Tome V : Partie 2 : Contribution historique
129Deuxième partie Du procès de condamnation au procès en nullité : une Jeanne historique
Une lecture attentive et critique des procès permet seule de mieux connaître Jeanne d’Arc. Tant de compilations, tant d’œuvres de vulgarisation, tant d’écrits fantaisistes ont banalisé, affadi ou déformé son image, que ce retour aux sources est vivifiant. Là encore, comme pour l’étude juridique, le procès en nullité reste la source principale : au cours d’enquêtes à Rouen, en Lorraine, à Orléans et Paris, il a recueilli les dépositions de 116 personnes, témoins de son enfance, de son adolescence et de sa mort ; il nous révèle ses faits et gestes, ses propres paroles parfois, et même, peut-on dire, ses états d’âme150. C’est un cas unique. Qui en effet peut avoir trouvé chez ses contemporains autant de témoins pour la postérité ? Est-il un cas semblable au cours de tout le Moyen Âge ? La singularité est encore plus surprenante car il s’agit d’une jeune fille, et plus encore d’une vie si courte, dix-neuf années ! Certes d’autres textes que les procès peuvent être consultés ; mais leur apport, quand il n’est pas incertain, demeure secondaire. Or, malgré des éditions et même des traductions, toutes incomplètes d’ailleurs, les procès semblent n’avoir jamais été utilisés pleinement et de façon suivie.
Une longue familiarité avec ces textes permet peut-être de présenter ici celle que nous osons appeler une Jeanne historique
. Il ne s’agit pas d’une Vie de Jeanne d’Arc
supplémentaire. C’est seulement ce qu’on peut tirer de documents, 130essentiellement des procès, sur la personne et la vie de Jeanne. Nous avons cru devoir mentionner, au fil de l’exposé, les principales assertions d’auteurs qui sont en contradiction avec les actes des procès151. Il est évidemment inutile de le faire pour des œuvres littéraires, pour des écrivains n’ayant cherché dans le cas de la Pucelle qu’un beau sujet dramatique, comme Shakespeare, Schiller ou Bernard Shaw, et même pour ceux qui approchèrent le mieux sa spiritualité, comme Péguy. Parmi les œuvres qui se veulent historiques, il n’est pas davantage utile de dresser la liste de celles qui utilisent Jeanne à des fins politiques ou exclusivement religieuses, de celles qui manifestent une partialité nationale manifeste, enfin de celles pénétrées d’animosité anti-cléricale ou anti-religieuse. En revanche sur des points précis sont relevées certaines affirmations de ceux qui ont prétendu faire œuvre historique à son sujet, dès Bossuet ou Voltaire.
Les écrits sur Jeanne d’Arc forment une prodigieuse bibliographie, qui s’accroît d’année en année. En 1904 A. Molinier, un sérieux bibliographe des sources imprimées écrivait déjà : La littérature du sujet est extrêmement abondante… mais cette abondance ne cache que le vide. En dehors de quelques monographies de détail, la plupart des histoires de Jeanne d’Arc sont dénuées de valeur152.
Et en 1945 un médiéviste également sérieux reprenait : Dès qu’on arrive à Jeanne d’Arc, le flot des livres est accablant ; bien peu pourtant méritent d’être retenus par l’historien153.
Le nombre et la diversité des opinions donnent une sorte de vertige, et cela malgré les nettes mises au point qu’ont apportées à plusieurs reprises Pierre Marot, Charles Samaran, Régine Pernoud et nous même. Tout ce qui touche à Jeanne, et depuis sa naissance jusqu’à sa mort, a fait l’objet de controverses. Que de divagations et sottises ont ainsi grossi et pris du poids à force d’être répétées ! En tout cas la diversité 131de ces écrits conduit à une réflexion sur la manière d’écrire l’histoire et sur la psychologie de l’écrivain ; elle pourrait intéresser aussi l’historien des mentalités et, probablement, le psychanalyste.
Ainsi Jeanne, qui est pour tous, croyants ou incroyants, écrivains et artistes, une source inépuisable de méditations, d’inspiration, est-elle aussi pour l’historien, le juriste ou le biographe un cas unique. Par l’abondance des renseignements que les procès nous ont laissés sur elle, autant que par les controverses qu’elle a suscitées, c’est Jeanne la bien connue, et c’est aussi Jeanne la méconnue.
132I. Naissance et famille
La date de naissance de Jeanne n’est pas connue directement et avec précision. Les procès fournissent cependant des indications sur son âge dans les dernières années de sa vie. Au procès de condamnation Jeanne elle-même déclara, le 21 février 1431, qu’elle pensait avoir dix-neuf ans environ154 : ainsi serait-elle née en 1412 ; elle ne sut toutefois dire l’âge qu’elle avait quand elle quitta Domrémy (C1 46). Mais d’après le réquisitoire du promoteur de l’accusation, Jean d’Estivet, le 27 mars 1431, elle serait un peu moins jeune : l’article 4 prétend qu’elle vécut à Domrémy jusqu’à l’âge de dix-huit ans environ, et le départ de Domrémy pouvant être placé au début de 1429 la naissance serait ainsi reculée vers 1411 ; bien plus l’article 8 du même réquisitoire déclare que Jeanne avait environ vingt ans lors de son séjour à Neufchâteau, ce qui conduirait à un nouveau recul vers 1410155. Mais les inexactitudes du promoteur sont trop nombreuses pour qu’on puisse avoir confiance en l’imprécision de ses évaluations. Il est probable surtout qu’il eut tendance à vieillir sa victime pour atténuer son état de mineure.
Lors de l’enquête faite à Rouen en 1452, l’article 9 de l’interrogatoire portait sur : quod Johanna erat puella XIX annorum vel circa (N1 193) ; sept témoins approuvèrent, un déclara qu’elle était etatis XIX aut XX annorum (N1 208), un autre qu’elle était bene juvenis (N1 211), un autre qu’elle était XVIII vel XIX annorum (N1 2 213), deux estimèrent qu’elle était etatis XX annorum (N1 220, 232), un autre avança qu’elle était etatis XVIII annorum (N1 239), et quatre enfin ne répondirent 133pas. Les témoins de Rouen en 1456, au procès même de nullité, attribuent tous uniformément vingt ans à Jeanne en 1431 (N1 413-459), mais ne semblent pas conserver un souvenir précis sur ce point. Les autres enquêtes de 1456 ne fournissent que deux renseignements différents des précédents, et contradictoires. Une ancienne amie de Jeanne à Domrémy, âgée d’environ quarante-cinq ans, née par conséquent vers 1411, déclara, d’après des rumeurs, avoir eu trois ou quatre ans de moins que Jeanne156 ; la naissance de celle-ci serait donc reportée en 1408. Jean d’Aulon au contraire dit que Jeanne avait environ seize ans à Poitiers, où elle fut examinée après son arrivée à Chinon, en mars 1429, ce qui reporterait sa naissance à 1413 ; mais un si jeune âge paraît peu vraisemblable, et d’ailleurs en contradiction avec tous les autres témoignages157. Quelques divergences s’expliquent vraisemblablement par le temps écoulé, après dix-sept années. Il paraît inutile de prendre en considération et de relever d’autres indications, plus ou moins fantaisistes, des anciens chroniqueurs, et il n’est pas possible de préciser davantage la date de sa naissance. Si Perceval de Boulainvilliers, son contemporain cependant, la fait naître dans la nuit de l’Épiphanie, soit le 6 janvier 1412, c’est pour y voir un prodige, en rapport avec la liturgie (Q5 116) ; cette assertion, purement imaginaire, fut adoptée par quelques historiens158. Faut-il citer encore la bévue de Voltaire, ironisant et donnant vingt-neuf ans à Jeanne, suivant les prétendues déclarations qu’elle aurait faites159.
Jeanne fut baptisée à Domrémy par le curé Jean Minet (C1 40, 41). Elle eut de nombreux parrains et marraines, ce qui était normal avant le concile de Trente160. On connaît 134cinq de ses marraines : Agnès (C1 40), Jeanne, femme du maire Aubery (C1 40, 66, 198), Sibille (C1 40), Jeanne, femme de Thiesselin de Vittel, et Jeanne, femme de Thévenin le Royer (N1 260, 264) ; et quatre de ses parrains : Jean Lingue C1 40, N1 257), Jean Barré de Neufchâteau (C1 40, N1 260), Jean Morel et Jean Rainguesson (N1 257).
Si la généalogie de la famille d’Arc présente peu d’intérêt pour notre sujet, il faut cependant préciser qui étaient les proches de Jeanne, ses père et mère, ses frères et sœurs.
Les parents de Jeanne, Jacques d’Arc et Isabelle Romée, étaient des habitants de Domrémy, pieux et honnêtes, sur lesquels nous sommes renseignés par les dépositions de témoins faites au procès en nullité : parrains et marraines de la Pucelle, curé successeur de celui qui la baptisa, parents et amis, voisins et gens du village ou des environs. La filiation était donc bien claire pour tous ceux qui connaissaient la famille, et on sait que dans les villages c’est chose qu’on surveille. C’était cependant trop simple pour certains esprits modernes, qui ne pouvaient comprendre l’épopée fulgurante de l’héroïne. Portés par une pente naturelle à banaliser son image, se méfiant des mystiques, ils tentèrent d’expliquer ce qui leur paraissait incompréhensible en recourant au secret d’une filiation princière ; ils voulurent remplacer, dans le destin de Jeanne, le mystère par l’adultère ; ils décidèrent qu’elle était de sang royal, fille de la reine Isabeau et de Louis d’Orléans. Elle aurait ainsi bénéficié d’une sorte de grâce d’état, innée, conception qui ravalait au niveau humain son inspiration céleste, et expliquait le soutien, prétendu immédiat, et l’aide qu’elle reçut. Aucun argument sérieux, aucun commencement de preuve n’ont été avancés ; cela n’a pas empêché la fable d’être colportée tout au long du XIXe siècle et jusqu’à nos jours161.
Jacques d’Arc, le père, dont les parents ne sont pas connus, 135tire probablement son nom, soit de la localité d’Arc-en-Barrois (Haute-Marne, arr. de Chaumont), soit de celle d’Art-sur-Meurthe (Meurthe-et-Moselle, arr. Nancy)162. Sans infirmer cette origine de sa famille, on a pu déclarer : Jacques d’Arc, on le sait, était originaire de Ceffonds163
(Haute-Marne, arr. Saint-Dizier). Il n’existe en fait aucune preuve, et on doit, semble-t-il, cette localisation à Charles du Lys, généalogiste de la famille au début du XVIIe siècle, désireux de se rattacher à une famille de noblesse ancienne en ce lieu164. En aucun endroit des procès, en aucune déposition de témoins, même de témoins lorrains, n’est cité Ceffonds ; cette paroisse n’est mentionnée ni comme lieu d’origine de Jacques, ni comme celui des parents, parrains ou marraines de Jeanne, alors que sont citées les paroisses de Greux, Burey, Coussey, Sermaize, Frebécourt, Vittel ; cette remarque s’applique particulièrement aux quatre parrains et cinq marraines de Jeanne, d’origine connue, quand on sait quel soin présidait à une équitable répartition entre les familles paternelle et maternelle. L’orthographe du nom n’est pas sans difficultés. Doit-on d’abord le transcrire actuellement avec ou sans apostrophe : d’Arc ou Darc165 ? La question, souvent débattue, a peu d’intérêt, si on la dépouille de ses oripeaux faussement nobiliaires, et si on se reporte aux usages du temps qui ignoraient la subtilité de l’apostrophe. Plus importantes à considérer sont les formes anciennes du mot, aux multiples variantes. Certaines sont normales avec l’orthographe non fixée du XVe siècle, ainsi Dars, Dart ou même Tart166. Mais dans les lettres d’anoblissement de 1429 Jeanne et les membres de sa famille sont dénommés d’Ay. Ces formes 136seraient dues à une prononciation lorraine ou champenoise167. À d’Ay se rattacheraient Dalie du procès en nullité (N1 252), et Dalis d’un acte de 1445 (Q5 210). Mais après leur anoblissement deux frères de Jeanne prirent le nom de Du Lys et le transmirent à leur descendance, allusion aux armes qui leur furent concédées, et lointain écho d’une forme primitive168.
Quelques épisodes de la vie de Jacques d’Arc sont connus. En 1420, avec un autre habitant de Domrémy, il obtint du seigneur de Bourlémont en amodiation pour neuf ans le château de l’Île et ses terres, situé entre deux bras de la Meuse169 ; le 7 octobre 1423, dans une reconnaissance passée par les habitants de Domrémy en faveur de Robert de Sarrebruck, seigneur de Commercy, il est mentionné avec le titre de doyen du village, après le maire et l’échevin ; et en mars 1427 il fut procureur de Domrémy à l’occasion des difficultés qui s’étaient élevées depuis cette reconnaissance170. Tous les témoins de l’enquête en Lorraine de 1455 ont d’autre part rappelé que lui et sa femme étaient de bons catholiques et de bonne réputation. Jacques d’Arc n’aurait cependant pas consenti au départ de sa fille, si elle l’avait prévenu : Jeanne le déclara elle-même à deux reprises devant ses juges (C1 47, 124). Elle ajouta que son père, l’ayant vue en songe partir avec des hommes d’armes, aurait ensuite déclaré à sa mère qu’il préférerait la noyer (C1 126-127). Son attitude changea évidemment lorsqu’il comprit la mission et vit les succès de sa fille. Il vint en effet à Reims pour assister au sacre de Charles VII le 17 juillet 1429 et il y vit Jeanne (N1 467). Un voisin de Lorraine l’y rencontra, et le Conseil de ville de Reims le remboursa de ses frais, en lui faisant don d’un cheval pour repartir (Q5 141, 266). On ne sait plus rien de lui ensuite. Il était encore vivant quand sa fille fut suppliciée, mais on ne peut dire, comme un poète du XVIe siècle, Varanius, 137qu’il en mourut (Q5 83). En tout cas il était mort avant 1440, date où sa veuve s’installa à Orléans.
La mère de Jeanne, Isabelle, naquit vers 1385 dans la paroisse de Vouthon, à cinq kilomètres de Domrémy, où plusieurs membres de sa famille sont connus, en particulier son frère Jean, qui aurait été couvreur à Sermaize après son mariage, et une sœur, Aveline, qui épousa Jean le Vausel de Vouthon171 ; il y eut aussi un Nicolas Rommée dit de Vouthon, cistercien172. Isabelle eut cinq enfants de Jacques d’Arc, comme nous le verrons, et mourut en novembre 1458 à Orléans où elle s’était établie depuis 1438 (Q5 275-276 et Do5 p. 311). Les actes du procès l’appellent Isabelle d’Arc. Mais on l’aurait aussi surnommée Isabelle Romée, car Jeanne déclara une fois qu’elle-même aurait été appelée Jeanne d’Arc ou Romée
, suivant l’usage de son pays, où les filles portent le surnom de leur mère (C1 181). Ce surnom semble être à l’origine d’une tradition faisant d’Isabelle une grande pèlerine. Romée certes, peut être le surnom attribué à une personne ayant fait le pèlerinage de Rome ; mais, si pèlerinage romain il y eut, s’agit-il d’Isabelle ou d’un de ses ascendants ? Comme il est indiqué plus haut il y eut un neveu d’Isabelle, qui fut appelé Nicolas Romée. Ni Jeanne, ni les témoins lorrains qui évoquèrent la piété des époux d’Arc, n’ont mentionné un quelconque grand pèlerinage avant le départ de Jeanne. En revanche on attribue à Isabelle une dévotion à la Vierge du Puy en Velay et un pèlerinage à ce lieu en mars 1429 ; c’est-à-dire qu’elle aurait quitté Domrémy fort peu de temps après sa fille. Le Puy était alors le lieu de pèlerinage le plus célèbre et le plus fréquenté de la France non occupée, surtout au moment de la fête de l’Annonciation ; et quand cette fête, le 25 mars, coïncidait avec le Vendredi Saint, comme en 1429, il y avait un grand pardon173. Charles VII se rendit au Puy à plusieurs reprises, en 1381420 il y fut reçu chanoine, en 1424-1425, en 1433174. Mais le pèlerinage d’Isabelle d’Arc repose sur un seul témoignage, d’ailleurs digne de foi, du procès en nullité, celui de Jean Pasquerel ; en 1429 il était lecteur au couvent des Augustins à Tours, et il devint ensuite le confesseur de Jeanne. En cette année 1429 Pasquerel se rendit au Puy ; et en 1456 il déclara y avoir rencontré la mère de Jeanne et certains de ceux qui avaient accompagné ladite Jeanne auprès du roi
; il fut alors persuadé de les accompagner à Chinon, puis à Tours, où se trouvait Jeanne (N1 388). Le lieu de cette rencontre, et le pèlerinage même par conséquent, ont été mis en question : les manuscrits ayant servi aux éditions de Quicherat et du père Doncœur portent in villa Aniciensi (Q3 101, Do5 216), soit le nom latin du Puy ; le manuscrit de la présente édition porte in villa Anciensi. Aussi Quicherat a lui-même avancé l’identification de cette dernière forme avec Anché en Touraine, sur la rive gauche de la Vienne, à six kilomètres au sud-ouest de Chinon ; d’autre part il a proposé de lire frater, au lieu de mater, ce qui remplacerait au Puy la présence d’Isabelle par celle d’un de ses fils (Q3 101 n. 1 et 2). Il n’est pas facile en effet d’admettre ce pèlerinage d’Isabelle : comment aurait-elle pu aller de Domrémy au Puy si facilement et si vite, soit 550 kilomètres environ, en passant par Auxerre, quand on sait que l’obstacle bourguignon contraignit Jeanne à voyager avec de grandes précautions et souvent de nuit175 ; de plus la mère ne pouvait chevaucher comme sa fille. D’autre part ni Nouillempont, ni Poulengy, les compagnons de Jeanne ne mentionnent dans leurs dépositions ce voyage et cette rencontre. Mais ce dernier point, l’argument tiré du silence des textes, ne peut être retenu dans l’état de la documentation de l’époque. Nouillempont et Poulengy ne sont eux-mêmes plus mentionnés dans les procès après leur arrivée à Chinon ; mais on sait qu’ils se trouvaient en avril et mai au siège d’Orléans, grâce à des documents comptables (Q5 257-258), et même 139qu’ils furent logés dans la ville avec ses deux frères, grâce au Journal du siège (Q4 153). Ils allèrent au Puy pendant que Jeanne était examinée à Poitiers dans le courant de mars, et assistèrent à la fête et au grand pardon du 25 mars ; puis regagnèrent Tours, lorsque Jeanne y fut arrivée. Isabelle d’Arc fut donc bien présente au Puy à la même date.
Jeanne semble avoir été la dernière des cinq enfants de Jacques et d’Isabelle d’Arc ; elle eut trois frères et une sœur. Le fils aîné, Jacquemin, n’a pas participé à la geste johannique
; un document le cite comme habitant à Vouthon en 1427, peut-être sur un bien ayant appartenu à sa famille maternelle176 ; il mourut en tout cas avant 1455. Une sœur aînée, Catherine, épousa Colin le Maire, de Greux, et mourut avant 1429 ; son mari, déposant en 1456, ne donne pas son prénom (N1 287) ; mais il est indiqué dans une enquête de 1555 sur la famille de la Pucelle177. Les deux autres frères de Jeanne tinrent une place dans l’histoire de leur temps. Dès le début de mai 1429 ils sont avec leur sœur à Orléans (Q5 260, Q4 153). Pierre est présent le 17 juillet au sacre de Charles VII à Reims, avec son père (N1 467) ; il fut fait prisonnier le 23 mai 1430 devant Compiègne, avec sa sœur ; mais il put se libérer en payant une rançon grâce à un prêt gagé sur des revenus accordés par le roi (Q5 209-212). Devenu chambellan de Charles VII, seigneur de l’Île aux Bœufs, il se fixa à Orléans vers 1440 et mourut entre 1465 et 1467. Quant à Jean il fut nommé bailli de Vermandois et capitaine de Chartres en 1454 (Q5 279), mais pour peu de temps, et il fut prévôt de Vaucouleurs de 1455 à 1468 (Q5 280).
Cette famille d’Arc était installée dans une seigneurie des marches lorraines
, de situation politique complexe. D’autre part le statut juridique de ses membres, leur place dans la société, ont évolué au cours de la vie publique de 140Jeanne. Domrémy en Lorraine n’appartenait pas au duché de Lorraine, le mot Lorraine au XVe siècle débordant le territoire du duché. Domrémy, dans la prévôté de Gondrecourt, appartenait au duché de Bar, mais dans la partie de ce duché relevant du royaume de France. La famille d’Arc était donc installée dans le Barrois mouvant, et non en terre d’Empire178. Le Mystère du siège d’Orléans fait dire au XVe siècle cette précision à la Pucelle : Quant à l’ostel de mon père / Il est en pays barrois, / Honneste et loyal françois.
La complexité de ces rapports féodaux, souvent mal comprise, a suscité d’ardentes polémiques sur le pays natal
de Jeanne et des discussions sur sa nationalité
; il n’est que de lire le titre de certains articles179. À Domrémy le père de Jeanne était un notable : il est mentionné ainsi en 1423 après le maire et l’échevin, comme doyen, c’est-à-dire adjoint pour l’administration de la paroisse, tous étant désignés par le seigneur180. Quant à la seigneurie de Domrémy elle était tenue par le sire de Bourlémont en fief du duc de Bar. Les habitants de Domrémy faisaient partie de cette catégorie de sujets appelés mainmortables ; à la fin du Moyen Âge en effet la mainmorte s’était généralisée en Champagne et dans l’est de la France. Cette mainmorte n’était plus, et ne fut d’ailleurs jamais de manière absolue, une charge caractéristique du servage ; elle était devenue une charge fiscale, comportant essentiellement des droits de mutation. Que les ancêtres de ces mainmortables aient été des libres ou des serfs importe peu ; relevons simplement l’incertitude que manifestent en 1429 les futures lettres d’anoblissement : seraient-ils peut-être d’une condition autre que libres
. Les droits seigneuriaux sur les habitants de Domrémy sont connus grâce à une reconnaissance faite au duc de Bar par le sire de Bourlémont en 1398 : toute justice, garde du château, banalité du four, mainmorte non précisée, probablement 141taxe pour cause de mort. S’y ajoutaient des redevances appelées conduit ou garde, désignant des droits de protection et des corvées de labour, de fenaison, de charroi181. Cependant lors des guerres, la position géographique de Domrémy dans la vallée de la Meuse et l’enchevêtrement féodal, la proximité des duchés de Lorraine et de Bourgogne, furent à l’origine de troubles dans la région. Les pillages étaient toujours à craindre, tel cet enlèvement des troupeaux de Domrémy et Greux vers 1425 par un chef de bandes savoyard au service des Bourguignons182. Dans ces conditions les habitants cherchèrent des protections, à moins qu’elle ne leur fussent plus ou moins imposées. Déjà en 1370 Jean Ier, duc de Lorraine, les prenait en garde
, sa vie durant et avec le consentement du seigneur de Bourlémont, moyennant une mesure d’avoine par feu183. En 1423 ce fut un personnage remuant, le sire de Commercy, Robert de Sarrebruck, qui leur accorda garde et protection, à la demande des notables de Domrémy et Greux, dont Jacques d’Arc faisait partie, moyennant redevance184. Jeanne alors âgée de onze ans, entendit certainement parler de cette insécurité et des incertitudes politiques qui en découlaient.
Jacques d’Arc, d’après les déclarations de presque tous les témoins lorrains, faisait partie des laboratores, des laboureurs
, c’est-à-dire de ces cultivateurs possédant des terres et un train de labour, charrue et bêtes de trait. On précise parfois que les époux sont dans la situation honnête
, soit honorable, des laboureurs (N1 260-261), qu’ils vivent de manière probe, honnête, en bons catholiques, comme les laboureurs (N1 267, 294). Trois témoins seulement estimèrent que leurs ressources étaient peu importantes ; mais deux sont des gens de Neufchâteau d’un rang social plus élevé : un prêtre prétendant qu’ils étaient pauvres
, 142avec d’ailleurs le sens atténué de pauper en latin ; une veuve de clerc de justice déclarant qu’ils n’étaient pas très riches (N1 262-263). Ces citadins ont vu arriver à Neufchâteau les réfugiés de Domrémy, probablement assez démunis, avec peut-être la condescendance habituelle à l’égard des campagnards. À Domrémy seule une veuve de laboureur déclara qu’ils n’étaient pas très riches
, témoignage unique d’une femme de quatre-vingts ans (N1 257).
II. La personne de Jeanne
L’apparence physique, le portrait de Jeanne, a tenté bien des artistes : d’innombrables statues, médailles, gravures, tableaux ou effigies diverses lui ont été consacrés depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours, et le catalogue d’une exposition a permis d’en apprécier la diversité185. Mais ce sont toutes, sans exception, œuvres d’imagination, même celles qui remontent au XVe siècle. On fit, à vrai dire, au moins un portrait d’elle de son vivant, puisque Jeanne le vit à Arras aux mains d’un Écossais (C1 98-99, 261-262) : elle était représentée en armes et présentant une lettre au roi en pliant le genou. Deux de ces productions cependant ont été tenues parfois pour des croquis ou portraits contemporains. Le premier serait dû à un greffier du Parlement de Paris, Clément de Fauquembergue, tenant un registre avec des notes historiques : le jour où il apprit la délivrance d’Orléans il dessina dans la marge un petit croquis de femme à mi-corps, tenant une épée d’une main, de l’autre une bannière avec le monogramme de Jésus ; mais c’est la silhouette banale d’une femme aux longs cheveux et portant une robe ; ce n’est même pas une représentation imaginaire de l’héroïne, si on admet que c’est un simple signe de repère, comme on en trouve souvent dans les marges (Q4 451 ; C3 86). On crut 143aussi avoir trouvé un portrait dans un tableau vendu au musée de Versailles ; mais il s’agirait en réalité d’un saint Georges186. Dans ces conditions il faut se résigner à connaître fort peu de choses de l’aspect physique de Jeanne. Bréhal au procès en nullité rapporte quelques signes distinctifs (N2 474) : le cou bref
, c’est-à-dire la tête dans les épaules, une tache rouge, une envie probablement, derrière l’oreille droite, une manière de parler douce et retenue. Perceval de Boulainvilliers, conseiller de Charles VII, dans une lettre de juin 1429 au duc de Milan confirme qu’elle avait une voix de femme douce (Q5 120). Le comte d’Alençon, l’accompagnant dans une de ses expéditions militaires, la vit se préparer pour la nuit sur la paille, et eut l’occasion fortuite d’admirer ses seins qu’elle avait beaux
, mais ajoute aussitôt qu’il fut alors exempt de tentation (N1 387). D’autres cependant y succombèrent, comme le sire de Macy qui la vit prisonnière à Beaurevoir, voulut lui toucher la poitrine, et avoua piteusement avoir été repoussé (N1 405). Quant au sire d’Aulon, présent quand on l’armait ou quand on la soigna d’une de ses blessures, il vit ses seins et ses jambes nues et avoua avec surprise avoir été exempt de tentation, bien qu’elle fût belle jeune fille et bien formée
(N1 486). Sa puberté a été cependant mise en doute, en raison de témoignages recueillis par Jean d’Aulon : des femmes ayant vécu dans l’intimité de Jeanne auraient dit que celle-ci n’eut jamais la secrète maladie des femmes
, et que nul en tout cas ne put s’en apercevoir (N1 486) ; mais il s’agit d’un ouï dire
, le nom de ces femmes n’est pas mentionné et le récit ambigu ne permet pas d’affirmer que Jeanne ne fut jamais réglée187. On ne peut ajouter foi en outre au témoignage de ceux qui ne la virent jamais, ou même qui écrivirent longtemps après. Il en est ainsi pour frère Philippe de Bergame, né en 1433, qui la décrit petite, avec une figure de paysanne et les cheveux noirs (Q4 523). Il serait peu sérieux, 144pour consolider cette hypothèse des cheveux noirs, de donner comme preuve une pièce à conviction : un cheveu qui aurait été inséré dans le cachet de cire d’une de ses lettres, cheveu qui d’ailleurs a disparu188.
Quel fut le mode de vie de Jeanne à Domrémy ? Comme toute jeune paysanne, Jeanne eut une formation pratique chez ses parents pour les travaux ménagers et ceux des champs. À ses juges elle dit ce qu’elle apprit dans sa jeunesse : filer et coudre draps de lin, ajoutant fièrement que pour ce travail elle ne craignait aucune femme de Rouen (C1 46). Elle déclara aussi qu’enfant elle conduisait le troupeau commun du village aux pâtures, quand c’était le tour de son père, mais elle ne se rappelait pas si elle le gardait avant l’âge de raison (C1 65) ; la coutume en effet dans cette région avait des caractères communautaires et le droit de vaine pâture s’exerçait sur la jachère de l’assolement triennal, en prenant soin d’éviter les autres soles. Les habitants de Domrémy en 1456 fournirent d’autres renseignements : elle filait le chanvre et la laine (N1 260), allait parfois avec son père à la charrue ou à la moisson (N1 253, 258, 269, 273, 281, 287), parfois sarclait (N1 279), ou aidait à herser les emblavures (N1 281, 287). Que Jeanne fut une bergère, ou une pauvre bergère
, a été souvent répété, depuis les Chroniques du roi Charles VII : Cet an arriva une fille nommée Jehanne la Pucelle… laquelle avoit esté toute sa jeunesse jusques à celle heure à garder les brebis189
, et depuis Péguy. Mais c’est altérer le sens des témoignages cités, pour présenter une figure traditionnelle dans maints textes littéraires, celle du berger, ou de la bergère, devenu guide d’une société, et surtout se référer au bon berger de l’Ancien Testament, qui préfigure le bon pasteur du Nouveau.
En matière de religion Jeanne apprit l’essentiel de sa mère : le Notre Père, l’Ave Maria et le Credo, sans que personne d’autre ne semble l’avoir instruite, comme elle le déclara 145elle-même (C1 41). Ces prières, elle les savait surtout lingua gallicana, en français. D’après le procès en nullité elle connaissait les douze articles de la foi, c’est-à-dire le symbole des apôtres du Credo, et les dix commandements du Décalogue (N1 406). Son éducation religieuse fut donc toute domestique. Elle ne semble pas avoir reçu — non plus que dans les matières profanes — une instruction générale venant d’un clerc, de son curé spécialement ; cependant elle écouta certainement avec profit les sermons au cours des messes et les conseils reçus lors de ses très nombreuses confessions. Enfin si elle refusa de dire le Credo ou le Pater Noster devant ses juges, ce fut pour obtenir d’être en même temps entendue en confession (C1 41, 126, 196).
En plus de sa formation religieuse, d’un apprentissage ménager et agricole, Jeanne reçut-elle une instruction plus générale ? Pour les matières profanes cette question correspond essentiellement à la suivante : sut-elle lire et écrire ? Sur ce point les historiens ont émis des avis contradictoires ; ainsi Hanotaux pensait qu’elle savait au moins signer (p. 313-314), Champion qu’elle ne savait ni lire, ni écrire (I, p. XXVII), Maleissye-Melun et Tisset (C3 138-139) qu’elle savait lire et écrire, pour ne citer que les principaux auteurs. Examinons d’abord la question des lettres de Jeanne, dont voici la liste chronologique, sous réserve de nouvelles découvertes :
- 21-22 février 1429 au dauphin, de Fierbois ; mention, C1 76, 206.
- 21-22 février (?) 1429 à ses parents, de Fierbois ; mention, C1 124.
- Mars-avril 1429 au clergé de Fierbois, de Tours ou de Chinon ; mention, C1 77.
- 22 mars 1429 au roi d’Angleterre et au régent, de Poitiers ; copie, C1 221-222.
- 5 mai 1429 sommation aux Anglais, d’Orléans ; copie, N1 393.
- 25 juin 1429 aux habitants de Tournai, de Gien ; enregistrement à Tournai, Q5 125.
- 146Fin juin 1429 au duc de Bourgogne ; mention dans lettre 9.
- 4 juillet 1429 aux habitants de Troyes, de Saint-Phal (arr. Troyes) ; copie, Q4 284-288.
- 17 juillet 1429 au duc de Bourgogne, de Reims ; original non signé aux Archives de Reims ; Q5 126-127. Fac-similé, P. Marot, Jeanne, p. 67.
- 6 août 1429 aux habitants de Reims, de Provins ; original non signé aux Archives de Reims ; fac-similé Maleissye-Melun ; Q5 139-140.
- 22 août 1429 au comte d’Armagnac, de Compiègne ; copie, C1 226.
- 21 septembre 1429 aux habitants de Troyes, de Gien ; mention, Q5 145.
- 7 novembre 1429 (avec le sire d’Albret) aux habitants de Clermont-Ferrand ; mention, Q5 146.
- 9 novembre 1429 aux habitants de Riom, de Moulins ; original signé aux Archives de Riom ; Q5 147-149 avec fac-similé.
- 20 novembre 1429 au roi, de Montfaucon en Berry ; mention, C1 105, 265.
- Janvier 1430 aux élus de Tours ; mention, Q5 154.
- 16 mars 1430 aux habitants de Reims, de Sully ; original signé aux Archives de Reims, réintégré ; anciennement archives Maleissye-Melun ; Q5 159-160.
- 23 mars 1430 aux Hussites, de Sully ; en latin par Pasquerel aux Archives de Vienne ; traduction en allemand, Q5 156-159.
- 28 mars 1430 aux habitants de Reims, de Sully ; original signé aux archives Maleissye-Melun, auparavant aux Archives de Reims ; Q5 161-162.
De ces 19 lettres, 8 font l’objet de simples mentions, sans qu’on en possède le texte, 4 étant citées dans le procès de condamnation (1, 2, 3, 7, 12, 13, 15, 16) ; 6 sont des copies, dont 2 au procès de condamnation (4, 5, 6, 8, 11, 18) ; 5 lettres seulement sont des documents isolés conservés dans des archives (9, 10, 14, 17, 19). Trois de ces lettres sont signées et doivent 147retenir l’attention (14, 17, 19). L’écriture de ces lettres signées est ferme, bien tracée, régulière ; elle est de la main de scribes différents, mais tous habitués à rédiger des lettres ; elle ne peut être attribuée à Jeanne. La signature en revanche serait-elle de Jeanne à proprement parler ? On peut relever des différences : Jehanne avec un J anguleux, un a arrondi et une erreur de plume entre a et n (14), ou avec un J arrondi et un a carré (19). Ces différences dans le tracé sont dues probablement à la main qui guidait celle de Jeanne. Aussi ne peut-on prétendre que Jeanne, à proprement parler, savait signer190. D’ailleurs les procès sont explicites sur ce point pour l’année 1431 : sur la cédule d’abjuration elle mit une croix, manière ordinaire de signer des illettrés, comme l’indiquent les enquêtes de 1450 (Do3, 54) et de 1456 (N1 439). Un témoin prétend qu’elle fit, non pas une croix, mais un rond par dérision
(N1 406). Un manuscrit de la condamnation porte à la fin de la cédule : j’ay signé cette cédule de mon signe
, suivi d’une croix et de Jehanne, le signe
désignant vraisemblablement la croix (C1 390). Mais, pour terminer, laissons la parole à Jeanne, d’après un témoin de 1450 : pressée de signer la cédule, elle répondit qu’elle ne savait signer (N1 208). Il reste une objection191 : Jeanne n’aurait pas protesté contre l’article 28 de l’accusation exhibant la lettre au comte d’Armagnac (supra, n° 11) et ajoutant qu’elle était signée de sa main
(C1 226) ; mais elle avait déclaré le 1er mars que la copie de cette lettre qu’on lui présentait était inexacte (C1 81-82).
Jeanne du moins savait-elle lire ? Le principal argument en faveur d’une réponse affirmative est le suivant. Lors du procès de condamnation, le 24 février 1431, elle demanda qu’on lui donnât par écrit les points sur lesquels maintenant elle ne répondait pas
(C1 62 et 275). D’après certains 148historiens cette requête n’avait de sens que si, pour préparer une réponse différée, elle savait lire, car il ne lui était pas possible, en prison et en l’absence de défenseur, de se faire lire un aide-mémoire de ce genre192. C’est d’ailleurs ainsi que le comprirent les juges de 1431 en lui demandant aussitôt si ses voix avaient des yeux pour lire cet écrit afin de la conseiller. Il semble plutôt que Jeanne ait voulu ainsi prendre une précaution au sujet de ses refus de répondre, en avoir une liste authentique, à insérer au procès, pour pouvoir éventuellement l’opposer à ses juges, si ceux-ci voulaient étendre ses refus à d’autres points. Il ne s’agissait pas de demander un aide-mémoire aux fins d’y réfléchir : la mémoire de Jeanne était fort bonne, comme on put s’en rendre compte à plusieurs reprises au cours du procès, par les rectifications ou additions qu’elle fit apporter lors de la lecture des comptes rendus des séances193. Les juges, ou n’ont pas compris cette précaution, ou ont fait semblant de ne pas comprendre. Qu’elle ne sût pas lire on le constate à propos de son abjuration : la cédule de cette abjuration, si importante pour son cas, lui fut lue, elle ne l’a pas lue (N1 208). De plus elle a déclaré expressément à ce propos qu’elle ne savait ni lire, ni écrire (N1 406). Elle avait d’ailleurs déjà déclaré, en mars 1429, aux théologiens qui l’interrogeaient à Poitiers : Je ne sais ni A ni B
; puis, s’adressant à l’un d’eux, et lui ayant demandé s’il avait du papier et de l’encre, elle ajouta : Écrivez ce que je vous dirai
(N1 368) ; ainsi fut rédigée la fameuse lettre au roi d’Angleterre et au régent du 22 mars 1429 (supra, n° 4).
Le portrait moral de Jeanne se dégage aisément des nombreux témoignages que nous avons sur elle. Sensible et vive de caractère, ainsi était-elle en toute circonstance. Plus sensible et plus vive, semble-t-il, que les filles de son âge, elle n’en différait guère cependant, si on met à part sa sensibilité mystique, qui sera examinée avec sa piété. Une gaieté 149naturelle l’animait et elle avait le sens du comique ; on la vit sourire même lors de la lecture de la cédule d’abjuration (N1 425). Mais les événements lui arrachèrent souvent des pleurs. Ses réactions, son émotivité, qui restaient d’ailleurs dans des limites normales, sont relevées dès juin 1429 à la cour du dauphin : elle verse des larmes en abondance… elle a un visage riant
déclare successivement Perceval de Boulainvilliers (Q5 120). À Domrémy elle vivait de la vie du village. Elle connaissait les dictons et put les citer à propos (C1 62, 156). À certains jours de fête elle participait aux jeux et aux promenades ; elle faisait des bouquets ou guirlandes de fleurs, chantait et dansait, c’est-à-dire faisait des rondes, au bois voisin. Cela se passait près d’un grand et vieil arbre, appelé Arbre des fées
; y seraient venues en effet autrefois, d’après des témoins, les dames fées
(N1 258, 270, 301). Jeunes filles et jeunes gens s’y rendaient, et même parfois le seigneur de Domrémy et sa femme (N1 279), le jour des Fontaines, soit le dimanche de Lætare, quatrième du carême ; ils apportaient de petits pains, des noix, et buvaient l’eau d’une fontaine toute proche (N1 276, 283, 288, 310). Puis ils allaient faire les fontaines
. Suivant ce vieil usage les jeunes filles allaient ce jour-là nettoyer puits ou fontaines, en les décorant avec l’aide des jeunes gens. Il en était ainsi par exemple à la Fontaine aux Rains194 près de l’arbre aux fées (N1 279, 283, 288, 310), ou à celle de Notre-Dame de Bermont (N1 274). La coutume était devenue si peu païenne que le curé de Domrémy y participait : la veille de l’Ascension, c’est-à-dire le jour des Rogations, il allait bénir les champs en y portant des croix ; puis il se rendait à l’Arbre aux fées, à la fontaine aux Rains et autres fontaines pour y chanter l’évangile (N1 258-259). Des survivances de 150ces pratiques pouvaient encore être relevées au début du XXe siècle dans l’est de la France ; elles faisaient partie d’un cycle de mai, en relation avec l’eau nouvelle
, l’eau du premier mai, qui préservait des fièvres195. Les juges de Jeanne lui reprochèrent cependant ces distractions innocentes. De coquetterie d’ailleurs, mal conciliable avec sa grande pudeur, il n’y a point de signe ; l’anneau qu’elle porte au doigt, elle ne sait même pas s’il est en or, mais il lui a été donné par ses parents et elle en voit l’inscription JHS avec les croix ; elle le regarde avant le combat avec plaisir en l’honneur de son père et de sa mère
(C1 176).
Certaines de ses plaisanteries nous sont parvenues. Ainsi, lors de l’examen de Poitiers, à un théologien qui lui demandait quel était le langage de ses voix, elle répondit : un langage meilleur que le vôtre
, car, comme le reconnut ce théologien lui-même, il parlait le limousin
, et Jeanne pouvait ainsi railler, sinon son dialecte, au moins son accent (N1 472). À Chinon, lorsque des femmes venaient lui apporter des chapelets ou médailles à toucher, elle leur répondait en riant : Touchez-les vous-mêmes, car tout cela sera aussi bon par votre toucher que par le mien
(N1 378). Plus tard, en campagne, arrivée devant Troyes, les gens de la ville doutant que ladite Jeanne ne fût pas chose de par Dieu
, envoyèrent frère Richard, qui l’aborda en l’aspergeant d’eau bénite avec force signes de croix ; et elle lui dit : Approchez hardiment, je ne m’envolerai pas
(C1 98). Dans des circonstances plus tragiques, au cours du procès de condamnation, quand on lui demanda si saint Michel lui apparaissait tout nu, elle répondit : Croyez-vous que Notre Seigneur Jésus n’a pas de quoi le vêtir ?
(C1 228). Plaisamment aussi elle menaça le grave notaire Guillaume Colles de lui tirer l’oreille, s’il faisait à nouveau une erreur de mémoire (N1 469).
Mais Jeanne avait aussi le don des larmes. Des pleurs de 151pitié elle en verse quand elle prie (N1 362), quand elle reçoit le Corps du Christ ou qu’elle voit ses anges (N1 387, 399). Elle pleure sur les morts anglais devant Orléans et même sur Glasdale qui l’avait insultée (N1 395), ou sur elle-même quand elle est blessée d’une flèche (N1 395), et quand on la conduit au supplice (N1 446-449, 457). Elle pleure quand les soudards anglais devant Orléans lui crient des propos infamants (N1 394), et aussi quand elle parle au dauphin qui veut modérer son ardeur belliqueuse (N1 400). Quant à sa vivacité, elle apparaît à plusieurs reprises et d’abord évidemment dans ses faits de guerre, lorsqu’elle part à l’assaut (N1 384), et dans cet épisode où on la voit sauter sur son cheval et faire feu
des quatre fers (N1 407). Elle a de saintes colères, quand elle attrape un grand seigneur par le cou et le somme de rétracter ses blasphèmes (N1 340) ; elle est irritée et reprend vertement les hommes d’armes qui jurent (N1 387) ; elle a failli frapper un Écossais qui lui fit manger du veau volé (N1 373) ; elle pourchasse les femmes de mauvaise vie qui suivent l’armée, en brandissant son épée, et va même jusqu’à la casser dans son ardeur, mais, semble-t-il, ce ne fut que d’un coup de plat sur le dos de l’une d’elles (N1 367, 387).
La personne de Jeanne cependant n’apparaît tout entière que dans la lumière de la piété qui l’animait. Les formes extérieures de sa dévotion sont connues par des sources sûres et nombreuses : les témoins oculaires, ou au moins les contemporains qui ont approché ceux-ci. Il convient en revanche d’écarter les témoignages, même contemporains, émanant de personnages éloignés et souvent excessifs. Il en est ainsi du doyen de Saint-Thiébault de Metz, déclarant que Jeanne, chaque jour, avant de monter à cheval, oyoit deux ou trois messes
(Q4 322) ; ou du Bourgeois de Paris, hostile, racontant que frère Richard le cordelier… le jour de Noël en la ville de Jargeau, bailla à ceste dame Jehanne la Pucelle trois fois le Corps du Christ, dont il estoit moult à reprendre
(Q4 474). La messe était cependant au centre de la dévotion de Jeanne. À Domrémy plusieurs témoins 152l’ont vu y assister chaque matin (N1 263, 309, 327, 329). Si elle se trouvait aux champs, elle venait à l’église dès qu’elle entendait la cloche l’annoncer (N1 254). Elle revenait à l’église le soir pour les complies, et fit de vifs reproches au marguillier qui parfois ne sonnait pas la cloche à cette occasion, allant jusqu’à lui proposer des gâteaux pour qu’il remplît son office (N1 271). On pouvait dans cette église voir Jeanne, prosternée devant le crucifix ou les mains jointes, contemplant la croix ou l’image de Notre-Dame, restant longtemps en prière (N1 308). Elle y allait si volontiers, si souvent, que les jeunes du village se moquaient d’elle (N1 253). De même à Vaucouleurs le marguillier la vit souvent aux messes du matin dans l’église Notre-Dame ; elle y priait beaucoup, allait aussi s’agenouiller dans la crypte devant la statue de la Vierge, qui s’y trouve encore, tantôt la contemplant, tantôt baissant la tête (N1 309). En route pour Chinon elle assistait à la messe chaque fois que cela était possible (N1 291, 306), par exemple dans la cathédrale d’Auxerre (C1 50) ; à Sainte-Catherine de Fierbois, par dévotion envers une sainte qui lui parlait, elle assista à trois messes de suite (C1 76) ; à Orléans un témoin la vit en pleurs au moment de l’Élévation (N1 338). Au cours de sa campagne militaire elle assista chaque jour à la messe, si c’était possible, d’après ses camarades de combat (N1 363, 373) ; et le duc d’Alençon la vit plusieurs fois, le visage couvert de larmes, recevoir le Corps du Christ (N1 387).
Une autre forme de dévotion fut d’accomplir, à défaut de pèlerinage lointain, de modestes et pieux déplacements. Elle allait fréquemment à la chapelle d’un petit ermitage, Notre-Dame de Bermont, à trois kilomètres environ de Domrémy (N1 253, 254, 310) ; certains témoins déclarent même qu’elle y allait tous les samedis (N1 292, 305). Elle y allait pour prier la Vierge, dont la statue se trouvait dans la chapelle, avec sa sœur ou d’autres jeunes filles (N1 264) ; elle y portait souvent des chandelles qu’elle allumait devant la statue (N1 277, 287, 292), ou des guirlandes (N1 463). Plus tard, avant d’attaque les positions anglaises devant 153Orléans, elle organisa une grande procession avec des prêtres et une bannière, au chant des cantiques (N1 391) ; de même après le départ des Anglais elle fit faire une procession dans la ville (N1 395). Elle observait aussi les prescriptions du jeûne (C1 69, 70 ; N1 134).
Enfin sa charité était grande. Elle visitait les malades et les consolait (N1 280), avait pitié des blessés, des morts, des prisonniers, même s’ils étaient ennemis (N1 366, 374) ; elle déclara que jamais n’avait vu sang de Français sans que les cheveux ne lui levassent sur la tête
(N1 479). Elle faisait aussi fréquemment des aumônes aux pauvres gens (N1 280).
Il reste toutefois une question plus délicate. Quelle était la pratique sacramentaire de Jeanne ? Au cours de son procès de condamnation elle répondit avec réserve à ceux qui l’interrogeaient au sujet de sa réception des sacrements. Quand maître Jean Beaupère, le 22 février 1430, lui demande si elle confessait ses péchés une fois l’an, elle répond par une simple affirmation ; elle précise cependant que c’était, suivant les règles canoniques, à son proprius parochus, au curé de sa paroisse, ou à un autre prêtre, avec l’autorisation de son curé, si ce dernier était empêché (C1 47) ; elle agissait donc conformément aux dispositions du quatrième concile de Latran de 1215196 ; mais évidemment ses déplacements et ses expéditions militaires entraînèrent des dérogations constantes. D’autre part elle répond de même simplement à Beaupère qu’à Pâques elle recevait l’eucharistie. Mais quand on lui demande si elle recevait l’Eucharistie à d’autres fêtes, elle se rétracte et dit : Passez outre
(C1 47). Il semble que Jeanne, retenue par une sorte de pudeur, n’ait pas voulu révéler quelle importance avait pour elle le recours à ces sacrements. On ne peut donc, pour avoir des précisions, que relever les dépositions de témoins à ce sujet.
Envers le sacrement de pénitence l’attitude de Jeanne était fort différente des comportements qui ont en général 154suivi le deuxième concile de Vatican ; son recours à la confession fréquente n’était pas en rapport direct avec une communion. Aussi a-t-on souvent mal compris son usage des sacrements197. Deux témoins de Domrémy pensent que Jeanne ; dès l’âge de raison, se confessait non seulement à Pâques, mais plusieurs fois dans l’année (N1 262, 264) ; le curé l’entendait en pénitence à Pâques et aux autres fêtes (N1 254, 263, 264, 283).
On la vit aussi à Greux, paroisse unie à celle de Domrémy, se confesser aux jours de fête et spécialement à Pâques (N1 258). Un prêtre de Gondrecourt-le-Château, venu à Domrémy, reçut sa confession trois fois pendant un carême et une fois pour une autre fête (N1 308). À Neufchâteau, où elle se réfugia avec sa famille en juillet 1428 pendant une quinzaine de jours, elle se confessa comme nous l’avons vu deux ou trois fois à des religieux mendiants. Lors de son séjour à Vaucouleurs, avant le départ, elle se confessa au curé Jean Fournier et deux ou trois fois au curé Jean Colin (N1 297, 286). Plus tard, au cours de ses chevauchées, elle reçut, comme elle le déclare, les sacrements dans les bonnes villes, en habit d’homme, mais sans armes (C1 102) ; Bertrand de Poulengy la vit se confesser souvent, parfois à deux reprises dans la semaine (N1 305) ; d’après Raoul de Gaucourt elle entendait la messe tous les jours, se confessait souvent et recevait fréquemment la communion, ce que confirment Garivel et Guillaume de Ricarville (N1 327-329). Le sire de Termes confirme cette pratique des sacrements et ajoute en particulier qu’elle se confessa à maître Baignart, un dominicain (N1 403-404). D’autre part à plusieurs reprises elle exhorta les hommes d’armes à recevoir les sacrements, en particulier celui de pénitence (N1 338, 371, 373, 392), et les fit aller en procession après leur avoir donné des prêtres pour se confesser (N1 391). Une fois prisonnière, elle tenta de s’évader de Beaurevoir en faisant un saut de la tour 155mettant sa vie en péril, puis fut réconfortée par sainte Catherine qui lui dit de se confesser (C1 145, 153). Transférée au château du Crotoy, elle fut entendue en confession par maître Nicolas d’Ecqueville, chancelier de l’église d’Amiens (N1 405). Ce désir de recevoir le sacrement de pénitence elle le manifesta encore lorsque l’évêque Cauchon, dès le premier interrogatoire, le 21 février 1431, lui demanda de réciter le Notre Père (C1 41, 126). Elle fut enfin entendue en confession par deux assesseurs au procès de condamnation, les chanoines de Rouen Morice et Loiseleur (N1 350, 358).
Elle communiait moins souvent qu’elle ne se confessait. Si Poulengy, Gaucourt et Garivel mentionnent qu’elle recevait fréquemment le Corps du Christ sans précision, Guillaume de Ricarville en revanche déclare qu’elle communiait chaque semaine, et le duc d’Alençon affirme qu’elle se confessait souvent, communiait deux fois par semaine et recevait le Corps du Christ avec beaucoup de larmes (N1 387). Le sire d’Ourches déclare que devant Senlis elle se confessa avec le comte de Clermont et le duc d’Alençon à frère Richard le cordelier et communia deux fois (N1 301). À Orléans, la fille de sa logeuse dit qu’elle se confessait souvent, et en particulier qu’elle entendait la messe et communiait avant d’aller à l’attaque (N1 340) ; quant à l’écuyer Simon Beaucroix, qui la vit à Chinon et à Orléans, il rapporte qu’elle se confessait tous les deux jours et communiait chaque semaine (N1 373). Le témoignage de frère Pasquerel, ermite de saint Augustin, qui la suivit depuis Chinon, mérite particulièrement d’être retenu : Jeanne se confessait presque tous les jours et communiait fréquemment ; quand elle se trouvait près d’un couvent de frères mendiants, elle demandait à Pasquerel de la prévenir pour qu’elle pût recevoir l’eucharistie aux mêmes jours que les petits enfants des mendiants
(N1 390-391). À Rouen, prisonnière, elle voulut recevoir le Corps du Christ au cours d’une maladie, mais les juges ne lui proposèrent que le sacrement de pénitence (C1 330) ; elle put cependant communier avant sa mort, comme nous le verrons.
156Cette pratique de la fréquente confession, plus fréquente que la communion, doit être bien comprise. N’est-il pas surprenant en effet que la Pucelle, dont la piété et la charité sont notoires, ait eu recours si souvent à ce sacrement ? De quels péchés pouvait-elle s’accuser, et à une telle cadence, et même s’il s’agissait de péchés véniels ? Pour le péché véniel relevons d’abord qu’il ne relevait d’aucun sacrement spécial, comme l’indique déjà saint Thomas : étant compatible avec la vie de la grâce, il n’imposait pas un recours à l’absolution sacramentelle, et pour les manquement légers la prière quotidienne des fidèles y satisfait ; ils peuvent en effet dire le Notre Père
; mais il pouvait évidemment être expié par le sacrement de pénitence. Il est certain d’autre part qu’on pouvait être absous plusieurs fois du même péché, si on en renouvelait l’accusation contrite ; cette absolution n’avait pas pour objet d’effacer le péché, puisqu’il avait déjà été pardonné, mais elle opérait une augmentation de la grâce, accordant une gratia secunda ; elle avait donc une efficacité sacramentelle198. Cette confession renouvelée a pu être dénommée confession de dévotion
. Elle s’accorde d’ailleurs avec une autre pratique, la confession générale ou confession réitérée ; cette confession était une œuvre de satisfaction, ayant pour effet de produire une plus grande remise de peine, en faisant expier ce qui restait encore de peine temporelle à expier199. Il faut enfin mettre à part une pratique fréquente dans certains ordres religieux, mais n’ayant pas toujours un caractère sacramental ; dès le VIIe siècle la règle de saint Colomban imposait une confession ter in die : le matin avant la messe avec une confession sacramentelle à un prêtre, à midi et le soir avec une confession disciplinaire faite à l’abbé ou à l’abbesse. En dehors de la confession des péchés sacramentelle, il y avait ainsi une confession disciplinaire, ou coulpe
, relevant des prescriptions de la règle et de la vertu d’obéissance ; elle pouvait être faite à un laïc, ordinairement 157un religieux ou une religieuse, et était considérée parfois comme un petit sacrement
ou un sacramental200.
Ainsi Jeanne, répondant à une question de ses juges, le 1er mars 1431, pouvait dire qu’elle ne savait pas, en se confessant, si elle était en état de péché mortel ou non, mais croyait ne pas en avoir commis les œuvres (C1 87, 239). Elle compléta sa pensée, quand les juges lui demandèrent si elle se croyait dans la grâce de Dieu
, en déclarant : Si je n’y suis pas, Dieu m’y mette, et si j’y suis, Dieu m’y maintienne
(C1 62). La simplicité et la pertinence de cette réponse ont souvent été relevées ; la forme en vient peut-être d’une prière du XVe siècle201, inconnue en tout cas des assesseurs, puisqu’ils furent surpris, selon le notaire qui témoigna en 1456 (N1 438). Peu après, le 14 mars, à ses juges qui insistaient à nouveau sur la question de la grâce, elle répondit : On ne peut trop nettoyer sa conscience
(C1 150). Quant aux fréquentes communions de Jeanne, moins fréquentes cependant que ses confessions, elles n’étaient pas non plus exceptionnelles à son époque ; saint Thomas déjà était allé jusqu’à recommander la communion quotidienne202. On peut en conclure que Jeanne n’a nullement manifesté un goût
des sacrements qui pût paraître anormal203.
La dernière communion de Jeanne est un point dont certains aspects sont mal élucidés204. Les juges, à plusieurs reprises, avaient refusé ce sacrement à la prisonnière au cours du procès, si elle ne se soumettait pas à l’Église et ne quittait pas ses habits d’homme ; il en fut ainsi en mars 1431 pour Pâques (C1 182-183) et en avril quand elle fut malade (C1 329-333). L’autorisation de lui porter le Corps du Christ a-t-elle 158été donnée une première fois aussitôt après son abjuration ? la sentence de condamnation qui suivit, le 24 mai, ne mentionne pas cette décision ; mais elle relevait Jeanne de l’excommunication (C1 392-393), et la condamnée, ayant repris ses habits de femme et les ayant gardés entre le 25 et le 27 mai, aurait pu alors être reçue à communier. Un seul témoignage, malheureusement peu clair, pourrait le laisser entendre ; c’est celui de Jean Massieu, un curé de Rouen, lors de l’information de 1452 (N1 210). Le témoin raconte d’abord comment l’hostie fut apportée à la prisonnière de manière très irrévérencieuse sur une patène, recouverte d’un corporal en lin, sans lumière et sans assistant, par un certain messire Pierre, sans surplis ni étole, et il n’indique pas la date ; d’après cette description l’administration du sacrement a l’apparence d’avoir été faite en cachette. Massieu ajoute, sans transition, que Jeanne, après une deuxième confession faite à Martin Ladvenu, reçut le Corps du Christ en présence du témoin, avec beaucoup de larmes ; ce serait l’ultime communion de Jeanne, peut-être distincte d’une autre, irrévérencieuse
, qui l’aurait précédée ; elle eut lieu le matin de sa mort en présence de nombreux témoins en pleurs (N1 9).
Cette ultime communion de Jeanne est connue par plusieurs témoignages ; mais si les formes extérieures en sont relatées, les conditions de fond n’en sont pas précisées. Martin Ladvenu, après avoir entendu Jeanne en confession, envoya Jean Massieu auprès de l’évêque Cauchon pour lui dire que la condamnée demandait à communier ; Cauchon, après en avoir délibéré avec les assesseurs, y consentit, et Martin Ladvenu donna le sacrement de l’eucharistie à Jeanne en présence de Massieu (N1 199, 434-435, 443). Le notaire Manchon au procès en nullité confirma que l’eucharistie lui fut apportée le matin de sa mort, avant la lecture de la sentence ; mais on l’interrogea aussitôt sur un autre point : comment les juges de la condamnation purent-ils accorder ce sacrement, attendu qu’ils l’avaient déclarée excommuniée et hérétique ? A-t-elle été absoute auparavant in forma Ecclesie ? C’étaient des questions difficiles.
159Manchon répondit seulement que les juges et les assesseurs délibérèrent pour savoir si Jeanne devait recevoir absolution au tribunal de la pénitence
avant de recevoir l’eucharistie. Certes une décrétale d’Alexandre IV autorisait l’octroi des sacrements aux hérétiques, mais seulement si des signes manifestes de pénitence apparaissent205
, et le Manuel des inquisiteurs était du même avis206. Jean Bréhal, dans sa Recollectio (N2 599), ne manqua pas de relever une apparente incohérence dans la conduite des juges de la condamnation, privant d’abord Jeanne de l’eucharistie, puis lui accordant les sacrements sans qu’elle se fût rétractée. On peut cependant admettre que l’absolution fut donnée à Jeanne au for interne seulement, c’est-à-dire dans une confession privée ordinaire ; il n’y eut pas de désaveu de sa part, au sujet de ses voix, dans une confession publique. Les juges qui ont condamné Jeanne ont d’ailleurs essayé de remédier à cette lacune peu après sa mort ; ils firent établir un document inexact et dépourvu d’authenticité, l’information posthume, suivant laquelle Jeanne aurait renié ses voix.
III. La mission révélée
La révélation faite à Jeanne de la mission qui lui était confiée orienta toute sa courte vie. Elle n’a pas cessé, du vivant de la Pucelle comme après sa mort, de stimuler l’intérêt ou l’incompréhension. Pour l’historien deux points sont à considérer : le contenu de la révélation, c’est-à-dire l’objet de la mission, et la forme que prit cette révélation, c’est-à-dire la source de l’inspiration de Jeanne et les voix.
Celui qui devint son confesseur habituel au cours de sa vie publique, le frère Pasquerel, l’entendit plusieurs fois dire qu’elle avait un ministerium, une charge à remplir, de facto suo, 160par elle-même ; il l’a vu prier pro complemento sue legationis, pour l’accomplissement de sa mission ; et quand elle arriva à Chinon, on lui demanda de dicendo causam sue legationis (N1 399) ; enfin Pasquerel croyait qu’elle était missa a Deo (N1 396). Cette dernière expression est la plus fréquemment employée en divers endroits des procès (C1 166. N1 400. N1 2 285), et, avant tout, par Jeanne elle-même : Ego sum missa a Deo
ou ex parte Dei
(C1 99, 221, 344). Mais le mot missio n’apparaît pas dans les procès, sinon avec le sens vague d’envoi207. On trouve, outre legatio, factum Puelle (N2 34), opera Puelle (N2 272), expressions de sens vague ; vocatio n’est avancé qu’une fois (N1), et vocation, terme approprié, n’a pas été retenu dans la suite. Le mot mission peut cependant être utilisé pour désigner la tâche confiée par l’inspiration à Jeanne, avec une réserve : ce substantif n’est devenu en usage, dans son cas particulier, qu’à l’époque contemporaine, lorsque l’opinion publique s’est intéressée de nouveau à la Pucelle208.
La mission révélée à Jeanne est indiquée à plusieurs reprises dans les procès. Au début, à Domrémy, les voix lui révélèrent directement ce qu’elle avait à faire (C1 48, 201) ; plus tard Jeanne annonça elle-même les différents points de sa mission, en accord avec les voix. Parfois d’une manière vague elle a dit au procès de condamnation qu’elle avait grand désir que son roi eût son royaume (C1 64), ou qu’elle était venue au secours du roi de France
(C1 235, N2 373) ; à l’examen de Poitiers elle déclara être venue en France pour la grande pitié que Dieu avait du peuple de France
, qui lui avait été révélée par ses voix (N2 471-472. N2 373). Parfois elle annonça, sous forme de prédiction, des événements à venir sans qu’elle pût y participer (N1 86, 472, N2 325). Mais elle a plusieurs fois énuméré avec précision les différents objets de sa mission, et elle les a confiés en particulier 161à Dunois et à d’autres compagnons d’armes (N1 325-326) ; il n’y en avait que deux : elle était envoyée pour secourir les habitants d’Orléans et faire lever le siège, d’une part, pour conduire le dauphin au sacre à Reims, d’autre part. Les Chroniques de Charles VII n’ont également mentionné que ces deux points209.
La délivrance d’Orléans était la première tâche, la plus pressante, dont dépendait tout le reste210. Elle est mentionnée chaque fois que Jeanne expose sa mission. À Domrémy elle en parla à Baudricourt (C1 48) ; mais ne paraît pas en avoir entretenu les gens du village, futurs témoins de sa jeunesse en Lorraine. À Chinon elle en parla au dauphin (C1 214), à Dunois (N1 317-325), au maître de l’hôtel du dauphin Guillaume de Ricarville (N1 329), à l’écuyer du dauphin Thibault (N1 368), au duc d’Alençon (N1 381, 387), au président de la Chambre des comptes Simon Charles (N1 400) et à son confesseur le frère Pasquerel (N1 390). Dans sa lettre aux Anglais du 22 mars 1429, c’est encore la délivrance d’Orléans qui est citée en bonne place (C1 221-222). Le sacre du dauphin Charles avec son couronnement était l’autre tâche, deuxième dans le temps, sinon en importance. À Domrémy elle ne parla qu’en termes vagues du secours qu’elle devait apporter au dauphin, d’après les témoignages de Nouillempont et de Poulengy (N1 289, 305) ; mais à son oncle Durand Laxart elle précisa qu’elle partait pour faire couronner le dauphin (N1 296). En revanche à Chinon elle annonça dès mars 1429 au dauphin que le Roi des cieux l’envoyait pour aller à Reims afin que le sacre eût lieu (N1 389-390), et en mai lui renouvela cette assurance (N1 366, 373). Après la délivrance d’Orléans elle pressa de même l’entourage royal et les capitaines de marcher sur Reims (N1 323). Tels étaient les deux mandats reçus du Roi des cieux
, comme le rapporte Simon Charles (N1 400).
Certains témoignages ont mentionné des tâches à accomplir 162après la mission. D’après le duc d’Alençon Jeanne aurait dit au dauphin qu’il fallait se hâter, car elle ne durerait pas beaucoup plus qu’une année
, et elle avait quatre charges, onera : mettre en fuite les Anglais, faire couronner et sacrer le roi, délivrer le duc d’Orléans prisonnier, et faire lever le siège d’Orléans (N1 387), déposition assez désordonnée. D’après le frère Seguin Jeanne aurait prédit à Poitiers quatre événements futurs, sans en préciser la date : la levée du siège d’Orléans, la libération du duc d’Orléans, le sacre du roi, en y ajoutant le retour de Paris dans l’obéissance du roi (N1 472-473). Mais ces témoins rapportent des prédictions ; et Jeanne déclara même à ses juges qu’il lui aurait fallu trois années sans empêchement pour parvenir à la libération du duc d’Orléans (C1 128-129). L’expulsion des ennemis est passée souvent sous silence, étant peut-être considérée comme une suite naturelle de la levée du siège d’Orléans et du sacre de Reims ; elle est cependant citée expressément à quelques reprises. Parfois aucune précision n’est donnée : ainsi mettre en fuite les Anglais
, la première des quatre charges qu’elle reçut et qu’elle déclara au dauphin (N1 387). Le plus souvent cette expulsion fut annoncée comme un événement à venir, une prédiction, sans intervention de sa part. Naturellement ce fut le cas après sa capture, quand elle déclara bien savoir que les Anglais seraient boutés hors de France
(C1 169) ; quand elle annonça que les Français obtiendraient des gains à ébranler tout le royaume
et que cela se passerait après elle (C1 166) ; ou quand elle dit qu’avant sept années les Anglais perdraient la majeure partie de ce qu’ils tenaient en France (C1 83, 231). Le procès en nullité cita également parmi ses prédictions la récupération du royaume par le roi Charles et l’expulsion des Anglais (N1 86). Cette expulsion est cependant citée expressément à quelques reprises, comme un des points de la mission de Jeanne, dans le procès de condamnation ; il s’agit des dixième et dix-septième articles, parmi les 70, du libelle d’accusation établi par le promoteur Jean d’Estivet. Dans le dixième le promoteur accusa Jeanne d’avoir promis au dauphin trois choses : levée du siège d’Orléans, 163couronnement à Reims, expulsion des ennemis du royaume de France (C1 201) ; mais dans sa réponse Jeanne, qui comparaissait le 27 mars 1431, n’a mentionné que la charge de faire lever le siège d’Orléans (C1 202). Dans le dix-septième article le promoteur, revenant à la charge, accusa Jeanne à nouveau d’avoir fait au dauphin les trois mêmes promesses, la troisième étant plus détaillée : expulsion ou destruction des ennemis tant Anglais que Bourguignons ; mais dans sa réponse, le même jour, Jeanne précisa qu’elle avait porté des nouvelles de par Dieu à son roi, à savoir que Notre Seigneur lui rendrait son royaume de France, le ferait couronner et chasserait ses adversaires
(C1 214). Il n’est donc pas exact de prétendre, comme les juges de 1431 et la plupart des biographes de Jeanne, que celle-ci s’était vantée de bouter les Anglais hors de France
. Citons seulement, pour ne pas mentionner les auteurs modernes, un chroniqueur contemporain, Jean Chartier : Car de lever ycellui siège [d’Orléans], de mener le roy couronner à Rains, de desconfire et débouter les Anglois, elle n’en faisoit aucun doubte211
, et un conseiller de Charles dauphin, Perceval de Boulainvilliers comme en témoigne une de ses lettres212.
Révélation, tel est le terme employé par Jeanne elle-même à propos de l’origine de sa mission : les révélations lui ont été faites de par Dieu
(C1 38), je n’ai rien fait que par révélation
(C1 46). Le terme est repris à différentes occasions par Jeanne213 ; et les juges qui la condamnèrent ont pu rattacher les révélations aux voix (C1 113), suivis par les auteurs des traités judiciaires du procès en nullité. Ce furent en effet les voix, accompagnés de visions ou apparitions, qui ont révélé à la Pucelle sa mission. Il ne nous appartient pas d’exposer ici toute la question du mysticisme de Jeanne ; il est cependant impossible de la passer sous silence ; heureusement des travaux de théologiens, 164généraux ou relatifs à son cas, permettent une approche suffisante.
L’expérience mystique a un effet sur les sens, et on a pu définir une sensorialité des mystiques
; analogues aux sens corporels apparaissent des sens spirituels, dons de la grâce, dons gratuits, suppléant la nature, comme l’indique l’hymne : Veni Creator Spiritus… Accende lumen sensibus.
Une doctrine des sens spirituels s’est élaborée depuis saint Augustin, Origène et saint Bonaventure, pour ne citer que les principaux auteurs et les plus anciens214. Jeanne a donc bien entendu des voix et vu des apparitions, ou, si on refuse le surnaturel, elle a cru les entendre et les voir. Voix et visions furent le premier motif de sa condamnation : la sentence lui reproche en effet d’avoir imaginé mensongèrement des révélations et apparitions envoyées par Dieu. Il faut remarquer d’ailleurs qu’il ne s’agissait nullement dans le procès de condamnation de mettre en doute la réalité des voix : les hommes du Moyen Âge n’avaient aucune difficulté à croire à l’existence de celles-ci ; le seul point à débattre était de savoir si elles venaient de Dieu ou du diable215. Il y a en revanche une autre difficulté que ses juges en 1431 n’ont pas manqué de mettre en évidence216 : comment expliquer que les voix n’aient pas mieux protégé Jeanne en la prévenant de certains périls, et comment elle-même a-t-elle pu commettre des erreurs en certaines de ses prédictions ? L’explication en est la suivante : l’inspiration n’agit que pour les questions de foi ou de conduite morale ; son rôle n’est pas de supprimer toutes les déficiences de la connaissance humaine. Il faut dissocier, chez les personnes inspirées, l’essentiel et les parties accidentelles. C’est la théorie de l’abstraction, examinée par saint Thomas d’Aquin, avec l’axiome : Abstrahentium non est mendacium : quand la dépendance d’une chose à l’égard d’une autre ne porte pas sur ses éléments constitutifs, 165la première peut être séparée de la seconde ; l’abstraction conçoit le général sans le particulier217. Au procès en nullité les auteurs de mémoires judiciaires ont invoqué cette théorie, Basin (N2 200-203), Berruyer (N2 247), Montigny (N2 314-316) et Bouillé (341-342), Ciboule (N2 381-382).
On peut essayer de préciser les formes extérieures de l’inspiration surnaturelle dont bénéficia Jeanne, en relevant les déclarations successives de l’intéressée au cours du procès de condamnation218. On constate en effet une évolution, allant d’une source unique ou indifférenciée d’inspiration à une pluralité de voix, d’une intervention divine transcendante à une personnalisation des saints ou saintes servant d’intermédiaires. Lors de la deuxième séance de son procès, le 22 février, Jeanne déclare avoir entendu pour la première fois, à l’âge de treize ans environ, à Domrémy et dans le jardin de son père, une voix venant de Dieu pour l’aider à se diriger
(C1 47). Elle eut grand peur. La voix se fit entendre à plusieurs reprises, venant toujours du côté droit de l’église
. Elle était accompagnée généralement d’une grande clarté ; mais Jeanne, qui ne se laisse pas entraîner par l’imagination, ajoute que de ce côté il y avait toujours beaucoup de lumière, ce que confirme l’orientation. Dans cette déposition inaugurale du 22 février, il ne s’agit donc que d’une seule voix venant de Dieu, sans indication d’intermédiaire. Toutefois elle ajoute que la troisième fois elle comprit que cette voix était celle d’un ange, sans autre précision, c’est-à-dire d’un esprit incorporel (C1 47-48). Cette voix, elle continue de l’entendre, deux ou trois fois par semaine, avant de partir pour Chinon, puis pendant le trajet. Cette voix lui a enseigné, docuit, ce qu’elle devait faire. Aussi l’un des articles du libelle d’accusation, le trente-quatrième, fait-il interroger Jeanne sur la doctrina ainsi proposée (C1 235), et de même le troisième des douze articles 166retenus contre elle mentionne-t-il cette doctrine
de la voix, identifiée alors avec celle de saint Michel (C1 292). La pluralité des voix pourrait paraître cependant mentionnée incidemment dans la séance même du 22 février : Jeanne déclare que, si elle était dans un bois, elle entendait des voix ; mais aussitôt après elle poursuit en mentionnant cette voix venant de la part de Dieu
(C1 47). Lors de la séance suivante, le 24 février, Jeanne continue de ne citer qu’une voix, entendue la veille et le jour même (C1 57). Aux juges qui lui demandent si cette voix
, accompagnée d’apparition, est d’un ange, ou de saints, ou vient directement de Dieu, elle demande un délai pour répondre, de crainte de déplaire à ces voix
(C1 60). Au début de la quatrième séance, le 27 février, Jeanne déclare avoir entendu de nouveau la voix, qui lui a dit de répondre hardiment (C1 70). Aussi, interrogée encore une fois sur la nature de cette voix, elle répond qu’il s’agissait de sainte Catherine et de sainte Marguerite, et qu’elle a déjà fait la réponse lors de l’interrogatoire de Poitiers, en 1429 (C1 71-72) ; elle ajoute que ces deux saintes ont accepté de la diriger il y a bien sept ans, soit vers 1425. Ensuite, aussitôt après, elle déclare avoir reçu un grand réconfort de saint Michel, qui lui a parlé le premier, depuis qu’elle eut environ treize ans (C1 73, 203).
On peut constater quel fut le processus, relativement lent et hésitant, de l’identification des voix. Les visions semblent n’être que peu à peu devenues des apparitions concrètes de saints ou de saintes. Mais ces incarnations, peut-on dire, sont des aspects secondaires de la vie mystique de Jeanne. Probablement lui était-il difficile de parler de l’inexprimable. D’ailleurs elle a toujours été réticente pour révéler les traits matériels du surnaturel : pressée de questions, elle déclara par exemple ne rien savoir de l’aspect de saint Michel, de ses cheveux, de ses vêtements (C1 86-87), bien qu’elle eût affirmé auparavant (C1 74) l’avoir vu de ses yeux corporels
aussi bien qu’elle voit les juges l’interrogeant. Il en est de même pour les saintes : si, à la séance du 27 février Jeanne déclare les avoir vues, couronnées (C1 71), 167le 1er mars elle ne sait si les saintes avaient des bras ou des membres (C1 84). L’incertitude de Jeanne devant ses visions se traduit aussi par une intervention, qui lui paraît possible, de diverses créatures célestes. Saint Denis ne lui serait jamais apparu, mais prudemment elle ajoute : à sa connaissance
(C1 122-123). Elle ne se rappelle plus, le 1er mars, si saint Gabriel accompagnait saint Michel (C1 83), puis, le 3 mars, déclare les avoir vus tous deux de ses yeux
(C1 92) ; enfin le 9 mai, sous la menace de la torture, elle proclame qu’elle reçut récemment un grand réconfort de saint Gabriel, dont l’identité lui fut révélée par ses voix (C1 349).
Saint Michel est nommé par Jeanne, à la fin de la quatrième séance, comme étant le premier qui vint la voir et dont elle entendit la voix (C1 73) ; elle le vit avec les yeux du corps
, aussi bien qu’elle voit les assistants au procès (C1 203). Le procès de condamnation donne maints détails sur l’apparence de l’archange, ses interventions, sa doctrine : aller au secours du roi de France (C1 235) ; il suffit de recourir à la publication, ainsi qu’aux commentaires de l’introduction (C3 92-103). Relevons seulement le constant désir des juges, qui veulent faire préciser à Jeanne l’aspect, la figure, les cheveux, la taille et les habits de saint Michel (C1 86-87, 74, 92, 163, 228-229), ainsi que ses attributs, couronne ou balance (C1 228, 87) ; ou qui accusent Jeanne d’avoir tenu des propos sur le rôle de l’archange à Chinon et lors de la remise de la couronne royale (C1 254, 292). Ce sont les juges qui ont contribué à la personnification des voix, celle de saint Michel et les autres, pressant Jeanne de donner un aspect concret à ses visions. Ils se trouvaient probablement déconcertés devant une mystique, inspirée par Dieu, sans prise sur elle ; l’intervention d’anges ou de saints leur permettait de se mouvoir dans un monde plus familier, de ratiociner sur la forme des apparitions, sur la question des esprits, bons ou mauvais, et sur la nature des anges. Dans ces conditions saint Michel est annoncé comme première apparition. C’était le chef de la milice céleste, le vainqueur du démon 168et des mauvais anges ; il était représenté avec la lance ou l’épée et le bouclier que le Mont-Saint-Michel conservait comme relique219. C’était aussi celui qui faisait accéder au paradis les âmes des fidèles trépassés ; à cause de cette fonction une chapelle lui était souvent dédiée à l’entrée des cimetières et il était représenté en psychopompe, conducteur des âmes, et tenant une balance pour les peser220. Son culte, ancien, était devenu très populaire. Il avait été introduit dans le Confiteor peut-être dès le XIIe siècle, et Jeanne, dont on sait les fréquentes confessions, l’invoquait ainsi221. De nombreuses églises l’avaient comme patron, en particulier à Saint-Mihiel, la ville étant la capitale du Barrois non mouvant, patrie de Jeanne, ou à Saint-Michel-sur-Meurthe au canton de Saint-Dié. Les vies de saints ont fait une large place à l’archange, la Légende dorée par exemple, et les représentations figurées l’ont popularisé par des sculptures ou autrement222. En outre, depuis la deuxième moitié du XIVe siècle, le culte de saint Michel subissait un renouveau en France : il était le protecteur des Valois ; il apparut sur les monnaies : Philippe VI fit frapper en 1340, pendant quelques années, des anges d’or
à l’effigie de l’archange223. La dévotion envers lui se manifestait par des pèlerinages, au Mont-Saint-Michel, ou à Saint-Michel d’Aiguilhe au Puy, dont témoignent les enseignes qui nous sont parvenues224 ; ainsi Charles VI se rendit au Mont en 1394, et Charles VII au Puy en 1420225. Enfin l’abbaye du Mont, sous la protection du saint, complètement isolée du royaume de Bourges
, fut célèbre pour sa résistance aux Anglais jusqu’à l’expulsion de ceux-ci226. Ainsi en 1429 l’idée d’une guerre juste menée contre l’envahisseur, d’une lutte contre les méchants, ainsi que l’aide aux combattants trépassés, 169pouvaient se conjuguer pour faire de saint Michel l’inspirateur indirect de Jeanne, le symbole de la résistance à l’ennemi. C’est encore le point de vue de Jean Bréhal en 1456, dans sa Récapitulation pour le procès en nullité (N2 423). On a pu également voir en lui l’ange qui apporta une couronne lors de la première entrevue à Chinon, comme il est indiqué plus loin.
Toutefois l’archange semble avoir représenté pour Jeanne une autre source d’inspiration. Jeanne ne l’écoute pas comme un conseiller militaire dans la lutte qu’elle entreprend. Si saint Michel lui donne des conseils, c’est surtout pour qu’elle se conduise en bonne chrétienne, alors Dieu l’aidera pour secourir le roi de France ; telle est la doctrina (C1 235, 292), le bon enseignement qu’il donne, en garantissant également que les voix viennent de bons esprits, et non de mauvais. Les juges, qui voulaient savoir quelle était la figura de saint Michel, c’est-à-dire s’il était en archange combattant, comme dans tant d’églises, durent être fort déçus. De même ils auraient désiré savoir s’il tenait, lors de son apparition, dans sa main la balance à peser les âmes (C1 87). Mais Jeanne ne sut quoi répondre : elle n’avait pas fait attention à ces détails. Elle se contenta, au moment de sa mort de l’implorer à haute voix (N1 202, 352, 435). Saint Michel fut donc essentiellement pour Jeanne l’envoyé de Dieu, l’archange messager qui lui transmettait le preceptum Dei, le commandement de Dieu, les instructions divines, en la consolant à l’occasion (C1 73, 290) ; ce fut le conseiller, le prudhomme
qui lui apporta bon conseil, bon confort et bonne doctrine
(C1 165). Peut-être fut-il également l’ange du signe
, innomé, que Jeanne aurait bien voulu suivre en esprit
(C1 137-138). Il a des ailes et non pas lance et bouclier (C1 91). Il a ainsi certains traits de l’ange gardien, qui, à la fin du Moyen Âge, prend une place croissante dans la dévotion populaire227. En somme la voix de l’archange fut essentiellement celle d’un guide spirituel, d’un maître de la vie intérieure : bien 170se conduire, fréquenter l’église (C1 48), c’est vraiment l’ydioma angelorum, le langage des anges (C1 162). Ensuite seulement il indique à Jeanne sa mission, et de manière très générale : partir pour la France sans avertir son père, faire lever le siège d’Orléans ; et plus tard encore il lui dit, pour sa tâche, d’aller à Vaucouleurs voir le capitaine Robert de Baudricourt (C1 48).
Les apparitions des saintes Catherine et Marguerite, annoncées par saint Michel, furent pour Jeanne différentes, moins transcendantes, et leurs voix lui donnèrent des directives souvent plus concrètes. La description des saintes que donne Jeanne n’est toutefois plus précise que sur un point : elles ont de riches couronnes (C1 71, 233) ; mais elles ne portent pas de boucles d’oreille (C1 84). Jeanne ne peut décrire leur physique, cheveux ou membres, bien qu’elle soit pressée de questions, et elle les reconnaît seulement parce qu’elles se nomment (C1 234). Leurs voix sont belles, douces et humbles ; elles s’expriment en français, et non en anglais (C1 84). Elles ont promis à Jeanne que le roi recouvrerait son royaume, et qu’elles-mêmes conduiraient la Pucelle au paradis (C1 85). Lors de l’interrogatoire de Jeanne par ses juges, les voix servent d’intermédiaire pour recevoir les instructions de Dieu (C1 146). C’est aux saintes, comme envoyées par Dieu, qu’elle fait la promesse de garder sa virginité (C1 123, 244). Jeanne fait révérence aux saintes (C1 159), les accole, mais ne les embrasse pas (C1 177, 243) ; elle fait oblation de chandelles à la messe en l’honneur de sainte Catherine, mais entre les mains du prêtre, et en met devant sa statue, mais en l’honneur de Dieu, de la Vierge et de la sainte (C1 159-160). Enfin au moment de mourir elle invoque les saintes en même temps que saint Michel (N1 435). Ainsi a-t-elle voué aux saintes un culte de simple dulie, aussi constant qu’orthodoxe. Le rôle des saintes fut de suivre Jeanne au cours de sa mission terrestre. Elles l’instruisent à propos de l’étendard qu’elle doit adopter (C1 114, 172-173, 268), la réconfortent quand elle est blessée devant Orléans (C1 79). À Beaurevoir Jeanne prisonnière, 171en sautant de la tour, leur désobéit (C1 161, 238) ; mais ensuite elle est pardonnée et réconfortée (C1 107, 238, 243). En revanche elle a parfois agi sans le conseil de ses voix, pressée par son entourage, comme devant La Charité ou devant Paris (N2 313-314). Les saintes lui ont-elles conseillé de prendre l’habit d’homme, comme l’affirme le premier des douze articles faussement extraits de ses dépositions ? (C1 291). Jeanne a déclaré sur ce point qu’elle avait obéi à Dieu par la voix de saint Michel, ou par celle de sainte Catherine, ou par celle de sainte Marguerite (C1 95) ; mais le plus souvent elle aurait pris cet habit sur l’ordre de Dieu seul (C1 75, 153, 168) ; en tout elle a agi sur le conseil de nul homme au monde
(C1 75). Elle semble attribuer le port de cet habit directement à une inspiration venue de Dieu.
Le nom des saintes n’est donné par Jeanne, comme celui de saint Michel, qu’à la quatrième séance du procès, le 27 février 1431 (C1 71, 74, 75). Sainte Catherine, considérée dès le XIVe siècle comme le plus puissant intercesseur auprès de Dieu après la Sainte Vierge, faisait partie des quatorze saints auxiliaires, particulièrement invoqués en cas de besoin. Des artistes s’attachèrent à la représenter ; elle tient une des premières places parmi les statues de saints, avec saint Jean-Baptiste228. Patronne de l’église de Maxey sur Meuse, proche de Domrémy, sainte Catherine devait y avoir sa statue. Des plombs historiés ont vulgarisé son image229. Catherine fut également le prénom d’une sœur de Jeanne230, épouse de Colin de Greux, qui mourut avant 1429 ; le souvenir de cette sœur aînée resta cher à la Pucelle, qui demanda à sa tante Aveline, enceinte, de donner le prénom de Catherine, si elle avait une fille, pour la souvenance de feue Catherine
. Sainte Marguerite est aussi classée parmi les dix saints intercesseurs. Comme le proclame le Mistère qui lui fut consacré : Ceux qui feront de toi mémoire / Auront 172toujours force et victoire231.
Les récits de sa vie ne concordent pas : tantôt bergère, tantôt fille de roi. En tout cas elle refusa le mariage et fit vœu de virginité, ce qui n’empêche pas qu’on la trouve quelquefois comme patronne des femmes en couches232. Son culte, très répandu dès la fin du XIVe siècle, a laissé des traces : statues ou vitraux, enseignes de pèlerinage233. L’église de Domrémy, tout spécialement, possède encore une statue de sainte Marguerite, de la fin du XIVe siècle environ, que Jeanne a pu voir pour l’invoquer234. Enfin il est intéressant de relever un épisode de la vie de cette sainte, mentionné dans la Légende dorée : pour échapper à un mari, elle se coupa les cheveux, revêtit un habit d’homme et se réfugia dans un monastère où elle fut connue sous le nom de frère Pélage ; ce rapprochement avec Jeanne n’est pas passé inaperçu des auteurs de mémoires judiciaires au procès en nullité (N2 208, 466).
Ainsi les voix, les apparitions de saints ou de saintes furent reconnues et précisées progressivement par Jeanne pour répondre à ses juges. Quant à elle, ces manifestations lui furent un moyen d’appréhender le surnaturel, d’accueillir avec foi une mission céleste.
IV. La mission reconnue
À l’enfance, à la prime jeunesse, succéda une période de transition difficile pour Jeanne, et assez mal connue : comme préliminaires de sa mission elle dut faire connaître ce que lui avaient commandé les voix et l’inspiration, faire partager sa foi à des politiques désabusés et sceptiques. Ainsi en un an, du début de mai 1428 au début d’avril 1429, dans sa seizième année, elle dut se décider à quitter ses parents, vaincre les résistances, préparer et accomplir le voyage de 173Chinon. Il lui fallut ensuite obtenir des entrevues avec le dauphin et son entourage, surmonter les réticences, subir des examens à Chinon et à Poitiers, avant d’avoir un soutien, péniblement acquis, pour délivrer Orléans.
La chronologie de cette période est souvent incertaine235 ; les déplacements de Jeanne avant son départ définitif, l’itinéraire de Domrémy à Chinon manquent de repères236.
Enfin et surtout plusieurs points restent obscurs ou discutés ; il en est ainsi des rapports de Jeanne avec le dauphin, de la question du signe ou de celle du secret, des examens subis à Poitiers.
Qu’elle partist pour venir en France… et qu’elle alast à Robert de Baudricourt, capitaine de Vacoulleur et qu’il luy bailleroit des gens pour la conduire
, tel fut le conseil que lui donnèrent ses voix, selon les propres paroles de Jeanne (C1 48). Vaucouleurs en effet était la seule place forte au nord de la Loire, avec le Mont-Saint-Michel, ayant résisté aux Anglo-Bourguignons, et Baudricourt, son capitaine, était resté fidèle au roi de Bourges
. Lui seul pouvait tenter d’aider l’entreprise de Jeanne. Celle-ci devait donc le convaincre, et on a maintes fois relaté le pittoresque de leurs rencontres.
Jeanne eut trois entrevues avec Robert de Baudricourt, d’après ses propres déclarations au procès de condamnation (C1 49). Cela est confirmé par un de ses parrains, Jean Morel, habitant Greux, paroisse voisine de Domrémy sur la route de Vaucouleurs, déclarant qu’elle se rendit deux ou trois fois dans cette place (N1 255). La première entrevue eut lieu vers l’Ascension
de 1428, soit vers le 13 mai. Bertrand de Poulengy, qui faisait partie de la compagnie de Baudricourt pour la garde du château, et qui devait accompagner Jeanne jusqu’à Chinon, est notre meilleur témoin ; il donne la date approximative et raconte l’entrevue (N1 305-306). 174Mais Jeanne n’aurait pu, seule, et directement depuis Domrémy, avoir accès au château de Vaucouleurs. Son étape intermédiaire fut Burey-le-Petit, à une quinzaine de kilomètres au nord de Domrémy, en direction de Vaucouleurs, et seulement à environ cinq kilomètres de cette ville. À Burey elle passa probablement huit jours en ce début du mois de mai — elle devait y revenir par la suite — chez son cousin par alliance Durant Laxart ; celui-ci avait épousé Jeanne Le Vausel, nièce d’Isabelle Romée ; mais, comme il avait une quinzaine d’années de plus que Jeanne, elle l’appelait son oncle. Durand Laxart la conduisit à Vaucouleurs, et c’est un autre témoin de choix ; il ne mentionne pas cependant la première entrevue, et rappelle seulement la seconde, en déclarant que Jeanne séjourna environ six semaines chez lui (N1 295-296). Sur ce point la déposition de Jeanne lors de son procès est plus précise : elle ne resta que huit jours absente de Domrémy (C1 48. C2 48-49).
On peut se demander à cette occasion, et aussi pour les autres entrevues, comment Jeanne fit tous ces déplacements avant son départ. Qu’elle ait pu se hisser sur le dos d’un cheval dès ce moment est certain, et nous le verrons plus loin. Mais il est impossible qu’elle ait emprunté un cheval de la maison pour une semaine ou plus. Fit-elle ces courts trajets en charrettes de rencontre ? Le plus probable est que cette robuste fille de campagne les fit à pied, car elle n’aurait pas craint, pour accomplir sa mission, d’aller sur les genoux, s’il le fallait
(N1 299).
Quelques auteurs ont contesté la date du 13 mai, ainsi que différents points relatifs à l’entrevue237. Leurs arguments sont les suivants. Jeanne, en mai 1428, aurait difficilement pu parler d’une action avant la mi-carême, avant février 1429, comme le rapportent Poulengy et Nouillonpont (N1 305 et 290), parce que ce terme était alors trop lointain et que le siège d’Orléans commença seulement en octobre 1428 ; 175elle n’aurait pu en outre dissimuler son dessein, qui surprit parents et amis, jusqu’à son départ en février 1429. Ces auteurs ajoutent qu’après cette première entrevue Jeanne ne serait pas revenue à Domrémy ; aussi proposent-ils d’en retarder la date et, peut-être, de lire Avent au lieu d’Ascension. Cette hypothèse et cette chronologie ne sont pas à retenir. En effet l’objet de l’entrevue est également donné par Poulengy : il n’y fut question ni du départ de Jeanne, ni d’Orléans ; et si Jeanne, dans sa déposition de 1431 mentionna le sort d’Orléans, elle n’y faisait pas de distinction entre les sujets abordés lors de chacune des trois entrevues (C1 48). Quel fut donc le sens de cette première rencontre à Vaucouleurs ? D’après Poulengy Jeanne délivra seulement un message à Baudricourt pour le dauphin, contenant deux recommandations. La première était de ne pas engager une bataille rangée contre ses ennemis jusqu’à la mi-carême, car à cette date le Seigneur lui enverrait un secours. Il faut comprendre par là que le dauphin devait éviter un combat en rase campagne, dont les défaites de Gravant, en 1423, de Verneuil, en 1424, avaient montré le danger. Dans une deuxième recommandation Jeanne disait que le royaume appartenant non pas au dauphin, mais au Seigneur, celui-ci voulait bien cependant que le dauphin devînt roi et tînt le royaume en commende. Après cette entrevue, et contrairement à la chronologie mentionnée ci-dessus, Jeanne revint à Domrémy. Ce retour est indiqué par Poulengy (N1 306) et mentionné dans le libelle du promoteur de la cause (N1 201-202). Sa présence à Domrémy est attestée, le 24 juin, par les demi-confidences qu’elle fit alors à un camarade d’enfance (N1 293).
L’été de 1428 se passa au milieu des périls suscités par un renouveau des hostilités dans la région. En juin les Bourguignons
assiégèrent Ugny, à quelques kilomètres au nord de Vaucouleurs, et en juillet une expédition contre Vaucouleurs même fut dirigée par Antoine de Vergy, gouverneur de Champagne, maréchal de France, pour Henri VI d’Angleterre238. 176Aussi en ce mois de juillet tous les habitants de Domrémy furent obligés de s’enfuir vers le sud, à Neufchâteau ; ils emmenèrent leurs troupeaux, espérant les soustraire à un enlèvement semblable à celui de 1425 (N1 269). Jeanne et toute sa famille restèrent dans cette ville probablement une quinzaine de jours (C1 46. C1 2 48), bien que des témoins réduisent ce délai à quatre jours, dans des dépositions faites trente ans plus tard (N1 255, 270-272). C’est alors probablement que le village de Domrémy fut incendié, car Jeanne, à son retour dut aller à l’église voisine de Greux (N1 258). À Neufchâteau Jeanne et sa famille furent hébergés par une femme nommée La Rousse ; c’était vraisemblablement une femme honnête, chez qui les parents de la Pucelle s’arrêtèrent, malgré les insinuations du procès de condamnation reprises par des historiens malveillants (C2 45 n. 1. Luce, suppl. pr. VI, p. 287-289). Rien ne permet d’autre part, en raison de ce court séjour, de déclarer que Jeanne fut servante d’auberge ; c’est cependant le métier que lui attribuent, sans penser à mal ou avec des sous-entendus, Bossuet ou Voltaire, suivis par divers vulgarisateurs239. L’épisode de Neufchâteau fut d’ailleurs de courte durée, car le siège de Vaucouleurs fut levé et un accord intervint entre Robert de Baudricourt et Antoine de Vergy en septembre240.
La deuxième entrevue entre Jeanne et Baudricourt est rapportée par les témoins avec moins de précision que la première. Étant donné les circonstances politiques et les événements militaires mentionnés, elle pourrait difficilement être placée avant octobre 1428. Mais d’autre part, comme nous le verrons, Jeanne, avant de partir pour Chinon le 13 février 1429, allait rester environ six semaines à Burey, plus trois semaines à Vaucouleurs, plus le temps d’un voyage de 140 kilomètres en Lorraine et d’un entretien avec le duc, soit un délai de dix semaines au moins, deux mois et demi approximativement. La date de cette deuxième entrevue 177se placerait donc vers le 1er décembre 1428. L’oncle Laxart vint à Domrémy chercher Jeanne chez ses parents et la mena à Burey, où elle désirait aider sa tante au moment de ses couches et de ses relevailles, d’après le témoignage des gens du pays (N1 283, 285, 288). Elle resta six semaines à Burey suivant la déclaration de Durand Laxart (N1 295). C’est alors que celui-ci eut connaissance des projets de Jeanne : aller en France auprès du dauphin pour le faire couronner, en demandant à Baudricourt de l’aider à partir (N1 296). Laxart accompagna sa nièce, qui voulait aller à Vaucouleurs, à la chambre du roi
, suivant son expression, pour voir le capitaine de la place ; mais l’entrevue fut orageuse, car Baudricourt déclara qu’il fallait gifler Jeanne et la reconduire chez ses parents. Revenue à Burey, Jeanne voulut partir aussitôt pour Chinon, avec les vêtements de son oncle. Mais celui-ci dut réussir à la calmer et il la reconduisit à Vaucouleurs, où les époux Le Royer l’hébergèrent241. Peut-être Henri Le Royer était-il un parent de Thévenin Le Royer, habitant Domrémy, dont la femme était une des marraines de Jeanne (N1 266-267). Poulengy devait être absent, car il ne mentionne pas cette entrevue. Mais Nouillempont rapporte ce que lui en a raconté Jeanne peu après, à Vaucouleurs même : il ne se soucie pas de moi, ni de ce que je lui dis
(N1 289-290). Jeanne devait vivre dans la famille Le Royer trois semaines, mais avec un intervalle, probablement dû au voyage en Lorraine, d’après les témoignages des époux (N1 297-300). Elle s’y conduisit avec grande sagesse, accompagnant Catherine Le Royer à l’église et s’y confessant, faisant avec elle ces travaux de couture dont elle était si naïvement fière (C1 46). Elle attendait surtout une réaction de Baudricourt, et se préparait à retourner le voir.
C’est au début de ce séjour que se place la troisième entrevue. Elle commença par une scène pittoresque, mais significative aussi et déterminante. Un jour Catherine Le Royer 178vit entrer chez elle le capitaine de la ville, Baudricourt en personne, accompagné de messire Jean Fournier, curé de Vaucouleurs (N1 298). Le prêtre avait apporté son étole et se préparait à un exorcisme ou plutôt à un jugement de Dieu, disant que si elle était une mauvaise créature elle s’éloignât d’eux, et si elle était bonne chrétienne elle vînt vers eux. Jeanne s’approchant se jeta à genoux devant le prêtre et lui fit des reproches, car il l’avait entendue en confession. Elle demanda de nouveau à se rendre auprès du dauphin, rappela une prophétie sur la restauration du royaume par une vierge des marches de Lorraine. Baudricourt, par cette démarche même, montrait que son scepticisme était ébranlé. En tout cas Jeanne fut si pressante — le temps lui durait comme à une femme enceinte, dira Catherine Le Royer plus tard — qu’elle emporta l’adhésion de plusieurs personnes.
À la suite de cette entrevue Baudricourt informa certainement René d’Anjou, duc de Bar, du cas de Jeanne, s’il ne l’avait déjà fait auparavant. Pendant cette période des messagers circulaient en effet fréquemment entre le duc, alors à Saint-Mihiel, et le capitaine de Vaucouleurs242. Or le duc de Bar était à la fois le gendre du duc de Lorraine Charles II, dont il avait épousé la fille et héritière, Isabeau, en 1419 et le beau-frère du dauphin Charles, qui avait épousé en 1422 sa sœur, Marie d’Anjou. Il devait surtout hériter du duché de Lorraine à la mort de son beau-père, qui survint en 1431. Aussi n’y a-t-il pas lieu d’être surpris que le premier voyage de Jeanne ait été entrepris, comme démarche préalable, non pas vers l’ouest et Chinon, mais vers l’est et Nancy : après avoir convaincu, ou au moins impressionné Baudricourt, elle devait recourir à l’aval du duc de Bar et du duc de Lorraine. La curiosité de ce dernier était si bien éveillée qu’il lui fit parvenir un sauf-conduit pour venir le voir (N1 296).
Jeanne était venue à Vaucouleurs avec de pauvres vêtements 179de femme, de couleur rouge (N1 289). Il fallut l’équiper pour une chevauchée qui, si elle n’était pas encore militaire, comportait cependant un trajet à risques, à travers une région peu sûre. D’après Poulengy cet équipement lui aurait été fourni seulement à son retour de Lorraine (N1 306) ; mais il est plus vraisemblable qu’il fut, alors, seulement complété. Il fallut d’abord lui donner un habit d’homme pour chevaucher, le premier de ces vêtements masculins qui, en 1431, devaient jouer un grand rôle dans le procès de condamnation et la sentence finale. Remarquons à ce propos qu’à Vaucouleurs, comme par la suite, nul clerc ni laïc ne s’offusqua de cette tenue et qu’on s’empressa d’y contribuer. Quand on l’interrogea pour savoir si elle s’était vêtue ainsi à la demande de Baudricourt, elle répondit qu’elle avait agi d’elle-même, sans aucune suggestion d’homme vivant, et laissa entendre, sans vouloir préciser, que ses voix l’avaient alors conseillée (C1 128-129). Nouillempont lui donna d’abord vêtements et chausses d’un de ses serviteurs ; puis les habitants de Vaucouleurs lui firent confectionner des vêtements d’homme avec chausses lacées et guêtres, une tunique ou surcot, y ajoutant des éperons et une épée ; enfin Durand Laxart et un habitant de Vaucouleurs, Jacques Alain, lui achetèrent un cheval douze ou seize francs, somme qui leur fut remboursée par Baudricourt (N1 290, 296, 298, 306).
Jeanne savait-elle donc monter à cheval ? Plusieurs sources l’affirment, comme Monstrelet (Q4 361) ou Philippe de Bergame (Q4 523), en précisant même qu’elle chevauchait déjà à Domrémy et faisait maints exercices d’équitation ; le doyen de Saint-Thiébault de Metz prétend que c’est à Nancy, d’un seul coup, qu’elle se révéla parfaite écuyère (Q4 331). Mais on ne peut ajouter foi à ces auteurs d’une manière générale. Le libelle d’accusation en 1431 prétend que c’est à Neufchâteau, en mauvaise compagnie, qu’elle apprit l’équitation et la pratique des armes (C1 200) ; mais cette imputation vient après celle d’avoir utilisé une mandragore. Jeanne, quant à elle, est très nette sur ce point : à sa voix lui annonçant sa mission, elle répondit qu’elle était une 180pauvre fille ne sachant ni chevaucher, ni faire la guerre
(C1 48). La question semble avoir été posée d’une manière trop simpliste. Que Jeanne dans son enfance, gardant les troupeaux ou ailleurs, se soit hissée sur un cheval de trait est fort admissible. Autre chose était de monter un cheval de selle ou un destrier de bataille ; et dans ce domaine elle acquit très vite une maîtrise. En tout cas Jeanne partit certainement de Vaucouleurs à cheval. Elle fut accompagnée jusqu’à Toul, à trente kilomètres, par Nouillempont (N1 290), jusqu’à Nancy, à cinquante-cinq kilomètres, et jusqu’à Saint-Nicolas, à soixante-sept kilomètres environ, par Laxart et Jacques Alain (N1 298).
Quel entretien eut à Nancy Jeanne avec le duc Charles II de Lorraine ? D’après ses propres déclarations au procès de 1431, elle lui dit qu’elle voulait aller en France, et elle lui demanda d’être accompagnée pour ce voyage par son fils — entendons : son héritier — le duc de Bar et des hommes d’armes ; c’était requérir le secours de son seigneur243. Le duc à son tour lui demanda comment il pourrait recouvrer la santé, et Jeanne lui répondit qu’elle prierait pour lui (C1 49). Les confidences faites plus tard par Jeanne à son hôtesse de Chinon ajoutent qu’elle reprocha au duc sa mauvaise conduite et lui conseilla de reprendre sa bonne épouse
, Marguerite de Bavière, s’il voulait guérir (N1 378). Charles II fit bon accueil à Jeanne, lui donna un cheval noir et quelque argent (N1 255-266, 296). Mais le duc de Bar ne suivit pas Jeanne aussitôt ; il ne devait se rallier et rejoindre le dauphin que six mois plus tard.
Jeanne profita de ce voyage pour faire le pèlerinage à Saint-Nicolas, comme l’affirme Poulengy (N1 306), ce qui ne peut s’entendre que de Saint-Nicolas de Port, lieu de pèlerinage célèbre à une douzaine de kilomètres seulement de Nancy, et dont le saint patron protégeait les voyageurs. Mais un autre témoignage, dont bien des éléments sont douteux, a introduit confusion et erreurs à ce propos. Catherine 181Le Royer en effet ne fait nulle mention du voyage en Lorraine, et déclare simplement que Jeanne se rendit à Saint-Nicolas, puis revint à Vaucouleurs, car il ne lui semblait pas honnête
de partir ainsi ; elle ajoute que c’est au retour de Saint-Nicolas que Jeanne reçut habit d’homme et équipement (N1 298). Ces affirmations sont imprécises ou inexactes244. Certains auteurs en ont déduit qu’il s’agissait d’un faux départ
de Jeanne pour Chinon, et que Jeanne était allée seulement jusqu’à la chapelle Saint-Nicolas de Ceffonds, ancien ermitage sur la paroisse même de Vaucouleurs. Il ne paraît pas juste d’interpréter ainsi un témoignage unique et peu sûr. Jeanne d’ailleurs s’est probablement rendue directement à Saint-Nicolas de Port, comme le suggère Poulengy, par Toul et Pont-Saint-Vincent, avant d’aller à Nancy (N1 306).
Doit-on croire que Jeanne se rendit en outre à Chaumont en Bassigny pour voir le bailli, et peut-on placer ce voyage avant celui de Lorraine ou le départ pour Chinon ? L’écuyer Louis de Martigny est le seul témoin qui le déclare en 1455, et encore par ouï-dire ; mais cette assertion se heurte à des impossibilités : on ne voit pas quand Jeanne aurait pu faire ce déplacement vers le sud-ouest de deux fois soixante-dix kilomètres ; Chaumont était tenu par Jean de Torcenay pour le roi d’Angleterre, et Jeanne évita de passer à proximité en allant à Chinon. La confusion vient probablement de ce que plus tard, de 1437 à 1454, le bailli de Chaumont pour Charles VII fut Robert de Baudricourt245.
La date du départ de Vaucouleurs pour Chinon n’est pas indiquée dans le procès de condamnation. En revanche les deux compagnons de Jeanne dans cette équipée nous la donnent approximativement : vers le début du carême
d’après Poulengy (N1 306), vers le dimanche des Bures
, d’après Nouillempont (N1 290), c’est-à-dire vers le premier dimanche de carême où l’on met des ornements de deuil 182dans les églises, soit en 1429 vers le 13 février246. On peut d’ailleurs penser que Jeanne et ses compagnons ne se mirent pas en route un dimanche, et que le 14 février serait une date probable. On ne peut cependant subordonner ce départ à la nouvelle de la défaite française de Rouvray-Saint-Denis, qui eut lieu le samedi 12 février. La date du 15 février, qui a été avancée, traduit simplement un désir de repousser la première entrevue avec le dauphin jusqu’en mars247. Quant à la date du 23 février, indiquée par le greffier de l’hôtel de ville de La Rochelle pour l’entrevue avec le dauphin, elle a été tenue parfois pour être en réalité la date du départ, sous le prétexte d’une confusion qu’aurait faite ce greffier248.
L’itinéraire que suivirent Jeanne et son escorte n’est connu que par quelques rares jalons, si du moins on ne laisse pas la bride à l’imagination. Une première étape les conduisit à l’abbaye bénédictine de Saint-Urbain, au diocèse de Châlons, à une cinquantaine de kilomètres, sur la rive droite de la Marne (C1 50 et 206 ; C2 53) ; ils passèrent la nuit dans ce monastère, dont l’abbé, Arnoul d’Aulnouy, était parent de la mère de Robert de Baudricourt249. Jeanne se rendit ensuite à Auxerre, où elle entendit la messe à la cathédrale (C1 50 et 206). Mais de Saint-Urbain à Auxerre rien n’indique qu’elle ait passé par Ceffonds, où une généalogie fantaisiste et bien postérieure situa la naissance du père de Jacques d’Arc250, et par Clairvaux, que les procès-verbaux de procès auraient peut-être évoqué. De même sa présence à Coulanges-la-Vineuse, à dix kilomètres d’Auxerre, n’est signalée qu’au cours de sa marche vers Reims (C1 77). Elle va ensuite franchir la Loire à Gien, où elle se trouve hors de la zone anglo-bourguignonne, et où son arrivée fait grand bruit chez les partisans du dauphin, et spécialement à Orléans, comme le rapportent Dunois et Guillaume de Ricarville (N1 317 et 329). 183On la retrouve enfin à Sainte-Catherine de Fierbois ; en ce lieu de pèlerinage, et à cause de la sainte qui l’inspirait, Jeanne entendit trois messes le même jour ; et de là elle envoya une lettre au dauphin pour savoir si elle pouvait entrer dans la ville de son roi
car elle avait fait cent cinquante lieues pour lui apporter de l’aide (C1 51, 76, 206). On peut relever que l’itinéraire de Vaucouleurs à Fierbois, en suivant les repères que nous connaissons et en allant au plus court, représente cinq cent cinquante kilomètres environ ; or Jeanne déclarant avoir fait cent cinquante lieues, ou cent trente moins sûrement (N2 222), il y a correspondance approximative avec des lieues de trois kilomètres sept cents. À Sainte-Catherine de Fierbois, où se trouvait un hospice pour les pèlerins251, Jeanne resta probablement pendant deux jours à attendre une réponse favorable du dauphin à sa lettre, comme semblent l’indiquer Dunois et Simon Charles (N1 317 et 400). Simon Charles en effet, d’après des témoins, car il était alors absent de Chinon, rapporte l’incertitude du dauphin et de ses conseillers, lorsque la venue de Jeanne est annoncée : première délibération du conseil, envoi de messagers à Saint-Catherine de Fierbois pour connaître les intentions de la Pucelle, nouvelle délibération du dauphin avec ses conseillers, qui se partagent dans leur avis sur une audition éventuelle, examen par des ecclésiastiques et enfin autorisation d’entrer à Chinon et au château après la réception d’une lettre de Baudricourt, qui recommande Jeanne (N1 399-400).
Ayant enfin reçu l’autorisation de se présenter au dauphin, Jeanne quitta Fierbois et fit la quarantaine de kilomètres qui la séparaient de Chinon. Elle y arriva le 23 février. Cette date n’est pas admise par tous les historiens. Le 6 mars a été proposé en se fondant sur la Chronique du Mont-Saint-Michel252. Le 27 février est la date avancée par des historiens qui négligent les événements antérieurs, la date du départ 184de Vaucouleurs, et fondent le calcul de la date d’arrivée sur des événements postérieurs non datés : deuxième entrevue
de Jeanne et du dauphin253, ou interrogatoires de Poitiers254. Plutôt que de chercher à dater l’arrivée à Chinon en la calculant d’après des événements non datés, et sans méconnaître la virtuosité pour ce nécessaire, tenons compte de quelques données précises. Elles sont au nombre de deux. Une arrivée à Chinon le 23 février est établie d’abord en tenant compte de la date du départ de Jeanne, le 13 février, et de la durée du voyage, onze jours au témoignage de Poulengy, qui accompagna Jeanne (N1 306). Le jour du départ étant inclus, on obtient 13 + 10 = 23 février. D’autre part cette date est confirmée par le greffier de l’hôtel de ville de La Rochelle, écrivant que Jeanne vint devant le roy le XXIIIe jour du mois de février
. Relevons que le voyage de Jeanne et de son escorte, de Vaucouleurs à Fierbois, fut de cinq cent dix kilomètres environ en neuf jours, soit environ cinquante-six kilomètres par jour, et, après un arrêt de deux jours, un dernier trajet d’une quarantaine de kilomètres en un jour.
Jeanne arriva donc à Chinon le 23 février vers midi, alla dans une auberge et, après avoir pris un repas, fut conduite immédiatement auprès du dauphin (C1 51, 215). Introduite dans la grande salle du château, où se trouvait réunie une nombreuse assemblée, elle reconnut le roi grâce à ses voix (C1 51-52, 215) ; le dauphin s’était cependant tiré à part
(N1 400) ; mais il semble inutile d’ajouter foi à un chroniqueur officiel, Jean Chartier, qui a cru bon de renchérir sur cet épisode en ajoutant que le dauphin avait dissimulé, puis désavoué son identité255. Jeanne s’entretint à plusieurs reprises avec le dauphin, ce jour là et les jours suivants, ou encore au retour du séjour à Poitiers ; elle lui parla de sa mission et du secret
que seul il connaissait, dont il sera question plus loin. Le dauphin lui attribua ensuite un logement 185au château, dans la tour du Coudray, et commit un écuyer à son service, le jeune Louis de Coûtes ; ce dernier nous a laissé ces derniers renseignements, en ajoutant que des personnages importants vinrent à diverses reprises voir la Pucelle dans cette tour (N1 362).
À Chinon Jeanne fut l’objet d’un premier examen. Le duc d’Alençon le place après deux entretiens qu’elle eut avec le roi (N1 381-382), et il donne le nom des ecclésiastiques qui y participèrent en sa présence : le confesseur du dauphin, futur évêque de Castres, Gérard Machet ; l’évêque de Senlis, Jean Raffanel ; l’évêque de Maguelonne, Robert Alleman ; l’évêque de Poitiers, Hugues de Combarel ; l’abbé de Talmont, Pierre de Versailles, futur évêque de Meaux ; Jordan Morin et plusieurs autres. Frère Jean Pasquerel ajoute que Jeanne fut aussi examinée corporellement par des femmes : la dame de Gaucourt, épouse du capitaine de Chinon et la dame de Trêves, à deux reprises ; on la trouva de sexe féminin et vierge (N1 389). Mais on ne sait pas exactement la date de cet examen.
Le court séjour de Jeanne à Poitiers, peu après son arrivée à Chinon, fut un épisode important pour sa mission, mal connu, et surtout obscurci par des interprétations hypothétiques ou tendancieuses. Des auteurs se sont en effet attachés à montrer la nature politique
d’un procès
engagé alors sur la foi et les intentions de Jeanne : il aurait permis d’utiliser rapidement celle-ci pour les besoins du dauphin256. Précisons d’abord qu’il n’y eut pas à Poitiers de procès
, ou procédure engagée pour ou contre Jeanne ; il y eut simplement une enquête sur sa personne, sa foi et sa mission. Les documents, le registre des interrogatoires, ne nous sont malheureusement pas parvenus. Ils ne purent être produits, déjà, en 1455-1456, malgré l’envoi de commissaires enquêteurs (N1 168) ; ils ne furent pas inclus dans le procès en nullité, mais y furent mentionnés dans des dépositions de témoins (N2 607). On a supposé une destruction 186sur l’ordre de Charles VII257, ou à l’initiative de l’archevêque et chancelier Regnault de Chartres258 ; on a déclaré, avec des sous-entendus peu favorables, que leur non production en 1455 était troublante259. Au procès en nullité le dominicain Seguin, qui était présent à Poitiers, fit des citations très précises dans sa déposition, prouvant qu’il y eut quelque mise par écrit (N1 471-473).
Poitiers était alors devenu la capitale judiciaire du royaume non occupé ; s’y était établi en particulier un nouveau Parlement souverain au palais des comtes de Poitiers, dont beaucoup de membres venaient de Paris, qu’ils avaient quitté dès 1418260. Au début de mars 1429 le dauphin et son Conseil vinrent également dans la ville, pour y tenir quelques sessions, dans la maison d’une dénommée La Macée (N1 471). Jeanne les accompagna et fut logée dans la maison de maître Jean Rabateau, avocat du roi au Parlement (N1 328, 471, 368). On peut placer le séjour de Jeanne à Poitiers entre le 7 et le 28 mars261. Les membres du Conseil, parmi lesquels se trouvaient Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier, Robert le Maçon, seigneur de Trêves et ancien chancelier, Robert de Rouvres, évêque de Séez et vice-chancelier, demandèrent à un groupe de théologiens d’examiner Jeanne pour faire un rapport au roi (N1 471). D’après un historien, quelques-uns de ces conseillers, comme Regnault de Chartres et le confesseur du dauphin, Gérard Machet, auraient participé à l’interrogatoire, ou du moins auraient orienté le travail des théologiens ; aussi l’examen subi par Jeanne à Poitiers n’aurait pas été de nature doctrinale
, mais aurait eu, comme précédemment à Chinon, une orientation politique ; d’ailleurs ce n’auraient pas été des théologiens véritables qui furent consultés ; à Poitiers l’interrogatoire 187de Jeanne aurait été engagé, non pas par un tribunal religieux, mais par le Conseil du roi
. S’agirait-il par cet exposé de reprocher à un tribunal d’inquisition son inaction ? Et le roi devait-il se désintéresser de celle qui venait pour le secourir ? La réponse, avec conclusion, du même historien est la suivante : on ne peut accorder aux interrogatoires de Poitiers une régularité dans la procédure comparable à celle que les Anglais pratiquèrent à Rouen
. Cet exposé original est destiné à montrer que la mission de Jeanne n’a jamais été reconnue, par l’Église en particulier ; il y aurait eu détournement et manipulation par le dauphin ou son entourage à des fins personnelles ; enfin le règne de Charles VII aurait été non pas le rétablissement d’une nation
, mais sa création
262.
Que penser de cette thèse ? Deux remarques doivent être faites. D’abord l’examen fut bien conduit par des théologiens dont on connaît les noms : maîtres Jean Lombard, professeur de théologie sacrée à l’Université de Paris, Guillaume Le Marié, chanoine de Poitiers, bachelier en théologie, Guillaume Aimeri, professeur de théologie sacrée, dominicain, frère Pierre Turelure, maître Jacques Maledon, ainsi que frère Seguin, professeur de théologie sacrée, doyen de la Faculté de théologie à l’Université de Poitiers en 1456, qui a donné cette liste (N1 470-471). Il faut y ajouter : Pierre de Versailles, professeur de théologie sacrée, alors abbé de Talmont, puis évêque de Meaux, Pierre Seguin, carme docteur en Saintes Écritures, Mathieu Ménage (N1 328). Dans ces conditions peut-on prétendre que les théologiens eurent un rôle minime
lors des interrogatoires de Jeanne à Poitiers ? La deuxième remarque concerne en outre les interrogatoires eux-mêmes : les questions posées à Jeanne portèrent toutes sur des questions de foi. Celles mentionnées dans le procès de condamnation furent relatives aux voix (C1 71), aux saintes apparitions (C1 72, 73, 346), à une révélation au sujet de l’habit (C1 93). À deux reprises d’ailleurs Jeanne 188déclara ne plus se souvenir et renvoya au contenu du registre de Poitiers (C1 73 et 93). Le résultat des interrogatoires fut d’autre part résumé dans le procès en nullité : chez Jeanne nihil mali (N1 326), nihil fidei catholice contrarium (N1 382), nihil nisi bonum (N1 400) ; elle est bonne chrétienne et reconnue vierge (N1 475). Un témoin seulement rapporte qu’elle fut interrogée sur sa mission (N1 368), et un autre sur son étendard (N1 473). Dans ces conditions on ne peut pas davantage prétendre que le propos principal de l’interrogatoire n’est pas la question de la foi de Jeanne, c’est plutôt la question urgente de son utilisation pour secourir Orléans263
.
Le signe et le secret
La faveur du dauphin et la reconnaissance de la mission de Jeanne furent peut-être acquises grâce à deux faits énigmatiques : la manifestation du signe, la révélation du secret. Les historiens sont en désaccord sur le fond, la forme et la date de ces deux points, importants dans la vie publique de Jeanne, importants davantage encore dans l’esprit de générations d’écrivains, sérieux ou non.
Le signe que Jeanne a donné au dauphin comme preuve de sa mission est mal connu. Le mot est ambigu ; la réalité qu’il recouvre est difficilement saisissable dans les procès. La date généralement admise, celle de la première entrevue avec le dauphin, en février 1429, a pu être repoussée par certains jusqu’en mars-avril. Jeanne elle-même s’est exprimée sur ce point en deux sens différents. Une troisième interprétation paraît s’en dégager. Lors du procès de condamnation Jeanne refusa d’abord de répondre aux questions sur ce sujet, le 22 février 1431 (C1 52) ; et le 27 février elle déclara n’avoir rien vu (C1 76). Elle ne décrivit l’entrevue du signe
qu’à la séance du 10 mars : un ange serait apparu au-dessus de la tête du dauphin pour lui remettre une couronne (C1 115-118) ; 189le 13 mars, tout en protestant qu’elle avait juré de ne rien dire à ce sujet, elle entreprit de décrire avec maints détails une vision grandiose de la scène, qui aurait eu lieu devant une nombreuse assistance (C1 133-140)264. Il est évident que Jeanne ne voulait pas révéler ce signe : c’était un secret dont elle avait juré de ne rien dire ; aussi, pressée par les questions des juges, elle le dissimula derrière une allégorie. L’information posthume dirigée contre Jeanne par ses juges, attaqua d’ailleurs cette version allégorique des faits et prétendit que la condamnée s’était rétractée sur ce point avant de mourir (C1 417-418). Le procès en nullité commente à diverses reprises l’explication donnée par Jeanne. Le soixante-treizième des 101 articles des demandeurs au début du procès (N1 139-140), puis un article des productions des demandeurs (N2 25) avancèrent qu’il est permis de feindre en certaines circonstances : en cela donc elle n’a pas menti, mais a parlé avec prudence
. Les auteurs des traités judiciaires reprirent cette distinction, déclarant, en casuistes, qu’il est permis de parler en parabole ou métaphore
: ainsi Bourdeilles (N2 124), Basin (N1 203-204), Bouillé (N2 339, 341), Bréhal (N2 481-484).
Jeanne a cependant laissé entendre qu’une autre interprétation pouvait être donnée : le signum aurait été la levée du siège d’Orléans, son succès initial. Deux témoignages recueillis à Orléans, lors du procès en nullité permettent de soutenir cette explication ; ils émanent de personnages importants et bien placés pour donner un avis. Le sire de Gaucourt, conseiller du roi, alors gouverneur d’Orléans, se trouvait au château de Chinon à l’arrivée de Jeanne ; il rapporte fidèlement, semble-t-il, la scène : on demandait à la Pucelle de montrer un signe pour qu’on la crût, et elle répondit simplement que le signe donné par Dieu était de faire lever le siège d’Orléans
(N1 326). François Garivel, alors conseiller du dauphin sur le fait des aides, fit une déposition semblable (N1 328). Aussi comprend-on que Gerson ait pu dater son 190traité de 1429, la veille de la Pentecôte, après le signe donné à Orléans, quand le siège des Anglais fut repoussé
(N2 33-34). Dans sa Recollectio Bréhal reprit cette explication (N2 443). Le signum ainsi compris est à la fois un fait admirable et un signe pour l’édification du dauphin, de son entourage, de tous. Dans ce sens il peut avoir comme synonyme : monstrum, prodigium et le moins usuel miraculum ; et on sait que les contemporains ont souvent qualifié de miraculeuse la levée du siège d’Orléans265.
Il paraît cependant probable que le vrai signe, donné au seul dauphin, soigneusement caché par Jeanne, qui s’efforça d’égarer les enquêteurs sur sa nature, concernait ce qui est appelé le secret du dauphin. Dès le 27 février en effet, après avoir déclaré à ses juges n’avoir rien vu lors de cette entrevue, Jeanne ajouta que le roi eut un signe au sujet de ses actes avant de la croire
: habuit rex suus signum de jadis suis (C1 76). Les faits en question semblent être ceux du roi, si le latin est correct.
Le secret
a naturellement excité la curiosité et suscité des commentaires divers, dès le temps de Jeanne d’Arc jusqu’à nos jours. Les chroniqueurs et historiens du XVe siècle ont prétendu qu’il s’agissait de signa missionis, sans autre précision266, ou d’un vœu du dauphin pour obtenir un secours267. Une explication ancienne et souvent reprise rattacherait le secret à la naissance du dauphin, à un soupçon de bâtardise qui pesait sur lui en raison de l’inconduite de sa mère, Isabeau de Bavière : il s’agirait d’une requête secrète du dauphin à Dieu pour savoir s’il était légitime héritier268. Cette dernière interprétation a été retenue par Michelet et d’autres auteurs269 ; mais elle ne peut être étayée par le témoignage 191de frère Pasquerel, qui est examiné plus loin et n’a pas ce sens. Tisset trouve d’ailleurs peu vraisemblable qu’une allusion à la naissance du dauphin ait pu être divulguée en 1455 (C3 107). Ni le procès de condamnation, ni même le procès en nullité n’ont révélé clairement la nature du secret, qui concernait le dauphin personnellement. Le secret ne fait cependant pas partie de ces silences
qu’on se plaît à découvrir dans le procès en nullité270 : Jean d’Aulon en a relaté les circonstances (N1 475), le duc d’Alençon et frère Pasquerel ont donné quelques indications supplémentaires (N1 381, 390), qu’il convient d’examiner. Ces deux derniers furent en effet les seuls témoins survivants en 1456 d’une entrevue secrète entre le dauphin et Jeanne. Le duc apprit d’un de ses serviteurs, au cours d’une chasse à Saint-Florent-lès-Saumur271, l’arrivée de Jeanne et ses déclarations sur sa mission ; aussi le lendemain, 24 février, fit-il la trentaine de kilomètres qui le séparait de Chinon, et il trouva Jeanne en conversation avec le dauphin272 ; le surlendemain, 25 février, après la messe, le dauphin se retira avec Jeanne dans une chambre, accompagné du seul témoin et du sire de La Trémoille, après avoir ordonné aux autres personnes de se retirer (N1 381). Cet entretien était évidemment secret et avait trait au secret du dauphin273
, même si la Pucelle avait pu y faire quelque allusion la veille. D’après le duc d’Alençon Jeanne fit alors plusieurs requêtes au dauphin, lui demandant en particulier de donner son royaume au Roi des cieux, et déclarant que le Roi des cieux agirait avec lui comme envers ses prédécesseurs et le remettrait dans l’état antérieur. Le témoignage de frère Pasquerel, confesseur de Jeanne, également 192présent, va dans le même sens ; Jeanne, parlant au nom de Dieu aurait dit aussi au dauphin : Tu es le vrai héritier de France.
Qu’elle ait ajouté et fils de roi
paraît une addition postérieure, ne se trouvant pas dans le manuscrit de base L, et peu vraisemblable (N1 390). Frère Pasquerel confirma la présence à cet entretien du duc d’Alençon et déclara que le roi et le duc étaient seuls informés de certains secrets qu’ils pourraient révéler, s’ils le voulaient (N1 397). Ils ne l’ont pas fait, malheureusement pour les historiens.
Il existe enfin un témoignage d’une autre sorte, extérieur aux procès, mais concernant le secret même du dauphin : c’est celui de Guillaume Gouffier, seigneur de Boissy, relatif à une prière secrète du dauphin. Gouffier fut dans sa jeunesse le confident du dauphin ; en certaines circonstances, voyage ou grand froid, et suivant un usage du temps, il couchait dans le même lit que le futur Charles VII, et celui-ci lui raconta la prière intérieure qu’à un moment de grande détresse il avait faite, demandant entre autres choses à Dieu de le défendre s’il était vrai héritier du royaume. C’est le détail de cette prière, le secret du dauphin, que Jeanne aurait connu par inspiration et rappelé au dauphin. Ce témoignage nous est parvenu par Pierre Sala, dans ses Hardiesses des grands rois, auquel Gouffier confia, vers 1480, ce souvenir de jeunesse, alors que tous deux se trouvaient au service du dauphin enfant, le futur Charles VIII (Q4 280). Cette prière secrète n’était plus un secret à l’époque, ni l’entrevue de Jeanne et du dauphin à son sujet, comme on le sait par la Compilation du manuscrit d’Orléans, exécutée entre 1498 et 1515274.
Pour conclure, signe et secret paraissent liés l’un à l’autre ; il n’y a pas de raison de les dissocier275. Ils concerneraient la prière secrète faite par le dauphin.
193V. La guerre juste
L’accomplissement de la mission de Jeanne, levée du siège d’Orléans et marche sur Reims, avait évidemment peu de chances de réussir sans recourir à la force. Les ennemis du dauphin n’ayant aucunement l’intention de le reconnaître comme roi de France et de se retirer, la poursuite des hostilités contre les Anglais était inévitable. Aussi pouvait apparaître la question de savoir s’il s’agissait d’une juste guerre. Naturellement les chefs de guerre et les troupes engagées dans des combats commencés depuis longtemps ne se souciaient guère de ce problème moral et théologique. Il n’en était pas de même pour Jeanne et pour le dauphin, qui, tous deux, crurent et affirmèrent que c’était droite querelle
ou juste guerre de leur part. Pour Jeanne, ayant une mission précise de Dieu, le recours à la force, s’il devenait indispensable, lui était imposé. Mais plus tard, pour ses demandeurs au procès en nullité, et également pour Charles VII, il fut utile de soutenir et de développer la thèse de la guerre juste.
La question se posa, dès les premiers siècles du christianisme, de savoir si la guerre était compatible avec les prescriptions des évangiles ; théologiens et canonistes furent aussitôt nombreux à essayer d’y répondre. Le sujet n’a pas à être repris ici dans tous ses développements au Moyen Âge ; il suffit de retenir les idées et les textes essentiels qui purent être évoqués à propos de Jeanne. Les deux principaux théologiens qui ont dégagé les idées maîtresses devant guider la conduite des chrétiens en cette matière, au Moyen Âge, furent saint Augustin et saint Thomas d’Aquin276.
Saint Augustin, au début du Ve siècle, fut placé dans une situation qui ne lui permettait plus de maintenir intégralement un idéal pacifiste tiré du Nouveau Testament ; et 194nous aurons à rapprocher le siège de sa cité épiscopale, Hippone, par les Vandales, avec celui d’Orléans comme le firent des contemporains. Augustin dut élaborer une doctrine appropriée, qui fut reprise en grande partie par le canoniste Gratien dans son Décret. Il a condamné certes ce qui rendait une guerre injuste : ce qui est coupable dans la guerre, c’est le désir de nuire, la cruauté de la vengeance, l’obstination de l’esprit contre la paix, la fureur de la révolte, la passion de dominer et autres choses semblables
, dans son traité Contra Faustum, texte passé dans le Décret de Gratien277, et qui fut invoqué en 1456 par Bourdeilles, Berruyer et Bréhal, dans leurs mémoires judiciaires (N2 114, 231, 468). Mais il a reconnu d’une manière générale que faire la guerre n’est pas un péché
, dans son traité De verbis Domini, passé dans le Décret de Gratien278, et que la guerre peut devenir un instrument de paix : faire la guerre pour obtenir la paix
, dans Contra Faustum279, cette dernière maxime étant invoquée en 1456 par Ciboule dans son mémoire judiciaire (N2 373). Plus précisément certaines guerres sont excusables, quand elles ne sont pas conduites par la cupidité ou avec cruauté, mais faites avec un désir de paix, pour réprimer les méchants et secourir les bons
, au De verbis Domini ou au De civitate Dei ; texte remanié dans le Décret de Gratien280, qui, en 1456, fut cité par Berruyer dans son mémoire judiciaire (N2 231), et évoqué au soixante-troisième des 101 articles des demandeurs (N1 136), ainsi que par Bourdeilles dans son mémoire (N2 113). D’autre part sont justes, d’après Augustin, les guerres entreprises pour remédier à une injustice, quand un peuple néglige de restituer à un autre ce qui a été enlevé sans droit, dans Questiones in Heptateuchorum, repris par Gratien281 ; aussi en 1456 la lutte contre l’oppresseur sans juste titre
est 195justifiée par Bourdeilles (N2 112-114), ou Berruyer (N2 230-231), Bochard (N2 260). Enfin, et surtout, Augustin déclare qu’une guerre est juste si elle est entreprise pour la défense de la patrie et non par cupidité
dans son De civitate Dei282, texte relevé en 1456 par Ciboule (N2 357), l’idée étant soutenue par Gerson (N2 36).
Gratien a inséré en outre dans son Décret, rédigé vers 1140, quelques textes sur la guerre juste tirés d’autres auteurs, postérieurs à saint Augustin. L’influence du droit romain s’y fait sentir. Ainsi, à Isidore de Séville, qui écrivit ses Etymologiæ au début du VIIe siècle, il a emprunté un texte classant dans le jus gentium la restitution par la force de l’argent déposé ou prêté, ainsi que la violentiæ per vim repulsio, le fait de repousser la violence par la force283 ; et le Décret doit également au même Isidore, en corollaire, une définition de la guerre juste : geritur de rebus repetundis aut propulsandorum hostium causa284, qui fut invoquée au soixante-troisième des 101 articles des demandeurs en nullité (N1 136) et reprise en particulier dans le mémoire de Montigny (N2 283). D’autre part une des Réponses aux Bulgares du pape Nicolas Ier, au IXe siècle, fut insérée au Décret, elle permettait l’engagement des hostilités même pendant la trêve du carême, pour la defensio patriae285 ; or cette autorisation ne fut pas encore rattachée à l’idée de légitime défense, mais à une autre notion romaine, l’état de nécessité. Le soixante-troisième des 101 articles cité, Bourdeilles et Montigny (N2 113, 283) dans leurs mémoires, invoquent bellum necessitatis, opposé à bellum voluntatis, une distinction que les coutumes en France avaient déjà accueillie pour le commun pourfit du roiaume286
. Un demi-siècle après Gratien, une décrétale du pape Innocent III autorisa l’emploi de la violence dans le cas de désaisine, c’est-à-dire 196de dépossession par la force ; la formule defendendo jus vestrum, sans dépasser la mesure, marque l’affirmation de la légitime défense287. D’ailleurs à partir d’une phrase de Gratien sur les injuriarum suarum ultores, les décrétalistes Alain l’Anglais et Jean le Teutonique, développèrent cette théorie de la riposte modérée contre toute attaque ou violence288. La réplique modérée dans la conduite de la guerre par Jeanne est mise en évidence lors du procès en nullité, et spécialement lors de la réfutation de l’imputation crudelis.
Avec saint Thomas d’Aquin et les recueils de décrétales des papes, avec les canonistes des XIIIe et XIVe siècles ou décrétalistes, l’idée de juste cause évolua en s’adaptant aux nouvelles conditions de la société. La notion de juste cause et le recours aux lois divines furent concurrencés par des considérations sur les autorités ayant le droit de faire la guerre et sur les juridictions compétentes en la matière. L’influence du droit romain se fit sentir, spécialement avec le développement de la légitime défense, encore admise avec réticence dans le droit pénal interne, comme en témoignent les lettres de rémission. Thomas d’Aquin en effet, au milieu du XIIIe siècle, eut sur la guerre des idées plus nuancées et plus complexes. Certes il reprit et précisa les trois conditions exigées pour qu’une guerre fût juste : auctoritas principis, causa justa, intentio recta289 ; et ces conditions s’appliquèrent à la guerre conduite par Jeanne, comme le montra Bourdeilles en 1456 dans son mémoire (N2 113). Il déclara aussi que les guerres doivent et peuvent avoir comme finalité la paix temporelle290. Mais dans son De regimine principum il ajouta que le devoir des princes est de défendre leur peuple pour le bien commun291 ; et commentant Aristote, qui l’avait inspiré sur ce point, il reprit la notion d’un bien commun, d’origine divine, afin d’encourager les guerres entreprises 197pour la défense de la patria292. Ces règles d’Aristote et de saint Thomas furent rappelées en 1456 avec l’expression de bonum commune ou de bonum gentis, par Bourdeilles et Ciboule (N2 138, 357). Les compilations entrées au Corpus juris canonici après le Décret de Gratien, soit les Décrétales de Grégoire IX, soit le Sexte, ne contiennent pas de nouvelles indications sur le sujet, si ce n’est pour la paix de Dieu et les trêves. Cependant Raymond de Peñafort, le compilateur des Décrétales de Grégoire IX, a énuméré dans sa Summa de casibus cinq points qu’il estima nécessaire pour la guerre juste : persona, une personne laïque ; res, l’objet, qui est la reprise de biens enlevés ou la défense de la patrie ; causa, la nécessité de la guerre pour le rétablissement de la paix ; animus, un esprit sans haine ; auctoritas, l’intervention d’une autorité supérieure, Église ou prince293. Ces cinq conditions furent invoquées par Pontanus, dans le mémoire extrajudiciaire qu’il composa vers 1452 (LA 40-41). D’autre part un des principaux décrétalistes, Hostiensis, dans sa Lectura super Decretales commentant le Sexte, énuméra sept genres de guerre : bellum romanum, de fidèles contre les infidèles ; bellum judiciale, selon la justice après sentence d’un juge légitime ; bellum presumptuosum, contre la justice ; bellum licitum, pour repousser la violence ; bellum temerarium, contre la guerre licite ; bellum voluntarium, engagée sans raison ; bellum necessarium, pour une légitime défense294. Or dans la sentence de condamnation du 24 mai 1431 se retrouvèrent ces chefs d’accusation contre Jeanne : présomptueuse, téméraire, et même volontaire, si on comprend ainsi l’imputation de cruelle, toutes accusations qui furent causes de nullité en 1456, comme il a été indiqué.
Les différents aspects de la guerre juste furent connus du monde laïc au XVe siècle. Ils furent simplifiés dans un ouvrage qui eut un grand succès, L’arbre des batailles d’Honoré Bouvet, 198que l’auteur offrit au roi Charles VI et à ses oncles, les ducs de Berry et de Bourgogne : l’objectif poursuivi doit être légitime, les parties engagées dans le conflit doivent être compétentes, la conduite de la guerre doit être bonne295.
Le procès en nullité a mis en évidence que Jeanne d’Arc n’était pas coupable d’une guerre injuste, comme l’avait définie saint Augustin : elle n’eut en particulier ni désir de nuire, ni cruauté, ni obstination contre la paix. Elle a déclaré à ses juges qu’elle désirait en premier lieu la paix, mais, si la chose n’était pas possible, qu’elle était prête à combattre (C1 223). Et en effet elle essaya d’abord d’obtenir le départ pacifique des Anglais : elle les exhorta, rigueur de sa charité plutôt que naïveté, à quitter le royaume. Dès le 22 mars 1429, à Poitiers, Jeanne adressa une lettre au roi d’Angleterre et au régent, le duc de Bedford, à cet effet (C1 222-223). Arrivée dans Orléans, elle envoya aux assiégeants deux hérauts, pour leur demander de partir et d’éviter une effusion de sang ; mais les Anglais retinrent l’un d’eux menaçant de le brûler. Néanmoins Jeanne renvoya l’autre, une deuxième fois, sans succès (N1 333) ; alors elle fit expédier par un archer une lettre-sommation attachée à une flèche, une troisième lettre
, la seconde ayant probablement été confiée aux hérauts (N1 393, cf. 331, 368) ; c’était le 5 mai 1429, trois jours avant la libération d’Orléans. Enfin le 17 juillet 1429, le jour du sacre, Jeanne envoya de Reims une lettre au duc de Bourgogne pour lui demander de faire bonne paix avec le roi296. Quant à la conduite de la guerre, Jeanne ne s’y montra ni cruelle, ni séditieuse, comme il a déjà été dit ; et ces motifs de condamnation furent des causes de nullité.
Avant même les mémoires judiciaires du procès en nullité, des traités avaient été composés pour montrer le caractère de la guerre menée par Jeanne. Dès la délivrance d’Orléans, en mai 1429, le dominicain Jean Dupuy fait confiance à la Pucelle dans son Collectorium historiarum en raison de la très juste cause finale
qu’elle poursuit, à savoir la réintégration 199du roi dans son royaume et l’expulsion très justifiée d’ennemis acharnés297
. Jacques Gélu, archevêque d’Embrun, mort en 1432, a envoyé à Charles VII une lettre au sujet de Jeanne, probablement en 1429 ; il y expose que la guerre est juste en ce qui concerne le roi, et méritoire
pour qui vient le secourir298. Jean Juvénal des Ursins, avant d’être nommé juge au procès en nullité, et d’ailleurs n’ayant jamais cité la Pucelle dans ses Écrits politiques, expose à Charles VII les origines de la juste cause et querelle en vostre guerre
, vers 1452299. Paul Pontanus, avocat au consistoire apostolique à Rome, qui avait accompagné le cardinal d’Estouteville lors de son enquête en 1452, a donné son opinion
dans un premier mémoire : il y énumère les cinq conditions qui doivent concourir
pour la guerre juste300. Elle doit être entreprise pour reprendre des biens enlevés ou pour la défense de la patrie, ce qui est patent dans le cas envisagé ; il faut qu’elle soit nécessaire afin de parvenir à la paix, et non entreprise volontairement, ce qui ressort des exhortations de Jeanne aux ennemis ; elle ne doit pas être inspirée par esprit de vengeance, comme le montrent ces mêmes exhortations ; elle doit être faite sur l’ordre du prince, ce qui était évident. Enfin dans cette guerre ceux qui veulent mener une vie parfaite, comme les clercs, ne doivent pas répandre le sang301 ; or Jeanne n’a jamais tué personne et tenait seulement son étendard pendant le combat. Pontanus, dans un deuxième mémoire, une consultation
, proclame la juste cause de la guerre
et reprend le fait que Jeanne n’a jamais répandu le sang.
Le procès en nullité a su retenir les principaux textes relatifs à la guerre juste qu’avait entreprise Jeanne. Dès le début la demande écrite avance que Jeanne doit être excusée 200si elle s’est mêlée de guerroyer, car c’était une guerre méritoire et très juste
(N1 87) ; et le soixante-troisième des 101 articles des demandeurs précisa ce point de vue en alléguant de nombreux textes du Décret de Gratien (N1 136). Mais ce furent surtout les auteurs des mémoires judiciaires insérés au procès qui ont abondamment utilisé les théologiens et canonistes que nous avons cités. Le court traité de Gerson se contenta de montrer la piété de la Pucelle agissant pour une cause finale très juste, à savoir la réintégration du roi dans son royaume et l’expulsion très justifiée ou mise en fuite d’ennemis très acharnés
, ainsi que pour le retour de la paix
(N2 36, 38). Élie de Bourdeilles fit remarquer que si Jeanne a combattu des fidèles
(chrétiens), ceux-ci étaient des oppresseurs sans juste titre
(N2 112) ; d’ailleurs les anges ne coopèrent aux guerres que si elles sont conduites avec charité et zèle de justice. À ce propos Bourdeilles rappelle les trois conditions de la guerre juste selon saint Thomas en renvoyant au Décret de Gratien et aux décrétistes (N2 113-114). Martin Berruyer déclare que rendre son royaume au roi Charles, son naturel et légitime seigneur, était une juste cause et que Jeanne avait un juste titre pour guerroyer
(N2 230) ; de plus elle avait auparavant demandé aux Anglais de se retirer pour permettre au roi Charles de reprendre pacifiquement son royaume, ce qui excluait désir de nuire, vengeance cruelle, esprit sans pitié (N2 231). Le court traité de Jean Bochard ne fait qu’une allusion rapide à ceux qui ont usurpé très injustement
le royaume, et que Jeanne devait expulser selon la justice et la raison (N3 260). Jean de Montigny commente à nouveau le Décret de Gratien et la juste guerre du prince dont Jeanne était la sujette ; cette guerre pour reprendre des biens perdus et repousser des adversaires était défensive et non offensive, et chacun, suivant sa condition, était tenu d’y participer pour l’utilité publique
(N2 283-284). Robert Ciboule, se référant directement à saint Augustin, déclare qu’est juste la guerre entreprise pour la défense de la patrie et non par appétit de domination ; elle fut menée sans cruauté, bien que non sans 201effusion de sang
; d’ailleurs Jeanne dans cette guerre n’a tué personne (N2 357) ; en outre elle ne cherchait qu’à rétablir la paix, but de toute guerre juste (N1 2 373). Dans sa Récapitulation enfin, Bréhal ne reprend rapidement que quelques-uns des thèmes précédemment exposés ; en faveur de Jeanne il mentionne son désir de rétablir le roi dans son royaume, ses exhortations aux ennemis, pour essayer de rétablir la paix, son port de l’étendard, afin de ne tuer personne (N2 467).
La juste cause de la guerre contre les Anglais, soutenue au procès en nullité, a cependant suscité des réserves, ou même a été rejetée par des historiens. Condition nécessaire pour une légitime défense, elle dépendait de la légitimité royale de Charles VII, de la prédominance de ses droits à la couronne de France sur ceux d’Henri V ; d’autre part l’objet de la guerre juste devait être une patria, d’après les règles du droit canonique empruntées au droit romain. Le premier point, la légitimité royale, qu’il s’agisse de la filiation302 ou des droits venant de la loi salique303, appartient à l’histoire générale et a été maintes fois traité. Le second point concernant la patria, et plus directement la mission de Jeanne, est précisé en 1456 par les auteurs de mémoires judiciaires dans une formule qui en rassemble les éléments : la guerre doit être entreprise pro bono patrie, regis et bonorum gentium (N2 79, 138, 357). Patria fut certes, parfois encore au XVe siècle, employé dans une acception restreinte, comme patria guerre (N1 306), ou patria Lotharingie (N2 306, 329), désignant d’ailleurs une terre d’Empire. Mais dès le XIIIe siècle la distinction entre les deux sens du mot s’établit. Au début de ce siècle Accurse, dans sa Glossa ordinaria définit la patrie, dans son sens large, que l’on doit défendre, et dont on peut dire qu’il faut pro patria mori304 ; dans la 202deuxième moitié du XIIIe siècle Jacques de Revigny, commentant également les Institutes, déclare que la communis patria, la patrie au sens large, doit l’emporter sur la propria patria, la patrie locale305 ; et dès Philippe le Bel le mot patria désigne tout le royaume306. Au procès en condamnation, si Jeanne n’a pas employé le mot patrie, abstrait, si elle a parlé le plus souvent du roi ou du royaume de France, elle a employé dans une lettre à cinq reprises le simple vocable France
en le personnalisant, en lui donnant une résonance affective, au point d’en faire l’équivalent de patrie (C1 221-222). Le langage constitue aussi un élément de la patrie, comme le prouve cette réponse de Jeanne à propos de la voix de sainte Marguerite, sur laquelle les juges l’interrogeaient : Comment aurait-elle parlé anglais, puisqu’elle n’est pas du parti des Anglais ?
(C1 84, 244). Le procès en nullité évoqua le peuple de France
(N1 472 ; N2 374), et la gens Francie y fut opposée à la gens Anglie (N2 325). D’ailleurs les décrétalistes considéraient comme des patries pouvant être défendues par une guerre juste les royaumes de France et d’Angleterre307. Cette patrie que défendit Jeanne, cette population de bonnes gens
, cette gens Francie, semblent correspondre à ce qu’on appelle une nation. Sans entrer dans les controverses sur l’entité nation, on peut relever que son apparition fut en tout cas pour la France antérieure à l’époque de Jeanne d’Arc. Au cours du Moyen Âge s’y affirma le sentiment d’appartenir à un peuple élu pour sa foi sûre et sa valeur militaire, un bouclier de la foi308
. Déjà en 1213, lors des hostilités entre Philippe Auguste et Jean sans Terre, une décrétale du pape Innocent III mentionnait la Francia Deo sacra et le royaume béni par Dieu309 ; et ce corps mystique de la France
, suivant l’expression de Gerson310, pouvait 203s’enorgueillir d’avoir eu à sa tête Clovis, Charlemagne ou saint Louis, comme le rappelèrent Bourdeilles (N2 97-99, 104-105, 109), ou Bréhal (N1 2 472). Ainsi la mission de Jeanne a-t-elle inauguré, grâce à une guerre juste la reconquête de la France311
.
VI. L’accomplissement de la mission
Jeanne, sûre de sa mission grâce aux révélations, et s’étant enfin fait reconnaître comme une envoyée providentielle, non sans peine et sans réticences, s’engagea aussitôt dans la poursuite de la tâche qui lui incombait. Son activité s’est développée, comme prévu, dans deux directions principales : la levée du siège d’Orléans avec une guerre juste, et le sacre du dauphin.
Les contemporains ont souvent considéré la délivrance d’Orléans comme l’événement capital, l’essentiel de la mission de Jeanne312. Le sacre même, si important, si lourd de conséquences, était à vrai dire un événement subordonné au précédent, dans lequel Jeanne n’a pas joué le principal rôle. Georges Chastellain, dans sa Récollection des merveilles advenues de nostre temps le sent bien (Q4 90). Certes cette levée du siège fut un événement militaire et politique important : elle empêchait les Anglais de poursuivre leur avance et de relier leurs possessions du nord à celle du sud ; elle provoqua un choc psychologique, comme en témoignent, du côté des Anglais, une lettre du duc de Bedford au roi Henri VI en 1429 (Q5 136) et, du côté des Français, la joie des partisans du dauphin. Mais, dans la mission de Jeanne, Orléans doit être considéré — et les contemporains l’ont senti avec force — dans une vision beaucoup plus large : dans une perspective d’histoire sainte ; Orléans est une image, la levée du siège 204un symbole313. Comment l’événement a-t-il pu prendre une importance capitale ? Comment le fait militaire put-il être transposé dans l’ordre du surnaturel ? Les éléments d’une réponse se trouvent dans les déclarations de Jeanne et dans les témoignages de l’époque ; ils se trouvent aussi dans les Écritures et dans les textes canoniques qui restent toujours présents aux esprits du temps et imprègnent les mentalités. Ainsi apparaissent et s’ordonnent, autour de la délivrance d’Orléans et de la mission de Jeanne, d’abord le thème de la ville assiégée, puis la notion de juste cause et de guerre juste, enfin le fait miraculeux et l’accomplissement d’une révélation.
Le siège d’une ville par une armée ennemie est un thème légué par l’histoire aux réflexions de tous, chroniqueurs ou historiens, théologiens, moraliste ou philosophes. La civilisation chrétienne le connaît d’abord et surtout par l’Ancien Testament. Pour les gens du XVe siècle Orléans c’est Béthulie, Jeanne d’Arc c’est la nouvelle Judith314. Le rapprochement s’est imposé, même si la mort de Talbot diffère de celle d’Holoferne. Le procès en nullité ne manque pas de le rappeler dans tous les mémoires judiciaires et dans la Récapitulation de Jean Bréhal. Martin Le Franc fit également ce rapprochement, et deux manuscrits de son Champion des dames l’illustrèrent par des miniatures vers 1449 : à gauche on voit dame Judith
sortant de la tente d’Holoferne, tenant la tête de la main droite, l’épée de la main gauche, à droite on voit Jehanne la Pucelle
tenant une lance dans la main droite, un écu avec ses armoiries dans la main gauche315. Orléans ce peut être aussi Abila, assiégée par Seba, dont une femme coupa la tête316. Dans d’autres cas certes la ville assiégée est délivrée directement par l’intervention divine, sans 205qu’il y ait action particulière d’une femme : il en est ainsi de Samarie ou d’Ariel317. Plus généralement la ville assiégée par excellence, c’est Jérusalem, dans les prophéties de Jérémie, qui annonce l’invasion étrangère et la perspective du siège. Toutes ces villes, protégées par Dieu, s’opposent à la grande prostituée
, à Babylone, qui, elle, doit être prise et détruite. Le thème a été repris par les Pères de l’Église : saint Augustin, spécialement, a vécu le siège de sa ville épiscopale, Hippone, par les Vandales en 430, et il ne l’a pas oublié quand il a écrit sa Cité de Dieu qu’il oppose à la Cité terrestre. L’iconographie du saint est très claire à ce sujet : les miniatures de l’Historia Augustini, du milieu du XVe siècle, ou les vitraux d’Épernay du milieu du XVIe siècle, montrent Augustin sur les remparts, observant le siège d’Hippone par les ennemis318. Un événement du temps même de Jeanne d’Arc a donné lieu à un rapprochement analogue : il s’agit du siège du Mont-Tombe, devenu le Mont-Saint-Michel, où les Anglais échouèrent grâce à la protection de l’archange ; et Jean Bréhal, au procès en nullité, rapproche les deux sièges, en précisant que saint Michel était aussi l’un des inspirateurs de Jeanne (N2 423). Enfin dans une autre vision on trouve le thème de la ville assiégée par le démon ou les esprits mauvais. La ville est alors prise essentiellement dans son aspect de cité épiscopale, centre d’évangélisation ; les assaillants païens, barbares, destructeurs de la civilisation et de la chrétienté étant suscités par le démon. Beaucoup d’écrits ont repris cette idée, même bien après les premiers siècles du christianisme ; encore au XVe siècle l’Imitation de Jésus-Christ se plaît à décrire les tentations qui assiègent
, ou l’ennemi du dehors
319.
D’autres femmes providentielles ont secouru leur peuple dans l’Ancien Testament ; elles sont évoquées avec Judith comme des modèles de Jeanne d’Arc par les contemporains, 206bien qu’elles ne soient pas intervenues dans le cas précis d’une ville assiégée. Il en est ainsi d’Esther, qui sut fléchir Assuérus320, et de la prophétesse Yaël ou Débora, qui tua dans son sommeil Sissera, chef de l’armée cananéenne321. Aussi Christine de Pisan a-t-elle pu écrire : Plus a fait ceste Pucelle / Que Hester, Judith et Delbora / Qui furent dames de grant pris322.
Les faits de guerre qui ont abouti à la levée du siège d’Orléans sont bien connus. L’arrivée à Orléans, le 29 avril 1429, par la rive gauche de la Loire et la Sologne, long détour loin des Anglais voulu par Dunois, puis la prise des bastilles tenues par les assiégeants, Saint-Loup, Saint-Jean le Blanc, les Augustins, les Tourelles, du 4 au 7 mai, le départ enfin des Anglais le 8 mai, ont fait l’objet d’études approfondies323. Il est inutile de revenir sur l’ensemble de ces événements militaires. En revanche méritent d’être mentionnés certains épisodes où Jeanne a fait preuve, dans la conduite des opérations de guerre, de courage, d’initiative personnelle ou d’une surprenante compétence. Les contemporains y ont vu généralement le signe de l’inspiration qui la guidait.
Son courage, sa hardiesse furent admirés par des seigneurs et des hommes habitués aux combats, comme le duc d’Alençon (N1 384) ou l’écuyer Louis de Coûtes (N1 365). Blessée par une flèche devant la bastille du Pont ou des Tourelles, elle n’en continua pas moins de combattre jusqu’à la prise de cette bastille (N1 320). Plus tard, à l’assaut de Jargeau, sur une échelle pour escalader la muraille, elle reçut une pierre à la tête, fut jetée à terre, mais se releva aussitôt et repartit à l’attaque et participa à la prise de la ville (N1 385). Sa vigilance n’était jamais en défaut (N1 479). Elle sut en diverses occasions relever l’ardeur des chefs de l’armée (N1 394), ou entraîner les hommes d’armes derrière son étendard (N1 401). Elle réussit parfois à réunir les seigneurs et 207capitaines de l’armée pour se concerter avec eux sur la conduite des hostilités (N1 482). Mais cela ne l’empêcha pas de prendre à diverses reprises des décisions indépendantes, qui lui étaient dictées par ses voix. Elle avait déjà été mécontente de ne pas avoir été conduite à Orléans par la rive droite de la Loire, pour combattre directement Talbot et les assiégeants ; et Dunois rapporte qu’elle lui reprocha vivement, quand elle le rencontra, d’avoir donné ce conseil
, en lui opposant les conseils de Dieu plus sûrs et plus sages
que les siens (N1 318). En revanche, pour partir à l’assaut de la bastille des Augustins, elle passa outre aux décisions des seigneurs et aux directives du sire de Gaucourt (N1 401). De même avant de partir attaquer la dernière bastille, celle des Tourelles, elle déclara aux capitaines qui s’estimaient satisfaits des résultats obtenus et voulaient se replier : Vous êtes allés à votre conseil, et moi au mien… le conseil du Seigneur
(N1 394-395). Le duc d’Alençon avait déjà admiré son habileté dans le maniement des armes lorsqu’elle arriva à Chinon (N1 381). Plus tard ce qui le surprit encore davantage, ainsi que plusieurs autres témoins, ce fut sa science dans l’utilisation de l’artillerie
324 : pour la guerre elle était très habile tant pour porter la lance que pour rassembler l’armée, ordonner le combat et préparer l’artillerie. Tous étaient pleins d’admiration de ce qu’elle pût se comporter si habilement et prudemment dans les actions militaires, comme si elle avait été un capitaine guerroyant depuis vingt ou trente ans, et surtout à propos de la préparation de l’artillerie, en quoi elle excellait
(N1 387-388). Ses connaissances dans l’art des sièges se manifestèrent encore lorsqu’elle fit combler les fossés des villes en ordonnant d’y jeter des fagots, avant de passer à l’assaut, comme devant Troyes ou Saint-Pierre-le-Moûtier (N1 401, 485).
Le sacre est la seconde tâche assignée à Jeanne par ses voix. Il eut une importance capitale dans sa pensée et dans 208ses propos. Elle l’a maintes fois mentionné à son entourage, comme nous l’avons indiqué. On remarque son obstination à n’appeler Charles VII avant Reims que gentil
ou noble dauphin
(N1 322, 324, 326, 328, 330,… 389). Après la libération d’Orléans elle s’oppose aux princes du sang et aux capitaines qui veulent d’abord reprendre la Normandie, comme le rapporte Dunois (N1 323) ; elle les presse d’aller à Reims. Car elle a une conception mystique du sacre et de l’onction.
Dans la succession au trône de France, depuis le XIVe siècle, l’hérédité avait pris une place prépondérante. En 1420, par l’article premier du traité de Troyes, Charles VI avait adopté Henri V d’Angleterre, qu’il appelait ensuite fils
, en exhérédant le dauphin ; mais en 1429 Henri VI, le jeune fils et successeur d’Henri V couronné à Westminster, n’était encore ni sacré, ni couronné en France ; et il ne le fut que bien après Charles VII en décembre 1431, à Notre-Dame de Paris325. On comprend ainsi l’intérêt qu’il y avait à devancer le rival anglais pour cette cérémonie et à profiter de l’accès possible à Reims. On pourrait ajouter — mais cela fut-il dans l’esprit de Jeanne ? — que l’importance du sacre entraînait une moindre importance de la question de filiation légitime, de l’inconduite éventuelle d’Isabeau de Bavière. Ces aspects pratiques furent cependant secondaires dans la conception mystique du sacre qu’avait Jeanne. L’onction reçue à Reims devait rattacher le dauphin aux royautés de la Bible, en faire, comme on l’a montré encore à propos de Charles V, l’intercesseur entre son peuple et Dieu, entre le ciel et la terre326
. Per me reges regnant, ou Quoniam rex omnis terræ Deus, trouve-t-on dans l’Ancien Testament327 ; et en écho de ces affirmations Jeanne dès le début de sa mission, le 22 mars 1429, écrivait aux Anglais : Vous ne tendrez point le royaume de France de Dieu, le roy du ciel ; ains le tendra le roy Charles, vray héritier, car Dieu, le roy du ciel le veult
(C1 222). 209Elle a su en effet renouveler la royauté biblique et la traduire en langage du temps, la replacer parmi les institutions existantes. Dès le lendemain de son arrivée à Chinon elle requiert le dauphin de donner son royaume au Roi des cieux : quod donaret regnum suum Regi celorum, et ensuite le Seigneur, agissant comme pour ses prédécesseurs, remettra le royaume en son ancien état (N1 381) ; cette procédure, donner le royaume à Dieu pour le reprendre et le tenir ensuite de lui, est analogue à une reprise d’alleu en fief. En des termes juridiques différents Jeanne, avant même son départ de Lorraine, avait déclaré à Baudricourt : le royaume appartient, non pas au dauphin, mais au Seigneur, et le Seigneur veut bien que le dauphin devienne roi en ayant le royaume en commende
(N1 305). Il ne s’agit pas dans cette expression d’une commendatio de caractère féodal ; c’est la commende de droit privé, le dépôt328 ; ainsi le roi n’est que le dépositaire du royaume appartenant à Dieu. Enfin, après avoir été examinée à Poitiers, et de retour à Chinon, dès qu’elle revit le dauphin, en mars 1429, Jeanne lui dit : Gentil dauphin, le Roi des cieux vous fait savoir par moi d’aller à Reims pour être sacré et couronné, et pour être le lieutenant du Roi des cieux qui est le roi de France
(N1 389-390). Le roi agit ainsi par délégation : il est le représentant de Dieu, son lieutenant. Un chroniqueur contemporain a fait de cet épisode, enrichi par son imagination, un récit exemplaire ; il s’agit du dominicain Jean Dupuy qui, dans son Breviarium historiale, a retracé l’histoire du monde jusqu’en 1428. Il nous raconte une scène qui se passe entre la Pucelle et Charles VII : le roi donne son royaume à Jeanne, celle-ci le remet à Dieu, puis, sur l’ordre de Dieu, en investit Charles VII, le tout fait devant notaires329. Un écho lointain de la même idée, se 210rattachant au sacre, se trouve chez un chroniqueur au service de l’empereur Sigismond, auteur d’une chronique, l’allemand Windecke330. Un autre contemporain cependant, bien qu’il fût parfaitement informé et admît une intervention divine en faveur du dauphin, a gardé le silence sur cet aspect du sacre, sur le don du royaume à Dieu ; il s’agit de Jean Juvénal des Ursins, l’un des juges au procès en nullité, dont les idées sur le sujet paraissent différentes. Ce prélat, qui n’a pas même mentionné le nom de Jeanne dans ses écrits politiques sur l’histoire du temps, a insisté sur le rôle de l’hérédité331, et même sur l’impossibilité d’exhéréder le successeur naturel332.
Ainsi Jeanne avait à différentes reprises précisé le deuxième point de sa mission : le sacre, elle en avait montré le sens profond faisant du dauphin un souverain légitime délégué par Dieu au royaume de France. Mais l’accomplissement de cette tâche se heurtait encore à des difficultés : la marche sur Reims, et surtout l’indécision de Charles VII et les réticences de certains de ses conseillers. Dès le lendemain du départ des assiégeants, le 9 mai 1429, Jeanne quitta Orléans pour rencontrer le dauphin, peut-être avec l’espoir qu’il ferait une joyeuse entrée dans la ville ; elle attendit trois jours à Blois, du 9 au 12 mai (N1 573) ; ni à ce moment, ni à un autre, Charles n’alla voir les Orléanais. Jeanne repartit donc pour Tours, où elle arriva le 13 mai ; elle y rencontra le dauphin, et réussit à le persuader d’aller à Reims pour le sacre (N1 366, 373). Mais elle avait à vaincre apathie ou résistances ; en tout cas on perd sa trace pendant près de trois 211semaines. Le 4 juin Jeanne vint avec Dunois et d’autres capitaines au château de Loches, afin de demander au dauphin un rassemblement des troupes : il s’agissait avant le sacre, de dégager la vallée de la Loire de toute emprise anglaise (N1 321-322, 373)333. Le 5 juin Jeanne était à Selles-sur-Cher, où elle reçut un messager lui apportant des nouvelles des Anglais334, et le lendemain, 6 juin, le dauphin la rejoignit dans cette localité. Repartie de Selles le jour même, à vêpres, Jeanne arriva le soir du 6 juin à Romorantin, pour s’occuper du rassemblement des troupes335. Le 9 juin elle faisait enfin une nouvelle entrée à Orléans336 ; un mois s’était ainsi écoulé depuis la levée du siège.
La campagne de la Loire allait de nouveau témoigner du rôle de la Pucelle dans la conduite des hostilités. Le 10 juin les troupes du dauphin, sous le commandement du duc d’Alençon, avec le comte de Dunois et des capitaines comme La Hire, se mirent en route. Elles allèrent d’abord vers l’est, remontant la rive gauche de la Loire en amont d’Orléans pour reprendre Jargeau, seule tête de pont restant aux Anglais sur cette rive à une vingtaine de kilomètres. Dunois avait échoué dans une tentative pour s’emparer de cette ville aussitôt après la délivrance d’Orléans, probablement pendant que Jeanne était auprès du dauphin337. Mais le 11 juin les troupes du dauphin, rassemblées par Jeanne, avec un renfort amené par Gilles de Rais, se présentèrent devant la ville338. Le capitaine qui la défendait avait demandé un délai de quinze jours, avant de se rendre, qui lui fut refusé (C1 79, 216) ; et les bombardes transportées d’Orléans endommagèrent les fortifications339. Le lendemain, 12 juin, Jeanne se distingua dans l’assaut qui fut donné : montant escalader l’enceinte, son étendard à la main, elle fut atteinte par une 212pierre à la tête et jetée à bas de son échelle ; mais elle se releva aussitôt pour encourager les assaillants qui prirent la ville le jour même (N1 366, 383-385)340. Jeanne et l’armée revinrent alors vers l’ouest, passant le 13 juin devant Orléans, pour dégager en aval la vallée de la Loire : sur la rive droite Meung et Beaugency, tenus par les Anglais, bloquaient les communications entre Orléans et Blois. Meung fut pris le 16 juin, avec l’aide de l’artillerie venant de la ville d’Orléans, et Beaugency le 17 juin341. Cependant une armée anglaise approchait, commandée par Fastolf, se dirigeant vers la Loire. Devant ce danger les partisans du dauphin se décidèrent à accepter le secours qu’apportait le connétable de Richemont, beau-frère du duc de Bourgogne, personnage peu sûr. Jeanne l’accueillit avec sa franchise habituelle (N1 386). L’armée française rencontra les Anglais à Patay, dans la plaine de Beauce au nord-ouest d’Orléans ; Fastolf et les Anglais furent mis en fuite, Talbot fait prisonnier (N1 386, 404)342. Cette victoire eut lieu le 18 juin. Le même jour les troupes revinrent vers Orléans, espérant que le dauphin viendrait dans la ville. Mais ce dernier restait à Sully-sur-Loire, où il avait résidé pendant toute cette campagne. Sans prendre le moindre repos, Jeanne se mit en route pour le voir. Elle le rencontra entre Sully et Chinon, à Saint-Benoît-sur-Loire, et là elle le supplia en pleurant de ne pas avoir de doute, qu’il recouvrerait tout son royaume et serait couronné. Le roi fut ému et comme le rapporte un témoin, Simon Charles, Président de la Chambre des comptes, il eut pitié d’elle, de sa lourde peine, et lui recommanda de prendre du repos
(N1 400). Le dauphin vint cependant au-devant des chefs de guerre, qu’il rencontra à Châteauneuf-sur-Loire, le 22 juin. Là se tint un conseil décisif et, malgré plusieurs opposants, sur l’insistance de Jeanne, il fut décidé d’aller à Reims pour le sacre343.
213L’armée s’était concentrée sur la Loire en amont d’Orléans, à Gien. L’avant-garde, sous les ordres de Gilles de Rais, avec Jeanne, La Hire et Poton, se mit en marche le 27 juin, suivie, le 29, par le dauphin et le gros des troupes. Avant de partir, Jeanne avait écrit aux habitants de Tournai, en les invitant à venir à Reims344. Du 1er au 3 juillet l’armée se rassembla devant Auxerre, la bourguignonne ; Jeanne avait décidé de prendre la ville d’assaut ; mais celle-ci transigea en livrant des vivres, et ne fut pas occupée345. Avant de repartir, de s’engager plus loin en territoire bourguignon, Jeanne fit faire une revue de toutes les troupes qui suivaient le dauphin (N1 369-370). Après avoir franchi l’Yonne, obtenu la soumission de Saint-Florentin, l’armée campa, le 4 juillet à Saint-Phal, près de Troyes. De là Jeanne envoya une lettre aux bourgeois de cette ville, pour leur dire de reconnaître comme souverain le dauphin Charles346. Le 5 juillet l’armée arriva devant Troyes, qui arrêta sa progression pendant plusieurs jours, alors que les vivres commençaient à manquer. La ville en effet était occupée par une forte garnison anglo-bourguignonne ; quant aux habitants ils étaient divisés. Ils envoyèrent au camp du dauphin un religieux augustin, frère Richard, pour avoir des renseignements sur la Pucelle. Ce frère, mis en présence de Jeanne, fit le signe de la croix et l’aspergea d’eau bénite, ce qui lui valut la réplique ironique de la Pucelle que l’on connaît : Approchez hardiment, je ne m’envolerai pas
(C1 38, 261). Ce frère Richard tint dès lors son parti. Les conseillers que le dauphin avait réunis étaient cependant hésitants sur la poursuite de l’expédition. L’archevêque de Reims, Regnault de Chartres, qui avait été chassé de son siège, jugeait préférable de revenir à Gien. Mais Jeanne, admise au conseil, exhorta le dauphin à assiéger la ville, et lui promit qu’il entrerait à Troyes dans les trois jours (N1 323-324). Jeanne fit alors pousser les préparatifs d’un siège pendant la nuit, et le lendemain, 10 juillet, quand 214elle eut crié à l’assaut
, la ville se rendit (N1 324, 401-402). Le nouvel évêque, Jean de Laiguisé et les notables accueillirent le dauphin, qui fit son entrée, accompagné de Jeanne portant son étendard. Le 12 juillet le dauphin quitta Troyes et envoya son héraut Montjoie aux habitants de Châlons, demandant à être reçu dans la ville avec plénière obéissance
. Les bourgeois déléguèrent alors des émissaires au devant du dauphin, qu’ils rencontrèrent à Bussy-Lettrée, pour lui remettre les clés de la ville. Le dauphin fut reçu bénignement
par les habitants de la ville et l’évêque Jean de Montbéliard, le 14 juillet347. À Châlons Jeanne eut la joie de rencontrer des habitants de Domrémy, et en particulier Jean Morel, un de ses parrains (N1 255, 279). Reparti le 15 juillet, le dauphin logeait le soir au château de Sept-Saulx, à environ vingt kilomètres de Reims et appartenant à l’archevêque. Les habitants de Reims n’écoutèrent pas les propositions de résistance au dauphin et de secours bourguignons, que leur firent Guillaume et Jean de Châtillon, et Jean de Villiers, seigneur de l’Isle-Adam, maréchal de France. Ils avaient reçu de leur archevêque, Regnault de Chartres, réfugié auprès du dauphin, une lettre envoyée de Troyes le 12 juillet, leur demandant de se soumettre ; et ils envoyèrent des notables à Sept-Saulx pour remettre les clés de la cité au dauphin, recevant en échange des lettres d’abolition348.
Le dauphin fit son entrée dans Reims le 16 juillet et reçut de la population un accueil enthousiaste. Le lendemain, dimanche 17 juillet 1429, eut lieu le sacre. La cérémonie dura de neuf heures à quatorze heures349 : quête de la Sainte Ampoule à l’abbaye de Saint-Remi et transport à la cathédrale par le maréchal de Boussac, l’amiral de Culan, les sires de Rais et de Graville ; arrivée de Charles en habit de sacre, serments et chevalerie, et enfin sacre et couronnement. 215Ce sacre ne se déroula probablement pas suivant l’ordo de Charles V, qui était resté à Saint-Denis et manquait à Reims ; on dut se servir du dernier ordo des Capétiens, du XIIIe siècle ; de même les anciens regalia étaient restés à Saint-Denis. Les pairs de France n’étaient pas tous présents : Jean, duc d’Alençon, représentait le duc de Bourgogne, Charles de Bourbon représentait le duc de Normandie, Louis de Bourbon représentait le duc de Guyenne, Gui de Laval représentait le comte de Toulouse, Raoul de Gaucourt le comte de Flandre, et Hardouin de Maillé le comte de Champagne. L’archevêque oignit Charles avec le baume de la Sainte Ampoule sur la tête, la poitrine, les épaules et à la saignée de chaque bras, mais non sur les mains, comme le prescrivait le nouvel ordo ; il était donc inutile de mettre aussitôt après des gants au roi, ce qui explique la surprise de Jeanne lorsqu’elle fut interrogée au procès de condamnation à propos de gants (C1 101).
Jeanne assista à la cérémonie, tenant son étendard assez près de l’autel ; et au procès en condamnation, quand on lui demanda la raison de cette place, elle répondit : Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur
(C1 101-102. 178-179). On la questionna aussi à ce moment au sujet de la couronne ; elle dit qu’à Reims le dauphin trouva une couronne qu’il prit, mais plus tard une plus riche lui fut apportée (C1 89) ; un peu après, elle assimila cette dernière couronne à celle déjà vue à Chinon, lors de sa première entrevue, qui aurait été transmise à l’archevêque de Reims (C1 134). La Pucelle eut enfin la joie de revoir à Reims son père et son frère Pierre, qui vinrent assister au couronnement (N1 467). Sa mission était achevée.
VII. Jeanne après la mission
La mission de Jeanne s’achevait avec le sacre de Charles VII. Quant la Pucelle vit que le roy estoit sacré 216et couronné… elle luy dist… : Gentil roy, or est exécuté le plaisir de Dieu, qui vouloit que levasse le siège d’Orléans et que vous amenasse en ceste cité de Reims recevoir vostre sainct sacre350
; cette scène, dont on ne peut affirmer qu’elle eut lieu, illustre en tout cas une coupure dans la vie de Jeanne. Pour des raisons diverses cependant la fin de l’inspiration, coupure dans la vie spirituelle qui devait entraîner une impuissance dans l’action, fut rarement perçue. Ainsi un historien rejette la théorie insoutenable d’un prétendu dépassement de mission
après Reims, en mettant l’échec final à la charge de Charles VII, qui n’aurait plus suivi Jeanne ; cette responsabilité du roi mériterait d’être nuancée, d’autant que l’auteur relève pour la même période un signe important : Jeanne n’aurait plus reçu de directives de ses saintes351. D’autres auteurs paraissent admettre, comme plusieurs contemporains de Jeanne, son échec final comme la contre-preuve éclatante de sa mission352
. Avec la même idée d’un échec final obscurcissant une mission, on a pu soutenir que tout le procès en nullité
cherche à étouffer le souvenir de ce qui s’est passé entre Reims et Compiègne353
. Nous avons déjà indiqué qu’il ne fallait pas confondre ce qui relevait de la mission assignée à Jeanne, d’une part, avec les événements postérieurs qu’elle a simplement prédits, d’autre part, ou encore avec les tâches supplémentaires que lui supposèrent les accusations de ses juges354. Le fameux bouter les Anglais hors de France
, une vue d’avenir dont elle ne vit que le début, est la principale illustration de ces confusions. En effet, si l’accomplissement de sa mission fut l’œuvre essentielle dans la vie de Jeanne, celle-ci en a aussi débordé le cadre avec des projets pour l’avenir : en indiquant qu’il fallait poursuivre la lutte contre les occupants jusqu’à leur expulsion, et en prônant l’union des fidèles dans l’Église contre les infidèles.
217L’exécution du premier projet fut commencée du vivant de Jeanne, mais elle en paya le début de sa mort. On ne retracera pas ici le détail des événements militaires et des négociations diplomatiques fort complexes qui ont conduit de Reims à Compiègne355. Mentionnons simplement certains aspects qui concernent directement la Pucelle. Pour la poursuite de la lutte Jeanne dut s’opposer à une probable inertie de Charles VII et au mauvais vouloir de quelques-uns de ses conseillers. Certes elle a écrit de Reims même, le 14 juillet 1429, au duc de Bourgogne pour l’exhorter à faire avec le roi bonne paix ferme qui dure longuement
. Mais elle vit aussi avec une inquiétude justifiée les négociations qui traînaient en longueur pour la restitution de Paris, et les trêves renouvelées avec le duc, qui cassaient l’élan de la reconquête ; le 5 août suivant elle écrivait hardiment aux habitants de Reims : combien que des trêves qui ainsi sont faictes je ne soy point contente et ne sçay si je les tendroy356
. Un dernier effort cependant conduisit l’armée royale vers Paris. Arrivé à Château-Thierry, Charles VII accorda, le 31 juillet, aux habitants de Domrémy et Greux qu’ils fussent exempts de toutes tailles, aides, subsides et subvention… en faveur et à la requête de nostre bien amée Jehanne la Pucelle357
. Du 2 au 5 août le roi séjourna à Provins, et c’est de cette ville que Jeanne écrivit sa lettre sur les trêves. Les Anglais avec le duc de Bedford vinrent s’opposer à la progression de Charles VII près de Senlis, en se fortifiant à Montépilloy. Le 15 août Jeanne entraîna les troupes royales à l’attaque ; mais les Anglais ne sortirent pas de leurs retranchements, et se replièrent ensuite sur Paris. Charles VII s’établit à Compiègne du 17 au 28 août ; alors Jeanne dès le 23 août vint devant Paris, à Saint-Denis, où le roi la rejoignit le 7 septembre. Le lendemain Jeanne et les troupes attaquèrent la porte Saint-Honoré. Ce fut un échec et Jeanne 218fut blessée dans les fossés devant la porte358. Elle fut d’ailleurs guérie en cinq jours ; mais les chefs de guerre ne la voulurent point laisser pour ce que elle estoit blecée
(C1 53, 77). Le roi et l’armée renoncèrent à l’attaque de Paris et revinrent sur la Loire avec Jeanne. Le 21 septembre, à Gien, l’armée du sacre fut dissoute. Le lendemain Jeanne écrivit aux habitants de Troyes pour leur donner de ses nouvelles en leur annonçant qu’elle avait été blessée devant Paris359.
S’ouvrit alors une période d’inaction et d’incertitude, avec d’âpres rivalités dans l’entourage royal, où se distingua La Trémouille. Jeanne fut lancée dans une entreprise secondaire contre les fauteurs de troubles et les routiers du centre de la France, contre Perrinet Grassart en particulier, qui détenait les places de Saint-Pierre-le-Moûtier et de La Charité-sur-Loire360. Saint-Pierre-le-Moûtier, pris d’assaut au début de novembre 1429, grâce à l’obstination de Jeanne, fut son dernier succès personnel (N1 330, 484-485). Mais à La Charité ce fut un grave échec ; l’armée manquait de ressources en armement, malgré des lettres envoyées par Jeanne pour en demander aux habitants de Clermont, le 7 novembre, et de Riom, le 9 novembre. Après un mois de siège il fallut renoncer, et s’en levèrent honteusement361
. Au procès de condamnation les juges demandèrent à la Pucelle pourquoi elle n’était pas entrée dans La Charité, puisqu’elle avait commandement de Dieu ; à quoi elle répondit : qui vous a dit que j’avais commandement de Dieu ?
, et elle ajouta que ce furent les gens d’armes qui lui dirent d’aller devant La Charité en premier (C1 106). À d’autres séances elle précisa que ce fut à la requête des hommes d’armes qu’avait été faite devant Paris une escarmouche ou vaillance d’arme
, qu’elle se rendit ensuite à La Charité à la demande de son roi, et que tout fut fait ni contre, ni par un commandement de ses voix
(C1 140-141, 239). Montigny, 219dans son mémoire pour le procès en nullité, a déclaré : à propos des entreprises faites contre Paris, La Charité et autres lieux, où la Pucelle ne réussit pas, on pourrait croire qu’elle aurait réussi si elle avait été envoyée par Dieu ; mais on doit répondre qu’elle agit de son propre chef et non sur le conseil de ses voix, mais à l’instigation des hommes d’armes
(N2 313-314).
Jeanne passa ensuite l’hiver de 1429-1430, pendant les trêves, dans le Val de Loire. Elle rencontra à Jargeau Catherine de la Rochelle, qu’elle avait déjà vue à Montfaucon en Berry avant de partir contre La Charité362. Elle démasqua, avec l’aide des saintes Catherine et Marguerite, l’imposture de celle-ci, qui prétendait avoir des apparitions et un signe
(C1 104, 116, 265-266 ; N2 449) : et ce estoit tout néant
. L’arrivée de cette fausse mystique n’était peut-être pas étrangère à la politique ; Catherine voulait aller voir le duc de Bourgogne pour arriver à une paix. Jeanne lui répondit que la paix, elle la trouverait au bout de sa lance, et elle lui conseilla de retourner chez elle, faire le ménage de son mari et nourrir ses enfants. En outre la Pucelle avait jugé bon d’écrire au roi pour lui donner son sentiment sur cette femme. Aussi quand Jeanne fut prise, Catherine de la Rochelle l’accabla devant l’official (C1 264). En décembre 1429 cependant Charles VII, qui résidait à Meung-sur-Yèvre, concédait des lettres d’anoblissement à Jeanne et à sa famille, en raison des louables services qu’elle avait rendus et qu’elle pouvait encore rendre363.
En mars 1430 Jeanne se trouvait à Sully-sur-Loire. Les trêves conclues avec le duc de Bourgogne, plusieurs fois renouvelées, s’achevaient le 15 mars, et Philippe le Bon rassemblait des troupes364. De Sully Jeanne écrivit deux lettres aux habitants de Reims, les 16 et 28 mars : l’une pour les assurer de son secours éventuel, l’autre pour les détourner de tout rapprochement avec le duc de Bourgogne365. Puis elle 220se mit en route avec une petite troupe pour une nouvelle campagne366. À la fin de mars elle était à Lagny, où on lui attribua un miracle en faveur d’un nouveau-né malade. À la mi-avril elle entra dans Melun, qui chassait la garnison anglaise. C’est là, dans les fossés de Melun que les voix des saintes Catherine et Marguerite lui révélèrent qu’elle serait prise avant la saint Jean, 24 juin (C1 141, 232), révélation qui lui fut répétée fréquemment. Elle se rendit ensuite à Crépy-en-Valois, où elle attendit, du 25 avril au 6 mai, les renforts qu’elle avait demandés au roi, et entra dans Compiègne le 6 mai. Elle en ressortit, pour diverses opérations militaires, et y revint le 22 mai. Le lendemain, 23 mai, au cours d’une sortie contre les Bourguignons qui menaçaient la ville, elle fut prise.
La lutte contre les infidèles et pour l’unité dans l’Église fut d’autre part envisagée par Jeanne comme une suite possible de sa mission. Il ne s’agissait peut-être pas, à proprement parler, de projets de croisade, mot qui correspond à des critères plus précis, en fait et en droit367 ; Jeanne n’eut d’ailleurs pas le temps de donner forme à ses intentions, sur lesquelles on possède peu de renseignements. Les ennemis de la foi, à son époque, étaient essentiellement de deux sortes : les Turcs et les Hussites.
Jeanne, qui a toujours déclaré qu’elle voulait être bonne chrétienne, s’est indignée quand ses juges ont menacé de la traiter en sarrasine
(C1 332). Les Sarrasins, comme on les appelait alors, étaient les Turcs ottomans, grave danger pour l’empire byzantin et la chrétienté. Après avoir envahi presque toute l’Asie Mineure, ils avaient passé le Bosphore et pris Andrinople dès 1362. La Pucelle avait dû entendre parler, dans son enfance, du premier siège de Constantinople par les Turcs en 1422. Devant cette menace surgit encore l’idée de guerre juste, guerre défensive avec intention droite. 221Deux lettres de Jeanne font allusion à cette perspective368. Dès le 23 mars 1429, étant encore à Poitiers, elle faisait écrire sa lettre aux Anglais devant Orléans, leur demandant de lever le siège, de rentrer en Angleterre, et ajoutait : Vous pourrez encore venir en [ma] compagnie, là où les François feront le plus beau faict qui jamais fut fait pour la chrétienté.
Ce beau fait fut précisé dans une autre lettre du 17 juillet 1429, adressée au duc de Bourgogne, où elle demandait à Philippe le Bon de faire la paix avec le roi de France, et ajoutait : S’il vous plait à guerroyer, si alez sur les Sarasins.
Elle reprenait ainsi les idées exprimées par sainte Catherine de Sienne, cinquante ans auparavant369. Au danger venant de l’extérieur, des conquêtes de l’Islam, vint s’ajouter à la même époque un mouvement menaçant l’unité de l’Église. Jean Huss, en Bohême, avait été jugé comme hérétique, condamné et brûlé en 1419. Mais ses disciples, les Hussites, suscitèrent des troubles par la suite dans l’Empire. Le nord de la France et les possessions bourguignonnes furent aussi touchés ; citons seulement l’épisode des Picards
, réfugiés à Prague dès 1418, et dont certains revinrent ensuite, et l’agitation dans la ville de Tournai en 1420370. En mars 1427 le pape Martin V avait nommé Henri Beaufort, cardinal de Winchester, légat de la croisade contre les hérétiques. Mais les Anglais, ayant ainsi pu lever une armée de quatre mille hommes sous couleur de les mener contre les Boesmes hérites
, détournèrent ces troupes qui vinrent renforcer Bedford devant Senlis et à Montépilloy en août 1429371. Jeanne ne pouvait ignorer la question hussite, qui préoccupait alors la chrétienté. Elle était d’autant mieux informée que Tournai était restée fidèle au dauphin, et qu’elle avait écrit le 25 juin 1429 aux habitants pour les 222convier au sacre de Reims. Aussi le 23 mars 1430 envoya-t-elle de Sully-sur-Loire une lettre aux Hussites, composée probablement par le frère Pasquerel : elle les menaçait de punir leur scélératesse, s’ils ne s’amendaient, et quand elle ne serait plus empêchée par la guerre contre les Anglais372. Deux poètes contemporains s’élevaient vers les mêmes dates contre les Hussites. Si l’un, Alain Chartier, familier de Charles VII, envoyé en mission auprès de l’empereur Sigismond en 1425, se contente de dénoncer les hérétiques373, l’autre, Jean Régnier, se trouve en accord avec les projets de Jeanne ; en effet ce fidèle du duc de Bourgogne exhorte vers 1432, dans ses Fortunes et adversités, Charles VII et Philippe le Bon à s’unir, en ces termes : Ceulx qui vouldront faire la guerre, / Soient de France ou d’Angleterre, / Aillent sur les Boesmiens :… / Car Boemes sont heresiens374.
Jeanne, qui désirait ardemment la paix et l’unité des chrétiens, même si cet idéal ne pouvait se trouver qu’au bout de la lance
, n’eut pas à se prononcer sur la question du pape légitime avec autant d’urgence que sainte Catherine de Sienne. À son époque en effet le grand schisme était en voie d’extinction, à cause du peu de prestige des antipapes. Le concile de Constance avait reçu l’abdication de Grégoire XII en 1415, et prononcé les dépositions de Jean XXIII en 1415, de Benoît XIII en 1417 ; il avait ensuite élu Martin V, qui, installé à Rome, fut le seul pape légitime de 1417 à 1431. Toutefois Benoît XIII, réfugié en Espagne, refusa de s’incliner, et les trois cardinaux qui l’avaient suivi lui donnèrent en 1423 un successeur, un chanoine espagnol, qui prit le nom de Clément VIII, et se démit de ses fonctions en faveur de Martin V seulement le 26 juillet 1429. Cet antipape 223eut lui-même un rival, chanoine de Rodez, désigné dans des circonstances obscures en 1425, et qui se fit appeler Benoît XIV. Dans ces conditions on comprend que le comte Jean IV d’Armagnac ait pu écrire à Jeanne pour lui demander lequel de ces trois personnages était le vrai pape (C1 225). Elle lui répondit de Compiègne, le 22 août 1429, au moment de monter à cheval, qu’elle remettait son avis, étant trop empêchée au fait de la guerre
, au moment où elle serait à Paris, au repos (C1 226). Elle était probablement peu renseignée sur ces séquelles du schisme. Au procès de condamnation, quand on lui demanda qui était à son avis le vrai pape, elle répondit d’abord en demandant elle-même s’il y en avait deux (C1 81) ; puis elle déclara qu’en tout cas elle croyait au pape qui est à Rome (C1 82)375, et dit enfin qu’elle n’avait reçu aucun conseil du Roi des cieux (C1 224). Au cours du procès elle demanda plusieurs fois que tous ses faits et dits fussent soumis au Souverain pontife à Rome (C1 387).
Au terme de ces commentaires, deux sujets de réflexion peuvent encore retenir l’attention : d’une part la comparaison entre Jeanne et d’autres saintes de son temps, d’autre part le discours des historiens sur la vie de la sainte.
Plusieurs saintes mystiques, au XIVe siècle et au début du XVe, proclamèrent qu’elles avaient reçu une mission de Dieu pour les affaires de l’Église et du siècle ; elles s’adressèrent directement au pape ou au souverain afin de la leur faire connaître376. Ainsi Dauphine de Sabran, morte en 1361, s’adressa au pape Clément VI, sainte Brigitte de Suède, morte en 1373, à Grégoire XI, Catherine de Sienne, morte en 1380, et Jeanne-Marie de Maillé, morte en 1414, au roi de France Charles VI. Toutes étaient des femmes dans le monde, et Catherine fut la seule non mariée. C’est de cette dernière cependant, malgré la différence apparente des milieux, que Jeanne pourrait être la plus proche. Ne voit-on 224pas que les malheurs de la papauté et de l’Italie peuvent être comparés à ceux du royaume et de la France, avec le déchirement entre deux factions opposées, guelfes et gibelins, ou Armagnacs et Bourguignons ; la vision qu’eut Catherine en avril 1376, les voix qu’entendit Jeanne en 1429, confièrent à toutes deux une mission semblable : rétablir la paix, restaurer une autorité légitime, pour s’occuper enfin des infidèles ; mystiques toutes deux, elles furent aussi femmes d’action, entrèrent en politique animées par un sentiment généreux, teinté de ce qu’on pourrait appeler patriotisme. Elles eurent ensemble, peut-être sous l’influence des ordres mendiants, la grande vision de saint Augustin, celle des deux cités : la cité céleste et la cité terrestre à l’image de la précédente.
Quant au discours des historiens, nous avons déjà dû rappeler en plusieurs occasions son inégale valeur. Il donne sa préférence tantôt aux affirmations des témoins, tantôt à celles des critiques négateurs, et ne peut être en général que partiellement, ou entièrement subjectif. Car Jeanne propose à l’historien des problèmes méta-historiques : mystique elle relève, au moins pour une part, du mystère. Un philosophe historien a pu déclarer : Je crains que l’histoire de Jeanne ne s’écrive jamais
, ajoutant dans un parallèle hardi : comme il n’y aura jamais de Vie de Jésus : il y a l’Évangile selon les témoins positifs, et le contre-Évangile selon les critiques négateurs
377. Ces propos désabusés du philosophe sur Jeanne ne peuvent arrêter cependant les recherches de l’historien, s’il sait reconnaître ses limites.
Notes
- [150]
Une biographie critique a cependant pu conclure en ces termes :
Nous ne savons presque rien ou trop peu… sur l’enfance de Jeanne à Domrémy, le début de la levée [ce mot étant choisi comme équivalent neutre du mot mission] à cause de textes lacunaires
; voir J. Cordier, p. 408. - [151]
Voir supra, Bibliographie critique, p. VIII.
- [152]
Sources, t. IV, p. 307.
- [153]
Perroy, La guerre de Cent ans, p. 316.
- [154]
Respondit quod, prout sibi videtur, est quasi XIX annorum
(C1 41). - [155]
Art. 4 :
nutrita usque ad XVIII annum etatis ejus vel eocirca in villa de Dompremi.
Art. 8 :circa vicesimum annum… transivit ad villam de Novocastro.
C1 196, 200. - [156]
Ipsa Johanna erat antiquior ipsa teste de tribus aut quatuor annis prout dicebatur
(N1 275). - [157]
Pour lors estoit de l’âge de seize ans ou environ
, N1 476. Cf. Tisset, C2 38. - [158]
Par exemple Hanotaux, p. 5.
- [159]
Dans ses Éclaircissements historiques, se moquant de
la sottise du jésuite Nonotte… mauvais calculateur
, qui donnait une indication exacte. - [160]
Concile qui a prévu un parrain et une marraine. Le Corpus juris canonici ne précise pas le nombre des compatres et commatres ; cf : Xa III.42.
- [161]
Pour cette fable et les enjolivures citons seulement : P. Caze, E. Schneider, Weill-Raynal ; réfutés par les ouvrages généraux cités supra, et dans Pernoud et Clin, p. 337-344.
- [162]
Constamment appelé Jacobus d’Arc dans l’enquête faite en Lorraine. Sur ces toponymes : Tisset C2, p. 39, n. 1 et p. 40.
- [163]
Bouteiller et Braux, p. 10, après Quicherat, II, p. 388 ; suivis par Champion, II, n. 104 ; Pernoud et Clin, p. 399. D’opinion contraire : P. Marot, Jeanne, p. 29. Réserve de Tisset, C2 40 n.
- [164]
Sur l’œuvre de Charles du Lys, voir P. Marot, Jeanne, p. 29.
- [165]
Point divisant les historiens, pour des motifs souvent subjectifs, en deux camps opposés ; cf. Pernoud et Clin, p. 313-316.
- [166]
La dernière forme dans la Minute française du manuscrit d’Orléans, p. 57, 87, est due selon le P. Doncœur à la prononciation lorraine, p. 36.
- [167]
P. Marichal et Tisset, C2 39 n.
- [168]
Boucher de Molandon et P. Gourdin.
- [169]
Tisset, C2 64, n. 2. P. Marot, Jeanne, p. 75-78.
- [170]
S. Luce, doc. LI et XLII, p. 98 et 60.
- [171]
Nombreux travaux sur sa famille ; cf. en particulier Boucher de Molandon, P. Marot, Jeanne, p. 30-31 ; H. Morel.
- [172]
Q2 252, mais d’après une analyse d’acte tardive.
- [173]
Hanotaux, p. 47-64.
- [174]
Chroniques de Gilles Le Bouvier, p. 160, et Du Fresne de Beaucourt.
- [175]
Cf. infra, p. 184.
- [176]
Bouteiller et Braux, p. XI.
- [177]
Lorsque ladite Pucelle se déppartit de ses marches et pays de Vaucoulour… ladite Pucelle auroit requi ladite Aveline [sa tante, cf. supra] que, puisque elle estoit enceinte d’enfant, prioit que si elle accouchoit d’une fille, elle luy fit mectro en nom Catherine, pour la souvenance de feue Catherine sa sœur
; ibid., p. 62. - [178]
Cf. M. de Pange, J. Schneider et P. Marot, Jeanne, p. 3-15 avec les cartes.
- [179]
Cf. H. Lepage, A. Renard, E. Misset et P. Duparc, Jeanne d’Arc controversée.
- [180]
S. Luce, Jeanne d’Arc à Domrémy.
- [181]
S. Luce, Supplément, pr. IV, p. 284-285.
- [182]
S. Luce, pr. CXXXVII, p. 183 ; p. 241 ; pr. CCXXVI, p. 275-279. Henri d’Orlyé, et non d’
Orly
, comme l’écrivent les historiens ; cf. Armorial de Savoie, t. IV, p. 302. - [183]
Luce, supplément pr. III, p. 282-284.
- [184]
Luce, pr. LXXIV, p. 97-100.
- [185]
Images de Jeanne d’Arc, cit.
- [186]
Samaran, art. cit. ; P. Duparc (Compiègne), p. 221-222.
- [187]
Faut-il citer ici la délirante déclaration que Jeanne aurait été un homme de R. Greenblatt ?
- [188]
Maleissye, Les lettres.
- [189]
Gilles Le Bouvier, p. 133.
- [190]
Quant à trouver
vraisemblable
que la guerre lui ait procuré le loisir, entre août et octobre 1429, d’apprendre à lire et écrire, et par conséquent à signer, est une hypothèse pour le moins hasardeuse, avancée par Maleissye-Melun et reprise par R. Pernoud et M. V. Clin, p. 129. - [191]
Présentée par Tisset, C3 139, n.
- [192]
Cf. Tisset, C2 138, n. 4.
- [193]
Voir C1 82, 88,160,180-182, 229 et N1 469.
- [194]
Fons Rannorum (N1 256, 259, 265, 272, 274, 276, 278, 279, 281, 283, 285, 293, 310) ou Fons ad Rannos (N1 254, 258, 260, 288) est une latinisation de Fontaine aux Rains, traduite le plus souvent par Fontaine aux Groseilliers depuis Quicherat et toponyme consacré par le Dictionnaire topographique des Vosges. Relevons cependant que ce Dictionnaire donne à Rain le sens de limite de bois. De nombreux noms de lieu donnent à Rain le sens de lisière.
- [195]
Par exemple dans le pays messin et en Alsace. Dans d’autres régions, comme en Savoie, c’était le samedi saint, au retour des cloches, que les femmes allaient aux fontaines recueillir
l’eau bénite
. Cf. Van Gennep, t. I.4.2, p. 1445-1446. - [196]
Aux Décrétales : Xa V.38.12.
- [197]
Ainsi le P. Doncœur estime
invraisemblable
deux à trois confessions en quinze jours ; I, p. 41. Pour G. et A. Dubyce goût de la confession et de la communion fréquentes
ne peut venir que par une influence des ordres mendiants, p. 30. - [198]
Somme théologique, III.87.3. Cf. Dictionnaire théologique, t. III.1, col. 915-916.
- [199]
Dictionnaire théologique, t. III.1, col. 911-912.
- [200]
Ipsa confessio laico facta sacramentale quoddam est, non sacramentum perfectum ; saint Thomas, Somme théologique, l. IV, dist. XVII, q. III ; cf. Dictionnaire théologique, t. III.l, col. 899-901.
- [201]
Carolus-Barré, art. cit.
- [202]
Somme théologique, l. IV, III a q. LXXX. Cf. Dictionnaire théologique, t. III.1, col. 528-530.
- [203]
Ce n’est pas l’avis de G. et A. Duby, p. 30, qui déclarent que les confessions et communions fréquentes de Jeanne ont dû
inquiéter l’Église
. - [204]
Cf. Tisset, C3, p. 159-170.
- [205]
Au titre De hereticis du Sexte, 5.2.4.
- [206]
Eymerich, 2e partie, art. 52, p. 225.
- [207]
Son sens prédominant au Moyen Âge est : dépenses, frais ; en droit canonique le sens de prédication extraordinaire semble apparaître à la fin du XIVe siècle. Cf. Naz, Dictionnaire et infra, p. 190.
- [208]
Le mot est en particulier employé par Quicherat. Cf. P. Marot, De la réhabilitation.
- [209]
Éd. cit., p. 133.
- [210]
Cf. P. Duparc, La délivrance.
- [211]
Q4 53, et éd. cit.
- [212]
Q5 120.
- [213]
Cf. C3, Index des matières.
- [214]
Cf. Nos sens et Dieu, dans Études carmélitaines, et spécialement M. Olphe-Galliard, art. cit.
- [215]
Cf. supra.
- [216]
En particulier à propos de sa non délivrance de prison ; C1 267.292.
- [217]
Somme théologique, II.II.q. XCVIII, a 3, ad 2. Cette théorie est reprise dans le procès en nullité par Montigny en son mémoire, N2 315-316.
- [218]
La question a déjà été traitée au moins par un historien, P. Tisset, C3 92-103, et par un théologien, O. Leroy, après d’autres auteurs.
- [219]
Cf. M. Baudot, J. Laporte.
- [220]
Cf. J. Fournée.
- [221]
Cf. Millénaire, t. III, et Baudot, p. 24.
- [222]
Cf. Les fastes, n° 43, p. 97-98.
- [223]
Cf. Elias, Les fastes.
- [224]
Forgeais, 2e série, p. 73-89 ; C. Lamy-Lassalle, p. 271-286.
- [225]
Chronique du Mont, p. 18 ; Du Fresne de Beaucourt, t. II.
- [226]
Cf. Bochard, II, p. 262.
- [227]
Cf. E. Delaruelle.
- [228]
Les fastes du gothique, n° 22, 77, 215, 219.
- [229]
Cf. Forgeais, 4e série, p. 232-234 ; C. Lamy-Lassalle, Recherches, p. 13-14, fig. 4-7.
- [230]
Citée, non dénommée N1 287-292. Cf. S. Luce, p. CXXIX.
- [231]
Petit de Julleville, t. I, p. 344, II, p. 533-533.
- [232]
Cf. Carolus-Barré, Un nouveau parchemin.
- [233]
Cf. Fastes du gothique, n° 142, 330 ; et C. Lamy-Lassalle, p. 17-18.
- [234]
Cf. P. Marot, Jeanne, p. 96.
- [235]
L’Itinéraire de Quicherat, Q5 379-382, la Chronologie de L. Fabre, p. 539-540, sont très sommaires.
- [236]
La Topographie de M. Vachon et la Chronologie dans R. Pernoud et M. V. Clin, p. 391-397, préfèrent la pure méditation sur une carte.
- [237]
Un des derniers tenants d’une date plus tardive, J. Cordier, cit., p. 373-375, est suivi avec quelques réticences par Tisset, C2, p. 49-50, n. 1.
- [238]
Luce, CLXXX, p. 213, et CLXX-CLXXXVII.
- [239]
Cf. Jeanne d’Arc contestée, P. Duparc, p. 220.
- [240]
Luce, CXCIV, p. 226-228 ; CXC, p. 222-223.
- [241]
Contra Quicherat et Tisset, II, p. 51.
- [242]
Luce, preuves, p. 234-236 et p. CXCVII. Mais René d’Anjou n’était probablement pas déjà à Nancy, quand Jeanne y vint, avant la mi-février.
- [243]
Cf. Contamine, L’action.
- [244]
Cf. Luce, p. CCV ; Tisset, C2 n., p. 51-52 ; P. Marot, Jeanne, p. 58, n. 1.
- [245]
Vallet de Viriville, II, p. 48. Cf. Doncœur, V, p. 313, n. 32.
- [246]
Pâques tombant cette année là le 27 mars ; cf. Diplomatique de Giry.
- [247]
Desama, La première entrevue, p. 117.
- [248]
Luce, CCXIV ; cf. C2, p. 55, n. 3.
- [249]
Cf. Pimodan, La première étape.
- [250]
Cf. supra, ch. I.
- [251]
Cf. Champion, II, p. 363, n. 138, et sa bibliographie.
- [252]
Éd. Luce, I, p. 30. Cf. d’une manière générale Tisset, C2, p. 55, n. 3.
- [253]
Desama, Entrevue du signe, mars-avril 1429.
- [254]
Little, p. 98.
- [255]
Éd. cit., t. I, et Q4 52-53.
- [256]
Little, op. cit.
- [257]
À cause des plaintes de Jeanne contre les excès des hommes d’armes à Domrémy ; Luce, p. 274.
- [258]
Boissonnade, p. 28, 42.
- [259]
Dujardin, Les débuts, p. 32. Cf. d’une manière générale P. Doncœur, I, p. 14-15.
- [260]
Favreau, Little.
- [261]
Une lettre de Jeanne aux Anglais aurait été dictée par elle à Poitiers, le 22 mars ; C2 185-186, C1 185-186.
- [262]
Little, p. 102-103, 99 et 214, en particulier.
- [263]
Little, p. 102. Le parti pris politique ne semble pas être où cet historien le voit.
- [264]
Ce point est étudié en détail dans C3 104-107 par Tisset.
- [265]
Cf. P. Duparc, La délivrance.
- [266]
Basin, après son mémoire judiciaire (N2 203), dans son Historia, Q4 355.
- [267]
Journal du siège, Q4 128.
- [268]
L’Abréviateur du procès, Q4 258-259. Le Miroir des femmes vertueuses, Q4 271.
- [269]
A. Thomas, citant une lettre de rémission, suppose que ce soupçon s’était répandu en France ; en même temps il rappelle que le
signe royal
était une sorte d’envie marquant la peau des nouveaux nés destinés à la royauté. Mais précisons que lesigne
des procès concerne Jeanne d’Arc, et d’autre part qu’il n’y aurait eu aucune raison de cacher alors unsigne royal
. - [270]
Le secret que l’on se garde bien d’évoquer en 1456
, d’après G. et A. Duby. - [271]
La duchesse était logée en l’abbaye de Saint-Florent, où Jeanne se rendit ensuite pour la voir (Q4 10).
- [272]
Cette deuxième audience n’eut pas lieu le surlendemain de l’arrivée comme l’indique C. Desama, La première entrevue, p. 121.
- [273]
Dans un entretien secret on parle généralement de choses secrètes ; en sens contraire C. Desama, ibid.
- [274]
P. Doncœur, La minute française, et le commentaire, p. 58-59.
- [275]
Cette dissociation est affirmée par Desama, L’entrevue, qui date la première entrevue de mars 1429 et l’entrevue du signe de mars-avril 1429.
- [276]
Voir surtout, parmi de nombreuses études, celles de R. Regout et de F. H. Russell.
- [277]
Nocendi cupiditas, dans Contra Faustum, XXII, 74 ; Corpus, 25, p. 172. D. G. II.XXIII.4, canon Quid culpalur in bello.
- [278]
Militare non est delictum dans le D. G. II.23.1.5.
- [279]
Contra Faustum XXII.75 ; cf. De civitate Dei XIX, 12.
- [280]
De civitate, ibid., et D. G. II.23.1.6.
- [281]
Questiones VI, 10. D. G. 11.23.2.2.
- [282]
Pro defensione patrie, non pro cupiditate dominandi, l. III, ch. 10 et IX, 15.
- [283]
D. G. I.1.7. Cf. Digeste I.1.3 et 5.
- [284]
D. G. II.23.2.1.
- [285]
D. G. II.23.8.15.
- [286]
Dès le XIIIe siècle dans Beaumanoir, n° 1510.
- [287]
Décrétale Olim causarum, Xa 2.13.12.
- [288]
D. G. I.46.8. Cf. Russel, p. 131.
- [289]
Summa theologica, 2-2, q. 40, 1.
- [290]
Ibid., 2-2 q. 123.
- [291]
I.2.749 ; Opuscula philosophica, p. 259.
- [292]
Expositio in V libros Ethicorum, 10 lect. 11 ; Opera omnia XXI.350. Cf. Russell, p. 262-263.
- [293]
Summa II.5.12.17. Cf. Russell, p. 128-129.
- [294]
Lectura in VI° 5.4.1, par. 34. Cf. Russell, ibid.
- [295]
Partie 4.73.79. Cf. Wight.
- [296]
Sur les lettres de Jeanne, supra, 2e partie, II.
- [297]
Cf. Dondaine, p. 41.
- [298]
LA 592, ff. Q3 393-410 ; Belon et Balme, p. 92-93.
- [299]
En particulier dans Audite coeli, I, p. 145-278, et Verba mea, II, p. 230-236.
- [300]
LA 40-41.
- [301]
Principe déjà posé dans la Summa de casibus de Raymond de Peñafort 2.5.12.18, et repris par d’autres canonistes. Cf. Russell, p. 132.
- [302]
Voir supra le secret.
- [303]
Cf. en dernier H. Scheidgen.
- [304]
Ut est religio erga Deum, ut parentibus et patriæ pareamus, ut contra violentiam resistamus… omnes gentes utuntur (du jus gentium), sur Institutes 1.2.1. Cf. G. Post, p. 435-453.
- [305]
Sur les Institutes 4.6.13. Cf. Post, p. 446-447.
- [306]
D’après Kantorowicz, p. 236.
- [307]
Cf. Kantorowicz, p. 232-272 ; Post, p. 435-453 ; et Russell, p. 136-137.
- [308]
Cf. C. Beaune.
- [309]
Xa II.1.13, canon Novit.
- [310]
Opera, t. IX.
- [311]
Expression considérée comme une
tromperie
par un historien, anglais, qui affirme qu’il s’agit de lacréation de la France
; Little, p. 214. - [312]
Cf. d’une manière générale P. Duparc, La délivrance d’Orléans.
- [313]
Un auteur anglais a cependant déclaré que la
mission
de Jeanne pour délivrer Orléans pourrait n’être qu’unélément relativement insignifiant
; G. Little, p. 94. - [314]
Judith, 7-16. Cf. index II.
- [315]
Bibliothèque nationale, ms. fr. 12461 ; miniature reproduite dans R. Pernoud, La libération, ill. n° 22. Ibid. ms. fr. 12476 ; reproduite dans Images de Jeanne d’Arc, n° 4.
- [316]
2 de Samuel, XX.
- [317]
2 des Rois, VI et VII et Isaïe, I, 7.
- [318]
J. et P. Courcelle, p. 61 et pl. XXXI, p. 171 et pl. CXXIX.
- [319]
Ch. I, p. 13 ; ch. III, p. 13.
- [320]
Esther V-VIII. Cf. d’une manière générale index aux noms cités.
- [321]
Juges IV.
- [322]
Q5, p. 11.
- [323]
Voir essentiellement R. Pernoud, La libération d’Orléans, Liocourt, t. II.
- [324]
Le mot désigne encore l’ensemble dos engins de guerre, aussi bien les bombardes que les canons, les engins à poudre ou à trébuchet ; cf. Contamine, Guerre ; Allmand.
- [325]
Cf. Allmand.
- [326]
R. Cazelles, p. 72.
- [327]
Proverbes, VIII, 5 ; et Psaume 47.
- [328]
Cf. Beaumanoir, nos 1022, 1080, 1106.
- [329]
Jean Dupuy ou Johannes de Podio, né vers 1360 et mort avant 1438, évêque de Cahots en 1431, écrit dans son Breviarium ou Collectarium :
Dicta Puella a Francorum rege unum donum sibi dari impétrant ; quod et rex spopondit. Et ipsa petiit lune regnum sibi dari… Et post pusillum temporis, coram notariis, tanquam donataria regni Francie, illud remisit Deo omnipotenti. Post autern alium temporis tractum, Dei jussu, ipsum regem Karolum de regno Francie investivit… et de omnibus voluit litteras sollemniter confici
; cf. Dondaine, p. 184. - [330]
Quand la Pucelle vint au susdit roi, dut-il lui promettre… qu’il se démît de son royaume, y renonçât et le remît à Dieu, car il le tenait de lui
; trad. Lefèvre-Pontalis, p. 152. - [331]
Comme il luy appartenoit bien, il [Charles VII] se nomma et porta roy de France. Ainis l’estoit-il sans nul doute
après la mort de Charles VI ; Histoire de Charles VI. - [332]
Le roy ne pourroit faire qu’il [son fils] ne feust roy après luy
; Écrits politiques, t. II, p. 55-56. Cf. tout son traité Très crestien, très hault, très puissant roy ; ibidem. - [333]
Voir aussi la Lettre de Gui de Laval.
- [334]
Comptes de forteresses, Q5 262.
- [335]
Voir Lettre de Gui de Laval.
- [336]
Journal du siège, Q4 169-170.
- [337]
Journal du siège, Q4 167.
- [338]
Comptes du receveur général, Q5 261.
- [339]
Journal du siège, Q4 171.
- [340]
Perceval de Cagny, Q4 12-13.
- [341]
Mêmes sources que pour Jargeau, plus Chartier, Q4 66.
- [342]
Voir également Registre de la mairie de Tours, Q5 262-263.
- [343]
Chronique de la Pucelle, Q4 247-248.
- [344]
Voir supra, ch. II, liste des lettres.
- [345]
Chartier, Q4 72 ; Journal du siège, Q4 181.
- [346]
Voir supra, ch. II, liste des lettres.
- [347]
Recueil de Jean Rogier, Q4 298.
- [348]
Monstrelet, Q4 379 ; Perceval de Cagny, Q4 18 ; Jean Chartier, Q4 76-77 ; Journal du siège, Q4 184 ; Gilles Le Bouvier, p. 139.
- [349]
Lettre de trois gentilshommes, Q4 128-129 ; Journal du siège, Q4 185-186 ; Perceval de Cagny, Q4 19-20. Et cf. Jackson, en particulier p. 38-40, 25-26, 151, 208-209.
- [350]
Journal du siège, Q5 186.
- [351]
Liocourt, t. 2, p. 11-14, 196.
- [352]
G. et A. Duby, p. 14-16.
- [353]
Krumeich, p. 34. Voir au contraire N1 330, 484-485, et autres mentions.
- [354]
Cf. supra, ch. III.
- [355]
Cf. Du Fresne de Beaucourt, t. II, ch. 8 et 9 ; C. A. J. Armstrong ; Bossuat.
- [356]
Cf. ch. III, Les lettres.
- [357]
Q5 138-139.
- [358]
Sur ces événements : Gilles Le Bouvier, p. 139-140 ; Journal du siège, p. 188-200.
- [359]
Cf. ch. II, Les lettres.
- [360]
Cf. A. Bossuat.
- [361]
Gilles Le Bouvier, p. 142.
- [362]
Cf. A. Bossuat, p. 116, 119, 131.
- [363]
Supra, I, Famille et II, Les lettres.
- [364]
Cf. Armstrong.
- [365]
Supra, II, Les lettres.
- [366]
Sur cette dernière campagne de Jeanne, C1 111-113 ; Perceval de Cagny, p. 32-34 ; Gilles Le Bouvier, p. 141-144. Cf. Carolus-Barré, Le siège ; P. Champion, Guillaume de Flavy.
- [367]
Cf. Rousset.
- [368]
Cf. supra, II, Les lettres.
- [369]
En 1375 elle écrivait au chef de bandes anglais Hawkwood, qui ravageait l’Italie, d’
abandonner le service et la solde du démon pour passer au service du Christ crucifié et aller contre les infidèles qui possèdent nos saints lieux
; cf. Fawtier et Canet, p. 206. - [370]
Cf. Y. Lacaze.
- [371]
Journal du siège, Q4 190-191 ; Jean Chartier, Q4 81. Cf. supra.
- [372]
Jamdudum michi Johanne puelle rumor ipse famaque pertulit quod ex veris christiania heretici et sarraceni similes facti… Nisi in bellis anglicis essem occupata.
Dans sa communication, Th. Sickel, après avoir publié le texte, déclara de manière paradoxale :je ne crois pas qu’elle ait jamais songé à d’autres entreprises qu’à la guerre contre les Anglais.
Cf. supra, II, Les lettres. - [373]
Cf. P. Champion, Histoire poétique, t. I, p. 97, 143, 147 ; et Y. Lacaze.
- [374]
Éd. cit., p. 75, v. 2067-2069, 2073.
- [375]
On peut prétendre d’ailleurs que la phrase
le pape qui est à Rome
est une expression courante, sans signification particulière. - [376]
Cf. A. Vauchez, La sainteté, p. 440-441.
- [377]
Jean Guitton, op. cit., Avant-propos.