J.-B.-J. Ayroles  : La Vraie Jeanne d’Arc (1890-1902)

Tome IV : Livre II. La Vierge-Guerrière d’après les témoins oculaires de sa vie publique

139Livre II
La Vierge-Guerrière d’après les témoins oculaires de sa vie publique

  1. De Chinon au départ pour Orléans
  2. À Orléans et à Bourges
  3. D’après Dunois, Gaucourt et ses compagnons d’armes
  4. D’après le seigneur de Thermes et le duc d’Alençon
  5. D’après son page et son maître d’hôtel
  6. D’après son aumônier et confesseur

Les questions adressées à l’accusée de Rouen sur ses victoires sont peu nombreuses, encore que ces victoires fussent la cause du procès et de l’inique sentence qui le termina. La commission pontificale aurait pu, par suite, s’abstenir de toute enquête sur cette partie de l’histoire de la Vénérable. Elle en jugea autrement ; elle crut qu’il était utile de savoir ce que, durant sa carrière triomphante, avait été dans l’intime de sa vie, la sainte fille condamnée pour magie.

Cinquante-cinq témoins furent cités, tous d’un rang honorable dans le clergé, l’armée, la magistrature, la vie civile. Aucun qui n’ait vu, entendu la Vénérable, n’ait, à un moment donné, plusieurs depuis son approbation à Poitiers jusqu’à sa captivité, n’ait eu les relations les plus favorables à une observation que tout provoquait. Impossible de trouver des témoins mieux renseignés.

Leur but n’était pas de narrer l’histoire de la Vierge-Guerrière ; ils n’étaient cités que pour faire apprécier par les faits qu’ils attestaient ce qu’il fallait penser de la sentence du Vieux-Marché. L’histoire leur est cependant grandement redevable ; car si les documents rapportés dans le précédent volume nous font connaître les événements extérieurs, les témoins nous montrent l’âme de la merveilleuse enfant qui les menait.

Cités par les demandeurs de la réhabilitation, il est tout naturel qu’en restant dans les limites de la vérité, ils aient présenté les faits favorables à la fin poursuivie, et se soient abstenus de soulever quelques questions difficultueuses, compromettantes pour de puissants personnages encore vivants, ou morts depuis peu de temps ; qu’ils ne nous parlent pas des obstacles opposés par la cour ; ou qu’ils se contentent de dire que la Pucelle promettait de délivrer Orléans, et de faire sacrer le roi à Reims. 140Ils n’étaient pas tenus de dire qu’elle promettait plus encore ; et se taire sur la promesse de l’entière expulsion de l’envahisseur n’était pas la nier. On peut d’ailleurs admettre que, sous l’impulsion de l’esprit prophétique, la voyante ait insisté sur ces deux faits qui devaient se réaliser, plus que sur ce qu’une politique tortueuse ou perfide devait empocher.

Les témoins sur la vie guerrière ont été entendus à Orléans et à Paris, un seul a été entendu à Rouen, un autre à Lyon par commission rogatoire.

Il a été dit que les dépositions seraient groupées selon l’ordre chronologique des faits sur lesquels elles jettent plus de lumière. D’abord celles qui portent surtout ou exclusivement sur les sept ou huit semaines qui précèdent le départ pour Orléans, ensuite sur le séjour à Orléans, enfin celles qui embrassent la période guerrière tout entière.

Le texte de Quicherat est généralement exact, il a été collationné avec les trois manuscrits principaux de la Bibliothèque nationale dont il a été parlé à la page 501 de la Paysanne et l’Inspirée. Pour plus de brièveté, le numéro 5970 sera dans les références désigné par la lettre A, le numéro 17013 par la lettre B, le numéro 8838, ou manuscrit d’Urfé, par la lettre U.

Dans la traduction, le style direct est substitué au style indirect des greffiers. On a apporté un soin scrupuleux à ne rien dire qui ne soit dans le texte.

141Chapitre I
Les témoins de la Vénérable, de Chinon au départ pour Orléans

  • I.
  • Maître Jean Barbin.
  • Jeanne à Poitiers, son esprit de prière.
  • La Libératrice prédite par Marie d’Avignon.
  • Sainteté de Jeanne : ses sentiments sur les honneurs qu’on lui rendait.
  • Mission de Jeanne.
  • Remarques : Jean Rabateau : il n’habitait pas une hôtellerie ; l’esprit prophétique de Marie d’Avignon.
  • Jeanne prophétisée de diverses manières.
  • II.
  • Simon Charles.
  • Hésitations du roi.
  • Comment finies.
  • Premier entretien.
  • Poitiers.
  • Simplicité de Jeanne.
  • Jeanne à Saint-Benoît-sur-Loire.
  • Paroles sévères de Jeanne à de Gaucourt.
  • Jeanne devant Troyes.
  • Elle traîne le roi à Reims.
  • Suscitée par Dieu.
  • Elle est au-dessus des besoins de la nature.
  • Observations.
  • III.
  • Gobert Thibault.
  • Quelques interrogateurs de Jeanne.
  • Ses paroles à Pierre de Versailles.
  • Récit des guides.
  • Sentiment de Machet, le confesseur du roi.
  • Le témoin confond plusieurs événements.
  • Piété de Jeanne.
  • Émanations de sa chasteté sur les plus libertins.
  • IV.
  • Maître François Garivel.
  • Confirmation des témoignages précédents.
  • La sainte, son zèle.
  • V.
  • Sire Guillaume de Ricarville.
  • Inspirée de Dieu.
  • VI.
  • Réginald Thierry.
  • Jeanne empêche le pillage de l’église de Saint-Pierre-le-Moûtier.
  • Inspirée.
  • VII.
  • Seguin.
  • À quel ordre appartient le témoin ?
  • Des brigands guettant Jeanne et son escorte cloués au sol.
  • Le tribunal de Poitiers.
  • La manière dont la Pucelle fut suscitée.
  • Les hommes d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire.
  • Les questions du docteur limousin.
  • Les quatre événements prédits par Jeanne réalisés.
  • Avis des docteurs.
  • Soin avec lequel Jeanne fut observée.
  • État désespéré.
  • Pourquoi Jeanne portait la bannière ?
  • Zèle de Jeanne pour extirper le blasphème.
  • La Hire.

I.
Maître Jean Barbin
Jeanne à Poitiers, son esprit de prière. — La Libératrice prédite par Marie d’Avignon. — Sainteté de Jeanne : ses sentiments sur les honneurs qu’on lui rendait. — Mission de Jeanne. — Remarques : Jean Rabateau : il n’habitait pas une hôtellerie ; l’esprit prophétique de Marie d’Avignon. — Jeanne prophétisée de diverses manières.

(Fos A LXXVI, B 114, U 183).

Maître Jean Barbin fut un des plus célèbres avocats de son temps. En 1432 il succédait comme avocat général dans les causes civiles à Juvénal des Ursins qui, archevêque de Reims, présidait la commission devant laquelle maître Barbin fit sa déposition à Paris, le 30 avril 1456. Il suffit d’ouvrir les registres du Parlement dans les dernières années de sa résidence à Poitiers, et ensuite dans sa réintégration à Paris, pour y trouver dans 142maintes pages les noms de maître Barbin et de maître Rabateau180. C’est donc un éminent homme de lois qui va rendre témoignage à la Vénérable.

Vénérable et docte personne, maître Jean Barbin, docteur ès lois, avocat du roi notre sire dans sa cour du Parlement. Âge : cinquante ans. Cité et venu devant les seigneurs susdits, il a prêté serment, a été examiné. Il a déclaré n’être en état de répondre que sur les quatre premiers articles181 ; il l’a fait en ces termes sous la foi de son serment :

J’étais à Poitiers lorsque Jeanne arriva vers le roi à Chinon. J’ouïs dire que de prime abord le roi ne voulut en faire aucun cas (noluit adhibere fidem) ; il exigea qu’elle fût avant tout examinée par les clercs : et, ainsi que je l’ai appris, il envoya au pays d’origine pour savoir d’où elle venait.

Jeanne fut dirigée, pour y être examinée, sur Poitiers où je me trouvais alors, et c’est là que je la connus pour la première fois. À son arrivée, elle fut reçue dans la maison de maître Jean Rabateau. Pendant qu’elle y demeurait, j’entendis la dame dudit Rabateau affirmer que chaque jour après le repas elle passait un long temps à genoux, et aussi la nuit. Souvent elle entrait dans une petite chapelle qui était dans la maison, et y demeurait beaucoup de temps en prières182. Elle fut visitée par de nombreux clercs, par maître Pierre de Versailles, professeur de sacrée théologie, à sa mort évêque de Meaux, par maître Guillaume Aymeric, lui aussi professeur de sacrée théologie, par d’autres gradués en théologie, qui l’interrogèrent tant qu’ils voulurent.

J’ai entendu, moi qui vous parle, ces mêmes docteurs dire qu’ils l’avaient sondée, et lui avaient fait de nombreuses questions, auxquelles elle répondait avec beaucoup de sagesse, comme l’aurait fait un bon clerc. Ils étaient émerveillés de ses réponses, et croyaient, vu sa vie et sa conduite, que c’était l’effet d’une assistance divine.

Les examens et les interrogatoires terminés, la conclusion finale des clercs fut qu’il n’y avait rien de mal en elle, rien de contraire à la foi catholique, et qu’attendu la nécessité du roi et du royaume, alors que le roi elles sujets de son obéissance, réduits au désespoir, n’avaient aucune espérance de secours sinon celui que Dieu pouvait leur envoyer, ils croyaient que le roi pouvait s’en aider.

143À ces délibérations assistait un professeur de théologie du nom de maître Jean Érault. Il raconta avoir autrefois entendu une certaine Marie d’Avignon qui était venue trouver le roi, et lui avait prédit que le royaume aurait beaucoup à souffrir et passerait par bien des calamités. Elle ajoutait avoir eu beaucoup de visions sur la désolation du royaume de France.

Dans une, entre autres, de nombreuses armures lui avaient été présentées. Effrayée, Marie craignait d’être contrainte de s’en revêtir. Il lui fut répondu de ne pas craindre ; que ces armes n’étaient pas pour elle, mais pour une Vierge qui viendrait après elle ; elle porterait ces armures et délivrerait le royaume de ses ennemis. Érault disait croire fermement que Jeanne était la Vierge dont parlait Marie d’Avignon.

Les hommes d’armes regardaient la Pucelle comme une sainte. Au milieu des armées, ses paroles et ses actes étaient si bien ordonnés selon Dieu, que personne ne pouvait rien trouver à y reprendre.

J’ai entendu maître Pierre de Versailles raconter qu’un jour il se trouvait à Loches en compagnie de Jeanne. Les gens venaient saisir les pieds de son cheval, et lui baisaient les pieds et les mains. Maître Pierre lui dit qu’elle faisait mal de souffrir pareilles manifestations qui ne lui étaient pas dues, qu’elle devait se tenir en garde, que par elle les gens se rendaient coupables du péché d’idolâtrie. Elle répondit : En vérité, si Dieu ne me gardait, je ne saurais pas me garder contre semblables témoignages183.

En un mot, à mon sens Jeanne était une bonne catholique, et tout ce qu’elle a fait vient de Dieu. Ce qui me fait parler ainsi, c’est que tout en elle était digne d’éloges, sa conversation, sa frugalité, sa tempérance, tous ses actes184. Jamais je n’entendis articuler sur son compte rien de suspect ; toujours je l’ai entendu réputer et maintenir pour femme vertueuse et catholique.

Observations. — Jean Barbin avait vingt-trois ans lorsqu’il vit Jeanne d’Arc à Poitiers ; il est vraisemblable qu’il faisait alors ses débuts au Parlement.

Il constate l’enquête ordonnée par Charles VII à Domrémy.

Une érudite brochure de M. Daniel Lacombe185 nous fait connaître Jean Rabateau. Né à Fontaine-le-Comte de 1370 à 1375, il était avocat général 144pour le criminel lorsqu’il eut l’honneur de recevoir Jeanne d’Arc dans sa maison. Ce n’était que le milieu d’une éclatante carrière. Membre du Grand Conseil, président de La Chambre des comptes, un des quatre présidents du Parlement, vice-chancelier, Rabateau fut un des plus importants magistrats de l’époque ; il mourut en 1451.

Maître Barbin nous dit que Jeanne reçut l’hospitalité in domo, dans la maison de maître Jean Rabateau. Les détails qu’il donne excluent l’idée d’hôtellerie au sens moderne du mot. Les hôtelleries n’ont pas d’oratoire ; il y en avait un chez maître Rabateau, dans lequel Jeanne aimait à se recueillir (multoties intrabat quamdam capellam ipsius domus). Il serait également inconvenant pour un avocat général de résider dans une hôtellerie, dans la ville où ses fonctions le fixaient d’une manière permanente. Comment y aurait-il trouvé le calme et la dignité réclamés par ses fonctions ? C’eût été encore plus inconvenant pour Jeanne. Elle qui fuyait les réunions et les conversations bruyantes (frequentiam et collocutionem multorum fastidit186), se serait trouvée exposée aux regards des curieux qui n’auraient pas manqué d’affluer, attirés par le désir de voir, ne fût-ce qu’un moment, la jeune fille qui recevait les visites de ce que Poitiers comptait de plus marquant, et s’attribuait si merveilleuse mission.

Ceux qui donnent au mot hôtel la signification d’hôtellerie ne remarquent pas que, dans la langue du moyen âge, il signifie indistinctement toute demeure habitée par l’homme. L’enseigne de La Rose n’est pas non plus une preuve. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’on a pensé à distinguer les maisons par des numéros187. Précédemment une ornementation, une peinture servait à les faire connaître. Il en est encore de même dans les bourgades et les petites villes, où les numéros ne sont pas adoptés. Il est vrai qu’en 1493, au rapport de Bouchot dans ses Annales d’Aquitaine (III, p. 294), Christophe Dupeyrat racontait

qu’en sa maison, il y avait une hôtellerie où pendait l’enseigne de la Rose, où ladite Jeanne était logée.

En 1495, plus de soixante ans s’étaient écoulés depuis que la Pucelle y était venue. Dès 1437, Rabateau est venu se fixer à Paris avec le Parlement ; il a dû vendre sa maison de Poitiers, qui a pu devenir une hôtellerie ; cela suffit pour expliquer les paroles de Dupeyrat, qui aura brouillé les choses.

Un point plus intéressant est celui de la prophétie de Marie d’Avignon, appelée encore Marie La Gasque, et Marie Robine. Le Songe du vieil Pèlerin composé au commencement du XVe siècle, un manuscrit de la Bibliothèque nationale (fonds français n° 22542), la dit très simple en Dieu, très dévote 145et catholique créature, que le bienheureux Pierre de Luxembourg aurait par révélation fait venir des parties de Gascogne. Le manuscrit latin 1467 (f° 52) dit qu’Essech, au diocèse d’Auch, était son lieu d’origine. Le jeune saint aurait voulu en faire un témoin particulier de sa puissance de thaumaturge puisque, arrivée parfaitement saine, son pied fut soudainement tordu avec grande douleur, et sa main, libre et se mouvant sans difficulté, fut instantanément fermée et serrée. La bénédiction du pseudo-Clément VII, qui avait fait du Bienheureux mort à dix-huit ans, un évêque et un cardinal, lui rendit publiquement l’usage du pied et de la main ; guérison dont les clémentins abusèrent singulièrement pour soutenir la légitimité de l’antipape, alors qu’à s’en tenir au présent récit dû à un clémentin forcené, il n’y a qu’à voir l’intervention miraculeuse du Bienheureux qui, après avoir appelé miraculeusement la pieuse fille auprès de son tombeau, voulait sans doute la marquer pour la vocation extraordinaire que Dieu lui assigna. Marie la Gasque est signalée par Scipion Dupleix dans son Histoire de France, par Bodot de Juilly dans l’Histoire de Charles VII, jusque par Rapin Thoiras dans son Histoire d’Angleterre, où il se montre assez ignorant ou assez impudent pour nous dire que Jeanne d’Arc ne nous est connue que par la Chronique de Monstrelet.

Quicherat dit que la Gasque annonça à Charles VI de grands malheurs, et le détourna de se soustraire à l’obédience du pseudo-Benoît XIII, conseil relativement bon, car cette soustraction ne devait avoir pour effet que de faire surgir un troisième contendant à la tiare. Ce dernier détail est tiré du manuscrit 5734 de la Bibliothèque nationale (fonds français). Adressé à Charles VII par un certain Dubois, le volume, que ce n’est pas le lieu d’apprécier, est écrit en 1438 ou 39. Or on y lit au folio 60 r°, comme prédit par la Gasque, ce qui devait se réaliser plus de vingt ans après, et échappait à toute prévision en 1439.

Si, comme roi et personne privée, Charles VII obéissait à Dieu, il devait avoir des prospérités sans pareilles, et depuis mille ans nul prince n’aurait été si glorieux ; mais, disait Dieu par la voyante,

s’il fait le contraire de ce que je lui demande, je ne lui aiderai, ni ne serai contre lui ; mais lui laisserai accomplir ses volontés par lesquelles lui-même se détruira en abrégeant ses jours et les trames de cette ville mortelle ; mais pour ce, ne perdra-t-il la vie perdurable ; mais il n’aura pas victoire sur les terriennes seigneuries.

La Pucelle aussi promettait, si le roi était fidèle à Dieu, un règne d’une incomparable prospérité. Charles VII fut loin, comme personne privée et comme roi, de faire ce que Dieu lui demandait ; il n’eut pas, en dehors de la France qu’il reconquit, agrandissement de territoire ; il 146accomplit ses propres volontés ; le châtiment fut bien celui qu’annonçait Marie d’Avignon ; il se créa de telles difficultés avec son fils qu’il détruisit ses propres jours, ne voulant plus ou même ne pouvant plus manger. Les sentiments de repentir, de piété, de confiance en Dieu qu’il témoigna sur son lit de mort, font espérer qu’il n’aura pas perdu la vie perdurable, c’est-à-dire celle de l’éternelle félicité. On aime à croire que le roi de la Pucelle, le défenseur du Pape légitime Nicolas V contre l’antipape Félix V, malgré l’introduction de la Pragmatique Sanction et le scandale de ses mœurs, n’aura pas été éternellement réprouvé.

II.
Simon Charles
Hésitations du roi. — Comment finies. — Premier entretien. — Poitiers. — Simplicité de Jeanne. — Jeanne à Saint-Benoît-sur-Loire. — Paroles sévères de Jeanne à de Gaucourt. — Jeanne devant Troyes. — Elle traîne le roi à Reims. — Suscitée par Dieu. — Elle est au-dessus des besoins de la nature. — Observations.

(Fos A LXXXI r°, B 121 r°, U 189 r°).

Simon Charles, président de la Cour des comptes, quand il faisait sa déposition, était, même avant l’arrivée de Jeanne, un des principaux conseillers de la couronne, dit M. de Beaucourt188. L’ambassade de Venise, d’où il nous dira revenir, n’était pas la première, et ne devait pas être la dernière. Il devait traiter les affaires les plus délicates, telles que les fiançailles d’une fille du roi avec le fils du duc d’Autriche ; et, ce qui est plus honorable encore, s’interposer au nom de son maître entre la schismatique assemblée de Bâle et le pape Eugène IV. Le rôle qu’il y remplit fut, d’après l’exposé de l’historien cité, des plus honorables189. Tel est l’éminent personnage qui fit la déposition que l’on va lire : elle fut entendue à Paris, le 7 mai 1456.

Homme noble et de savoir, sire Simon Charles, président de La Chambre des comptes du roi notre sire, soixante ans ou environ, a été cité, a comparu, prêté serment, et a été examiné l’année et le jour susdit. Interrogé de ce qu’il pourrait faire connaître sur les articles I, II, III, IV, il a ainsi répondu sous la foi de son serment :

Je ne suis en état de faire connaître que ce qui suit : L’année où Jeanne vint trouver le roi, j’avais été envoyé en ambassade à Venise ; je n’en revins que vers le mois de mars. À mon retour, j’appris de Jean de Metz qui l’avait amenée, qu’elle était auprès du roi. Je sais bien que lorsque Jeanne aborda à Chinon, on délibéra dans le conseil si le roi l’admettrait en sa présence, ou non. On lui demanda d’abord le motif de sa venue et l’objet de sa demande. Encore qu’elle ne voulût s’ouvrir qu’au roi, elle fut contrainte, de la part du roi lui-même, de dire 147la cause de son arrivée ; elle répondit que le roi du Ciel lui avait confié deux mandats, l’un de faire lever le siège d’Orléans, l’autre de conduire le roi à Reims pour qu’il y fut couronné et sacré190. À cet exposé, quelques-uns des conseillers disaient que le roi ne devait accorder aucune foi à cette fille ; d’autres soutenaient que puisqu’elle se donnait comme envoyée de Dieu, et prétendait avoir des confidences à faire au roi, le roi devait au moins l’entendre. Le roi toutefois voulut qu’avant tout elle fût examinée par des clercs et des personnages ecclésiastiques ; ce qui eut lieu.

Enfin, mais non pas sans grande difficulté, il fut décidé que le roi l’entendrait. Lorsqu’elle entra au château de Chinon pour l’audience royale, le roi, sur le conseil des grands de sa cour, hésitait encore s’il lui parlerait, jusqu’à ce qu’il lui fût dit que Robert de Baudricourt lui avait écrit qu’il lui envoyait une certaine femme ; et qu’on ajoutât qu’elle avait traversé les pays ennemis du roi, et que pour arriver jusqu’à lui, elle avait passé à gué plusieurs fleuves comme miraculeusement. C’est ce qui détermina le roi à l’entendre, et valut à Jeanne sa première audience191.

Quand le roi sut qu’elle approchait, il se mit par côté, en dehors des autres ; Jeanne cependant le reconnut, et s’entretint longtemps avec lui. On vit que l’entretien avait rendu le roi joyeux192.

Pourtant le roi, ne voulant rien faire sans le conseil des gens d’Église, envoya Jeanne à Poitiers, pour qu’elle y fût examinée par les clercs de l’université de cette ville. L’examen terminé, le roi, sur le rapport qui lui fut fait qu’on ne trouvait que du bien dans la jeune fille, lui fit faire des armes, lui donna des hommes de guerre ; et elle eut la conduite de la guerre193.

Jeanne était très simple dans toute sa conduite, excepté au fait de la guerre où elle se montrait très versée194.

J’ai entendu le roi lui adresser bien des bonnes paroles. C’était à 148Saint-Benoît-sur-Loire. Le roi lui témoignait sa compassion pour les fatigues qu’elle supportait et l’engageait à prendre du repos. Elle lui répondit, en versant des larmes, de ne concevoir aucun doute, qu’il recouvrerait tout son royaume, et serait prochainement couronné195.

Elle faisait de très vifs reproches aux hommes d’armes, quand elle les voyait s’écarter de leur devoir.

N’étant pas à Orléans, je ne puis rien dire que sur le rapport d’autrui de ce qui s’y passa. J’ai entendu le sire de Gaucourt raconter sur la délivrance le fait suivant. Les capitaines qui avaient la conduite des soldats du roi avaient conclu qu’il ne serait pas bon de tenter une attaque ou un assaut, le jour où fut emportée la bastille des Augustins (lire des Tourelles), et le sire de Gaucourt fut commis à la garde des portes pour empêcher qu’on ne sortît. Jeanne n’en fut pas contente ; bien plus, son sentiment fut que les troupes du roi devaient sortir avec les hommes de la ville, et aller assaillir ladite bastille ; ce fut aussi le sentiment de beaucoup d’hommes d’armes d’accord avec les Orléanais. Jeanne dit au même sire de Gaucourt qu’il était un méchant homme, ajoutant : Que vous le vouliez ou ne le vouliez pas, les hommes d’armes viendront, et seront victorieux, comme ils l’ont déjà été. Et contre le vouloir du sire de Gaucourt, les hommes d’armes sortirent avec les milices bourgeoises196 ; ils allèrent à l’assaut de la bastille des Augustins (Tourelles) et remportèrent de vive force et de haute lutte. J’ai entendu le sire de Gaucourt dire qu’il avait couru le plus grand danger.

Jeanne accompagnait le roi à Troyes, qu’il voulait traverser pour aller se faire couronner à Reims. Le roi étant devant cette ville, l’armée manquait totalement de vivres, au point qu’elle en était comme réduite au désespoir et sur le point de revenir sur ses pas. Jeanne dit alors au roi de n’avoir aucune crainte et que, dès le lendemain, il serait en possession de la ville. Elle prit aussitôt sa bannière ; beaucoup d’hommes à pied la suivaient ; elle leur ordonna de se mettre tous à faire des fascines pour combler les fossés. Ils en firent en très grand nombre. Le lendemain Jeanne cria : À l’assaut, et se mit en devoir de combler les fossés. À cette vue, les habitants de Troyes, par crainte de l’assaut, députèrent vers le roi pour entrer en composition avec lui. La composition se fit entre le roi et les bourgeois. Le roi entra dans Troyes en grande pompe, la Pucelle portant sa bannière à ses côtés.

Peu de temps après, le roi quitta Troyes avec son armée, et prit le chemin de Châlons d’abord, de Reims ensuite. Il craignait d’avoir résistance 149à Reims : Jeanne lui dit : Ne craignez pas, car les bourgeois de Reims viendront à votre rencontre, et elle l’assura qu’avant d’approcher de la ville, il aurait reçu leur soumission. Ce qui faisait redouter au roi la résistance des habitants de Reims, c’est qu’il manquait d’artillerie et de machines pour un siège, au cas de non-soumission. Jeanne répétait au roi d’avancer hardiment, de ne concevoir aucun doute, car s’il voulait virilement aller de l’avant, il entrerait en possession de tout son royaume197.

Je crois que Jeanne est venue de par Dieu ; car elle faisait les œuvres de Dieu, se confessant souvent, et recevant le sacrement d’Eucharistie quasi toutes les semaines.

J’ajoute que lorsqu’elle était armée et à cheval, elle n’en descendait jamais pour satisfaire aux nécessités de la nature ; toute l’armée admirait comment elle pouvait se tenir si longtemps à cheval198. Je ne sais pas autre chose.

Observations. — La déposition d’un personnage de si haute autorité que Simon Charles est remarquable à plusieurs points de vue.

Elle exclut, ce semble, toute entente préalable entre la cour et la Pucelle avant le départ de Vaucouleurs. Jeanne est arrivée sans être attendue, ni par le roi, ni par son entourage.

Le président de la Cour des comptes insinue discrètement ce que Cousinot, et presque tous les chroniqueurs, disent plus explicitement. La Libératrice a été contrariée par la jalousie des capitaines. Elle a trouvé son appui dans le peuple, et dans les hommes d’armes de l’armée royale, qui la suivaient malgré les capitaines. C’est patent dans le fait rapporté par Simon Charles. Le fait se passa, non pas le jour de la prise des Augustins, vendredi 6, mais le lendemain, le matin de la journée décisive de la prise des Tourelles. L’élan de la multitude finit par entraîner les chefs.

La reddition miraculeuse de Troyes, le rôle de la Pucelle dans cette soumission, que les historiens modernes dissimulent, reçoit et recevra encore une nouvelle confirmation.

Le caractère fluctuant de Charles VII se manifeste constamment. Il hésite pour donner une première audience à la jeune fille, et cela jusqu’au dernier moment ; il hésite à Saint-Benoît-sur-Loire, le lendemain 150de la victoire de Patay : il hésite après la reddition de Troyes et craint la résistance de Reims. La Vierge doit le traîner jusqu’à la basilique du sacre.

III.
Gobert Thibault
Quelques interrogateurs de Jeanne. — Ses paroles à Pierre de Versailles. — Récit des guides. — Sentiment de Machet, le confesseur du roi. — Le témoin confond plusieurs événements. — Piété de Jeanne. — Émanations de sa chasteté sur les plus libertins.

(Fos A LXXV v°, B 112 v°, U 182 r°).

Entendu à Paris.

Honorable prud’homme, Gobert Thibault, écuyer de l’écurie du roi de France, élu pour le fait des aides dans la ville de Blois, se dit âgé de cinquante ans, ou environ, a été cité et a comparu devant messeigneurs les juges susnommés, a prêté serment et a été interrogé le 5 avril.

À la demande de dire ce qu’il sait sur les quatre premiers articles, il a ainsi répondu sous la foi de son serment :

J’étais à Chinon, lorsque Jeanne arriva jusqu’au roi, alors dans cette ville. Je n’eus cependant pas alors grande connaissance de la nouvelle arrivée ; ce fut plus tard, lorsque le roi alla à Poitiers, que j’en eus plus ample connaissance. Jeanne y fut conduite à sa suite, et elle logea dans la maison de maître Jean Rabateau. Me trouvant alors moi-même à Poitiers, je sais qu’elle fut interrogée et examinée par feu maître Pierre de Versailles, professeur de sacrée théologie, alors abbé de Talmont, qui mourut évêque de Meaux, et par maître Jean Érault, professeur lui aussi de sacrée théologie. C’est avec eux que je vins, sur l’ordre de feu monseigneur l’évêque de Castres.

Jeanne, comme je l’ai dit, était logée dans la maison de Rabateau. C’est là que, en ma présence, Pierre de Versailles et Jean Érault l’entretinrent. Comme ils entraient, Jeanne fut à leur rencontre, et frappant sur mon épaule à moi qui vous parle, elle me dit qu’elle voudrait avoir plusieurs hommes animés de mon vouloir. De Versailles lui dit alors que c’était de la part du roi qu’ils venaient vers elle. Elle répondit : Je crois bien que vous êtes envoyés pour m’interroger, et elle ajouta : Je ne sais ni A ni B. Il lui fut alors demandé pourquoi elle venait : Je viens, répondit-elle, de la part du roi du Ciel pour faire lever le siège d’Orléans et conduire le roi à Reims pour son couronnement et son sacre. Elle leur demanda s’ils avaient du papier et de l’encre, et, s’adressait à maître Jean Érault : Écrivez ce que je vous dirai : Vous Suffort, Classidas et La Poule, je vous somme de par le roi des Cieux que vous en alliez en Angleterre199. Versailles et Érault cette fois ne firent 151pas autre chose dont j’aie mémoire. Jeanne demeura à Poitiers tout le temps qu’y resta le roi.

Jeanne affirmait encore que son conseil lui disait qu’elle aurait dû venir plus promptement vers le roi. J’ai vu ceux qui l’avaient amenée jusqu’à lui : Jean de Metz, Jean Coulon et Bertrand Pollichon (de Poulengy). J’étais avec eux en grande intimité et familiarité. J’étais présent un jour qu’ils racontaient à feu monseigneur de Castres, alors confesseur du roi, comment ils avaient traversé la Bourgogne et les pays occupés par les ennemis, sans la moindre difficulté ; ce qui les émerveillait beaucoup.

J’ai entendu feu le même confesseur du roi affirmer qu’il avait vu des écrits dans lesquels on annonçait qu’une Pucelle viendrait et porterait secours au roi. Je n’ai ni vu, ni su si la Pucelle a été autrement examinée que je viens de l’exposer ; mais j’ai entendu de la bouche dudit seigneur confesseur, et d’autres docteurs, que leur croyance était que Jeanne était divinement envoyée, qu’elle était celle dont parlait la prophétie, et que, vu sa manière de vivre, sa simplicité, sa conduite, le roi pouvait s’en aider ; car ils n’avaient pu trouver, ni apercevoir en elle rien que de bien, sans quoi que ce soit de contraire à la foi catholique.

Je ne fus pas présent à ce qui se passa à Orléans ; mais le bruit public était que tout s’était accompli par son moyen et comme miraculeusement. Le jour où le sire de Tallebot fut conduit à Beaugency, après avoir été pris à Patay, je vins à Beaugency. Jeanne alla avec l’armée, de Beaugency à Jargeau. La ville fut prise d’assaut et les Anglais mis en fuite. Jeanne retourna après cela à Tours où se trouvait le roi notre sire. De Tours, ils prirent leur route vers Reims pour le couronnement et le sacre200. Jeanne disait au roi et aux hommes d’armes d’avancer hardiment, que tout se passerait heureusement, qu’ils ne trouveraient personne pour leur faire mal, bien plus, qu’ils n’éprouveraient aucune résistance, ajoutant que, sans aucun doute, elle aurait assez de gens avec elle, et que beaucoup se rangeraient à sa suite.

Jeanne fixa comme lieu de rendez-vous général une ville entre Troyes et Auxerre201. Une multitude de combattants accoururent, tous fort désireux de la suivre. Le roi et ses hommes arrivèrent sans obstacle jusqu’à Reims ; le roi n’essuya aucun refus, les portes des villes et des cités s’ouvraient d’elles-mêmes devant lui.

J’affirme, sous la foi du serment, que Jeanne était bonne chrétienne. 152Elle aimait le saint sacrifice de la messe, auquel elle assistait tous les jours, et où elle communiait souvent ; elle se mettait en grande colère quand elle entendait jurer. C’était bon signe, disait monseigneur le confesseur du roi, qui s’enquérait avec sollicitude de ses faits et de sa vie.

À l’armée, elle était au milieu des guerriers. J’ai entendu plusieurs de ceux qui rapprochaient de plus près, dire qu’ils n’avaient jamais formé de désirs coupables à son endroit. Alors même qu’ils nourrissaient des désirs libidineux, jamais cependant leur pensée ne se porta sur elle ; ils pensaient qu’il était impossible d’en former à son endroit. Quand ils parlaient de sujets voluptueux et s’entretenaient de ce qui pouvait exciter au libertinage, sa vue, son approche faisaient expirer la parole sur leurs lèvres, bien plus, calmaient soudainement les sens émus202. J’ai interrogé plusieurs de ceux qui de nuit s’étaient trouvés dormir en sa société ; ils m’ont répondu ce que je viens de déposer, ajoutant que jamais ils n’avaient ressenti de désirs mauvais en la fixant. Je ne sais pas autre chose sur ces articles.

À remarquer dans cette déposition la part prise par Machet, le confesseur du roi, à l’admission de la Pucelle. Machet, ami de Gerson, était un des grands théologiens du temps.

IV.
Maître François Garivel
Confirmation des témoignages précédents. — La sainte, son zèle.

(Fos A LXVII, B 101, U 174).

Il fut entendu à Orléans, le 7 mars. Le procès énumère ainsi ses titres : Noble homme, maître François Garivel, conseiller général du roi notre sire au fait de la justice sur les aides ; quarante ans ou environ. Il déposa ainsi :

Je me rappelle que peu de temps après son arrivée. Jeanne fut envoyée par le roi à Poitiers où elle logea dans la maison de feu maître Jean Rabateau, alors avocat du roi au Parlement. À Poitiers, par commandement du roi, furent envoyés vers elle de solennels docteurs et maîtres, messire Pierre de Versailles, alors abbé de Talmont, dans la suite évêque de Meaux ; Jean Lambert, Guillaume Aimeri de l’ordre des Frères-prêcheurs ; Pierre Seguin, de l’ordre des Carmes ; tous docteurs en science sacrée ; Mathieu Mesnage, Guillaume Le Marié, bacheliers en théologie203, plusieurs autres conseillers du roi, licenciés dans l’un et 153l’autre droit. Souvent et à plusieurs reprises différentes, durant trois semaines, ils examinèrent ladite Jeanne, la visitant, pesant ses paroles et ses actes. Après avoir considéré sa personne et ses réponses, ils finirent par dire que la Pucelle était une fille simple, qui à toutes les questions répondait sans se démentir, qu’elle était envoyée par le Dieu du Ciel pour le bien du noble Dauphin, le rétablir dans son royaume204, faire lever le siège d’Orléans, et conduire le roi à Reims l’y faire sacrer ; mais qu’elle devait auparavant faire sommation, et écrire aux Anglais d’avoir à se retirer, que telle était la volonté de Dieu.

Sur la question qui lui en a été adressée, le témoin a déposé encore : On demandait à Jeanne pourquoi elle appelait le roi du nom de Dauphin, et ne l’appelait pas roi. Elle répondait qu’elle ne l’appellerait roi que lorsqu’il aurait été couronné et sacré à Reims205, où elle entendait le conduire.

Les clercs dirent encore à Jeanne qu’elle devait montrer un signe établissant qu’elle était réellement envoyée par Dieu : elle répondit que le signe donné par Dieu était la levée du siège d’Orléans, qu’elle n’avait aucun doute qu’il ne fût levé, pourvu que le roi consentît à lui donner une compagnie d’hommes d’armes, pour petite qu’elle fût206.

C’était, dit le déposant, une bergerette simple, aimant souverainement Dieu, comme le prouvent ses fréquentes confessions et ses fréquentes communions.

Enfin, après l’avoir durant longtemps soumise à de longs examens, les clercs des diverses Facultés, délibération faite, conclurent tous qu’il était permis au roi de l’accepter, et de lui donner à conduire une compagnie d’hommes d’armes devant Orléans assiégé ; car ils n’avaient trouvé en elle rien que de catholique et de conforme à toute raison207. Je ne sais pas autre chose.

V.
Sire Guillaume de Ricarville
Item. — Inspirée de Dieu.

(Fos A LXVII v°, U 174 v°).

Entendu à Orléans, Guillaume de Ricarville, dit Quicherat, était panetier à la cour du temps de Jeanne d’Arc ; il jouit constamment de la 154faveur de Charles VII, sans s’aliéner celle de Louis XI qui lui servait pension. Le procès nous le fait ainsi connaître :

Le 8 mars, noble homme Guillaume de Ricarville, seigneur temporel de Ricarville, maître de la maison du roi, soixante ans ou environ, a été cité comme témoin, a prêté serment et a été interrogé en présence de vénérables et discrètes personnes, Guillaume Bouillé, professeur de sacrée théologie, et de Jean du Mesnil, docteur ès lois et official de Beauvais. Voici sa déposition :

J’étais dans Orléans assiégé par les Anglais, lorsque, au seigneur Dunois et à plusieurs autres capitaines, parvint la nouvelle que par Gien était passée une bergerette, du nom de la Pucelle, conduite par deux ou trois nobles de Lorraine, son pays d’origine. Cette Pucelle disait venir pour lever le siège d’Orléans, et conduire ensuite le roi à Reims pour y être sacré, ainsi que cela lui était commandé de par Dieu. Nonobstant ces promesses, elle ne fut pas admise auprès du roi à la légère ; le roi voulut que l’on commençât par l’examiner, et s’informer de sa vie et de sa condition208, et savoir s’il pouvait licitement l’admettre. Sur l’ordre du roi, cette Pucelle fut soumise à l’examen de nombreux prélats, docteurs et clercs. Ils trouvèrent qu’elle était de bonne vie, de condition honnête209, en possession de bon renom, et qu’en elle rien n’avait été découvert qui fut un motif de la rejeter.

Le témoin, interrogé sur la vie de la Pucelle parmi les guerriers, a répondu : C’était une fort belle vie210 ; très sobre dans le boire et le manger, chaste, dévote, elle entendait la messe chaque jour, se confessait très souvent211, elle recevait l’Eucharistie chaque semaine avec une fervente dévotion.

Elle tançait les hommes d’armes quand ils blasphémaient le nom de Dieu, ou le juraient en vain ; elle les reprenait quand ils faisaient quelque mal, ou commettaient des violences.

Pour moi, j’affirme n’avoir jamais vu en elle rien qui fût blâmable. Je crois au contraire, en considérant sa vie et ses exploits, qu’elle fut inspirée de Dieu212. Je ne sais pas autre chose.

VI.
Réginald Thierry
Item. — Jeanne empêche le pillage de l’église de Saint-Pierre-le-Moûtier. — Inspirée.

La même année et le même jour que le précédent, maître Réginald Thierry, doyen de la collégiale de Mehun-sur-Yèvre, chirurgien du roi, âgé de soixante-quatre ans ou environ, a été 155produit comme témoin, il a prêté serment, et aux questions qui lui ont été posées, il a répondu ainsi qu’il suit :

J’ai vu Jeanne auprès du roi à Chinon : j’ai entendu ce qu’elle disait, qu’elle était envoyée auprès du gentil Dauphin pour lever le siège d’Orléans, et conduire le roi à Reims, y recevoir son sacre et sa couronne.

Sur l’accueil que lui fit le roi, sur sa vie, sa conversation, sa dévotion, sa piété, je n’ai qu’à confirmer ce qu’a dit le précédent témoin. J’ajoute ceci pour l’avoir vu de mes yeux : quand la ville de Saint-Pierre-le-Moûtier fut prise d’assaut, les gens de guerre se disposèrent à commettre des violences dans l’église, à enlever les objets sacrés et les autres biens qui y avaient été déposés. Jeanne s’y opposa avec fermeté, le défendit, sans souffrir que rien en fût enlevé.

Pour moi, quand je considère la vie vertueuse de cette Pucelle, sa louable conversation, ses exploits, ses paroles, la réalisation des faits qu’elle annonçait avant leur accomplissement, et qui arrivaient tels qu’elle les avait prédits, je crois qu’elle était envoyée par Dieu. Je ne sais pas autre chose.

VII.
Seguin
À quel ordre appartient le témoin ? — Des brigands guettant Jeanne et son escorte cloués au sol. — Le tribunal de Poitiers. — La manière dont la Pucelle fut suscitée. — Les hommes d’armes batailleront, et Dieu donnera la victoire. — Les questions du docteur limousin. — Les quatre événements prédits par Jeanne réalisés. — Avis des docteurs. — Soin avec lequel Jeanne fut observée. — État désespéré. — Pourquoi Jeanne portait la bannière ? — Zèle de Jeanne pour extirper le blasphème. — La Hire.

(Fos A LXXXIIII, B 140, U 200).

Voici le seul examinateur de Poitiers que l’on rencontre parmi les témoins entendus à la réhabilitation. Il comparut à Rouen sur la citation des délégués apostoliques. Septuagénaire, ce fut pour le vénérable doyen un long voyage que de se rendre de Poitiers à Rouen. Sa déposition est la dernière de celles entendues au cours de l’immense enquête.

Seguin était-il de l’ordre des Frères-prêcheurs ? C’est positivement affirmé en tête de la déposition que l’on va lire ; mais maître Garivel vient de nous dire qu’il était carme ; c’est aussi ce qui est consigné dans la Chronique de la Pucelle, et M. Fournier, dans les Actes et statuts de l’Université de Poitiers, parle à plusieurs reprises d’un carme du nom de Seguin, tandis que l’on y cherche inutilement à cette époque un frère prêcheur du nom de Seguin. Cette observation faite, voici sa déposition qui est indépendante de l’ordre religieux auquel il appartient.

Frère Seguin, fils de Seguin, professeur de sacrée théologie, de l’ordre des Frères-prêcheurs, doyen de la Faculté de théologie de Poitiers, âgé de soixante et dix ans environ. Le 14 mai, cité d’office par messeigneurs les juges, pour plus ample information de leur part, il a prêté serment ; et interrogé sur les quatre premiers articles, spécialement sur la connaissance 156personnelle qu’il a eue de Jeanne, il a déposé ainsi qu’il suit sous la foi de son serment :

Avant d’avoir connu Jeanne de vue, j’avais entendu maître Pierre de Versailles, professeur de sacrée théologie, mort depuis évêque de Meaux, raconter qu’il tenait de certains hommes d’armes que lorsque Jeanne venait vers le roi, ils s’étaient postés sur sa route et s’étaient mis en embuscade dans l’intention de la prendre et de la dévaliser, elle et tous ceux qui l’accompagnaient ; mais au moment de l’exécution, ils avaient été dans l’impuissance de se mouvoir du lieu où ils étaient postés, et Jeanne et sa suite avaient ainsi continué leur route sans empêchement.

C’est à Poitiers que je la vis pour la première fois. Le conseil du roi était réuni dans la maison d’une dame nommée La Macée à Poitiers : parmi les conseillers se trouvait le seigneur archevêque de Reims, pour lors chancelier de France. J’y fus mandé, moi qui vous parle, ainsi que les maîtres Jean Lombard, professeur de sacrée théologie dans l’Université de Paris, Guillaume Le Marié, chanoine de Poitiers, bachelier en théologie, Guillaume Aymeric, professeur de sacrée théologie, de l’ordre des Frères-prêcheurs, frère Pierre Turelure, maître Jacques Maledon, et plusieurs autres dont je ne me rappelle pas les noms. Il nous fut dit que nous étions mandés de la part du roi pour interroger Jeanne, et faire un rapport au conseil royal sur ce qu’il nous semblait de la jeune fille.

Nous fûmes, à l’effet de l’examiner, adressés à la maison de Jean Rabateau, à Poitiers, où elle était logée. Nous y étant rendus, nous fîmes plus d’une question à Jeanne. Entre autres, maître Jean Lombard lui demanda pourquoi elle était venue, le roi étant très désireux de savoir le motif qui l’avait conduite jusqu’à lui. Elle répondit, avec un ton plein de grandeur (respondit magno modo), qu’étant à la garde du bétail, une voix lui était apparue, lui disant que Dieu avait grande pitié du peuple de France, et qu’il fallait qu’elle, Jeanne, vînt en France. À cette communication elle s’était mise à pleurer ; et la voix lui dit alors d’aller à Vaucouleurs, qu’elle y trouverait un capitaine qui la conduirait en France sûrement, et l’amènerait jusqu’au roi ; de ne pas hésiter. C’était ce qu’elle avait fait ; et elle était venue jusqu’au roi sans obstacle.

Maître Guillaume Aymeric lui fit cette difficulté : Tu nous dis d’après ta voix que Dieu veut délivrer le peuple de France de ses calamités. S’il veut le délivrer, il n’a pas besoin d’hommes d’armes. Elle répondit : En nom Dieu, les gens d’armes batailleront et Dieu donnera la victoire. Réponse dont maître Guillaume fut content.

Je lui demandai quelle langue parlait sa voix. Une langue meilleure 157que la vôtre, me répondit-elle. Je parle limousin. Je lui demandai encore si elle croyait en Dieu ? Oui certes, repartit-elle, et mieux que vous. Je lui dis alors que Dieu ne voulait pas qu’on ajoutât foi à sa parole, si elle ne donnait pas d’autre preuve qu’elle méritait créance, et que nous ne conseillerions pas au roi sur son simple dire de lui confier des hommes d’armes et de les mettre en péril. Elle répondit : En nom Dieu, je ne suis pas venue à Poitiers pour faire signes ; mais conduisez-moi à Orléans et je vous montrerai les signes pour lesquels je suis envoyée. Elle demanda qu’on lui donnât des gens, le nombre qu’il semblerait, et qu’elle irait à Orléans.

Je l’ai entendue me dire et dire à l’assistance quatre choses alors à venir, et réalisées dans la suite : que les Anglais seraient anéantis, que le siège alors devant Orléans serait levé, et que la ville serait délivrée de la présence des Anglais, après toutefois qu’elle leur aurait fait une sommation préalable. Elle a dit secondement que le roi serait sacré à Reims, troisièmement que la ville de Paris rentrerait dans l’obéissance du roi, et que le duc d’Orléans reviendrait d’Angleterre. Toutes choses dont j’ai vu l’accomplissement213.

Rapport de tout fut fait au conseil du roi, et nous fûmes d’avis qu’attendu l’imminence du besoin et du péril dans lequel se trouvait Orléans, le roi pouvait s’aider de la jeune fille et l’envoyer à Orléans.

Moi qui vous parle et les autres commissaires, nous nous enquîmes de sa vie et de ses mœurs, et nous constatâmes qu’elle était bonne chrétienne, vivant en bonne catholique, et qu’on ne la surprenait jamais oisive214. Pour plus sûre information de sa conduite, on mit autour d’elle des femmes qui faisaient part au conseil de ses actes et de ses façons d’agir.

Je crois que Jeanne a été envoyée de par Dieu, vu que le roi et ceux de son parti avaient perdu tout espoir ; bien plus, tous pensaient à se retirer215. Je me rappelle bien qu’il fut demandé à Jeanne pourquoi elle portait une bannière ; elle ne voulait pas, dit-elle, user de son épée, ni donner la mort à personne216.

J’ajoute que Jeanne se courrouçait très fort quand elle entendait jurer 158en vain le nom de Dieu ; elle avait en horreur ces sortes de jureurs. Elle disait à La Hire, qui avait l’habitude de jurer beaucoup et de renier Dieu, de ne plus jurer désormais, et, quand il serait tenté de renier Dieu, de renier son bâton ; et dans la suite, La Hire, quand il était en présence de Jeanne, reniait son bâton. Je ne sais pas autre chose.

Remarque. — Le vénérable doyen fait connaître ici bien clairement quatre choses annoncées par Jeanne d’Arc, tandis que les témoins précédents se bornent à dire qu’elle devait délivrer Orléans, et faire sacrer le roi à Reims. Aucun pourtant n’a dit que là se bornait sa mission. Quant à Seguin, il se contente de dire qu’elle avait fait ces quatre grandes prophéties. Il ne dit pas si la Vénérable affirmait qu’elles seraient accomplies par elle ; mais en mettant sur le même rang l’expulsion totale des Anglais, le retour du duc d’Orléans, que la délivrance de la capitale de son duché et le sacre du roi, qu’elle a certainement accomplis, il donne à entendre qu’elle disait aussi devoir les réaliser. Il est assez vraisemblable que, pour éviter des difficultés, il aura consenti à ce qu’on ne mentionnât que la prophétie.

159Chapitre II
La Vierge-Guerrière à Orléans et à Bourges

  • I.
  • Simon Beaucroix.
  • Jean d’Aulon : la Vénérable ordonne à ses gens de se mettre en bon état de conscience.
  • Lieu et manière dont les vivres sont mis en barque sur la Loire.
  • Jeanne contrariée du retour à Blois.
  • Danger couru lors de la prise des Augustins.
  • La prise des Tourelles.
  • Jeanne défend d’inquiéter le départ des Anglais.
  • Retour à Blois, à Tours et à Loches.
  • Amour et zèle de Jeanne pour les sacrements.
  • Les précautions de sa pudeur.
  • Son horreur du blasphème, des déprédations, du libertinage.
  • Peinée des honneurs qu’on lui rend.
  • V.
  • Marguerite de La Touroulde, veuve du trésorier Régnier de Bouligny Le Trésor à sec lors de l’arrivée de Jeanne.
  • Divinement envoyée.
  • Jeanne à Bourges chez le témoin.
  • Rien de suspect.
  • Pratique très fréquente de la confession.
  • Amour des longs offices.
  • Nullement assurée de ne pas mourir dans la bataille.
  • Ses réponses aux clercs.
  • Ascendant sur ses guides.
  • Ses reproches au duc de Lorraine.
  • Sa simplicité, son humilité.
  • Ses aumônes.
  • Disait être venue pour les opprimés.
  • Sa virginité.
  • Militaire accompli.

Ce sont les Orléanais et les Orléanaises qui vont parler dans ce chapitre : vingt-quatre bourgeois, six ecclésiastiques, neuf bourgeoises vont nous dire ce que fut la Vénérable durant les jours qu’elle passa dans leur ville. C’est la fleur de la cité. La Vierge-Guerrière y a laissé un tel parfum de sainteté, qu’on l’y respire encore, après bientôt cinq siècles. À Orléans, tout est à la Pucelle. Est-ce pour cela que le nom de la ville a été ajouté à celui de la Libératrice ? On aimerait à ratifier cette addition, si elle diminuait moins la signification radieuse de ce mot : La Pucelle ; nom qu’il faut garder tel qu’il est venu du Ciel, tel qu’aimait à le porter la Vénérable, tel que le lui donna son siècle, qui la connut sous le nom de la Pucelle, et n’ajouta jamais : d’Orléans.

La déposition de Simon Beaucroix vient en tête, parce qu’elle porte surtout sur Jeanne à Orléans.

Il n’y a qu’un témoin pour les semaines passées à Bourges ; mais la déposition est exquise. C’est celle de demoiselle Marguerite de La Touroulde, dame de Bouligny. Elle clora ce chapitre.

160I.
Simon Beaucroix
Jean d’Aulon : la Vénérable ordonne à ses gens de se mettre en bon état de conscience. — Lieu et manière dont les vivres sont mis en barque sur la Loire. — Jeanne contrariée du retour à Blois. — Danger couru lors de la prise des Augustins. — La prise des Tourelles. — Jeanne défend d’inquiéter le départ des Anglais. — Retour à Blois, à Tours et à Loches. — Amour et zèle de Jeanne pour les sacrements. — Les précautions de sa pudeur. — Son horreur du blasphème, des déprédations, du libertinage. — Peinée des honneurs qu’on lui rend.

(Fos A LXXVII r°, B 113 r°, U 183 v°).

C’est à Paris, le 20 avril 1456, que fut entendu Simon Beaucroix, que le procès fait ainsi connaître :

Homme noble, Simon Beaucroix, écuyer, clerc marié, domicilié à Paris, à l’Hôtel Neuf. Il a comparu devant les seigneurs sus-nommés, l’archevêque de Reims et l’évêque de Paris, devant frère Thomas Vérel, des Frères-prêcheurs, professeur de sacrée théologie, délégué pour ce en qualité de sous-inquisiteur, par frère Jean Bréhal. Le témoin a cinquante ans environ ; admis, après serment prêté, il a été examiné, et sous la foi de son serment, il a répondu aux interrogations ainsi qu’il suit :

J’étais dans la ville de Chinon avec sire Jean d’Aulon, chevalier, sénéchal de Beaucaire217, lorsque Jeanne vint vers le roi alors dans cette ville. Après s’être entretenue avec le prince et les membres du conseil, elle fut confiée à la garde de d’Aulon, dont je viens de parler.

De Chinon218, Jeanne vint en compagnie de d’Aulon jusqu’à Blois, et de Blois jusqu’à Orléans, à travers la Sologne.

161J’ai bon souvenir que Jeanne ordonna à tous les guerriers de se confesser et de se mettre en bon état, les assurant que Dieu les aiderait, et qu’avec l’aide de Dieu, ils remporteraient la victoire, s’ils étaient en bon état.

L’intention de Jeanne était alors que les hommes d’armes allassent directement sur le fort ou la bastille Saint-Jean-le-Blanc, ce qu’ils ne firent pas ; mais ils allèrent en un lieu entre Orléans et Jargeau. C’est là que les bourgeois d’Orléans envoyèrent des bateaux pour recevoir les vivres et les introduire dans la ville ; et c’est là, qu’en effet, ils furent chargés, et de là qu’ils furent introduits.

Les hommes d’armes ne pouvant pas passer le fleuve, on émit l’avis qu’il fallait revenir sur ses pas, jusqu’à Blois, parce qu’il n’y avait pas de pont plus rapproché dans les pays obéissant au roi219. Jeanne en conçut une très grande peine, dans la crainte qu’ils ne voulussent la quitter et laisser l’œuvre incomplète. Elle ne voulut pas rétrograder elle-même jusqu’à Blois ; mais avec deux-cents lances environ, elle passa en bateaux d’une rive à l’autre, et tous entrèrent à Orléans par terre.

Le maréchal sire de Boussac marcha toute la nuit pour aller chercher, à Blois, l’armée du roi. Je me rappelle bien qu’un peu avant l’arrivée du maréchal à Orléans, Jeanne disait à sire Jean d’Aulon que le maréchal arrivait, et qu’elle savait bien qu’il n’aurait aucun mal.

Jeanne était dans son hôtel, lorsque soudainement inspirée, ainsi que je le pense, elle s’écria tout à coup : En nom Dieu, nos gens ont beaucoup à faire, et elle envoya chercher son cheval, s’arma, et courut vers le fort, ou bastille Saint-Loup, où les gens du roi avaient dirigé une attaque contre les Anglais. Et après que Jeanne se fut rangée parmi les assaillants, le fort fut pris.

Le lendemain220, les Français, à la suite de Jeanne, allèrent à l’attaque d’un fort du nom de Saint-Jean-le-Blanc et s’approchèrent d’une certaine île221. Les Anglais, en les voyant traverser la rivière, abandonnèrent la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, et se retirèrent dans un autre fort, près des Augustins. Je vis en ce lieu l’armée du roi en très grand péril.

Jeanne disait : Avançons hardiment au nom du Seigneur, et ceux qui étaient ainsi exposés arrivèrent jusqu’aux Anglais, qui avaient (de ce côté) trois bastilles ou forts. Et incontinent, sans trop de difficulté, la 162bastille des Augustins fut enlevée. À la suite, les capitaines conclurent que Jeanne rentrerait dans la ville ; ce qu’elle ne voulait pas faire, s’écriant : Faut-il donc abandonner nos gens222 ?

Le lendemain, l’on en vint à l’attaque du boulevard établi au bout du pont ; il était très fort et comme inexpugnable. Les gens du roi eurent là beaucoup à faire ; l’attaque dura tout le jour jusqu’à la nuit ; j’ai vu messire le sénéchal de Beaucaire faire rompre le pont avec une bombarde. Le soir était arrivé et l’on désespérait presque d’emporter la forteresse, lorsqu’il fut dit d’apporter la bannière de Jeanne ; elle fut apportée ; et l’on commença l’assaut, et immédiatement les gens du roi à la suite de ladite bannière entrèrent dans le fort sans grande difficulté. Les Anglais se mirent à fuir ; mais arrivés au bout du pont, le pont rompit, et beaucoup furent noyés.

Le jour suivant, les gens du roi sortirent pour mettre les Anglais en déroute. Ceux-ci, à cette vue, s’enfuirent ; Jeanne, les voyant tourner ainsi le dos, et les Français les poursuivre, dit aux Français : Laissez les Anglais s’en aller, ne les tuez pas ; qu’ils s’en aillent, leur éloignement me suffit.

Le même jour, les soldats du roi sortirent d’Orléans et revinrent à Blois, où ils entrèrent le jour même. Jeanne demeura deux ou trois jours à Blois ; et elle vint ensuite à Tours et à Loches. C’est là que les gens du roi se préparèrent à aller attaquer Jargeau. Ils y vinrent, en effet, et l’emportèrent d’assaut. Je ne sais pas les autres choses accomplies par Jeanne.

Ce que je sais bien, c’est que Jeanne était bonne catholique, craignant Dieu. Elle se confessait très souvent, de deux jours en deux jours223 ; chaque semaine elle recevait le sacrement de l’Eucharistie, il n’y avait pas de jour qu’elle n’entendit la messe ; elle exhortait les hommes de l’armée à bien vivre et à se confesser souvent. Je me souviens bien que tout le temps que je vécus en sa compagnie, je n’eus jamais volonté de mal faire.

Jeanne couchait toujours avec des filles jeunes, et ne voulait pas coucher avec des femmes âgées. Elle avait en horreur les blasphèmes et les jurements, et elle tançait les jureurs et les blasphémateurs.

Dans l’armée, elle n’aurait jamais voulu que quelqu’un de sa compagnie se rendit coupable de déprédation, ne voulant jamais manger de ce qu’elle savait être le fruit de la rapine. Un Écossais lui ayant un jour donné à comprendre qu’elle avait mangé d’un veau dérobé, elle 163en fut très courroucée et se mit en devoir de frapper pour cela ledit Écossais224.

Elle ne souffrait pas que des femmes de mauvaise vie chevauchassent dans l’armée avec les guerriers ; aucune n’eût osé y rester en sa présence ; venait-elle à en rencontrer, elle les forçait de s’éloigner, à moins que les hommes d’armes ne consentissent à les épouser.

En un mot, je crois qu’elle était une vraie catholique, craignant Dieu, gardant ses commandements, obéissant dans la mesure du possible aux préceptes de l’Église.

Elle était compatissante, non seulement envers les Français, mais aussi envers les ennemis225.

Je sais pertinemment ces choses, parce que j’ai longtemps vécu dans sa compagnie et que souvent je l’aidais à s’armer.

Jeanne se plaignait et souffrait beaucoup, parce que de bonnes femmes venaient vers elle, et lui faisaient des saluts qui semblaient de l’adoration ; ce dont elle se fâchait fort226. Je ne sais pas autre chose.

II.
Vingt-quatre bourgeois d’Orléans
Jean Luillier. — Réception de Jeanne à Orléans. — Elle exhorte à la confiance. — Effet de sa sommation aux Anglais. — Péripéties de l’attaque des Tourelles. — Jeanne et le départ des Anglais. — Universelle persuasion que le salut d’Orléans est dû à la Pucelle. — Confirmation de la déposition précédente par vingt et un autres témoins. — Addition de quelques particularités sur les hérauts envoyés par Jeanne aux Anglais. — Sa visite à la cathédrale à son entrée. — Conviction du très savant docteur Jean de Mâcon que Jeanne était envoyée par Dieu et une sainte. — Jeanne retient les Orléanais résolus de poursuivre les Anglais dans leur retraite. — Messe en plein air. — Accord unanime sur l’humilité de la Vénérable. — Fuyait les témoignages de vénération.
Aignan Viole. — Jeanne surnaturellement avertie lors de l’assaut contre Saint-Loup. — Prophétise qu’après la prise des Tourelles elle reviendrait par le pont. — Le matin du dimanche 8 mai. — Sa supériorité dans l’art de la guerre. — Admirée des capitaines. — Sa sainteté. — Remplie de la vertu divine.
Pierre Millet. — Portrait de Jeanne dans la maison de Jacques Boucher. — Avertie surnaturellement lors de l’assaut contre Saint-Loup. — Défend de rien prendre dans l’église. — Fait la guerre aux blasphémateurs et aux femmes de mauvaise vie.

(Fos A LXVIII r°-IX r°, B 101 v°-103, U 175 r°-176).

C’est l’élite des bourgeois d’Orléans qui vont déposer en faveur de la Vénérable.

Il suffit d’ouvrir l’inventaire des archives d’Orléans pour trouver leurs noms durant cette période, parmi les douze procureurs, renouvelables tous les deux ans, qui administraient les affaires de la ville227. Le personnage plus important du conseil était celui qui, sous le nom de receveur, encaissait les revenus Je la ville et payait les dépenses. En 1429, cette charge était dévolue à Jean Hilaire, qui en fut investi à plusieurs reprises. Grand nombre de ceux dont les noms vont être cités occupèrent à leur tour cette première magistrature urbaine. Tel Jean Luillier, un beau-frère de Jacques Boucher, trésorier du duc d’Orléans.

Ils sont si unanimes dans leurs dépositions que le greffier se contente 164souvent d’écrire que leurs dépositions sont identiques à celle qu’il vient de relater.

1.
Jean Luillier

L’année susdite (1456), le 16 mars, en présence de vénérables personnes, maîtres Guillaume Bouillé, doyen de Noyon, et Jean Martin, vicaire de l’Inquisiteur, les deux derniers de l’ordre des Frères-prêcheurs, et professeurs de sacrée théologie, et aussi de Jean Cadier, bachelier ès lois, a comparu Jean Luillier, l’aîné, bourgeois d’Orléans, âgé de cinquante-six ans environ.

Interrogé sur l’arrivée de Jeanne à Orléans, il a répondu : Son arrivée était ardemment désirée par tous les habitants de la ville ; car le bruit public était qu’elle s’était présentée au roi comme envoyée par Dieu pour faire lever le siège qui nous étreignait. Les assiégeants nous avaient tous réduits à une telle extrémité, que nous ne savions à qui avoir recours pour trouver remède. Dieu seul nous restait228. — Étiez-vous dans la ville quand Jeanne y entra ? — Oui, j’y étais. Tous, hommes et femmes, grands et petits la reçurent avec des transports de joie, tels que si elle avait été un Ange de Dieu ; c’est que tous espéraient que, par son moyen, nous serions délivrés de nos ennemis, ainsi que nous le fûmes en réalité. — Que fit-elle après son entrée dans la cité ? — Elle exhortait tout le monde à espérer dans le Seigneur, disant : que si on avait bonne espérance et bonne confiance en Dieu, l’on serait tiré des mains des ennemis229.

Elle voulut faire une sommation aux assiégeants, avant de permettre qu’on les attaquât pour les repousser. C’est ce qui fut fait. Elle leur fit cette sommation par une lettre contenant en substance qu’ils eussent à lever le siège, et à rentrer dans leur pays d’Angleterre ; sans quoi, ils y seraient contraints de vive force et par les armes. Dès ce moment, les Anglais furent terrifiés ; ils n’eurent plus la même force de résistance que précédemment, si bien qu’une poignée d’assiégés suffisait pour tenir tête à une foule d’assiégeants : ils pressaient quelquefois les Anglais au point que ceux-ci n’osaient pas sortir de leurs bastilles230. — Parlez-nous de la levée du siège ? — Au mois de mai, le 27 (le 7), en l’année 1429. — il m’en souvient bien. — l’attaque fut dirigée contre les ennemis qui étaient établis sur le boulevard du pont. Dans l’attaque Jeanne fut blessée d’une flèche. L’attaque dura depuis le matin jusqu’au 165soir, si bien que les Orléanais voulaient rentrer dans la ville. La Pucelle accourut, leur ordonnant de ne pas s’éloigner et de ne pas rentrer encore. L’ordre donné, elle prit son étendard en mains, et le posa sur le bord du fossé. À l’instant, pendant qu’elle était ainsi en leur présence, les Anglais frémirent et furent saisis de frayeur. Les troupes royales reprirent courage, et commencèrent à donner l’assaut en grimpant sur le boulevard ; ils ne trouvèrent aucune résistance ; dès lors, le boulevard fut conquis ; les Anglais qui s’y trouvaient prirent la fuite et tous périrent. Glacidas et les autres principaux capitaines anglais, croyant se retirer dans la tour du pont, tombèrent dans le fleuve et s’y noyèrent. La bastille prise, les gens du roi rentrèrent dans Orléans. — Pourriez-vous nous dire ce qui advint ensuite ? — Le jour suivant, le lendemain, de très bon matin, les Anglais sortirent de leurs retranchements, se rangèrent en ordre de bataille, et, à ce qu’il semblait, comme pour en venir aux mains. La Pucelle avertie se leva de son lit et s’arma ; mais elle ne voulut pas qu’on les attaquât, ni qu’on leur fit aucune demande ; elle ordonna qu’on leur permit de se retirer ; et de fait, ils se retirèrent sans être aucunement poursuivis. Dès ce moment, la ville fut délivrée. — Le siège fut-il levé et la ville délivrée par le ministère ou le moyen de la Pucelle plus que par la puissance des hommes d’armes ? — Ma persuasion et celle de tous les habitants de la ville, c’est que si la Pucelle n’eut pas été envoyée par Dieu à notre secours, la ville et ses habitants allaient être prochainement contraints de subir la domination des ennemis. Ni les habitants, ni les hommes d’armes qui étaient dans ses murs, ne pouvaient tenir longtemps contre leur puissance, tant ils avaient de supériorité sur nous231.

2.
Jean Hilaire
Le même jour, Jean Hilaire, bourgeois d’Orléans, âgé de soixante-six ans, a prêté serment, et interrogé sur la vie, les mœurs, les vertus, la conduite de Jeanne, a déposé comme le précédent.

3.
Gilles de Saint-Mesmin

Gilles de Saint-Mesmin, âgé de soixante-quatorze ans, bourgeois d’Orléans, interrogé, etc., a rendu le même témoignage que le précédent.

4.
Jacques Lesbahy

Jacques Lesbahy, bourgeois d’Orléans, âgé de cinquante ans, a fait une déposition identique à celle des deux précédents, et a ajouté ce qui 166suit.

Je me rappelle, a-t-il dit, que deux hérauts furent envoyés à Saint-Laurent232. L’un s’appelait Ambleville, l’autre Guyenne. Ils devaient dire, sur les instances de Jeanne, au sire de Talbot, au comte de Chaffort (Suffolk), et au seigneur de Scalles, d’avoir de la part de Dieu à quitter la place, et de revenir en Angleterre ; sans quoi, il leur en arriverait mal. Les Anglais retinrent l’un des hérauts, Guyenne ; ils renvoyèrent l’autre, Ambleville, porter un message à Jeanne la Pucelle. Ambleville raconta que les Anglais avaient gardé son compagnon Guyenne dans l’intention de le brûler. Jeanne dit alors à Ambleville, au nom de Dieu, qu’ils ne lui feraient aucun mal ; donna l’ordre à ce même Ambleville de retourner hardiment vers les Anglais, et que non seulement, il n’aurait rien à souffrir de leur part, mais qu’il ramènerait son compagnon sain et sauf. Ce qu’il fit. J’ai vu Jeanne à son entrée à Orléans. Avant tout, elle voulut se rendre à l’église cathédrale offrir ses adorations à Dieu son créateur. Je ne sais pas autre chose.

5.
Guillaume le Charron

Guillaume le Charron, bourgeois d’Orléans, cinquante-neuf ans, a prêté serment, etc., et a fait la même déposition que le précédent.

6.
Cosme de Commy

Cosme de Commy, bourgeois d’Orléans, soixante-quatre ans, a prêté serment, et, examiné, a déposé comme le précédent, en ajoutant ce qui suit. — J’ai entendu, a-t-il dit, maître Jean Mâcon (de Mâcon), docteur de la plus haute renommée, affirmer que, souvent, il avait considéré les paroles et les actes de Jeanne, et qu’il n’avait pas le moindre doute qu’elle ne fût envoyée par Dieu ; que c’était merveille de l’entendre s’expliquer et répondre ; qu’il n’avait observé dans sa vie que sainteté et vertu233. Je ne sais pas autre chose.

Gilles de Saint-Mesmin, déjà cité, a affirmé avoir entendu le même témoignage de la bouche de Mâcon.

7.
Martin de Mauboudet

Martin de Mauboudet, bourgeois d’Orléans, soixante-sept ans, a fait une déposition en tout conforme à la précédente.

8.
Jean Volant

Jean Volant, l’aîné, bourgeois d’Orléans, soixante-dix ans, comme le précédent.

9.
Guillaume Postiau

Guillaume Postiau, bourgeois d’Orléans, quarante-quatre ans, comme le précédent.

16710.
Denis Roger

Denis Roger, bourgeois d’Orléans, soixante ans, comme le précédent.

11.
Jacques de Thou

Jacques de Thou, bourgeois de la même ville, cinquante ans, comme le précédent.

12.
Jacques Carrelier

Jacques Carrelier, bourgeois d’Orléans, quarante-quatre ans, idem.

13.
Aignan de Saint-Mesmin

Aignan de Saint-Mesmin, quatre-vingt-sept ans, identiquement.

14.
Jean de Champeaulx

Jean de Champeaulx, cinquante ans, même témoignage. Il ajoute cependant :

J’ai entendu de la bouche de Jean de Mâcon ce qu’a entendu Cosme susnommé. En outre, un dimanche, je fus témoin d’un grand coup que les hommes d’armes d’Orléans voulaient frapper sur les Anglais qui se mettaient en ordre de bataille. À cette vue, Jeanne se dirigea vers les hommes d’armes, et on lui demanda s’il était bon de combattre les Anglais à pareil jour qui était un dimanche. Elle répondit qu’il fallait entendre la messe. Elle envoya chercher une table, fit apporter les ornements sacerdotaux, et fit célébrer deux messes qu’elle entendit avec grande dévotion, ainsi que l’armée tout entière. Les messes finies, Jeanne demanda d’observer si les Anglais avaient le visage tourné de notre côté. Il lui fut répondu que non ; que c’était le contraire ; qu’ils étaient tournés du côté de Meung. En nom Dieu, répliqua-t-elle, ils s’en vont, laissez-les s’en aller ; et nous, allons remercier Dieu, car c’est aujourd’hui dimanche. Denis Roger, déjà entendu, a été témoin du fait, ainsi que les quatre qui vont suivre, Jongault, Hue, Aubert et Roulliart, et plusieurs autres encore.

15.
Pierre Jongault

Pierre Jongault, bourgeois d’Orléans, cinquante ans, comme le précédent.

16.
Pierre Hue

Pierre Hue, bourgeois de la même ville, cinquante ans, comme le précédent.

17.
Jean Aubert

Jean Aubert, cinquante-deux ans, de même.

18.
Guillaume Roulliaut

Guillaume Roulliaut, quarante-quatre ans, de même que le précédent.

19.
Gentien Cabut

Gentien Cabut, bourgeois, cinquante-neuf ans, de même que le précédent.

20.
Pierre Vaillant

Pierre Vaillant, bourgeois, soixante ans, de même que le précédent.

Tous s’accordent à dire que jamais ils ne s’aperçurent, et n’eurent le moindre indice, que Jeanne s’attribuât pour s’en glorifier aucune des belles œuvres qu’elle accomplissait : elle les attribuait toutes à Dieu.

Elle résistait de tout son pouvoir aux honneurs que le peuple lui rendait, aux louanges qu’il lui donnait. Aussi préférait-elle être seule et en 168solitude qu’en compagnie, à moins que les nécessités de la guerre ne demandassent qu’elle se produisît au dehors234.

21.
Jean Coulon

Jean Coulon, cinquante-six ans, de même.

22.
Jean Biauharnays

Jean Biauharnays, cinquante ans, de même.

Les deux témoins, et ceux qui précèdent, fréquentaient souvent Jeanne, pendant qu’elle était à Orléans. Ils ne virent jamais en elle rien de répréhensible ; ils n’y observèrent qu’humilité, simplicité, chasteté et dévotion envers Dieu et l’Église. Ils disent enfin que c’était une grande consolation de converser avec elle235.

Les deux Orléanais suivants, hommes de justice, habitaient Paris au moment des informations, à cause de leurs fonctions au Parlement. C’est à Paris qu’ils furent entendus le 11 mai 1456.

23.
Maître Aignan Viole

Maître Aignan Viole, licencié ès lois, avocat à la vénérable cour du Parlement, cinquante ans, a prêté serment devant nous archevêque, en présence du sous-inquisiteur et du greffier236. Examiné, il a répondu aux questions posées ainsi qu’il suit. — Je n’ai connu Jeanne la Pucelle qu’à l’époque du siège d’Orléans, durant lequel elle vint dans cette ville, et fut logée dans la maison de Jacques Bouchier. Je me rappelle bien qu’un jour, c’était le jour où fut pris le fort Saint-Loup, comme elle dormait après le dîner, elle s’éveilla soudainement en s’écriant : En nom Dé (Dieu), nos gens ont bien à besogner, apportez-moi mes armes, et amenez-moi mon cheval. On se hâta d’amener son cheval, et revêtue de ses armes, elle sortit de la ville et rejoignit les hommes d’armes au fort Saint-Loup. Peu après le fort fut pris, et les Anglais vaincus.

Avant la prise de la bastille du pont, elle avait annoncé que cette bastille serait emportée, et qu’elle reviendrait par le pont ; ce qui semblait à tous impossible, ou du moins fort difficile237. Bien plus, elle avait prédit qu’elle serait blessée devant la bastille du pont ; ce qui se réalisa.

Un dimanche, après la prise des bastilles du pont et de Saint-Loup, 169les Anglais se rangèrent en ordre de bataille devant Orléans. À cette vue, plusieurs guerriers, la plupart, voulaient les combattre ; ils sortirent de la ville ; Jeanne était parmi eux vêtue d’un jaseran, elle les ordonna, en leur défendant cependant d’attaquer les Anglais. C’était, disait-elle, le bon plaisir et la volonté du Seigneur, que s’ils voulaient se retirer, on leur permit de s’en aller, et dès lors les guerriers sont rentrés dans Orléans.

On disait alors qu’il n’était pas possible de se montrer plus expert que Jeanne dans la disposition d’une armée ; un capitaine blanchi et formé au métier de la guerre n’eût pas su se montrer si habile, ce qui jetait les capitaines dans un merveilleux étonnement238.

Pourriez-vous nous parler de sa piété239 ? — Elle se confessait fréquemment, communiait très souvent ; dans tous ses actes et toute sa conduite, c’était l’honnêteté même. Dans tout le reste, en dehors de ce qui regardait la guerre, elle était d’une simplicité qui étonnait. Aussi, quand je considère ce qui se passa et ce qui suivit, je suis persuadé qu’elle était conduite par l’esprit de Dieu, et qu’il y avait en elle une vertu non humaine, mais divine. Je ne sais pas autre chose.

24.
Pierre Millet

Pierre Millet, clerc ou greffier des élus de Paris, soixante-douze ans, a été produit comme témoin, admis, a été examiné par nous après serment prêté, le 11 mai, en présence du sous-inquisiteur et du greffier susdit. Aux questions posées, il a répondu ainsi qu’il suit :

Je n’eus connaissance de Jeanne la Pucelle que durant le siège d’Orléans, où j’étais enfermé avec les autres habitants. Elle y vint durant ce temps, et fut logée dans la maison de Jacques Boucher. Justice, sainteté, sobriété, parfaite honnêteté, c’est ce que l’on voyait en elle. Elle entendait chaque jour la messe avec la plus grande dévotion, et recevait très souvent le sacrement de l’Eucharistie240.

Peu de temps après son arrivée, elle envoya des messagers aux Anglais ; elle leur faisait une sommation par écrit. C’était un billet composé en termes bien simples, que j’ai lu, moi qui vous parle. Le fond était qu’elle leur notifiait la volonté de Dieu, leur disant dans sa langue maternelle : Messire vous mande que vous en alliez en votre pays ; car c’est son plaisir, 170ou sinon je ferai un tel hahay… (Lacune dans tous les manuscrits).

Quant à la prise de la bastille Saint-Loup, elle dormait dans la maison de son hôte, lorsque, s’éveillant soudainement, elle dit que ses gens avaient à faire, se fit armer et sortit de la ville. Elle fit proclamer que nul ne se permit de prendre quoi que ce soit dans l’église.

Quant à la bastille du pont, je m’en rapporte à ce qu’a dit ma femme241. Elle reprenait ceux qu’elle savait en faute, principalement les hommes d’armes, ceux qui blasphémaient, juraient, ou disaient quelques paroles injurieuses à Dieu. Elle chassait les femmes qui se glissaient dans l’armée, et leur faisait force menaces pour les en faire retirer.

Je crois fermement que ses œuvres et ses faits étaient le fait de la divinité plus que de l’humaine nature. J’ai entendu le seigneur de Gaucourt et les autres capitaines proclamer qu’elle excellait dans le métier des armes ; tous admiraient l’habileté dont elle faisait preuve242. Je ne sais pas autre chose.

Il ne semble pas que la bourgeoisie d’Orléans pût être mieux représentée que par les vingt-quatre témoins que l’on vient d’entendre. Et comme on vient de le voir, la sainteté de l’envoyée du Ciel était à leurs yeux aussi manifeste que la divinité de la mission. Ils constatent aussi la supériorité de la Libératrice dans l’art militaire en même temps que sa simplicité en tout le reste. Les chroniqueurs n’ont pas parlé autrement, et nous entendrons bien d’autres témoins signaler pareil contraste. Les dignitaires ecclésiastiques qui furent entendus après Jean Beauharnais s’approprient les dépositions des bourgeois en ajoutant quelques détails. Ils comparurent à Orléans.

III.
Six ecclésiastiques orléanais
Confirment les dépositions des bourgeois. — Larmes abondantes de la Vénérable à l’élévation. — Son zèle parmi les hommes d’armes. — Conversions de très insignes pécheurs. — Sa fermeté au conseil des capitaines.

(Fos A LXX r°, B 103 v°, U 176 r°).

1.
Maître Robert de Farciaulx

Maître Robert de Farciaulx243, prêtre, licencié ès lois, chanoine et sous-doyen de l’église Saint-Aignan d’Orléans, soixante-dix-huit ans, a été produit comme témoin. Après serment, aux interrogations qui lui ont été posées il a répondu ainsi qu’il suit :

Sur la vie et les mœurs, je confirme ce qu’ont dit les précédents : j’y ajoute : Jeanne était très entendue 171au fait de la guerre, encore qu’elle ne fût qu’une fille toute jeune et simple244.

Souvent les capitaines étaient d’avis différents en face des grandes forces des ennemis. Néanmoins Jeanne leur parlait avec fermeté, ouvrait des conseils salutaires, elle leur donnait du courage, leur répétant d’espérer en Dieu, de n’avoir aucune crainte : car tout viendrait à bien245. Je ne sais pas autre chose.

2.
Maître Pierre Compaing

Maître Pierre Compaing, prêtre, licencié ès lois, capiscol et chanoine de Saint-Aignan, cinquante-cinq ans, dépose comme les précédents sur les mœurs, les vertus et la conversation de Jeanne ; il ajoute : Je l’ai vue lorsqu’elle assistait à la messe, à l’élévation du corps du Christ, jeter des larmes en abondance. J’ai bien souvenance qu’elle exhortait les hommes d’armes à se confesser de leurs péchés. Par le fait, moi qui parle, j’ai vu qu’à son instigation et sur ses avis La Hire et plusieurs autres de sa compagnie se sont confessés246. Je ne sais pas autre chose.

3, 4, 5.
Maîtres Pierre de la Censure, Rodolphe Godard, Hervé Bonart

M. Pierre de la Censure (de la Censerie), prêtre, chanoine de Saint-Aignan, soixante ans ; M. Rodolphe Godard, prêtre, licencié ès décrets, prieur de Saint-Samson d’Orléans, et chanoine de Saint-Aignan, cinquante-cinq ans ; 5. M. Hervé Bonart, prieur de Saint-Magloire, de l’ordre de Saint-Augustin, soixante ans ; tous trois déposent comme les précédents sur la vie, les mœurs et la conversation de Jeanne.

6.
Maître André Bordez

M. André Bordez, chanoine de Saint-Aignan, âgé de soixante ans, fait siennes les dépositions des précédents et ajoute :

J’ai vu Jeanne faire des imprécations aux hommes d’armes quand ils reniaient ou blasphémaient Dieu. J’ai vu en particulier des guerriers d’une vie de toute dissolution se convertir à la voix de Jeanne, et mettre un terme à leur vie de désordres247.

172Le nom de Compaing revient souvent dans les registres de la ville, parmi les procureurs. On y trouve aussi le nom des maris des dames dont les noms vont suivre.

IV.
Neuf bourgeoises orléanaises
La Pucelle ornée de toutes les vertus. — Charlotte Boucher, femme Havet. — Dormait avec Jeanne, n’a vu que vertu. — Sa confiance en Dieu. — Communiait avant le combat. — Reprenait les blasphèmes des plus hauts seigneurs, et exigeait réparation. — Colette, femme de Pierre Millet. — Jeanne parlait toujours de Dieu. — Sa dévotion à la messe. — Éveillée surnaturellement. — L’alose. — Sa sobriété. — Tout en elle respirait l’honnêteté. — Divinement conduite.

(Fos A LIX v°, B 104 r°, U 176).

De toutes les dignes bourgeoises dont le nom va suivre, celle qui éveille plus naturellement les sympathies, c’est Charlotte Havet. Fille du trésorier Jacques Boucher, elle avait huit ans lorsque la Pucelle reçut l’hospitalité dans la maison de son père, et elle nous dira elle-même qu’elle partageait le lit de la céleste envoyée248.

1.
Jeanne, femme de Gilles de Saint-Mesmin

Le même jour et la même année (le 16 mars 1456), Jeanne, femme de Gilles de Saint-Mesmin, soixante-dix ans, dépose ce qui suit :

Le sentiment du public était et est encore que Jeanne la Pucelle était bonne catholique, simple, humble, de sainte vie, pudique et chaste, ennemie des vices, et faisant la guerre aux hommes vicieux qui se trouvaient dans l’armée.

2.
Jeanne, femme de Guy Boilève

Jeanne, femme de Guy Boilève, soixante ans, a fait une déposition identique aux précédentes.

3.
Guillemette, femme de Jean de Coulons

Guillemette, femme de Jean de Coulons, cinquante et un ans, comme la précédente.

4.
Jeanne, veuve de feu Jean de Mouchy

Jeanne, veuve de feu Jean de Mouchy, cinquante ans, comme la précédente.

5.
Charlotte, femme de Guillaume Havet

Charlotte, femme de Guillaume Havet, trente-six ans, confirme ce qu’ont dit les précédentes et ajoute :

Je dormais de nuit, seule avec Jeanne. Jamais ni dans sa personne, ni dans ses paroles, ni dans ses actes, je n’aperçus le moindre indice d’allure tant soit peu déréglée : je ne vis que simplicité, humilité, chasteté. Elle avait l’habitude de se confesser souvent, et elle entendait la messe chaque jour.

Je l’ai entendue dire souvent à ma mère, dans la maison de laquelle elle logeait, d’avoir bonne espérance en Dieu, que Dieu aiderait la ville d’Orléans et chasserait les ennemis.

Son habitude avant d’aller à une attaque était de disposer sa conscience ; elle recevait la sainte Eucharistie après avoir entendu la messe.

6.
Reine, veuve de feu Jean Huré

Reine, veuve de feu Jean Huré, cinquante ans, parle comme les 173précédentes et ajoute :

Je me rappelle avoir vu et entendu un jour un grand seigneur, qui, en se promenant en pleine place, s’échappa en vilains jurements et reniements de Dieu. Jeanne le vit et l’entendit ; elle en fut très émue ; elle approcha aussitôt du seigneur jureur, le prit au cou249 en disant : Ah ! maître ! Osez-vous bien renier Notre-Seigneur et notre maître ? En nom Dieu vous vous en dédirez avant que je parte d’ici. J’atteste pour l’avoir vu que ce seigneur exprima son repentir, et se corrigea sur les exhortations de Jeanne.

7, 8.
Pétronille, femme de Jean Beauharnais, Massée, femme d’Henri Fagone

Pétronille, femme de Jean Beauharnais, âgée de cinquante ans ; Massée, femme d’Henri Fagone, âgée aussi de cinquante ans, rendent l’une et l’autre un témoignage identique à celui des précédentes.

Le témoignage qui va suivre a été reçu à Paris. Nous avons entendu déjà le mari.

9.
Colette, femme de Pierre Millet

Colette, femme de Pierre Millet, greffier des élus de Paris, cinquante-six ans. Ayant prêté serment devant nous, archevêque sus-nommé (l’archevêque de Reims), en présence de F. Thomas et du greffier, le 11 mai 1456, elle a été examinée, et aux questions qui lui ont été posées, elle a répondu ainsi qu’il suit :

La première connaissance que j’eus de Jeanne fut lors de son arrivée à Orléans. Elle descendit dans la maison de Jacques Boucher, et c’est là que j’allai la voir. Elle ne cessait jamais de parler de Dieu250, disant : Messire m’a envoyée pour secourir la bonne ville d’Orléans.

Je l’ai vue plusieurs fois à la messe, elle y assistait avec la plus grande dévotion251, en bonne chrétienne et catholique qu’elle était.

Lorsqu’elle vint à Orléans, pour en faire lever le siège, la veille de l’Ascension, elle dormait dans la maison de son hôte Jacques Le Bouchier, lorsque, s’éveillant tout à coup, elle appela son page, nommé Mugot, et lui dit : En nom Dé (Dieu), c’est mal fait. Pourquoi ne pas m’avoir éveillée plus tôt ? Nos gens ont beaucoup à faire. Elle demanda ses armes, se fit armer, son page lui amena son cheval ; elle y monta tout armée, la lance au poing, et se mit à courir à travers la grande place, avec tant de rapidité que le feu jaillissait du pavé ; elle se dirigea droit à Saint-Loup : elle fit publier au son de la trompette que personne ne touchât à rien de ce qui était dans l’église.

Le jour où fut emporté le fort ou bastille du pont, le matin, alors qu’elle était encore à la maison de son hôte, quelqu’un lui apporta une alose. Jeanne, regardant le poisson, dit à son hôte : Gardez-la 174jusqu’à ce soir, je vous amènerai un godon, et rapasseray par-dessus le pont. (Sic.) Jeanne était très sobre dans le manger et le boire. Sa conversation, sa tenue, son maintien respiraient l’honnêteté. Je crois fermement que son fait et ses œuvres étaient œuvres de Dieu plus qu’œuvre d’homme252.

Je ne sais rien plus, a-t-elle répondu à nos questions.

Aux dépositions de ces neuf honorables bourgeoises d’Orléans, ajoutons celle d’une grande dame qui vit la Libératrice de très près, quoique ce ne fut pas à Orléans, mais à Bourges.

V.
Marguerite de La Touroulde, veuve du trésorier Régnier de Bouligny
Le Trésor à sec lors de l’arrivée de Jeanne. — Divinement envoyée. — Jeanne à Bourges chez le témoin. — Rien de suspect. — Pratique très fréquente de la confession. — Amour des longs offices. — Nullement assurée de ne pas mourir dans la bataille. — Ses réponses aux clercs. — Ascendant sur ses guides. — Ses reproches au duc de Lorraine. — Sa simplicité, son humilité. — Ses aumônes. — Disait être venue pour les opprimés. — Sa virginité. — Militaire accompli.

(Fos A LXXVII r°, B 115 r°, U 183 v°).

Régnier de Bouligny, appelé René (Renatus) par le greffier du procès-verbal, fut, d’après M. de Beaucourt, le grand financier de Charles VII, et un des conseillers les plus en faveur durant les vingt-cinq premières années du règne. L’historien nous le montre mêlé à tous les remaniements financiers ; il écrit en particulier de l’époque de la Pucelle :

Durant le ministère de La Trémoille, ce fut Régnier de Bouligny qui eut la haute direction de l’administration financière du royaume253.

C’est donc une des grandes dames de la Cour qui va nous faire connaître la Vénérable :

Honnête et prudente (prudens) femme, demoiselle Marguerite La Touroulde, veuve de feu maître René de Bouligny, en son vivant conseiller du roi notre sire, âgée de soixante-quatre ans, a comparu, prêté serment, et a été interrogée la même année et le même jour que le précédent (Jean Barbin, entendu à Paris le 30 avril 1456).

À la demande de déposer sous la foi de son serment de ce qu’elle sait sur les quatre premiers articles de ce procès en nullité, elle a répondu :

Quand Jeanne arriva vers le roi à Chinon, j’étais à Bourges, où se trouvait la reine. En ce temps, le royaume et les contrées soumises au roi étaient en proie à une telle calamité, il y régnait une telle pénurie d’argent que c’était pitié ; tous les partisans du roi étaient comme réduits au désespoir. Je sais bien ce que j’affirme, puisque alors mon mari était receveur (trésorier) général ; or, en ce temps, en mettant ensemble l’argent du roi 175et son propre argent, il n’avait que quatre écus254. Les Anglais assiégeaient Orléans ; et il n’y avait pas moyen de secourir la ville.

C’est au milieu d’une telle calamité que Jeanne arriva. Ma ferme foi c’est qu’elle vint de par Dieu, et qu’elle fut envoyée pour relever le roi et ceux qui lui étaient restés fidèles ; car, en ce moment, il n’y avait nulle espérance qu’en Dieu255.

Je ne vis cependant Jeanne que lorsque le roi revint de Reims où il avait été sacré. Il vint à Bourges, où la reine était restée ; j’étais auprès d’elle. À l’approche du roi, la reine fut à sa rencontre à Selles en Berry ; j’étais à sa suite. Pendant que la reine s’avançait au-devant du roi, Jeanne la prévint et vint la saluer. Jeanne fut conduite à Bourges, et par disposition du sire d’Albret, elle fut logée dans ma maison, quoique mon défunt mari m’eût déjà prévenue qu’elle serait logée dans la maison de Jean Duchesne. Elle resta dans ma maison trois semaines, elle y couchait, y mangeait et y buvait.

Presque chaque jour je couchai avec elle, moi qui vous parle. Je ne vis, ni ne soupçonnai en elle rien de suspect ; elle se conduisit et se conduisait en femme vertueuse et catholique. Elle se confessait très souvent (sæpissime) ; elle aimait à entendre la messe ; plusieurs fois elle m’a invitée à aller aux matines ; et sur ses instances j’y allai plusieurs fois et l’y conduisis256.

Dans nos entretiens, on lui disait parfois qu’elle n’hésitait pas de s’avancer dans les batailles, parce qu’elle savait bien qu’elle n’y trouverait pas la mort ; elle répondait n’en avoir pas plus l’assurance que tout autre combattant. Elle racontait quelquefois comment elle avait été examinée par les clercs, et comment elle leur avait répondu : Il y a ès livres de Notre-Seigneur plus que ès vôtres257.

J’ai entendu causer ceux qui l’amenèrent au roi. D’abord, disaient-ils, ils l’avaient prise pour une idiote258 et avaient eu l’intention de la renfermer dans quelque forteresse. Une fois en route, ils furent disposés à accomplir tous ses bons plaisirs, aussi désireux de la présenter au roi qu’elle-même de lui être présentée. Ils auraient été incapables de résister à sa volonté. Dès les commencements, disaient-ils encore, ils avaient arrêté de faire à Jeanne des propositions libidineuses : mais lorsqu’ils 176pensaient lui en faire ouverture, ils étaient saisie d’une telle honte qu’ils n’osaient en ouvrir la bouche, ou en souffler un mot259.

Jeanne m’a raconté que le duc de Lorraine, atteint d’une certaine infirmité, voulut la voir ; qu’elle lui avait parlé et lui avait dit qu’il se conduisait mal, qu’il ne guérirait jamais s’il ne s’amendait pas : et qu’elle l’avait exhorté à reprendre sa bonne épouse260.

Jeanne abhorrait le jeu de dés.

Elle était très simple, ignorante, et en dehors du métier de la guerre, elle ne savait, à mon avis, absolument rien261.

Je me rappelle que, durant qu’elle demeurait à ma maison, plusieurs femmes venaient chez moi, apportant des paternostres et semblables objets, pour qu’elle les touchât. Jeanne en riait, et me disait : Touchez-les, vous, votre toucher sera bien aussi bon que le mien262.

Jeanne était très large en aumônes ; elle prenait le plus grand plaisir à subvenir aux nécessités des indigents et des pauvres ; elle disait être envoyée pour la consolation des pauvres et des indigents263.

Je l’ai vue plusieurs fois aux bains et aux étuves ; et autant que j’ai pu m’en apercevoir, je crois qu’elle était vierge.

Ce que je sais, c’est que, en dehors des armes ainsi que je l’ai dit, c’était tout innocence de son fait ; elle maniait le cheval, et portait les armes aussi bien que le plus habile des hommes d’armes ; ce qui émerveillait les guerriers264.

Quarante-et-un témoins viennent d’être entendus dans ce second chapitre : sept l’ont été dans le premier. Si le lecteur se demande ce qu’il y a à ajouter pour avoir le portrait d’une sainte éminente, il se posera la question de celui qui vient de traduire leurs dépositions avec toute la fidélité dont il est capable. Ce sont maintenant les premiers guerriers de l’armée qui vont nous dire ce que fut sous leurs yeux la Vénérable et vaillante Vierge.

177Chapitre III
La Vierge-Guerrière d’après Dunois et Raoul de Gaucourt, ses compagnons d’armes

  • I.
  • Le seigneur comte de Dunois.
  • Sa conviction que Jeanne était divinement envoyée fondée sur de nombreux motifs.
  • Il apprend son passage à Gien, et envoie prendre des informations à Chinon.
  • Formation du convoi à Blois.
  • Insuffisance des troupes.
  • Difficulté pour passer la Loire.
  • Le bâtard apostrophé par la Pucelle.
  • Changement du vent.
  • Jeanne finit par consentir à se séparer de ses gens qui rentrent à Blois.
  • Les Anglais terrifiés par la sommation de la Pucelle.
  • Détails sur la prise des Tourelles emportées contre toute espérance.
  • La nourriture de Jeanne dans cette journée.
  • C’est à la Pucelle que doit être attribuée la prise des villes de la Loire.
  • La victoire de Patay prophétisée.
  • Ce que Jeanne disait de ses voix.
  • Elle a entraîné le roi à Reims malgré le conseil royal.
  • La reddition de Troyes, prédite et amenée par la Pucelle.
  • Les prières solennelles qu’elle faisait faire le soir.
  • Incertaine du lieu et du temps du sa mort.
  • Son désir que Dieu lui permit de rentrer dans sa famille.
  • Son incomparable sobriété et chasteté ; Jean d’Olon.
  • Prophétie sur la Pucelle transmise à Suffolk.
  • Si la Pucelle a accompli tout ce qu’elle promettait : Remarques.
  • II.
  • Le seigneur Raoul de Gaucourt.
  • Témoin de l’arrivée de la Pucelle à Chinon.
  • Elle est confiée à la très vertueuse dame Bellier.
  • La délivrance d’Orléans, signe de la suite de la mission.
  • Le témoin fait siennes les principales parties de la déposition de Dunois.
  • Il ne sortait de la bouche de Jeanne que des paroles d’édification.
  • Les précautions de sa pudeur.
  • Son esprit de prière.

I.
Le seigneur comte de Dunois
Sa conviction que Jeanne était divinement envoyée fondée sur de nombreux motifs. — Il apprend son passage à Gien, et envoie prendre des informations à Chinon. — Formation du convoi à Blois. — Insuffisance des troupes. — Difficulté pour passer la Loire. — Le bâtard apostrophé par la Pucelle. — Changement du vent. — Jeanne finit par consentir à se séparer de ses gens qui rentrent à Blois. — Les Anglais terrifiés par la sommation de la Pucelle. — Détails sur la prise des Tourelles emportées contre toute espérance. — La nourriture de Jeanne dans cette journée. — C’est à la Pucelle que doit être attribuée la prise des villes de la Loire. — La victoire de Patay prophétisée. — Ce que Jeanne disait de ses voix. — Elle a entraîné le roi à Reims malgré le conseil royal. — La reddition de Troyes, prédite et amenée par la Pucelle. — Les prières solemnelles qu’elle faisait faire le soir. — Incertaine du lieu et du temps du sa mort. — Son désir que Dieu lui permit de rentrer dans sa famille. — Son incomparable sobriété et chasteté ; Jean d’Aulon. — Prophétie sur la Pucelle transmise à Suffolk. — Si la Pucelle a accompli tout ce qu’elle promettait : Remarques.

(Fos A LXV r°, B 97 v°, U 172).

Les informations commencèrent à Orléans par le comte de Dunois. C’était justice. Il avait reçu l’envoyée du Ciel à Orléans en qualité de lieutenant général du roi pour le fait de la guerre. La brillante rescousse de Montargis avait déjà révélé son talent. Le bâtard d’Orléans, comme on l’appelait et comme il s’appelait alors lui-même, combattit à côté de la Libératrice jusques à la tentative contre Paris. Il lui était réservé d’accomplir ce que les intrigues de cour empêchèrent la Pucelle de réaliser, recouvrer Paris et chasser les Anglais. C’était fait lorsque, le 22 février 1456, le bâtard d’Orléans, devenu le comte de Dunois, vint lui 178rendre le bel hommage que l’on va lire. Le conquérant de la Normandie et de la Guyenne était au comble de la gloire, et le personnage le plus influent auprès de Charles VII. Dunois était homme de foi. On voit au château de Beaugency un cabinet de retrait, d’environ 3 ou 4 mètres de côté, où ses armes sont plusieurs fois reproduites. On y lit en gros caractères trois fois répétée cette prière du psalmiste : Cor mundum crea in me, Deus ; créez en moi Seigneur, un cœur pur. Il voulut être enterré à Notre-Dame de Cléry où l’on montre son tombeau. Puisque Dunois était âgé de cinquante-et-un ans en 1456, il devait en avoir de vingt-six à vingt-sept en 1429. Voici en français le procès-verbal de sa déposition en style direct.

L’an du Seigneur MCCCCLV. (anc. style), le 22 février, cité par les susdits Isabelle, Pierre et Jean d’Arc, devant nous a comparu, a été admis, a prêté serment, a été interrogé, absous en vue de la déposition265, le seigneur Jean comte de Dunois. Au sujet des articles présentés et des interrogations à lui faites, il a déposé de la manière qui suit, en présence des maîtres Guillaume Bouillé, doyen de Noyon, et Jean Patin, sous-inquisiteur de la perversité hérétique, professeur de sacrée théologie.

Au sujet des articles proposés par le promoteur, et à la suite de questions posées sur la venue de Jeanne auprès du roi, sur sa manière de vivre au milieu des guerriers et dans la vie militaire, sur sa dévotion, sur sa piété et sur ses autres vertus, a été entendu l’illustrissime prince, le seigneur Jean, comte de Dunois et de Longueville, lieutenant général du roi notre sire, pour le fait de la guerre, âgé de cinquante et un ans266.

— Vous semble-t-il vraisemblable, lui a-t-il été dit, que Jeanne ait été envoyée par Dieu pour accomplir ses exploits guerriers, ou ces exploits vous paraissent-ils l’effet du génie naturel de la guerrière ?

— Je crois que Jeanne a été envoyée par Dieu, et que ses exploits guerriers sont un effet de l’inspiration divine plutôt que celui du génie naturel267.

— Qu’est-ce qui vous porte à le croire ?

— Plusieurs indices que je vais énumérer.

Premièrement. J’étais dans Orléans assiégé par les Anglais, quand se répandit le bruit de la nouvelle que par Gien était passée une jeune fille, 179vulgairement appelée la Pucelle, qui affirmait aller vers le noble Dauphin pour faire lever le siège d’Orléans, et le conduire lui-même à Reims y recevoir l’onction royale. J’étais chargé de la défense de la ville en qualité de lieutenant général du roi sur le fait de la guerre ; je voulus avoir de plus amples informations sur cette Pucelle, et j’envoyai vers le roi le sire de Villars, sénéchal de Beaucaire, et Jamet du Tillay, dans la suite bailli du Vermandois. À leur retour ils me dirent, et ils racontèrent publiquement, en présence de tout le peuple d’Orléans très désireux de savoir ce qu’il en était de cette Pucelle, qu’ils l’avaient vue présente auprès du roi à Chinon. Le roi, disaient-ils, ne voulut pas d’abord la voir ; elle dut attendre deux jours avant qu’on lui permît d’être admise en sa présence. Elle ne cessait cependant de dire qu’elle venait pour faire lever le siège d’Orléans, et conduire le Dauphin à Reims pour qu’il y fût sacré ; elle demandait instamment une compagnie de guerriers, des chevaux et des armes.

Il se passa trois semaines, ou un mois, durant lequel, sur l’ordre du roi, des clercs, des prélats, des docteurs en théologie, examinèrent la Pucelle sur ses paroles et sur ses actes, afin de savoir si le roi pouvait sûrement l’accepter. Après cela, le roi fit réunir de nombreux guerriers pour conduire des vivres à Orléans, et sur l’avis des susdits docteurs et prélats qu’il n’y avait rien de mal dans la Pucelle, il l’envoya à Blois en compagnie du chancelier de France, le seigneur archevêque de Reims, du seigneur de Gaucourt, maintenant grand maître de la maison du roi. Là, à Blois, vinrent ceux qui étaient chargés de la conduite du convoi, les seigneurs de Rais et de Boussac, maréchaux de France, avec lesquels se trouvaient le seigneur de Culant, amiral de France, La Hire, et le sire Ambroise de Loré, dans la suite prévôt de Paris.

Tous ensemble, avec les hommes d’armes chargés de conduire les vivres et avec Jeanne la Pucelle, ils vinrent par la Sologne, en ordre de bataille, jusqu’à la rive de la Loire, droit et en face de l’église de Saint-Loup, où les Anglais se trouvaient nombreux et bien fortifiés. L’armée du roi, je veux dire les hommes qui conduisaient le convoi, ne me paraissaient, ni à moi ni aux autres seigneurs capitaines, en état de tenir tête aux Anglais, et d’introduire les vivres dans la ville ; ce qui était une difficulté plus grande encore, il fallait, pour y charger les vivres, des bateaux ou des chalands, qu’on ne pouvait se procurer qu’à grand-peine ; car ils devaient remonter le courant, et le vent était totalement contraire. Jeanne me tint alors ce langage : Est-ce vous qui êtes le bâtard d’Orléans ? — Oui, lui répondis-je, et je me réjouis de votre venue. — Est-ce vous, reprit-elle, qui avez donné le conseil de me conduire par ce côté de la rive, au lieu de me faire aller droit là ou sont Talbot et ses Anglais ? 180Je répondis que moi et d’autres plus sages que moi avaient donné ce conseil, pensant que c’était meilleur et plus sûr. Elle répliqua en ces termes : En nom Dieu, le conseil de Dieu Notre Seigneur est plus sûr et plus sage que le vôtre. Vous avez cru me décevoir, et vous vous êtes déçus vous-mêmes ; car je vous amène le meilleur secours qui jamais vint à chevalier quelconque ou à cité, puisque c’est le secours du roi du Ciel. Il ne procède pas de mes mérites, mais de Dieu même qui, à la requête de saint Louis et de saint Charlemagne, a eu pitié de la ville d’Orléans et n’a pas voulu que les ennemis, avec le corps du duc d’Orléans, possédassent encore sa ville268.

Et aussitôt, et comme instantanément, le vent, qui était contraire et un très grand obstacle à la montée des bateaux destinés aux vivres, changea de direction et devint favorable269. Aussitôt les voiles furent tendues, j’entrai dans les bateaux et avec moi frère Nicolas de Giresme, maintenant Grand-Prieur de France. Les bateaux passèrent au-delà de l’église Saint-Loup, malgré les Anglais. Dès lors je conçus bon espoir de Jeanne plus que je n’en avais eu jusqu’alors.

Je la suppliai de vouloir bien passer la Loire et de venir à Orléans où elle était fort désirée. Elle en fit difficulté, disant qu’elle ne voulait pas abandonner sa gent, sa troupe, dont les hommes étaient bien confessés repentants, animés de bons sentiments, et pour cela elle refusait de s’en séparer. Je m’adressai à des capitaines de cette troupe ; je les priai, je les requis de vouloir bien souffrir que Jeanne entrât dans Orléans, et qu’eux-mêmes avec leurs hommes reviendraient à Blois, où ils passeraient la Loire pour revenir à Orléans ; car c’était à Blois que se trouvait le passage (le pont) le plus rapproché270. Les capitaines accédèrent à ma requête et consentirent à passer à Blois : Jeanne vint alors à moi, son étendard en mains. Cet étendard était blanc ; il y avait une 181représentation de Notre-Seigneur tenant en mains une fleur de lis271.

L’exposé que je viens de faire me semble prouver que Jeanne venait de Dieu, et que ses exploits guerriers étaient œuvre de Dieu plus qu’œuvre humaine. Je suis frappé du changement dans la direction du vent, aussitôt qu’elle nous eut donné espérance de secours ; de l’introduction des vivres malgré les Anglais beaucoup plus forts que l’armée du roi. Que l’on considère surtout que cette jeune fille affirmait avoir connu par vision que saint Louis et saint Charlemagne priaient pour le salut du roi et de la cité.

II. — Je crois pouvoir induire l’origine divine des exploits de Jeanne d’une autre considération. Lorsque je voulus aller à Blois chercher les hommes destinés à renforcer ceux qui étaient dans la place, Jeanne avait peine à attendre, et à consentir que je vinsse vers eux. Elle voulait faire sommation aux Anglais d’avoir à se retirer, avant de leur faire lever le siège ou en venir à les attaquer. C’est ce qu’elle fit en effet. Elle leur fit cette sommation par une lettre écrite dans l’idiome maternel, en termes bien simples, dans laquelle elle leur signifiait en substance qu’ils eussent à laisser le siège et à se retirer en Angleterre, sans quoi elle leur livrerait un tel assaut qu’ils seraient contraints de s’en aller. La lettre fut remise à Talbot. Je puis affirmer que dès cette heure, tandis que précédemment deux-cents Anglais mettaient en fuite huit-cents et mille combattants français, dès cette heure et dans la suite, il a suffi de quatre ou cinq-cents combattants français pour tenir tête quasi à toute la puissance anglaise. Ils en imposaient si fort aux Anglais du siège, qu’ils n’osaient pas sortir de leurs lieux de refuge et de leurs bastilles272.

III. — Un autre signe me fait croire que les faits de la Pucelle venaient de Dieu. C’était le 27 (le 7) mai. De très bon matin l’on commença l’attaque. Jeanne fut blessée d’une flèche qui pénétra d’un demi-pied dans la chair entre le cou et les épaules. Néanmoins elle ne cessa pas de combattre et ne prit aucun remède273. L’attaque dura depuis la 182première heure du matin jusqu’à huit heures du soir, en sorte qu’on ne concevait plus espérance de victoire pour ce jour. Aussi j’étais résolu et je me mettais en devoir de faire rentrer l’armée dans la ville, lorsque Jeanne vint me demander d’attendre un moment. Elle monta aussitôt à cheval, et se retira seule dans une vigne, à une assez bonne distance de la foule. Elle y fut en prières l’espace d’un demi-quart d’heure. De retour, elle prit son étendard en mains, et se posta sur le bord du fossé. À l’instant, pendant qu’elle était dans cette attitude, les Anglais frissonnèrent et furent saisis de frayeur ; les gens du roi reprirent courage : ils se mirent à escalader et à assaillir le boulevard, sans trouver aucune résistance. Dès ce moment le boulevard était pris, les Anglais mis en fuite ; tous périrent. Entre autres détails274, Glacidas et les autres principaux capitaines défenseurs de la bastille, croyant pouvoir se retirer dans la tour du pont, tombèrent dans le fleuve et s’y noyèrent. Personne n’avait insulté la Pucelle en termes si outrageants et si pleins de mépris que Glacidas. La bastille prise, la Pucelle, moi qui raconte le fait, et les autres Français, nous rentrâmes dans la ville, où nous fûmes reçus au milieu des transports de joie et de piété.

Jeanne fut conduite à son hôtel pour le pansement de sa blessure. Le pansement fait, elle prit une réfection, quatre ou cinq tranches de pain dans du vin mêlé de beaucoup d’eau ; ce fut tout son manger et tout son boire pour la journée entière.

Le lendemain, dès l’aube du jour, les Anglais sortirent de leurs tentes, et se mirent en ordre comme pour engager la bataille. À cette nouvelle la Pucelle se leva du lit, et vint, n’ayant pour armure qu’un jaseran. Elle défendit qu’on attaquât les Anglais, et qu’on leur demandât quoi que ce soit ; elle voulut qu’on les laissât se retirer, ainsi qu’ils se retirèrent en effet, sans être aucunement poursuivis. Dès ce moment la ville fut délivrée de ses ennemis.

IV. — Encore une autre preuve (item). Le siège d’Orléans levé, la Pucelle, moi qui dépose et les autres capitaines, nous nous rendîmes auprès du roi à Loches, pour le presser de réunir des hommes d’armes, afin de récupérer les forteresses et les villes des bords de la Loire, Meung, Beaugency et Jargeau. Par là, la Pucelle voulait rendre plus libre et plus sûre la marche du roi vers la ville du sacre. La Pucelle pressait très 183instamment et fréquemment le roi de se hâter, et de ne pas apporter de plus longs délais. Le roi usa de toute la diligence possible ; et avec la Pucelle il envoya le duc d’Alençon, moi qui parle, et d’autres capitaines recouvrer les susdites villes et forteresses. De fait elles furent remises en l’obéissance du roi, en peu de jours.

— Croyez-vous, seigneur, que ce fut par le moyen de la Pucelle ?

— C’est ma persuasion que ce fut par le moyen de la Pucelle275.

V. — Encore Monseigneur voudrait-il nous dire ce que firent les Anglais chassés d’Orléans ?

— Ils réunirent une grande armée pour défendre les villes et les places susdites dont ils étaient les maîtres. Pendant le siège de la citadelle et du pont de Beaugency, l’armée anglaise vint à la place de Meung-sur-Loire, qui était encore en leur obéissance. Ils ne purent secourir ceux des leurs assiégés dans la citadelle de Beaugency, et dès qu’il vint à leur connaissance que cette dernière place était prise et remise en l’obéissance du roi, tous les Anglais se réunirent pour former une seule armée. Nous pensions que c’était pour venir nous présenter la bataille ; aussi nous nous mîmes en ordre de combat, et l’armée française prit ses dispositions pour les attendre. Mgr le duc d’Alençon, en présence du connétable, en ma présence, et devant plusieurs autres, demanda à Jeanne ce qu’il y avait à faire. Elle lui répondit d’un ton de voix élevé : Ayez tous de bons éperons. Les assistants à ces paroles se récrièrent en disant : Que dites-vous, Jeanne ? C’est donc nous qui tournerons le dos ? et Jeanne de répondre : Non ; ce seront les Anglais qui ne se défendront pas et se débanderont ; les éperons vous seront nécessaires pour les poursuivre. C’est ce qui arriva, ils prirent la fuite ; le nombre de leurs morts et de leurs prisonniers dépassa quatre-mille.

VI. — Encore un fait dont j’ai bien souvenance et qui est fort vrai. Le roi était à Loches, où la Pucelle et moi nous étions venus après la délivrance d’Orléans. Le roi était un jour dans sa chambre de retrait276 avec le seigneur Christophe de Harcourt, l’évêque de Castres, son confesseur, et le seigneur de Trèves277, qui avait été dans le passé chancelier de France. La Pucelle frappa à la porte, et, entrée, se jeta à deux genoux devant le roi, et, lui tenant les jambes embrassées, lui adressa les paroles suivantes ou semblables :Noble Dauphin, ne tenez plus tant et de si longs conseils ; mais venez au plus tôt à Reims, y recevoir votre digne couronne. Christophe de Harcourt, s’adressant à elle, lui demanda si c’était de la part de 184son conseil qu’elle tenait ce langage. Elle répondit que oui, et qu’elle était fort aiguillonnée à ce sujet. Jeanne, reprit le comte d’Harcourt, voudriez-vous dire ici en présence du roi la manière dont vous parle votre conseil ? — Je conçois fort bien, répartit-elle, ce que vous voulez savoir, et je vous le dirai volontiers. Le roi intervint alors : Jeanne, dit-il, ne vous déplairait-il pas de déclarer ce qui vous est demandé, en présence de tous ceux qui sont ici présents ? Elle répondit que non, et elle dit à peu près ceci, que lorsqu’elle avait déplaisir parce que l’on faisait difficulté d’ajouter foi à ce qu’elle disait de la part de Dieu, elle se retirait à l’écart, priait, et se plaignait à Dieu de la peine qu’elle avait à se faire croire de ceux auxquels elle s’adressait. La prière finie, elle entendait la voix qui lui disait : Fille Dé (de Dieu), va, va, va, je serai à ton aide, va. Et quand elle entendait cette voix, elle était inondée de joie, et elle désirait être toujours en pareil état ; ce qui est plus fort, en répétant ces paroles, elle éprouvait un merveilleux transport, et tenait ses yeux élevés vers le ciel278.

VII. — Monseigneur, auriez-vous encore quelque autre signe ?

— Voici encore ce que je puis dire pour en avoir gardé bon souvenir. Après les victoires dont j’ai parlé, les princes du sang et les capitaines voulaient qu’au lieu de Reims, le roi se portât du côté de la Normandie. La Pucelle fut inflexible, et soutint qu’il fallait aller à Reims faire sacrer le roi. Elle donna la raison de son sentiment ; c’est que, le roi une fois couronné et sacré, la puissance des ennemis irait toujours en baissant, et que finalement ils seraient impuissants à nuire au roi et au royaume. Tous finirent par se ranger à son avis.

Le premier lieu où le roi s’arrêta et campa avec son armée, ce fut devant la ville de Troyes. Il était devant les murs de cette ville et avait réuni en conseil les seigneurs de son sang et les autres chefs de l’armée pour délibérer s’il fallait prolonger cet arrêt et réduire la ville par un siège, ou s’il était plus expédient d’aller de l’avant droit à Reims, en laissant derrière soi la ville de Troyes279. Les sentiments du conseil étaient partagés, 185et l’on était indécis sur ce qui serait plus utile. La Pucelle se présenta et entra au conseil. Elle tint à peu près ce langage : Noble Dauphin, ordonnez à vos gens de se disposer à assiéger la ville de Troyes, et ne prolongez pas plus longtemps ces trop longs conseils. Au nom de Dieu, avant trois jours je vous ferai entrer dans la ville de Troyes par amour, ou par puissance et par force, et la fausse Bourgogne n’en sera pas peu stupéfaite. Et aussitôt la Pucelle se mit dans les rangs de l’armée ; elle fit établir les tentes près des fossés, et fit de si merveilleuses diligences que deux et trois hommes d’armes des plus expérimentés et des plus fameux n’auraient pas pu les égaler. Elle avança tellement la besogne cette nuit que, dès le lendemain, l’évêque et les bourgeois de la ville frissonnants et tremblants vinrent rendre obéissance au roi. On constata dans la suite que dès le moment où la Pucelle donna au roi le conseil de ne pas s’éloigner de Troyes, les habitants avaient perdu tout courage, et n’avaient plus songé qu’à chercher un refuge et un asile dans les églises280. Cette ville ramenée à l’obéissance, le roi alla à Reims où pleine soumission lui fut faite, et où il fut sacré et couronné.

VIII. — Encore, Monseigneur voudrait-il bien nous dire quelque chose de la vie et de la manière d’agir de la Pucelle ? — Son habitude de tous les jours était, à l’heure de vêpres ou à la tombée de la nuit, de se retirer à l’église. Elle faisait sonner les cloches quasi pendant une demi-heure, et réunissait les religieux mendiants qui suivaient l’armée du roi ; elle se mettait alors en prières et faisait chanter par ces frères mendiants une antienne à la Bienheureuse Vierge mère de Dieu281.

IX. — Monseigneur aurait-il quelque chose à nous dire sur les jours qui suivirent le sacre ?

— Le roi allait à La Ferté et à Crépy-en-Valois. Les populations accouraient à sa rencontre, faisant éclater des transports de joie et criant : Noël. La Pucelle chevauchait entre l’archevêque de Reims et celui qui vous parle. Elle dit alors ces paroles : Que voilà un 186bon peuple, je n’en ai pas vu un pareil à témoigner tant de joie pour la venue d’un si noble roi. Plût à Dieu, quand je finirai mes jours, que j’eusse le bonheur d’être inhumée dans cette terre. — Ô Jeanne, lui dit alors l’Archevêque, en quel lieu avez-vous espérance de mourir ? — Où il plaira à Dieu, répondit-elle ; car pour ce qui est du temps et du lieu, je n’en sais pas plus que vous n’en savez vous-même. Combien je désirerais que ce fût bon plaisir de Dieu mon créateur de me permettre de me retirer et de quitter les armes. J’irais servir mon père et ma mère en gardant leurs brebis, avec ma sœur et mes frères, qui auraient grande joie de me voir282.

X. — Monseigneur voudrait-il bien nous parler de la vie, des vertus, de la conversation de la Pucelle parmi les hommes d’armes ?

— J’affirme qu’homme vivant ne la surpassait en sobriété. Le chevalier Jean d’Aulon, maintenant sénéchal de Beaucaire, avait été constitué par le roi, comme le plus sage et le plus courtois des preux, à la suite de la Pucelle, en quelque sorte à sa garde. C’est souvent que je l’ai entendu affirmer que, d’après lui, il n’existait pas une femme plus chaste que ne le fut la Pucelle. J’affirme de mon côté qu’en sa compagnie, ni moi, ni aucun autre, n’avions ni volonté ni désir d’avoir des rapports avec une femme ; ce qui, à mon avis, est chose en quelque sorte divine283.

XI. — Il y avait quinze jours que le comte Chuffort (Suffolk) avait été fait prisonnier lors de la conquête de Jargeau. Il lui fut remis un papier, un billet, sur lequel étaient écrits quatre vers annonçant qu’une vierge viendrait du Bois-Chenu, qu’elle chevaucherait sur le dos des guerriers armés de l’arc et leur ferait la guerre.

XII. — Pourriez-vous, Monseigneur, compléter tant d’intéressants détails en nous disant si la Pucelle a accompli tout ce qu’elle promettait de faire ?

— Il est vrai que parlant par jeu du fait des armes, dans le but d’animer les guerriers, Jeanne a dit à propos d’exploits militaires plusieurs choses qui ne se sont peut-être pas accomplies ; cependant, quand elle parlait sérieusement de guerre, de son fait, de sa mission, elle affirmait seulement ceci : qu’elle était envoyée pour faire lever le siège d’Orléans, secourir le malheureux peuple de cette ville et des lieux circonvoisins, 187et conduire le roi à Reims pour qu’il fût sacré.

Texte latin :

Denique inter cætera dicit dictus deponens, super hoc interrogatus, quod licet dicta Johanna, aliquotiem jocose loqueretur de facto armorum, pro animando armatos, de multis spectantibus ad guerram quæ forte non fuerunt ad effectum deducta, tamen quando loquebatur seriosé de guerrâ, de facto suo et sud vocatione, nunquam affirmative asserebat, nisi quod erat missa ad levandum obsidionem Aurelianensem ac succurrendum populo oppresso in ipsa civitate, locis circumjacentibus, et ad conducendum regem Remis pro consecrando eumdem regem.

Remarques. — Voilà des lignes qui depuis des siècles jettent, sur l’histoire de la Vénérable et sur sa figure elle-même, une obscurité qui a pesé sur tous les admirateurs de la Vierge inspirée. Ce sont les seules qui d’une manière expresse disent que la mission finissait à Reims. Elles sont en opposition avec ce que la Libératrice n’a cessé de dire, avec sa conduite constante, avec tout ce qu’ont pensé les contemporains. Cela a été surabondamment établi dans le dernier chapitre du livre précédent. Dunois, quelque atténuation qu’il y apporte, est bien forcé d’avouer que Jeanne prophétisait bien des exploits qui ne se sont pas réalisés (de multis spectantibus adguerram quæ forte non fuerunt ad effectum deducta) ; mais, dit-il, c’était par jeu (jocose). Elle était donc hâbleuse ? encore qu’elle fut vive, alerte, personne ne lui a reconnu ce caractère. C’était pour animer le soldat qu’elle faisait ces rodomontades ? c’est de tout point inadmissible. Sans parler de ce qu’elle avait dit à Chinon de l’étendue de sa mission, de ses lettres aux Anglais, aux Troyens, aux Rémois, au duc de Bourgogne, de ses conversations privées, où elle se donnait une carrière bien au-delà de Reims, ce n’était pas pour animer le soldat qu’à Rouen elle protestait de tant de manières contre l’interprétation de Dunois, et s’obstinait à vouloir garder le vêtement viril jusqu’à ce que fût accompli ce pourquoi Dieu l’avait envoyée.

Quel motif a dicté à Dunois pareille interprétation, en opposition complète avec ce qu’ont dit de la Vénérable ceux qui ont parlé de sa mission avant le témoignage que l’on vient de lire ? Voulait-il par là couvrir de bien tristes intrigues ? c’est le secret de sa conscience et de Dieu. Ce qui est indubitable, c’est que semblable assertion doit disparaître totalement de l’histoire de la sainte fille, encore que bien des livres et bien des discours doivent en être diminués.

Il est regrettable que le vainqueur de Castillon ait terminé par une erreur si grosse de conséquences, une déposition par ailleurs si remarquable, et où tant d’historiens ont puisé et puiseront encore de si précieux détails.

188II.
Le seigneur Raoul de Gaucourt
Témoin de l’arrivée de la Pucelle à Chinon. — Elle est confiée à la très vertueuse dame Bellier. — La délivrance d’Orléans, signe de la suite de la mission. — Le témoin fait siennes les principales parties de la déposition de Dunois. — Il ne sortait de la bouche de Jeanne que des paroles d’édification. — Les précautions de sa pudeur. — Son esprit de prière.

(Fos A LXVII, B 100, U 174).

Il a été dit que Raoul de Gaucourt était bailli d’Orléans, lorsque Jeanne y fit son entrée ; les étapes de sa noble carrière ont été indiquées dans le volume : La Libératrice (III, p. 8). La traduction de son témoignage va nous faire connaître qu’à l’autorité des services rendus, le témoin ajoutait l’autorité d’une vieillesse prolongée.

La même année que le précédent (1456), le 25 février, noble et puissant homme, le seigneur Jean (Raoul) de Gaucourt, chevalier, grand maître de la maison du roi, âgé de quatre-vingt-cinq ans, a comparu comme témoin, et a répondu ainsi qu’il suit aux interrogations posées sur les mêmes articles que ceux soumis au seigneur Dunois.

J’étais, a-t-il dit, au château de Chinon, lorsque la Pucelle y arriva : j’étais présent lorsqu’elle parut devant la majesté royale, en grande humilité et simplicité, comme une pauvre bergerette283b. Je l’ai entendue adresser au roi les paroles suivantes : Très illustre seigneur Dauphin, je suis venue envoyée par Dieu, afin de venir en aide à vous et au royaume. Le roi alors la vit, l’entendit, et pour plus ample information sur ce qu’elle était, il ordonna qu’elle fût mise sous la garde de Guillaume Bellier, bailli de Troyes, maître de son hôtel, mon lieutenant à Chinon. La femme de Bellier était une personne de grande piété, et singulièrement recommandable dans l’estime de tous.

Le roi voulut de plus que Jeanne reçût la visite des clercs, des prélats, des docteurs, pour savoir s’il devait ou s’il pouvait licitement ajouter foi à ses paroles ; ses ordres furent exécutés. Les paroles et les actes de Jeanne furent examinés par les ecclésiastiques, durant trois semaines et plus, tant à Poitiers qu’à Chinon. Les clercs, leur examen dûment terminé, jugèrent qu’il n’y avait rien de mal ni dans sa personne, ni dans ses discours. À la suite de nombreux interrogatoires on demanda à la Pucelle, quel signe elle montrait pour qu’on ajoutât foi à ses promesses. Elle répondit que le signe qu’elle donnerait serait de faire lever le siège et de porter secours à la ville d’Orléans.

Elle quitta alors le roi, et vint à Blois. C’est là que pour la première fois elle revêtit son armure pour conduire un convoi de vivres à Orléans 189et en secourir les habitants.

— Pourriez-vous, seigneur, nous dire quelque chose sur l’introduction du convoi ?

— Je n’ai qu’à répéter ce qu’a dit le seigneur Dunois sur le changement de la direction du vent, et la manière dont le convoi fut introduit dans la ville. J’ajoute qu’elle prédit en termes bien exprès que bientôt le temps et le vent changeraient ; aussitôt après ces paroles, ils changèrent en effet. Elle prédit semblablement que les vivres entreraient dans la ville sans obstacle284.

Je fais mienne la déposition du seigneur de Dunois sur la prise de la bastille du pont, l’expulsion des ennemis, la délivrance d’Orléans, la prise des forteresses et des villes des bords de la Loire, comme je suis d’accord avec lui en ce qu’il a dit de la marche du roi pour le sacre à Reims.

— Voudriez-vous bien nous dire quelque chose sur la vie et les mœurs de Jeanne ?

— Elle était sobre dans le boire et le manger. Il ne sortait de ses lèvres que de vertueuses paroles, sujet d’édification et de bon exemple285, elle était très chaste ; je n’ai pas su qu’homme conversât avec elle de nuit. Bien plus, la nuit, elle avait toujours avec elle une femme qui couchait dans sa chambre. Elle se confessait souvent, vaquait assidûment à la prière, entendait la messe chaque jour, et recevait fréquemment le sacrement d’Eucharistie.

Elle ne souffrait pas qu’on prononçât des paroles déshonnêtes ou de blasphème, ses actes et ses paroles prouvaient qu’elle avait détestation de tout cela. Je ne sais plus rien.

190Chapitre IV
La Vierge-Guerrière d’après le seigneur de Thermes et le duc d’Alençon

  • I.
  • Théobald d’Armagnac, ou de Thermes.
  • A fait les expéditions de la Pucelle.
  • C’était une guerrière incomparable.
  • Inspirée.
  • Témoignage de maître Robert Boignard.
  • Elle phrophétise la merveilleuse victoire de Patay.
  • Sa piété.
  • Contraste entre sa simplicité et ses talents militaires.
  • II.
  • Le seigneur duc d’Alençon.
  • Sa situation lors de sa déposition.
  • Prévenu de l’arrivée de Jeanne ; accueil qu’elle lui fait.
  • Jeanne exige que Charles VII donne son royaume à Notre-Seigneur.
  • Noms des interrogateurs de Chinon.
  • Rapport au conseil à la suite de l’examen de Poitiers.
  • Détails sur la préparation du convoi à Blois.
  • Ce n’est que par un miracle que l’on a pu s’emparer des fortifications anglaises à Orléans.
  • Préparatifs de l’expédition de la Loire.
  • Assurance de la Pucelle.
  • Début de l’attaque contre Jargeau.
  • Détails.
  • La Pucelle veut qu’on attaque, malgré l’avis du conseil.
  • Elle avait promit de ramener le duc sain et sauf.
  • Il est sauvé par un avis qu’elle lui donne.
  • Jeanne, renversée par une grosse pierre, s’écrie que les assiégés sont vaincus.
  • Meung.
  • Beaugency.
  • Mécontentement causé par l’arrivée du connétable.
  • La Pucelle l’admet.
  • Prédiction de la victoire de Patay.
  • La victoire.
  • La durée et les quatre objets de la mission de la Pucelle.
  • Son épée brisée à Saint-Denis sur le dos d’une ribaude.
  • Crainte quelle inspire aux jureurs et notamment au duc d’Alençon.
  • Jeanne à la paillade.
  • Ses larmes à la vue des saintes espèces.
  • Contraste saisissant entre sa simplicité et sa supériorité militaire, notamment dans le maniement de l’artillerie.
  • Remarques.

I.
Théobald d’Armagnac, ou de Thermes
A fait les expéditions de la Pucelle. — C’était une guerrière incomparable. — Inspirée. — Témoignage de maître Robert Boignard. — Elle phrophétise la merveilleuse victoire de Patay. — Sa piété. — Contraste entre sa simplicité et ses talents militaires.

(Fos A LXXV, B 112 v°, U 182 r°).

Noble et prudent seigneur Théobald d’Armagnac, dit encore de Thermes, bailli de Chartres, âgé de cinquante ans, a été interrogé le 7 mai (à Paris) et a déposé en ces termes.

Je ne connus Jeanne que lorsqu’elle vint à Orléans pour faire lever le siège qu’y tenaient les Anglais. Je me trouvais alors parmi les défenseurs de la ville dans la compagnie du seigneur de Dunois. Dès que nous sûmes son arrivée, le seigneur comte de Dunois, moi qui en témoigne, et plusieurs autres, nous passâmes la Loire et nous allâmes chercher Jeanne qui se trouvait du côté de Saint-Jean-le-Blanc : nous l’amenâmes 191dans Orléans. Après son arrivée, je la vis aux assauts de Saint-Loup, des Augustins, de Saint-Jean-le-Blanc, du Pont.

Dans tous ces assauts Jeanne montra une telle vaillance, une si belle conduite, qu’homme mortel ne saurait mieux faire dans le métier de la guerre. Tous les capitaines étaient dans l’admiration de sa vaillance, de sa diligence, des fatigues et des travaux qu’elle brava286.

Je crois qu’elle était une bonne et vertueuse créature ; et que ce qu’elle faisait tenait plus de la divinité que d’une nature mortelle287 ; car elle reprenait souvent les vices des hommes d’armes. Je pense comme maître Robert Baignart, professeur de sainte théologie, qui plusieurs fois avait entendu sa confession. Je l’ai ouï affirmer que Jeanne était une femme de Dieu ; que ses œuvres étaient de Dieu, que c’était une âme bonne et une conscience droite288.

Le siège d’Orléans levé, je fus avec plusieurs autres guerriers dans la compagnie de Jeanne à Beaugency, où se trouvaient les Anglais. Le jour où ils perdirent la bataille de Patay, nous sûmes, feu La Hire et moi, que les Anglais étaient rassemblés et prêts à combattre. Nous dîmes à Jeanne que les Anglais venaient et qu’ils étaient ordonnés pour livrer bataille. Sa réponse fut qu’elle dit aux capitaines : Frappez hardiment, ils prendront la fuite et ne tiendront pas longtemps. Sur sa parole les capitaines se disposèrent à les attaquer, et aussitôt les Anglais furent mis en déroute. Jeanne avait prédit aux Français que peu ou point des leurs seraient tués et qu’ils ne subiraient pas de pertes. C’est ce qui arriva. De tous nos hommes il n’en périt qu’un seul, un noble de ma compagnie289.

Je fus en la compagnie de Jeanne devant Troyes et jusqu’à Reims, à la suite du roi. Je suis convaincu que tous les exploits accomplis par elle furent œuvre divine plus qu’œuvre humaine. La preuve c’est qu’elle se confessait très souvent, recevait le sacrement d’Eucharistie, et montrait la plus grande dévotion au sacrifice de la Messe. En dehors de ce qui regarde la guerre, elle était simple et innocente ; mais s’agissait-il de conduire et de disposer une armée, de ce qui regarde la guerre, de 192préparer les batailles, d’animer le soldat, c’était la conduite du plus habile général du monde, ayant passé toute sa vie à se former au métier de la guerre290. Je ne sais pas autre chose.

II.
Le seigneur duc d’Alençon
Sa situation lors de sa déposition. — Prévenu de l’arrivée de Jeanne ; accueil qu’elle lui fait. — Jeanne exige que Charles VII donne son royaume à Notre-Seigneur. — Noms des interrogateurs de Chinon. — Rapport au conseil à la suite de l’examen de Poitiers. — Détails sur la préparation du convoi à Blois. — Ce n’est que par un miracle que l’on a pu s’emparer des fortifications anglaises à Orléans. — Préparatifs de l’expédition de la Loire. — Assurance de la Pucelle. — Début de l’attaque contre Jargeau. — Détails. — La Pucelle veut qu’on attaque, malgré l’avis du conseil. — Elle avait promit de ramener le duc sain et sauf. — Il est sauvé par un avis qu’elle lui donne. — Jeanne, renversée par une grosse pierre, s’écrie que les assiégés sont vaincus. — Meung. — Beaugency. — Mécontentement causé par l’arrivée du connétable. — La Pucelle l’admet. — Prédiction de la victoire de Patay. — La victoire. — La durée et les quatre objets de la mission de la Pucelle. — Son épée brisée à Saint-Denis sur le dos d’une ribaude. — Crainte quelle inspire aux jureurs et notamment au duc d’Alençon. — Jeanne à la paillade. — Ses larmes à la vue des saintes espèces. — Contraste saisissant entre sa simplicité et sa supériorité militaire, notamment dans le maniement de l’artillerie. — Remarques.

(Fos A LXXVII v°, B 166 r°, U 184 r°).

Perceval de Cagny nous a fait connaître ce qu’était le duc d’Alençon lorsqu’il eut le titre de généralissime de l’armée avec laquelle la Pucelle nettoya les bords de la Loire. Combien ses dispositions avaient changé en mai 1456, quand il fut appelé à déposer sur celle dont il eut l’honneur d’obtenir la particulière faveur ! La jalousie, des ambitions déçues, et peut-être aussi des dénis de justice, l’avaient fait passer du côté des Anglais, par lui si abhorrés aux jours de la Pucelle. Il complotait pour les faire rentrer dans cette France d’où ils venaient d’être expulsés.

Le 3 mai, jour de sa déposition, des soupçons de trahison pesaient déjà sur lui. Ils allaient être confirmés et le duc allait être arrêté dans les derniers jours du mois291. Il fut interrogé sur la Pucelle à Paris devant l’archevêque de Reims et l’évêque de Paris qui devaient le juger deux ans après. La détention préventive dépassa deux ans.

Voici la traduction de son témoignage tel qu’il se trouve au procès :

Illustre prince et seigneur, le seigneur Jean, duc d’Alençon, âgé de cinquante ans, a comparu, a été admis, a prêté serment et a été interrogé par les susdits seigneurs le 3 mai de l’an du Seigneur 1456.

Il a rendu son témoignage ainsi qu’il suit, sous la foi de son serment :

I. — À l’arrivée de Jeanne auprès du roi, qui était alors à Chinon, je me trouvais à Saint-Florent. Comme je chassais aux cailles, un de mes valets de pied (bajulus) vint vers moi, et m’annonça qu’était venue vers le roi une Pucelle, qui se donnait comme envoyée par Dieu pour chasser les Anglais, et faire lever le siège qu’ils tenaient devant Orléans. Cela me détermina à partir le lendemain pour aller vers le roi à Chinon ; j’y trouvai Jeanne en conversation avec le roi. Comme j’approchais, Jeanne, en me désignant, demanda qui j’étais ; le roi répondit que j’étais le duc 193d’Alençon. Jeanne dit alors : Vous, soyez le très bien venu ; plus il y en aura de réunis du sang de France, mieux ce sera.

II. — Le lendemain Jeanne vint à la messe du roi ; en le voyant elle s’inclina.

Le roi conduisit la Pucelle dans un appartement ; il retint le seigneur de La Trémoille et moi qui parle et congédia les autres. Jeanne fit au roi plusieurs requêtes ; l’une de ces requêtes fut qu’il fit donation de son royaume au roi du Ciel, et qu’après cette donation le roi du Ciel ferait pour lui ce qu’il avait fait pour ses prédécesseurs, et le rétablirait dans l’état d’autrefois. Elle demanda au roi plusieurs autres choses dont je n’ai plus souvenance292. L’entretien se prolongea jusqu’au dîner.

Après le dîner le roi alla se promener dans la prairie ; Jeanne y vint courir la lance en main ; voyant avec quelle bonne grâce elle la portait et courait, je lui fis présent d’un cheval.

III. — À la suite le roi décida qu’elle serait examinée par des hommes d’Église. À cette fin furent délégués l’évêque de Castres, confesseur du roi, l’évêque de Senlis, l’évêque de Maguelone293, l’évêque de Poitiers, maître Pierre de Versailles, dans la suite évêque de Meaux, maître Jordan Morin294 et beaucoup d’autres dont les noms ne me reviennent pas. Ils lui demandèrent pourquoi elle venait, et ce qui l’avait amenée auprès du roi. Elle répondit qu’elle venait de la part du roi des Cieux, qu’elle avait des voix et un conseil qui l’avertiraient de ce qu’elle avait à faire ; je ne me rappelle pas le reste. Dans la suite. Jeanne prenant le repas avec moi me dit qu’elle avait été fort examinée, mais qu’elle savait et pouvait plus qu’elle n’avait dit aux interrogateurs.

194Le roi, après avoir oui le rapport de la commission d’examen, voulut de plus que Jeanne se rendit à Poitiers ; et là elle fut encore examinée. Je n’assistai pas à ce nouvel examen. Je sus cependant que dans un rapport fait au conseil du roi il fut dit que les examinateurs n’avaient trouvé dans Jeanne rien d’opposé à la foi catholique, et que le roi, vu la nécessité dans laquelle il se trouvait, pouvait s’en aider295.

IV. — Après ces assurances, le roi m’envoya vers la reine de Sicile (à Blois) préparer le convoi de vivres à amener à Orléans, avec l’armée qui devait y entrer. J’y trouvai sire Ambroise de Loré, sire Louis (le nom m’échappe) qui avaient préparé les provisions. Il fallait de l’argent pour les payer. Pour me le procurer je revins vers le roi, et lui notifiai que le convoi était prêt ; qu’il ne manquait que l’argent pour le solder et solder les hommes d’armes. Le roi, afin de mettre la dernière main à l’entreprise, fit délivrer les sommes nécessaires ; c’est ainsi que les hommes d’armes furent prêts à prendre avec le convoi le chemin d’Orléans, pour tenter de faire lever le siège. Jeanne fut envoyée avec les gens de guerre ; le roi lui avait fait faire un équipement militaire.

V. — Ce qui se passa dans la marche, les événements accomplis à Orléans, je ne les connais que par les récits d’autrui ; je n’étais pas présent ; je ne faisais point partie de l’armée. Cependant dans la suite j’ai vu les travaux exécutés devant Orléans et je me suis rendu compte de leur force. Je crois qu’on s’en est rendu maître par miracle plus que par force d’armes, surtout du fort des Tournelles au bout du pont, et du fort des Augustins. Si avec une poignée d’hommes j’eusse été chargé de les défendre, j’eusse bien osé me promettre d’y braver durant six ou sept jours toute la puissance des armées, et il me semble qu’on ne fût pas venu à bout de s’en emparer. J’ai entendu les soldats et les capitaines présents dans la ville attribuer presque tout ce qui se passa à Orléans à un miracle de Dieu et dire que ce n’était pas l’œuvre de l’homme, mais œuvre de la force d’en haut. C’est ce qu’exprima souvent, moi l’entendant, Ambroise de Loré, depuis prévôt de Paris. Je ne vis pas Jeanne, depuis qu’elle se fut éloignée du roi, jusqu’après la levée du siège d’Orléans.

VI. — À force de nous donner du mouvement, nous rassemblâmes six-cents lances des hommes du roi, désireux d’attaquer Jargeau qui était au pouvoir des Anglais. Une première nuit nous couchâmes dans un bois, et au lever du jour le lendemain nous fûmes rejoints par une autre troupe de guerriers du roi, conduits par sire le bâtard d’Orléans, 195sire Florent d’Illiers et par d’autres capitaines. La jonction opérée, il se trouva que nous étions environ douze-cents lances.

Il s’éleva alors une discussion entre les capitaines. Les uns étaient d’avis qu’il fallait attaquer la ville ; les autres étaient d’avis contraire : les Anglais, disaient-ils, étant en grande force et en grand nombre. Jeanne, voyant leur dissentiment, nous dit de ne pas redouter le nombre, de ne pas faire difficulté d’aller assaillir les Anglais, parce que Dieu conduisait notre entreprise. Elle ajouta que, si elle n’était pas certaine que Dieu conduisait cette entreprise, elle préférerait bien garder les brebis que s’exposer à de si grands périls. Après ces paroles nous prîmes le chemin de Jargeau. Nous espérions nous emparer des faubourgs et y passer la nuit ; les Anglais, qui en furent instruits, vinrent à notre rencontre, et de prime abord repoussèrent l’armée du roi. Ce que voyant, Jeanne prit son étendard, et alla au lieu de la mêlée, en disant aux combattants d’avoir bon courage. Ils firent si bien que cette nuit l’armée royale coucha dans les faubourgs de Jargeau. Je crois bien que Dieu conduisait l’entreprise ; car cette nuit il n’y eut presque pas de garde, et si les Anglais avaient fait une sortie, l’armée eût été en grand péril.

On disposa l’artillerie ; dès le matin l’on braqua les bombardes et les machines contre la ville, et quelques jours296 (quelques heures après) nous tînmes conseil pour savoir ce qu’il y avait à faire afin de débusquer les Anglais. Nous étions au conseil lorsqu’il nous fut rapporté que La Hire était en pourparler avec le seigneur de Suffolk. Nous en fûmes mécontents, moi et tous ceux qui avions la charge de l’armée ; La Hire fut mandé et se rendit. Après son arrivée, il fut arrêté qu’on donnerait l’assaut à la ville ; les hérauts crièrent : À l’assaut. Jeanne elle-même me dit : Avant, gentil Duc, à l’assaut.

Or, il me semblait prématuré d engager si promptement l’assaut. Jeanne me dit : N’hésitez pas ; l’heure est propice quand il plaît à Dieu, et il faut ouvrer quand il plaît à Dieu ; ouvrez (agissez), et Dieu ouvrera (agira) ; et elle ajouta en s’adressant à moi : Ah ! gentil Duc, est-ce que tu as peur ? ne sais-tu pas que j’ai promis à ta femme de te ramener sain et sauf. C’est qu’en effet, quand je quittai ma femme pour venir avec Jeanne à l’armée, ma femme dit à Jeannette qu’elle éprouvait à mon sujet les plus grandes alarmes, que je revenais récemment de captivité, et que mon rachat axait nécessité la dépense de telles sommes d’argent qu’elle m’aurait volontiers supplié de rester. Jeanne lui répondit : Madame, soyez sans crainte, 196je vous le ramènerai bien portant, dans l’état présent, ou même meilleur.

Pendant que l’on donnait l’assaut à la ville de Jargeau, j’étais sur un point où Jeanne vint me dire : Retirez-vous de cette place, sans quoi cette machine (et elle me la montrait sur le rempart) vous enlèvera la vie. Je m’écartai, et, peu après, à l’endroit que j’avais quitté, la machine indiquée tua un gentilhomme qui s’appelait Monseigneur de Ludes. J’en fus glacé de crainte et, après ce qui venait de se passer, rempli de grande admiration des paroles de Jeanne. Après cela Jeanne monta à l’assaut et je la suivis.

Nos hommes avançaient. Le comte de Suffolk me fit crier qu’il voulait me parler ; je ne voulus pas l’entendre, et l’assaut fut poussé. Jeanne était sur une échelle, tenant son étendard dans sa main. Une pierre fut lancée qui frappa l’étendard, la tête de Jeanne elle-même, s’émietta sur la chapeline qui la couvrait, et la fit rouler jusqu’à terre. Elle se releva en criant aux guerriers : Amis, sus, sus, notre Sire a condamné les Anglais ; dès cette heure ils sont nôtres ; ayez bonne confiance. À l’instant, Jargeau fut pris. Les Anglais se retirèrent vers le pont ; les Français les poursuivirent ; dans cette poursuite ils en tuèrent plus de onze-cents.

VII. — Jargeau conquis, nous vînmes, Jeanne, les hommes d’armes et moi, à Orléans et d’Orléans à Meung, où se trouvaient les Anglais, sous le commandement de l’enfant de Warvic et de Scales. Je passai la nuit dans une église, près de Meung, avec une poignée de soldats. J’y courus un grand danger.

Le lendemain nous prîmes le chemin de Beaugency. Nous trouvâmes dans des prairies un renfort de gens du roi, et nous attaquâmes les Anglais maîtres de Beaugency. Ils abandonnèrent la ville et se retirèrent dans le château fortifié ; nous plaçâmes des postes devant le château, pour les empêcher d’en sortir. Nous campions devant le château lorsque nous fut portée la nouvelle que messire le Connétable arrivait avec un bon nombre de combattants. Nous en fûmes mécontents, moi le premier. Jeanne et le reste de l’armée, parce que nous avions ordre de ne pas recevoir en notre compagnie le seigneur Connétable. Je dis à Jeanne que si le Connétable venait, je me retirerais. Le lendemain, avant qu’il nous eût rejoints, arriva la nouvelle que les Anglais accouraient en grand nombre, que Talbot était dans l’armée ; l’on cria : À l’arme. Comme je voulais me retirer à cause de l’arrivée du Connétable, Jeanne me dit qu’il était nécessaire de s’aider. Les Anglais finirent par rendre le château par capitulation ; ils se retirèrent avec un sauf-conduit délivré par moi, en ma qualité de lieutenant du roi, titre dont j’étais alors investi dans cette armée297.

197Pendant que les Anglais s’en allaient, arriva un des hommes de La Hire qui me dit et dit aux capitaines du roi que les Anglais venaient, qu’on allait les avoir en face, et qu’ils étaient comme mille hommes d’armes298. Jeanne demanda ce que disait cet homme, on le lui apprit ; elle adressa alors ces paroles au Connétable : Ah ! beau Connétable, vous n’êtes pas venu de par moi, mais puisque vous êtes venu, soyez le bienvenu.

Plusieurs des gens du roi craignaient et disaient qu’il était bon de faire venir les chevaux299. C’est alors que Jeanne prononça ces paroles : En nom Dieu, il les faut combattre ; s’ils étaient pendus aux nues nous les arons ; parce que Dieu nous les envoie pour leur châtiment. Elle assura qu’elle était certaine de la victoire, disant : Le gentil roi ara aujourd’hui la plus grande victoire qu’il eût pieçà (qu’il ait eue jusqu’ici). Je sais bien que les Anglais furent facilement mis en déroute et taillés en pièces. Talbot fut au nombre des prisonniers. Il y eut grand massacre d’Anglais. À la suite l’armée se replia sur Patay en Beauce. Talbot fut amené dans cette ville devant le Connétable, moi qui en témoigne, et en présence de Jeanne. Je dis à Talbot que le matin il ne s’attendait pas à pareil événement. C’est la fortune de la guerre, me répondit-il. Nous revînmes vers le roi qui songea dès lors à aller se faire couronner et sacrer à Reims.

VIII. — J’ai entendu Jeanne dire au roi qu’elle durerait un an et pas beaucoup plus, et que l’on devait penser à bien besogner cette année, car elle avait quatre choses en charge : chasser les Anglais, faire sacrer et couronner le roi à Reims, délivrer le duc d’Orléans des mains des Anglais, faire lever le siège qu’ils tenaient devant Orléans300.

IX. — Jeanne était chaste, et détestait beaucoup les femmes qui s’attachent aux pas des hommes d’armes. Je l’ai vue à Saint-Denis, au retour du couronnement du roi. L’épée nue à la main, poursuivre une de ces filles surprise dans l’armée, avec tant de vigueur que l’épée se brisa dans la poursuite.

Elle se courrouçait très fort lorsqu’elle entendait jurer quelqu’un de l’armée : elle faisait de véhéments reproches aux jureurs, et spécialement à moi, qui jurais quelquefois ; sa seule vue suffisait pour me refréner et faire expirer le jurement sur mes lèvres.

Quand l’armée était en campagne, l’armée couchait à la paillade, j’y 198couchais, et Jeanne aussi. J’ai vu Jeanne quand elle se disposait au repos, j’ai vu quelquefois son sein qui était beau, mais jamais je n’ai eu envers elle de désir charnel.

X. — Autant que j’ai pu le constater, Jeanne a été à mes yeux une bonne catholique, et une vertueuse femme. Je l’ai vue recevoir plusieurs fois le corps du Christ ; et quand ses yeux se portaient sur ce corps divin, souvent elle pleurait à grosses larmes ; elle recevait l’Eucharistie deux fois par semaine et se confessait souvent301.

XI. — Dans toute sa conduite, en dehors du métier des armes, Jeanne était simple comme une jeune fille ; mais au fait de la guerre elle faisait preuve d’une expérience consommée, très habile à manier la lance, à ranger l’armée, à préparer la bataille et à disposer de l’artillerie. En ce qui regarde l’art militaire, tous étaient dans le ravissement de voir en elle la sagacité, la prudence d’un général qui se serait exercé durant vingt ou trente ans au métier des armes ; on admirait surtout le parti qu’elle savait tirer de l’artillerie, car c’est le point dans lequel elle excellait302.

Le témoin interrogé a déclaré ne savoir plus rien.

Observations. — Cette déposition fort remarquable, au commencement et à la fin surtout, obscure en ce qui regarde la suite de la campagne de la Loire, où le témoin cependant avait le titre de généralissime, nous fait connaître plusieurs détails que l’on ne trouve pas ailleurs. De ce nombre la durée de la mission de la Vénérable. Elle aurait dit parfois au roi qu’elle ne durerait guère qu’un an. Cependant M. Doinel a trouvé un acte, qui sera cité au cinquième livre, d’après lequel elle aurait loué à Orléans une maison pour soixante ans.

L’explication ne serait-elle pas la double voie ouverte devant elle ? L’une où elle aurait été obéie, et où, nouvelle Judith, elle aurait fini paisiblement sa vie au milieu de son peuple ; l’autre, plus héroïque et plus semblable à celle de son Maître, où elle devait racheter par le martyre les infidélités des siens ? Il est remarquable qu’aucun des témoins ne souffle mot de ce qui a suivi le sacre. Seul d’Aulon nous parlera de la prise de Saint-Pierre-le-Moûtier. Chez tous, pas la moindre allusion aux échecs subis. N’y avait-il pas un mot d’ordre prescrivant le silence ?

199Le duc d’Alençon énumère d’ailleurs, mais comme dans l’ordre inverse, le quadruple objet de la mission. Ce sont ceux qu’indique le doyen Seguin avec cette différence que, d’après d’Alençon, Jeanne ne devait pas seulement les prophétiser, mais les réaliser.

C’est à Saint-Denis que la Vénérable brisa son épée sur les épaules d’une ribaude, symbole de la fin de la mission glorieuse, et de ce qui en suspendait les exploits.

Si, au lieu des tergiversations sans fin qu’elle eut toujours tant de peine à vaincre, on se fût, comme le demandait la divinité de sa mission et le prescrivait Gelu, abandonné complètement à sa direction, il eût suffi d’un an pour réaliser ce qui est ici énoncé, vu la stupéfaction produite par des coups si manifestement divins.

200Chapitre V
La Vierge-Guerrière d’après son page et son maître d’hôtel

  • I.
  • Louis de Coutes.
  • Ses services auprès de la Pucelle, à la tour du Coudray, à Chinon.
  • Visitée par les grands.
  • Sa prière, ses larmes.
  • La Pucelle à Tours, équipée, armée, reçoit un état de maison.
  • En marche pour Orléans.
  • Ses recommandations ; elle communie ; blessée par son armure.
  • Passage de la Loire.
  • Logée près de la porte Bannier.
  • Courroucée de ce que l’on n’attaque pas.
  • Est insultée à la suite de sa sommation aux Anglais.
  • Miraculeusement éveillée.
  • Prise de Saint-Loup.
  • Sobriété de Jeanne.
  • Prise des Augustins.
  • Les Tourelles attaquées contre l’opinion des chefs.
  • Détails.
  • Compassion de Jeanne pour les blessés, même ennemis.
  • Trait particulier.
  • Dévotion de Jeanne pour la sainte messe.
  • Son zèle contre le péché.
  • II.
  • Jean d’Aulon.
  • Se rend à Poitiers sur ce qu’il entend dire de la Pucelle.
  • Entretien secret de Jeanne avec le roi.
  • Son âge.
  • Examinée.
  • Rapport au conseil.
  • Constatation de sa virginité par d’honnêtes matrones.
  • La Pucelle armée et équipée.
  • État de maison.
  • Entrée à Orléans.
  • Jeanne protège la sortie de Dunois allant à Blois et son retour à Orléans.
  • Ses paroles à Dunois lui parlant de la venue probable de Fastolf.
  • Soudainement réveillée.
  • Ce que produit sur elle la vue du sang français.
  • D’Aulon à l’attaque de Saint-Loup.
  • Passage de la Loire en vue de prendre Saint-Jean-le-Blanc.
  • Sortie des Anglais des Augustins, cause de la prise de cette bastille.
  • Les Tourelles enlevées contre toute espérance.
  • Incidents.
  • Prise merveilleuse de Saint-Pierre-le-Moûtier.
  • Exploits surhumains de la Pucelle.
  • Son amour pour les saints offices.
  • Les émanations de sa pureté.
  • Exempte des infirmités féminines.
  • Conseil de la Pucelle.
  • La Pucelle parfaite chrétienne.

I.
Louis de Coutes
Ses services auprès de la Pucelle, à la tour du Coudray, à Chinon. — Visitée par les grands. — Sa prière, ses larmes. — La Pucelle à Tours, équipée, armée, reçoit un état de maison. — En marche pour Orléans. — Ses recommandations ; elle communie ; blessée par son armure. — Passage de la Loire. — Logée près de la porte Bannier. — Courroucée de ce que l’on n’attaque pas. — Est insultée à la suite de sa sommation aux Anglais. — Miraculeusement éveillée. — Prise de Saint-Loup. — Sobriété de Jeanne. — Prise des Augustins. — Les Tourelles attaquées contre l’opinion des chefs. — Détails. — Compassion de Jeanne pour les blessés, même ennemis. — Trait particulier. — Dévotion de Jeanne pour la sainte messe. — Son zèle contre le péché.

(Fos A LXXIV v°, B 111, U 181).

C’est bien Louis de Coutes, et non pas de Contes qu’il faut lire. Cela a été démontré avec un vrai luxe de preuves par Mme la chanoinesse Amicie de Villaret, une héraldiste distinguée, dont les société savantes ont souvent couronné les travaux.

La noble dame fait longuement connaître la famille de Louis de Coutes. Son père Minguet de Coutes, capitaine de Châteaudun de 1404 à 1417, fut transféré au gouvernement de la ville et du comté de Blois en 1417 ; il 201avait cessé d’exister en mai 1426303. Le religieux de Saint-Denis énumère parmi les défenseurs d’Harfleur en 1415 Minguet de Coutes304. Il avait dû quitter momentanément la capitainerie de Châteaudun pour venir s’opposer à la descente du Lancastre envahisseur qui devait nous porter de si rudes coups. Donner pour page, à la Libératrice, le fils de ce vaillant défenseur de la première heure était une bonne inspiration. L’instrument du procès va nous faire encore mieux connaître Louis de Coutes.

Noble prud’homme, Louis de Coutes, écuyer, seigneur de Novyon et de Reugles, âgé de quarante-deux ans environ, a été produit comme témoin, a été admis à prêter serment, et a été interrogé sur les articles présentés en ce procès pour nullité, le 3 avril après Pâques (à Paris).

Aux questions posées sur les quatre premiers articles, à l’exclusion des autres sur lesquels il ne sait rien, il a déposé sous la foi de son serment ainsi qu’il suit :

J’avais de quatorze à quinze ans lorsque Jeanne vint auprès du roi à Chinon : j’étais attaché au service du seigneur de Gaucourt, capitaine dudit lieu de Chinon, où je demeurais. Deux hommes accompagnaient Jeanne lors de sa venue à Chinon. Elle fut conduite vers le roi, et je la vis souvent aller et venir vers lui. On lui assigna pour demeure une tour du château du Couldray305. Je suis resté avec Jeanne dans cette tour, tout le temps qu’elle y a séjourné ; j’y passais toutes les journées, mais la nuit c’étaient des femmes qui venaient me remplacer. Je me souviens fort bien qu’au temps où elle était dans la tour du Coudray, des hommes de grand état venaient, durant plusieurs jours, s’entretenir avec elle. J’ignore ce qu’ils faisaient ou ce qu’ils disaient, car à leur approche je m’écartais ; je ne sais même pas quels étaient ces hommes.

Dans le temps où Jeanne et moi étions dans la tour, j’ai vu bien souvent Jeanne à genoux, en prières à ce qu’il me paraissait ; je ne pus cependant jamais rien apercevoir de ce qu’elle disait : quelquefois elle pleurait.

Ensuite Jeanne fut conduite à la ville de Poitiers, et plus tard à Tours, où elle logea dans la maison d’une femme nommée La Pau306. À Tours, le 202duc d’Alençon lui donna un cheval que j’ai vu dans la maison de ladite dame La Pau. C’est à Tours que commandement me fut donné d’être le page de Jeanne, avec un autre du nom de Raymond. Depuis ce moment, je fus toujours avec elle, lui rendant les services commandés par mon titre de page, à Blois, à Orléans, partout jusqu’à l’arrivée devant Paris.

Pendant que Jeanne était à Tours, des armures furent fabriquées pour elle, et le roi lui donna un état de maison. De Tours Jeanne vint à Blois en compagnie des hommes d’armes du roi, compagnie qui alors avait peu de confiance en elle307. Jeanne resta à Blois avec les hommes d’armes durant un temps dont ma mémoire ne me permet pas de fixer la durée.

On arrêta de quitter Blois et de se rendre à Orléans par la Sologne. Jeanne se mit en marche revêtue de son armure, en compagnie des hommes d’armes. Elle ne cessait de leur recommander d’avoir grande confiance en Dieu et de se confesser de leurs péchés. Je l’ai vue recevoir le sacrement d’Eucharistie durant cette marche.

Arrivés non loin d’Orléans, par la rive de la Sologne, Jeanne, moi qui parle, et plusieurs autres nous passâmes la rivière, par coté (au-dessus) de la ville (de latere civitatis), et nous entrâmes ensuite dans la cité. Jeanne dans le voyage fut très douloureusement blessée, parce que la nuit qui suivit son départ de Blois, elle coucha avec ses armes.

Jeanne fut logée dans la maison du trésorier, devant la porte Bannier. Il me semble qu’elle reçut l’Eucharistie dans cette maison.

Le lendemain du jour où nous entrâmes à Orléans. Jeanne se rendit auprès du bâtard d’Orléans, et s’entretint avec lui308. À son retour, elle était fort courroucée, parce qu’il avait été résolu que l’on n’attaquerait pas ce jour-là.

Cependant Jeanne se rendit à un boulevard que les assiégés avaient élevé en face du boulevard des Anglais. Là elle parla aux Anglais du boulevard d’en face, et leur dit de se retirer au nom de Dieu, sans quoi elle les y contraindrait. Un certain Anglais, appelé le bâtard de Granville, lui répondit par une suite d’injures, lui demandant si elle voulait qu’ils se rendissent à une femme, et traitant les Français qui étaient avec elle de maquereaux mécréants.

Cela fait, Jeanne rentra à sa demeure, monta (ascendit) dans sa chambre, et je croyais qu’elle allait dormir309. Peu de temps après elle descendit 203(descendit) précipitamment et me dit : Ha, sanglant garçon, vous ne me disiez pas que le sang de France fût répandu ! Elle m’ordonna d’aller chercher son cheval, et en attendant, elle se fit armer par la maîtresse de la maison et par sa fille, et quand je ramenai le cheval harnaché, je la trouvai armée. Elle me dit d’aller chercher sa bannière qui était dans l’appartement d’en haut (quod erat superius)310 ; je la lui fis passer par la fenêtre. Dès qu’elle l’eut en mains, elle courut en toute hâte vers la porte de Bourgogne. La maîtresse de la maison me dit d’aller après elle ; ce que je fis.

Il y avait alors un engagement ou une escarmouche du côté de Saint-Loup, et dans cet engagement le boulevard fut pris. Jeanne rencontra quelques Français qui avaient été blessés ; elle en fut très émue. Les Anglais se préparaient à se défendre lorsque Jeanne accourut précipitamment. À sa vue les Français poussèrent aussitôt des cris, et le fort ou la bastille Saint-Loup fut enlevé.

J’ai ouï dire que quelques ecclésiastiques se revêtirent des vêtements de leur ordre (sacerdotaux) et se présentèrent ainsi à Jeanne. Jeanne les accueillit, ne souffrit pas qu’on leur fît le moindre mal, et les fit conduire avec elle à son hôtel, tandis que les gens d’Orléans massacraient les autres Anglais.

Ce soir Jeanne vint souper à son hôtel. Elle était très sobre ; plusieurs fois elle passa la journée entière sans manger autre chose qu’une bouchée de pain311 ; c’était un sujet d’étonnement de la voir manger si peu. Quand elle était dans son hôtel, elle mangeait seulement deux fois le jour.

Le jour suivant312, vers la troisième heure (9 heures du matin), les hommes d’armes du roi passèrent en bateaux sur l’autre rive, afin d’attaquer la bastide ou le fort Saint-Jean-le-Blanc ; les Français s’en emparèrent, ainsi que de la bastide des Célestins (lire des Augustins). Jeanne avait passé la Loire avec l’armée. Je passai avec elle. Nous rentrâmes dans Orléans. Jeanne coucha dans sa demeure, en compagnie de plusieurs femmes, selon sa coutume. La nuit elle avait toujours une femme pour coucher avec elle, si elle pouvait en trouver. Quand elle ne pouvait en avoir, alors qu’elle était à la guerre, en campagne, elle couchait tout habillée313.

204Le jour qui suivit, Jeanne malgré l’opposition de plusieurs seigneurs, auxquels il semblait qu’elle voulait exposer les gens du roi à un grand péril314, fit ouvrir la porte de Bourgogne et une petite porte près de la grosse tour. Elle passa l’eau avec les autres hommes d’armes pour attaquer la bastide du Pont, encore au pouvoir des Anglais.

L’attaque dura depuis prime jusqu’à la nuit. Jeanne y fut blessée : on lui fit quitter ses armes pour la panser. Le pansement fait, elle revêtit de nouveau son armure, et alla avec les autres à l’attaque et à l’assaut, qui dura sans discontinuer depuis l’heure de prime jusqu’au soir. Le boulevard fut pris ; Jeanne fut toujours à l’attaque parmi les combattants, les exhortant à avoir bon courage, à ne pas quitter la place parce qu’ils seraient bientôt maîtres du fort. Elle leur disait, ce me semble, que lorsqu’ils verraient le vent pousser son étendard jusqu’au fort, ils en seraient les maîtres. Les choses en vinrent à un point tel que les gens du roi, voyant qu’ils n’avançaient en rien et que la nuit était proche, désespéraient d’enlever le fort. Jeanne cependant tenait toujours bon, et leur promettait qu’infailliblement il serait leur, ce jour-là même. Les combattants se disposèrent à un nouvel assaut ; ce que les Anglais voyant, ils ne firent plus aucune défense, saisis qu’ils étaient de terreur. Quasi tous furent noyés. Dans ce dernier assaut, les Anglais n’opposèrent aucune résistance.

Le lendemain, tous les Anglais qui étaient autour d’Orléans se retirèrent à Beaugency et à Meung. L’armée du roi, dans laquelle Jeanne se trouvait, les y poursuivit (six semaines plus tard). Là intervint une capitulation d’après laquelle la ville devait être rendue avant la bataille315. Le jour de la bataille arrivé, les Anglais s’éloignèrent de Beaugency. L’armée du roi, avec Jeanne dans les rangs, se mit à leur poursuite. La Hire conduisait l’avant-garde au grand mécontentement de Jeanne, qui tenait beaucoup à avoir la charge de commander l’avant-garde. Les gens du roi se conduisirent si bien que La Hire, qui, cette fois, conduisait l’avant-garde, tomba sur les Anglais, et les gens du Roi eurent la victoire. Presque tous les Anglais furent tués.

Jeanne était fort compatissante. Pareil massacre lui causait une grande pitié. Une fois un Français conduisait un certain nombre de prisonniers anglais ; il lui arriva d’en frapper un à la tête avec tant de violence qu’il tomba comme sans vie. À cette vue, Jeanne descendit de cheval, et 205soutenant la tête du malheureux, elle le fit confesser et lui prodigua les consolations en son pouvoir316.

Ensuite Jeanne alla devant Jargeau avec l’armée du roi. La ville fut prise d’assaut, plusieurs Anglais faits prisonniers, parmi eux le comte de Suffolk317.

Après la délivrance d’Orléans et toutes ces victoires, Jeanne, avec les hommes d’armes, alla vers le roi qui alors était à Tours, et il fut décidé que le roi irait à Reims pour y recevoir le sacre318.

Le roi se mit en campagne avec son armée, dans laquelle Jeanne se trouvait. Il prit le chemin de Troyes, qui fit sa soumission ; ensuite celui de Châlons, qui se rendit aussi ; enfin il arriva à Reims, où il fut couronné et sacré. J’étais présent, comme je l’ai dit, j’étais page de Jeanne et ne la quittais jamais. Je fus à sa suite jusqu’à son arrivée devant la ville de Paris.

D’après toute la connaissance que j’ai pu avoir de Jeanne, c’était une femme bonne et vertueuse. Elle faisait ses délices d’entendre la messe, et ne manquait de l’entendre que lorsque cela lui était impossible. Elle se courrouçait fort lorsqu’elle entendait blasphémer le nom de Notre-Seigneur et quand elle entendait quelqu’un jurer. Plusieurs fois je l’ai entendue reprendre Mgr le duc d’Alençon, lorsqu’il jurait ou disait des mots tenant du blasphème. En général, dans l’armée nul ne se fût permis de jurer ou de blasphémer en sa présence sans être réprimandé.

Elle ne voulait pas de femme dans son armée. Une fois, près de Château-Thierry, elle vit la maîtresse d’un homme d’armes chevaucher dans l’armée. Elle se mit à la poursuivre, l’épée nue, elle ne la frappa cependant pas, elle l’avertit doucement et charitablement de ne plus se trouver dans l’armée : sans quoi, elle lui ferait déplaisir.

Je ne sais pas autre chose, parce que, ainsi que je l’ai déjà dit, je n’ai pas revu Jeanne depuis qu’elle vint devant Paris.

206II.
Jean d’Aulon
Se rend à Poitiers sur ce qu’il entend dire de la Pucelle. — Entretien secret de Jeanne avec le roi. — Son âge. — Examinée. — Rapport au conseil. — Constatation de sa virginité par d’honnêtes matrones. — La Pucelle armée et équipée. — État de maison. — Entrée à Orléans. — Jeanne protège la sortie de Dunois allant à Blois et son retour à Orléans. — Ses paroles à Dunois lui parlant de la venue probable de Fastolf. — Soudainement réveillée. — Ce que produit sur elle la vue du sang français. — D’Aulon à l’attaque de Saint-Loup. — Passage de la Loire en vue de prendre Saint-Jean-le-Blanc. — Sortie des Anglais des Augustins, cause de la prise de cette bastille. — Les Tourelles enlevées contre toute espérance. — Incidents. — Prise merveilleuse de Saint-Pierre-le-Moûtier. — Exploits surhumains de la Pucelle. — Son amour pour les saints offices. — Les émanations de sa pureté. — Exempte des infirmités féminines. — Conseil de la Pucelle. — La Pucelle parfaite chrétienne.

Tous les documents s’accordent à nous représenter Jean d’Aulon comme un des preux les plus honorables de l’époque. C’est à ce titre que Charles VII le mit à la tête de la maison de la Pucelle, et comme il va nous le dire lui-même, lui confia pour ainsi dire la garde de la jeune fille. C’était un de ces gentilshommes du Midi qui en si grand nombre combattirent l’Anglais. Charles VII lui confia diverses charges de confiance. Il fut longtemps capitaine du château de Pierre Encise, près de Lyon ; la correspondance de Charles VII avec cette ville le mentionne souvent. Il venait depuis peu de temps d’être fait sénéchal de Beaucaire lorsque les commissaires pontificaux ouvriront leur enquête en vue de la réhabilitation. À la date du 20 avril, le président de la commission, Jean-Juvénal des Ursins, archevêque de Reims, lui écrivit de Paris une lettre dans laquelle il lut disait de vouloir lui envoyer par écrit, signé de deux notaires apostoliques et d’un inquisiteur de la foi, ce qu’il savait bien et longuement de la vie, conversation et gouvernement de Jeanne la Pucelle.

D’Aulon se rendit à Lyon, et au lieu de faire un récit par écrit, il fit, au couvent des Dominicains de cette ville, une déposition en français, devant Jean des Prés (de Pratis), dominicain, vice-inquisiteur, et devant les deux notaires apostoliques, Barthélémy et Hugues Lelièvre. Des Prés reçut ce témoignage à Lyon le 28 mai 1456 et le transmit aux délégués pontificaux. Il fut inséré au procès ; il est rédigé en français du XVe siècle, en style indirect, surchargé de ces dits, de ces que dont on était vraiment prodigue à cette époque. Il va être reproduit en style direct.

I. — Il y a environ vingt-huit ans, le roi notre Sire étant à Poitiers, il me fut dit que la Pucelle, qui était des parties de Lorraine, avait été amenée et présentée audit seigneur par deux gentilshommes, se disant être à messire Robert de Baudricourt, chevalier. L’un de ces gentilshommes était appelé Bertrand, l’autre Jean de Metz. Pour voir cette jeune fille, moi qui parle, j’allai audit lieu de Poitiers.

Après sa présentation, ladite Pucelle parla au roi notre Sire secrètement, et lui dit des choses secrètes, que je ne sais pas : ce que je sais bien, c’est que peu de temps après, ce même seigneur envoya quérir quelques-uns des gens de son conseil, entre lesquels j’étais, moi qui 207parle, et qu’il leur dit que cette Pucelle lui avait déclaré être envoyée de par Dieu pour l’aider à recouvrer son royaume, qui alors était pour la plus grande partie occupé par les Anglais, ses ennemis anciens319.

Après ces paroles déclarées par ledit seigneur aux gens de son conseil, on fut d’avis d’interroger sur quelques points touchant la foi ladite Pucelle, qui pour lors était de l’âge de seize ans, ou environ. Pour ce faire, ledit seigneur fit venir certains maîtres en théologie, juristes et autres gens experts, qui la questionnèrent sur ces points bien et diligemment.

J’étais présent au conseil quand ces maîtres firent leur rapport de ce qu’ils avaient trouvé de ladite Pucelle. Il fut dit publiquement par l’un d’eux qu’ils ne voyaient, ne savaient, ne connaissaient en icelle Pucelle aucune chose, si ce n’est tout ce qui pouvait être en bonne chrétienne et vraie catholique, que pour telle ils la tenaient, et que leur avis était qu’elle était une très bonne personne320.

Le rapport fait au roi par lesdits maîtres, la Pucelle fut depuis baillée à la reine de Sicile, mère de la reine notre souveraine dame, et à certaines dames étant avec elle, par lesquelles icelle Pucelle fut vue, visitée et secrètement regardée et examinée ès secrètes parties de son corps ; et après qu’elles eurent vu et regardé tout ce qui était à regarder en ce cas, ladite dame dit et relata au roi qu’elle et lesdites dames trouvaient certainement que c’était une vraie et entière pucelle, en laquelle n’apparaissait aucune corruption, ni violence. Quand ladite dame fit son rapport, j’étais présent.

Après ces choses ouïes, le roi considérant la grande bonté qui était en icelle Pucelle, et qu’elle lui avait dit être envoyée de par Dieu, il conclut en son conseil que dorénavant il s’aiderait d’elle au fait de ses guerres, attendu qu’elle lui était envoyée pour ce faire. Il fut dès lors arrêté qu’elle serait envoyée dans la cité d’Orléans, alors assiégée par les ennemis.

À celle fin des gens lui furent baillés, les uns pour le service de sa personne, et d’autres pour la conduite d’elle. Pour la garde et conduite d’elle, moi qui dépose fus ordonné par le roi, notredit seigneur ; et aussi pour la sûreté (commodité) de son corps, le roi fit faire à la Pucelle un 208équipement propre à son corps321. Cela fait, il ordonna une certaine quantité de gens d’armes pour la mener et la conduire sûrement elle et ceux de sa compagnie audit lieu d’Orléans, et incontinent après, elle se mit à chemin avec ses gens pour aller en cette ville.

Aussitôt que Mgr de Dunois, que l’on appelait alors monseigneur le bâtard d’Orléans, et qui était en ladite cité pour la préserver et garder des ennemis, eut connaissance que la Pucelle venait vers la ville, il fit promptement, pour lui aller au-devant, assembler certaine quantité de gens de guerre, comme La Hire et autres. Pour aller à sa rencontre, et plus sûrement l’amener et conduire en la cité, icelui seigneur et ses gens se mirent en un bateau, et par la rivière de Loire allèrent au-devant d’elle environ un quart de lieue, et là la joignirent.

La Pucelle entra aussitôt en bateau, j’entrai avec elle. Les autres de ses gens s’en retournèrent vers Blois. Avec Mgr de Dunois et ses gens nous entrâmes dans la ville sûrement et sans être inquiétés (sauvement) ; et dans la ville Mgr de Dunois la fit loger bien et honnêtement en l’hôtel d’un des bourgeois de la cité, lequel avait épousé l’une des notables femmes d’icelle322.

Mgr de Dunois, La Hire et certains autres capitaines du parti du roi, notre seigneur, conférèrent avec la Pucelle, de ce qu’il était expédient de faire pour la tuition, garde et défense de la cité, et aussi par quels moyens on pourrait mieux grever les ennemis ; il fut avisé et convenu qu’il était nécessaire de faire venir certain nombre de gens d’armes de leur parti, qui lors étaient ès parties de Blois, et qu’il les fallait aller quérir. Pour mettre le projet à exécution, et les amener à Orléans, furent commis Mgr de Dunois, moi qui parle, et certains autres capitaines avec leurs gens ; nous allâmes au pays de Blois pour les amener et faire venir. Aussitôt que nous fûmes prêts à partir pour quérir ceux qui étaient au pays de Blois, et que la Pucelle en eut connaissance, elle monta incontinent à cheval, La Hire avec elle, et elle sortit aux champs avec certaine quantité de ses gens, pour empêcher que les ennemis ne nous portassent nul dommage. Pour ce faire, la Pucelle se mit avec ses gens entre l’armée des ennemis et la cité d’Orléans. Elle y fit si bien que nonobstant la grande puissance et nombre des gens de guerre qui étaient en l’armée des ennemis, cependant, la merci Dieu, nous passâmes, le seigneur de Dunois et moi avec tous nos gens, et nous allâmes 209sûrement notre chemin. La Pucelle et ses gens s’en retournèrent pareillement en la cité323.

Aussitôt que la Pucelle sut notre retour, et que nous amenions les autres que nous étions allés quérir pour le renfort de ladite cité, elle monta incontinent à cheval, et avec une partie de ses gens elle alla à notre rencontre pour nous subvenir et secourir, si besoin en eût été. C’est au vu et au su des ennemis que nous entrâmes sans contradiction quelconque, la Pucelle, le seigneur de Dunois, Maréchal (de Boussac), La Hire, moi qui parle, et nos gens.

II. — Ce même jour, après dîner, le seigneur de Dunois vint au logis de la Pucelle, où j’avais dîné avec elle. Dans la conversation, il lui dit avoir su pour vrai par des gens de bien qu’un nommé Fastolf, capitaine desdits ennemis, devait bientôt venir par devers iceux ennemis qui étaient audit siège, tant pour leur donner secours et renforcer leur armée, comme aussi pour les ravitailler, et qu’il était déjà à Janville.

La Pucelle fut toute réjouie de ces paroles, ainsi qu’il me sembla. Elle dit à Mgr de Dunois telles paroles ou semblables : Bâtard, bâtard, au nom de Dieu, je te commande qu’aussitôt que tu sauras la venue de Fastolf, tu me le fasses savoir ; car, s’il passe sans que je le sache, je te promets que je te ferai ôter la tête. À quoi ledit seigneur de Dunois répondit qu’elle n’eût sur ce point aucune inquiétude, car il le lui ferait bien savoir.

Après ces paroles, comme j’étais las et fatigué, je me mis sur une couchette en la chambre de la Pucelle pour reposer un peu ; la Pucelle avec son hôtesse se mit pareillement sur un autre lit pour dormir et reposer aussi ; mais comme je commençais à reposer, soudainement la Pucelle se leva du lit, et en faisant grand bruit elle m’éveilla. Je lui demandai ce qu’elle voulait ; elle me répondit : En nom Dieu, mon conseil m’a dit d’aller contre les Anglais ; mais je ne sais si je dois aller en leurs bastilles ou contre Fastolf qui doit les ravitailler. Sur quoi je me levai incontinent, et le plus tôt que je pus j’armai la Pucelle.

Ainsi que je l’armais, nous ouïmes grand bruit et grand cri que l’on faisait dans la ville, en disant que les ennemis portaient grand dommage aux Français, et alors pareillement je me fis armer. En quoi faisant, la Pucelle partit à mon insu de la chambre, et sortit en la rue, où elle trouva un page monté sur un cheval. Elle l’en fit promptement descendre, et monta dessus incontinent, et le plus droit, le plus diligemment qu’elle put, elle tira son chemin droit à la porte de Bourgogne, où était le plus 210grand bruit. Je suivis aussitôt la Pucelle ; mais je ne pus aller si vite qu’elle ne fût déjà à cette porte.

Ainsi qu’ils arrivaient à cette porte, ils virent que l’on apportait l’un des gens de la ville, lequel était très fort blessé. La Pucelle demanda alors à ceux qui le portaient quel était cet homme. Ils répondirent que c’était un Français. Et lors elle dit que jamais elle n’avait vu sang de Français que ses cheveux ne se dressassent sur la tête324.

À cette heure, la Pucelle, moi qui parle, et plusieurs autres gens de guerre en notre compagnie, nous sortîmes hors de la ville pour donner secours aux Français, et frapper sur les ennemis à notre pouvoir ; mais lorsque nous fûmes hors de la ville, il me fut avis que jamais je n’avais vu autant de gens d’armes de notre parti, comme j’en vis lors.

De ce pas nous tirâmes notre chemin vers une très forte bastille des ennemis, appelée la bastille Saint-Loup. Elle fut incontinent assaillie par les Français, et prise d’assaut par eux avec très peu de pertes. Tous les ennemis qui s’y trouvaient furent tués ou pris, et la bastille demeura ès mains des Français.

Cela fait, la Pucelle et ceux de sa compagnie se retirèrent en la cité d’Orléans, en laquelle ils se rafraîchirent et reposèrent pour ce jour.

III. — Le lendemain (le surlendemain), la Pucelle et ses gens, voyant la grande victoire obtenue par eux le jour précédent sur leurs ennemis, sortirent de la ville en bonne ordonnance pour aller assaillir une autre bastille appelée la bastille Saint-Jean-le-Blanc. Pour ce faire, parce qu’ils virent que bonnement ils ne pouvaient aller par terre à icelle bastille, empêchés qu’ils étaient (obstant ce qui est) par les ennemis qui en avaient fait une autre très forte aux pieds du pont de ladite cité, tellement qu’il leur était impossible d’y passer, il fut conclu que l’on passerait en une certaine île qui était en la rivière de Loire, et que là ils feraient leur assemblée pour aller prendre la bastide de Saint-Jean-le-Blanc ; et pour passer l’autre bras de la rivière, ils firent amener deux bateaux, dont ils firent un pont pour aller à ladite bastille325.

Cela fait, ils allèrent vers ladite bastille. Ils la trouvèrent désemparée, parce que les Anglais, incontinent qu’ils aperçurent la venue des Français, les Anglais qui étaient en icelle s’en allèrent et se retirèrent en une plus forte et plus grosse bastille, appelée la bastille des Augustins.

211Les Français, voyant qu’ils n’étaient pas assez puissants pour prendre cette dernière, il fut conclu qu’ils s’en retourneraient sans rien faire. Pour retourner et pour passer plus sûrement, il fut ordonné que quelquesuns des plus notables et des plus vaillants guerriers du parti français garderaient que les ennemis ne les pussent grever au retour. Pour ce faire, furent ordonnés Mgrs de Gaucourt, de Villars, alors sénéchal de Beaucaire, et moi.

Comme les Français s’en retournaient de la bastille Saint-Jean-le-Blanc pour entrer en l’île susdite, la Pucelle et La Hire passèrent, chacun un cheval, en un bateau de l’autre part de l’île ; sur lesquels chevaux ils montèrent incontinent qu’ils furent passés, tenant chacun sa lance en mains326, et alors qu’ils aperçurent que les ennemis sortaient de leur bastille (des Augustins), pour courir sur leurs gens, incontinent la Pucelle et La Hire, qui toujours étaient devant eux pour les garder, couchèrent leurs lances, et commencèrent tout les premiers à frapper sur lesdits ennemis ; et alors chacun les suivit et commença à frapper sur iceux ennemis, en telle manière qu’ils les contraignirent de force à se retirer, et à entrer dans ladite bastille des Augustins.

En ce faisant, j’étais, moi qui vous parle, à la garde d’un passage avec quelques autres, établis et ordonnés pour cela. Parmi eux était un bien vaillant homme d’armes du pays d’Espagne, nommé Alphonse de Partada. Nous vîmes passer devant nous un autre homme d’armes de notre compagnie, bel homme, grand et bien armé, auquel, parce qu’il passait outre, je dis de s’arrêter là un peu avec les autres, pour faire résistance aux ennemis, au cas que besoin en serait. Il répondit incontinent qu’il n’en ferait rien. Ledit Alphonse lui dit alors qu’il pouvait s’arrêter aussi bien que les autres, et qu’il y en avait d’aussi vaillants que lui qui s’arrêtaient bien. Il répondit à icelui Alphonse que non faisait pas lui. Sur quoi ils eurent entre eux certaines paroles arrogantes, si bien qu’ils conclurent d’aller tous les deux ensemble sur les ennemis, et l’on verrait alors qui serait le plus vaillant et qui des deux ferait mieux son devoir. Et se tenant par les mains, de la plus grande course qu’ils purent, ils allèrent vers la bastille des ennemis, et furent jusqu’aux pieds de la palissade (palis).

Quand ils furent aux pieds de la palissade, moi qui vous parle, je vis à l’intérieur du retranchement un Anglais grand, fort et puissant, bien en point et armé, qui leur résistait tellement qu’ils ne pouvaient entrer dans la palissade, et alors celui qui vous parle montra ledit Anglais à 212un nommé maître Jean-le-Canonnier, en lui disant de tirer à icelui Anglais, car il faisait trop grand grief, et portait beaucoup de dommage à ceux qui voulaient approcher de ladite bastille. C’est ce que fit maître Jean ; car incontinent qu’il l’aperçut, il adressa son trait contre lui, tellement qu’il le jeta mort par terre. Alors lesdits hommes d’armes gagnèrent le passage, par lequel tous les autres de leur compagnie passèrent et entrèrent en la bastille ; ils l’assaillirent très âprement et à grande diligence de toute part, en tel ordre (par tel party) que dans peu de temps, ils la gagnèrent et prirent d’assaut, et là furent tués et pris la plupart des ennemis ; et ceux qui se purent sauver se retirèrent en la bastille des Tournelles, qui était aux pieds du susdit pont. Ainsi la Pucelle et ceux qui étaient avec elle obtinrent ce jour-là la victoire sur les ennemis, et fut ladite grosse bastille gagnée, et demeurèrent devant elle lesdits seigneurs, leurs gens, avec la Pucelle327, toute icelle nuit.

IV. — Le lendemain au matin, la Pucelle envoya quérir tous les seigneurs et capitaines qui étaient devant la bastille prise328, pour aviser ce qui restait à faire. On conclut après délibération qu’il fallait assaillir ce jour-là un gros boulevard que les Anglais avaient fait devant la bastille des Tournelles, et qu’il était expédient de l’avoir et de le gagner avant que de faire autre chose. Pour mettre ce dessein à exécution, allèrent de part et d’autre la Pucelle, les capitaines et leurs gens, ce jour-là, bien matin, devant ledit boulevard. Ils donnèrent l’assaut de toutes parts, et firent tout leur effort de le prendre, tellement qu’ils furent devant icelui boulevard depuis le matin jusqu’au soleil couchant, sans parvenir à le prendre ni le gagner. Les seigneurs et capitaines étant avec eux voyant que bonnement ils ne pouvaient le gagner ce jour-là, considéré l’heure qui était fort avancée (fort tarde), et aussi que tous étaient fort las et travaillés, conclurent entre eux de faire sonner la retraite ; ce qui fut fait, et à son de trompette il fut sonné (publié) que chacun se retirât pour icelui jour. En faisant ladite retraite, celui qui portait l’étendard de la Pucelle et le tenait encore debout devant le boulevard, étant las et travaillé, le bailla à un nommé le Basque, qui était au seigneur de Villars. Je connaissais Basque pour un vaillant homme, je craignais que mal ne s’en suivit de la retraite, et que la bastille et le boulevard ne demeurassent ès mains des ennemis. J’eus imagination que si l’étendard était bouté en avant, à cause de la grande affection (valeur ?) que je connaissais être aux 213gens étant allés (), ils pourraient par ce moyen gagner icelui boulevard. Je demandai à Basque, si, au cas où j’entrerais et irais aux pieds du boulevard, il me suivrait ; il me dit et promit d’ainsi le faire. J’entrai alors dans le fossé et j’allai jusqu’au pied du revêtement329 du boulevard, en me couvrant de ma targette330 par crainte des pierres, et je laissai mon compagnon de l’autre côté, croyant qu’il dût me suivre pied à pied ; mais quand la Pucelle vit son étendard ès mains dudit Basque, et qu’elle le cuidait avoir perdu (sic ?), alors que celui qui le portait était entré au fossé, elle vint, prit l’étendard par le bout, de manière qu’elle ne pouvait l’avoir, en criant : Ah ! mon étendard, mon étendard ! et elle le branlait. Je m’imaginais qu’en ce faisant les autres penseraient que la Pucelle leur faisait quelque signe, et je m’écriai : Ah ! Basque, est-ce ce que tu m’as promis ? et alors Basque tira tellement l’étendard qu’il l’arracha des mains de la Pucelle, et, ce fait, il vint vers moi, et porta ledit étendard. À cette occasion tous ceux de l’armée de la Pucelle s’assemblèrent, et derechef se rallièrent, et avec si grande âpreté331 assaillirent ledit boulevard que, peu de temps après, le boulevard et la bastille furent pris par eux, et abandonnés par les ennemis.

Les Français se retirèrent à Orléans en passant sur le pont. Ce jour-là même j’avais ouï dire à la Pucelle : En nom Dieu, on entrera de nuit en la ville par le pont. Cela fait, la Pucelle et ses gens entrèrent dans Orléans ; je la fis panser, car elle avait été blessée d’un trait dans l’attaque332.

Le lendemain les Anglais qui étaient demeurés devant la ville, sur la rive opposée à celle des Tournelles, levèrent le siège, et s’en allèrent tout confus de leur déconfiture. Et par ainsi, moyennant l’aide de Notre-Seigneur et de la Pucelle, la cité fut délivrée des mains des ennemis.

V. — Certain temps après le retour du sacre, le conseil du roi, qui alors était à Mehun-sur-Yèvre, fut d’avis qu’il était très nécessaire de recouvrer la ville de La Charité que tenaient les ennemis ; mais qu’avant il fallait prendre la ville de Saint-Pierre-le-Moûtier que tenaient pareillement les mêmes ennemis.

Pour ce faire, et assembler des gens, la Pucelle alla en la ville de Bourges, où elle fit son assemblée, et de là avec une certaine quantité de gens d’armes, dont le chef était Mgr d’Albret, elle alla assiéger la ville de Saint-Pierre-le-Moûtier.

214Après que la Pucelle et ses gens eurent tenu le siège devant la ville pendant quelque temps, on résolut de donner l’assaut à la ville, et ainsi il fut fait. Ceux qui étaient là firent leur devoir de la prendre, mais, vu le grand nombre de gens qui étaient en la ville, sa grande force, et aussi la grande résistance opposée par les défenseurs, les Français, pour toutes ces causes, furent contraints et forcés de se retirer. En ce moment, j’étais blessé d’un trait au talon, tellement que je ne pouvais ni me soutenir, ni marcher sans béquilles. Je vis cependant que la Pucelle était demeurée très petitement accompagnée de ses gens sans autres. Craignant qu’un inconvénient ne s’en suivît, je montai sur un cheval, et incontinent tirai vers elle. Je lui demandai ce qu’elle faisait là ainsi seule, et pourquoi elle ne se retirait pas comme les autres ; elle me répondit, après avoir ôté sa salade333 de dessus la tête, qu’elle n’était pas seule, et qu’encore avait-elle en sa compagnie cinquante-mille de ses gens, et qu’elle ne partirait pas de là qu’elle n’eût pris la ville. Or, à cette heure, quelque chose qu’elle dît, elle n’avait pas avec elle plus de quatre ou cinq hommes. Je le sais certainement, et plusieurs autres qui pareillement la virent. Ce qui fut cause que je lui dis derechef de se retirer de là, et de s’en aller comme faisaient les autres. Elle me dit alors de faire apporter des fagots et des claies pour faire un pont sur les fossés, afin de pouvoir mieux approcher de la ville. Et en me disant ces paroles, elle s’écria à haute voix et dit : Aux fagots et aux claies tout le monde, afin de faire le pont. Il fut incontinent après fait et dressé. Ce dont je fus tout émerveillé, car incontinent la ville fut prise d’assaut, sans y trouver pour lors trop grande résistance.

VI. — Tous les faits de la Pucelle me semblaient plus divins et plus miraculeux qu’autrement, et il était impossible à une si jeune Pucelle de faire telles œuvres, sans le vouloir et la conduite de Notre-Seigneur.

Par l’espace d’un an entier, sur le commandement du roi notre seigneur, je suis demeuré en la compagnie de la Pucelle. Pendant ce temps, je n’ai vu ni connu en elle chose qui ne doive être en une bonne chrétienne ; je l’ai toujours vue et connue de très bonne vie et honnête conversation, en tous et chacun de ses faits.

J’ai connu icelle Pucelle être très dévote créature ; elle se maintenait très dévotement en oyant le divin service de Notre-Seigneur, lequel continuellement elle voulait ouïr, c’est à savoir aux jours solennels la grand — messe du lieu où elle était, avec les heures subséquentes, et les autres jours une messe basse ; elle était accoutumée d’ouïr messe tous les jours, s’il lui était possible.

215Par plusieurs fois j’ai vu et su qu’elle se confessait et recevait Notre-Seigneur, et elle faisait tout ce qu’il appartient à bon chrétien et à bonne chrétienne de faire, et jamais, pendant que j’ai conversé avec elle, je ne l’ai ouïe jurer, blasphémer ou parjurer le nom de Notre-Seigneur, ni de ses saints, pour quelque cause ou occasion que ce fut.

Encore qu’elle fût jeune fille, belle et bien formée, et que par plusieurs fois, soit en l’aidant à s’armer, soit autrement, je lui aie vu l’extrémité des seins, et quelquefois, en la faisant appareiller de ses plaies, les jambes toutes nues ; encore que souvent je l’aie approchée, et que je fusse fort jeune, et dans l’ardeur de l’âge, toutefois jamais ni sa vue, ni le service de sa personne, n’ont provoqué en moi ni la moindre émotion, ni le moindre désir sensuel à son endroit. Il n’en était pas autrement de qui que ce fût de ses gens et écuyers, ainsi que je le leur ai ouï dire et affirmer par plusieurs fois. À mon avis, elle était très bonne chrétienne et devait être inspirée ; car elle aimait tout ce que bon chrétien doit aimer ; et par spécial elle aimait fort un bon prud’homme qu’elle savait être de vie chaste.

J’ai ouï dire à plusieurs femmes qui par plusieurs fois avaient vu la Pucelle déshabillée, et su de ses secrets, que jamais elle n’avait eu la secrète maladie des femmes, et que jamais nul n’en put rien connaître ou apercevoir par ses vêtements, ni autrement.

Quand la Pucelle avait quelque chose à faire pour le fait de sa guerre, elle m’a dit à moi qui vous parle que son conseil lui avait dit ce qu’il y avait à faire. Je lui demandai quel était son conseil ; elle me répondit que ses conseillers étaient trois, parmi lesquels l’un résidait toujours avec elle, l’autre allait, et venait souventes fois vers elle et la visitait ; et le troisième, celui avec lequel les deux autres délibéraient. Une fois entre les autres je la priai et lui fis requête qu’elle voulut bien une fois me montrer icelui conseil. Elle me répondit que je n’étais pas assez digne, ni vertueux pour le voir ; et sur ce je me désistai de lui en parler plus avant, et de m’en enquérir.

Ainsi que je l’ai dit précédemment, je crois fermement, vu ses faits ses gestes et sa grande conduite, que la Pucelle était remplie de tous les biens qui peuvent et doivent être en une bonne chrétienne.

(Et ainsi l’a dit et déposé, comme dessus est écrit, sans amour, faveur, haine ou subornation quelconque ; mais seulement pour la seule vérité du fait, et ainsi comme il a vu et connu être en ladite Pucelle.)

216Chapitre VI
La Vierge-Guerrière d’après son aumônier et confesseur

I.
Frère Jean Pâquerel
La mère et les guides de la Vénérable, au jubilé du Puy, où ils parlent de la Pucelle à frère Pâquerel. — Pâquerel présenté à Jeanne à Tours. — Choisi par elle pour son confesseur. — Observations. — Constatation de l’intégrité virginale de la Pucelle. — L’examen de Poitiers. — Punition d’un blasphémateur libertin prédite et accomplie. — Remarques. — Premier entretien avec le roi. — Jésus-Christ, roi de France, le roi son lieutenant. — Remarques sur la grandeur de la scène. — L’étendard confectionné sur l’ordre de Notre-Seigneur. — Fonctions de Pâquerel. — Jeanne se confessait presque tous les jours, souvent avec larmes ; communiait souvent, de préférence avec les enfants donnés aux ordres mendiants. — Remarques. — Séjour à Blois ; seconde bannière, convocation quotidienne des prêtres tout autour. — Condition d’admission pour les hommes d’armes. — Marche vers Orléans au chant des hymnes de l’Église. — Difficulté de transvasement des vivres. — Critique du texte. — Pâquerel revient de Blois avec les troupes — Entrée au chant des hymnes sous les yeux des Anglais. — Course de Jeanne vers Saint-Loup. — Sentiments de Jeanne à la vue des blessés français. — Sa compassion s’étend aux Anglais morts. — Ordre réitéré de se conférer, d’expulser les femmes de mauvaise vie. — Sanctification de la fête de l’Ascension. — Prophétie. — Défense aux non confessés de venir au combat. — Le péché fait perdre les batailles. — Lettre de sommation aux Anglais. — Insultes de ceux-ci. — Douleur et consolation de Jeanne. — Remarques. — Prise des Augustins. — Jeanne avertie par les capitaines de ne pas attaquer les Tourelles. — Sa réponse. — Son invitation à Pâquerel. — Blessure. — Refuse de la laisser charmer. — Remèdes. — Touchante adjuration à Glacidas. — Larmes. — Procession à Orléans. — La Vénérable regardait son fait comme un ministère. — Ses réponses sur ce que son fait est inouï. — Pleine de toutes les vertus. — Sa commisération même pour les ennemis. — Son éloignement de tout péché. — Injustice de sa condamnation. — Appel au roi et au duc d’Alençon sur les secrets. — La Pucelle demandait des fondations pieuses pour les soldats morts au service de la cause nationale.

(Fos A LXXX r°, B 118 r°, U 185 v°).

Voici, je crois, la déposition incontestablement la plus intéressante de toutes celles qui ont été entendues à la réhabilitation. On n’en regrette que davantage de ne savoir sur le religieux augustin que ce que sa déposition nous en fait connaître. Fixé au couvent de Bayeux, quand il rendait à Paris ce beau témoignage à sa pénitente, il était professeur (lecteur) au couvent de son ordre à Tours, lorsque la Providence rattacha aux pas de 217la Vierge. Il nous dira lui-même par quel concours de circonstances, et elles sont loin d’être sans intérêt. La mise à l’œuvre de la Pucelle était décidée lorsque le religieux augustin la rencontra à Tours où elle faisait confectionner sa bannière. Il ne connaît les examens de Chinon et de Poitiers que par les confidences de la céleste envoyée ; la source ne pouvait être meilleure. Le narrateur fait cependant une confusion de dates ; il place au retour de Poitiers la première entrevue de la Pucelle et du roi et la révélation des secrets sur lesquels il nous donne des détails si significatifs.

À raison de son auteur, du soin avec lequel elle a été faite, des détails qu’elle nous fait connaître, cette déposition demande à être particulièrement étudiée. Le texte latin va être mis au bas des pages, et quelques réflexions suivront les divisions que nous introduisons dans la traduction.

Vénérable et religieuse personne, frère Jean Pâquerel, de l’ordre des Ermites de Saint-Augustin, du couvent de Bayeux. Il fut produit hier, admis et prêta serment devant messeigneurs les commissaires. Aujourd’hui 4 mai, sur l’ordre des messeigneurs les commissaires, il a été examiné par les greffiers. Après avoir ouï la lecture des quatre premiers articles, il a fait sa déposition dans les termes suivants sous la foi de son serment.

I. — La première fois que j’entendis parler de Jeanne, et de la manière dont elle était venue vers le roi, j’étais dans la ville du Puy-en-Velay334. Là se trouvaient la mère de Jeanne, et quelques-uns de ceux qui avaient conduit 218la jeune fille vers le roi. Ces derniers me connaissaient un peu ; ils me dirent que je devais venir avec eux vers Jeanne et qu’ils ne me laisseraient pas qu’ils ne m’eussent mené jusqu’à elle. Je fis voyage avec eux jusqu’à Chinon, et à la suite, de Chinon jusqu’à Tours où j’étais lecteur (professeur de philosophie ou de théologie), dans le couvent de mon ordre. Jeanne se trouvait alors à Tours, logée dans la maison de Jean Dupuy, bourgeois de la ville335. C’est là que nous l’abordâmes, et que ceux qui m’avaient amené lui dirent : Jeanne, nous vous avons amené ce bon père, dès que vous le connaîtrez, vous lui serez bien affectionnée. Jeanne répondit qu’elle était bien contente de me voir, qu’elle avait déjà entendu parler de moi, et que dès le lendemain elle voulait se confesser à moi. Le lendemain je l’entendis en confession, je chantai la messe devant elle, et dès lors je fus toujours à sa suite jusqu’à la ville de Compiègne, où elle fut prise.

Pâquerel, ayant préparé par écrit sa déposition, n’a eu qu’à la dicter. In villa Aniciensi, c’est indubitablement Le Puy-en-Velay. Quicherat et beaucoup d’autres ont reculé devant cette traduction. Ils ne connaissaient pas l’incomparable histoire du sanctuaire qui fut au moyen âge ce que Lourdes, — une des dépendances féodales du Puy, — est de nos jours. Ses jubilés qui ont lieu toutes les fois que coïncident la fête de l’Annonciation et le Vendredi Saint, c’est-à-dire quand le Vendredi Saint tombe le 23 mars, amenaient des pèlerins de lieux plus lointains que les bords de la Meuse ; on en voyait de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne surtout, et même de la Grèce. Rien d’étonnant que la mère de la Vénérable s’y fut rendue. Il a été établi ailleurs (I, p. 16), qu’il y avait particulière union de prières entre les chapitres du Puy et de Toul. La dévotion à Notre-Dame-du-Puy était populaire dans ces contrées. Jeanne tenait de sa mère la dévotion aux lieux de piété ; les témoins de Domrémy l’ont constaté à l’envi. En 1429 il y avait jubilé au Puy. La fille ne pouvant s’y rendre y aura été représentée par sa mère et par ceux de ses guides dont Pâquerel vient de nous parler. Pâquerel continue :

II. — J’ai ouï dire que lors de son arrivée à la cour, Jeanne, à deux reprises, fut visitée par des femmes, pour savoir si elle était du sexe masculin ou féminin, et si oui ou non elle était en possession de son intégrité virginale. Il fut constaté qu’elle était vraiment femme, vierge, en possession de son intégrité. Cette inspection fut confiée à madame de Gaucourt et à madame de Trèves.

Elle fut ensuite conduite à Poitiers pour y être soumise à l’examen des clercs de l’université, et savoir d’eux le parti à prendre. Les examinateurs 219furent maître Jordan Morin, maître Pierre de Versailles, mort depuis évêque de Meaux, et beaucoup d’autres. Après examen, leur conclusion fut, qu’eu égard à l’extrême nécessité dans laquelle se trouvait alors le royaume tout entier, le roi pouvait s’en aider, et qu’ils n’avaient trouvé en elle rien de contraire à la foi catholique. Cela fait, elle fut ramenée à Chinon, où elle s’attendait à parler au roi ; ce qui ne lui fut pas accordé de cette fois. Enfin, après délibération du conseil, il lui fut donné d’entretenir le roi.

Ce jour-là même, au moment où Jeanne entrait au château pour lui parler, un homme qui était à cheval laissa échapper ces paroles : N’est-ce pas là la Pucelle ? et en reniant Dieu, il dit que s’il en était le maître une nuit, elle ne sortirait pas pucelle d’auprès de lui. Jeanne repartit : En nom Dieu, tu le renies, et tu es si près de ta mort. Une heure ne s’était pas écoulée que le misérable tombait dans l’eau et s’y noyait. Je tiens le fait de Jeanne et de plusieurs autres qui en furent les témoins336.

La Vénérable en avait fini avec les interrogations de Poitiers et de Chinon lorsqu’elle vit Pâquerel pour la première fois. C’est ce qui explique l’inexactitude que l’on vient de lire sur la première entrevue de la Pucelle et du roi. Cette entrevue et la révélation des secrets ont précédé le voyage de Poitiers. Même après le favorable jugement des docteurs, y a-t-il eu quelque incident qui aurait retardé une audience sollicitée par la Pucelle ? Est-ce la cause de l’erreur du témoin qui aura ainsi transposé l’ordre des faits ? Cela n’est pas impossible.

Un poème latin du temps, dont il sera parlé au IVe livre, nous fait connaître le nom même du cavalier qui reçut le châtiment si prompt de son langage insultant pour Dieu et pour son envoyée. Pancrace Justigniani 220écrit de Bruges, dans la première quinzaine de mai, que Dieu frappe les contempteurs de son envoyée (III, p. 574). Reprenons la déposition.

Mgr le comte de Vendôme amena Jeanne auprès du roi, et l’introduisit dans son appartement. Le roi en la voyant lui demanda son nom, elle répondit : Gentil Dauphin, j’ai nom Jeanne la Pucelle, et vous mande le Roi des cieux par moi, que vous serez sacré et couronné dans la ville de Reims et vous serez lieutenant du roi des Cieux, qui est roi de France. Le roi lui fit de nombreuses interrogations, et Jeanne lui dit de nouveau : Moi je te dis de la part de Messire que tu es vrai héritier de France et fils du roi ; il m’envoie pour te conduire à Reims afin, si tu le veux, que tu y reçoives ta couronne et ton sacre. Ces paroles furent entendues des assistants, auxquels le roi dit que Jeanne lui avait révélé des choses secrètes qui n’étaient sues et ne pouvaient être sues que de Dieu ; ce qui lui donnait grande confiance en elle337.

Tout ce que je viens de dire, je le tiens de Jeanne elle-même, n’ayant pas été présent lorsque cela se passait.

L’histoire de France n’a pas de page qui approche de ces lignes. L’on n’en trouvera de supérieures que dans les promesses faites aux Patriarches que de leur race sortirait le Messie. En dehors, les annales des autres peuples n’offrent rien de comparable. C’est une vierge, c’est-à-dire un ange terrestre, qu’envoie le Roi des Cieux pour confirmer par le miracle la constitution politique de la France. La confirmation, ce seront les miracles qui vont suivre sans doute, mais aussi le miracle qui est fait immédiatement, par la révélation des secrets. Par ce miracle Dieu lui-même fait connaître celui qui doit bénéficier de la loi salique ; il rassure le légitime héritier qui doute de son droit, parce qu’il doute de la légitimité de sa naissance. Pâquerel, instruit par sa pénitente, connaît si bien la portée de ce qu’il dit que, pour ne pas altérer les paroles plus importantes de l’entretien, il les intercale en français au milieu d’un texte qu’il a écrit en latin. Gentil Dauphin a la signification d’héritier par la race, selon la signification étymologique et première du mot Gentil, l’homme de race, et qui en conserve les hautes distinctions. Ce n’est pas tant la Pucelle qui 221parle que Messire qui parle par sa bouche ; aussi la Céleste Envoyée se met-elle à tutoyer le Gentil Dauphin : Ego dico tibi ex parte de Messire que tu es vray héritier de France et filz du roy. C’est tout un d’être héritier de France et fils du roi. Ainsi le voulait Notre-Seigneur aux jours de la Pucelle. Il n’est certes pas impossible que ses volontés aient aujourd’hui changé. Après la captivité le sceptre royal ne rentra pas dans la famille de David, et les Machabées n’étaient pas des usurpateurs.

Quelle solennité ! Ego dico libi ex parte de Messire. On rapproche involontairement ces paroles de celles qui un jour furent dites à Simon, fils de Jean : Ego dico libi quia tu es Petus. Ex parte de Messire, c’est le même Seigneur qui parle.

C’est qu’en effet il se choisit un vicaire destiné à seconder celui contre lequel les portes de l’enfer ne prévaudront pas. Un vicaire (vices gerens) et un lieutenant (locum tenens), ce sont deux mots synonymes. Or, le roi de France est, dans le dessein de Dieu (locum tenens Regis cœlorum qui est rex Franciæ). Si le lieutenant a droit au respect dû à celui dont il tient la place, il n’a de droit que pour faire observer la loi de celui qu’il remplace, et toute sa force est là. S’il l’oublie jusqu’à ne pas reconnaître le suzerain, il devient félon. Toute la mission de la Pucelle dans sa signification la plus haute est renfermée dans ces paroles. Aussi ne cesse-t-elle de le proclamer de mille manières.

Elle dit au Dauphin qu’elle le conduira à Reims, si volueris, si tu le veux. Par suite, cela dépendait de sa libre coopération. Le texte indique que ces paroles furent dites d’une voix haute, pour être entendues des assistants massés durant l’entretien à une extrémité de la salle. Il faut remarquer que l’introducteur est le comte de Vendôme, la tige de la race qui devait hériter de la lieutenance, mais que, dans la personne du Béarnais hérétique, la France catholique repoussa fort légitimement tant qu’il fut félon, c’est-à-dire dans l’hérésie ; et qu’elle n’admit que lorsqu’il fut absous par le Vicaire contre lequel les portes de l’enfer ne sauraient prévaloir ; elles auraient prévalu au royaume de France, lorsque l’héritier de la couronne était en révolte ouverte contre celui qui est le fondement de l’Église, si la nation l’avait accepté. Le sang ne donne droit à la lieutenance que lorsqu’il est vivifié par une âme qui en reconnaît le plus essentiel devoir, la dépendance du Roi des Cieux, l’obligation de régner en son nom et pour lui. Considérer le sang royal d’une manière purement matérielle, c’est ne pas connaître la signification du mot, lui enlever son sens élevé, pour le ravaler à une signification animale ; car, matériellement considéré, il n’est que cela. Voilà pourquoi, entre la théorie ici exposée par la Vénérable, et la légitimité telle que l’enseignait l’école gallicane, il y a la distance de la terre au ciel, du Christianisme à 222l’idolâtrie. Le droit divin du sang matériellement considéré est une idolâtrie réprouvée par la foi et la raison ; il en est le renversement. Reprenons la déposition de Pâquerel.

III. — Je sais de Jeanne qu’elle souffrait beaucoup de tant d’interrogatoires qui l’empêchaient d’accomplir l’œuvre pour laquelle elle était envoyée. Il était nécessaire de se mettre à l’œuvre et le temps en était venu. Elle m’a dit s’être enquise auprès des messagers de son Seigneur, c’est-à-dire de Dieu, de ce qu’elle avait à faire. Ils lui dirent de prendre l’étendard de son Seigneur. C’est pour obéir qu’elle fit faire sa bannière. Notre Sauveur y était peint porté sur les nuées du ciel dans l’attitude de juge ; un Ange lui présentait un lis qu’il bénissait. J’arrivai à Tours lorsqu’on travaillait à confectionner la peinture et l’étendard.

Peu de temps après, Jeanne se mit en route avec les hommes d’armes, pour faire lever le siège d’Orléans. J’étais en sa compagnie ; je ne la quittai plus jusqu’à ce qu’elle fût prise devant Compiègne ; j’étais à son service en qualité de chapelain, je l’entendais en confession, je lui chantais la messe.

Fort grande était la dévotion de Jeanne envers Notre-Seigneur et la Bienheureuse Marie. Elle se confessait quasi tous les jours et communiait souvent. Se trouvait-elle dans un lieu où il y avait couvent des religieux Mendiants, elle m’avait chargé de lui rappeler les jours où les petits enfants de ces couvents recevaient le sacrement de l’Eucharistie, afin de pouvoir communier avec eux ; ce qu’elle faisait souvent, car c’était avec les enfants donnés aux religieux Mendiants qu’elle recevait le sacrement d’Eucharistie.

Quand elle se confessait, elle pleurait.

À son départ de Tours pour Orléans, elle me pria de ne pas la quitter, mais de rester toujours auprès d’elle comme son confesseur. Je le lui promis338.

223Jeanne ne refusait pas de donner des preuves de sa mission ; mais il est une limite au-delà de laquelle ne pas croire est défaut de foi. Ce défaut de foi devait s’accentuer bien davantage dans la suite. La bannière c’est toujours Notre-Seigneur roi de France. Pâquerel ne parle que d’un ange, tandis que la Vénérable dit qu’il y en avait deux. Si Notre-Dame était peinte sur l’envers, il peut se faire qu’il y en eût un de chaque côté. La bannière a été confectionnée auprès du tombeau de saint Martin, dont la chape était autrefois portée au-devant de l’armée. Tous les documents sont unanimes pour affirmer que Jeanne se confessait très souvent, plus qu’elle ne communiait. Aucun des quatre ordres mendiants n’est nommé, et il semble que, selon l’occurrence, Jeanne communiait avec les enfants tantôt d’un couvent, tantôt d’un autre. Pâquerel continue :

Nous restâmes à Blois durant deux ou trois jours, pour donner le temps de charger les provisions de vivres sur les bateaux339.

C’est à Blois qu’elle me dit de faire confectionner pour réunir les prêtres une bannière sur laquelle serait représenté Notre-Seigneur en croix ; je 224le fis. La bannière une fois faite, Jeanne, deux fois par jour, le matin et le soir, me faisait réunir tous les prêtres. Quand nous étions réunis, nous chantions des antiennes et des hymnes à la Bienheureuse Marie ; Jeanne y assistait ; elle ne permettait de se trouver parmi les prêtres qu’aux hommes d’armes confessés ce jour-là. Elle les avertissait de se confesser tous pour venir à ces réunions ; car tous les prêtres présents étaient toujours prêts à recevoir les confessions de ceux qui le désiraient.

Quand Jeanne sortit de Blois pour aller à Orléans, elle voulut que tous les prêtres fussent réunis autour de cette bannière ; et ils marchaient en tête des hommes d’armes. Nous marchâmes en cet ordre par le côté de la Sologne, chantant le Veni Creator Spiritus et de nombreuses antiennes. Nous couchâmes dans les champs la première nuit, et la nuit suivante. Le troisième jour nous nous arrêtâmes. Nous arrivâmes près d’Orléans, que les Anglais assiégeaient, et nous nous arrêtâmes auprès de la rive du fleuve de la Loire. Les soldats du roi s’arrêtèrent assez près des Anglais, en sorte que Français et Anglais n’étaient pas hors de la portée de la vue les uns des autres ; les soldats du roi amenaient le convoi de vivres ; mais les eaux de la rive étaient si basses que les vaisseaux ne pouvaient pas monter jusqu’au lieu où étaient les Anglais (lire Français). Or, l’eau grossit comme subitement, en sorte que les vaisseaux arrivèrent jusqu’aux hommes d’armes. Jeanne monta les bateaux avec quelques hommes d’armes et entra dans Orléans.

Remarque. — Il y a manifestement une erreur de copiste, ou défaut de mémoire de la part du témoin, quand il dit que les vivres étaient à Blois chargés sur les bateaux. Ce ne fut pas par eau qu’ils furent menés à Orléans. Les Anglais étaient maîtres du cours de la rivière depuis Beaugency. Peut-être veut-il dire que les vivres se trouvaient à Blois sur des bateaux d’où on les mettait sur des chars, ou sur les bêtes de somme. Mais dès lors l’expression est fautive. Où étaient les Anglais est une faute de transcription, il faut lire : les Français. Une difficulté plus grande est de faire concorder la déposition de Pâquerel avec la Chronique de l’établissement de la fête du 8 mai. D’après cette pièce, le fleuve coulait à pleins bords, et le vent étant contraire ; il soufflait de l’amont ; or les bateaux devaient remonter en amont, le convoi ayant abouti à l’île aux Bourdons, en face de Chécy.

Dunois constate, lui aussi, que le vent était contraire et changea soudainement. D’après Pâquerel, l’eau était trop basse pour que les bateaux pussent approcher de la berge. La contradiction disparaît si l’on considère que, d’après M. Boucher de Molandon, l’île aux Bourdons était un des nombreux atterrissements qui existaient au XVe siècle en cet endroit de la Loire339b. Les eaux grossies devaient étendre encore 225plus largement leurs flots sur la grève, et élargir l’espace non accessible aux bateaux. Le vent, en soufflant d’aval au lieu de souffler d’amont, poussait les chalands dans la direction désirée, ralentissait la force du courant, et même tendait à grossir les flots sur la grève. Ainsi se concilient les divers récits. Reprenons la déposition.

Par ordre de Jeanne, je rentrai à Blois avec les prêtres et avec la bannière. Peu de jours après, je revins à Orléans avec de nombreux guerriers, cette fois par la Beauce. Nous avançâmes bannière déployée, les prêtres tout autour, sans nul obstacle. Dès que Jeanne sut que nous arrivions, elle vint à notre rencontre. Nous entrâmes tous ensemble à Orléans, sans opposition, et nous introduisîmes les vivres sous les yeux des Anglais. Chose étonnante ! Les Anglais très nombreux, bien établis, armés, disposés pour le combat, voyaient la troupe du roi, relativement peu nombreuse ; ils voyaient, ils entendaient les prêtres qui chantaient, et dans les rangs desquels je portais la bannière ; et cependant aucun d’eux ne remua, et n’attaqua ni les hommes d’armes, ni les prêtres.

IV. — Entrés dans Orléans, les guerriers en sortirent de nouveau sur les instances de Jeanne, et allèrent attaquer et assaillir les Anglais qui étaient dans la bastide ou le fort de Saint-Loup. Après le dîner, je me dirigeai avec d’autres prêtres vers le logis de Jeanne. Au moment où nous arrivions, elle s’écriait : Où sont ceux qui me doivent armer ? Le sang de nos gens rougit la terre. Aussitôt qu’elle fut armée, elle s’élança hors de la ville, courant vers le fort Saint-Loup, où avait lieu l’attaque ou l’assaut. Sur le chemin elle rencontra plusieurs blessés ; elle en ressentit la plus vive douleur. Elle s’élança avec les autres à l’assaut, si bien que le fort fut emporté de vive force, et les Anglais qui s’y trouvaient faits prisonnier340.

226Je me rappelle bien que c’était la vigile de l’Ascension. Beaucoup d’Anglais furent tués. Ce fut une grande douleur pour Jeanne, parce que, disait-elle, ils étaient morts sans confession ; elle se lamentait beaucoup sur leur sort, et elle-même se confessa sur-le-champ341.

Remarque. — Si la Pucelle avait engagé les Orléanais à se tenir prêts, son intention n’était pas certainement qu’ils fussent attaquer Saint-Loup sans elle. Les Cousinot (III, p. 78) nous disent qu’à son insu l’on avait commencé une attaque qui ne tournait pas à l’avantage des assaillants. Que la Pucelle ait été miraculeusement avertie de ce qui se passait, c’est ce qui est attesté par d’Aulon, de Coutes, les Cousinot, Colette, femme de Jean Milet, et par Pâquerel lui-même. Les divers récits se concilient en admettant qu’on avait décidé d’attaquer Saint-Loup, et même arrêté un plan, mais que l’on s’y porta sans avertir Jeanne qui s’était jetée sur son lit pour reposer avant d’aller à la bataille. Les témoins ne faisant pas une histoire, forcés de restreindre leur exposition, ne disaient sans doute et ne devaient dire que ce qui pouvait servir à montrer que Jeanne n’était pas suscitée par les mauvais esprits. — La déposition continue.

V. — Elle me prescrivit d’avertir publiquement tous les hommes d’armes de se confesser de leurs péchés et de rendre grâce à Dieu de la victoire remportée ; sans quoi elle n’irait pas avec eux, bien plus elle quitterait leur compagnie.

Cette même veille de l’Ascension, elle me dit qu’avant cinq jours le siège d’Orléans serait levé, et qu’il ne resterait pas un Anglais devant les murs de la ville. Il en fut ainsi, car, ainsi que je l’ai dit, ce fut le mercredi que fut pris le fort de Saint-Loup, là où est le couvent des religieuses. Il y avait dans ce fort plus de cent Anglais, tous hommes d’élite et bien armés. Pas un qui ne fût pris ou tué.

Ce même jour, le soir, à son logis, elle me dit que le lendemain, fête de l’Ascension du Seigneur, elle n’irait pas au combat et ne s’armerait pas, par respect pour la fête ; et qu’elle voulait ce jour-là se confesser et recevoir le sacrement d’Eucharistie. Ce qu’elle fit.

Ce même jour de l’Ascension elle fit publier que nul ne fût le lendemain assez hardi pour sortir de la ville et aller au combat et à l’assaut, sans s’être précédemment présenté à confesse ; que l’on veillât à ce qu’il n’y 227eût pas dans l’armée des femmes de mauvais renom ; parce que, à cause des péchés, Dieu permettrait la mauvaise issue de la guerre. Il fut fait comme Jeanne l’avait ordonné342.

Remarque. — D’après les Cousinot, Jeanne aurait voulut combattre le jour de l’Ascension, tandis que d’après Pâquerel et l’auteur de la Chronique de l’établissement de la fête, elle se serait abstenue par respect pour la solennité. Les deux assertions ne sont peut-être pas inconciliables. Le désir de mettre fin promptement aux maux d’un siège de près de sept mois, de profiter d’une première victoire, peuvent avoir fait concevoir à Jeanne la pensée de combattre le lendemain, après l’audition de la messe ; sur les représentations des capitaines, elle aura changé de sentiment et, par un respect qu’elle sentait plus vivement que tout autre, elle aura volontiers accédé aux représentations des chefs.

Confessée probablement le mercredi matin, elle se confesse le soir après la prise de Saint-Loup ; se confesse le jeudi matin, se confesse le vendredi matin, probablement le samedi de bon matin, certainement ce même jour après sa blessure. Entendons le témoin.

Ce même jour de l’Ascension du Seigneur, Jeanne écrivit dans les termes suivants aux Anglais cantonnés dans leurs forts ou bastilles :

Vous hommes d’Angleterre, qui n’avez nul droit dans ce royaume de France, le Roi des Cieux vous a ordonné et vous mande par moi Jeanne la Pucelle que vous quittiez vos forts et rentriez dans vos parages ; faute de quoi je vous ferai un tel hahu qu’il en sera perpétuelle mémoire. C’est pour la troisième et dernière fois que je vous écris. Je ne vous écrirai plus.

Signé : Jhesus Maria, Jeanne la Pucelle, et à la suite :

Je vous aurais envoyé ma lettre plus honnêtement ; mais vous retenez mes héraults ; vous avez retenu mon hérault du nom de Guyenne. Veuillez me le 228renvoyer, et je vous renverrai quelques-uns de vos gens pris au fort Saint-Loup ; car tous ne sont pas morts.

Elle prit ensuite une flèche, avec un fil elle attacha la lettre à l’extrémité, et elle ordonna à un arbalétrier de la lancer aux Anglais, en criant : Lisez, il y a des nouvelles. Les Anglais reçurent la flèche, et la lettre qu’ils lurent. La lecture finie, ils se mirent à crier de toutes leurs forces : Ah ! ce sont des nouvelles de la putain des Armagnacs ! Ces paroles firent pousser à Jeanne de grands soupirs, et lui firent répandre une grande abondance de larmes ; elle invoquait le Roi des Cieux à son aide. Elle fut ensuite consolée, parce que, ainsi qu’elle le disait, elle avait eu des nouvelles de son Seigneur.

Le soir après le souper, elle m’ordonna de me lever le lendemain de meilleure heure que je ne l’avais fait le jour de l’Ascension : je l’entendrais en confession de très bon matin. Je le fis ainsi343.

Remarque. — Il était ordonné à la Vénérable de faire trois sommations à l’envahisseur. Elle avait fait la première par la fameuse lettre envoyée de Blois ; ou même peut-être avant l’arrivée à Blois. D’après le Journal du siège, la Pucelle renouvela la sommation le 30 avril samedi, et le 1er mai dimanche, soit à la Belle-Croix, soit à la Croix-de-Morin, c’est-à-dire aux assiégeants de la rive droite et de la rive gauche. La Chronique de la fête du 8 mai dit que durant ces jours, où elle attendait les renforts de Blois, la Pucelle renouvela deux ou trois fois ses sommations aux Anglais. D’après de Coutes, elle aurait fait une sommation quelques instants avant de se jeter sur son lit, d’où les voix la firent se lever précipitamment.

229D’après cette lettre, elle aurait fait trois sommations par écrit, indépendamment des sommations orales.

Nombreux sont les documents qui nous parlent de l’arrestation des hérauts au camp anglais, du sort qui les menaçait, de leur délivrance. Ils diffèrent sur les circonstances de leur retour. Il peut se faire que, relâchés une première fois sur la menace de représailles, que Dunois aurait exécutées sur les hérauts et prisonniers anglais présents dans la ville, ils aient été faits prisonniers dans un second ou troisième envoi, et que la captivité de l’un d’entre eux n’ait pris fin, comme l’affirme un chroniqueur, qu’avec le siège même. Le témoin continue.

VI. — Le jour indiqué, c’est-à-dire le vendredi, lendemain de la fête de l’Ascension, je me levai de très bon matin, j’entendis Jeanne en confession, et je chantai la messe devant elle et devant ses gens, dans la ville d’Orléans ; on alla ensuite à l’attaque ; elle dura depuis le matin jusqu’au soir. Le fort des Augustins fut conquis après un grand combat. Jeanne avait l’habitude de jeûner le vendredi ; elle ne put pas jeûner ce vendredi, parce qu’elle était trop fatiguée ; elle soupa.

Elle avait soupé, quand elle vit arriver un vaillant et notable chevalier dont le nom ne me revient pas. Il lui dit que les capitaines et les hommes d’armes avaient tenu conseil ; qu’ils avaient considéré qu’ils étaient en petit nombre proportionnellement au nombre des Anglais ; Dieu leur avait fait une grande grâce par les succès déjà remportés. La ville, ajoutait-il, est pleine de vivres ; nous pourrons bien la garder en attendant le secours du roi ; il ne semble pas à propos au conseil que l’armée sorte demain de la ville. Jeanne repartit : Vous avez été à votre conseil, et j’ai été au mien ; et croyez que le conseil de mon Seigneur s’exécutera et tiendra, et que le conseil des hommes s’évanouira ; et se tournant vers moi qui étais près, elle me dit : Demain, levez-vous au premier jour, plus matin (encore) qu’aujourd’hui, et faites du mieux que vous pourrez ; tenez-vous toujours près de moi, car demain j’aurai beaucoup à faire : beaucoup plus que je ne l’eus jamais de ma vie ; demain le sang jaillira de mon corps au-dessus de la mamelle344.

230Remarques. — Il en coûtait aux capitaines de se ranger sous les ordres d’une femme. C’est sans elle qu’on entreprend contre Saint-Loup une attaque qui ne réussit pas avant son arrivée. Le jeudi on délibère sans la Pucelle, et l’on s’arrête à un projet qui n’est pas exécuté. Le vendredi soir c’est le méchant message que l’on vient de lire. Le lendemain Gaucourt se tient aux portes pour empêcher la sortie, et c’est sans les capitaines royaux que la Vénérable commence l’immortel assaut contre les Tourelles. Entendons Pâquerel.

VII. — Le samedi arrivé, je me levai au premier jour, et je célébrai la messe. Jeanne alla à l’attaque du fort du pont, là où était l’Anglais Clasdas (Glacidas). L’attaque dura sans discontinuer depuis le matin jusqu’au coucher du soleil.

Dans cette attaque, après le dîner, Jeanne, ainsi qu’elle l’avait prédit, fut atteinte d’une flèche au-dessus de la mamelle. Le sentiment de la blessure la fit craindre et pleurer ; et, comme elle le disait, elle fut consolée. Quelques hommes d’armes, la voyant si douloureusement blessée, voulurent la charmer. Elle s’y opposa en disant : Je préférerais mourir que faire ce que je saurais être un péché ou en opposition avec la volonté de Dieu. Elle savait bien qu’elle devait mourir une fois, encore qu’elle ignorât quand, le lieu, la manière, l’heure ; que si on pouvait appliquer sans péché un remède à sa blessure, elle voulait bien être guérie. On mit sur sa blessure de l’huile d’olives et du lard. Après ce pansement, elle se confessa à moi avec larmes et lamentations.

Elle revint de nouveau à l’attaque ou à l’assaut en criant et répétant : Clasdas, Clasdas, renty, renty (rends-toi, rends-toi), au Roi des Cieux ; tu m’as appelée putain ; et moi j’ai grande pitié de ton âme et de l’âme des tiens. Alors Clasdas, armé de la tête aux pieds, tomba dans la Loire et s’y noya. À cette vue Jeanne, émue de compassion, se mit à pleurer avec de grands sanglots (incepit fortiter flere) sur l’âme de Glacidas et des autres Anglais qui en grand nombre périrent dans les eaux. En ce jour tous les Anglais d’au-delà du pont furent faits prisonniers ou perdirent la vie345.

231La sensibilité de la jeune fille, sa suprême horreur du péché, l’héroïsme de la sainte, tout se trouve dans ce passage. Ces larmes et ces sanglots rappellent ceux du Maître sur Jérusalem.

VIII. — Le dimanche, avant le lever du soleil, tous les Anglais qui restaient, hors des remparts, opérèrent leur concentration et vinrent jusque sur les fossés de la ville. Ils se retirèrent à Meung-sur-Loire et y restèrent quelques jours.

Ce même jour de dimanche, une procession solennelle avec sermon fut faite dans Orléans. Il fut décidé qu’on se rendrait vers le roi, et Jeanne en effet alla vers le roi.

Les Anglais se réunirent et se rendirent à la ville de Jargeau qui fut prise par assaut. Ils furent ensuite mis en déroute et défaits près de Patay.

Jeanne voulut procéder plus avant, et, comme elle l’avait dit, en venir au couronnement du roi. Elle conduisit le roi à Troyes en Champagne, de Troyes à Châlons, et de Châlons à Reims. Le roi y fut miraculeusement couronné et sacré, ainsi que Jeanne l’avait prédit dès le premier moment de son arrivée346.

232Pâquerel, pas plus que les autres témoins, ne veut pas et ne doit pas faire une histoire. Il court sur les événements, jusqu’au sacre prédit par Jeanne, ainsi qu’il l’observe. Il ne dit pas que la mission de Jeanne finissait là, mais, comme tous les autres témoins, il se tait sur ce qui a suivi, et ne parle pas de l’échec contre Paris.

IX. — J’ai entendu Jeanne, parlant de son fait, dire que c’était un ministère. Quand on lui disait : On ne vit jamais fait pareil à celui que vous accomplissez ; dans aucun livre on ne lit de telles œuvres, elle répondait : Mon Seigneur a un livre dans lequel ne lit aucun clerc, quelque parfait qu’il soit en cléricature.

Toutes les fois qu’elle chevauchait par les champs et qu’on approchait des châteaux, elle logeait toujours à part avec des femmes.

Je l’ai vue plusieurs nuits, à genoux sur la terre nue, prier Dieu pour la prospérité du roi, et l’achèvement de la légation que Dieu lui avait confiée.

En campagne et dans l’armée, alors que quelquefois les vivres faisaient défaut, elle refusa toujours de manger de ceux qui avaient été dérobés.

Je crois fermement qu’elle était envoyée de Dieu ; car elle pratiquait les bonnes œuvres et était pleine de toutes les vertus. Les pauvres hommes d’armes, encore qu’ils fussent du parti des Anglais, étaient de sa part l’objet d’une profonde compassion. Quand elle les voyait à l’extrémité ou blessés, elle les faisait confesser.

Elle avait une grande crainte de Dieu. Pour rien, elle n’eut voulu faire chose qui déplût à sa Divine Majesté. Quand elle fut blessée à l’épaule d’un trait, qui traversait les chairs de part en part, on voulut la charmer, en lui donnant l’assurance qu’elle serait immédiatement guérie. Elle répondit que c’était un péché, et qu’elle préférait mourir qu’offenser Dieu par semblable incantation347.

233X. — C’est pour moi un sujet de grand étonnement, que des clercs de si haut rang que l’étaient ceux qui à Rouen l’ont livrée à la mort, aient osé commettre un attentat contre Jeanne, aient osé faire mourir si cruellement, sans cause (au moins en rapport avec une sentence capitale), une telle pauvre chrétienne, bien simple. Ils pouvaient la garder dans leurs prisons ou ailleurs, sans avoir rien à craindre de sa part. Et ils étaient ses ennemis mortels ! À mon avis, c’est contre le droit qu’ils se sont arrogés le droit de la juger.

XI. — Le roi notre sire et le duc d’Alençon ont une connaissance bien entière de ses actes et de ses faits, ils sont informés de plusieurs secrets ; ils pourraient, s’ils le voulaient, déclarer ces secrets.

XII. — Je ne sais plus qu’une chose. Plusieurs fois Jeanne m’a dit à moi-même, qu’au cas où elle viendrait à mourir, le seigneur notre roi fit ériger des chapelles où l’on prierait le Très-Haut, pour le salut des âmes de ceux qui étaient morts dans la guerre pour la défense du royaume.

Ainsi signé : Moi frère Jean Pasquerel, voilà ce que j’ai écrit et déposé comme témoin, l’an du Seigneur MCCCCLVI, le vendredi, lendemain de l’Ascension du Seigneur. Jean Pasquerelli348.

Pâquerel insiste justement sur ce que dans une blessure si douloureuse et si profonde que celle reçue aux Tourelles, alors que la guerrière avait si grand besoin de toutes ses forces, elle avait refusé avec horreur un calmant superstitieux, elle, qui allait être condamnée comme adonnée à toute superstition.

L’appel fait au roi et au duc d’Alençon, de dévoiler certains secrets que Pâquerel connaît sans doute, mais qu’il ne se croit pas autorisé à dire lui-même, sont aussi fort dignes d’attention. Le duc d’Alençon ayant été 234toujours favorable à la Vénérable, il le nomme avec plus de confiance que d’autres.

La recommandation de la Pucelle de faire prier pour les soldats morts clôt dignement une déposition si pleine de choses. Par un concours de circonstances auquel le témoin n’avait probablement pas pensé, cette déposition, par sa date, se rattache à cette fête de l’Ascension qui marque aussi les étapes les plus éminentes de la céleste histoire.

Notes

  1. [180]

    Lachenat, Histoire des avocats au Parlement.

  2. [181]

    Il y en avait vingt-sept que l’on trouvera dans le volume du Martyre où ils seront mieux à leur place.

  3. [182]

    Ipsa erat quotidie post prandium per magnum temporis spatium flexis genibus citius (???), et etiam de nocte, et quod multotiens intrabat quamdam parvam cappellam illius domus, et ibidem per magnum tempus orabat.

    Quoique les trois manuscrits portent citius, nous pensons qu’il faut lireserius.

  4. [183]

    In veritate, ego nescirem à talibus me custodire, nisi Deus me custodiret.

  5. [184]

    Quidquid per eam actum fuit, hoc fuit à Deo… Ipsa erat in omnibus commendanda, tam in conversatione quam in cibo et potu et aliis ; nec de eàdem audivit dici aliquid sinistrum.

  6. [185]

    L’Hôte de Jeanne d’Arc à Poitiers : Maître Jean Rabateau.

  7. [186]

    Perceval de Boulainvilliers (II, p. 542).

  8. [187]

    Voy. Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, t, XVII, an. 1880 : les Enseignes et inscriptions du vieil Orléans, par M. Patay.

  9. [188]

    Histoire de Charles VII, t. II, p. 94.

  10. [189]

    Histoire de Charles VII, t. III, p. 336-338.

  11. [190]

    Dixit quod habebat duo in mandatis ex parte Regis cœlorum : unum videlicet de levando obsidionem Aurelianensem, aliud de ducendo regem Remis pro sua coronatione et consecratione.

    En énumérant ces deux objets de la mission, le témoin exclut si peu une mission plus étendue, qu’il va insinuer, dans la suite, qu’elle s’étendait à l’expulsion totale de l’étranger.

  12. [191]

    Rex, de consilio majorum suæ curiæ, dubitavit loqui cum eà, donec eidem regi fuerit delatum quod Robertus de Baudricuria scripserat regi quod sibi miserat quamdam mulierem, et abdurta fuerat per patriam immicorum regis, et quasi miraculosè transiverat multa flumina ad vadum, ut perduceretur ad regem et ob hoc rex fuit motus ed eam audiendum, et eidem Johannæ fuit data audientia.

  13. [192]

    Se traxit ad partem, extra alios… per longum spatium locuta fuit cum rege. Et ea audita, rex videbatur esse gaudens.

  14. [193]

    Habuitque ordinationem circa factum guerræ.

    La phrase est amphibologique et pourrait signifier que le roi prit des dispositions pour la guerre.

  15. [194]

    Erat multum simplex in omnibus suis agendis, excepte in facto guerræ, in quo erat multum experta.

  16. [195]

    Quod obtineret totum suum regnum.

  17. [196]

    Deux exemplaires portent Armati villam tenentes ; mais le manuscrit d’Urfé dit mieux : Armati et villam tenentes.

  18. [197]

    Quia si vellet procedere viriliter, totum suum regnum obtineret.

    Charles Simon insinue bien ici, comme plus haut, que le sacre de Reims n’était pas la fin de la mission ; mais cela dépendait des résolutions viriles du roi ; si vellet viriliter. Malheureusement il ne voulut pas.

  19. [198]

    On peut voir le même fait constaté par Perceval de Boulainvilliers. (Voy. la Paysanne et l’Inspirée, p. 245 et 542.)

  20. [199]

    Suffolk et La Poule sont un seul et même personnage. Vraisemblablement ici, comme un peu plus bas, Gobert Thibault a les souvenirs un peu confus.

  21. [200]

    Le témoin fait ici de nombreuses confusions. La prise de Jargeau précéda celle de Beaugency, et la prise de Beaugency la victoire de Patay. Après Patay, la Pucelle ne se rendit pas à Tours, où le roi ne se trouvait pas.

  22. [201]

    C’était Gien, qui n’est pas entre Troyes et Auxerre.

  23. [202]

    Credebant quod non posset concupisci… imo repente amittebant motum carnis.

  24. [203]

    Jean Lambert fut le premier recteur de l’université de Poitiers. Mathieu Mesnage était théologal d’Angers, et aurait été mandé par Charles VII à cause de sa réputation théologique. (Panégyr. de Jeanne d’Arc, par M. le chanoine Crosnier, p. 8, note.) Il a été parlé ailleurs de Pierre de Versailles (I, p. 8).

  25. [204]

    Pro reponendo eum in suo regno.

  26. [205]

    Quod non vocaret eum regem usquequò Remis esset coronatus et sacratus.

  27. [206]

    Non dubitabat quin ita fieret, si rex vellet dare sibi quantulamcumque societatem armatorum.

  28. [207]

    Quia nihil invenerunt in eaà nisi calholicum, et omni rationi consonum.

  29. [208]

    Quod sciretur de sua vita et statu.

  30. [209]

    Commendati status et laudabilis famæ.

  31. [210]

    Erat pulcherrimæ vitæ.

  32. [211]

    Sæpissime confitens.

  33. [212]

    Credit quod attenta suo modo vivendi et factis ejus, quod fuit inspirata à Deo.

  34. [213]

    Et tunc dixit loquenti et aliis adstantibus quatuor quæ adhuc erant ventura, et quæ post modum evenerunt. Primo dixit quod Anglici esserit destructi, et quod obsidio ante villam Aurelianensem existens levaretur, et villa Aurelianensis ab ipsis Anglicis liberata evaderet ; ipsa tamen per prius eos summaret. Dixit secundo quod rex consecraretur Remis, tertio quod villa Parisiensis redderetur in obedientià regis, et quod dux Aurelianensis rediret ab Anglia. Quæ omnia ipse loqutens vidit compleri.

  35. [214]

    Nunquam inveniebatur otiosa.

  36. [215]

    Rex et incolæ suæ obedientiæ nullam habebant spem ; imo omnes credebant recedere.

  37. [216]

    Fuit interrogata quare ferebat vexillum : quæ respondit quod nolebat uti ense suo, nec volebat quemquam interficere.

  38. [217]

    Beaucroix donne ici à d’Aulon un titre qu’il n’a eu que bien postérieurement aux faits qu’il raconte.

  39. [218]

    Il semble que le témoin n’a vu Jeanne qu’au retour de Poitiers. C’est alors seulement que d’Aulon a été chargé de sa maison. À l’arrivée de Jeanne, d’Aulon n’était pas à Chinon.

  40. [219]

    Il n’y avait pas assez de vivres dans la ville.

  41. [220]

    C’était le surlendemain.

  42. [221]

    L’Île aux Toiles, aujourd’hui disparue.

  43. [222]

    Dicendo : Amittemus nos gentes nostras.

  44. [223]

    Sæpissime confitebatur de duobus diebus in duos dies… et exhortabatur armatos de bene vivendo et sæpe confitendo.

  45. [224]

    In exercitu nunquam voluisset quod aliqui de sua societate deprrædarent aliquid ; nam de victualibus (quæ sciebat deprædata nunquam volebat comedere. Et quadam vice quidam Scotus dedit sibi intelligere quod ipsa comederat de uno vitulo deprædato ; de quo multum fuit irata, et voluit propter hoc percutere dictum Scotum.

  46. [225]

    Pia etiam non solum erga Gallicos, sed etiam erga inimicos.

  47. [226]

    Ipsa Johanna multum dolebat, displicebat sibi quod aliquæ mulieres veniebant ad eam, volentes eam salutare, et videbatur quædam adoratio, de quo irascebatur.

  48. [227]

    Inventaire des archives d’Orléans, par M. Doinel, p. 142 et suiv.

  49. [228]

    In tanta necessitate positi, quod nesciebant adquem recurrere pro remedio, nisi solum ad Deum.

  50. [229]

    Exhortabatur omnes ut sperarent in Domino, et si haberent bonam spem et fiduciam in Deo, quod eriperentur ab adversariis.

  51. [230]

    Summavit eosdem Anglicos… Ab illa hora Anglici fuerunt territi, nec habuerunt tantam potestatem resistendi sicut superius ; imo pauci sæpe pugnabant contrà magnam multitudinem Anglicorum et taliter cogebant aliquoliens ipsos Anglicos existentes in obsidione quod non audebant exire de suis bastilliis.

  52. [231]

    Si dicta Puella non venisset ex parte Dei ad adjutorium eorum, ipsi de propinquo fuissent omnes habitantes et civitas sub ditione et potestate adversariorum obsidentium redacti ; nec credit ipsos habitantes, neque armatos in ipsa existantes potuisse diù resistere contra ipsam potestatem adversariorum, qui tantum tunc contra eos prævalebant.

  53. [232]

    Saint-Laurent, sur une éminence au bord de la rivière sur la rive droite, était, ce semble, le quartier général des Anglais.

  54. [233]

    Audivit dici magistro Johanni Macon, in utroque jure doctori famatissime. quod ipse doctor multotiens examinaverat ipsam Johannam de dictis et factis suis, et quod non faciebat dubium quin esset missa à Deo, et quod erat res mirabilis in audiendo loqui ipsam et respondendo ; et nihil in vitâ sua perceperat nisi sanctum et bonum. Et idem affirmat audivisse à præfato Macon prædictus Ægidius de Saint-Maismain.

    (Voy. dans le volume précédent, la Libératrice, p. 209 et suiv., combien justement Jean de Mâcon est appelé docteur très fameux.)

  55. [234]

    In hoc conveniunt omnes quod nunquam perceperunt, per quascumque conjecturas, quod ipsa Johanna sibi attribueret ad gloriam quacumque fada sua probitatis ; imo adscribebat omnia Deo, et resistebat quantum puterat quod populus honoraret eam, vel daret sibi gloriam, quia plus diligebat esse sola et solitaria quam in societate hominum, nisi dum esset opus in societate guerræ.

  56. [235]

    Affirmantque ambo similiter et ceteri præcedentes, qui sæpe frequentabant ipsam Johannam, dum esset Aurelianis, quod nunquam vidirunt in ea quidquam reprehensione dignum, sed in ea perceperunt tantum humilitatem simplicitatem, castitatem et devotionem ad Deum et Ecclesiam. Dicunt denique quod erat magna consolatio conversari cum ipsa.

  57. [236]

    Aignan Viole et Pierre Millet ont déposé à Paris, en présence de l’archevêque de Reims. F° LXXX, 123. 189 ; ainsi que Colette, femme Millet.

  58. [237]

    Quod videbatur omnibus impossibile, saltem multum difficile.

  59. [238]

    Tunc dicebatur quod ipsa erat ita expers in ordinatione armatorum ad bellum quantum polerat ; imo capitaneus nutritus et eruditus in bello ita experte nescivisset facere ; undè capitanei erant mirabiliter admirali.

  60. [239]

    Dixit ulterius super hoc interrogatus quod ipsa frequenter confitebatur, sæpissime recipiebat sacramentum Eucharistiæ, et in omni gestu et conversatione se portabat honestissime, et in aliis extra factum guerræ erat ita simplex quod mirum erat. Et ob hoc credit, attentis eis quæ facta et subsecula sunt, quod ipsa Dei spiritu ducebatur, et quod in ea erat virtus divina, non humana.

  61. [240]

    In qua domo juste, sancte et sobrie et cum maxima honestate frequentabat, missam quotidie devotissime audiebat, recipiebat sæpissime sacramentum Eucharistiæ.

  62. [241]

    Sa déposition se trouve plus loin, p. 173.

  63. [242]

    Credit firmiter quod ejus opera et facta potius fuerunt divinitatis quam humanitatis. Audivit etiam dici à domino de Gaucourt et aliis capitaneis quod ipsa erat multum docta in armis ; et mirabantur singuli de sua industria.

  64. [243]

    Le procès de réhabilitation, par ailleurs si magnifiquement et si juridiquement conduit, a été négligemment transcrit. Les prénoms des personnages sont parfois changés : Raoul de Gaucourt devient Jean de Gaucourt. Nicolas Taquel est quelquefois appelé Pierre. Ces justes observations de Quicherat sont corroborées par les remarques de M. Boucher de Molandon, en ce qui regarde les noms orléanais. Ainsi Robert de Farciaulx est de son vrai nom Robert du Serceaux. C’est d’après ces remarques du docte Orléanais que nous avons écrit Saint-Mesmin au lieu de Saint-Mainmain, Boilève au lieu de Boyleave. (Délivrance d’Orléans, p. 72, note.)

  65. [244]

    In facto guerræ erat multum docta quamvis esset simplex et juvenis filia.

  66. [245]

    Licet multotiens capitanei haberent varias opiniones propter magnam resistentiam adversariorum, nihilominus ipsa constanter loquebatur eis et dabat concilia salubria, dando eis animum, quod sperarent in Deo… et quod omnia venirent ad bonum finem.

  67. [246]

    Ipse vidit dictam Johannam, dum celebraretur missa in elevatione corporis Christi, emittere lacrimas in abundantia… Inducebat armatos ad confitendum peccata sua ; et de facto vidit quod ad instigationem suam et monitionem La Hire confessus est peccata sua, et plures alii de societate sua.

  68. [247]

    Increpabat armatos quando negabant vel blasphemabant nomen Dei ; et in speciali vidit aliquos homines armorum dissolutissimos in vita qui per exhortationem ipsius Johannæ conversi sunt et cessaverunt à malis.

  69. [248]

    Voy. Jacques Boucher, par M. de Molandon, p. 60.

  70. [249]

    Cepit eum per collum.

  71. [250]

    Quæ Johanna semper et continue loquebatur de Deo, dicendo : etc.

  72. [251]

    Vidit audire missam cum maxima devotione.

    Ses larmes coulaient en abondance à l’élévation, nous a dit le chanoine Compaing.

  73. [252]

    Credit firmiter ipsa loquens quod factum et operationes suæ potius erant opus Dei quam hominis.

  74. [253]

    Histoire de Charles VII, t. II, p. 619.

  75. [254]

    Omnes regi obedientes erant quasi in desperatione… Erat tunc temporis receptor generalis… Nec de pecunia regis, nec de sua habebat, nisi quatuor scuta.

  76. [255]

    Ut firmiter credit ipsa loquens, a Deo venit, et missa exstitit ad relevandum regem et incolas sibi obedientes, quia pro tunc non erat spes nisi à Deo.

  77. [256]

    Sæpissime confitebatur, audiebat libenter missam, et pluries requisivit loquentem de eundo ad matutinas ; ipsa enim loquens ad ipsius instantiam pluries ivit et eam duxit.

  78. [257]

    Narrabat aliquando ipsa Johanna qualiter fuerat examinata per clericos, et quod eis responderat : Il y a ès livres de Notre-Seigneur plus que ès vostres.

  79. [258]

    Prima facie credebant eam fatuam.

  80. [259]

    Dum credebant loqui de illo, pudebat taliter eos quod eidem non audebant loqui, nec habere cum ea verbum.

  81. [260]

    Eidem dixerat quod se male regebat, et quod nunquam sanaretur nisi se emendaret, eumdemque exhortaverat ut ipse reciperet suam bonam conjugem.

  82. [261]

    Johanna erat multum simplex et ignorans, et nihil penitus sciebat, videre loquentis, nisi in facto guerræ.

  83. [262]

    Plures mulieres veniebant ad domum loquentis, dùm Johanna in eadem morabatur, et apportabant Paternostres et alia signacula, ut ipsa tangeret ea, de quo ipsa Johanna ridebat, eidem loquenti dicendo : Tangatis vosmet, quià ita bona erunt ex tactu vestro, sicut ex meo.

  84. [263]

    Erat Johanna multum larga in eleemosynis, et libentissimé subveniebat indigentibus et pauperibus, dicens quod erat missa pro consolatione pauperum et indigentium.

  85. [264]

    Et quidquid scit, erat tota innocentia de suo facto, nisi in armis. ut supra dixit, quia equitabat cum equo, portando lanceam, sicut melior armatus, et de hoc mirabentur armati.

  86. [265]

    Formule pour assurer la validité de l’acte au cas où une sentence d’excommunication aurait pu l’infirmer.

  87. [266]

    Cette répétition se trouve dans le procès-verbal.

  88. [267]

    Credit ipsam Johannam esse missam a Deo, et actus ejus in bello esse potius à, divino adspiramine quam spiritu humano.

  89. [268]

    Et ventus erat totaliter contraria. Tunc ipsa Johanna dixit verba quæ sequuntur : Estis vos Bastardus Aurelianensis ? Qui respondit : Ita sum, et lætor de adventu vestro. Tunc ipsa dixit eidem domino deponenti : Estis vos qui dedistis consilium quod venerim huc, de isto latere ripariæ, et quod non iverim de directo ubi erat Tallebot et Anglici ? Qui deponens respondit quod ipse et alii sapientiores eo dederant illud consilium, credenles melius facere et securius. Tunc ipsa Johanna dixit in isto modo : En nom Dieu, consilium Dei Domini nostri est securius et sapientiores eo dederant vestrum. Vos credidistis me decipere, et vosmetipsum plus decipitis, quia ego adduco vobis meliorem succursum quam venerit unquam cuicumque militi aut civitati, quia est succursus à rege cœlorum. Non tamen procedit amore mei, sed ab ipso Deo, qui, ad requestam sancti Ludovici et sancti Karoli Magni, habuit pietatem de villa Aurelianensi, nec voluit pati quod inimici haberent corpus domini Aurelianensis et villam ejus.

  90. [269]

    Statim et quasi in momento ventus, qui erat contrarius et valdè impediens ne ascenderent naves… mutatus est et factus est propitius.

  91. [270]

    Les autres ponts, comme celui de Beaugency, étaient au pouvoir des ennemis.

  92. [271]

    Notre-Seigneur tenait un globe et bénissait deux lis présentés par les Anges : faute des greffiers, probablement. Il serait aussi injuste d’incriminer le procès en lui-même que de faire porter à l’autour de l’Énéide la responsabilité des fautes des typographes.

  93. [272]

    Fuerunt missæ dictæ litteræ domino Tallebot : et ab illa horâ ille dominus qui deponit asserit quod Anglici qui in prius in numero ducenti fugabant octo centum aut mille de exercitu regis, à post et tunc quatuor centum aut quinque armatorum seu pugnantium pugnabant in conflictu quasi contrà totam potestatem Anglicorum, et sic cogebant Anglicos existentes in obsidione aliquotiens quod non audebant exire de suis refugiis et bastillis.

  94. [273]

    Est-ce au témoin, est-ce au greffier qu’il faut attribuer trois ou quatre inexactitudes renfermées dans six ou sept lignes ? Ce fut le 7 mai et non pas le 27 qu’eut lieu l’attaque ; Jeanne fut blessée dans l’après-midi et non pas le matin ; elle ne se retira pas du lieu du combat, mais son aumônier nous dira qu’elle cessa quelque temps de combattre, et qu’on lui fît l’application d’un remède facile.

  95. [274]

    Inter cetera dicit dominus deponens, cette manière de s’exprimer prouve que le greffier abrège ; ce qui explique les inexactitudes. Dunois devait être embarrassé par la richesse du sujet, et le greffier écrit mal en latin.

  96. [275]

    Fuerunt reductæ.. infra paucos dies per medium ipsius Puellæ.

  97. [276]

    Cabinet, sorte de boudoir à côté d’un vaste appartement, tel que celui de Dunois lui-même que l’on voit encore à Beaugency.

  98. [277]

    Le confesseur, Gérard Machet, n’était pas, en 1429, évêque de Castres ; il le devint en 1433 ; le seigneur de Trèves est Robert le Maçon.

  99. [278]

    Dixit talia verba aut similia, quod quando erat displicens aliquo modo, quia faciliter non credebatur ei de his quæ dicebat ex parte Dei, retrahebat se ad partem et rogabat Deum, conquerendo sibi quia faciliter ei non credebant illi quibus loquebatur : et oratione factâ ad Deum, tunc audiebat unam vocem dicentem sibi : Fille Dé, va, va, va, je serai à ton aide, va. Et quando audiebat istam vocem, multum gaudebat, imo desiderabat semper esse in illo statu ; et, quod fortius est, recitando hujusmodi verba suarum vocum, ipsa miro modo exsultabat, levando suos oculos ad cœlum.

    Le 12 mars, l’accusée de Rouen avouait que les Saintes l’appelaient Jeanne la Pucelle, Fille de Dieu.

  100. [279]

    Cousinot nous a dit qu’il était surtout question de revenir en arrière. Il y a de telles différences entre le récit de Cousinot et celui de Dunois que l’on ne s’explique pas que Quicherat ait pu dire que le premier ne faisait que reproduire la déposition du second.

  101. [280]

    In nomine Dei, ante tres dies, ego vos introducam infra (intra) civitatem TrecenTrecensem, amore vel potentia seu fortitudine, et erit falsa Burgundia multum stupefacta. Et tunc dicta Puella statim cum exercitu regis transivit, et fixit tentoria sua juxta fossata, fecitque mirabiles diligentias, quas etiam non fecissent duo vel tres usitati et magis famati homines armorum ; et taliter laboravit in nocte illa quod, in crastino, episcopus et cives illius civitatis dederunt obedientiam regi, frementes et trementes, ita quod postea repertum est quod, a tempore illo quo dedit consilium regi de non recedendo, ipsi cives perdiderunt animum, nec quærebant nisi refugium et fugere ad ecclesias.

  102. [281]

    Habebat illum morem, in hora vesperarum, seu crepusculi noctis, omnibus diebus, quod se retrahebat ad ecclesiam, et faciebat pulsari campanas quasi per dimidiam horam, congregabatque Religiosos Mendicantes qui sequebantur exercitum regis, et illa horâ se ponebat in oratione, faciebatque decantari per illos fratres mendicantes unam antiphonam de Beatà Virgine matre Dei.

  103. [282]

    Utinam placeret Deo, creatori meo, quod ego nunc recederem, dimittendo arma, et irem ad serviendum patri et matri in custodiendo oves ipsorum, cum sorore et fratribus meis, qui multum gauderent videre me.

  104. [283]

    Dicit et deponit quod de sobrietate a nullo vivente superabatur ; et multotiens audivit dictus deponens à domino Johanne d’Olon, milite, nunc senescallo de Beaucaire, quem rex posuerat et constituerat quasi pro custodià ipsius, sicut sapientiorem et proprobitate recommendatum militem, in societate dictæ Puellæ, quod non credit aliquam mulierem plus esse castam quam ipsa Puella erat. Affirmat prætereà dictus deponens quod similiter ipse et alii, dum erant in societate ipsius Puellæ, nullam habebant voluntatem seu desiderium communicandi seu habendi societatem mulieris ; et videtur ipsi deponenti quod erat res quasi divina.

  105. [283b]

    Viditque eam quando præsentavit se in conspectu regiæ majestati cum magna humilitate et simplicitate, sicut una paupercula bergereta.

    Une faute d’inadvertance a fait omettre le mot sicut dans l’édition de Quicherat.

  106. [284]

    Ipsa expresse prædixit quod in brevi spatio tempus et ventus mutarentur, sicut et factum est statim postdictum suum. Simililer prædixit quod victualia intrà civitatem liberé introducerentur.

  107. [285]

    Erat sobria in potu et cibo, nec exibant de ore suo nisi bona verba, ad ædificationem et bonum exemplum servientia ; eratque castissima, nec unquam scivit quod de nocte secum conversaretur vir ; imo semper de nocte habebat mulierem secum cubantem in camerà sua.

  108. [286]

    Johanna fuit ita valens et ita se gessit quod non esset possibile cuicumque homini melius a gere in facto guerræ. Et mirabantur omnes capitanei de sua valentia et diligentià, ac pœnis et laboribus per eam supportatis.

  109. [287]

    Credit quod erat bona et proba creatura, et quod ea quæ faciebat plus erant divinitat quam humunilatis, quia reprehendebat sæpe vitia armatorum.

  110. [288]

    Audivit dici à magistro Roberto Baignart… (eam audiverat pluries in confessione) quod ipsa Johanna erat mulier Dei, et quod ea quæ faciebat erant à Deo ; quodque ipsa erat bonæ animæ et bonæ conscientiæ.

  111. [289]

    De omnibus hominibus nostris, fuit interfectus solus quidam nobilis de societate loquentis.

  112. [290]

    De omnibus factis per eamdem Johannam plus credit esse divinitatis quam humanitatis, quia, ut dicit loquens, ipsa sœpissimé confitebatur, recipiebat sacramentum Eucharistiæ, eratque devotissima in audiendo missam. Dicit tamen quod extra factum guerrio erat simplex et innocens ; sed in conductu et dispositione armatorum, et in facto guerræ et in ordinando bella et animando armatos, ipsa se ita habebat ac si fuisset subtilior capitaneus mundi, qui totis temporibus suis edoctus fuisset in guerra.

  113. [291]

    M. de Beaucourt, Histoire de Chartes VII, t. VI, ch. IV, p. 38 et suiv.

  114. [292]

    Ipsa Johanna fecit regi plures requestas, et inter alias quod donaret regnum suum regi Cœlorum, et quod rex Cœlorum post hujusmodi donationem, sibi faceret prout fecerat suis prædecessoribus, et eum reponeret in pristinumstatum ; et multa alia, de quibus ipso loquens non recolit, fuerunt prolocuta usque ad prandium.

    Le clerc de Martin V, l’auteur du Brevarium historiale, raconte la manière piquante dont Jeanne fit faire ou renouveler cette donation, (I, p. 57-58). Eberhard Windeck énumérera plusieurs des requêtes de Jeanne, indiquées aussi par Morosini (III, p. 585).

    L’on ne saura trop rappeler ce qu’en a dit Gerson (I, p. 57-58).

  115. [293]

    Il n’est pas douteux que l’évêque de Maguelone dont il est ici question ne fût Robert de Rouvres. frère de lait de Charles VII, qui habitait à la cour, et a signé les lettres d’anoblissement de la Libératrice. Il était alors évêque de Séez, d’où il fut transféré à Maguelone. Ni Machet, confesseur du roi, n’était encore évêque de Castres, ni Raphanel, confesseur de la reine, évêque de Senlis : ils le devinrent bientôt après. Robert de Rouvres, Machet n’ont pas mis les pieds dans leurs diocèses : le franciscain Raphanel, au contraire, vécut en saint dans celui de Senlis.

  116. [294]

    Jordan Morin était un des députés de Charles VII au concile de Constance. Il y poursuivit avec Gerson la condamnation de Jean Petit. Jean Sans Peur, devenu le maître par la révolution du 29 mai 1418, fit casser par Charles VI tout ce qu’ils avaient fait au nom du roi. (III, p. 490).

  117. [295]

    Nous avons ici un double rapport fait au conseil du roi après les examens de Chinon et de Poitiers. Ce qui confirme les interprétations données à plusieurs réponses de Jeanne au premier chapitre du présent volume.

  118. [296]

    Post aliquos dies est manifestement fautif. L’armée arriva le samedi 11 juin et s’empara de la ville le 12. Le récit tout entier est quoique peu confus, La jonction dont parle d’Alençon doit être celle qui eut lieu près de Romorantin, ou à Orléans.

  119. [297]

    Toute cette partie de la déposition est fort confuse. Pour voir comment les choses se passèrent, il faut lire la chronique du maître d’hôtel du duc. Perceval de Cagny, Wavrin, etc.

  120. [298]

    C’eût été bien peu. Faute de mémoire chez le témoin, ou de fidélité chez le greffier, tout ce passage est peu conforme aux faits et peu intelligible.

  121. [299]

    Quod bonum erat mandare equos, d’avoir de bons chevaux, pour la fuite peut-être.

  122. [300]

    Audivique aliquando dictam Johannam dicentem regi quod ipsa Johanna duraret per annum et non multum plus et quod cogitarent illo anno de bene operando, quia dicebat se habere quatuor onera, videlicet : fugare Auglicos ; de faciendo regem coronari et consecrari Remis : vie liberando ducem Aurelianensem è manibus Anglicorum, et de levando obsidionem positam per Anglicos ante villam Aurelianensem.

  123. [301]

    Dum videbat corpus Christi, flebat multotiens eum magnis lacrymis. Recipiebat etiam sacram eucharistiam bis in septimana, et sæpe confitebatur.

  124. [302]

    Ipsa Johanna in omnibus factis suis, extra factum guerræ, erat simplex et juvenis sed in facto guerræ erat multum experta, tàm in portu lanceæ quam in congregando exercitu et ordinandis bellis, et in præparatione de l’artillerie ; et de hoc mirabantur omnes quod ita cautè et providè agebat in facto guerræ, ac si fuisset unus capitaneus qui facta guerræ per XX aut XXX annos exercuisset, et maxime in præparatione de l’artillerie, quia multum bene in hoc se habebat.

  125. [303]

    Louis de Coutes : page de Jeanne d’Arc, par Amicie de Foulques de Villaret, une brochure extraite du tome XXII des Mémoires de la Soc. archéol. de l’Orléanais.

  126. [304]

    Livre XXXV. ch. III.

  127. [305]

    Le château du Couldray est un des trois châteaux, ou enceintes bien distinctes, séparées par des fossés profonds, des douves, des portes fortifiées, dont se composait le castrum de Chinon. C’est la troisième enceinte. (Voy). Chinon et ses mon., par M. de Cougny, p. 33 et 114. L’on ne s’explique pas que Quicherat place le château du Coudray à une lieue de distance de Chinon. C’est inconciliable avec la déposition de Louis de Coutes.

  128. [306]

    Femme du conseiller Dupuy dont nous parlera Pâquerel.

  129. [307]

    C’est le texte du manuscrit 5970, tandis que le manuscrit 17013 porte magnam fiduciam habebant. Ce dernier est beaucoup plus fautif.

  130. [308]

    Ici et dans les lignes suivantes il y a confusion dans les souvenirs de Louis de Coutes. Il transporte au samedi 30 avril, ce qui n’eut lieu que le mercredi 4, lorsque le bâtard ramena de Blois le reste de l’armée et que Jeanne fut à sa rencontre, ce dont il ne parle pas. Ce qu’il dit du bâtard de Granville doit s’être passé dans l’intervalle.

  131. [309]

    Il n’est pas douteux que cela se passa le 4 mai après dîner, et nullement le 30 avril.

  132. [310]

    Toutes les expressions supposent que la chambre de la Pucelle était au premier, et non pas au rez-de-chaussée où l’on prétend la montrer.

  133. [311]

    Multum erat sobria, quia pluries per totam diem non comedit nisi morsum panis ; et mirabatur (mirabantur). Quod ita modicum comederet.

  134. [312]

    Ce fut seulement le surlendemain.

  135. [313]

    Semper in nocle habebat mulierem cum ea cubantem… dum non poterat invenire, quando erat in guerra et campis, cubabat induta suis vestibus.

  136. [314]

    Contradicentibus pluribus dominis, quibus videbatur quod ipsi volebat ponere gentes regis in magno periculo, fecit aperiri portam Burgundiæ.

  137. [315]

    Un manuscrit porte : de reddendo villam ante pugnam. Le texte de Quicherat, de reddendo villam, aut pugnando, semble n’avoir pas de sens.

  138. [316]

    Johanna erat multum pia, et habebat magnam pietatem de tanta occisione, quia, cum quadam vice unus Gallicus duceret certos Anglicos captivos, ipse qui eos ducebat percussit unum aliorum Anglicorum in capite, in tantum quod ipsum reddidit quasi mortuum. Ipsa Johanna hoc videns descendit de equo, et fecit eumdem Angli Anglicum confiteri, tenendo eum per caput, et consolando eum pro posse.

  139. [317]

    Jargeau fut pris avant Beaugency et avant la victoire de Patay.

  140. [318]

    Il est vrai qu’après la délivrance d’Orléans, Jeanne vit le roi à Tours ; mais après la campagne de la Loire, ce fut à Châteauneuf et à Gien qu’elle rejoignit le roi. L’ancien page rapporte la suite des événements d’une manière très confuse. Excellent pour la vie privée de l’héroïne, il est au-dessous de la médiocrité pour la vie publique. Il est préoccupé de mettre en avant le roi et l’armée du roi et assigne à la Pucelle un rôle beaucoup trop effacé.

  141. [319]

    D’Aulon ne parle ni de Chinon, ni de Tours, ni de Blois. L’entretien secret avait eu lieu lors de la première présentation, mais c’est à Chinon et non pas à Poitiers que cette première présentation avait eu lieu. — Les témoins n’ayant pas une histoire à écrire, ont cherché dans leurs souvenirs ce qui avait trait à la cause.

  142. [320]

    Texte :

    Fut par l’un d’eux dit publiquement qu’ilz ne veoient, scavoient, ne congnoissoient en icelle Pucelle aucune chose, fors seulement tout ce que puet estre en bonne chrestienne et vraye catholique, et que pour telle la tenoient, et estoit leur advis que estoit une très bonne personne.

  143. [321]

    Harnois tout propre pour sondit corps. — Harnais, dans le style du temps, signifie l’habillement du cavalier et du cheval tout à la fois.

  144. [322]

    Jacques Boucher avait épousé Jeanne Luillier. Le père de Jeanne était, en 1420, l’un des procureurs de la ville, et son fils, le frère de la dame Boucher. Jean Luillier est le premier des vingt-quatre témoins dont le nom a été cité.

  145. [323]

    De nombreux documents nous disent que la Pucelle sortit au-devant de la troupe venant de Blois, le mercredi 4 mai, mais d’Aulon seul nous apprend que Jeanne protégea la sortie de ceux qui allaient presser le départ.

  146. [324]

    Que les cheveux ne luy levassent ensur.

  147. [325]

    Il est bien manifeste qu’il fallait passer la rivière pour aller à Saint-Jean-le-Blanc, situé sur la rive gauche. D’Aulon veut probablement indiquer qu’il aurait été imprudent de débarquer immédiatement sur cette rive, près du fort des Augustins, et faire voir le parti que l’on tira de l’Île-aux-Toiles. Le premier débarquement y était facile, et le pont de bateaux, dont il va parler permettait de traverser le second bras de la rivière.

  148. [326]

    La Pucelle et La Hire prirent chacun un cheval dans l’île, les passèrent en bateau, les montèrent et se mirent sur la rive gauche, la lance en arrêt. C’est le sens, encore que le texte soit obscur.

  149. [327]

    Défaillance de la mémoire. La Pucelle, blessée aux pieds par une chausse-trappe, rentra dans la ville.

  150. [328]

    Il faut entendre ceux qui étaient restés sur la rive gauche ; car beaucoup de ceux qui étaient restés dans la ville étaient opposés à l’attaque qui eut lieu le samedi.

  151. [329]

    De la dove dudit boulevard, c’est, je crois, le revêtement extérieur, soit d’un boulevard, soit d’un fossé. Voy. Ducange au mot Dova, doa.

  152. [330]

    Bouclier de forme arrondie.

  153. [331]

    Par si grant asprese.

  154. [332]

    Le bon d’Aulon raconte la part qu’il a prise à la conquête des Tourelles plus que celle de l’héroïne.

  155. [333]

    Casque pointu avec un couvre-nuque et une visière mobile, dite garde-vue. (Lacurne).

  156. [334]

    Venerabilis et religiosus vir, frater Johannes Pasquerel, ordinis fratrum Heremitarum sancti Augustini, de conventu Bajocensi, die hesternâ productus, receptus et juratus por dominos commissarios, et hodiè die IV mensis Maii per notarios, de mandato dominorum comissariorum examinatus.

    Et primo interrogatus de contentis in I, II. III et IV articulis eidem lectis, dicit et deponit, ejus mediante juramento quod, dum ipse primo habuit nova de ipsa Johannâ et qualiter venerat versus regem erat in villa Aniciensi, in quà villa erat mater ipsius Johannæ, et quidam de eis qui eamdem Johannam adduxerant versus regem ; et quia habebant aliquam notitiam cum loquente dixerunt eidem loquenti quod conveniens erat quod veniret cum eisdem ad dictam Johannam, et quod eumdem loquentem nunquam dimitterent quousque eum ad ipsam Johannam perduxissent.

    Et cum eisdem venit usque ad villam de Chinon, et dehinc usque ad villam Turonensem, in rujus conventu villæ Turonensis ipse loquens erat lector. Et in eadem villa Turonensis ipsa Johanna pro tunc erat hospitata in domo Johannis Dupuy, burgensis Turonensis, et eamdem Johannam invenerunt in eadem domo, et eamdem Johannam allocuti fuerunt illi qui cumdem loquentem adduxerant, dicendo : Johanna, nos adduximus vobis istum bonum patrem ; si eum bene cognosceretis, vos eum multum diligeretis. Quibus ipsa respondit quod bene contentabatur de loquente, et quodjam de eo audiverat loqui, quodque in erastino volebat eidem loquenti confiteri. Et in crastino audivit eam in confessione, et roram ea cantavit missam, et ex illa horâ ipse loquens semper secutus est eam et moram cum ea traxit usque ad villam Compendii dum ibidem capta fuit.

  157. [335]

    Jean Dupuy, conseiller du roi en sa cour des comptes, était de plus chargé à Tours des intérêts de la reine Yolande, à laquelle il était attaché depuis 1413. Il était marié à dame de Paul, ou de La Pau. (Cabinet Historique, 1859. p. 111, Vallet de Viriville.)

  158. [336]

    Et audivit dici quod ipsa Johanna, dum venit versus regem fuit visitata binâ vice per mulieres quid erat de eà, et si esset vir vel mulier, et an esset corrupta vel virgo, et inventa fuit mulier, virgo tamen et puella. Et eam visitaverunt, ut audivit, domina de Gaucourt, et domina de Trèves.

    Et postmodum ducta fuit Pictavis, ad examinandum per clericos ibidem in universitate existentes, et ad sciendum quid de ea erat agendum, et eam examinaverunt magister Jordanus Morin, et magister Petrus de Versailles, qui mortuus est episcopus Meldensis et plures alii, et, ipsa per eos examinatâ, concluserunt quod, attentâ necessitate quæ tunc toti regno imminebat, rex de eàdem se poterat juvare, et quod in ea nihil invenerunt fidei catholicæ contrarium. Et, hoc facto, fuit reducta ad villam de Chinon, et credidit loqui cum rege, quod non poluit illa vice. Tandem ex deliberatione consilii cum rege locuta est ipsa Johanna.

    Et illa die, dum ipsa Johanna intraret domum regis ad loquendum sibi, quidam homo existens super equum dixit ista verba : Esse pas là la Pucelle ? negando Deum quod si haberet eam nocte, quod ipsam non redderet puellam. Ipsa autem Johanna tunc eidem homini dixit : Ha ! en nom Dieu, tu le renyes, et tu es si près de ta mort. Postmodum ipse homo infra horam cecidit in aquam et submersus est ; et hoc dicit ut audivit à Johannâ et pluribus aliis qui dicebant in hoc se fuisse præsentes.

  159. [337]

    Ipsam autem Johannam duxit erga regem dominus comes de Vendosme et introduxit eam in camera regis. Et dam eamdem vidit, petivit eidem Johannæ nomen suum ; quæ respondit : Gentil Daulphin j’ay nom Jehanne la Pucelle, et vous mande le Roy des Cieulx, per me, quod vos eritis sacratus et coronatus in villa Remensis, et eritis locum tenens Regis cœlorum qui est rex Franciæ. Et post militas interrogationes factas per regem, ipsa Johanna iterum dixit : Ego dico tibi ex parte de Messire que tu es vray héritier de France et filz du roy ; et me mittit ad te pro te ducendo Remis, ut ibi recipias coronationem et consecrationem tuam, si volueris. Et his auditis rex dixit adstantibus quod ipsa Johanna aliqua secreta sibi dixerat quæ nullus sciebat aut scire poterat nisi Deus ; quare multum confidebat de ea. Et omnia præmissa audivit ipsa Johannâ, quia in præmissis non fuit præsens.

  160. [338]

    Audivit etiam ab ipsa quod non contentabatur de tantis interrogationibus, et quod impediebant eam ad peragendum negotium ad quod missa erat, et quod opus erat et tempus negotiandi ; dicens ulterius quod inquisiverit nuntiis domini sui, scilicet Dei, quid ipsa agere debebat, et eidem Johannæ dixerunt quod acciperet vexillum domini sui ; et propter hoc ipsa Johanna fecit fieri vexillum suum, in quo depinngebatur imago Salvatoris nostri sedentis in judicio, in nubibus coeli, et erat quidam angelus depictus tenens in suis manibus florem lilii quem benedicebat imago. Et applicuit ipse loquens Turonis illo tunc quod depingebatur illud vexillum.

    Et paulo post ipsa Johanna ivit cum aliis armatis ad levandum obsidionem Aurelianis exsistentem ; et erat ipse loquens in societate ipsius Johannæ, a qua non recessit donec ipsa fuit capta ante Compendium ; et sibi serviebat ut cappellanus, audiendo eam in confessione et missam cantando.

    Et dicit loquens quod ipsa Johanna erat multura devota erga Deum et beatam Mariam, et quasi quotidie confitebatur et communicabat frequenter. Dicebat enim loquenti, quando erat in aliquo loco ubi erant conventus Mendicantium, quod sibi daret memoriæ dies in quibus parvi pueri Mendicantium recipiebant sacramentum Eucharistiæ, ut illa die reciperet cum eisdem pueris, sicut multotiens faciebat ; nam cum parvis pueris Mendicantium recipiebat sacramentum Eucharistiæ.

    Dicit etiam quod dum ipsa confitebatur, ipsa flebat.

    Insuper dicit loquens quod, dum ipsa Johanna exivit villam Turonensem ad veniendum Aurelianis, ipsa rogavit loquentem quatenus eam non dimitteret, sed semper cum ea staret ut suus confessor : quod sibi promisit loquens.

  161. [339]

    Et fuerunt in villa Blesensi circiter per duos vel tres dies, exspectando victualia quæ ibidem onerabantur in navibus ; et ibidem dixit loquenti quatenus faceret fieri unum vexillum pro congregandis presbyteris, gallice une bannière, et quod in eodem vexillo faceret depingi imaginem Domini nostri crucifixi ; quod et fecit ipse loquens. Et hujusmodi vexillo facto, ipsa Johanna, omni die bina vice, manè videlicet et sero, faciebat per ipsum loquentem congregari omnes presbyteros ; quibus congregatis, cantabant antiphonas et hymnos de Beatâ Mariâ, et cum eis erat ipsa Johanna ; nec inter illos presbyteros permittere volebat aliquos armatos, nisi fuissent confessi illa die, monendo omnes armatos quatenus confiterentur, ut venirent ad hujusmodi congregationem ; nam in ipsa congregatione omnes presbyteri erant parati ad confitendum quoscumque qui eisdem confiteri volebant.

    Et dum ipsa Johanna exivit villam Blesensem ad eundum Aurelianis, ipsa fecit congregari omnes presbyteros cum illo vexillo, et antecedebant ipsi presbyteri armatos.

    Qui exiverunt per latus de la Saulongne sic congregati, cantando Veni creator spiritus et quam plures antiphonas, et jacuerunt illa die in campis, et etiam alia die sequente.

    Et tertia die applicuerunt prope villam Aurelianensem, ubi Anglici tenebant obsidionem juxta ripam fluvii Ligeris ; et armati regis applicuerunt satis prope Anglicos, ita quod oculatim poterant Anglici et Gallici se videre, ducebantque armati regis victualia.

    Erat autem tunc riparia ita modica quod naves ascendere non poterant, nec venire usque ad ripam ubi erant Anglici ; et quasi subito crevit aqua, ita quod naves applicuerunt versus armatos ; in quibus navibus ipsa Johanna cum aliquibus armatis introivit, et ivit intra villam Aurelianensem.

  162. [339b]

    La délivrance d’Orléans, p. 36.

  163. [340]

    Et ipse loquens de jussu dictæ Johannæ, cum presbyteris et vexillo reversus est apud villam Blesensem ; et deinde, paucis diebus transactis, ipseloquens cum multis armatis venit ad civitatem Aurelianensem per latus Belsiæ, cura dicto vexillo et presbyteris, sine quocumque impedimento ; et dum ipsa Johanna scivit eorum adventum, ipsa ivit eis obviam et insimul intraverunt villam Aurelianensem sine impedimento, et introduxerunt victualia, videntibus Anglicis. Et mirum erat, quia omnes Anglici cum multitudine magna et potentia, armati et parati ad bellum, videbant armatos regis in comitiva modica, respectu Anglicorum ; videbant etiam et audiebant presbyteros cantantes, inter quos erat loquens, portans vexillum ; et tamen nullus Anglicus commotus est, nec in eosdem armatos et presbyteros nullam fecerunt invasionem.

    Et ipsis sic in civitate Aurelianensi receptis, armati iterum exiverunt villam Aurelianensem, ipsa Johanna instante, et iverunt ad invadendum et insultum faciendum in Anglicos exsistentes in fortalitio seu bastilda Sancti Lupi. Ipse autem loquens cum aliis presbyteris, post prandium, accesserunt ad hospitium dictæ Johannæ, et dum ibidem venerunt, ipsa Johanna clamabat : Ubi sunt illi qui me debent armare ? Sanguis nostrarum gentium decurrit per terram. Et ipsa armata, subito exivit civitatem, et ivit ad dictum locum fortalitii sancti Laudi, ubi erat invasio seu insultus ; et in itinere invenit multos vulneratos, undè maxime condoluit, et applicuit cum aliis ad insultum, laliter quod vi et violentia ipsum fortalitium fuit raptum, et Anglici in eodem existentes capti.

  164. [341]

    Et recordatur ipse loquens quod fuit in vigiliâ Ascensionis Domini, fueruntque ibi multi Anglici interfecti ; undè multum dolebat ipsa Johanna ex eo quod dicebat eos interfectos sine confessione, et eos multum plangebat, et illico ipsa eidem loquenti confessa est.

  165. [342]

    Eidem etiam loquenti præcepit quod publice moneret omnes armatos quod confiterentur peccata sua et redderent gratias Deo de victoria obtenta ; alias ipsa cum eis non interesset, imo ipsorum societatem relinqueret ; dicendo ulterius, dicta die Vigiliæ Ascensionis Domini, quod infra quinque dies obsidio exsistens ante villam Aurelianensem levaretur, nec remaneret aliquis Anglicus coram civitate : quia, ut jam dixit, dictà die mercurii, fuit captum fortalitium seu bastilda Sancti Laudi, ubi sunt moniales, et in quo fortalitio erant plus quam centum homines electi et bene armati, de quibus nullus remansit quin fuerit captus aut mortuus.

    Et illa die de sero, dum esset in suo hospitio, dixit eidem loquenti quod in crastinum quod erat dies festi Ascensionis Domini non facetet bellum, nec se armaret ob reverentiam dicti festi, et quod illa die volebat confiteri et recipere sacramentum Eucharistie ; quod et fecit.

    Et illâ die ordinavit quod nullus præsumeret in crastino exire villam et ire ad invasionem seu insultum nisi per prius ivisset ad confessionem,et quod ipsi caverent (alias caverat) ne mulieres diffamatæ eam sequerentur ; quia propter peccata Deus permitterret perdere bellum. Et ita factum fuit, sicut Johanna ordinaverat.

  166. [343]

    Dicit etiam ipse loquens quod illa die festi Ascensionis Domini, ipsa Johanna scripsit Anglicis exsistentibus in fortalitiis seu bastildis in hunc modum : Vos, homines Angliæ, qui nullum jus habetis in hoc regno Franciæ, Rex coelorum vobis præcepit et mandat per me, Johannam la Pucelle, quatenus dimittatis vestra fortalitia et recedatis in partibus vestris, velego faciam vobis tale hahu (cri d’alarme, d’où carnage, désastre) de quorum (quo) erit perpetua memoria. Et hæc sunt quæ pro tertia et ultima vice ego vobis scribo, nec amplius scribam. Sic signatum : Jhesus Maria, Jehanne la Pucelle. Et ultra : Ego misissem vobis meas litteras honestius ; sed vos detinetis meos præcones, gallice mes heraulx ; quia retinuistis meum hérault, vocatum Guyenne. Quem mihi mittere velitis, et ego mittam vobis aliquos de gentibus vestris captis in fortalitiis Sancti Laudi, quia non sunt omnes mortui. Et postmodum accepit unam sagittam, et ligavit cum filo dictam litteram in buto dictæ sagittæ, et præcepit cuidam balistario quod traheret hujusmodi sagittam ad Anglicos, clamando : Legatis, sunt nova. Qua lecta, inceperunt clamare maximo clamore, dicendo : As (ah !) sunt nova de la putain des Armignacs. Ex quibus verbis ipsa Johanna incepit suspirare et flere cum abundantia lacrimarum, invocando Regem coelorum in suo juvamine. Et postmodum fuit consolata, ut dicebat, quia habuerat nova a domino suo ; et sero, post coenam, ordinavit loquenti quod ipse surgeret in crastino citius quam fecisset die Ascensionis, et quod eam confiteretur summo mane : quod et fecit.

  167. [344]

    Et dicta die videlicet Veneris, in crastino dicti festi Ascensionis, ipse loquens surrexit Minium mane, eamdem Johannam audivit in confessione et cantavit missam coram ipsa et suis gentibus in villa Aurelianensi, et postmodum iverunt ad insultum qui duravit a mane usque ad vesperam. Et eàdem die fuit captum fortalitium Augustinense cum magno insultu, et ipsa Johanna quæ consueverat jejunare diebus Veneris, illa die non poluit jejunare, quia fuerat nimis vexata, et cœnavit ipsa Johanna. Post ejus coenam, venit ad eamdem Johannam unus valens et notabilis miles, de cujus nomine non recordatur ipse loquens, et dixit eidem Johannæ quod capitanci et armati regis fuerant ad invicem ad consilium, et quod ipsi videbant quod erant pauci armati respectu Anglicorum, quodque eisdem Deus fecerat magnam gratiam de victoriis obtentis, (d’après d’Urfé : contentis obtentis, texte des deux autres manuscrits et de Quicherat, n’a pas de sens) considerantes quod villa est plena victualibus, nos poterimus bene custodire civitatem exspectando succursum regis : nec videtur consilio expediens quod cras armati exeant. Ipsa Johanna respondit : Vos fuistis in vestro consilio et ego fui in meo ; et credatis quod consilium Domini mei perficietur et tenebat, et consilium hominum (et non pas hujusmodi) peribit ; dicendo eidem loquenti qui tunc erat prope eam : Surgatis crastinâ die summo manè, et plus quam hodie feceretis et agatis melius quam poteritis. Teneatis vos semper prope me, quia die crastina ego habebo multum agere, et ampliora quam habui unquam,et exibit crastina die sanguis à corpore meo suprà mammam.

  168. [345]

    Die autem sabbati adveniente, ipse loquens surrexit summo mane. missam celebravit ; et ivit ad insultum ipsa Johanna in fortalitio Ponlis ubi erat Clasdas Anglicus ; et duravit ibidem insultus à manè usque ad occasum solis sine intermissione.

    In quo insulta et post prandium, ipsa Johanna, sicut prædiverat, fuit percussa de unâ sagittà suprà mammam, et dum sensit se vulneratam timuit et flexit, et fuit consolata, ut dicebat. Et aliqui armati videntes eam taliter læsam, voluerunt eam charmare, gallice charmer ; sed ipsa noluit, dicendo : Ego prædiligerem mori quam facere aliquid quod scirem esse peccatum, vel esse contra voluntatem Dei, et bene sciebat quod semet debebat mori ; non tamen sciebat quando, ubi, aut qualiter, nec qua hora ; sed si ejus vulneri posset poni remedium sine peccato, quod ipsa bene vellet sanari.

    Et apposuerunt eidem vulneri oleum olivarum cum lardo, et post hujusmodi appositionem, ipsa Johanna confessa est eidem loquenti flendo et lamentando.

    Et iterum reversa est ad invasionem seu insultum, clamando et dicendo : Clasdas, Clasdas, renty, renty Regi cœlorum. Tu me vocasti putain ; ego habeo magnam pietatem de tuà animâ et tuorum. Tunc ipse Clasdas armatu à capite usque ad pedes cecidit in fluvium Ligeris et submersus est, undè ipsa Johanna pictate mota incepit fortiter flere pro animâ ipsius Clasdas et aliorum ibidem magno numero submersorum. El illa die omnes Anglici qui erant ultrà pontem fuerunt capti aut mortui.

  169. [346]

    Et deinde die dominica, ante ortum solis, omnes Anglici qui remanserant in campis, se ad invicem congregaverunt, et venerunt usque suprà fossata villæ Aurelianensis, et iverunt villa de Magduno suprâ Ligerim, et ibidem remanserunt aliquibus diebus. Et dicta die dominica, fuit facta in villa Aurelianensi processio solemnis cum sermone, et concluserunt ire ad regem, et ivit ipsa Johanna versus regem, et Anglici se congregaverunt et iverunt ad villam de Jargueau, quæ fuit capta insultu, et deinde Anglici fuerunt debellati et victi juxta villam de Patay. Et deinde ipsa Johanna volens procedere ulterius, sicut dixerat, ad coronationem regis, duxit regem ad villam Trecensem in Campanià, et de villa Trecensi apud villam Calalaunensem, et de Catalauno in villa Remensi, ubi rex ibidem miraculose fuit coronatus et consecratus, prout in principio sui accessus ipsa Johanna prædixerat.

  170. [347]

    Et pluries audivit dicere dictæ Johannæ quod de facto suo erat quoddam ministerium ; et quum sibi diceretur : Nunquam talia fuerunt visa, sicut de facto vestro, in nullo libro legitur de talibus factis, ipsa respondebat : Dominus meus habet unum librum in quo unquam nullus clericus legit, tantum sit perfectus in clericatura.

    Dicit insuper ipse loquens quod, totiens quotiens equitabat per campos et appropinquabat fortalitia, semper hospitabatur ad parlent cum nmlieribus ; et vidit eam pluiibus noclibus quod se ponebat genibus flexis ad terram, orando Deum pro prosperitate regis et complemento sua legationis sibi commissæ à Deo.

    Dicit insuper quod, in exercitu et dum erat in campis, quod aliquando non inveniebantur victualia necessaria ; ipsa tamen en nunquam voluisset comedere de victualibus ablatis.

    Et credit loquens firmiter quod erat a Deo missa, quia exercebat bonas operationes et erat plena omnibus virtutibus ; nam de pauperibus armatis, esto quod essent de parte Anglicorum, ipsa multum compatiebatur, quia dum videbat eos in extremis vel vulneratos, faciebat eos confiteri.

    Timebat etiam multum Deum, quia pro nulla re voluisset agere aliquid quod Deo displicuisset ; nam, dum fuit vulnerata in spatula de quodam tractu balistæ, taliter quod tractus apparebat ex utroque latere, aliqui voluerunt eam charmare, promittentes sibi quod sanaretur immediatè. Respondit quod erat peccatum, et quod mallet mori quam offendere Dominum nostrum per talem incantationem.

  171. [348]

    Dicit insuper quod bene miratur quod tanti clerici, sicut erant illi qui eam morti tradiderunt in villa Rothomagensi, ausi fuerint attentare in ipsam Johannam, et facere mori talem et simplicem Christianam, tàm crudeliter et sine causa saltem quæ esset sufficiens ad mortem, et quam poterant custodire in carceribus aut alibi, absque eo quod eisdem feceret displicitum ; et maxime quod erant ejus inimici capitales, et sibi videtur quod injuste assumpserunt judicium.

    De suis autem actis et tactis sciunt plenissime et sunt informati de aliquibus secretis dominus noster rex et dux Alenconii qui aliqua. secreta possent declarare, si vellent.

    Nec aliud scit, nisi quod ipsa Johanna pluries dixit eidem loquenti, quod si contingeret eam vitam finere, quod dominus rex taceret fieri cappellas ad deprecandum Altissinium pro salute animarum illorum qui obierant in guerrà pro defensione regni.

    Sic signatum : Ego frater Joannes Pasquerel ita scripsi et deposui, anno Domini MCCCCLVI, die Veneris in crastino Ascensionis Domini. J. Pasquerelli.

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180. Lachenat, Histoire des avocats au Parlement.

181. Il y en avait vingt-sept que l’on trouvera dans le volume du Martyre...

182. Ipsa erat quotidie post prandium per magnum temporis spatium flexis...

183. In veritate, ego nescirem à talibus me custodire, nisi Deus me...

184. Quidquid per eam actum fuit, hoc fuit à Deo… Ipsa erat in omnibus...

185. L’Hôte de Jeanne d’Arc à Poitiers : Maître Jean Rabateau.

186. Perceval de Boulainvilliers (II, p. 542).

187. Voy. Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, t,...

188. Histoire de Charles VII, t. II, p. 94.

189. Histoire de Charles VII, t. III, p. 336-338.

190. Dixit quod habebat duo in mandatis ex parte Regis cœlorum : unum...

191. Rex, de consilio majorum suæ curiæ, dubitavit loqui cum eà, donec...

192. Se traxit ad partem, extra alios… per longum spatium locuta fuit cum...

193. Habuitque ordinationem circa factum guerræ. La phrase est...

194. Erat multum simplex in omnibus suis agendis, excepte in facto guerræ,...

195. Quod obtineret totum suum regnum.

196. Deux exemplaires portent Armati villam tenentes ; mais le...

197. Quia si vellet procedere viriliter, totum suum regnum...

198. On peut voir le même fait constaté par Perceval de Boulainvilliers....

199. Suffolk et La Poule sont un seul et même personnage. Vraisemblablement...

200. Le témoin fait ici de nombreuses confusions. La prise de Jargeau...

201. C’était Gien, qui n’est pas entre Troyes et Auxerre.

202. Credebant quod non posset concupisci… imo repente amittebant motum...

203. Jean Lambert fut le premier recteur de l’université de Poitiers....

204. Pro reponendo eum in suo regno.

205. Quod non vocaret eum regem usquequò Remis esset coronatus et sacratus.

206. Non dubitabat quin ita fieret, si rex vellet dare sibi quantulamcumque...

207. Quia nihil invenerunt in eaà nisi calholicum, et omni rationi...

208. Quod sciretur de sua vita et statu.

209. Commendati status et laudabilis famæ.

210. Erat pulcherrimæ vitæ.

211. Sæpissime confitens.

212. Credit quod attenta suo modo vivendi et factis ejus, quod fuit...

213. Et tunc dixit loquenti et aliis adstantibus quatuor quæ adhuc erant...

214. Nunquam inveniebatur otiosa.

215. Rex et incolæ suæ obedientiæ nullam habebant spem ; imo omnes...

216. Fuit interrogata quare ferebat vexillum : quæ respondit quod...

217. Beaucroix donne ici à d’Aulon un titre qu’il n’a eu que bien...

218. Il semble que le témoin n’a vu Jeanne qu’au retour de Poitiers. C’est...

219. Il n’y avait pas assez de vivres dans la ville.

220. C’était le surlendemain.

221. L’Île aux Toiles, aujourd’hui disparue.

222. Dicendo : Amittemus nos gentes nostras.

223. Sæpissime confitebatur de duobus diebus in duos dies… et exhortabatur...

224. In exercitu nunquam voluisset quod aliqui de sua societate...

225. Pia etiam non solum erga Gallicos, sed etiam erga inimicos.

226. Ipsa Johanna multum dolebat, displicebat sibi quod aliquæ mulieres...

227. Inventaire des archives d’Orléans, par M. Doinel, p. 142 et suiv.

228. In tanta necessitate positi, quod nesciebant adquem recurrere pro...

229. Exhortabatur omnes ut sperarent in Domino, et si haberent bonam spem...

230. Summavit eosdem Anglicos… Ab illa hora Anglici fuerunt territi, nec...

231. Si dicta Puella non venisset ex parte Dei ad adjutorium eorum, ipsi de...

232. Saint-Laurent, sur une éminence au bord de la rivière sur la rive...

233. Audivit dici magistro Johanni Macon, in utroque jure doctori...

234. In hoc conveniunt omnes quod nunquam perceperunt, per quascumque...

235. Affirmantque ambo similiter et ceteri præcedentes, qui sæpe...

236. Aignan Viole et Pierre Millet ont déposé à Paris, en présence de...

237. Quod videbatur omnibus impossibile, saltem multum difficile.

238. Tunc dicebatur quod ipsa erat ita expers in ordinatione armatorum ad...

239. Dixit ulterius super hoc interrogatus quod ipsa frequenter...

240. In qua domo juste, sancte et sobrie et cum maxima honestate...

241. Sa déposition se trouve plus loin, p. 173.

242. Credit firmiter quod ejus opera et facta potius fuerunt divinitatis...

243. Le procès de réhabilitation, par ailleurs si magnifiquement et si...

244. In facto guerræ erat multum docta quamvis esset simplex et juvenis...

245. Licet multotiens capitanei haberent varias opiniones propter magnam...

246. Ipse vidit dictam Johannam, dum celebraretur missa in elevatione...

247. Increpabat armatos quando negabant vel blasphemabant nomen Dei ;...

248. Voy. Jacques Boucher, par M. de Molandon, p. 60.

249. Cepit eum per collum.

250. Quæ Johanna semper et continue loquebatur de Deo, dicendo : etc.

251. Vidit audire missam cum maxima devotione. Ses larmes coulaient en...

252. Credit firmiter ipsa loquens quod factum et operationes suæ potius...

253. Histoire de Charles VII, t. II, p. 619.

254. Omnes regi obedientes erant quasi in desperatione… Erat tunc temporis...

255. Ut firmiter credit ipsa loquens, a Deo venit, et missa exstitit ad...

256. Sæpissime confitebatur, audiebat libenter missam, et pluries...

257. Narrabat aliquando ipsa Johanna qualiter fuerat examinata per...

258. Prima facie credebant eam fatuam.

259. Dum credebant loqui de illo, pudebat taliter eos quod eidem non...

260. Eidem dixerat quod se male regebat, et quod nunquam sanaretur nisi se...

261. Johanna erat multum simplex et ignorans, et nihil penitus...

262. Plures mulieres veniebant ad domum loquentis, dùm Johanna in eadem...

263. Erat Johanna multum larga in eleemosynis, et libentissimé subveniebat...

264. Et quidquid scit, erat tota innocentia de suo facto, nisi in armis. ut...

265. Formule pour assurer la validité de l’acte au cas où une sentence...

266. Cette répétition se trouve dans le procès-verbal.

267. Credit ipsam Johannam esse missam a Deo, et actus ejus in bello esse...

268. Et ventus erat totaliter contraria. Tunc ipsa Johanna dixit verba quæ...

269. Statim et quasi in momento ventus, qui erat contrarius et valdè...

270. Les autres ponts, comme celui de Beaugency, étaient au pouvoir des...

271. Notre-Seigneur tenait un globe et bénissait deux lis présentés par les...

272. Fuerunt missæ dictæ litteræ domino Tallebot : et ab illa horâ...

273. Est-ce au témoin, est-ce au greffier qu’il faut attribuer trois ou...

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276. Cabinet, sorte de boudoir à côté d’un vaste appartement, tel que celui...

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278. Dixit talia verba aut similia, quod quando erat displicens aliquo...

279. Cousinot nous a dit qu’il était surtout question de revenir en...

280. In nomine Dei, ante tres dies, ego vos introducam infra (intra)...

281. Habebat illum morem, in hora vesperarum, seu crepusculi noctis,...

282. Utinam placeret Deo, creatori meo, quod ego nunc recederem, dimittendo...

283. Dicit et deponit quod de sobrietate a nullo vivente superabatur ;...

NaN. Viditque eam quando præsentavit se in conspectu regiæ majestati cum...

284. Ipsa expresse prædixit quod in brevi spatio tempus et ventus...

285. Erat sobria in potu et cibo, nec exibant de ore suo nisi bona verba,...

286. Johanna fuit ita valens et ita se gessit quod non esset possibile...

287. Credit quod erat bona et proba creatura, et quod ea quæ faciebat plus...

288. Audivit dici à magistro Roberto Baignart… (eam audiverat pluries in...

289. De omnibus hominibus nostris, fuit interfectus solus quidam nobilis de...

290. De omnibus factis per eamdem Johannam plus credit esse divinitatis...

291. M. de Beaucourt, Histoire de Chartes VII, t. VI, ch. IV, p. 38...

292. Ipsa Johanna fecit regi plures requestas, et inter alias quod donaret...

293. Il n’est pas douteux que l’évêque de Maguelone dont il est ici...

294. Jordan Morin était un des députés de Charles VII au concile de...

295. Nous avons ici un double rapport fait au conseil du roi après les...

296. Post aliquos dies est manifestement fautif. L’armée arriva le...

297. Toute cette partie de la déposition est fort confuse. Pour voir...

298. C’eût été bien peu. Faute de mémoire chez le témoin, ou de fidélité...

299. Quod bonum erat mandare equos, d’avoir de bons chevaux, pour la...

300. Audivique aliquando dictam Johannam dicentem regi quod ipsa Johanna...

301. Dum videbat corpus Christi, flebat multotiens eum magnis lacrymis....

302. Ipsa Johanna in omnibus factis suis, extra factum guerræ, erat simplex...

303. Louis de Coutes : page de Jeanne d’Arc, par Amicie de Foulques de...

304. Livre XXXV. ch. III.

305. Le château du Couldray est un des trois châteaux, ou enceintes bien...

306. Femme du conseiller Dupuy dont nous parlera Pâquerel.

307. C’est le texte du manuscrit 5970, tandis que le manuscrit 17013 porte...

308. Ici et dans les lignes suivantes il y a confusion dans les souvenirs...

309. Il n’est pas douteux que cela se passa le 4 mai après dîner, et...

310. Toutes les expressions supposent que la chambre de la Pucelle était au...

311. Multum erat sobria, quia pluries per totam diem non comedit nisi...

312. Ce fut seulement le surlendemain.

313. Semper in nocle habebat mulierem cum ea cubantem… dum non poterat...

314. Contradicentibus pluribus dominis, quibus videbatur quod ipsi volebat...

315. Un manuscrit porte : de reddendo villam ante pugnam. Le...

316. Johanna erat multum pia, et habebat magnam pietatem de tanta...

317. Jargeau fut pris avant Beaugency et avant la victoire de Patay.

318. Il est vrai qu’après la délivrance d’Orléans, Jeanne vit le roi à...

319. D’Aulon ne parle ni de Chinon, ni de Tours, ni de Blois. L’entretien...

320. Texte : Fut par l’un d’eux dit publiquement qu’ilz ne veoient,...

321. Harnois tout propre pour sondit corps. — Harnais, dans le style du...

322. Jacques Boucher avait épousé Jeanne Luillier. Le père de Jeanne était,...

323. De nombreux documents nous disent que la Pucelle sortit au-devant de...

324. Que les cheveux ne luy levassent ensur.

325. Il est bien manifeste qu’il fallait passer la rivière pour aller à...

326. La Pucelle et La Hire prirent chacun un cheval dans l’île, les...

327. Défaillance de la mémoire. La Pucelle, blessée aux pieds par une...

328. Il faut entendre ceux qui étaient restés sur la rive gauche ; car...

329. De la dove dudit boulevard, c’est, je crois, le revêtement...

330. Bouclier de forme arrondie.

331. Par si grant asprese.

332. Le bon d’Aulon raconte la part qu’il a prise à la conquête des...

333. Casque pointu avec un couvre-nuque et une visière mobile, dite...

334. Venerabilis et religiosus vir, frater Johannes Pasquerel, ordinis...

335. Jean Dupuy, conseiller du roi en sa cour des comptes, était de plus...

336. Et audivit dici quod ipsa Johanna, dum venit versus regem fuit...

337. Ipsam autem Johannam duxit erga regem dominus comes de Vendosme et...

338. Audivit etiam ab ipsa quod non contentabatur de tantis...

339. Et fuerunt in villa Blesensi circiter per duos vel tres dies,...

NaN. La délivrance d’Orléans, p. 36.

340. Et ipse loquens de jussu dictæ Johannæ, cum presbyteris et vexillo...

341. Et recordatur ipse loquens quod fuit in vigiliâ Ascensionis Domini,...

342. Eidem etiam loquenti præcepit quod publice moneret omnes armatos quod...

343. Dicit etiam ipse loquens quod illa die festi Ascensionis Domini, ipsa...

344. Et dicta die videlicet Veneris, in crastino dicti festi Ascensionis,...

345. Die autem sabbati adveniente, ipse loquens surrexit summo mane. missam...

346. Et deinde die dominica, ante ortum solis, omnes Anglici qui...

347. Et pluries audivit dicere dictæ Johannæ quod de facto suo erat quoddam...

348. Dicit insuper quod bene miratur quod tanti clerici, sicut erant illi...