en soit, ce fut grand dommaige pour le roy et le royaulme, ainsi qu’on peut juger par les grans victoires et conquestz qui furent, en si peu de temps qu’elle fut avecques le roy.

262Ladicte Pucelle prinse par les gens dudit Luxembourg, en la manière que dict est, icellui de Luxembourg la fist mener au chasteau de Beauvois236, auquel lieu la fist garder bien songneusement de jour et de nuyt, pource qu’il doubtait qu’elle eschapast par art magique ou par quelque autre manière subtile.

Après ladicte prinse, le roy d’Angleterre et son conseil, craingnans que ladicte Pucelle eschapast en payant rançon ou autrement, fist toute diligence de la recouvrer. Et à ceste fin envoya plusieurs fois vers ledit duc de Bourgoingne et ledit Jehan de Luxembourg ; à quoy icellui de Luxembourg ne voulloit entendre, et ne la voulloit bailler à nulle fin : dont ledit roy d’Angleterre estoit bien mal content. Pour quoyassembla son conseil par plusieurs fois, pour adviser qu’il pourroit faire pour la recouvrer. Et en la fin fut conseillé mander l’évesque de Beauvais, auquel il fist remonstrer que ladicte Pucelle usoit d’art magique et diabolique, et qu’elle estoit héréticque ; qu’elle avoit esté prinse en son diocèse, et qu’elle y estoit prisonnière ; que c’estoit à luy à en avoir congnoissance et en faire la justice, et qu’il debvoit sommer et admonester ledit duc de Bourgongne et ledit de Luxembourg de luy rendre ladicte Pucelle pour faire son procès, ainsi qu’il est ordonné par disposition de droit aux prélatz faire le procès contre les héréticques, en luy offrant payer telle somme raisonnable qu’il sera trouvé qu’elle debvra payer pour sa rançon. Laquelle chose, après plusieurs remonstrances, ledit évesque accorda faire par conseil, s’il trouvoit qu’il le deust et peust faire. Et pour ce, se 263conseilla à Messieurs de l’université de Paris, qui furent d’opinion qu’il le pouvoit et debvoit faire. Et pour complaire au roy d’Angleterre, accordèrent audit évesque qu’ilz escriroient, de par l’université de Paris, à monseigneur Jehan de Luxembourg, qui tenoit la Pucelle prisonnière, qu’il la debvoit rendre pour faire son procès, et que s’il faisoit autrement, il ne se mons treroit pas bon catholique, et plusieurs autres remonstrances contenues ès dictes lectres, ainsi qu’il sera veu par le double d’icelles, qui est escript cy après. Quant ledit évesque eut oy le conseil et l’offre de ladicte université, il accordafaire ladicte sommation, qui fut mise par escript, de laquelle la teneur s’ensuit237.

Ladicte sommation et lectres escriptes et despeschées, l’évesque de Beauvais, nommé messire Pierre Cauchon, accompaigné d’ung homme qui portoit les lectres de l’université de Paris, et d’ung notaire apostolique, partist de Paris et s’en alla à Compiègne, où lesdictz duc de Bourgongne et de Luxembourg estoient au siége devant ledit Compiègne ; auquel dit duc ledit évesque présenta la cédulle de la sommation. Lequel duc, après qu’il l’eust receue, la bailla à monseigneur Nicolle Raoullin, son chancelier, qui estoit présent, et luy dist qu’il la baillast à monseigneur Jehan de Luxembourg et au seigneur de Beaurevoir238 : ce qu’il fist présentement ; car tous deux survindrent là. Laquelle cédulle ledit de Luxembourg receut et lut. Et 264aprez, luy furent présentées les lectres de l’université, qu’il leut pareillement, ainsi qu’il est contenu en l’instrument d’ung notaire apostolique nommé Triquelot, auquel est seulement fait mention de la cédulle de la sommation ; lequel instrument j’ay translaté de latin en françois239.

Après ladicte cédulle et lectres de l’université baillées et présentées, comme dit est, ledit évesque parla audit de Luxembourg. Et après plusieurs paroles, il fut appoincté que, en luy baillant une certaine somme d’argent, ladicte Pucelle luy seroit delivrée : ce qui fut fait trois ou quatre jours après. Laquelle Pucelle receue par ledit évesque, la mist entre les mains des Anglois, qui la menèrent à Rouen et la misrent dedans le chas teau dudit lieu, en une forte prison, bien enferrée, bien enfermée et bien gardée.

Certain bien brieftemps après, ledit évesque de Beauvais, sollicité par le roy d’Angleterre et les gens de son conseil, qui desiroient la mort de ladicte Pucelle, se transporta à Rouen ; au quel lieu il fist appeler tous les plus grans personnages et les plus clercs et lettrez, les advocatz et notaires, les noms desquelz sont icy aprez escripts. Et quant ilz furent assemblés, il leur dist et declaira comme le roy de France et d’Angleterre, leur souverain seigneur, avoit esté conseillé de par les seigneurs de son conseil et par l’université de Paris, de faire faire le procès d’icelle femme, nommée Jehanne, vulgairement appelée la Pucelle, laquelle est accusée de hérésie et d’art diabolique et de plusieurs autres crimes et maléfices ; et que, pour ce que ladicte 265femme avoit esté prinse et appréhendée en son diocèse, c’estoit à luy à faire son procès, auquel il vouloit besongner par leur conseil ; et leur pria assister avec luy pour y faire ce que sera trouvé par raison. Tous lesquelz respondirent qu’ilz estoient prestz à obéir au roy, et qu’ilz assisteroient voulentiers audit procès.

Le lendemain, pour ce que alors le siége archiépis copal estoit vacant, et que la jurisdiction estoit ès mains du chapitre de l’église de Rouen, ledit évesque se trouva audit chapitre, et dist au doyen et chanoines d’icelle église pareilles paroles qu’il avoit dictes le jour de devant ; mais, pour ce qu’il estoit hors de son diocèse, vouloit bien avoir congé et permission de besongner au territoire de l’archevesque de Rouen ; et leur pria luy permettre besongner audit territoire : ce qui luy fut accordé. Dont il demanda lectres : ce qui luy fut octroyé.

Ces préparatifs faictz pour commencer le procès, combien qu’on eust remonstré audit évesque, attendu que ledit procès se faisoit en matière de foy et par gens d’église, qu’on debvoit mectre ladicte Jehanne la Pucelle ès prisons de l’archevesque de Rouen, toutesfois, ce bon seigneur, voulant complaire au roy d’Angleterre et avoir la grace des Anglois, ne le voult faire ; mais la laissa aux prisons desditz Anglois, ses mortels ennemis. En quoy il commença à monstrer le vouloir qu’il avoit de faire bonne justice en ce procès, au quel luy et sa compaignée ne se monstrèrent pas moins affectez à faire mourir ladicte Pucelle, que Cayphe et Anne, et les scribes et pharisées se monstrèrent affectez à faire mourir Nostre-Seigneur, ainsi qu’on pourra clerement veoir en la déduction dudit procès, 266auquel y a plusieurs mensonges, ainsi que j’ay trouvé en deux livres èsquels est escript le procès de sa condampnation, où il y a plusieurs diversitez, espécialement en ses interrogations et en ses responses ; et aussi est bien prouvé par le procès de son absolution, que le procès de sa condampnation estoit falsifié en plusieurs lieux.

[Cy commence la déduction du procès]

Cy commence la déduction du procès faict par monseigneur Pierre Cauchon, évesque et conte de Beauvais, en matière de la foy, contre une femme nommée Jehanne, vulgairement appelée la Pucelle, translatée de latin en françois par le commandement du roy Loys, douziesme de ce nom, et à la prière de monseigneur l’admiral de France, seigneur de Graville.

Et premièrement, ledit évesque estant en la ville de Rouen l’an mil quatre cens trente, après l’Epiphanie, qui fut le douziesme jour du mois de janvier, feist appeler devant luy révérends pères et maistres, messeigneurs Gilles, abbé de Fescamp, docteur en théologie ; Nicolle, abbé de Jumièges, etc., etc. Tous lesquelz se comparurent, au mandement dudit évesque, en la chambre du conseil près le chasteau de Rouen. Lequel évesque leur exposa comment une femme nommée Jehanne, vulgairement appelée la Pucelle, avoit naguères esté prinse et apprehendée en son diocèse, etc., etc.240.

267Le miroir des femmes vertueuses

Mirouer des femmes vertueuses, ensemble la patience Griselidis par laquelle est demonstrée l’obedience des femmes vertueuses ; l’histoire admirable de Jehanne la Pucelle, native de Vaucouleur, laquelle par revelation divine et par grant miracle fut cause de expulser les Angloys tant de France, Normandie, que aultres lieux circonvoysins, ainsi que vous verrez par ladite histoire extraicte de plusieurs croniques de ce faisant mention ; nouvellement imprimé à Paris. (In-8°, gothique).

Tel est le titre d’un ouvrage que Lenglet Dufresnoy avait cherché en vain dans les cabinets des amateurs, et qui naguère encore était si rare, que le savant M. Brunet a douté de son existence. M. Silvestre l’a réimprimé en 1840, dans sa collection des livres rares gothiques, et depuis il a paru dans le format Charpentier (Nouvelle Bibliothèque bleue), par les soins de M. Le Roux de Lincy.

L’histoire de la Pucelle contenue dans ce petit livre, fut, à ce qu’il paraît, très-populaire du temps de Louis XII. Ce qu’elle offre de plus important est une anecdote sur la catastrophe de Compiègne, que l’auteur dit tenir de deux octogénaires de cette ville, interrogés par lui en 1498. Flavy, d’après ce témoignage, aurait vendu la Pucelle à Jean de Luxembourg. Il est évident que c’est là l’origine de ce que tous les historiens postérieurs, à commencer par Belleforest et Jean Bouchet, ont débité sur cette prétendue trahison. Nous nous en référons sur ce point à l’opinion émise dans notre préface.

Nous extrairons encore du même opuscule une version du secret révélé à Charles VII, qui s’éloigne peu de celle qu’on a rapportée ci-dessus, p. 257, ainsi que le récit de l’arrivée de la Pucelle à la cour : récit plein d’erreurs, et qui par cela même montrera avec quelle rapidité l’histoire de Jeanne d’Arc tournait à la légende, lorsque les sceptiques de la Renaissance vinrent la mettre en question.

268De Jehanne la Pucelle qui vint au roy de France durant le siége d’Orléans.

Incontinent après que le siége des Angloys fut assis au devant de la ville d’Orléans et durant celluy siége, messire Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleur en Lorraine, lors estant en l’ost du roy, se adressa une jeune pucelle dudit Vaucouleur, nommée Jehanne, aagée de XVIII ans, laquelle estoit grande et moult belle, et avoit esté toute sa vie bergiere.

Auquel capitaine elle luy dit et pria qu’il la présentast au roy de France, car Dieu luy avoit faict reveler par la Vierge Marie, et par madame saincte Katherine et madame saincte Agnès aulcunes choses bien singulières pour le recouvrement de son royaume ; lesquelles elle ne oseroit déclarer à aultre personne que au roy. Et de ce fut moult ennuyeusement prié, requis et pressé ce capitaine par la dessus dicte Pucelle ; lequel capitaine adjouxta quelque foy. Si en advertit le roy et les grans personnaiges qui autour de luy estoyent ; mais les ungz n’en vouloient faire compte, disans que c’estoit une reverie et que on ne y debvoit point prester l’oreille. Les aultres estoyent de contraire oppinion et disoyent que Dieu vouloit relever le pouvre royaume de France par le sens et la conduicte de celle que luy seul inspireroit par sus la conduicte des entendemens humains, en donnant à tous à entendre que par luy seul règnent tous roys et seigneurissent tous seigneurs. Toutesfoys, il fut advisé devant que passer plus avant que l’on envoye roit en diligence à Vaucouleur querir le père et la mère de ceste Pucelle ; ce que fut faict.

269Et quant ilz furent en court, ilz furent interroguez comment leur fille avoit vescu, de quel mestier, et comment leur fille avoit eu celle advision et que ce estoit. Ilz respondirent que elle estoit leur fille et que ilz l’avoyent habituée et mise de son jeune aage à garder leurs bestialz aux champs, et que depuis peu de jours, elle leur avoit dict par plusieurs foys, que la Vierge Marie, mère de Dieu, et aulcunes Saintes de paradis s’estoyent apparues à elle et souvent l’avoyent admonestée de se retirer par devers le roy de France, pour l’advertir d’aulcunes choses où il estoit très nécessaire d’y besongner diligemment affin de recouvrer son royaulme ; et que, pour ce faire, elle s’estoit partie d’avec eulx et estoit venue parler au capitaine de leur place, qui estoit en court, et s’estoit adressée à luy pour ce qu’elle l’avoit souventesfoys vu en leur pays. Et aultre chose ne leur dirent si non que leur fille s’estoit tousjours portée humble, sobre, chaste et dévote envers Dieu et le monde, en la povreté où ilz estoyent, en laquelle ilz l’avoyent nourrie et eslevée ; et n’estoit fine, cauteleuse, subtille ne jangleresse.

Après avoir esté les père et mère ouys parler de l’estat de leur fille, fut advisé qu’elle seroit interroguée par le confesseur du roy et par aulcuns docteurs et gens du grant conseil du roy, devant que permettre qu’elle parlast au roy.

Comment Jehanne fut interroguée par grans personnaiges et comment elle congneut le roy entre ses princes et des choses qu’elle luy dit.

Jehanne la Pucelle [fut] examinée et bien amplement interroguée par le conseil du roy, auquel elle dit et 270déclara les advisions et aparitions qui advenues luy avoyent esté, sans aulcunement leur reveler ce qu’elle avoit à dire au roy. Et fut gardée par aulcuns jours, et chascun jour elle estoit interroguée de plusieurs inter rogations divines et humaines ; mais finablement on la trouva si constante et si bien morigimée, qu’il fut advisé qu’on la feroit parler au roy. Si fut amenée en une salie où le roy estoit. Lequel elle congneut et aperceut entre les aultres seigneurs qui là estoient, combien qu’on luy cuidast faire entendre que quelque aultre de la compaignie estoit le roy ; mais elle disoit que non et monstra le roy au doyt, disant que c’estoit à luy qu’elle avoit à faire et mon à aultre : dont tous ceulx qui là estoyent furent esmerveillez.

Quant Jehanne la Pucelle eut apperceu le roy, elle se approcha de luy, et luy dist : Noble seigneur, Dieu le Créateur m’a faict commander par la Vierge Marie, sa mère, et par madame saincte Katherine et madame saincte Agnès, ainsi que j’estoys aux champs, gardant les aygneaulx de mon père, que je laissasse tout là et que en diligence je me retirasse par devers vous pour vous reveller les moyens par lesquelz vous parviendrés à estre roy couronné de la couronne de France, et mettrez vos adversaires hors de vostre royaulme. Et m’a esté commandé de Nostre-Seigneur que aultre personne que vous ne sache ce que je vous ay à dire.

Et quant elle eut ce dit et remonstré, le roy fist reculer au loing au bas d’icelle salle ceulx qui y estoyent, et à l’autre bout où il estoit assis, fist approcher la Pucelle de luy. Laquelle par l’espace d’ugne heure parla au roy, sans que aultre personne que 271eulx deux sceut ce qu’elle luy disoit. Et le roy larmoyoit moult tendrement : dont ses chambellans qui veoyent sa contenance, se voudrent approcher pour rompre le propos ; mais le roy leur faisoit signe qu’ilz se reculassent et la laissassent dire.

Quelles parolles ilz eurent ensemble, personne n’en a peu riens sçavoir ne congnoistre, si non que on dit que, après que la Pucelle fut morte, le roy, qui moult dolent en fut, dist et revela à quelqu’ung que elle luy avoit dit comment peu de jours paravant qu’elle venist à luy, luy estant par une nuyct couché au lict alorsque tous ceulx de sa chambre estoyent endormis, il silogisoit en sa pensée les grans affaires où il estoit ; et comme tout hors d’espérance du secours des hommes, se leva de son lict en sa chemise, et à costé de son lict, hors icelluy, se mist à nudz genoulx et les larmes aux yeulx et les mains joinctes, comme soy reputant miserable pecheur, indigne de adresser sa prière à Dieu, suplia à sa glorieuse Mère qui est royne de miséricorde et consolation des désolez, que, s’il estoit vray filz du roy de France et héritier de sa couronne, il pleust à la dame suplier son filz que il luy donnast ayde et secours contre ses ennemys mortelz et adversaires en manière que il les peust chasser hors de son royaulme et icelluy gouverner en paix ; et s’il n’estoit filz du roy et le royaulme ne luy appartenist, que le bon plaisir de Dieu fut luy donner patience et quelques possessions temporelles pour vivre honnorablement en ce monde. Et dit le roy que à ces parolles que portées luy furent par la Pucelle, il congneut bien que véritablement Dieu avoit revelé ce mistère à ceste jeune pucelle ; car ce qu’elle luy avoit 272dict estoit vray. Et jamais homme aultre que le roy n’en avoit riens sceu.

Comme elle fut vendue par le capitaine de Compiegne et des regretz qu’elle fist en l’église Sainct-Jacques dudict lieu.

L’an mil CCCCXXX, vers le commencement du moys de juing, messire Jehan de Luxembourg, les contes de Hantonne, d’Arondel, Angloys, et une moult grande compaignie de Bourguinons misrent le siege devant Compiegne. Et fut advisé par Guillaume de Flavy qui en estoit capitaine, que la Pucelle yroit en diligence par devers le roy pour recouvrer et assembler. gens affin de lever le siege ; mais celuy de Flavy avoit faict ceste ordonnance pour ce qu’il avoit jà vendu aux dessusdicts Bourguinons et Angloys la Pucelle. Et pour parvenir à ses fins, il la pressoit fort de sortir par l’une des portes de la ville, car le siege n’estoit pas devant icelle porte.

Ladicte Pucelle ung bien matin fist dire messe à Sainct-Jacques et se confessa et receut son Créateur, puis se retira près d’ung des pilliers d’icelle église, et dit à plusieurs gens de la ville qui là estoyent (et y avoit cent ou six vingts petis enfans qui moult desiroyent à la veoir) : Mes enfans et chers amys, je vous signifie que l’on m’a vendue et trahie, et que de brief seray livrée à mort. Si vous supplie que vous priez Dieu pour moy ; car jamais n’auray plus de puissance de faire service au roy ne au royaulme de France. Et ces parolles ay ouy à Compiegne, l’an mil quatre cens quatre vingtz et XVIII, au moys de juillet, à deux vieulx et anciens hommes de la ville de Compiegne, aagez, l’ung de IIIIxx XVIII ans, et l’aultre 273de IIIIxx VI ; lesquelz disoyent avoir esté présens en l’église de Sainct-Jacques de Compiegne alorsque la dessusdicte Pucelle prononça celles parolles.

Quant la Pucelle à compaignie de XXV ou XXX archers fut sortie hors de la ville de Compiegne, Flavy qui bien sçavoit l’ambusche, fit fermer les barrières et la porte de la ville. Et quant la Pucelle fut en ung quart de lieue, elle fut rencontrée par Lucembourg et aultres Bourguinons ; si les advisa plus puissans et s’en retourna à course, soy cuydant sauver dedans la ville ; mais le traistre de Flavy si luy avoit faict clorre les barrières et ne voulut luy faire ouvrir les portes. A celle cause fut la Pucelle par les Bourguinons à l’heure prinse aux barrières de Compiengne, et par eulx livrée aux Angloys, l’an dessus dict CCCC XXX au signe de Gemini, comme il appert par les lettres nombrables de ce petit verset :

nVnC CadIt In geMInIs bVrgVndo VICta pVeLLa.

Et pour ce que par la justice des hommes celuy de Flavy ne fut pugni de ce cas, Dieu le Créateur, qui ne voult delaisser ung tel cas impugni, permist depuis que la femme d’icelluy de Flavy, nommée Blanche d’Auurebruch241, qui moult belle damoyselle estoit, 274le suffoqua et estrangla par l’ayde d’ung sien barbier, alors qu’il estoit couché au lit en son chasteau de Neel en Tardenois : dont depuis en eut grâce du roy Charles septiesme, parce qu’elle prouva que son dessusdict mary avoit entreprins de la faire noyer.

Quant la Pucelle fut entre les mains de messire Jehan de Lucembourg, il la garda quelque peu de temps, et puis la vendit aux Angloys qui luy en donnèrent grant pris, et les Angloys la menèrent à Rouen où elle fut en prison et durement traictée.

Comment ladicte Jehanne fut injustement condamné à estre bruslée au marché de Rouen où est présentement l’église Sainct-Michel.

Les Angloys firent faire le procès de la Pucelle à Rouen et sous couleur de justice, sans toutesfoys que en elle ilz eussent trouvé vice, macule ne crime quelconques, mais pour ce que publiquement elle portoit habit d’homme (jaçoit ce qu’elle leur eust dit et declaré qu’elle le faisoit, affin que les hommes avec lesquelz luy estoit force de fréquenter pour les affaires du royaulme, ne prenissent en elle charnelles ne lubricques fantasies) : tout ce néantmoins ilz la firent par ung angloys, évesque de Beauvais, condampner et declarer hérétique ; et par leur juge seculier fut condampnée à estre bruslée au marché de Rouen où à présent est l’église de monseigneur Sainct-Michel242.

275Avant toutesfoys que luy prononcer sa sentence, fut derechef esprouvée et interroguée devant divers juges en plusieurs consistoyres, enquerans plusieurs choses touchant la foy et loy de Jésu-Christ ; car ilz cuidoyent que Charles, roy de France, eust prins celle femme instruicte par art magique, et pour tant, qu’il eust erré en la foy catholique : par quoy le tenoyent indigne de tenir le royaulme. Et combien qu’ilz n’y eussent trouvé que toute saincteté et vie chrestienne, néantmoins plusieurs par flaterie, comme est la coustume de aulcuns, pour complaire aux Angloys ennemys, s’efforcèrent surmonter la Pucelle, tant par fallaces de sophisterie que aultrement ; combien qu’elle mist soy avec tout ce qu’elle avoit faict, et doncques ilz l’accusoyent, à l’examen du Sainct Siege apostolique : remonstrant que ilz ne debvoyent estre juges et parties. Toutesfoys tout ce ne luy vallut ne empescha qu’ilz ne parfeissent leur cruelle et injuste entreprinse ; car entour les tyrans ont tousjours esté maulvais conseilliers, qui par inique affection ou flaterie aveuglez, pour la grace des princes acquerir, ont procuré la condamnation des justes preudhommes et les ont faict pugnir comme pecheurs et malfaicteurs ; car à ce où ilz voyent le couraige des princes et tyrans enclins, par tous les moyens se appliquent à leur complaire.

Par ainsi mourut la Pucelle. Et fut celle sentence exécutée à la fin de may mil CCCC XXXI, comme il appert par les lettres nombrables de ce verset :

IgnIbVs oCCVbVIt geMInIs ILLVsa pVeLLa.

Et son corps fut réduict en cendres, qui depuis furent jectées au vent hors la ville de Rouen. Ne oncques 276puis les Angloys ne prospérèrent en France ; ains en furent dejectez, ensemble de tous les pays circonvoysins, à leur grant honte et confusion. Et est à présumer que ce fut par le juste jugement de Dieu, lequel me voulut, entre aultres iniquitez et pilleries par eulx commises, que le jugement par eulx ainsi faict de ladicte Pucelle demourast impugny ;

Car par expérience on voit,

Ce que on dict communement,

Que Dieu, vray juge, quant que soit,

Rend à chascun son payement.

277Pierre Sala

Quoique ayant vu le règne de François Ier, Pierre Sala peut encore passer pour un auteur contemporain à l’égard de Jeanne d’Arc. L’anecdote qu’il rapporte sur elle lui venait directement de Charles VII par M. de Boisy, chambellan de ce prince. Nous la plaçons ici parce qu’elle confirme ce qui est dit dans les chroniques précédentes relativement au secret révélé. Elle est tirée de l’ouvrage de Pierre Sala, qui a pour titre Hardiesses des grands Rois et Empereurs. Ce Sala, qui paraît avoir été le fils d’un illustre parlementaire du même nom, servit comme varlet Louis XI et Charles VIII, comme panetier le dauphin Orland, comme maître d’hôtel Louis XII. François Ier à son avènement l’ayant trouvé vieux et caduc, lui donna sa retraite et l’envoya finir tranquillement ses jours dans l’hôtel royal de l’Antiquaille, à Lyon. C’est là que Sala composa son livre des Hardiesses, qu’il offrit à son jeune bienfaiteur en 1516, lorsque celui-ci revenait vainqueur du Milanais. La Bibliothèque royale possède deux manuscrits de cet ouvrage, dont l’un est celui même qui servit à la présentation (n° 191 du Supplément français). Pour de plus amples renseignements sur ces manuscrits, recourir à la Bibliothèque de l’École des Chartes, t. II (première série), p. 281, et aux Manuscrits françois de la bibliothèque du roi, par M. P. Paris, t. V, p. 91.

Le récit de Pierre Sala sur la Pucelle est connu depuis longtemps. Colletet qui en tenait une copie du P. Jacob, l’envoya à Symphorien Guyon, alors occupé à écrire l’histoire d’Orléans. Symphorien Guyon s’empressa d’introduire dans son livre une si curieuse aventure, remerciant beaucoup Colletet, sans nommer le P. Jacob, qui s’en fâcha. C’est Niceron qui nous apprend cette anecdote dans ses Mémoires. Cent ans après, Lenglet Du fresnoy publia le texte même de Pierre Sala à la suite de son Histoire de Jeanne d’Arc (IIe partie, p. 149). Nous le donnons 278de nouveau, plus complet et d’après une leçon meilleure, celle du manuscrit 191 S. F.

Cela est chose notoire que, de tous temps, Nostre Seigneur n’a jamais abandonné ses bons roys à leur grant besoing. N’avez vous pas ouy cy devant des beaulx miracles qu’il fit pour le roy Clovis, qui fut le premier roy crestien, et conséquemment pour le roy Dagobert, pour Charles le Grant et pour plusieurs aultres roys ? Et de fresche mémoire, de celluy gentilroy CharlesVIIe, dont nous parlons, quant après qu’il fut mis si bas qu’il n’avoit plus où se retirer parmy son royaulme, sinon à Bourges et en quelque chasteau à l’environ, Nostre Seigneur lui envoya une simple pucelle, par le conseil de laquelle il fut remys en son entier et demeura roy paisible. Et pour ce que par adventure il seroit malaisé à entendre à aulcunes gens que le roy adjoustast foy aux parolles d’icelle, sachez qu’elle luy fit ung tel message de par Dieu, où elle luy déclara ung secret encloz dedans le cueur du roy, de tel sorte qu’il ne l’avoit de sa vie à nulle créature révelé, fors à Dieu en son oraison. Et pour ce, quant il ouyt les nouvelles que icelle Pucelle luy dist à part (qui ne pouvoit estre par elle sceu, sinon par inspiration divine), alors il mit toute sa conduitte et ressource entre ses mains ; et combien que le roy eust encores de bons et souffisans cappitaines pour déliberer du fait de sa guerre, si commenda il qu’on ne fist riens sans appeller la Pucelle. Et aulcunes foiz advenoit que l’oppinion d’elle estoit toute au contraire des cappitaines ; mais quoy qu’il en fust, s’ilz la croyoient, tousjours en prenoit bien ; et au contraire, quant ilz vouloient exécuter 279leur oppinion sans elle, mal en venoit. Mais vous me pourriez demander comme j’ay sceu ce que je vous die en présent, et je le vous voys compter.

Il est vray que environ l’an mil IIIIc IIIIxx j’estoye de la chambre du gentil roy Charles VIIIe, que l’on peult bien appeler Hardi, car bien le monstra à Fourneuf, en revenant de la conqueste de son royaulme de Napples, quant seullement accompaigné d’environ VIIm François il deffit LX mille Lombars, dont les ungs furent tuez et les aultres fouyrent. Ce gentil roy esposa madame Anne, duchesse de Bretaigne, et en eut ung beau filz, qui fut daulphin de Viennoys, nommé Charle Rollant, mé dedans le Plessis lez Tours ; et là mesmes fut nourry par le commandement du roy, sous le gouvernement d’un très noble antien chevalier, son chamberlant, nommé messire Guillaume Gouffier, seigneur de Boisy, qui fut par luy choysi entre tous ceulx du royaulme pour ung bon et loyal preudhomme. A ceste cause, il luy voulut remettre son filz entre les mains comme à celluy en qui moult il se fioit. Avecques ce noble chevalier furent mis le seigneur de La Selle-Guenault, deux maistres d’ostelz, ung médecin et moy, qui fus son pannetier ; et n’en y eut plus à ce commancement d’estat, fors les dames et XXIIII archiers pour sa garde.

Par léans, je suyvoie ce bon chevalier, monseigneur de Boisy, quant il s’esbatoit parmy le parc ; et tant l’aimoye pour ses grans vertus, que je ne me pouvoye de luy partir ; car de sa bouche ne sortoit que beaulx exemples où j’apprenoye moult de bien. Et me semble que si je sçay nul bien, que je le tiens de luy. Celuy me compta entre aultres choses le secret qui avoit esté entre le roy et la Pucelle ; et bien le pouvoit sçavoir, 280car il avoit esté en sa jeunesse très aymé de ce roy, tant qu’il ne voulut oncques souffrir coucher nul gentilhomme en son lit, fors luy. En ceste grande pri vaulté que je vous dis, lui compta le roy les parolles que la Pucelle lui avoit dictes, telles que vous orrez cy après.

Il est vray que du temps de la grande adversité de ce roy Charles VIIe, il se trouva si bas qu’il ne sçavoit plus que faire, et ne faisoit que pencer au remède de sa vie, car, comme je vous ay dit, il estoit entre ses ennemis encloz de tous coustez. Le roy estant en ceste extresme pensée, entra ung matin en son oratoire, tout seul ; et là, il fit une humble requeste et prière à Nostre Seigneur, dedans son cueur, sans pronuntiation de parolle, où il lui requeroit dévotement que, se ainsi estoit qu’il fut vray hoir descendu de la noble maison de France, et que le royaulme justement luy deust appartenir, qu’il luy pleust de luy garder et deffendre, ou au pis luy donner grace de eschapper sans mort ou prison ; et qu’il se peust saulver en Espaigne ou en Escosse, qui estoient de toute ancienneté frères d’armes et alliez des roys de France, et pour ce avoit il là choysi son dernier refuge.

Peu de temps après ce, advint que le roy estant en tous ces pensemens que je vous ai comptez, la Pucelle lui fut amenée ; laquelle avoit eu en gardant ses brebis aux champs inspiration divine pour venir reconforter le bon roy. Laquelle ne faillit pas, car elle se fit mener et conduyre par ses propres parens jusques devant le roy, et là elle fit son message aux enseignes dessus dictes, que le roy congneut estre vrayes ; et dès l’heure il se conseilla par elle, et bien luy en print, car elle 281le conduisit jusques à Rains, où elle le fit coronner roy de France, maulgré tous ses ennemys, et le rendit paisible de son royaulme. Depuis, ainsi comme il plaist à Dieu de ordonner des choses, ceste saincte Pucelle fut prinse et martirisée des Anglois : dont le roy fut moult doulent, mais remédier n’y peut.

En oultre, me compta ledit seigneur que dix ans après, fut ramenée au roy une aultre Pucelle affectée, qui moult ressembloit à la première. Et vouloit l’on donner à entendre enfaisant courrir bruit, que c’estoit la première qui estoit suscitée. Le roy oyant ceste mou velle, commenda qu’elle fust amenée devant luy. Or, en ce temps estoit le roy blessé en ung pied, et portoit une bote faulve ; par laquelle enseigne ceulx qui ceste traïson menoient, en avoient adverti la faulce Pucelle, pour ne point faillir à le congnoistre entre ses gentilzhommes. Advint que à l’heure que le roy la manda pour venir devant luy, il estoit en ung jardin soubz une grant treille. Si commenda à l’ung de ces gentilzhommes que dès qu’il verroit la Pucelle entrée, qu’il s’avansast pour la recueillir, comme s’il fust le roy : ce qu’il fit. Mais elle venue, congnoissant aux enseignes susdictes que ce n’estoit il pas, le reffusa ; si vint droit au roy. Dont il fut esbahi et ne sceut que dire, si non en la saluant bien doulcement, luy dist : Pucelle m’amye, vous soyez la très bien revenue, ou nom de Dieu qui sçait le secret qui est entre vous et moy. Alors miraculeusement, après avoir ouy ce seul mot, se mit à genoulz devant le roy celle faulce Pucelle, en luy criant mercy ; et sus le champ confessa toute la trayson, dont aulcuns en furent justiciez très asprement, comme en tel cas bien appartenoit.

282Guillaume Girault

Guillaume Girault, notaire au Châtelet d’Orléans à l’époque du siège, fut un homme important dans la ville, car il avait exercé en 1416 et 1417 les fonctions de procureur ou échevin. Une relation de la délivrance d’Orléans écrite de sa main et signée de son nom, fut trouvée il y a vingt ans environ parmi d’anciennes minutes, dans l’étude de Me Assier, notaire à Orléans. M. Jollois s’empressa de publier ce morceau dans son Histoire du Siège. Je le reproduis d’après une autre copie prise sur l’original qui est aujourd’hui en la garde de Me Lorin, successeur de Me Assier.

Le mercredi, veille d’Ascension, IVe jour de may, l’an mil quatre cens vint neuf, par les [gens] du roy nostre sire, et les [habitans] de la ville d’Orléans, présent et aidant Jehanne la Pucelle [trouvée] par ses euvres estre vierge et ad ce envoiée de Dieu, et aussi comme par miracle, fut prins par force d’armes la forteresse des Angloys à Sainct-Loup lez Orléans, que avoient faicte et tenoient les Anglois, ennemis du roy nostre dit seigneur. Et y furent prins et mors plus de six vingtz Anglois.

Et le samedi ensuivant, après l’Ascension de Nos tre-Seigneur, VIIe jour dudict mois de may, et aussi par grace de Nostre-Seigneur, et aussi comme par mi racle le plus évident qui ad ce a esté apparu puis la Passion, à l’aide desdictes gens du roy et de ladicte ville d’Orléans, fut levé le siege que lesdiz Anglois avoient mis ès Thorelles du bout du pont d’Orléans, ou costé 283de la Sauloigne, qui furent prinses par effort et assault le XIIe jour du mois d’octobre précédent et der renier passé. Et furent mors et prins environ IIIIc Anglois qui gardoient lesdictes Thorelles ; ad ce présent ladicte Pucelle qui conduit la besoigne armée de toutes pièces.

Et les dimanche et lundy ensuivant, lesditz Anglois s’en allèrent de Sainct-Poire où ilz avoient faict une forte bastille qu’ilz appeloient Paris, et d’une autre bastille enprès qu’ilz appeloient la Tour de Londres ; du Pressoir-Ars qu’ilz nommoient Rouen, où ilz avoient fait forte bastille ; de Sainct-Lorens où ilz avoient fait faire plusieurs forteresses et bastilles ; et toutes icelles forteresses et bastilles closes à deux parts de fossés et d’une… à l’entour.

Signé Guillaume Girault.

284Jean Rogier

Cet auteur, mort seulement en 1637, peut légitimement figurer parmi ceux du XVe siècle à raison des renseignements uniques qu’il nous donne, tant sur Jeanne d’Arc, que sur le voyage de Charles VII à Reims. Sa relation a été récemment imprimée par M. Varin dans les Archives législatives de la ville de Reims (2e partie, Statuts, t. I, p. 596). Elle est extraite d’un manuscrit autographe de Jean Rogier, conservé à la Bibliothèque royale (Supplément français 1515-2), lequel porte ce titre :

Receuil faict par moy, Jehan Rogier, des chartres, tiltres et arrestz notables quy se trouvent en la maison et hostel de ville comme aussy en la chambre de l’eschevinage de la ville de Reims ; ensemble des gestes et faictz notables des habitans d’icelle depuis l’an mil cent soixante ou environ, ne se trouvant chartres ny tiltres plus anciens que de ce temps ; mais par aucuns d’iceulx on pourra conjecturer quel estoit le gouvernement précédent.

Des lettres de Charles VII, de la Pucelle, des commandants militaires du pays, du corps municipal des villes de Troyes et de Châlons-sur-Marne, pièces précieuses dont les originaux n’existent plus, sont les seuls éléments qui soient entrés dans la composition du récit qu’on va lire.

En l’an mil quatre cens vingt neuf, les Anglois ayans esté chassés du siége qu’ilz tenoient devant la ville d’Orléans par le secours de Jehanne la Pucelle, et toulte leur armée deffaicte ès environs de Baugency, Meun et aultres lieux, le daulphin, quy estoit le roy Charles septiesme (mais il sera ainsy nommé jusques a son arrivé à Troyes, affin de rendre conforme ce présent receuil aux lettres et advis quy sont 285cy rapportés), print résolution par l’advis de son conseil, de s’acheminer en Champaigne pour venir en la ville de Reims se faire sacrer et couronner roy de France ; et suyvant ce que le duc de Bourgoingne escrit aux habitans dudict Reims, faisant response aux lettres que lesdictz habitans lui avoyent escriptes, ledict daulphin avoit eu quelque assurance d’aucuns habitans de ladicte ville que, luy venant en Champaigne, les portes de la ville de Reims luy seroient ouvertes. Et dict ledict duc de Bourgoingne par ses lettres qu’il estoit adverty qu’aucuns desdictz habitans avoient, par lettres ou messages, mandé et faict venir lesdictz adversaires, en les assurans, qu’eulx venuz par dessa, que on leur feroit ouverture des portes de ladicte ville, avec entière obéissance ; et que aultrement ilz ne se fussent tant enhardis de venir en ces marches.

Le cordelier qui fut pris par ceulx de Troyes, comme sera dict cy après, confirme fort ce que ledict duc de Bourgoingne en avoit escript ; disant à ceulx de Troyes qu’il avoit veu trois ou quatre bourgeois quy se disoient estre de la ville de Reims, lesquelz disoient entre aultres choses à iceluy daulphin qu’il allast seurement à Reims, et qu’ilz se faisoient forz de le mettre dedans ladicte ville ; encorre que l’istoire de France ne fasse poinct mention de ces particularités que l’on pouroit dire estre inventées ; mais il ne fault nullement doubter que cela n’ayt esté faict ainsy. Les lettres du duc de Bourgoingne sont encorre en bonne forme, et celles des habitans de Troyes tou chant le rapport du cordelier, et puis les effectz quy ont ensuivis.

286Se recongnoist une grande prudence de la part des habitans dudict Reims au cours de cest acheminement du daulphin ; lesquelz, affin de ne donner mauvais soubçon d’eulx envers les chefs quy gouvernoyent pour l’Anglois, leur bailloient advis de tout ce qu’ilz entendoient dudict acheminement et de l’estat de ladicte ville de Reims, et mandoient que on empechast les passages audit daulphin ; mais de de mander du secours pour deffendre et garder ladicte ville, pas ung mot, et n’en voulurent recepvoir, comme sera dit cy après. Et fault notter que depuis Orléans jusques audit Reims, tout estoit à la dévotion de l’Anglois.

Philbert de Moulant ayant charge d’une compagnye de gens de guerre, estant à Nogent-sur-Seyne, escrivit aux habitans de Reims le premier jour de juillet audist an 1429, que le daulphin et sa puissance estoient à Montargis et sevantoient qu’ilzalloient à Sens, se promectans que ceulx de Sens leur feroient ouverture ; mais qu’il estoit bien assuré du contraire et qu’ilz attendoient le secours du roy d’Angleterre, de monseigneur le Régent et de monseigneur de Bourgoingne ; et que les habitans de ladicte ville avoient pris et portoient la croix de Sainct André ; et que les villes d’Auxerre et aultres du pays ne se soucyoient des Armagnaz my de la Pucelle ; et que, sy lesdictz habitans de Reims avoient affaire de luy, qu’il les viendroit secourir avec sa compaignye, comme bon crestien doibt faire.

Les habitans de la ville de Troyes baillèrent pareille advis aux habitans de Reims, et du mesme jour, leur mandans que les ennemys du roy et du duc de Bourgoingne estoient près d’Auxerre pour aller en la ville 287de Reims, et que, s’il advenoit que eulx fussent requis par lesdictz ennemys de faire quelque chose contraire au party qu’ilz tenoient, qu’ilz estoient délibérés de faire response toulte négative, et de se tenir en ce party du roy et duc de Bourgoingne jusques à la mort inclusive.

Le daulphin estant arrivé près la ville de Troyes le cinquiesme jour dudict moys de juillet, manda ausdictz habitans comme, par advis de son conseil, il avoit entrepris d’aller à Reims pour y recepvoir son sacre et couronnement, et que son intention estoit de passer le lendemain par ladicte ville de Troyes, et à ceste fin, leur mandoit et commandoit de luy rendre l’obéissance que luy debvoient, et qu’ilz se disposassent à le recevoir, sans faire difficulté ou doubte des choses passez, desquelz ils pourroient doubter qu’il en voulsist prendre vengeance : ce qu’il n’avoit en volonté ; mais que eulx se gouvernans envers leur souverain comme ilz doibvent, qu’il mettra tout en oubly et les tiendra en sa bonne grace.

Jehanne la Pucelle escrivit pareillement ausdictz habitans en cest fasson :

[Lettre aux habitants de la ville de Troyes]

Jhesus ✠ Maria.

Très chiers et bons amis, s’il me tient à vous, seigneurs, bourgeois et habitans de la ville de Troies, Jehanne la Pucelle vous mande et fait sçavoir de par le roy du ciel, son droitturier et souverain seigneur, duquel elle est chascun jour en son service roial, que vous fassiés vraye obéissance et recongnoissance au gentil roy de France quy sera bien brief à Reins et à 288Paris, quy que vienne contre, et en ses bonnes villes du sainct royaume, à l’ayde du roy Jhesus. Loiaulx François, venés au devant du roy Charles et qu’il n’y ait point de faulte ; et ne vous doubtés de voz corps ne de voz biens, se ainsi le faictes. Et se ainsi ne le faictes, je vous promectz et certiffie sur voz vies que nous entrerons à l’ayde de Dieu en toultes les villes quy doibvent estre du sainct royaulme, et y ferons bonne paix fermes, quy que vienne contre. A Dieu vous commant, Dieu soit garde de vous, s’il luy plaist. Responce brief. Devant la cité de Troyes, escrit à Saint-Fale, le mardy quatriesme jour de jullet.

Au dos desquelles lectres estoit escrit :

Aux seigneurs bourgeois de la cité de Troyes.

De tout ce que dessus lesdicts habitans de Troyes baillèrent advis aux habitans dudict Reims, en leur envoyans coppie desdictes lettres, comme on veoit par leurs lettres escriptes le mesme jour cincquiesme dudict mois de juillet, mandans comme ilz attendoient cest jour les ennemys du roy et du duc de Bourgoingne, pour estre siégez par eulx. A l’entreprise desquelz, quelque puissance qu’eussent lesdictz ennemys, veu et considéré la juste querelle qu’ilz tenoient et les secours de leurs princes quy leur avoient esté promis, qu’ilz estoient délibérés de bien en mieulx eulx garder et ladicte cité en l’obéissance du roy et du duc de Bourgoingne, jusques à la mort, comme ilz avoient tous juré sur le précieux corps de Jésus-Christ ; pryans lesdictz habitans de Reims d’avoir pitié d’eulx, comme frères et loyaulx amys, et d’envoyer par devers monseigneur le Régent et le duc de Bourgoingne, pour les 289requérir et supplyer de prendre pitié de leurs pauvres subgectz et les aller secourir.

Et par aultres lettres escriptes du mesme jour à cinq heures après midy sur les murs de ladicte ville, lesdictz habitans de Troyes baillent advis à ceulx de Reims comme l’ennemy et adversaire en sa personne, avec sa puissance, estoit arrivé cedict jour, environ neuf heures du matin, devant leur ville, et les avoit assiégés ; et qu’il leur avoit envoyé ses lettres clauses signées de sa main, scellées de son scel secret, contenantes ce quy est cy devant transcript. Lesquelles lettres, après avoir esté leues au conseil, par délibération d’iceluy avoit esté respondu aux héraulx quy icelles avoient apportées, sans qu’ils eussent entrée en ladicte ville, que les seigneurs, chevaliers et escuyers quy estoient eu ladicte ville de par le roy et le duc de Bourgoingne, avoient, avec eulx les habitans, juré et faict serment de ne souffrir entrer en ladicte ville de Troyes aucun quy fust plus fort qu’eulx, sans l’exprès commandement du duc de Bourgoingne : obstant lequel serment, ceulx qui estoient dedans ladicte ville ne l’y oseroient boutter ; et oultre plus, pour l’excusation de eulx, habitans, avoit esté joinct à icelle response que, quelque vouloir qu’ilz eussent, obstant la grande multitude des gens de guerre quy estoient en ladicte ville plus forts qu’eulx. Laquelle response ainsy faicte, ung chacun d’eulx s’estoient traist sur les murs et en sa garde, en intention et volonté ferme que, si on leur faisoit aucun effort, de résister jusques à la mort ; et leur sembloit que, au plaisir de Dieu, ilz rendroient bon compte de ladicte cité, requérans derechef lesdictz habitans de Reims à ce qu’ilz eussent à envoyer par devers lesdictz régent et 290duc de Bourgoingne remonstrer leur nécessité. Ils mandoient aussy comme ilz avoient receu lettres de Jehanne la Pucelle, qu’ilz appeloient Cocquarde243, laquelle ilz certifioient estre unne folle pleyne du diable, et que à sa lettre n’avoit ne ryme ny raison, et qu’après avoir faict lecture d’icelle et s’en estre bien mocqués, ilz l’avoient jectée au feu, sans luy faire aucunne response, d’aultant que ce n’estoit que mocquerye. Ils mandoient aussy que aucuns des compaignons de ladicte ville avoient pris ung cordelier, lequel avoit cogneu, confessé et juré en parolles de prestre et soubz le voeu de sa religion, qu’il avoit veu trois ou quatre bourgeois quy se disoient estre de la ville de Reims, lesquelz disoient entre aultres choses à iceluy daulphin qu’il allast seurement à Reims, et qu’ilz se portoient fortz de le mettre dedans ladicte ville. Et man doient lesdictz de Troyes à ceulx de Reims que sur ce ilz prinssent advis, pour prendre garde à quy on se fioit.

Les habitans de la ville de Chaalons ayans receu pareille advis desdictz habitans de Troyes touchans la venue et arrivée dudict daulphin, et d’abondant que les lettres de Jehanne la Pucelle avoient esté portés audict Troyes par ung nommé frère Richard le Prescheur, en baillèrent advis aux habitans de Reims, leur mandans qu’ils avoient esté fort esbahis dudict frère Richard, d’aultant qu’ilz cuidoient que ce fust ung très bon preudhomme, mais qu’il estoit venu sorcier. Mandoient 291aussy que lesdictz habitans de Troyes faisoient forte guerre aux gens dudict daulphin, avec plusieurs aultres parolles de bravade ; et que sur ces nouvelles, eulx de Chaalons avoient intention de tenir et résister de toultes leurs puissances allencontre desdictz ennemys.

Les habitans de la ville de Reims receurent pareillement lettre dudict daulphin, escripte le quatriesme jour dudict mois de juillet, par laquelle il leur mande qu’ilz pouvoient bien avoir receu nouvelle de la bonne fortune et victoire qu’il avoit pleu à Dieu luy donner sur les Angloys, ses anciens ennemys, devant la ville d’Orléans, et depuis à Jargeau, Baugency et Meun sur Loire, en chascun desquelz lieux ses ennemys avoient receu très grand dommage ; et que tous leurs chefs, et des aultres jusques au nombre de quatre mil, y estoient que mors que demourés prisonniers : lesquelles choses estantes advenues plus par grace dyvine que euvre humain, par l’advis de son sang et lynage et de son Grand Conseil, il s’estoit acheminé pour aller en ladicte ville de Reims, pour y prendre son sacre et couronnement. Par quoy il leur mandoit que, sur la loyaulté et obéissance qu’ilz luy debvoient, qu’ilz se disposassent à le recevoir par la manière acoustumée de faire à ses prédécesseurs, et sans que, pour les choses passées et pour la doubte que l’on pourroit avoir que icelles il eust encore en sa mémoire, on en puisse faire aucune difficulté ; leur certifiant qu’en se gouvernant envers luy ainsy que faire on doibt, qu’il les traictera en toultes leurs affaires comme bons et loyaulz subjectz ; et pour estre plus avant informé en son intention, sy on vouloit aller quelqu’un de ladicte ville pardevers 292luy, qu’il en sera très contant, avec le hérault qu’il envoye, que l’on y pourroit aller seurement en tel nombre qu’ilz adviseroient, sans qu’il leur fust donné aucun empeschement. Donné à Brinon-l’Archevesque, le jour que dessus.

Le seigneur de Chastillon244, cappitayne de la ville de Reims, durant le temps de ces nouvelles n’estoit pas à Reims, ains estoit à Chasteau-Thiery : quy fut cause que les habitans de ladicte ville envoyèrent vers luy en diligence le bailly de Reims245, le huictiesme jour dudict mois de juillet, et luy baillèrent advis de tout ce quy est contenu cy devant ; et mesmement que sur ces nouvelles ilz s’estoient assemblez pour y conclure (ce qu’ylz n’avoient peu faire pour le peu de gens qui s’estoient trouvés en ladicte assemblée) ; et que depuis ilz avoient faict assembler le commun par quartier ; lesquelz avoient tous respondu et promis de vyvre et mourir avec le conseil et gens notables de ladicte ville, et selon leur bon advis et conseil se gouverneroient en bonne union et paix, sans murmurer ne faire response, sy ce n’estoit par l’advis et ordonnance du cappitayne de ladicte ville ou de son lieutenant246.

Et sy eut charge ledict bailly de luy dire de la part des dictz habitans que on le recepvroit en ladicte ville avec 293quarente ou cincquante chevaulx, pour communicquer des affaires de ladicte ville, avec plusieurs aultres choses. Lequel seigneur de Chastillon, pour respondre à ce que dessus, envoya audict Reims Pierre de la Vigne, porteur de ses lettres, auquel il avoit donné certains articles par luy advisés, sur lesquelz, sur la crédence qu’il avoit donné audict la Vigne pour dire de par luy ausdictz habitans, demandoit qu’on luy fist response, et que, si on luy vouloit garder et entretenir sans enfraindre, qu’il se disposeroit de vyvre et mourir avec eulx.

[Articles envoyés aux habitans de Reims par le seigneur de Chastillon, cappitayne de ladicte ville.]

Que ladicte ville soit bien et hastifvement emparée.

Que pour garder icelle, fault avoir du moins trois ou quatre cens combatans qui y demeurent jusques à ce que l’entreprinse du daulphin soit faillie au regard de ladicte ville ; qu’il avoit escript à messeigneurs le régent et duc de Bourgoingne qu’ilz y envoyassent chevaliers et escuyers notables pour illecq résister à ladicte entreprinse : dont il n’avoit aucune response ; par quoy il estoit nécessaire d’envoier en la conté de Rethel, et partout où on pourra ès lieux voisins de ladicte ville, là où on en puisse finer.

Item que, sy leur volonté est qu’il se mette dedans ladicte ville, qu’il ne le promectra point qu’il n’ayt la garde de ladicte ville et du chasteau de Porte-Mars, auquel il consentira que en iceluy, avec luy, ait cincq ou six notables personnes de ladicte ville. Et ce qu’il en faict, c’est pour doubte de la commotion du peuple, et pour ce qu’il luy semble que c’est pour leur bien et 294seureté ; et qu’il soit advisé des provisions nécessaires pour iceluy et ceulx quy l’assisteront et viendront avec luy, et comment on les pourroit gouverner et contanter.

Lesquels articles sy l’on veult entretenir, qu’il est prest de se mettre avec eulx, et qu’il retient le double de ce que dessus pour sa descharge ; et que on lui veuille respondre hastifvement, d’aultant que, sy le daulphin venoit devant ladicte ville, qu’il ne s’y pourroit bouter.

On peult facillement juger par le comportement dudict seigneur de Chastillon sur les occurrances de ce temps, qu’il avoit recongueu qne le dessein des habitans dudict Reims estoit de admettre et recepvoir ledict daulphin en ladicte ville. C’est pour quoy il ne veult pas y venir qu’il ne soit le plus fort.

Depuis, ledict seigneur de Chastillon avec les seigneurs de Saveuse et de Lisle-Adam vindrent en ladicte ville de Reims avec grand nombre de leurs gens ; lesquelz seigneurs exposèrent plusieurs choses ausdictz habitans de la part du duc de Bourgoingne, et que l’armée, pour résister au daulphin, ne pouvoit estre preste que de cincq à six sepmaines. Lesquelles choses entendues par lesdictz habitans, ne voulurent permettre que les gens desdictz seigneurs entrassent dedans ladicte ville de Reims : quy fut cause que lesdictz seigneurs de Chastillon, de Saveuse et de Lisle-Adam se retirèrent.

De toultes parts on escrivoit aux habitans de Reims, affin de les encourager à se maintenir en l’obéissance du roy et du duc de Bourgoingne : comme Colart de Mailly, bailly de Vermandois, escrivit le dixiesme dudict 295mois de juillet, que le duc de Bourgoingne et messire Jehan de Luxembourg debvoient entrer dedans Paris le jour précédent la date de ses lettres ; que les Anglois, en nombre de huict mil combatans, estoient descenduz en la conté de Boullongne, et que de bref il y auroit la plus belle et grande compaignye, pour résister aux ennemys, quy ait esté sont passés vingt ans, en ce royaulme ; et que le duc de Bourgoingne avoit envoyé son armée aux passages où estoient venus lesdictz ennemys, pour leur empescher le retour ; et qu’ilz ne s’en retourneroient pas tous en leurs lieux.

Les habitans de la ville de Troyes ayans receu le roy Charles septiesme, lequel a tousjours esté appellé et nommé le daulphin jusqu’icy, en leur ville, ilz en baillèrent advis le mesme jour ausdictz habitans de Reims, quy estoit le unziesme dudict mois de juillet ; et leur mandèrent comme le roy Charles estant arrivé devant ladicte ville, oultre la lettre qu’il leur avoit escript, laquelle est cy devant mencionnée, qu’il leur avoit mandé que on pouvoit aller vers luy en toutte seuretté ; et que révérent père en Dieu monseigneur l’évesque de ladicte ville y estant allé, le roy leur remons tra et exposa très haultement et très prudamment les causes pour lesquelles il estoit arryvé par devers eulx ; disant que, par le trépas du feu roy son père, luy sur vivant estoit seul et unicque héritier dudict royaume ; et pour ceste cause, il avoit entreprins son voyage à Reims pour luy faire sacrer, et aux aultres partyes de son royaulme pour les réduire en son obéissance ; et qu’il pardonneroit tout le temps passé, sans rien réserver ; et qu’il les tiendroit en paix et franchise, telle que le roy sainct Loys tenoit son royaulme. Lesquelles 296choses estantes rapportées par devers eulx, en unne grande assemblée fut concludet delibéré de luy rendre plénière obéissance, attendu son bon droict, quy est telle chose que chacun peult savoir, moyennant qu’il leur feroit abolition généralle de tous cas, et qu’il ne leur lairoit poinct de garnison, et qu’il aboliroit les aydes excepté la gabelle ; de quoy luy et son conseil furent d’accord. Et pour ces causes, lesdictz habitans de Troyes pryoient lesdictz habitans de Reims de vouloir faire audict roy plénière obéissance, telle qu’ilz l’avoient faict, affin d’eulx ensemble tousjours s’entretenir en unne mesme seigneurye, et qu’ilz puissent préserver leurs corps et leurs biens de périlz. Car, sy eulx ne l’eussent faict ainsy, ilz estoient tous perdus en corps et en biens, et ne vouldroient pas que ce fust à refaire ; et que leur desplaisoit d’avoir tant tardé ; et que l’on sera très joyeulx quand on l’aura faict, d’aultant que c’est le prince de la plus grande discrétion, entendement et vaillance que yssy de pièça de la noble maison de France.

Jehan de Chastillon, seigneur de Troissy, frère du cappitayne de Reims, par sa lettre escripte à Chastillon le treiziesme dudict mois de juillet, mandoit aux habitans de Reims qu’il avoit entendu que l’entrée du roy en la ville de Troyes, n’avoit esté du consentement des seigneurs de Rochefort et de Plancy, my de aultres seigneurs, chevaliers et escuyers de ladicte ville ; et que ladicte entrée avoit esté faicte par la séduction de l’évesque et du doien dudict Troyes, par le moien d’ung cordelier nommé frère Richart ; que le commun de ladicte ville alla ausdictz seigneurs, chevaliers et escuyers, en très grand nombre, leur dire 297que, s’ilz ne vouloient tenir le traicté qu’ilz avoient faict pour le bien publicque, qu’ilz mettroient les gens du roy dedans ladicte ville, voulsissent ou non. Ledict de Chastillon mandoit aussy que les ennemys n’avoient faict aucun effort, et qu’ilz n’avoient que manger et estoient près de passer oultre ; que lesdictz chevaliers et escuyers estoient sortys de ladicte ville par traicté, leurs corps et leurs biens saufs, et moyennant que de tous prisonniers qu’ilz avoient pris, ilz debvoient avoir de chascun ung marq d’argent ; et que celuy escuyer qui luy avoit apporté ces nouvelles, certifioit avoir veu Jehanne la Pucelle, et qu’il estoit présent quant les seigneurs de Rochefort, Philibert de Molan et aultres l’interrogèrent ; et qu’il leur avoit affermé par sa foy que c’estoit la plus simple chose qu’il vit oncques ; et qu’en son faict n’avoit ny rime ny raison, non plus qu’en le plus sot qu’il vit oncques ; et ne la comparoit pas à sy vaillante femme comme madame d’Or247 ; et que les ennemys ne se faisoient que mocquer de ceulx quy en avoient doubte.

Regnault de Chartres, archevesque de Reims et chancelier de France, avoit tousjours assisté ledict roy Charles septiesme, mesmement durant le temps de sa régence, de sorte qu’il n’avoit eu aucunne part aux affaires quy s’estoient passées en la ville de Reims depuis l’entrée du duc de Bourgoingne en icelle. Estant à Troyes avec le roy, il manda aux habitans dudict Reims par ses lettres du douziesme dudict mois de juillet, qu’ilz eussent a se disposer pour recevoir le roy 298honnorablement à son sacre : à quoy faire il les prioit et exhortoit.

Les habitans de la ville de Chaalons ayans pareillement receu ledict roy Charles en ladicte ville, en baillèrent advis aux habitans de Reims par leurs lettres du seiziesme dudict mois de juillet, leur mandans que le roy Charles avoit envoyé un hérault appelé Montjoye, veoir eulx, leur mandant par iceluy qu’ilz se disposassent à le recevoir et luy rendre plénière obéissance ; et que sur ce, ilz avoient depputés certains ambassadeurs de leur part pour aller vers luy à Lestré ; lesquelz furent benignement receuz et favorablement oys ; et que iceulx estans de retour en ladicte ville de Chaalons, et après avoir esté oys en générale assemblée, qu’ilz avoient tous conclud de recepvoir ledict roy Charles, et luy rendre entière obéissance, comme à leur souverain ; et aussy comme ilz avoient esté audevant de luy, luy porter les clefs de ladicte ville, lesquelles il avoit receu benignement ; et entra en ladicte ville. Par ladicte lettre louans fort la personne du roy, estant doulx, gracieux, piteux et misericors, belle personne, de bel maintient et hault entendement ; et que pour rien ilz ne vouldroient avoir faict aultrement ; et conseillent ausdictz habitans de Reims que le plustost, sans dilayer, et pour le mieulx, qu’ilz aillent au devant de luy, pour luy faire obéissance ; et qu’ilz en recepvront grande joye et honneur.

Les habitans de la ville de Reims estans advertys de l’acheminement dudict roy Charles, envoyèrent au devant de luy jusques à Sept-Saulx nombre de notables bourgeois de ladicte ville, quy offrirent au roy plaine et entière obéissance comme à leur souverain, ainsy 299qu’il se voit par les lettres patentes données le susdit jour seiziesme du mois de juillet audict an mil quatre cens vingt neuf, audit lieu de Sept-Saulx, en forme de chartre.

Le roy Charles septiesme, depuis son sacre, escripvit plusieurs lettres aux habitans dudict Reims, et s’en trouvent soixante et dix en nombre sans les patentes ; par aucunnes desquelles il demande ausdictz habitans nouvelles aydes pour l’entretenement de ses armées, comme aussy, grand nombre de munitions de guerre, canons, bombardes, pouldres, balles, nombre de charpentiers, massons et manouvriers, payez et entrete nuz aux despens desdictz habitans, pour l’assister ès siéges de Laigny, Meaulx, Pontoise et aultres lieux. ll leur mande aussy le contantement qu’il avoit d’eulx et de ce qu’ilz avoient faict pour son service. Et combien que on luy eust faict de sinistres rapports contre la fidélité qu’ilz luy debvoient, qu’il n’y avoit voulu adjouster aucunne foy, se tenant trop asseuré de leur fidelité ; qu’un nommé Jehan Labbé luy avoit dict qu’il y avoit plusieurs gens qui avoient promis de rendre ladicte ville de Reims au duc de Bourgoingne ; aultres qui avoient dict que le jour du sainct Sacrement on avoit entreprins d’y faire entrer ledict duc de Bourgoingne248. Et tesmoigne par toutes ses lettres qu’il avoit ung grand soing de ladicte ville de Reims, et une grande confiance aux habitans d’icelle.

300Le greffier de l’hôtel de ville d’Albi

Relation du temps en langue romane, extraite du Cartulaire n° 4 de l’Hôtel de Ville d’Albi. Il y en a une copie à la Bibliothèque royale dans le tome IX (f° 287) des manuscrits de Doat. M. Compayré l’a récemment imprimée dans ses Études historiques et documents inédits sur l’Albigeois (in-4°, Albi, 1841).

Memorial sia a totz presens et endevenidors d’una mirabilhoza cauza que Nostre Senhor Dieus Jehsus Christ mostret al noble prinsep et nostre sobiran senhor lo rey de Franssa, Karles, filh de Karles. So es assaber que en lo mes de mars, l’an mil CCCC XXVIII, venc al dich noble rey de Franssa una filha, Piuzela jobe de l’atge de quatorse a quinse ans, la cal era del pais e del dugat de Loreyne, local pais es en las partidas d’Alamanha. Ed era ladicha Piuzela una pastorela ignossen, que tos tems avia gardadas las ho belhas. Et venc al rey ellos tems dessudihtz en la viala de Chino, acompanhada de sos dos frayres ; e d’autres ela companhian en petita companhia. Et cant ela foc de par dela, ela va dire que ela volia parlar am lo rey, local no l’apelaba pas rey, mas dalfi, per so car non era coronat. Don ly foron mostratz d’alqus cavaliers, dizen ly que aquo era lo rey ; es ela disia totzjorn que non era ; e cant ela lo vigra, ela lo conogra be. Es adonc lo rey ba benir, ed ela, tantost que ela lo vic, 301se ba aginolhar et ly ba dire que Dieus la tremetia a luy, et lo nouminaba gential rey de Fransa, e que se el volia creyre que ela era vienguda aqui per mandamen de Dieus, e recobriria tot so que los Englezes, enemicx ancias del rey, li avian pres et asurpat. So es que tenian tots loz pais de Normandia et de Picardia fora Tornay, de Beubezi, de Mayna et d’Artois, de Bria, de Beussa et tota la Campanha, Paris et tota la dolsa Franssa, lo pais d’Aynaut et de Combrazis, fins à la rebieyra de Leyre. Car en aquel tems los Englezes tenian assetiada la viala d’Orlhenx en que avia dendins cinq cens homes d’armas, mas aquel seti era talament fort, que los homes d’armas, ni las gens de la viala, ni encara tot lo poder del rey, no era abastan de lo levar, ans eron en prepaus los d’endedins des se redre à la merssi dels Englezes : don lo rey era ben torbat se perdes tan bona viala coma es aquella.

Et vezen la Piuzela que lo rey era torbat, li ba dire aquestas paraulas : Gential rey de Franssa, que avetz vos ? Vos ets corossat de vostra viala d’Orlhemx. leu lour voli tramettre une lettra la cal fara mencio que Dieus lor manda que se levon d’avant la viala et s’en ano ; car se non ho fazian, els calria que s’en levesso per forssa. Et cant los capitanis agro legida la letra que la Piuzela lor trames, li diseron grans vituperis es enjurias. Es aguda la resposta de la dicha letra, la Piuzela va dire al rey que hages gens d’armas et de trach, et sis fes, et fec son mandamen ; es ela se mes tota premieyra sus, armada de fer blanc tota de cap a pe ; et te son estandart en que era Nostra Dona, et s’en va al seti am tota aquela companhia en que era Layra et lo bastar d’Orlhenx et d’autres 302capitanis ; mas non pas en tan gran companhia coma eran los Englezes a X per I ; es avian gran paor de metre se sus els, mas la Piuzela lor mes tal cor et se mes d’avas la plus forte part del seti, que davant que fosso XXIV oras, agro levat lodich seti et mort grant multitut d’Englezes, et gran cop d’aprionatz.

303Mathieu Thomassin

Mathieu Thomassin, né à Lyon en 1391, chevalier ès lois, formé aux écoles d’Orléans et au Parlement de Paris, fut procureur général fiscal en Dauphiné dès le commencement du règne de Charles VII. Il devint ensuite auditeur puis président des comptes à Grenoble. En 1456, le dauphin Louis, depuis Louis XI, le chargea, par commission donnée à Romans le 20 mai, de composer un livre sur l’histoire, les droits et les prérogatives de la couronne delphinale. De là l’ouvrage appelé Registre delphinal, d’où sont tirés les extraits qu’on va lire. Ces extraits ont été déjà publiés par M. Buchon en 1838, dans le volume du Panthéon littéraire qui contient les documents sur la Pucelle. L’éditeur les avait copiés sur l’exemplaire original de l’ouvrage de Thomassin, qui fait partie des manuscrits de la bibliothèque de Grenoble.

Le roy249 estant ès mains des Angloys, mourut l’an mil quatre cens vingt et deux. Et adonc s’appela roy mondit seigneur le daulphin. Et pour ce que les en nemys tenoient toutes les places jusques à Reims, et aussi Reims, il ne fut point couronné jusques à l’advénement de la Pucelle. Et s’appeloit Roy de France, daulphin de Viennois, ès lettres qui se adressoient par deça, jusques au temps qu’il bailla l’administration du Daulphiné à monseigneur250. Et les ennemys se truf foient et mocquoient de lui, et l’appeloient roy de Bourges, pource qu’il se y estoit retraict et y faisoit le plus sa demeurance.

304Et est vray que, tant par batailles, par rencontres, par siéges, par assaulx, que autrement, le royaume fut mené à tant qu’il eust esté du tout mené et mis à l’obéissance des Angloys et de leurs alliez, se Dieu n’en eust eu pitié, et envoyé secours par le moyen d’une pauvre bergerette appelée Jehanne.

L’an MCCCCXXIX, vint ladicte Pucelle ; et par son moyen fut levé le siége, ainsi comme inexpugnable, que les Anglois tenoient devant la cité d’Orléans.

L’an dessusdit elle mena le roy à Reims ; et là fut couronné le dix-septiesme jour de juillet, comme par miracle ; mais après fut il toujours daulphin jusques au temps cy declairé.

La dessusditte Pucelle estoit de Lorraine, du lieu de Vaucouleurs ; et fut amenée à mondit seigneur le daulphin par le chastelain dudit lieu, habituée comme un homme ; avoit courts les cheveulx et ung chapperon de layne sur la teste, et portoit petits draps251 comme les hommes, de bien simple manière. Et parloit peu, sinon que on parloit à elle. Son serment estoit : Au nom de Dieu. Elle appeloit mondit seigneur le daulphin, le gentil daulphin ; et ainsi l’appela jusques ad ce qu’il fust couronné. Aucunes fois l’appeloit, l’auriflambe. Et se disoit qu’elle estoit envoyée de par Dieu pour deschasser les Anglois, et que pour ce faire il la falloit armer : dont chacun fut esbahy de celles nouvelles. Et de prime face, chacun disoit que c’estoit 305une trufferie ; et à nulle chose que elle dist l’on ne adjouxtoit point de foy.

Clercs et autres gens d’entendement pensèrent sur ceste matière, et entre les autres escriptures fut trouvée une prophétie de Merlin, parlant en ceste manière : Descendet virgo dorsum sagittarii et flores virgineos obscurabit252.

Sur lesdiz vers furent faictz autres vers dont la teneur s’en suit cy dessous :

Virgo puellares artus induta virili

Veste, Dei monitu, properat relevare jacentem

Liliferum regemque ; suos delere nefandos

Hostes, præcipue qui nunc sunt Aurelianis,

Urbe sub, ac illam deterrent obsidione.

Et si tanta viris mens est se jungere bello,

Arma sequique sua, quæ nunc parat alma Puella,

Credit et fallaces Anglos succumbere morti,

Marte puellari Gallis sternentibus illos,

Et tunc finis erit pugnæ, tunc fœdera prisca,

Tunc amor et pietas et cætera jura redibunt ;

Certabunt de pace viri, cunctique favebunt

Sponte sua regi, qui rex librabit et ipsis

Cunctis justitiam, quos pulchra pace fovebit ;

Et modo nullus erit Anglorum pardiger hostis

Qui se Francorum præsumat dicere regem253.

Avant que mondit seigneur le daulphin voulsist mectre me adjouxter foy à laditte Pucelle, comme prince saige, mist en conseil ceste besongne ; et furent les clercs mis ensemble, lesquelz, après plusieurs disputacions, furent de l’opinion qui s’en suit :

306Premièrement que mondit seigneur daulphin, attendu la nécessité de luy et du royaume, etc.254.

Veue et considérée la conclusion, mondit seigneur le daulphin feit armer et monter ladicte Pucelle. Et si ay oy dire à ceulx qui l’ont veue armée qu’il la faisoit très bon voir, et se y contenoit aussi bien comme eust fait ung bon homme d’armes. Et quant elle estoit sur faict d’armes, elle estoit hardye et courageuse, et parloit haultement du faict des guerres. Et quant elle estoit sans harnoys, elle estoit moult simple et peu parlant.

Avant qu’elle voulsist aller contre les Anglois, elle dist qu’il falloit qu’elle les sommast et requist, de par Dieu, qu’ilz vuydassent le royaume de France. Et feit escripre des lectres qu’elle mesmes dicta, en gros et lourd langage et mal ordonné. J’en ay leu les copies dont la teneur s’en suit. Et au dessus desdictes lectres avoit escript : Entendez les merveilles de Dieu et de la Pucelle.

Lettre au roy d’Angleterre255.

Roy d’Angleterre, faictes raison au roy du ciel de son sang royal. Rendez les clefz à la Pucelle de toutes les bonnes villes que vous avez enforcées en France. Elle est venue de par Dieu pour réclamer tout le sang 307royal. Elle est toute preste de faire paix, se voulez faire raison, par ainsi que rendez France, et payez de ce que l’avez tenu. Et se ainsi ne le faictes, je suis chief de guerre ; en quelque lieu que je atteindray voz gens en France, s’ilz ne veulent obéir, je les en feray issir, veulent ou non ; et s’ilz veulent obéir, je les prendray à mercy. Elle vient de par le Roy du ciel, corps pour corps, vous bouter hors de France. Et vous promet et certifie la Pucelle qu’elle fera si grand hahay, qu’il y a mil ans que en France ne fut si grant. Se vous ne lui faictes raison, creez fermement que le Roy du ciel lui envoyera plus de force que ne lui sçaurez mener d’assaux à elle et à ses bonnes gens d’armes.

L’autre lettre aux gens d’armes.

Entre vous autres, archiers, compaignons d’armes gentilz et vaillans, qui estes devant Orléans, allez en vostre pays, de par Dieu. Et se ainsi ne le faites, donnez vous garde de la Pucelle, et de voz dommages vous souvienne briefvement. Ne prenez mye vostre opinion, car vous ne tiendrez mye France qui est au roy du ciel, le fils de sainte Marie ; mais la tiendra le gentil Charles. Se vous ne creez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous frapperons dedans à grans horions ; et verrons lesquelz meilleur droit auront, de Dieu ou de vous.

L’autre lettre aux capitaines des Anglois.

Guillaume La Poulle, conte de Suffort, Jehan sire de Tallebot, et vous, Thomas sire de Scalles, lieuxtenans du duc de Bethfort, soy disant régent de 308France de par le roy d’Angleterre, faictes response se voulez faire paix à la cité d’Orléans ; et se ainsi ne le faictes, de voz dommages vous souvienne.

L’autre lettre au duc de Bethfort.

Duc de Bethfort, qui vous dictes régent de France de par le roy d’Angleterre, la Pucelle vous prie et requiert que vous ne vous faciez destruire. Se vous ne faictes raison, aux yeux pourrez veoir qu’en sa compaignée256 les François feront le plus beau fait qui oncques fut faict en chrestienté.

Lesdictes lectres feurent portées et baillées ; desquelles on ne tint pas grant compte ; et pour ce elle delibéra de tirer oultre à ce pour quoy elle estoit venue. Elle mist sus ung estendart dedans lequel estoit…257, et monta sur un grant cheval, bien armée et habillée ; et avec les gens d’armes que monseigneur le daulphin luy bailla, alla à Orléans où les Anglois avoient mis le siége très fort et, selon cours de nature, inexpugnable. Et n’y avoit espérance quelconque d’avoir secours ne ayde humaine, car monseigneur le daulphin avoit très peu de gens pour faire ung tel exploit, et estoit quasi du tout au bas, et tellement que, quant laditte Pucelle vint, on avoit mis en delibéracion que l’on debvroit faire se Orléans estoit prins ; et fut advisé par la plus grant part, s’il estoit prins, qu’il ne falloit tenir compte du demourant du royaume, veu l’estat en quoy 309il estoit, et qu’il n’y avoit remède, fors tant seulement que de retraire mondit seigneur le daulphin en cestuy pays du Daulphiné, et là le garder en attendant la grace de Dieu. Les autres dirent que plus convenable estoit d’attendre ladite grace au royaume, et qui autrement le feroit, l’on donneroit trop grant courage aux ennemys, et seroit pour tout perdre sans aucun rescours, et que meilleur estoit que tenir autre voye, car l’autre party estoit ainsi comme voye de désespéracion, qui moult desplaist à Dieu. Monseigneur le daulphin estoit en cestuy estat quant arriva laditte Pucelle, l’an que dit est ; et par son moien, et moiennant la grace de Dieu, par miracle évident, furent assaillies moult vaillamment et prinses les très fortes et inexpugnables bastilles que les Anglois avoient faictes, et tout le siége levé, au très grant dommage et très grant confusion des Anglois. Adonc furent faictz, par la Pucelle et par les gens de mondit seigneur le dauphin, faiz de guerre merveilleux et ainsi comme impossibles.

De là en aprez laditte Pucelle feit une très grant poursuite encontre les Anglois, en recouvrant villes et chasteaux ; et si feit plusieurs faiz merveilleux ; car depuis laditte prinse d’Orléans, les Anglois ne leurs alliez n’eurent force ne vertu. Par ainsi le restaurement de France et recouvrement a esté moult merveilleux. Et sache ung chacun que Dieu a monstré et monstre ung chacun jour qu’il a aimé et aime le royaulme de France, et l’a especialement esleu pour son propre héritage, et pour, par le moyen de lui, entretenir la saincte foy catholique et la remettre du tout sus : et par ce, Dieu ne le veut pas laisser perdre. Mais 310sur tous les signes d’amour que Dieu a envoyez au royaume de France, il n’y en a point eu de si grant ne de si merveilleux comme de ceste Pucelle. Et pour ce grans cronicques en sont faictes. Et entre les autres une notable femme appelée Christine, qui a fait plusieurs livres en françois (je l’ay souvent veue à Paris), feit de l’advénement de ladicte Pucelle et de ses gestes ung traictié dont je mectrai ci seulement le plus espécial touchant laditte Pucelle ; et ay laissé le demourant, car ce seroit trop long à mectre icy. Et j’ay plus tost désiré de mettre icy le traictié de laditte Christine que des autres, afin de tousjours honnorer le sexe féminin par le moyen duquel toute chrestienté a eu tant de biens : par la pucelle Vierge Marie, la réparacion et restauracion de tout le humain lignaige ; et par laditte Pucelle Jehanne, la réparacion et restauracion du royaume de France, qui estoit du tout en bas, jusques à prendre fin, se ne fust sa venue. Pour ce, bien doibt de chacun estre louée, combien que les Anglois et les alliez en ont dit tous les maulx qu’ilz ont pu dire ; mais les faiz de laditte Pucelle les ont rendus et rendent tous mensongers et confus.

Ah ! soyes loué, hault Dieu !

A toy gracier tous tenus

Sommes, etc.258.

Plusieurs autres grans faiz ont esté faictz, tant parassault de villes et chasteaux, par rencontres, [par prises] de villes que autrement par laditte Pucelle, qui trop 311longs seroient à mectre icy. Et jà soit que ce qui a esté fait par laditte Pucelle, ait esté fait seulement dedans le royaume de France, et non pas dedans le Daulphiné, toutesfois je l’ay voulu mettre en cestuy registre, au moins le plus espécial, pource que les faiz de laditte Pucelle ont esté faictz du temps que mondit seigneur Charles estoit daulphin, et a esté fait de son temps et dessoubs luy ; aussi pour ce que le Daulphiné [a esté] inséparablement, comme dit est, joinct audit royaume, et se le royaume eust esté perdu259, comme on a fait ses efforts, comme sera cy dessoubs declaré. D’autre part la matière de la Pucelle est si haulte et si merveilleuse que c’est chose bien à noter et digne d’entrer en tous livres-registres, pour mémoire perpétuelle, à la gloire de Dieu et honneur du royaume et du Daulphiné.

Les Anglois et Bourguignons disoient plusieurs paroles diffamables et injurieuses de laditte Pucelle et avec ce la menaçoient que, s’ilz la pouvoient tenir, ilz la feroient mourir maulvaisement. Elle fut par aucuns interroguée de sa puissance, se elle dureroit guères, et se les Anglois avoient puissance de la faire mourir. Elle respondit que tout estoit au plaisir de Dieu ; et si cer tifia que, s’il luy convenoit mourir avant que ce pour quoy Dieu l’avoit envoyée fust accomply, que après sa mort elle nuyroit plus ausditz Anglois qu’elle n’auroit fait en sa vie, et que non obstant sa mort, tout ce pour quoy elle estoit venue se accompliroit : ainsi que a esté fait par grace de Dieu, comme clerement et 312évidemment il appert et est chose notoire de nostre temps.

Laditte Pucelle a souvent parlé à mondit seigneur daulphin à Paris260, et luy a dit des choses secrètes que peu de gens sçavent.

Laditte Pucelle fut trahie et baillée aux Anglois devant la ville de Compiègne, et fut menée à Rouen, et là luy fut fait ung procez de sa vie, pour trouver aucune chose sur elle pour la faire mourir ; et autre chose ne sceurent trouver sur elle, mais qu’elle avoit laissé l’habit ordonné pour femme et prins habit d’homme, qui est chose deffendue. A ce et ès autres choses desquelles elle fut interroguée, elle respondit tellement que on n’y sçavoit que repliquer. Et non obstant ce, elle fut condempnée à mourir au feu, pour occasion seulement dudit habit d’homme. Elle fut menée au feu, et là mourut et fut bruslée.

On dit que durant son procez et sa mortfurent faictes choses merveilleuses, dont procez a esté faict de l’auc torité de l’église. Celui qui l’a veu et leu en a eu la copie qu’il me debvoit envoyer, que je n’ai pas encore eue : dont me desplaist, car j’en eusse icy faict mencion des choses principalles261.

313Continuateur français de Guillaume de Nangis

Chroniqueur très-succinct dont le travail se trouve à la fin du manuscrit 5696 latin de la Bibliothèque royale. Ce manuscrit est un exemplaire de Guillaume de Nangis avec les suites déjà imprimées, plus celle-ci qui est inédite. La main qui a écrit les faits relatifs à la Pucelle, a continué la transcription jusqu’à l’an 1462. La chronique est poursuivie quelques années encore au delà, mais d’une autre écriture. Cet ouvrage est le seul qui donne d’une manière expresse la date du jour où la Pucelle arriva à Chinon. Il tire aussi quelque intérêt des chronogrammes dont il est accompagné et qu’on retrouve moins complets dans d’autres auteurs du même siècle.

L’an mil IIIIc XXVIII, le 6e jour de mars, la Pucelle vint au roy :

pLaVsa sVbIt FranCos sVb pIsCIbVs aLMa pVeLLa262.

L’an 1429, ladicte Pucelle leva le siége qui estoit devant Orléans, là où il avoit des plus diverses bastilles et autres fortificacions qui fussent de tout le temps de ceste guerre.

eCCe pVeLLa VaLens geMInIs JVVat aVreLIanos.

En cel an ladicte Pucelle print Jargeau où estoit le conte de Sufort et ses deulx frères, et plus de 500 Anglois, et fut le 19e de juing. Le sabmedy ensuivant, 314elle vint à Baugencé où il avoit grant force d’Anglois qui se rendirent à elle auxi tost.

Item icel sabmedi jour saint Aubert, elle parsuyt le sire de Tallebot, Scalles et aultres Anglois bien 4000, qui furent desconfiz, et ledit Tallebot prins à Patey :

Ista pVeLLa, feraM, CanCro fVIt à patei VICtrIX.

L’an dessusdit ladicte Pucelle mena couronner le roy Charles VIIe à Rains, qui fut couronné le 17e jour de juillet.

grata pVeLLa, sCIo, karoLI seXtI bone nate, reMIs ad saCrVm te sIstIt In JVLIo.

Le roy et elle firent de grans conquez et s’en retournèrent droit à Tours et Chinon et ès marches d’iceluy pays ; dont la Pucelle se partit et retourna ès Françoys qui estoient eu païs de France, et là fut prinse des Bourgoignons à Compeigne, l’an 1430 :

nVnC CadIt In geMInls bVrgVndo ViCta pVeLLa263.

Les Bourgoignons qui avoient prins ladicte Pucelle la vendirent aux Anglois.

L’an mil CCCC XXXI, le pénultime jour de may, les Anglois ardirent la Pucelle qu’ilz avoient achatée des Bourgongnons264.

315Guillaume Gruel

La famille Gruel, d’une petite noblesse de Bretagne, était au service des seigneurs de Montauban, lorsqu’en 1420, Jean de Montauban donna Raoul Gruel au jeune Artus de Richemont, ce qui fit prendre pied aux Gruel dans la maison ducale de Bretagne. Guillaume Gruel, frère de Raoul, fut écuyer du même Richemont. Après la mort de son maître, en 1458, il écrivit son histoire ou plutôt son apologie. Ce livre, introduit presque en entier dans les Cronicques des Bretons du chanoine Pierre Lebaut, fut publié sous le nom de son auteur en 1622 seulement, par Théodore Godefroy ; Denys Godefroy donna la seconde édition dans son Histoire de Charles VII. Depuis il a été reproduit dans toutes les collections de Mémoires et de Chroniques.

Guillaume Gruel se met en scène plusieurs fois dans son récit, et notamment à l’occasion de la bataille de Formigny, où il dit qu’il fut élu avec d’autres gentilshommes pour garder le corps du connétable. On ne peut douter qu’il n’ait été témoin de beaucoup des choses qu’il raconte. Lui-même le déclare ainsi :

Celui qui a dicté ce livre, et mis en escript des faits du bon duc Artus, la plus part en a veu, au moins despuis qu’il fut connestable de France.

Toutefois sa partialité pour son maître doit mettre en garde contre la véracité de son témoignage. Cette réserve sera surtout de mise en ce qui concerne les détails de la première entrevue de Richemont et de la Pucelle.

L’an que dessus [M CCCC XXVIII], en mars, arriva la Pucelle devers le roy ; et les Anglois prindrent Janville, Boisgency, Meun-sur-Loire et Jargeau, et mirent des bastilles devant Orléans.

L’an M CCCC XXIX, monseigneur le connestable se 316mit sus en armes pour aller secourir Orléans, et assembla une très belle compagnée et bonne, en laquelle estoient monseigneur de Beaumanoir, monseigneur de Rostrenen, et toutes les garnisons de Sablé, de La Flesche et de Duretail. Et de Bretagne y avoit plusieurs motables gens, comme messire Robert de Montauban, messire Guillaume de Saint-Gilles, messire Alain de La Feuillée, et plusieurs autres chevaliers et escuyers, sans compter ceulx de sa maison, et grand nombre de gens de bien de ses terres de Poitou, jusques au nombre de quatre cens lances, et huit cens archers. Et print mondit seigneur le chemin pour tirer devers Orléans. Et aussitost que le roy le sceut, il envoya monseigneur de La Jaille au devant de luy ; et le trouva à Loudun. Si le tira à part, et luy dit que le roy luy mandoit qu’il s’en retournast à sa maison, et qu’il ne fust tant hardy de passer avant ; et que s’il passoit oultre, que le roy le combatroit. Lors mondit seigneur respondit que ce qu’il en faisoit estoit pour le bien du royaume et du roy, et qu’il verroit qui le vouldroit combatre.

Lors le seigneur de La Jaille luy dit : Monseigneur, il me semble que vous ferez très bien. Si print monseigneur le chemin, et tira sur la rivière de Vienne, et passa à gué, puis de là tira à Amboise ; et Regnauld de Bours, qui estoit capitaine dudit lieu d’Amboise, luy bailla le passage. Et là sceut que le siége estoit à Boisgency ; si tira tout droit le chemin devers la Beauce, pour venir joindre à ceulx du siége. Et quand il fut près, il envoya monseigneur de Rostrenen et Le Bourgeois demander logis à ceulx du siége. Et tantost on luy vint dire que la Pucelle et 317ceulx du siége venoient le combatre ; et il respondit que s’ils venoient, qu’il les verroit. Et bientost montèrent à cheval la Pucelle et monseigneur d’Alençon, et plusieurs autres. Toutesfois, La Hire, Girard de La Paglière, monseigneur de Guitry, et autres capitaines, demandèrent à la Pucelle qu’elle vouloit faire. Et elle leur respondit qu’il falloit aller combatre le connestable. Et ils luy respondirent que si elle y alloit, qu’elle trouveroit bien à qui parler, et qu’il y en avoit en la compagnée qui seroient plustost à luy qu’à elle, et qu’ils aimeroient mieux luy et sa compagnée que toutes les pucelles du royaume de France.

Cependant monseigneur chevauchoit en belle ordonnance, et furent tous esbahis qu’il fust arrivé. Et vers la Maladrerie, la Pucelle arriva devers luy, et monseigneur d’Alençon, monseigneur de Laval, monseigneur de Lohéac, monseigneur le bastard d’Orléans, et plusieurs capitaines, qui luy firent grande chère, et furent bien aise de sa venue. La Pucelle descendit à pied, et monseigneur aussi ; et vint ladite Pucelle embrasser mondit seigneur par les jambes. Et lors il parla à elle, et luy dit : Jehanne, on m’a dit que vous me voulez combatre. Je ne sçay si vous estes de par Dieu, ou non. Si vous estes de par Dieu, je ne vous crains de rien, car Dieu sçait mon bon vouloir ; si vous estes de par le diable, je vous crains encore moins265. Lors tirèrent droit au siége, et ne luy baillèrent point de logis pour celle nuit. Si print mondit seigneur à faire le guet : car vous 318sçavez que les nouveaux venus doibvent le guet. Si firent le guet ceste nuit devant le chasteau, et fut le plus beau guet qui eust esté en France passé a long temps.

Et ceste nuit fut faite la composition, et se rendirent au bien matin. Et le jour devant, le sire de Tallebot et le sire de Scales, Fastolf et autres capitaines, estoient arrivés à Meun-sur-Loire pour venir combatre ceulx du siége de Boisgency. Et quand ils sceurent que monseigneur le connestable y estoit venu, ils changèrent propos, et prindrent conseil d’eulx en aller. Et dit on aussi à mondit seigneur, sitost qu’il fut arrivé au siége, qu’il falloit envoyer des gens au pont de Meun, qui tenoit pour les François, ou autrement qu’il seroit perdu. Et incontinent y envoya vingt lances et les archers. Si les conduirent Charles de La Ramée et Pierre Baugi. Et au matin, quand les Anglois s’en furent partis de Boisgency, la Pucelle et tous les seigneurs montèrent a cheval pour aller vers Meun. Et lors vindrent les nouvelles que les Anglois s’en alloient, et commencèrent à retourner droit à la ville chacun en son logis. Puis vint monseigneur de Rostrenen, qui s’approcha de monseigneur le connestable ; si l’advertit, et dit : Si vous faites tirer vostre estendard en avant, tout le monde vous suivra. Et ainsi fut fait ; et vint la Pucelle et tous les autres après. Et fut conclu de tirer après les Anglois.

Et furent mis les mieux montés en l’avant garde, et gens ordonnés pour les chevaucher et arrester, et faire mettre en bataille. Si furent des premiers Poton et La Hire, Penensac, Girard de La Paglière, 319Amadoc266, Stevenot, et plusieurs gens de bien à cheval. Et monseigneur le connestable, monseigneur d’Alençon, la Pucelle, monseigneur de Laval, monseigneur de Lohéac, le mareschal de Rays, le bastard d’Orléans et Gaucourt, et grand nombre de seigneurs venoient en ordonnance par ceste belle Beauce. Si venoient bien grand train. Et quand les premiers eurent bien chevauché environ cinq lieues, ils commencèrent à voir les Anglois, et adonc galopèrent grand erre, et la bataille après. Et en telle manière les chevauchè rent, que lesdits Anglois n’eurent pas le loisir de se mettre en bataille, et furent en grand desarroy, car ils avoient mal choisy selon leurs cas : car le pays estoit trop plain. Si furent desconfits à un village en Beauce qui a nom Patay, et là environ. Si furent là morts bien deux mille et deux cents, ainsi que disoient les héraults et poursuivants. Et fut en la fin du mois de may. Et furent prisonniers le sire de Tallebot et le sire de Scales ; et fut Tallebot prisonnier des archers de Poton, et monseigneur de Beaumanoir eut pour prisonnier messire Henry Branche, et plusieurs autres prisonniers ; et messire Jehan Fastolf s’enfuit, et autres dont je ne sçay pas les noms.

Monseigneur le connestable et les autres seigneurs couchèrent celle nuit à Patay sur le champ, car bien estoient las et avoient eu grand chaud. Et bientost après, comme ils cuidoient tirer en avant, le roy manda à monseigneur le connestable qu’il s’en retournast en sa maison ; et mondit seigneur envoya 320devers luy luy supplier que ce fust son plaisir qu’il le servist, et que bien et loyaument le serviroit luy et le royaume. Et y envoya monseigneur de Beaumanoir et monseigneur de Rostrenen ; et prioit La Trimouille qu’il luy pleust le laisser servir le roy, et qu’il feroit tout ce qu’il luy plairoit. Et fut jusques à le baiser aux genoux, et oncques n’en voulut rien faire. Et luy fit mander le roy qu’il s’en allast, et que mieux aimeroit jamais n’estre couronné que mondit seigneur y fust. Et en effet convint à mondit seigneur s’en revenir à Partenay à toute sa belle compagnée : dont despuis s’en repentirent quand le duc de Betfort leur offrit la bataille à Montpillouer. Et aussi envoyèrent monseigneur de La Marche, qui cuidoit venir servir le roy, et avoit très belle compagnée : dont despuis, comme dit est, en eurent bien à faire. Si s’en vint monseigneur le connestable à Partenay, et en s’en venant on lui ferma toutes les villes et passages ; et luy firent tout le pis qu’ils peurent, pour ce qu’il avoit fait tout le mieux qu’il avoit peu.

321Le doyen de Saint-Thibaud de Metz

On ignore le nom de cet ecclésiastique qui fut à la fois un citoyen dévoué de la république messine et un grand admirateur de la Pucelle. On sait seulement par son propre témoignage qu’il fut official de Metz et curé de Saint-Sulpice, puis de Saint-Eucaire, paroisses de la même ville, en même temps que doyen de la collégiale de Saint-Thibaud. Il reste de lui deux ouvrages où il s’étend avec un plaisir marqué sur le compte de Jeanne d’Arc. Le premier de ces ouvrages a été publié par dom Calmet parmi les preuves de son Histoire de Lorraine (tome II, col. cc). C’est une chronique de Metz, composée en langage lorrain, qui va de 1337 à 1445. L’autre écrit du Doyen de Saint-Thibaud est inédit. Il consiste en une liste chronologique des rois de France dressée jusqu’à Charles VII et terminée, sous la rubrique de ce prince, par le curieux morceau qu’on lira ci-après. Il porte la date du 24 janvier 1460 (vieux style). Nous le publions d’après le manuscrit de Cangé n° 122, à la Bibliothèque royale, qui renferme aussi une copie de la chronique de Metz. On remarquera que de l’un à l’autre de ses ouvrages, l’auteur a modifié son opinion sur la mort de Jeanne d’Arc. En 1445 (date probable de la composition de la chronique de Metz) il se refuse à y croire, et cela se conçoit : il avait vu la fausse Jeanne d’Arc, qui alla loger en 1436 dans un faubourg de Metz. En 1461, sans revenir positivement sur son dire, il déclare que, pour ce qui est de la fin de la Pucelle, il s’en rapporte aux cronicques qui en sont faites.

[Extrait de la chronique de Metz]

1428. — Vous debvez sçavoir de cestuy roy Charles, dont j’ay parlé, qui fut plus de XV ans debouteit et deschassez de son pays et royaume de France par les 322Anglois, que par le confort et aides dou duc de Bourgongne, que les soustenoit et confortoit à son pouvoir de toutes gens, dont estoit contre droict et raison, et contre son serement : dont c’estoit grant pitié.

En ceste année avint une moult grant merveille, comme vous orés cy après : car une jone fille native de pauvre laboureur de la ville de Dom-Remy on diocèse de Toul, se mist en voye, et fist tant par ses journées que vint par devers le roy Charles de France dessusdit, et fist tant que le roy accompaigniez de moult de gens vaillans et ses loyaux amis, il se mist on chemin de conquester son royaume de France ; et fit tant qu’il avint que en moins de trois mois, il conquist tellement partie de son dit royaume, que le dimanche XVIIe jour de juillet par M CCC et XXIX ans, il fut sacré en la cité de Reims. Et fut en partie par la prouesse de celle fille, appelée Jehanne ; car elle chevauchoit en armes moult hardiment, et portoit dès une moult grosse lance et une grande espée, et faixoit porter apprès elle une noble bannière poincturée de la benoiste Trinité et de la benoiste Vierge Marie. Encore avoit elle telle coustume que, ung chacun jour devant qu’elle montoit à cheval, elle oyoit II ou III messes, et se confessoit, et recevoit chancune sepmaine Nostre-Seignour Jésus-Crist. Et moult de bonnes villes, de chastelz, de cités, de forteresses elle aida à conquester, moyennant les gens dou roy ; mais au dernier elle fut prinse par les Angloiz et par les Bourguignons, qui estient contre la gentil flour de lys ; et fut moult longuement détenue en prison, et puis envoyée en la cité de Rouen en Normandie. Et là fut elle eschaffaudée et arce en ung feu, ce 323volt on dire ; mais depuis fut trouvé le contraire. Et disoit on que c’estoit sans cause, et que on li avoit faict par hayne.

Encores fut il dit pour le temps qu’elle regnoit avec le bon roy Charles, que tantost après son sacre, qu’elle conseilloit bien d’aller devant Paris, et disoit pour vray qu’ilz la pranrient ; mais ung sires appellé La Trimouille, qui gouvernoit le roy, destriat icelle chose ; et fut dict qu’il n’estoit mie bien loyaux audit roy son seigneur ; et qu’il avoit envie des faicts qu’elle faisoit, et fut coupable de sa prinse.

1429. — En celle année et en celluy temps, fut levé le siége que les Anglois tenoient devant la cité d’Orléans ; et en y ot grande partie de tués par Jehanne la Pucelle.

Item en l’an precédent, avoit esté tués d’un cop de bombarde le comte de Salcybery267. Et dixoit on que ces choses avient esté faictes par la vertus d’une pucelle, appellée Jehanne, qui estoit natifves du pays de près de Vauquellour ; et dixoit on que ces choses avient esté pronostiquées par certain mètres trouvés ès anciens livres de France, dont la tenour est telle :

Gallorum pulli throno bella parabunt.

Ecce beant bella, fert tunc vexilla Puella.

Per hunc versum denotatur numerus anni, sci licet M CCCC XXIX :

bIs seX CVCVLLI, bIs septeM se soCIabVnt268.

324Item fuit etiam pronosticatum per alia metra, scilicet M CCCC XXIX :

Cum fuerint anni completi mille ducenti

Et decies deni fuerint in ordine pleni,

Et duo sex deni fuerint in ordine pleni,

Et duo sex deni venient ab æquore remi :

Tunc perit Anglorum gens pessima fraude suorum.

En celle année, par le conseil de ladite Jehanne la Pucelle, vint Charles, roy de France en Champaigne à force d’armes, et print Troyes, Chaalons et Reims, et y fut couronné on mois de juillet ; et moult d’autres villes se rendirent à luy. Et on mois d’aoust, les II ost furent l’un devant l’autre, et ne se firent riens. Et le jour de la Nostre-Dame en septembre, la Pucelle assaillit la cité de Paris ; mais elle n’y fit riens de prouffict, et y fut navrée ; mais elle ne fut mie bien xeute269 : per quoy fit tromper la retraicte.

1430. — Et en la mesme année, Phelippe, duc de Bourgoingne, avec les Anglois mixrent le siége devant Compiegne ; et un poc après Jehanne la Pucelle fut prinse et mise en la main des Anglois ; mais ledict siége, environ la Saint Luc tantost après, fuit levés par les gens Charles roy de France, à la grant honte, à la grant confusion de messire Jehan de Lucembourg, capitaines des Bourguignons, pour ceu que les Bourguignons estient plus que les autres, et s’en fuyont honteusement270.

[Extrait du Tableau des rois de France]

Charles qui reigne présentement, fust couronné à Rains le dix septiesme jour de juillet M CCCC XXIX.

De cestuy Charles doient estre aussy belles cronicques et merveilleuses comme d’aulcuns précédant, excepté de Charlemaigne et de sainct Loys ; car il est escript en sa vie [avoir esté] en deux grandes extrémités, c’est assavoir premièrement, on temps de sa jeunesse, très pauvre et dechassé de son royaume, ou la plus grant partie, par les Anglois. Et ay autrefois ouye dire qu’il fut en telle pauvreté, pour le temps qu’il se tenoit à Bourges, que ung couvrexier271 ne luy volt mie croire une paire de houzel ; et qu’il en avoit chaussez ung, et pour tant qu’il ne le pehut payer contant, il luy redechaussit ledict houzel, et luy convint reprendre ses vielz houzel. Et de faict, ses malveillans en firent une chanson par dérision, et estoit le commencement de ladicte chanson :

Quant le roy s’en vint en France

Il feit oindre ses houssiaulx,

Et la royne luy demande :

Où veult aller cest damoiseaulx ?272

Et pluiseurs autres soffertés et pauvretés ay je oy dire et conter de luy : dont je m’en raporte à ses cro nicques.

Or adveint en la melie de son aage ou environ, c’est assavoir en l’an mil IIIIc et vingt huict, que une jeune fille nommée Jehanne, dicte la Pucelle, de Dompremy 326sur Meuze, à deux lieues près de Neuf-Chastel en Lorraine, se fist moiner par devers le roy par le baillif de Chaumont, nommé seigneur Robert de Baudricourt ; lequel le fist bien envis, car ly sembloit que ce n’estoit que follie et dérision de seu que ladicte Pucelle disoit. Et quant ladicte Pucelle veint au lieu où le roy estoit, ains qu’elle parlist au roy, elle fut très bien examinée tant de la foy comme de la cause pourquoy elle estoit venue. Sur quoy elle respondit très saigement et tellement que l’évesque, doctours, clercz et cappitaines que l’interroguèrent, chacun à son affaire, furent très grandement contens d’elle et le rapportont au roy. Dont il fust bien content et joieulx et la fist venir par devers luy, et l’interrogat comme au cas appartenoit ; sy la trouvist sy ferme et sy constante en ses parolles, qu’il fust incontinent donné à elle ; car elle ly dict qu’il estoit ainsy ordonné de Dieu que, ainsy que le royaume de France estoit esté des truictz et perdus, qu’il convenoit que par une pucelle (laquelle elle estoit ) fust restauré et recuperé. Et adoncque dit au roy premièrement tout son affaire et la manière qu’il convenoit tenir ; et s’il la vouloit croire et avoir [foy] en Dieu, en monsieur sainct Michel et madame saincte Catherine, et en elle, qu’elle le moinroit corroner à Reins et le remectroit paisible en son royaume ; et que le faict desiroit briefveté, car il y avoit desjà plus de trois ans qu’elle dehut avoir encommencier ; mais elle n’avoit pehu trouver aucun qui la voulxist condhuire ne amoiner devers luy. Et incontinent le roy la fist habiller et s’armer et monter en son plaisir.

Or estoit ledit roy en la plus grand perplexité et tribulacions 327qu’il estoit encor esté, car les Anglois tenoient le siege devant Orléans : lequel siege estoit clout merveilleusement. Si priast et requist ladicte Pucelle audict roy qu’il ly voulxist trouver de ses gens et que, au plaisir de Dieu, elle entreprenroit de lever le siege, de combatre lesdiz Anglois, et qu’elle ne doubtoit point qu’elle ne dehut avoir victoire. Sy n’en faisoient les capitaines du roy qu’une dérision et mocquerie, disans : Voicy ung vaillant champion et capitaine pour recupérer le royaume de France ! Et murmuroient contre le roy et ses conseillers, excepté le duc d’Alençon et un capitaine courageux et de bon vouloir, nommé La Hierre, qui saillit en place et dit et jurat qu’il la seuvroit à tout sa compagnie où qu’elle le voulroit moiner : dont elle fust moult joyeuse. Et incontinant elle feit appareiller bannière, pannons, et estandart, et autres habit et artillerie à ce nécessaire ; et montèrent à chevaulx joyeusement ; et en vinrent à pouc de gens contre lesdiz Anglois qui tenoient ledit siége devant Orléans, qui très fortement estient enclous oudict, et les courrut sus et assaillit sy vigoureusement et de bon couraige, en reclamant Dieu, sainct Michiel et saincte Catherine, que on pouc de temps elle levoit le siege et desconfit lesdietz Anglois. Et y fut tué le conte de Salibery qui estoit le principal capitaine desdictz Anglois ; dont lesditz Anglois furent tous espoventez et esbahis, et de là en avant, ilz leur mescheut de jour en jour.

Et fut le premier fait que ladicte Pucelle feit, que fut moult profitable et aggréable audit roy et à tous ses cappitaines et conseillers ; et eurent parfaicte fiance en Dieu et en ladicte Pucelle, et se mirent du tout à son 328obéyssance et la siuvirent par tout là où elle les vouloit moiner. Et eurent pluiseurs victoires contre lesdictz Anglois et qui gaignèrent plusieurs places, tant que, pour faire briefs, elle dechassit lesdictz Anglois de la plus grande partie dou royaulme de France et moinit courronner ledit roy à Saint-Remy de Rains, le XVIIe jour du mois de jullet l’an mil IIIIc XXIX. Et fut trouvé la saincte Ampole remplie d’oille miraculeusement, comme on disoit. Pour lors il y eut grant triumphe et grande noblesse, comme à tel cas appartient.

Et de là en avant succedoit audit roy de mieulx en mieulx, tellement qu’il tint aujourdhuy, XXIIIIe de janvier pour l’an Lx, tout le royaulme avec ses appartenances paisiblement ; et tint encor le Bourdelois, la duchié de Normandie, le Daulphinée, la duché d’Allenfort273, la conté d’Arminach et pluiseurs autres pays ; et a reigné et reigne merveilleusement en ses deux grandes extrémités, comme jà par avant dit.

Le surplus de sa vie et de son reigne trouveront on plus à plain en sa cronicque, que seroit bien haulte et merveilleuse, comme je tiens ; car pour le présent je n’en sçaurois escripre la fin. Dieu doient qu’elle soit bonne. Des autres affaires de la Pucelle je m’en rapporte aussy ez cronicques qui en sont faicte, qu’est une chose bien merveilleuse.

Ceste relacion est esté faicte et escrite féalement et hastivement par moy, doyen de sainct-Thiebault, curé de Sainct-Suplice, par l’an et…274 dessusditz. Et estoit pour lors officiers de Metz.

329La Chronique de Lorraine

Dom Calmet a le premier publié cette chronique parmi ses preuves à l’Histoire de Lorraine (t. III, col. VI). Il conjecture qu’elle fut composée par un serviteur du duc René II, acteur dans plusieurs des événements qu’il relate. Ce personnage anonyme, aurait écrit, au jugement du savant bénédictin, en 1475, pendant la guerre de Charles le Téméraire contre René ; mais c’est là une erreur, dont, sans aller bien loin, on trouvera la preuve ; car à la fin du fragment publié ci-après, il est dit que Charles VII eut des fils et des filles de quoy le dernier roy Loys en estoit ung. Or ces expressions nous transportent sous le règne de Charles VIII.

La Chronique de Lorraine ne mérite pas d’être consultée comme témoignage historique sur Jeanne d’Arc ; mais elle est un curieux et unique monument du merveilleux que l’imagination populaire avait ajouté à la vie de cette étonnante fille, dans son propre pays. Tous les exploits du règne de Charles VII y sont mis sur son compte : elle figure là comme le Charlemagne des romans qui avait absorbé à lui seul toute la gloire de sa race. On lui fait assiéger et prendre tour à tour Bordeaux, Bayonne, Dieppe, Paris, Honfleur, Harfleur, Caen, toutes les villes de Normandie, moins Rouen sous les murs duquel elle disparaît sans laisser de trace. Deux autres opinions sur sa fin, données à la suite de celle-là, ont tout l’air d’être une addition postérieure.

Le style de cette histoire n’est pas moins étrange que le fond. Il est rempli d’assonances et de constructions qui rappellent la facture des anciennes chansons de geste. C’est à tel point qu’il est permis de croire que le récit était primitivement en vers et que le chroniqueur de la cour de René II, voulant se l’approprier, en aura tout simplement brisé le mètre. Il n’est pas impossible que sous Louis XI on ait fait une geste en l’honneur des Lorrains illustres 330et particulièrement de la Pucelle. Le sire de Croy dans son Art et science de rhétorique, cite des vers qui ne peuvent appartenir qu’à un poème de ce genre sur Charles le Téméraire :

Puis que le duc perdit de Nansi la journée,

Justice trespassa, forte guerre fut née ;

L’église en a perdu ses rentes ceste année ;

Noblesse en a esté durement fortunée ;

Et poures gens en ont très dure destinée.

Chose singulière, on dirait que le poème d’où sont tirés ces vers, fut la contrepartie de celui qui servit à faire la Chronique de Lorraine.

En l’an mil quatre cens dix-sept, au lieu de Don-Remys sur Meuse, y eust une jeune fille nommée la Pucelle, en l’aage de dix-huicte ans inspirée de Dieu. Et estoit de grande force et puissance : dont ceste fille disoit à tous que, si elle estoit à Bourges vers le roy, qu’elle garderoit bien les Angloys d’ainsy cruellement persécuter le royaulme. Messire Robert de Baudrecourt, qui pour lors estoit cappitaine de Vaucouleur, ladicte fille vers luy alla, et lui dict :Cappitaine, pour vostre honneur et proffict, je vous prie que me menie à Bourges vers le roy ; je vous promect par tous que je tiens de Dieu, premier qu’il soit un an, tous les Angloys hors du royaume les mettray ; et vous certiffie que la puissance en moy est. Ledit Baudrecourt voyant la hardiesse de la fille (elle estoit haulte et puissante), luy demanda si elle feroit ce qu’elle disoit. Elle disoit tousjours : Ouy.

Quant monseigneur de Beaudrecourt veit ce, luy dict : Ma fille, à Nancy vous veux mener vers le duc Charles, qui est vostre souverain seigneur, et de luy congié prendre pour vous en venir et enmener. Ladicte fille bien joyeuse fut. Quant ledit Baudrecourt 331avec la fille à Nancy veint vers le duc Charles, ledit Baudrecourt la présenta au duc, en luy disant comment elle desiroit d’aller vers le roy Charles, pour le remettre en France, et chasser les Angloys hors. Le duc luy demanda si elle avoit celle volonté. Elle respondit que ouy. Monseigneur, je vous promest qu’il me targe beaucoup queje n’y suis. — Comment ! dit le duc, tu ne portas jamais armes, ne à cheval ne fus ! La fille respondit que, quant elle auroit un arnois et un cheval, dessus je monteray ; la verra on si je ne le sçay guider. Le duc (pour lors son escurie estoit où les Piedz-Deschaulx sont à présent), le duc luy donna un arnois et cheval, et la fit armer. Elle estoit legère ; on amena le cheval et des meilleurs, tout sellez, bridez ; en présence de tous, sans mettre le pied en l’estrier, dedans la selle se rua. On luy donna une lance ; elle veint en la place du chasteau ; elle la couru. Jamais hommes d’armes mieux ne la couru. Toute la noblesse esbahy estoient. On en fit le rapport au duc ; bien congneut qu’elle avoit vertu. Le duc dict à messire Robert : Or, l’enmenayz ; Dieu luy veuille accomplir ses desirs.

Ledit Baudrecourt, sans s’arrester, droit à Bourges l’en mena. Par le chemin, ledit Baudrecourt avec elle devisoit. Elle luy disoit : N’ayez souci de moy ; au roy me présenteray ; je sçay ce que luy diray ; il congnoistra que bon service luy feray ; jamais je ne le vis ; mais qu’entre dix mille seroit, je le congnoistroit.

Quant ledict Baudrecourt à une lieue de Bourges approche, le fit sçavoir au roy comment elle promettoit de dechasser les Anglois ; et que si elle voyoit le roy, 332elle le congnoistroit. Le roy et son conseil envoyèrent au devant d’elle trois bandes. En la première un semblable au roy ; en la seconde un pareil ; en la troisiesme estoit le roy. Vinrent les uns après les autres : chacun la regardoit. Elle dict ainsy : Icy n’est pas le roy, ne icy aussi. Mais quant ça veint à la troisiesme bande, elle congneut le roy : dont tous esbahys furent.

Elle dict au roy : Faictes que tous vos gens d’armes soient tous à moy, et leur faictes promectre que nul des honneur ne me requerront. Et faictes que j’aye une espée qui est à Nostre-Dame de Chartres. Le roy luy fit tout avoir. Elle dict au roy : Il est temps que nous partions ; ceulx d’Orléans sont en grant dangier. Le roy fit incontinant apprester son armée fournie d’artillerie, avec autres instrumens. Et quand tous furent près, leur commande en général que, sur leurs vies, il ne fisse ne die chose à la fille pucelle, par quoy il luy despleist ; et la recommandoit moult affectueusement ès plus grans seigneurs. Chacun promit au roy de bien faire à tous ces commandement. Tous, grand et petit [se] commandèrent à Dieu, au roy, et tous se mirent au chemin. La Pucelle leur dict : Messeigneurs, diligentons en aller. Il me targe que je ne suis dès jay devant Orléans. Je vous promest que je vous feray tous gens de bien ; j’ay bon vouloir bien charger sus ces Angloys qu’en ce royaulme font grand maulx.

Tant chevauchèrent par journée qu’auprès d’Orléans sont venu. La Pucelle estoit tousjours dès première ; elle sçavoit par tout où il failloit aller. Elle leur fist passer un guest de la rivière de Loir, laquelle passa la première, et toutte l’armée ensuivant. Quant tous 333furent passez, leur dict : Messeigneurs, ne vous doutez, ayez courage ; bien près les approchons ; icy nous faut tout mettre en ordonnance. Laquelle les assortissoit chacun en son endroict ; moult bien le sçavoit faire. Leur dict : Chacun soit vaillant ; moy, je veux estre la première à donner dedans les Angloys. S’aperçurent que gens en armes venoient contre eulx ; se mirent en bataille forte et puissante. Devant Orléans une bastille avoient faicte ; mirent gens dedans pour la bien garder. La Pucelle quand elle apperceut l’armée, dict : Recommandons nous à Dieu et à la Vierge Marie ; or, frappons dedans. Elle toutte la première coucha sa lance, et tous les autres aussi chargèrent dedans de force et de courages ; tout ce qu’ils attaindoient, s’en alloyent par terre. Après son coup de lance, tira son espée ; des coups qu’elle donnoit tous les mettoit à mort. Quant un homme d’arme sur son heaulme [frappoit], une paulme dedans l’enfourroit.

Voyant les Anglois que si asprement furent assaillys, se cuydèrent mettre en deffense ; riens ne leur peut servir ; mais prirent la fuitte, et eulx de fuir. La Pucelle et toutte l’armée la bataille leur vinrent assaillir. Leur deffence rien ne valut, qu’ils ne fussent prins et confus. Le siége leur faut abandonner, et l’artillerie laissier. Tentes et pavillons, tout y demeura. Ceulx d’Orléans se prindrent à louer Dieu de leur victoire que l’armée leur avait donnez. Ne congnoissant la Pucelle, jamais n’en avoient ouy parler ; moult furent esbahys quant ilz l’ouyrent conter. Alors quant la victoire fut accomplie, toutte l’armée et la signeurie congneurent bien qu’en la Pucelle avoit grande vertu. Ceulx d’Orléans cloches sonnèrent, prebtre revestuz, et tous les 334habitans viendrent ouvrir leur porte ; toutte l’armée, si les mirent dedans.

La Pucelle estoit joyeuse, bien accoustrée en arme ; beau la faisoit voire. Tous ceulx d’Orléans fort la regardoient ; elle fut prisée et redoutée ; dedans Orléans fut très bien logée, comme ce fust esté le roy. Ceulx d’Orléans de grans dons luy firent, en la remerciant de les avoir mis hors du danger ; chacun venoit en son logis ; elle avoit court ouvert ; tous y estoient receu. Quant le roy ouyt les nouvelles, moult joyeulx en fut. Il loua Dieu de ceste Pucelle, qui en son service estoit venue. Je crois que Dieu l’a inspirée pour mon royaulme recouvrer. La Pucelle qui un jour avoit resposée, dict à toute l’armée : Or que chacun s’appreste, en guerre il nous fault aller.

Tout du long de la rivière de Loire, en Touraine sont arrivez. Tous les Anglois que d’eulx estoient treuvez, ilz estoient prins ou tuez. Tant chevauchèrent, qu’il vient en guerre devant Bordeaux ; et sont arrivé, tous d’un bon vouloir si l’ont assiégée ; moult asprement d’artillerie et d’aproche se sont serrez. Les Anglois dedans en furent tous esbahys, de voire un si grant nombre de gens. Au bout de six semaines à eulx se sont rendus, un baton en leurs mains. Là ont tout laissez, chevaulx et arnois ; s’en sont allez. La Pucelle a entré dedans, a mis garnison pour la bien garder.

Devant Bayonne tout s’en sont allez, l’ont asssiégée ; à grant coup d’artillerie contre ont tirez, disans : Anglois rendez vous, ou vous mourrez tous. Les Anglois ont bien considérez que si longuement ilz tenoient, que mal leur en prandroient. Ilz se sont mis à parlementer, demendant tous congez, saulfleurs corps 335et leurs bagues. Tout leur fut octroyé ; si les ont prins et s’en sont tous allez. La Pucelle, par sa puissance de guerre, tous les Angloys hors les a jectez ; tout le pays se l’ont fort louez, ont Dieu remercié de ce qu’au roy ont tous retournez. Ceulx de Paris oyant ces victoires, ont mis hors les Angloys, les remirent dedans tous pour un jour, et oudict jour les remirent dehors. Le plus de la ville estoient pour le roy ; plusieurs ne voulurent permettre qu’ilz fussent Anglois.

La Pucelle voyant qu’elle avoit guerroyé toute la campaigne, Paris conquestez, manda que vers elle se voulut transporter, et qu’à Reims seurement le menroit sacrer, et à Paris le feroit couronner. Le roy ces nouvelles ouyt, se print à Dieu louer : Puisque elle me mande, vers elle m’en faut aller. Le roy s’est préparez luy et ses gens ; au chemin sont miz ; droict à Bourdeaux sont arrivez. La Pucelle et toute la noblesse se l’ont salué. La Pucelle se luy a dict : Sire, à Reims vous veux mener, y serés sacré ; puis à Paris vous menrons couronner. Le roy des nouvelles fut moult joyeux, dict : Pucelle, vostre plaisir soit faict ; mettons nous au chemin, et bien vous menrayz. Ont mandez à Reims vers monseigneur l’abbé que le roy Charles s’alloit faire sacrer. Quant l’abbé l’ouyt, moult joyeulx il fut, toutte l’église a préparé. Le roy a tant chevauché, qu’à Reims il a arrivez L’abbé et tous le couvent, et tous de la ville si l’ont salué. La Pucelle ont fort regardez ; toutes provisions au roy ont abandonnez ; devant le roy honnorablement en l’église messe ilz ont chanté ; le roy noblement a esté sacré ; toutes les ordonnances des roys passé il a receu, sans en nulle passer. La Pucelle voyant tout accomply, a dit 336au roy : Or, allons à Paris ; là vous serez couronné.

Droict à Paris au chemin sont mis. Quant à Paris se sont présentez, touttes gens d’églises et nobles gens à luy se sont présentez, l’ont receu dedans et se l’ont boutez, les petits enfans crianz : Vive le roy ! La Pucelle quant et quant auprès de luy, de ceulx de Paris fort regardée estoit, disant : Voici une Pucelle ; elle est fort à louer. Dieu luy a faict grant graces de soy faire douter. Toute la noblesse le roy à son logiz ont menez ; auprès de luy la Pucelle ont logez, de servir Dieu et faire bonne chère n’ont mie faillis. Le lendemain tous les princes Bourbons, d’Orléans, Nemours et Alençons ont prins la couronne, sur le chef du roy se luy ont mis, disans : Vive le roy ! Sy l’ont menez à Sainct-Denys. Huict jours durant joustes, tournois et grant esbatement, dames et damoiselles faire danser, c’estoit grant plaisir.

Après cela faict, la Pucelle dict au roy : Sire, puisque ces Anglois se sont tous en Normandie retiré, or fault que toutte l’armée soit preste ; il fault entreprendre de les chasser et que leur retour soit en Angleterre. Dict le roy : Ma fille, puisqu’avez faict un bon commencement, fault faire un bon finement. Le roy ordonna à toute l’armée qu’ils fussent prest, et leur remercia l’obéissance et le service qu’à la Pucelle avoit faict. J’ay fiance en vous que la Pucelle vous perseverayz ; en Normandie elle vous en veult mener. Toutte l’armée lui promirent de tousjours obéir, sy sont tous apprestez. Le roy à Dieu ont commandez ; au chemin ils sont mis.

La Pucelle devant monter sur son coursier, faisant 337les fringues devant ceulx de Paris, moult bien elle sçavoit faire ; on y prenoit grant plaisir : Voilà une gentille Pucelle ; Dieu luy doient bonne vie, et luy face la grace de bien tost conquester la haulte et basse Normandie. La Pucelle les a commandez à Dieu, à tous, puis s’en sont allez ; devant Diepe sont arrivez, l’ont assiégé en ferme terre, se l’ont guerroyé, la bataille ont gaignée. Voyans les Anglois, ont prins barques à planté ; par la mer en Angleterre s’en sont allez. Le conté d’Eu et tous à l’environs, la Pucelle à puissance d’armes les a mis en subjestion. Dict à ceulx de l’armée : Honnefleur, Herflour, Cam, Licieux, Averance, Sainct-Michel, Alençon et tous le pays, tous il nous fault avoir ; au retour devant Rouan sera nostre retour. Or, est-ce bien dire, allons y tous. Au chemin se sont mis à puissances d’armes, tous a conquestez ; n’est à Sainct-Michel, se les en a chassez. Elle estoit sage et bien advisée ; elle depescha l’environ de Rouan : Au moing quant le siége sera devant, on ne nous fera nul empeschement. Viendrent mettre le siége pour la toutte environner. Grande puissance falloit avoir ; la rivière de Seine court tout par devant ; à peine la peurent assiéger qu’ils perdissent beaucoup de gens. Elle est grande et puissante : dedans il y avoit plus de six mille Anglois, sans ceulx qui estoient au mont Saincte-Katherine, qui leur faisoient beaucoup de maulx. La Pucelle mettoit tout en ordre ; elle y fit faire grande tranchié jusques sur les fossez. Ceulx de Rouan voyant les effort, saillirent dehorz ; grande escarmouche y eut. La Pucelle qui vaillante estoit, et qu’en l’escarmouche comme provée et hardie estoit, au milieu se bouta. Là fut perdue ; on 338ne sceut qu’elle devint. Plusieurs disoient que les Angloiz la prirent : dedans Rouan fut menée, les Angloiz se la firent brusler. D’autres disoient qu’aucuns de l’armée l’avoient faict mourir, pour cause qu’elle attribuoit tous ses honneurs des faicts d’armes à elle.

Quant le roy sceut les nouvelles que la Pucelle estoit morte, il feust moult courroucé. Se vers luy elle feust esté enmenée, en saincte terre l’eust faict enterrer, et luy eust faict faire une sepulture riche et honneste ; à tous jamais l’église en eust faict mémoire ; grand prou fict en eussent eu les prebtres. Le roy et toutte son armée mirent longtemps à avoir ladicte Rouan. Elle cousta moult à avoir, tant en gens comme en avoir. A la fin les Angloys eurent appoinctement ; sauve leurs corps et biens, en Angleterre s’en retournèrent franchement. Le roy voyant son royaulme en paix, se maria à une fille, notable fille au duc d’Anjou, soeur au roy Louys, frère à ladicte dame le conte de Guise, le conte du Maine, tout frère à ladicte ; lequel frère Louys avoit le royaulme de Cecile, Anjou et Provence. Lequel roy Charles en eut filz et fille, de quoy le der nier roy Louys en estoit ung.

339Trois chroniqueurs normands anonymes

Le premier de ces auteurs a composé une chronique inédite de Normandie qui ne va pas plus loin que l’entrée de Henri VI à Rouen. Cette circonstance autorise à penser qu’il écrivit du vivant même de Jeanne d’Arc de laquelle il parle avec faveur. Cela est très-notable de la part d’un Normand. Nous publions son témoignage d’après le manuscrit n° 9859-3 de la Bibliothèque royale.

Le morceau qui suit est tiré d’une chronique manuscrite du British Museum (Plut. CLVIII. E), dont divers fragments, et notamment celui-ci, ont été publiés récemment par M. Vallet de Viriville dans la Bibliothèque de l’École des chartes (t. II de la deuxième série). Le manuscrit a fait partie des archives de Joursanvault. Il paraît avoir été exécuté en 1439, année où s’arrête la chronique, et se termine par un armorial des barons de Normandie, tracé de la même main que le reste. On remarquera le doute exprimé dans ce témoignage sur la réalité du supplice de la Pucelle. L’apparition d’une fausse Jeanne d’Arc de 1436 à 1440 justifie ou du moins explique le doute du chroniqueur.

Vient enfin un extrait de la Chronique de Normandie, imprimée tant de fois à Rouen et ailleurs. Cette chronique qui conduit le récit des événements jusqu’à la réduction définitive de la province en 1450, a été écrite un peu après la mort de Charles VII, puisqu’il est fait allusion à cet événement dans le récit. Notre texte est conforme à celui de l’édition rouennaise de 1581.

[Manuscrit 9859-3, B. R.]

L’an mil CCCC XXVIII devant Pasques, fut mis le siége des Anglois devant la ville d’Orliens ; et là se forte fièrent lesditz Anglois très fort de fossés, bostlevers 340bastilles, et y furent jusques au mois de juing l’an CCCC XXIX ; eu quel moys yssirent ceulx dedens ladite ville avec grant quantité de gens d’armes et une jeune fille que l’en apeloit la Pucelle ; et disoient pluseurs qu’elle estoit envoié de par Dieu pour aidier à Charles daulphin, filz de Charles, roy de France trespassé, à reconquester son royaume que avoit conquis ledit Henry, roy d’Angleterre, dont devant est fait mencion. Et iceulx gens d’armes et Pucelle ainssi yessus, assaillèrent à force le boullevert desditz Anglois et y botèrent le feu, et tuèrent une grant quantité d’Anglois tant qu’il fallu que lesditz Anglois levassent ledit siége et s’enfouissent ; et ainssi furent tous esbahiz.

Item en icellui an et eu dit moys de juing, environ la saint Jehan, se ralièrent lesditz Anglois pour aller contre lesditz Franchois qui les avoient ainssi capponez, et les trouvèrent plus tot que mestier ne leur estoit ; car lesditz Franchois prindrent deux forteresses, l’une nomée Gargiau et l’autre Bojency, et y tuèrent grant quantité desditz Anglois, et si y gaignèrent grossez finances, des canons, bombardes et autres abillemens de guerre. Et incontinent vindrent lesditz Franchois vers une forteresse nommée Yenville, et trouvèrent et rencontrèrent lesditz Anglois à grosse compaignie, et là defferirent sur eulx si aprement car lesditz Anglois ne se savoient comme deffendre ; et là furent plusieurs tuez et les autres prisonniers, et demourèrent Franchois les maistres. Et là furent prins trois grans seigneurs anglois : c’est assavoir, le conte de Sufford, monseigneur de Scallez et ung nommé Tallebot, lequel estoit un des bons routiers des Anglois. Et n’eschappa des Anglois si non ung nommé 341messire Jehan Ffalstof, avec environ VII ou VIII cens Anglois qui estoient à cheval, qui s’enfuirent quant y vidrent que male part tournet ; et se ilz eussent estoié à pié comme estoient ceulx de la grosse bataille des ditz Anglois, il n’y en fust jà demouré qui n’eust esté mort ou prisonnier. Et là furent Anglois très bien catrés, plus que onques mès n’avoient esté en France ; et s’en vouloient retourner en Angleterre et lessier ainssi le païs, se le régent leur eust souffert. Et estoient adonc Anglois si abolis, que ung Franchois en eust cachié trois.

Item en icellui an, tant eu dit moys de juing que eu moys de juillet ensuiant, prindrent lesditz Franchois deux forteresses, l’une nommée Meun et l’autre Yenville ; et auxi audict mois dejuillet conquirent plusieurs forteresses comme Troes, Ausserre, Rains et pluseurs autres. Et se fit ledit dauphin sacrer à Rains par l’archevesque du lieu qui estoit à sa compaiguie. Et eust mout de grans seigneurs au sacre. Et après conquit pluseurs forteresses comme Compiengne, Senlis et pluseurs aultres ; et doubtoit chacun ledit Charlez ; et conquit en deux mois ce que les Anglois avoient mis à conquerre plus de trois ans ; et cregnoit l’en mout celle Pucelle, car elle usoit de sommassions et disoit que se l’on ne se rendoit, elle prandroil d’assault ; et avoit avec elle grant quantité de gens de pais275 à pié, lesquelx faisoient très bien leur devoir et avoient fait ès batailles contre les Anglois, car les Angiois les avoient menachiés d’ardeoier : par quoy ilz étoient plus indignez contre eulx.

342Au moys d’aoust, l’an CCCC XXIX dessusdit, en la fin dudit mois d’aoust, vint ledit Charlez avec le duc d’Alençon, messire Charlez de Bourbon, la Pucelle dont devant est fait mencion, le duc de Bar, acompaigniés de XXX à XL mille hommes tant Franchois, Hennuiers, Liégois, comme Barreis, et mistrent le siége devant Paris. Et estoient logiez à Saint-Denis, à Monmartre et autres lieux entour Paris, et mistrent la ville en telle subjecion, qu’il n’y venoit vivrez de nul costé, et estoient vivrez si chiers en la ville, que c’estoit grant merveillez. Et y furent bien près de six sepmaines ; et quant ilz virent qu’ilz ne se rendoient point, avisa ledit Charles et ceulx de sa compaignie que l’en leur feroit assault. Lequel leur fu fait si appre et si merveilleux, que ceulx dedens furent tous esbahis ; et n’y avoit homme qui se osast descouvrir dessus le mur pour le trait de ceulx qui assailloient. Et avoient lesditz assaillans une manière de instrumens nommés couleuvres, qui jetoient pierres et plombées, mes ne faisoient point de noise, si non ung poy siffler ; et jetoient auxi droit comme ung arbelestre. Et fu l’assault si fort, que ceulx dedens avoient comme tout desemparé le mur ; et estoient lesditz assaillans si près des murs, qu’il ne failloit mes que lever les eschielles dont ilz bien garnis, et ilz eussent esté dedens ; mes fu avisé par ung nommé monsseigneur de La Trimoulle, du coté dudit Charlez, car il avoit trop grant occision : car lesditz assaillans avoient intencion, comme l’en disoit, d’ochire et d’ardre. Et auxi l’en disoit que monseigneur de Bourgongne avoit envoié ung hérault devers ledit Charlez, en disant qu’il tendroit l’apointement qu’il avoit fait avec ledit 343Charlez276, et qu’il cessast lui et ses gens ; mes s’il y avoit appointement entre eux, ne quel il estoit, je n’en sauroye parler ; mes toutesvois il y eut treves jusques à Nouel ensuiant. Et ainssi fit ledit Charlez audit assault sonner de retraite, et se retrairent ; et croy qu’ilz eussent gaignée ladicte ville de Paris, se l’en les eust lessié faire. Et en y out pluseurs de la compaignie dudit Charlez qui de ce furent mout courchiés, comme le duc d’Alenchon et especialment le conte d’Armignac277, car il héoit ceulx de Paris pour ce qu’ilz avoient tué son père pieça ; et en faisant le dit assault, ledit conte d’Armignac et ses gens estoient en ung des cotés où il n’avoit point d’assault, affin que se aucun de ladicte ville s’en fust voulu issir ou fuir, qu’il l’eust prins ou mis à mort. Et durant ledit siége, ilz firent ung pont au dessoubz de Paris pour garder la Saine. Et ce fait ainssi, s’en retourna ledit Charlez et ses gens par les moyens dessusditz, comme l’en disoit.

[Manuscrit du British Museum.]

L’an mil IIIIc XXX, après ce que le roy fut retourné de son couronnement et arivé en Touraine, la Pucelle retourna au pays de France où estoient demourez grant partie des gens du roy, tant à Compiengne que ez placez qu’il avoit conquises. Et après ce qu’elle eust tournyé et veu partie du païs, se retira audit lieu de Compiengne. Et elle estant dedens, les Bourgoignons vindrent courir devant ; et à l’entour avoient 344mis plusieurs embusches. Et à l’escarmuce yessit icelle Pucelle avec plusieurs de ses gens ; et se lancha avant tant qu’elle se trouva entre lesdictes embucez, où elle fut prinxe et emmenée d’iceux Bourgoignons.

Et aprez qu’ilz l’eurent longuement gardée, la vendirent as Englez qui l’achatèrent bien chièrement, et après ce, la menèrent en la ville de Rouen où elle fut emprisonnée l’espace de long temps et questionnée par les plus grans hommes, et sages et grignours clers de tout leur party pour savoir ses278 vittores, qu’elle avoit euez sur eulz, estoient faictes par enchantemens, caraulx279 ou aultrement. Laquelle il trouvèrent de si belle response, en leur baillant solucions si raisonnables, qu’il n’y eut onques nul qui par long temps l’osast jugier à mort selon droit. Mais finablement la firent ardre publiquement, ou autre femme eu semblable d’elle. De quoy moult de gens ont esté et encore sont de diverses oppinions280.

345[Chronique imprimée de Normandie.]

L’an mil quatre cens vingt-neuf, le comte de Salbery assembla les Anglois à Chartres en grande puissance et dit à maistre Jehan de Meun, magicien, qu’il vouloit aller mettre le siége à Orléans. Et maistre Jehan luy dist qu’il gardast sa teste281. Le siége y fut mis, si que ceux de la ville, voyans que les Anglois avoient gaigné la tour du par mi du pont et que secours ne leur venoit point, demandèrent trefves pour parlementer et composer leur ville. Durant les trefves, Salbery estoit en une fenestre à ceste tour du pont, où il regardoit la ville ; et un escollier mit le feu à une pièce d’artillerye qui estoit afustée pour tirer à ceste tour : dont la pierre frappa Salbery par la teste, et en mourut. Tantost Anglois crièrent trahison, à l’arme et l’assault, lequel ils donnèrent fort contre la ville. Mais escolliers leur firent forte résistance et furent Anglois vaillamment reboutez. Au secours de la ville furent François avec la. Pucelle qui lors commença à regner, et levèrent le siége des Anglois. Les Anglois se mirent en fuitte et fut prisonnier Talbot. Les François devancèrent les Anglois à Patay, et là fut la grant desconfiture des 346Anglois ; et doutèrent tant la Pucelle qu’il leur sembloit, par tout où elle seroit, jamais n’avoir victoire.

En l’an mil quatre cens XXXI, messire Jehan de Luxembourg, le conte d’Arondel et plusieurs Anglois et Bourguignons vinrent à grant ost mettre le siége devant Compiègne ; laquelle chose venue à la cognoissance de Jehanne la Pucelle, pour lors estant à Laigny-sur-Marne, se partit dudit Laigny pour venir secourir les assiégez à Compiègne ; et depuis de jour en jour y eut de grandes escarmouches entre les Anglois et Bourguignons, d’une part, et ceux de la ville, d’autre part. Si advint un jour que ladicte Pucelle fit une saillie vaillamment ; mais Anglois chargèrent si fort sur elle et sa compagnie, qu’elle fut prinse. Et ce firent faire par envie les capitaines de France, pour ce que, si aucuns faitz d’armes se faisoyent, la renommée estoit telle par tout le monde que la Pucelle les avoit faits. Et fut ladicte Jehanne la Pucelle détenue en prison par les gens de messire Jehan de Luxembourg ; et puis la vendit aux Anglois qui la menèrent à Rouen. Et fut preschée à Saint-Ouen, et puis après menée au Vieil-Marché où elle fut bruslée et la poudre mise à vau le vent.

347Robert Blondel

Robert Blondel, clerc normand, instituteur du prince Charles, fils de Charles VII, a composé une histoire latine de la réduction de la Normandie en 1450. C’est de là qu’est tiré le passage rapporté ci-après. L’ouvrage qui n’est pas imprimé et qui probablement ne le sera jamais, a été analysé par Bréquigny dans les Notices et extraits des manuscrits (tome VI). Il y en a plusieurs manuscrits à la Bibliothèque royale. Celui dont je me suis servi porte le numéro 6197. Le chapitre de la Pucelle s’y trouve au feuillet 109.

De sacrilega ecclesiæ de Cleriaco exspoliatione, et de succursu Puellæ et mira culosa obsidionis Anglorum expugnatione, et de inopinata regis Karoli Franciæ coronatione.

Anglica gens rapax, gens sacrilega, quum immanibus undenis arcibus illam, fide et armis perspicuam urbem regni conservatricem, Aurelianis, obsessam [tenere] tibi gravissimus labor erat : celeberrimum variis et infinitis miraculis illustratum nostræ dominæ Virginis Mariæ de Cleriaco, templum, sacris donariis et pagum profanis deprædari audax fuisti. Exinde omnia infausta tibi sacrilegœ procedunt : nempe ille truculentus comes Salberiensis, crudæ obsidionis director, e Pontis arcis fenestra, intus reconditus, splen didam urbis compositionem prospectans, ab ignoto auctore, quanquam quidam aiunt juvene, jactatus, plaga qua percussus occubuit, letifere sauciatur. Hoc exstincto bellorum ductore, obsidentium tum industria et corporis vigor exstincti marcescunt. Ad ultimum 348strenua Puella viriles animum ac habitum, ut belli expeditio sibi divinitus commissa necessario urgebat, induta ; re militari non ab homine, cæterum a Deo imbuta, ad tuam efferatam proterviam confundendam e cœlo collapsa est. Immanitatem tuarum arcium horrendam, primo illius Pontis, si regum potentia, si nationum multitudo in ipsam dimicaret, scuto et lancea inexpugnabilis ; deinceps alterius Sancti Lupi inaudito assultu, mortalium viribus præstantiori, mi litantibus Anglicis intus stratis, absque sanguine gallico, funditus evertit. Alii cæterarum custodes, tanta clade inopinata perterriti suas munitiones novo insultu adeundas, fuga turpiter arrepta, victrici Puellæ cedunt. Hæc armipotens cœlesti subsidio freta, gressu properato incedens, rure Patheaco assecutos, medios per hostes ruit ferocissimos. Mirum ! velut inepta membra et manus abscissas gererent, corpore robusti et bello exercitatissimi, invasi, minus reluctantes truncantur ; ac alii huc illuc per sepes et dumos fusi, miseranda cæde ut porci ad macellum expositi, non dico a militibus, verum a rusticis bello inexpertis, trucidantur. Hoc prœlio confecto, in præva lidam Gergolii supra Ligerim munitionem facile cum parva manu ab hostibus tutandam, hæc strenuissima bellatrix insultu aggreditur ; in quo barbaros octingentos repertos, arcu et gladio ferocissimos, omnes aut cæsos vel captos, incredibili et plus quam humana armorum virtute, perdomuit.

Ante salutarem istius Puellæ succursum, tanta rei adversæ turbatio ac diffidentia a regni tuitione pugnaturos in ferocissimos aggressores, fidelium etiam Delphini, animos labefactos depressit, quod, urbe 349subacta, omni spe subsidii destitutæ cæteræ civitates et castra, præsertim supra Ligerim constituta, victori hosti cessuræ erant ; nec alio opportuno remedio, nisi patria deserta, domini Delphini salutem consiliarii, tanti mali asperitate perplexi, opinabantur. Verum hæc Puella sancto Spiritu monita ac divino fervore accensa, infortunii lapsum sua præstantissima virtute reparans, per mediam hostium confertissimo rum ferocitatem, Karolum tunc Delphinum cœlesti oleo consecrandum Remis transduxit. Et qui modo nefanda suorum conjuratione a regno exhæredatus, velut coronæ hostis, a perfidis impugnatur, nunc providentia divina sacro diademate redimitus, verus et legitimus sceptri hæres, in regem sublimatur.

350Thomas Basin

Thomas Basin, né à Caudebec en 1412 et attaché au parti des Anglais jusqu’en 1449, étudiait à Paris au moment où parut Jeanne d’Arc. Depuis il devint évêque de Lisieux, acquit une grande réputation comme canoniste, et à ce titre fut chargé par Charles VII de composer un mémoire sur les irrégularités du procès conduit par Pierre Cauchon. Des parties de cet ouvrage ont été rapportées comme pièces de la Réhabilitation dans notre 3e volume (p. 309 et suiv). Forcé de quitter la France par suite de démêlés qu’il eut avec Louis XI, Thomas Basin, après avoir erré de retraite en retraite, s’arrêta à Trêves en 1471, et là composa une histoire latine de son temps, qui n’a jamais été imprimée, mais qu’on a citée souvent sous le nom, aujourd’hui reconnu faux, d’Amelgard.

Le témoignage porté sur Jeanne d’Arc dans cet ouvrage est très avantageux. Il est connu en partie par des citations de Meyer (Annales Flandriæ, lib. XVI), qui s’en était emparé, sans faire connaître son auteur autrement que par la dénomination de un contemporain. La relation de Thomas Basin, contenue en cinq chapitres de l’Histoire de Charles VII, est conforme à la version généralement adoptée. Les seules circonstances à lui particulières, sont, qu’il nomme Dunois comme étant un de ceux qui engagèrent le plus Charles VII à se servir de la Pucelle, et que ce seigneur lui affirma tenir du roi que le secret révélé par elle était de telle nature, qu’elle ne pouvait le savoir que par l’intervention de Dieu.

Comme la Société de l’Histoire de France a décidé la publication du prétendu Amelgard, et que cet ouvrage sera livré bientôt au public, je puis me dispenser de rapporter dans toute son étendue ce que l’historien dit de Jeanne d’Arc. Je bornerai mes emprunts aux deux chapitres où il parle du procès. On y trouvera le passage célèbre où il raconte la part qu’il eut à la Réhabilitation, passage sur la foi duquel M. de l’Averdy fit faire tant de recherches 351dans toutes les bibliothèques de l’Europe, s’imaginant qu’il existait ou avait existé un mémoire justificatif sur la Pucelle par Amelgard. Le même endroit m’a aidé au contraire à découvrir qu’Amelgard était un auteur imaginaire.

Cap. XV.
Obsidetur Compendium ab Anglis et Burgundionibus, ubi Joanna Puella de oppido irruens in hostes, ab uno Burgundione capitur et Anglicis venditur

Quum autem Compendium supra Isaram flumen cum Burgundionibus ipsi Angli jam diu obsedissent, esset que in oppido, cum multis Francorum strenuis ducibus atque militibus, Joanna Puella : eidem Joannæ infaustum omen atque infelix valde contigit ; nam certo die cum multis armatis oppidum exiens, ut in hostes impetum faceret, ab uno milite Burgundione capta fuit et ab Anglicis, qui ejus perditionem et extinctionem magnopere exoptabant, multo auro redempta. De qua Anglici, qui toties ejus nominis solius terrore cæsi fugatique fuerant, valde lætificati et exhilarati fuerunt. Duxerunt autem eam ad urbem Rothomagensem, in qua dictus Henricus juvenis tunc erat cum suo comitatu et consilio ; ubi, postquam quidnam de ea statueretur, diu consiliatum fuisset, in ea sententia resederunt, ut, ea studiose in quodam satis aspero carcere arcis Rothomagensis asservata, coram domino Petro Cauchon, Bellovacensi episcopo, qui ex consiliariis regis Angliæ unus de primoribus erat, eo quod infra limites suæ dioecesis apprehensa fuisset, contra eam inquisitio et negotium fidei ageretur. Quod diu deductum agitatumque fuit, et per multorum mensium decursum, variisque diebus ac vicibus, assidentibus inquisitoribus hæreticæ pravitatis, et multis sacræ theologiæ, et divini atque humani 352juris professoribus, propter hujuscemodi causam ex Parisiis accersitis, multipliciter interrogata fuit ; fueruntque interrogationes eidem factæ cum singulis suis responsionibus per publicos tabelliones diligentissime exceptæ, et in publica munimenta redactæ. Mirabantur omnes ferme quod ad interrogationes de fidei capitulis, etiam doctis et litteratis viris satis difficiles, talis rusticana juvencula tam prudenter et caute responderet ; et quum assessorum, qui acrius et ferventius Anglorum querelæ fautores atque defen sores existebant, tota ad hoc versaretur intentio, ut callidis et captiosis interrogationibus capta criminis hæreseos adjudicaretur rea, et per hoc de medio tolleretur, nihil tamen validum aut efficax ad hoc ex ipsius dictis aut assertionibus extrahere potuerunt. Fuerat enim revera, ut ab iis qui ejus conversationem et mores cognoverant, testabatur, priusquam ad regem accessisset ac etiam postquam inter armatorum cohortes obversata fuit, multum devota, quoties poterat ecclesias et oratoria frequentans. Ubi autem de rure pascendo pecori insisteret, si audiret campanæ sonum pro elevatione divini corporis et sanguinis, vel pro salutatione Beatæ Mariæ, cum magno devotionis fervore solita erat genu flectere et Deum exorare. Sed et Deo suam virginitatem vovisse affirmabat : de cujus violatione, licet diu inter armatorum greges et impu dicorum ac moribus perditissimorum virorum fuisset conversata, nunquam tamen aliquam infamiam pertulit. Quinimo quum per mulieres expertas, etiam inter Anglorum existens manus, super sua integritate examinata inspectaque fuisset, non aliud de ea experiri potuerunt nec inferre, nisi quod intemerata virginalia 353claustra servaret. Excusabat ipsa virilis vestis habitum atque tegumentum, præceptum de assumendo atque utendo eo et armis divinitus sibi factum asserens, ne viros, inter quos diu noctuque in expeditionibus bellicis obversari haberet, ad illicitam sui alliceret concupiscentiam, si amictum muliebrem portasset, quod vix profecto inhiberi potuisset. Sed certe, cujuscumque in ea seu simulacrum, seu specimen virtutis elucere potuisset, vix erat ut apud quos tenebatur se potuis set justificare, quum nihil ferventius aut propensius, quam ipsam perditum iri et extingui, assectarent. Una enim omnium Anglorum sententia voxque communis erat se nunquam posse cum Francis feliciter dimicare, aut de eis reportare victoriam, quamdiu illa Puella, quam sortilegam ac maleficam diffamabant, vitam age ret in humanis. Atqui quomodo innocentia secura evadere, quidve prodesse, inter tot acerbissimorum inimicorum et calumniatorum manus posset, quales eidem Puellæ ipsi Anglici erant, atque alii permulti qui animosius eorum partes defendebant, et judicio assidebant, qui eam toto annisu, quacunque via, per ditum iri cupiebant ? Quum autem super iis quas affir mabat sanctarum virginum apparitiones factas, in una eademque confessione perseveranter maneret ; dumque et multoties iteratis examinationibus fatigata, simul etiam squalore et inedia diutini carceris macerata et confecta fuisset (in quo quidem ab Anglicis militibus, tam intus carcerem, quam a foris juxta ostium jugiter excubantibus, asservabatur), ferunt, ju dicibus sibi, si idfaceret, impunitatem liberationemque pollicentibus, aliquando eam abnegasse se habuisse veras hujuscemodi apparitiones aut divinas revelationes ; 354ad hoc tandem inductam ut, coram assidentibus in judicio, ea ulterius se dicturam asserturamve abjuraret. Quod quum ita factum fuisset nec minus propter hoc a duritia et asperitate carceris laxaretur, aliquot post decursis diebus, vulgatum extitit, eam dixisse, graviter se propterea fuisse correptam, quod hujusmodi apparitiones et revelationes se abnegasset habuisse, denuoque Sanctas easdem sibi in carcere apparuisse, quæ de hoc ipsam dire increparant.

Cap. XVI.
Condemnatio Joannæ Puellæ, quæ igne cremata extitit apud Rothomagum.

Qnum antem ad judices ea res perlata fuisset, ipsa iterum ad judicium publice exhibita, tanquam in abjuratam hæresim relapsa, judicata extitit, et relicta ut talis brachio sæcularis potestatis. Quam illico rapientes executores totaque Anglorum manus, qui in magno numero cum rege suo Henrico tum erant Rothomagi, spectante innumera pene populorum multitudine, tam de civitate ipsa, quam de agris et vicinis oppidis (nam plurimi velut ad spectaculum publicum, propterea ad eamdem urbem confluxerant), ipsa Joanna, Deum semper invocans auxiliatorem et gloriosam Domini nostri Jesu Christi genitricem, igne consumpta extitit. Collecti etiam fuerunt universi cineres, quos illic ignis tam de lignis, quam de ipsius corpore et ossibus reliquerat, et de ponte in Sequanam projecti, ne quid reliquiarum ejusdem aliqua forsam posset superstitione tolli et servari. Et talis quidem finis hujus transitoriæ vitæ Joannæ fuit.

Expectabit forte hujus historiæ lector nostrum de hujus Puellæ gestis judicium ; de qua per omnem 355Galliam ea tempestate celeberrima fama fuit. Nos vero sicut temere asserere non præsumimus quod revelationes et apparitiones, quas habuisse aiebat, a Deo fuerint, qui missionis suæ signa quæ soli dicitur regi Carolo dixisse minime agnovimus ; ita audenter dicimns et affirmamus quod, ex processu facto contra eam, quem ipsi vidimus atque examinavimus, postquam ejectis Anglicis Normannia sub Caroli ditionem velut postliminio redierat, non sufficienter constat, ipsam de alicujus erronei dogmatis, contra veritatem doctrinæ catholicæ, assertione vinctam, vel in jure confessam ; ac per hoc hæresis atque relapsus satis ma nifeste defuisse fundamentum. Quanquam etiam præter hoc, poterat processus hujusmodi ex multis capitibus argui vitiosus, coram capitalibus inimicis sæpe per eam recusatis, denegato sibi etiam omni consilio, quæ simplex Puella erat, factus et habitus : quemadmodum ex libello, quem desuper, ab eodem Carolo expetito a nobis consilio, edidimus, si ei ad cujus venerit manus eum legere vacaverit, latius poterit apparere. Pulsis enim de Normannia Anglicis, idem Carolus per plures regni sui prælatos et divini atque humani juris doctos homines, diligenter processum prædictum examinari et discuti fecit ; et de ea materia plures ad eum libellos conscripserunt, quibus, coram certis a sede apostolica ad cognoscendum et judicandum de hujusmodi materia, judicibus delegatis, exhibitis et mature perspectis per eosdem judices : in sententiam quam diximusextitit con descensum, et sententia contra eam data sub Anglo rum imperio cassata et revocata.

Mirabitur forsan aliquis, si a Deo missa erat, quomodo sic capi et suppliciis affici potuerit ; sed nullus 356admirari rationabiliter poterit, qui sine ulla hæsitatione credit sanctum sanctorum Dominum et Salvatorem nostrum, sanctos prophetas et apostolos a Deo missos ob doctrinam salutis et fidei Deique voluntatem hominibus insinuandam, et evangelizandum, variis cruciatibus et suppliciis affectos, triumphali martyrio hanc vitam finiisse mortalem : quum etiam legamus in Veteri Testamento populum Isræliticum, a Deo jussum Chananæorum gentes exterminare, et contra suos hostes et idolatras pugnare, tam propter sua peccata, aut alicujus etiam ex eis, aliquando prævalentibus eis hostibus, cecidisse et corruisse. Quis enim movit sensum Domini, aut quis consiliarius ejus fuit ? Non tamen ita hæc dicimus, quod eamdem Joammam, modo quem diximus ex hac misera vita præreptam, apostolorum aut sanctorum martyrum velimus meritis coæquare ; sed quod minime repugnantia aut inter se incompassibilia reputamus, etiam quod a Deo, ad subveniendum regno et genti Francorum adversus hostes suos Anglicos, qui tunc regnum ipsum gravissime opprimebant, ad ipsorum Francorum Anglorumque conterendum superbiam, et ut ne quis ponat carnem brachium suum, sed non in Deo, sed in se ipso solo de suisque viribus glorietur, dicta Joanna a Deo missa fuerit ; et nihilominus quod eam Deus, vel ob regis vel gentis Francorum demerita, ut pote quod tantorum beneficiorum, quanta Deus per eam ipsis mirabiliter contulerat, in grati, non proinde debitas agerent gratias divinitati, aut victorias eis concessas non gratiæ Dei sed suis meritis aut viribus attribuerint (quæ merita profecto nulla nisi mala tunc erant, quum mores corruptissimi 357essent, seu alia causa aliqua, justa quidem, quoniam non est apud Deum iniquitas, licet a nobis minime cognita), ab hostibus capi, et supplicio sic eam affici permiserit, gratiam quam gratis nec merentibus dederat, ab indignis ac ingratis subtrahendo. Sæpeenim quod divina pietas dedit gratis, tulit ingratis ; quod autem per fœminas interdum cum armis, interdum sine armis, suis subventionem et victoriarum solatia de hostibus Deus contulerit, testes sunt historiæ de Debbora, Judith et Hester, quæ canoni divinarum scripturarum inseruntur.

Talibus igitur de Joanna Puella dicta recensitis, de cujus missione et apparitionibus et revelationibus per eam assertis, non ulli pro suo captu et arbitrio, quod voluerit, sic vel aliter sentiendi adimimus libertatem : ad narrationis nostræ seriem prosequendam revertamur.

358Vie de Guillaume de Gamaches

Cet ouvrage doit figurer ici au moins pour mémoire, attendu qu’il a été cité par de recommandables historiens de Jeanne d’Arc, tels que MM. Le Brun de Charmettes et Jollois. Il fut imprimé en 1790 dans une collection qui a pour titre : la France illustre ou le Plutarque français, par M. Turpin, citoyen de Saint-Malo. Ce M. Turpin reçut en effet des lettres de bourgeoisie des Malouins pour avoir écrit la vie de Duguay-Trouin, mais il était né à Caen. Il rampa devant tous les pouvoirs, fit des hommages aux ministres de Louis XV, à ceux de Louis XVI, à Marie-Antoinette et à la Convention. La vie de Guillaume de Gamaches a tout l’air d’une spéculation sur la vanité des héritiers du nom. C’est un tissu de faux renseignements généalogiques et de prétendus extraits de chronique, forgés heureusement avec une maladresse qui décèle sur-le-champ la supercherie.

Guillaume de Gamaches, selon M. Turpin, aurait été l’homme par qui fut sauvée la France. Il le fait assister aux conseils de guerre tenus dans Orléans en 1429, et l’y met en lutte ouverte avec Jeanne d’Arc. À ce sujet il laisse parler sa chronique, dont voici un échantillon :

Riotte s’esmeut, tant qu’il ne put reffrener son ire, disant : Puisque ainsi est, chevaliers, azener (sic) l’advis d’une peronelle de bas lieu mieulx que celluy d’ung chevalier tel que suis, plus me rebifferois à l’encontre. Je fairois parler en temps et lieu mon branc et seroi peut-estre occis ; mais ainsi le veul, pour le roy et mon honneur, et onc dès ichi je deffais ma bannière et ne suis plus qu’ung pauvre escuyer ; d’autant que j’aime mieulx homme noble pour maistre qu’une femme qui fut peut-estre, qui ça, onc ne sçois.

Là-dessus Guillaume de Gamaches ploie sa bannière et la remet 359à Dunois ; mais les autres capitaines à force de prières finissent par calmer sa colère et par lui faire

baisier en la joue la Pucelle : ce que firent les deux avec rechin.

Rien de tout cela ne mérite la discussion ni pour le fond ni pour la forme, Il suffit d’avoir appelé l’attention sur ce grossier pastiche pour qu’on s’épargne la peine de recourir au livre, qui est assez difficile à rencontrer.

Notes

  1. [174] Journal du siège, p. 118.
  2. [175] Version amplifiée du Journal du siège. Voy. p. 125.
  3. [176] Journal du siège, p. 126.
  4. [177] Journal du siège, p. 127.
  5. [178] Journal du siège, p. 128.
  6. [179] Lacune du manuscrit. Godefroy supplée conséquence.
  7. [180] Journal du siège, p. 128.
  8. [181] Tout ce paragraphe est traduit de la déposition de frère Seguin. Voyez t. III, p. 203 et suiv.
  9. [182] Version amplifiée du Journal du siège, q. v. p. 129.
  10. [183] Jean Chartier, ci-dessus, p. 53 et 54.
  11. [184] Voici comme tout ce commencement est conçu dans le manuscrit des Gestes des nobles Françoys, f° 137. Ces choses durans, fut admenée à Chinon par devers le Roy de France une fille de simple estat, pucelle de sainte et religieuse vie, du païs de Barrois, qui fille fut d’un pouvre laboureur de la contrée et de sa femme, qui de leur loyal labour vivoient, aagée d’environ vint ans ; et au temps de son enffance avoit esté pastoure et peu savoit des choses mondaines. Et peu parloit ceste Pucelle ; seulement parloit de Dieu et de sa benoiste mère, des anges, des saints et saintes de paradis. Et disoit que par plusieurs foiz, etc. On voit que l’auteur de la Chronique de la Pucelle s’est borné à mettre dans la forme indirecte le récit de son devancier.
  12. [185] Variante du manuscrit des Gestes : Affermèrent que ilz la réputoient chose divine, inspirée de Dieu.
  13. [186] Comme la lettre est aussi rapportée dans le manuscrit des Gestes, nous la donnons d’après ce texte plus ancien, et par conséquent moins altéré.
  14. [187] Suppléez France, régime de cette phrase et de la suivante. Ce mot est également omis dans la version du Journal du siège. Voyez p. 139.
  15. [188] L’édition de la Chronique fait précéder l’adresse de ces mots : Et sur le dos estoit escrit : Entendez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle.
  16. [189] Jean Chartier. Voyez ci-dessus, p 54.
  17. [190] Déposition de Dunois, t. III, p. 5 et 6.
  18. [191] Manuscrits des Gestes, f° 138, r° : En la ville d’Orléans vint la Pucelle le penultiesme jour d’avril, l’an MCCCCXXIX et tantost sceut que de ses lettres et de tout le contenu, les chiefz du siege ne tindrent compte, etc., etc.
  19. [192] Jusqu’ici ce paragraphe est conforme à la déposition de Jacquet Lesbahy, t. III, p. 26. Ce qui suit appartient en propre à la Chronique de la Pucelle.
  20. [193] Lors de son arrivée en vue d’Orléans, le 29 avril.
  21. [194] Jean Chartier. Voyez ci-dessus, p. 55 et 56.
  22. [195] Dépositions modifiées de Louis de Contes et Simon Beaucroix.
  23. [196] Journal du siège, p. 155.
  24. [197] Déposition de Colette, femme Millet. Voy. t. III, p. 124.
  25. [198] Journal du siège, p. 160 et 161.
  26. [199] Avance, saillie. V. Du Cange, v° advantagium.
  27. [200] Journal du siège, p. 161.
  28. [201] Ledit assault durant, environ vespres, fist la Pucelle ses gens descendre es fossez du Boulevart, et contremont dreschier eschielles, etc. Manuscrit des Gestes, f° 142, r°.
  29. [202] Ponnains et Couins dans les manuscrits des Gestes. Voyez ci-dessus, p. 44.
  30. [203] Pavaulx dans le manuscrit des Gestes. Les comptes de la ville d’Orléans pour 1429, mentionnent le salaire de cinq hommes qui ont aidié à descharger les canons, pavas et autres choses qu’on amena de la rivière après la prinse des Tourelles. (Jollois, Histoire du siège, p. 84.)
  31. [204] Dont les aucuns gectèrent parmi les champs leurs harnoys, ajoute le manuscrit des Gestes.
  32. [205] Un de ces morceaux de marbre enchâssés de métal, qui constituaient les autels portatifs. Voy. Du Cange, au mot Altare.
  33. [206] Déposition de Jean de Champeaux, t. III, p. 29.
  34. [207] Nous supprimons l’anecdote de la délivrance du Bourg de Bar qui est racontée de même que dans le Journal du siège, ci-dessus, p. 165.
  35. [208] Correction de Godefroy. Son manuscrit porte treiziesme.
  36. [209] Il y a dans le manuscrit et dans l’édition de Godefroy vingt et uniesme, et plus bas, vingt deuxiesme, au lieu de douziesme. Nous corrigeons d’après le manuscrit des Gestes.
  37. [210] Journal du siège. Voyez p. 168 et la note 2.
  38. [211] Jean Chartier, ci-dessus p. 64.
  39. [212] Déposition du duc d’Alençon. Voy. t. III, p. 96. Cf. Journal du siège, p. 171.
  40. [213] Journal du siège, p. 171 et 172.
  41. [214] Journal du siège, p. 173.
  42. [215] Tindrent de grans conseilz dedens Orléans, et firent faire, etc. Manuscrit des Gestes, f° 144, r°.
  43. [216] Nous suppléons ce membre de phrase indispensable, d’après notre manuscrit des Gestes, f° 144, v°.
  44. [217] Journal du siège, p. 174.
  45. [218] Suppléez à genoulz d’après le manuscrit des Gestes, l. c.
  46. [219] Contre-sens du compilateur de la Chronique. Le manuscrit des Gestes donne : et de lui estre contraires, se trouvé estoit deffaillant, qui est la vraie leçon.
  47. [220] Manuscrit des Gestes : Que ès mains du duc d’Alençon et de la Pucelle pour le roy Charles de France, Anglois rendroient le pont et le chastel, etc.
  48. [221] Leçon du manuscrit des Gestes. L’édition et le manuscrit de Godefroy portent : au lieu des Coynées.
  49. [222] Déposition de Dunois, t. III, p. 11.
  50. [223] Si furent Anglois tant près tenuz que plus ne peurent la bataille eschever, et en ordonnance se mistrent ; contre lesquelz assemblèrent François à bataille, tant, etc. Manuscrit des Gestes, f° 146, verso.
  51. [224] Corrigez Hungerford. Ces deux personnages ne sont pas nommés dans le manuscrit des Gestes.
  52. [225] Il y a dans le manuscrit des Gestes : Et de la bataille s’enfuy Messire Jehan Fastol, ce qui est plus clair.
  53. [226] Le manuscrit des Gestes porte prodeshommes du clergié, au lieu de gens d’église.
  54. [227] Ici finissent les emprunts faits au manuscrit des Gestes. Voici les deux derniers paragraphes de cet ouvrage qui n’ont pas été introduits comme les autres dans la Chronique de la Pucelle :

    Tenant sa voye droit à Rains, le roy s’adreça en Aucerrois, et par ses heraulx manda aux bourgois de la cité d’Aucerre, à ceulx de Cravant et de Coulanges les Vineuses, qui pour le roy anglois et le duc de Bourgoingne se tenoient, que en son obéissance se rendissent ; auquel mandement, ilz obéirent, et en sa grâce le receupt et aultres villes et chasteaulx de la contrée, et benignement leur pardonna toutes offenses. Si administrèrent au roy vivres et charroy abondamment pour son host soustenir ; et, en tout ce que requerir leur voult, s’emploièrent en son service. Dedans Aucerre n’entra pas le roy à celle foiz ; mais pour la possession en prendre et le serement recevoir du clergié et des bourgois, y envoya de haulx seigneurs ; et ce fait passa la rivière d’Yonne et de toutes pars ala chacun jour son host croissant, tant de haulx seigneurs, barons et nobles, comme bourgois et gens de commun. Et chevauchant pais et recevant villes et places en obéissance, tint son chemin droit à la cité de Troies en Champaingne, dedans laquelle le duc de Bourgoigne avoi establi plusieurs cappitaines au nombre de v° hommes d’armes pour resister contre le roy.

    Devant Troies vint le roy Charles de France le mercredi VIe jour de juillet M CCCC XXIX et là mist siege de toutes pars. Si fist son appareil et ses bombardes asseoir et assortir sur la rive des fossez de la cité qui forte fut et bien close de muraille ; contre laquelle il commanda faire ses bombardes gecter.

  55. [228] Jean Chartier, plus la circonstance des gentilshommes qui se font varlets.
  56. [229] Jean Chartier, p. 70.
  57. [230] Jean Chartier, pp. 70 et 71 : mais la circonstance de l’épée cassée a été omise.
  58. [231] Procès de réhabilitation, passim.
  59. [232] Nous omettons le récit du siège de Troyes, qui n’est autre chose que le texte de Jean Chartier avec celui du Journal du siège fondus l’un dans l’autre, sans aucune addition. Ainsi il y est parlé successivement du passage de frère Richard, du conseil tenu au logis du roi, et de l’impulsion donnée aux travaux du siège par la Pucelle. Voyez ci-dessus, p. 72 et 181.
  60. [233] Journal du siège, sauf la circonstance des papillons blancs qui pourrait bien être tirée du procès de condamnation. Voyez t. I, p. 103.
  61. [234] Jean Chartier, p. 76 et Journal du siège, p. 184, amplifiés de quelques circonstances de détail.
  62. [235] Voyez le Procès de réhabilitation, t. III, p. 298.
  63. [236] Lisez Beaurevoir.
  64. [237] Suivent la lettre de l’université de Paris à Jean de Luxembourg et la sommation portée au camp de Compiègne par l’évêque de Beauvais. Voir ces pièces au Procès de condamnation, t. I, p. 10 et 13.
  65. [238] Contre-sens de l’abréviateur. Il y a dans le latin : domino J. de Luxemburgo, militi, domino de Beaurevoir. (T. I. p. 15).
  66. [239] J’omets cette traduction de l’acte rapporté t. I, p. 14.
  67. [240] Qu’il suffise de ce spécimen du travail de l’Abréviateur, et qu’on le compare au texte du procès pour s’assurer qu’il n’en est qu’une très-incomplète et très-fautive reproduction.
  68. [241] Cette dame est appelée la vicomtesse d’Arsy (lisez d’Acy) par Matthieu de Coussy qui raconte dans tout son détail l’histoire du meurtre de Guillaume de Flavy en 1449. Blanche d’Aurebruche était fille de Robert d’Aurebruche, vicomte d’Acy, que Flavy fit mourir en prison pour avoir plus tôt son château de Nesle. Cette circonstance contribua beaucoup à atténuer le crime de sa fille. Le barbier, complice de celle-ci, était un bâtard de noble famille. Un capitaine nommé Pierre de Louvain, avec lequel elle se remaria, était aussi du complot. Voyez Matthieu de Coussy, ch. XXVII, et les Mémoires de Jacques Duclercq, l. V, ch. X.
  69. [242] Si l’auteur prétend par là que Saint-Michel n’existait pas lors du supplice de Jeanne d’Arc, il se trompe ; on trouve cette église mentionnée dès le XIIe siècle ; mais peut-être veut-il seulement donner à entendre qu’elle avait été rebâtie et avancée sur la place, après la réhabilitation. Il n’en reste rien aujourd’hui.
  70. [243] Le sens du mot coquard a beaucoup varié. Dans l’origine il signifiait un beau, un homme à la mode. Coquarde peut passer ici pour l’équivalent de hâbleuse, femme sans consistance.
  71. [244] Guillaume, seigneur de Chastillon et de la Ferté en Ponthieu, grand queu de France, affidé de Jean de Luxembourg. Il tint Épernay pour les Anglais jusqu’au 23 octobre 1435. (Rogier, ibid., f° 152.)
  72. [245] Ce bailly s’appelait Guillaume Hodierne.
  73. [246] On voit par les Comptes des deniers communs de Reims, que le sire de Chastillon avait deux lieutenants, savoir Jean Cauchon et Thomas de Bazoches, tous deux écuyers. Thomas de Bazoches fut le seul fonctionnaire présent lorsque Charles VII fit son entrée. (Varin, ibidem, p. 910 et 612.)
  74. [247] Personnage inconnu.
  75. [248] Nous rapporterons en leur lieu des lettres de Jeanne d’Arc, écrites au commencement de 1430 sur cette affaire.
  76. [249] Charles VI.
  77. [250] C’est-à-dire à son fils Louis, en 1440.
  78. [251] Culottes. Jacques du Clercq dans ses Mémoires : Et les petits draps, qu’on appelle communément des brayes.
  79. [252] Nous avons déjà rapporté (t. III, p. 15, n. 2) cette prédiction telle qu’elle est conçue dans le manuscrit de la Bibliothèque royale 7301.
  80. [253] Ces vers se trouvent encore dans le manuscrit 7301 de la Bibliothèque royale et dans le Scotichronicon. Voir ci-après l’article de William Bower.
  81. [254] C’est la pièce rapportée à la suite du procès de réhabilitation, t. III, p. 391. Thomassin l’a paraphrasée dans les endroits obscurs. Ainsi le passage : Non obstant que ces promesses soyent seules humaines, a été interprété ainsi par Thomassin : Non obstant que les promesses et parolles de laditte Pucelle soient par dessus euvres humaines ; ce qui forme un contre-sens.
  82. [255] On remarquera que Thomassin a pris pour quatre lettres la sommation de la Pucelle, rapportée partout ailleurs comme un seul et unique document.
  83. [256] Dans le texte original, il y a seulement : se vous ne faictes raison, elle fera que François feront, etc. Voyez p. 217.
  84. [257] Lacune dans le manuscrit.
  85. [258] Nous nous abstenons de rapporter ici l’extrait que Thomassin donne des vers de Christine de Pisan sur la Pucelle, attendu que plus loin nous donnons la pièce complète.
  86. [259] Suppléez ledit Daulphiné eust esté pareillement en voie de perdition, ou tout autre membre de phrase analogue. Les mots suivants sont une allusion à l’expédition du prince d’Orange qui faillit en effet s’emparer du Dauphiné en 1430.
  87. [260] Faute d’inattention de l’auteur qui savait aussi bien que personne que Charles VII n’était jamais entré à Paris du vivant de Jeanne d’Arc.
  88. [261] Un manuscrit de la Bibliothèque royale (n° 9624-5. 5) qui contient d’autres fragments de l’ouvrage de Thomassin, me fournit quelques mots de plus à la louange de la Pucelle. Ce passage fait partie d’une longue argumentation contre les Anglais. L’auteur dit en propres termes : Les Anglois se sont efforcez de eslever leur nacion par sur toutes autres nacions chrestiennes, en faisant ung tel quel procès à l’encontre de Jehanne la Pucelle que je croys sans doubte estre en paradis. (f° 22, v°).
  89. [262] Voir ci-après, p. 323, l’extrait du Doyen de saint Thibaud de Metz.
  90. [263] Voyez ci-dessus, p. 273.
  91. [264] Le chronogramme qui devait accompagner cet article, manque dans le manuscrit. On peut le suppléer d’après le Mirouer des femmes vertueuses, ci dessus, p. 275.
  92. [265] Comparer ce récit avec ceux du Journal du siège et de la Chronique de la Pucelle, ci-dessus, p. 175 et 240.
  93. [266] Lisez Amador. C’était le prénom du frère de La Hire.
  94. [267] Voir p. 327 l’erreur du Doyen relativement à la date de cette mort.
  95. [268] Ce vers, ainsi que les deux précédents, a été déjà rapporté dans le mémoire de Jean Brehal. Voyez t. III, p. 338.
  96. [269] Suivie.
  97. [270] Les extraits du Doyen de Saint-Thibaud sur la fausse Jeanne d’Arc seront rapportés dans le volume suivant.
  98. [271] Cordonnier, dans le patois lorrain.
  99. [272] M. Michelet a eu connaissance de ces vers et les a cités dans son Histoire de France.
  100. [273] Sans doute Alençon, confisqué sur le duc titulaire en 1456.
  101. [274] Il y a dans le manuscrit pnt, avec une abréviation.
  102. [275] C’est-à-dire des religieux et des gens du peuple sans armes.
  103. [276] Voyez ci-dessus, page 48.
  104. [277] Ce ne pouvait être que le cadet d’Armagnac, comte de Perdriac.
  105. [278] Si les.
  106. [279] Danses magiques.
  107. [280] Ce doute se trouve exprimé par plusieurs autres auteurs ; entre autres par celui d’une chronique abrégée, exécutée en Bretagne en 1440, dont le manuscrit se trouve à la bibliothèque Sainte-Geneviève (n. 1155, olim L. 2). On y lit : L’an mil CCCC XXXI, la veille du Sacrement, fut la Pucelle bruslée à Rouen ou condampnée à l’estre. Symphorien Champier, dans La nef des Dames, imprimée à Lyon en 1503, écrit encore : Ceste pucelle fut femme de grant esperit, tant par prouesse et noblesse d’armes comme par subtilité d’entendement ; et ressembloit plus estre chose spirituelle que corporelle par les armes et prouesses qu’elle fit ; car elle se porta si vaillamment contre lesditz Angloys, qu’elle les chassa vertueusement de plusieurs villes de France, comme de Paris, de devant Orléans et plusieurs autres lieux. Et à la parfin, fut en trayson prinse et baillée aux Angloys qui, en despit des Françoys, la bruslèrent à Rouen ; ce disent-ilz neanmoins : que les François le nyent. Pourquoy l’on la compare proprement a Penthasilée.
  108. [281] Le même fait est ainsi rapporté par Simon de Phares dans son livre des Astrologiens célèbres : Maistre Jehan des Builhons, prisonnier à Chartres des Anglois, grant philosophe et bon astrologien, prédist au conte de Salisbury, à Talebot et autres, leur infortune durant le siége d’Orléans et après ce qui advint ; dont il fut moult honnoré. Et le fist délivrer le roy Charles VIIe par le bastard d’Orléans, seigneur de Baugenci et conte de Dunois, et le retint de sa pension et maison honnorablement, jaçoit ce que aucuns qui encores sont de la race des Anglois, dient le contraire et qu’il mourut en prison. (Manuscrit n. 7487 de la B. R.)
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174. Journal du siège, p. 118.

175. Version amplifiée du Journal du siège. Voy. p. 125.

176. Journal du siège, p. 126.

177. Journal du siège, p. 127.

178. Journal du siège, p. 128.

179. Lacune du manuscrit. Godefroy supplée conséquence.

180. Journal du siège, p. 128.

181. Tout ce paragraphe est traduit de la déposition de frère Seguin. Voyez...

182. Version amplifiée du Journal du siège, q. v. p. 129.

183. Jean Chartier, ci-dessus, p. 53 et 54.

184. Voici comme tout ce commencement est conçu dans le manuscrit des...

185. Variante du manuscrit des Gestes : Affermèrent que ilz la...

186. Comme la lettre est aussi rapportée dans le manuscrit des Gestes, nous...

187. Suppléez France, régime de cette phrase et de la suivante. Ce...

188. L’édition de la Chronique fait précéder l’adresse de ces...

189. Jean Chartier. Voyez ci-dessus, p 54.

190. Déposition de Dunois, t. III, p. 5 et 6.

191. Manuscrits des Gestes, f° 138, r° : En la ville d’Orléans...

192. Jusqu’ici ce paragraphe est conforme à la déposition de Jacquet...

193. Lors de son arrivée en vue d’Orléans, le 29 avril.

194. Jean Chartier. Voyez ci-dessus, p. 55 et 56.

195. Dépositions modifiées de Louis de Contes et Simon Beaucroix.

196. Journal du siège, p. 155.

197. Déposition de Colette, femme Millet. Voy. t. III, p. 124.

198. Journal du siège, p. 160 et 161.

199. Avance, saillie. V. Du Cange, v° advantagium.

200. Journal du siège, p. 161.

202. Ponnains et Couins dans les manuscrits des...

203. Pavaulx dans le manuscrit des Gestes. Les comptes de la...

204. Dont les aucuns gectèrent parmi les champs leurs harnoys, ajoute le...

205. Un de ces morceaux de marbre enchâssés de métal, qui constituaient les...

206. Déposition de Jean de Champeaux, t. III, p. 29.

207. Nous supprimons l’anecdote de la délivrance du Bourg de Bar qui est...

208. Correction de Godefroy. Son manuscrit porte treiziesme.

209. Il y a dans le manuscrit et dans l’édition de Godefroy vingt et...

210. Journal du siège. Voyez p. 168 et la note 2.

211. Jean Chartier, ci-dessus p. 64.

212. Déposition du duc d’Alençon. Voy. t. III, p. 96. Cf. Journal du...

213. Journal du siège, p. 171 et 172.

214. Journal du siège, p. 173.

215. Tindrent de grans conseilz dedens Orléans, et firent faire, etc....

216. Nous suppléons ce membre de phrase indispensable, d’après notre...

217. Journal du siège, p. 174.

218. Suppléez à genoulz d’après le manuscrit des Gestes, l....

219. Contre-sens du compilateur de la Chronique. Le manuscrit des...

220. Manuscrit des Gestes : Que ès mains du duc d’Alençon et de...

221. Leçon du manuscrit des Gestes. L’édition et le manuscrit de...

222. Déposition de Dunois, t. III, p. 11.

223. Si furent Anglois tant près tenuz que plus ne peurent la bataille...

224. Corrigez Hungerford. Ces deux personnages ne sont pas nommés...

225. Il y a dans le manuscrit des Gestes : Et de la bataille...

226. Le manuscrit des Gestes porte prodeshommes du clergié, au lieu...

227. Ici finissent les emprunts faits au manuscrit des Gestes. Voici...

228. Jean Chartier, plus la circonstance des gentilshommes qui se font...

229. Jean Chartier, p. 70.

230. Jean Chartier, pp. 70 et 71 : mais la circonstance de l’épée...

231. Procès de réhabilitation, passim.

232. Nous omettons le récit du siège de Troyes, qui n’est autre chose que...

233. Journal du siège, sauf la circonstance des papillons blancs qui...

234. Jean Chartier, p. 76 et Journal du siège, p. 184, amplifiés de...

235. Voyez le Procès de réhabilitation, t. III, p. 298.

236. Lisez Beaurevoir.

237. Suivent la lettre de l’université de Paris à Jean de Luxembourg et la...

238. Contre-sens de l’abréviateur. Il y a dans le latin : domino J....

239. J’omets cette traduction de l’acte rapporté t. I, p. 14.

240. Qu’il suffise de ce spécimen du travail de l’Abréviateur, et qu’on le...

241. Cette dame est appelée la vicomtesse d’Arsy (lisez d’Acy) par...

242. Si l’auteur prétend par là que Saint-Michel n’existait pas lors du...

243. Le sens du mot coquard a beaucoup varié. Dans l’origine il...

244. Guillaume, seigneur de Chastillon et de la Ferté en Ponthieu, grand...

245. Ce bailly s’appelait Guillaume Hodierne.

246. On voit par les Comptes des deniers communs de Reims, que le...

247. Personnage inconnu.

248. Nous rapporterons en leur lieu des lettres de Jeanne d’Arc, écrites au...

249. Charles VI.

250. C’est-à-dire à son fils Louis, en 1440.

251. Culottes. Jacques du Clercq dans ses Mémoires : Et les...

252. Nous avons déjà rapporté (t. III, p. 15, n. 2) cette prédiction telle...

253. Ces vers se trouvent encore dans le manuscrit 7301 de la Bibliothèque...

254. C’est la pièce rapportée à la suite du procès de réhabilitation, t....

255. On remarquera que Thomassin a pris pour quatre lettres la sommation de...

256. Dans le texte original, il y a seulement : se vous ne faictes...

257. Lacune dans le manuscrit.

258. Nous nous abstenons de rapporter ici l’extrait que Thomassin donne des...

259. Suppléez ledit Daulphiné eust esté pareillement en voie de...

260. Faute d’inattention de l’auteur qui savait aussi bien que personne que...

261. Un manuscrit de la Bibliothèque royale (n° 9624-5. 5) qui contient...

262. Voir ci-après, p. 323, l’extrait du Doyen de saint Thibaud de Metz.

263. Voyez ci-dessus, p. 273.

264. Le chronogramme qui devait accompagner cet article, manque dans le...

265. Comparer ce récit avec ceux du Journal du siège et de la...

266. Lisez Amador. C’était le prénom du frère de La Hire.

267. Voir p. 327 l’erreur du Doyen relativement à la date de cette mort.

268. Ce vers, ainsi que les deux précédents, a été déjà rapporté dans le...

269. Suivie.

270. Les extraits du Doyen de Saint-Thibaud sur la fausse Jeanne d’Arc...

271. Cordonnier, dans le patois lorrain.

272. M. Michelet a eu connaissance de ces vers et les a cités dans son...

273. Sans doute Alençon, confisqué sur le duc titulaire en 1456.

274. Il y a dans le manuscrit pnt, avec une abréviation.

275. C’est-à-dire des religieux et des gens du peuple sans armes.

276. Voyez ci-dessus, page 48.

277. Ce ne pouvait être que le cadet d’Armagnac, comte de Perdriac.

278. Si les.

279. Danses magiques.

280. Ce doute se trouve exprimé par plusieurs autres auteurs ; entre...

281. Le même fait est ainsi rapporté par Simon de Phares dans son livre des...