Séance du 24 février (Procès d’office)
Résumé : 3e interrogatoire public
(Extrait de l’Abrégé du procès de Jean Gratteloup, 2021.)
Chambre de parement du château de Rouen. — Cauchon, 62 assesseurs (dont Lemaître, 18 nouveaux).
Interrogatoire
1. Jeanne est requise de prêter serment
S’ensuivent les mêmes tergiversations que la veille et l’avant-veille. — Par aventure, vous me pourriez contraindre à dire telle chose que j’ai juré de ne dire point. Ainsi je serais parjure, ce que vous ne devriez vouloir
. Cauchon la presse, elle l’avise de ne pas trop la charger : — J’ai assez juré par deux fois
; répond qu’elle dira volontiers la vérité sur sa venue en France, mais non sur tout ; que du reste huit jours ne suffiraient à tout dire. Cauchon s’obstine, elle élude, il la pousse et cherche à l’intimider ; elle finit par jurer, mais uniquement sur ce touchant le procès.
Répond qu’elle n’a rien mangé ni bu depuis midi la veille14.
2. Sur sa voix et ses révélations
Dit qu’elle a entendu sa voix au moins trois fois la veille, qu’elle en fut éveillée le matin, qu’elle ignore si celle-ci se trouvait dans sa chambre mais qu’elle était dans le château, qu’elle la remercia, non pas en s’agenouillant mais assise sur son lit en joignant les mains, qu’elle reçut conseil sur comment répondre aux juges : hardiment et Dieu la réconforterait ; avise Cauchon qu’il se met en grand danger car elle est envoyée de par Dieu ; dit que la voix ne s’est jamais contredite ; qu’elle vient parfois à sa demande, parfois spontanément ; qu’il lui arrive de ne pas la comprendre ; qu’elle ne répondra pas sur ce qui touche au roi, du moins pas avant quinze jours ; que ça lui est défendu et que ce ne sont pas les hommes qui le [lui] défendirent ; qu’elle croit aussi fermement qu’elle croit en la foi chrétienne que cette voix vient de Dieu, et sur son ordre, mais qu’elle n’en dira pas plus de peur de lui déplaire ; affirme avoir reçu la veille de nouvelles révélations sur le roi qu’elle aimerait lui communiquer, dût-elle ne plus boire de vin jusqu’à Pâques15.
Interrogée si elle ne pourrait pas charger ses voix du message, répond que si cela plaisait à Dieu elle en serait bien contente et ajouta qu’elle ne saurait rien faire sans la grâce de Dieu ; refuse [avec insolence, dit une note en marge du manuscrit] de répondre si elle eut révélation qu’elle s’échapperait de prison ; dit n’avoir point compris tous les conseils de la veille au soir ; réaffirme que la voix est toujours accompagnée de clarté ; ne veut rien dire d’autre sinon que cette voix est bonne et digne ; demande à ce qu’on lui soumette par écrit les questions auxquelles elle n’a pas répondu ; refuse de répondre si la voix est dotée d’yeux et de vue16 : — On pend bien quelquefois les gens pour avoir dit vérité
.
3. Interrogée si elle pense être en la grâce de Dieu
Répond : — Si je n’y suis, Dieu m’y mette, si j’y suis, Dieu m’y garde
; ajoute qu’elle croit que la voix ne viendrait plus dès lors qu’elle serait en état de péché.
4. Sur son enfance
Dit qu’elle avait treize ans lors de la première apparition ; acquiesce avoir joué aux champs avec les autres enfants.
5. Sur les Bourguignons
Dit que ceux de Domrémy ne tenaient pas leur parti ; qu’elle n’en connaissait qu’un et eût bien voulu qu’il eût la tête coupée s’il eût plu à Dieu ! ; que ceux de Maxey étaient Bourguignons, et que les enfants de Domrémy se battaient contre ceux de Maxey et revenaient parfois bien blessés et sanglants ; qu’elle n’aima pas les Bourguignons depuis qu’elle comprit que sa voix était pour le roi de France ; que dès l’enfance elle désira que son roi eût son royaume ; que les Bourguignons auront guerre, s’ils ne font ce qu’ils doivent, et le sait par sa voix. Interrogée si elle sut aussi que les Anglais allaient venir en France : répond qu’ils y étaient déjà lorsque lui vinrent ses voix.
6. Sur son départ de Domrémy
Interrogée si elle aurait préféré être un homme quand elle sut qu’elle devrait aller en France ? dit qu’ailleurs elle avait répondu.
7. Sur son enfance
Répète que depuis qu’elle fut plus grande elle ne menait pas souvent les bêtes aux champs, mais qu’il lui arrivait de les conduire à un château nommé l’Île, par crainte des gens d’armes.
8. Sur l’arbre aux fées, la fontaine, le bois chênu
Dit avoir vu des malades guérir de l’eau de la fontaine mais sans savoir si c’en était la cause ; que l’arbre était un grand hêtre qui appartenait au chevalier Pierre de Bourlemont ; qu’elle y jouait avec ses amies, y accrochait des couronnes de fleurs pour Notre-Dame, y a peut-être dansé ; que des anciens disaient que les dames fées s’y rendaient ; que sa marraine, la femme du maire Aubery, affirmait les y avoir vues ; qu’elle-même ignore si c’était vrai ou non, et qu’elle ne vit jamais rien ; qu’elle n’y alla plus jouer dès qu’elle sut qu’elle devrait aller en France ; qu’on voit le bois chênu depuis la porte de sa maison, à moins d’une demi-lieue ; qu’elle ne sait rien au sujet des fées ; que son frère lui rapporta qu’une rumeur disait que c’était à l’arbre aux fées qu’elle avait pris son fait, ce qu’elle lui démentit ; que lorsqu’elle vint auprès du roi on la questionna sur l’existence d’un bois chênu, car il y avait prophétie disant que devers ce bois devait venir une pucelle qui ferait merveille, mais qu’elle n’y prêta foi.
9. Sur son habit d’homme
Répond que si on lui donnait un habit de femme elle le mettrait et s’en irait ; autrement non.
Notes
- [14]
On est alors en temps de carême.
- [15]
Sans doute une façon proverbiale de parler nous dit Champion (note 164).
- [16]
Cette étrange question est liée à la demande précédente par Jeanne d’une copie écrite des questions : ses voix ont-elles des yeux pour lire ? Cette précision est apportée dans les objections de l’article 60 de l’accusation.
Composition du tribunal
(Voir le tableau analytique de tous les juges et assesseurs du procès.)
Accusée
- Jeanne d'Arc
- 3e séance sur 27
- 19 ans
Juge
- Pierre Cauchon
- 60 ans
Lire dans les différentes éditions
- Français :
- Brasillach (1932)
- Champion (1921)
- Fabre (1884)
- O’Reilly (1868)
- Vallet de Viriville (1867)
- Le Brun de Charmettes (1817)
- Richer (1630)